Skip to main content

Full text of "Leçons du mardi à la Salpêtrière [de]Professeur Charcot"

See other formats


«♦-^l- 


r-  > 


k.^--  -I- 


.  * 


v^>- 


"  ^> 


V  \, 


V^'^-fA.*! 


*£. 


UNIVERSITYOF 
TORONTO  LIBRARY 

The 
Jason  A.Hannah 

Collection 

in  the  History 

of  Médical 

and  Related 

Sciences 


puBLicAiroNs  DU  pji()(ini:s  médical 


Professeur  CHARCOT 


POLICLINIQUE 

(888-1889 


Notes  de  Cours  de  MM.  BLIN,  CHARCOT,  Henri  COLIN 


ELEVES    DU    SERVICE 


PARIS 


\i;X    HUIIKAIX    Dr 

PROGRÈS    MÉDICAL 

11,  Hue  (les  (larmes,  14 


E.   LECRGSNIER  &   BABÉ 

KniTKlRS 

Place,  (le  ri"'c()li'-(l('-M(''(l('cin('. 


1880 


Policlinique  du  Mardi  23  Octobre  1888 


COURS  DE  M.  GHARCOT 


i^IVIVKE:    I^^I^-l^^O 


PREMIÈRE  LEÇON 

OBJET: 

1°  et  2°  Bâillement  hystérique  (bâillement  naturel  et  bâille- 
ment suggéré); 

S""  Dyspnée  ou  mieux  tachypnée  hystérique; 

4"*  Grand  tic  convulsif  ;  Goprolalie;  Troubles  psychiques 
concomitants. 


M.  Cdaroot  :  Messieurs,  vous  savez  par  l'expérience  de  l'année  passée  ce 
qu'ont  été  nos  leçons  du  mardi.  EssentieUement  cliniques,  elles  ne  changeront 
pas  de  caractère  cette  année.  Il  s'agira  tantôt  de  leçons  presque  improvisées 
sur  des  malades  qui  me  sont  encore  peu  connus,  tantôt  de  leçons  improvisées 
dans  l'acception  rigoureuse  du  mot,  concernant  cette  fois  des  malades  qui,  pour 
la  première  fois,  se  présentent  à  la  consultation  externe  et  que,  par  conséquent 
nous  ne  connaissons  pas  du  tout. 

Ces  leçons  ont  surtout  pour  but  de  vous  mettre  vraiment  en  rapport  avec 
les  difficultés  de  la  praticjue.  Je  vous  l'ai  dit  l'an  passé,  et  je  le  répète  actuelle- 
ment avec  insistance  :  dans  les  leçons  très  préparées  à  l'avance  le  professeur 
conduit  ses  auditeurs  dans  des  chemins  préalablement  aplanis  et  rendus  à 
dessein  faciles  à  parcourir.  Lui-même  a  pris  le  soin  d'arracher  les  broussailles 
et  d'écarter  les  écueils  qui  pouvaient  rendre  le  parcours  difficile.  Cette  manière 
de  procéder  qui  offre  incontestablement  mille  avantages,  surtout  quand  il 
s'agit  de  commençants,  comporte  une  part  d'artifice  dont  il  convient  de  ne 
plus  user  sans  réserve  devant  des  auditeurs  déjà  mûris  par  l'étude  et  qui  sont 
à  la  veille  de  devenir  eux-mêmes  des  praticiens.  Or  les  circonstances  ont  voulu 

1 


que  ce  soient  justement  ceux-ci  surtout  qui  fréquentent  les  cliniques  de  la 
Salpêtrière  et  en  face  d'eux  je  ne  sens  aucune  crainte  de  me  montrer  hési- 
tant parfois  et  embarrassé  même,  dans  certains  cas,  à  décider  un  diagnostic, 
à  proclnmer  un  pronostic  ou  à  instituer  un  traitement. 

Les  choses  sont  souvent,  dans  la  réalité  vraie,  plus  difficiles  qu'on  ne  le 
croit,  et  il  faut  que  vous  les  connaissiez  telles  qu'elles  sont  ;  il  faut  que  vous 
sachiez  que  le  domaine  delà  neuropathologie  où  l'on  a  fait  cependant  tant  de 
conquêtes,  n'a  pas  encore  été,  il  s'en  faut,  partout  convenablement  exploré 
et  que  dans  ce  vaste  territoire  il  existe  toujours  bien  des  terres  inconnues. 

D'ailleurs  l'expérience  seule  pourra  rendre  appréciable  aux  nouveaux  venus 
les  avantages  de  la  méthode  à  laquelle  je  suis  attaché  ;  c'est  pourquoi  jugeant 
inutile  de  prolonger  ces  préliminaires,  j'entre  immédiatement  en  matière. 


l""^  Malade 


Nous  allons  aujourd'hui,  en  commençant^  procédera  l'examen  d'unemalade 
qui  est  dans  le  service  depuis  six  mois  et  dont,  par  conséquent,  la  maladie 
n'a  pour  nous  rien  d'imprévu.  (Une  jeune  fille  de  dix-sept  ans  est  introduite 
dans  la  salle  du  cours.) 

M.  Gharcot  [indiquant  un  siège  à  la  jeune  malade):  Mettez-vous  là,  mademoi- 
selle, en  face  de  moi. 

[Aux  auditeurs)  :  Regardez-la  et  tâchez  de  ne  pas  vous  laisser  influencer, 
suggestionner  ou  intoxiquer,  comme  vous  voudrez  dire,  par  ce  que  vous  allez 
voir  et  entendre. 

C'est  un  acte  quelque  peu  imprudent,  sans  doute,  de  la  part  d'un  professeur, 
que  de  commencer  son  cours  en  parlant  du  bâillement  et  de  présenter  un  cas 
où  le  l»âillemenl  est  le  phénomène  le  plus  apparent.  Car  le  bâillement  est  con- 
tagieux, vous  le  savez,  au  premier  chef  et  rien  que  d'entendre  prononcer  le  mot 
de  bâillement,  qui,  dans  les  langues  les  plus  diverses,  vise  à  l'imitation  onoma- 
topéifiue  de  la  nature,  —  shadigliamento  (ital.);  ijaicning  (angl.)  ;  gâhnen 
(allem.),  —  on  se  sent  pris  d'une  envie  de  bâiller  presque  invincible. 

Mais  j'ose  espérer  qu'une  fois  prévenus,  nous  saurons  résister,  vous  et  moi, 
aux  suggestions  qui  nous  menacent. 

Pcndantque  je  dissertais,  vous  avez  vu  et  entendu  notre  malade  déjà  bâiller 
plusieurs  fois  ;  chez  elle,  veuillez  le  remarquer,  le  bâillement  est,  en  quelque 
sorte,  rytlimé,  en  ce  sens  qu'il  se  reproduit  à  des  intervalles  toujours  à  peu 
près  de  même  durée  et  assez  courts^  du  reste.  Sous  ce  rapport,  il  s'est  produit, 
depuis  que  la  malade  est  entrée  à  l'hôpital,  quelques  changements  que  je  tiens 
à  vous  faire  connaître. 


—  3  — 

A  l'origine,  en  effet,  il  y  a  quatre  ou  cinq  mois,  elle  bâillait  environ  huit  fois 
par  minutes  (480  bâillements  par  heure,  soit  7.200  en  quinze  heui  es  de  veille)  ; 
aujourd'hui  le  nombre  des  bâillements  est  réduit  à  quatre  dans  le  même  espace 
de  temps,  chaque  bâillement  occupe  individuellement  un  temps  assez  long. 
Autrefois  chacun  d'eux  durait  cinq  ou  six  et  même  sept  secondes  ;  aujourd'hui 
ils  ne  durent  que  trois  ou  quatre  secondes  au  plus.  Il  s'est  donc  produit  un  cer- 
tain amendement  à  cet  égard  et  le  phénomène  ne  nous  apparaît  plus  que  sous 
une  forme  atténuée.  J'ajouterai  que  chaque  bâillement  se  montrait  double 
auparavant,  composé  de  deux  bâillements  élémentaires,  tandis  qu'aujourd'hui 
il  ne  s'agit  plus  en  général  que  d'un  acte  de  bâillement  simple.  Toutes  ces  par- 
ticularités, vous  les  lirez  facilement  sur  les  divers  tracés,  recueillis  suivant  la 
méthode  graphique,  que  je  vous  présente  et  qui  sont  relatifs  à  diverses 
époques  delà  maladie  (Fig.  1,  2,  3,  4  et  5). 


t  I  >   I   t  »   l 


fo 


^ 


l. 


f 


S. 


-i 


Fig-.  1.  — Uespii'ation  normale  d'une  hystérique  très  émotive.  Elle  est  fréquente  (30  par  miuute). 


Fiff.  2.  —  Loi'.. 


,  !*«■  sept.  La  respiration  se  fait  uniquement  par  bâillements.  La  plupart  des 
bâillements  sont  doubles  (B).  Huit  bâillements  par  minute. 


rp  rjf 


n^ 


—  Ler ,  15  août.  Alternance  de  la  toux  (T)  et  des  bâillements  (B). 


4  — 


Fig.  4.  —  Ler ,  15  oc'.  Bâillements  (B)  séparés  par  des  respirations  à  peu  près  régulières. 


Fig.  5.  —  Bâillements  par  imitation  chez  une  hystérique  placée  dans  la  période  du  somnambulisme 

auprès  de  Ler 


Ainsi  vont  les  choses  du  matin  au  soir,  sans  interruption  aucune,  si  bien  que 
le  sommeil  seul  met  trêve  aux  bâillements  ;  il  fut  un  temps,  vous  le  reconnaîtrez 
sur  le  tracé  (fig.  2),  où  ceux-ci  étaient  tellement  précipités,  que  les  respirations 
normales  n'avaient,  pour  ainsi  dire,  pas  le  temps  de  se  produire,  et  que  le 
bâillement,  par  conséquent,  était  le  seul  mode  de  respirer  que  la  malade  eût  à 
son  service. 

Il  fut  un  temps  également  où  la  toux,  la  toux  nerveuse,  alternait  avec  le  bâil- 
lement et  l'on  peut  suivre  sur  le  schémadu  tracé  du  15  août(fig.  3),  l'alternance 
en  quelque  sorte  mathématiquement  régulière  de  la  toux  et  du  bâillement.  Au- 
jourd'hui la  toux  a  complètement  cessé,  et  le  bâillement  régne  seul,  exclusive- 
ment. 

Pour  ce  qui  est  du  bâillement  considéré  en  soi,  il  ne  diffère  chez  la  malade, 
en  rien  d'essentiel,  du  bâillement  physiologique.  Vous  savez  ce  qu'est  celui-ci: 
ce  n'est  autre  chose  qu'une  longue  et  profonde  inspiration,  presque  convulsive, 
pendant  laquelle  il  se  produit  un  écartement  considérable  de  la  mâchoire, 
souvent  avec  flux  de  salive  et  sécrétion  de  larmes,  —  phénomènes  sur  lesquels 
Darwin  insiste  particulièrement,  —  et  suivi  d'une  expiration  également  pro- 
longée et  bruyante. 

Physiologiquement,  on  assure  que  c'est  un  acte  automatique  nécessité  par 
un  certain  degré  d'anoxémie,  un  besoin  d'hématose  des  centres  nerveux. 
Tantôt  le  bâillement  est  simple,  tantôt  il  est  suivi  ou  s'accompagne  de  pan- 
el iciilatiuns,  c'est-à-dire  de   contractions  musculaires  presque   générales. 

Eli  bien,  ce  n'est  pas  tint  par  l'intensité  que  par  sa  répétition  presque  in- 
cessante que   le   bàillenient^,  chez  notre  malade,  s'éloigne  de  Tétat  normal,  on 


—  5  — 

peut  même  dire  que  chez  elle  les  bâillements  se  montrent  relativement  mo- 
dérés dans  leur  intensité,  qu'ils  ne  s'accompagnent  par  exemple,  habituelle- 
ment pas  de  pandiculations  et  presque  jamais  —  cela  arrive  cependant  quel- 
quefois —  d'une  sécrétion  de  la  salive  ou  des  larmes. 

Vous  avez  sans  doute  prévu,  après  ce  que  je  viens  de  vous  dire,  que  nous 
sommes  ici  dans  le  domaine  de  l'hystérie,  et  il  n'est  pas  sans  intérêt  de  relever 
une  fois  de  plus  cette  régularité  singulière,  ce  rythme  qui,  chez  notre  malade, 
marque  le  retour  des  bâillements  :  rythme  et  cadence,  voilà  un  caractère  propre 
à  nombre  de  phénomènes  hystériques,  et  bien  des  fois  j'ai  saisi  l'occasion  de 
vous  le  faire  remarquer.  Dans  la  chorée  rythmée,  en  particulier,  il  est  si 
accentué  qu'un  maître  de  ballet  pourrait  noter  et  écrire  les  mouvements  étran- 
ges, souvent  fort  complexes,  qu'exécutent  les  malades  lorsqu'ils  sont  sous  le 
coup  de  leur  accès.  Il  y  a  là,  comme  il  est  dit  dans  Hamlet,  €  de  la  méthode^ 
bien  que  ce  soit  de  la  folie  ».  La  toux,  les  mugissements,  les  aboiements  hys- 
tériques se  prêtent  naturellement  aux  mêmes  considérations. 

Je  crois  bien  qu'on  peut  affirmer  que  tout  bâillement,  se  reproduisant  à 
des  intervalles  réguliers,  comme  cela  se  voit  dans  notre  cas,  est  un  phénomène 
hystérique  ;  mais  il  ne  faudrait  pas  croire  que  tout  bâillement  morbide  quel- 
conque soit  nécessairement  de  cette  nature.  Ainsi,  M.  Féré,  tout  récemment, 
a  publié  dans  la  Nouvelle  Iconographie  de  la  Salpêtrière,  n°  4,  juillet  et  août 
1888,  un  cas  de  bâillements  occupant  les  intervalles  des  accès  chez  un  épilep- 
tique. 

Je  dois  ajouter  que  le  bâillement  pathologique,  phénomène  nerveux  par 
excellence,  n'appartient  pas  exclusivement  à  la  catégorie  des  maladies  ner- 
veuses proprement  dites.  L'ancienne  séméiologie  s'attachait  beaucoup  aux 
bâillements  morbides  considérés  comme  signes  pronostiques  dans  les  mala- 
dies aiguës  :  ainsi,  pour  Rœderer,  les  bâillements  survenant  à  la  fin  de  la  gros- 
sesse devaient  faire  redouter  la  fièvre  puerpérale  !  Que  dire  des  bâillements 
chez  les  apoplectiques  ?  Bien  qu'ils  reproduisent,  au  milieu  des  symptômes 
comateux  un  phénomène  qui,  volontiers,  précède  et  suit  le  sommeil  naturel,  je 
les  croirais,  en  pareil  cas,  si  j'en  juge  par  mon  expérience  propre,  plutôt  de 
mauvais  augure. 

A  la  vérité,  toute  cette  ancienne  séméiologie  du  bâillement  me  semble  au- 
jourd'hui bien  démodée  ;  peut-être  y  aurait-il  intérêt  à  la  refaire. Pour  le  mo- 
ment, j'ai  voulu  relever  seulement  que  tout  bâillement  pathologique  n'est  pas  né- 
cessairement un  bâillement  hystérique, et,  à  ce  propos  précisément,  je  voudrais 
signaler  encore  que  le  retour  fréquent  des  bâillements  pendant  les  périodes 
d'amorphinisme  pourrait  contribuer  à  révéler  l'existence  de  la  pratique  régu- 
lière des  injections  de  morphine  chez  un  sujet  qui,  ainsi  que  cela  arrive  plus 
souvent  qu'on  ne  le  pense,  voudrait  tromper  le  médecin  en  la  tenant  cachée. 

Mais  il  est  temps  d'en  revenir  au  sujet  que  nous  avons  sous  les  yeux.  J'affirme 
que  le  bâillement  est  chez  elle  un  phénomène  hystérique  :  cela,  sans   doute. 


—  6  — 

vous  paraît  déjà  fort  vraisemblable  ;  mais  il  nous  reste  encore  cependant    à 
démontrer  régulièrement  qu'il  en  est  réellement  ainsi. 

La  question  qui  se  présente  à  nous  en  ce  moment,  est  celle-ci  :  le  bâillement 
est-il,  chez  notre  malade,  un  symptôme  solitaire  ?  En  d'autres  termes  :  l'hys 
térie  est  elle,  chez  elle,  monosymptomatique,  comme  j'ai  coutume  de  la  dire  en- 
pareil  cas,  c'est-à-dire  marquée,  révélée  exclusivement  par  un  symptôme 
unique,  à  savoir,  dans  Tespèce:  le  bâillement?  —  Cela  pourrait  être  ;  pareille 
chose  arrive  fréquemment  pour  la  toux,  l'aboiement,  le  hoquet,  les  bruits 
laryno-és  divers,  tous  phénomènes  connexes  au  bâillement.  Je  dirai  même  que, 
souvent,  il  paraît  y  avoir  une  sorte  d'antagonisme  entre  les  phénomènes  d'hys- 
térie locale,  comme  on  les  appelle  quelquefois,  et  les  phénomènes  hystériques 
vulgaires,  tels  que  :  hémianesthésie,  ovarie,  attaques  convulsives,  etc. 

En  pareil  cas,  il  peut  y  avoir,  parfois,  pour  le  diagnostic,  des  difficultés  vrai- 
ment sérieuses.  Cependant,  même  dans  ces  cas,  la  monotonie  même  des 
accidents,  leur  retour  systématique  à  des  intervalles  mesurés,  toujours  les 
mêmes,  l'impossibilité  de  les  rattacher  à  une  affection  quelconque,  autre  que 
la  névrose  hystérique,  et  bien  d'autres  circonstances  encore  qu'il  serait  trop 
longd'énumérer,  permettent  presque  toujours  de  les  reconnaître  pour  ce  qu'ils 
sont. 

Mais,  chez  notre  sujet,  nous  ne  rencontrerons  même  pas  les  difficultés  aux- 
quelles je  viens  de  faire  allusion  car,  chez  elle,  les  phénomènes  hystériques 
les  plus  variés,  les  plus  caractéristiques  se  sont,  en  quelque  sorte,  donné  ren- 
dez-vous, de  façon  à  dissiper  toutes  les  obscurités. 

C'est  ce  qui  ressortira  de  l'énoncé  que  je  vais  faire  de  ce  qui  me  reste  à 
dire  concernant  l'histoire  clinique  de  cette  malade. 

Je  vous  rappellerai  ({uo  notre  jeune  malade  est  aujourd'hui  âgée  de  dix-sept 
^ns.  —  Considérons  d'abord  les  antécédents  héréditaires,  car,  ainsi  que  j'ai  eu 
bien  souvent  l'occasion  de  le  répéter,  en  matière  de  pathologie  nerveuse  l'ob- 
servation du  malade  qu'on  a  sous  les  yeux  ne  saurait  être  considérée  que 
comme  un  épisode;  il  faut  la  compléter,  si  faire  se  peut,  par  Thistoire  patho- 
logique de  la  famille  tout  entière.  Or,  voici  ce  que  les  investigations  dirigées 
dans  ce  sens  nous  font  reconnaître  :  Père  inconnu  ;  cela  est  déjà  quelque 
chose,  car  il  n'est  pas,  moralement,  tout  à  fait  normal  d'abandonner  un  en- 
fant dont  on  est  le  père  ;  quoi  qu'il  en  soit,  voilà  tout  un  côté  de  la  famille  qui 
échappe  à  notre  étude.  —  Rien  à  noter,  paraît-il_,  chez  la  mère,  en  fait  de  phé- 
nomènes nerveux.  Il  n'en  est  pas  de  même  pour  ce  qui  concerne  la  sœur  de  la 
nnilade.  Il  est  même  très  intéressant  de  relever,  chez  celle-ci  l'existence,  vers 
l'àgc  de  dix-huit  ans,  d'un  hoquet  très  tenace,  de  longue  durée.  —  Hoquet 
et  bâillement,  ce  sont  là,  remarquez-le  bien,  des  phénomènes  de  la  même 
série. 

Los  antéc«M.L'nts  personnels  sont  plus  riches  :  si,  en  effet,  on  remonte  dans 
le  passj,   ou  peut  dire   ([uo  les  accidents  nerveux  d'aujourd'hui  ue  sont,  en 


—  7  — 

(luelque  sorte,  que  la  ré«}(lition,  sous  une  forme  nouvelle,  d'accidents  anté- 
rieurs. 

De  trois  à  huit  ans,  —  elle  a  donc  ùté  fort  précoce  sous  ce  i<4>j.Mrl,  —  elle 
a  été  sujette  à  des  attaques  de  nerfs  accompagnées  de  perte  de  connaissance. 
Ces  attaques  se  reproduisaient  quelquefois  presque  sans  cesse  et  sans  trêve 
pendant  une  p(h'iodo  de  viiigt-rjuatre  heures.  Kvideniment,  il  s'agissait  là  non 
pas  d'attaques  comitiales,  mais  hel  et  hien  d'attaques  hystériques  de  la  grande 
forme  hystéro-épilepsie. 

Une  affection,  désignée  sous  le  nom  de  chorée,  a  paru  également  vers  cette 
époque  et  elle  a  occupé  la  scène  pendant  trois  mois. 

De  l'âge  de  neuf  ans  jusqu'à  l'époque  présente,  les  trouhles  nerveux  s'effacent 
complètement.  Ils  ont  reparu  en  mai  dernier,  sans  cause  spéciale  apparente, 
sous  la  forme  suivante  :  ce  fut  d'abord  un  enrouement  bientôt  suivi  d'une  toux 
sèche  presque  incessante  pendant  la  veille  et  s'arrétant  seulement  pendant  le 
sommeil,  pour  reparaître  le  matin  dès  le  réveil.  Les  nuits,  du  reste,  étaient 
fort  agitées  et  plusieurs  fois  la  malade  s'est  réveillée  à  terre  hors  de  son  lit. 
Puis  apparurent  les  premiers  bâillements  qui  d'abord,  alternèrent  avec  les 
quintes  de  toux  (Voiries  figures  1,  2,  3,  4)^  et  ensuite  régnèrent  seuls,  se  ré- 
pétant alors  environ  huit  fois  par  minute.  Depuis  le  mois  d'octobre, les  choses 
se  sont  réglées  ainsi  qu'il  suit  :  quatre  bâillements  par  minute  se  reproduisant 
avec  cette  régularité  sur  laquelle  j'ai  déjà  appelé  votre  attention. 

Il  n'y  a  pas  longtemps  que  les  phénomènes  de  l'attaque  convulsive  vulgair^î 
sont  venus  se  surajouter  aux  bâillements  et  je  dois  vous  prévenir  que  je  ne  con- 
sidère pas  cette  intervention  de  l'attaque  convulsive  comme  marquant  un 
empirement  dans  la  situation.  Je  vous  ai  déjà  laissé  entrevoir  que  la  toux 
comme  le  bâillement  hystériques  ne  sauraient,  en  général,  coexister  avec 
l'attaque  ;  l'un  exclut  l'autre  jusqu'à  un  certain  point.  Et,  à  tout  prendre,  les 
phénomènes  de  l'hystérie  convulsive  vulgaire,  régulière,  sont  bien  moins» 
tenaces,  moins  inaccessibles  que  ne  le  sont,  dans  leur  monotonie  désespérante, 
la  toux,  l'aboiement  hystérique  et  aussi  le  bâille :nent.  —  Il  s'agit  là,  en 
somme,  d'un  de  ces  cas  où  il  y  aurait  avantage,  si  faire  se  pouvait,  ainsi  que 
Ta  bien  montré  M.  le  P'  Pitres,  à  favoriser  le  développement  des  attaques, 
dans  l'espoir  de  changer  le  cours  des  choses  et  de  rendre  la  maladie^dans  son 
ensemble,  plus  accessible  à  l'influence  des  moyens  thérapeutiques. 

Pour  le  moment,  les  attaques,  chez  notre  sujet,  sont,  en  quelque  sorte,  à  1  étal 
rudimentaire.  Tout  à  coup  la  malade  ressent  des  étouffements,  il  lui  semble 
qu'une  boule  lui  monte  du  creux  épigastrique  à  la  gorge  ;  puis  surviennent  des 
bourdonnements  d'oreilles,  des  battements  dans  les  tempes. 

Il  est  intéressant  de  remarquer  qu'au  moment  où  ces  phénomènes  appa- 
raissent, les  bâillements  cessent  [momeiïïânément  (antagonisme  entre  les 
attaques  et  les  bâillements).  Souvent  les  choses  ne  sont  pas  poussées  plus  loin  ; 
cependant   quelquefois    il  y  a    rigidité  convulsive  des  membres,   porte    de 


—  8  — 

connaissance  qui  peut  durer  un  quart  d'heure  et  plus.  Souvent,  la  malade, 
après  les  attaques,  tombe  dans  un  profond  sommeil. 

Voilà  certes  une  série  d'accidents  qui,  au  premier  chef,  révèlent  l'hystérie. 
Mais  ce  n'est  pas  tout  :  les  stigmates  permanents  sont,  chez  notre  sujet,  parfai- 
tement accentués  et  caractéristiques.  Je  me  bornerai  à  en  faire  l'énumération 

sommaire  : 

i''  Anesthésie  cutanée  très  accentuée  sur  toute  l'étendue  du  membre  supé- 
rieur droit,  répandue  sur  le  tronc  en  avant  et  en  arrière,  comme  il  est  indi- 
qué sur  la  figure  n°  6  (A.  B.); 


Fi{,'.  6.  —  État  de  la  sensibilité  chez  Ler (8  septembre  1888.) 


2"  Abolition  presque  absolue  du  goût  et  de  l'odorat  des  deux  côtés; 
3"  Diminution  de  la  sensibilité  pharyngée; 


0   — 


A"  Dyschromatopsie  du  c6Ui  droit  :  le  rouge  et  le  jaune  sont  seuls  perçus 
nettement  ; 

5°  Enfin  il  existe  un  rétrécissement  du  champ  visuel  à  peu  près  égal  des 
deux  côtés  (  Fig.  8  et  9). 


ms 


Fig-,  7.  —  État  du  champ  visuel  chez  Ler (8  septembre  4888.) 

Inutile  d'insister:  il  est  clair  que  les  accidents  divers  que  présente  notre  ma- 
lade sont  hystériques  et  que  tout,  chez  elle,  est  hystérique. 

Quel  pronostic  porter  sur  ce  cas?  —  H  y  a  des  ressources:  à  un  âge  plus 
avancé,  chez  la  femme,  l'hystérie  accentuée  est  beaucoup  plus  tenace,  plus 
persistante,  quelquefois  incurable. 

Je  me  réserve  de  vous  exposer,  dans  une  autre  occasion,  le  traitement  que, 
dans  un  caè  de  ce  genre,  je  me  propose  de  mettre  en  œuvre.  Actuellement,  je 
veux  diriger  votre  attention  sur  un  autre  côté  de  la  question. 


2^  Malade. 


Tout  à  rheure,  je  vous  rappelais  le  fait  bien  connu  que  le  Millrmmt  o>t  un 
phénomène  contagieux  par  excellence,  alors  même  qu'il  s'agit  du  bâillement 


—  10  — 

physiologique  s'opérant  en  présence  de  gens  qu'on  a  de  bonnes  raisons   de 
considérer  comme  indemnes  de  toute  tare  nerveuse. 

Eh  bien,  je  tiens  à  vous  rendre,  à  présent,  témoins  d'une  petite  expérience 
qui  vous  fera  bien  comprendre,  j'espère,  comment,  dans  un  milieu  conve- 
nablement adapté,  le  bâillement  pathologique  pourrait  devenir  contagieux  au 
point  de  se  répandre,  en  quelque  sorte,  épidémiquement. 

Vis-à-vis  de  la  malade  dont  je  viens  de  vous  conter  l'histoire,  je  vais  placer 
un  autre  sujet  que  quelques-uns  d'entre  vous  connaissent  très  certainement 
comme  présentant  les  phénomènes  typiques  de  ce  que  j'appelle  le  grand  hypno- 
tisme. Avant  d'entrer  dans  la  salle_,  on  l'a  mise,  comme  nous  disons,  en  état  de 
somnambulisme.  Nous  nous  assurerons  qu'elle  est  bel  et  bien  endormie,  légi- 
timement endormie  en  faisant  apparaître  chez  elle  le  phénomène  somatique  qui 
caractérise  la  période  en  question.  Un  simple  frôlement  d'un  membre,  une 
f)asse  faite  à  distance  au  voisinage  immédiat  de  ce  membre,  suffît  pour  déter- 
miner cette  forme  de  contracture  que  nous  avons  désignée  sous  le  nom  de 
«  contracture  somnambulique  ».  On  ne  saurait  s'entourer  de  trop  de  garanties 
dans  un  domaine  où  la  simulation  et  l'illusion  sont  choses  banales,  et  c'est  pour- 
quoi nous  continuons  et  nous  continuerons  dans  nos  études,  à  ne  nous  adresser 
jamais  qu'aux  sujets  susceptibles  d'entrer  dans  le  grand  hypnotisme  et  chez 
lesquels,  par  conséquent,  toute  possibilité  d'une  intervention  volontaire  de 
la  part  du  sujet  mis  en  expérience,  peut  être  écartée. 

Si,  messieurs,  pendant  la  démonstration  qui  précède,  nous  avons  pu  résister 
les  uns  et  les  autres  à  la  contagion  du  bâillement,  —  ce  do^it  nous  pouvons 
nous  féliciter  mutuellement,  —  c'est  que  nous  avons  en  nous  un  pouvoir  d'iu- 
Idbilion  que  ne  possède  pas  notre  somnambule  artificielle.  Chez  celle-ci  le 
phénomène  du  moi  —  c'est  là  un  grand  caractère  de  l'état  psychique  de  ces 
somnambules  —  est  obnubilé  ;  tout  contrôle  est  perdu  à  l'égard  des  impres- 
sions venues  du  dehors  et  les  suggestions  s'imposent  sans  résistance.  Eh  bien, 
vous  le  voyez,  tandis  que  notre  malade  n**  1  continue  à  bâiller  comme  tout 
à  l'heure,  à  intervalles  égaux,  le  n°  2,  c'est-à-dire  la  malade  somnambulisée, 
fait  mine  de  vouloir  résister  à  la  contagion,  mais  sa  résistance  est  bientôt 
vaincue  :  la  voilà  qui  se  met  à  bâiller,  elle  aussi,  malgré  tous  ses  efïorts  eu 
sens  contraire.  Ses  bâillements  sont  plus  forts,  même,  plus  bruyants  que  ceux 
de  la  malade  qui  lui  sert  de  modèle  ;  ils  sont  également  séparés  par  des  dis- 
tances à  peu  près  égales.  Cependant, il  ne  faudrait  pas  aller  jusqu'à  voir  là  une 
imitation  absolument  parfaite.  Il  vous  suffira,  en  effet,  de  jeter  un  coup  d'œil 
sur  le  tracé  des  bâillements  de  la  somnambule  recueilli  par  nous  hier  (fig.  5), 
dans  une  expérience  semblable  à  celle  dont  nous  vous  rendons  témoins  aujour- 
d'hui, pour  reconnaître  qu'il  ne  concorde  pas  absolument,  mathématiquement, 
si  l'on  peut  dire,  avec  les  tracés  relatifs  à  la  malade  n°  1.  Il  s'agit  là  d'une 
imitation  par  approximation  et  non  pas  d'une  imitation  servile. 
Quoi  qu'il  en  soit,  messieurs,  si  nous  supposons,  dans  un  couvent,  dans  un 


—  11  — 

pensionnat,  un  certain  nombre  de  jeunes  filles  placées,  par  suite  de  circons- 
tances spéciales,  dans  un  état  psychologique  se  rapprochant  plus  ou  moins 
de  l'état  mental  hypnotique-somnambulique,  vous  comprendrez  facilementque 
la  présence,  dans  un  pareil  milieu,  d'un  sujet  atteint  de  toux,  d'aboiement  ou 
de  bâillement  nerveux,  puisse  devenir  le  point  de  départ  d'une  véritable  épi- 
démie. 

(La  somnambule  étant  réveillée,  M.  Charcot  fait  remarquer  qu'elle  continue 
à  bâiller  comme  tout  à  l'heure.) 

M.  Charcot  :  Qu'avez-vous  donc  à  bâiller  ainsi  ? 

La  malade  :  Je  ne  sais  pas,  je  n'y  comprends  rien  ;  j'ai  probablement  très 
mal  dormi  cette  nuit. 

M.  CuARcoT  :  Elle  pourrait  ainsi  continuer,  comme  le  fera  l'autre,  le  n"  1,  à 
bâiller  toute  la  journée.  Nous  ne  voulons  pas  la  condamnera  ce  supplice. 
Pour  la  délivrer,  nous  la  plongerons  comme  tout  à  l'heure  dans  l'état  somnam- 
bulique  et  alors  il  nous  sera  facile,  à  l'aide  de  la  suggestion,  de  la  ramener  à 
l'état  normal. 

(Les  malades  n°  1  et  n"  2  sortent  delà  salle  ;  une  troisième  malade  est  intro- 
duite.) 


3^   Malade. 


Ce  matin,  messieurs,  à  la  consultation  externe,  s'est  présentée  une  malade 
dont  je  vous  ai  déjà  entretenu  l'an  passé  {Leçons  du  Mardis  10'  leçon,  7  fé- 
vrier 1888,  p.  193).  Il  y  a  un  peu  moins  d'un  an. 

Il  s'agit  d'un  cas  de  dyspnée  hystérique.  Je  vous  ai  fait  remarquer,  dans  ce 
temps-là,  que  notre  malade,  alors  âgée  de  vingt  ans,  était  israélite,  et  je  rele- 
vais, à  ce  propos,  combien,,  dans  la  race,  les  accidents  nerveux  de  tout  genre, 
entremêlés  le  plus  souvent  avec  des  symptômes  arthritiques,  tels  que  migrai- 
nes, rhumatismes  articulaires,  eczémas,  goutte,  diabète,  etc.,  se  montrent 
incomparablement  beaucoup  plus  fréquents  qu'ailleurs. 

J'ai  récemment  constaté  le  fait  une  fois  de  plus,  dans  des  conditions  parti- 
culièrement favorables  à  la  démonstration,  lors  d'une  petite  incursion  que  j'ai 
faite,  l'an  passé,  au  Maroc.  Là,  à  Tétouan,  près  de  six  mille  Juifs,  chassés 
d'Espagne  il  y  a  trois  siècles,  vivent  depuis  lors,  strictement  claquemurés 
dans  un  Ghetto.  Les  mariages  consanguins  y  sont  la  règle  et,  par  conséquent. 
les  influences  héréditaires  accumulées,  s'y  développent  et  agissent  dans  toute 
leur  énergie.  Si  bien,  que^  dans  un  court  espace  de  temps,  il  m'a  été  permis. 


-    12  — 

sur  une  population  en  somme  très  restreinte,  de  reconnaître  maintes  fois  les 
nombreux  méfaits  des  diathèses  arthritique  et  nerveuse  entrant  en  combinaison. 

Mais  c'est  là  un  sujet  sur  lequel  je  reviendrai,  je  pense,  avec  plus  de 
détails  quelque  jour,  et  que  j'espère  alors  pouvoir  traiter  dans  les  règles  ;  car 
il  s'agit  ici,  vous  l'avez  compris,  d'une  curieuse  et  instructive  étude  de  patho- 
logie comparative. 

J'ai  insisté  autrefois,  dans  la  Leçon  à  laquelle  je  vous  prie  de  vous  reporter, 
sur  les  antécédents  héréditaires  très  chargés,  relevés  chez  notre  malade  ;  je 
n'y  reviendrai  pas  aujourd'hui.  Qu'il  me  suffise  de  vous  dire  ce  qui  s'est  passé 
chez  elle  depuis  un  an;  d'ailleurs,  en  somme,  les  accidents  d'aujourd'hui 
ne  diffèrent  en  rien  d'essentiel  de  ce  qu'ils  étaient  lors  de  la  première  démons- 
tration. 

La  respiration  est  actuellement^  comme  elle  l'était  alors,  extrêmement  pré- 
cipitée ;  vous  pouvez  le  constater  de  visu,  vous  pouvez  le  reconnaître  mieux 
encore  sur  le  tracé  que  je  vous  présente  et  qui  a  été  recueilli  en  suivant  la 
méthode  de  Marey  (Fig.  8  et  10). 


Fig.  8.  —  Dyspnée  hystérique. MsivieB Respiration  extrêmement  fréquente  et  très  superficielle. 


Nous  comptons,  à  peu  près,  de  170  à  180  respirations  par  minute.  Tout 
cela  se  fait  silencieusement  et  sans  bruit,  La  malade  ne  semble  pas  anxieuse, 
bien  que  les  inspirations  soient  peu  profondes  ;  elle  ne  souffre  véritablement 
pas  et  on  ne  constate  chez  elle  aucune  trace  de  cyanose,  contrairement  à  ce 
qui  aurait  lieu  certainement  s'il  y  avait  véritablement  dyspnée  avec  anoxémie. 
Il  n'y  a  pas  d'accélération  non  plus  du  pouls  (60  à  80  par  minute). L'ausculta- 
tion montre  d'ailleurs  que  l'inspiration  et  l'expiration  sont  parfaitement 
libres  et,  à  part  la  fréquence,  dénuées  de  toute  anomalie,  de  telle  sorte  que  la 
dénomination  de  tachypnée  conviendrait  incontestablement  beaucoup  mieux 
que  celle  de  dyspnée,  pour  caractériser  cette  accélération  hystérique  des 
mouvements  respiratoires. 

La  précipitation  des  actes  d'inspiration  et  d'expiration  est  d'ailleurs,  chez 
notre  malade,  un  phénomène  de  l'état  de  veille,  comme  le  sont  beaucoup 
d'autres  symptômes  hystériques  du  même  genre  :  le  sommeil  les  supprime 
complètement.  Dans  la  journée,  même  à  l'état  de  veille,  la  tachypnée  n'est  pas 
absolument  toujours  présente  ;  il  y  a  des  temps  de  répit  plus  ou  moins  longs. 
Elle  se  montre  par  accès  qui  durent  de  deux  à  trois  ou  quatre  heures  et  qui 
semblent  à  peu  près  toujours  inaugurés  par  une  période  prodromique  mar- 
quée par  des  symptômes  qui  rappellent  l'aura  de  l'hystére  convulsive.  11  semble 


—  la  - 

alors  à  la  malade  qu'elle  ressent  une  constriction  à  la  gor^'e,  suivie  de  bour- 
donnements d'oreille,  de  battements  dans  les  tempes,  et  peu  après  se  montre 
l'accéb'ration  des  mouvements  respiratoires.  —  L'attaque  se  termine  souvent 
par  des  pleurs,  comme  se  termine  Tattaque  d'hystérie  vulgaire,  et  en  somme 
il  n'est  guère  douteux  que  l'accès  dyspnéique  représente,  en  quelque  sorte,  une 
attaque  hystérique  transformée. 

Dans  ce  cas,  point  de  stigmates,  c'est-à-dire  pas  d'anesthésie  cutanée,  pas 
d'ovarie,  pas  de  troubles  sensoriels,  etc.  Le  symptôme  sur  lequel  j'appelle  votre 
attention  est  donc  à  peu  près  solitaire.  C'est  l'occasion  de  relever  une  fois  de 
plus  la  ténacité  des  accidents  d'hystérie  mon^symplomalique.W  y  a,  en  effet,  près 
d'un  an  que  durent  les  choses,  malgré  qu'un  traitement  rationnel  assez  suivi 
ait  été  mis  en  œuvre,  et  rien  n'annonce  qu'eiies  doivent  changer  prochaine- 
ment. 


¥  Malade  (Homme  de  39  ans). 


Un  quatrième  malade  est  introduit  dans  la  salle,  c'est  un  homme  d'une 
quarantaine  d'années,  d'origine  polonaise,  non  israélite. 

M. Charcot  :  Voici  un  malade  qui  s'est  présenté  à  nous  ilyaquelquesjours.il 
est  facile  de  reconnaître  chez  lui  l'existence  du  tic  convulsif  de  la  grande  espèce. 
A  côté  du  petit  tic  convulsif  vulgaire,  il  faut  placer  le  grand  tic,  caractérisé 
par  des  mouvements  convulsifs,  complexes, quelquefois  très  étendus,  et  notre 
malade  offre  justement  un  ensemble  du  dernier  genre.  Le  tic  convulsif  passe 
encore  assez  généralement  pour  une  affection  à  laquelle  il  n'y  a  pas  lieu  d'atta- 
cher une  très  grande  importance  ;  c'est  à  tort,  et  je  vous  engage,  toutes  les  fois 
que  vous  serez  consultés  par  un  tiqueui\  de  ne  pas  vous  arrêter  aux  phéno- 
mènes extérieurs  et  à  y  regarder  d'un  peu  près.  Vous  avez  toutes  chances,  en 
poursuivant  chez  le  sujet  l'analyse  dans  une  certaine  direction,  de  relever  un 
certain  nombre  de  phénomènes  psychiques  fort  intéressants  et  dont  vous  n'au- 
riez sans  doute  pas  soupçonné  l'existence  au  premier  abord.  C'est  ce  dont  vous 
deviendrez  convaincus,  chemin  faisant,  par  l'étude  du  malade  que  j'ai  appelé 
devant  vous. 

Vous  connaissez  bien  le  tic  convulsif,  léger,  vulgaire,  comme  je  l'appelais 
tout  à  l'heure;  il  consiste  habituellement  en  une  occlusion  rapide,  comme  élec- 
trique des  paupières,  souvent  compliquée  d'une  rapide  torsion  de  la  télé  vers 
une  des  épaules,  qui  s'élève  aussi  tout  à  coup  rapidement.  Autrefois,  vers  l'âge 
de   ([uaturze  ou  quinze  ans,  notre  homme  n'avait  (jue  ce  tic-là;  aujourd'hui, 


—  14  — 

comme  vous  allez  le  reconnaître,  les  choses  ont  bien  changé  :  elles  ont  con- 
sidérablement empiré.  Les  anomalies  de  mouvement  se  sont  étendues,  géné- 
ralisées et  sont  devenues  énormes. 

Veuillez  remarquer,  messieurs,  que  les  mouvements  des  tiqueurs,  quelque 
complexes  et  bizarres  qu'ils  soient,  ne  sont  pas  toujours  comme  on  le  croit 
trop  souvent,  déréglés,  incoordonnés,  contradictoires  au  premier  chef.  Ils  sont, 
en  général,  au  contraire,  systématisés,  en  ce  sens  qu'ils  reparaissaient  tou- 
jours les  mêmes  chez  un  même  sujet  et  de  plus,  fort  souvent  au  moins,  en 
les  exagérant  cependant,  ils  reproduisent  certains  mouvements  automatiques 
d'ordre  physiologique  appliqués  à  un  but.  Parmi  les  tiqueurs, les  uns  semblent 
vouloir  expulser  par  une  brusque  expiration  nasale  un  corps  étranger  engagé 
dans  le  nez;  les  autres,  à  l'aide  de  ce  mouvement  d'occlusion  brusque  des  pau- 
pières, que  vous  connaissez,  semblent  vouloir  protéger  leurs  yeux  contre 
l'invasion  d'un  corps  étranger;  un  autre  encore  se  gratte  comme  pour  com- 
battre la  sensation  d'une  démangeaison  intense, etc.,  etc. 

Pour  ce  qui  est  de  notre  malade,  vous  le  voyez  par  moments  fléchir  tout  à 
coup  son  avant-bras  sur  son  bras  et,  ensuite,  par  un  brusque  mouvement 
d'épaule,  élever  son  coude  vers  le  côté  droit  de  la  face,  la  tête  s'inclinant 
un  peu  en  même  temps  du  même  côté,  de  manière  à  figurer  l'attitude  de 
défense  que  prennent  souvent  les  écoliers  menacés  de  recevoir  un  soufflet. 

Ici,  vous  le  voyez,  c'est  surtout  le  groupe  particulier  de  muscles  innervés  par 
la  cinquième  et  la  sixième  paire  cervicales  qui  Jest  mis  en  jeu,  et  ce  même 
mouvement  de  défense  peut  être  produit,  vous  ne  l'ignorez  pas,  par  l'excitation 
faradiquc  d'une  certaine  région  située  au-dessus  de  la  clavicule,  correspondant 
au  lieu  d'où  émanent  les  deux  paires  susdites  et  qu'on  désigne  sous  le  nom  Point 
d'Erb.  Mais  le  mouvement  de  défense  en  question  diffère,  chez  notre  malade, 
du  mouvement  physiologique  qu'il  imite,  en  ce  qu'il  est  considérablement  exa- 
géré, sans  mesure,  et  surtout  en  ce  qu'il  n'est  aucunement  motivé  par  une 
menace  venant  du  dehors.  La  brusquerie  et  l'intensité  du  mouvement  sont 
tels,  chez  notre  malade,  que  sa  femme,  d'habitude,  le  soir  quand  il  se  couche, 
lui  lie  étroitement  les  mains  à  l'aide  d'une  corde,  de  façon  à  atténuer  l'inten- 
sité des  mouvements  de  tics  qui  autrement  le  priveraient  de  sommeil. 

La  secousse  du  membre  supérieur  droit  que  nous  venons  de  décrire,  est  sou- 
vent accompagnée  d'un  soubresaut  du  membre  inférieur  du  même  côté,  qui 
imprime  atout  le  corps  un  tressautement  rappelant  le  mouvement  de  surprise 
que  déterminerait,  par  exemple,  le  bruit  inattendu  d'une  explosion. 

Vous  voyez,  sans  qu'il  soit  nécessaire  d'insister  là-dessus,  jusqu'à  quel  point 
ces  secousses  comme  électriques  du  tiqueur  se  distinguent  profondément  des 
gesticulations  lentes  et  permanentes  des  sujets  atteints  de  la  chorée  de  Syden- 
ham.  Oui,  entre  le  tic  et  la  chorée,  il  y  a  un  abîme  ;  ne  l'oubliez  pas,  car  il  s'agit 
d'affections  auxquelles  on  donne  quelquefois,  bien  à  tort,  le  même  nom  et  dont 
le  pronostic  cependant,  est  radicalement  différent. 


—  15  - 

N'allez  pas  non  plus  rattacher,  comme  on  le  fait  trop  souvent,  les  tics  à  l'hys- 
térie. Ce  sont  choses  totalement  différentes  et  il  suffirait  déjà  pour  établir  une 
distinction,  de  relever  que  les  mouvements  des  tics  surviennent  inopinément, 
à  des  intervalles  très  inégaux,  et  qu'on  n'y  constate  pas,  par  conséquent,  le 
rythme  et  la  mesure  qui  marquent  souvent,  ainsi  que  je  le  relevais  il  n'y  a 
qu'un  instant,  certains  phénomènes  hystériques. 

J'en  viens  maintenant  h  la  démonstration  du  fait  auquel  j'ai  fait  allusion 
déjà  en  commençant  ;  c'est  que  derrière  le  tic  se  cachent,  chez  notre  malade, 
comme  chez  la  plupart  des  autres  du  même  genre,  certaines  perturbations 
psychiques  qu'il  s'agit  maintenant  de  mettre  en  évidence. 

Vous  avez  pu  remarquer  qu'au  moment  où  le  malade  est  pris  de  son  tic  ner- 
veux, on  l'entend  souvent  produire  un  bruit  laryngé  :  «  Ah  !  ah  1  ».  Eh  bien, 
ce  bruit,  cette  exclamation,  sans  signification  précise,  représente,  en  quelque 
sorte  à  l'état  de  germe,  une  exclamation  très  nettement  formulée  celte  fois  et 
consistant  non  pas  seulement  dans  un  bruit  laryngé,  mais  bien  dans  l'articu- 
lation d'un  mot,  et  ce  mot,  messieurs,  que  le  malade  profère  à  haute  voix  d'une 
façon  très  distincte,  est,  remarquez-le  bien,  à  peu  près  toujours  un  mot  gros- 
sier, ordurier,  ou  encore  un  juron;  dans  l'espèce,  chez  notre  malade,  c'est  du 
mot  de  Cambronne  qu'il  s'agit  :  m.,  de. 

C'est  là  le  phénomène  remarquable  entre  tous  que  M.  Gilles  de  la  Tourrette, 
dans  son  intéressant  travail  sur  la  maladie  des  tics  {Archives  de  Neurologie),  a 
ingénieusement  désigné  sous  le  nom  de  coprolalie. 

Je  pourrais  citer  plusieurs  exemples  où  l'exclamation  est  encore  moins  simple, 
moins  brève  que  chez  notre  sujet  d'aujourd'hui.  La  marquise  de  X...,  dont 
Itard  a  rapporté  l'histoire  en  1825, criait,  involontairement,  bien  entendu,  tuut 
haut,  très  distinctement, —  j'en  ai  été  témoin  plusieurs  fois  dansun  lieu  public, 
—  les  mots  suivants  :  «  F. .tu  cochon,  m. .de,  nom  de  D..u!  »  —  Une  jeune 
fille  âgée  de  quinze  ans,  appartenant  à  l'une  des  premières  familles  de  la  ville 
de  X...,  jeune  fille  fort  bien  élevée,  du  reste,  très  instruite,  excellente  pianiste, 
dont  l'histoire  m'a  été  communiquée  par  M.  le  professeur  Pitres,  laissait  échap- 
per bruyamment  les  mots  qui  suivent  :  «Va-t'en,  imbécile,  n..  de  D...,  f...re, 
m.. de.  »  Quelquefois,  ces  mots,  elle  les  disait  tout  bas,  mais  alors  elle  n'y 
éprouvait  pas  de  soulagement  et  il  lui  fallait,  pour  que  la  crise  se  terminât,  les 
exclamer  à  haute  et  intelligible  voix. 

Où  M™*  la  marquise  de  X...  et  M'"  X...  ont-elles  trouvé  l'occasion  d'ap- 
prendre à  connaître  tous  ces  gros  mots?  Il  est  très  probable  que  la  coprolalie 
n'est  souvent  que  de  l'écholalie,  ce  qui  semble  le  bien  établir,  c'est  que  cette 
même  demoiselle  X...  dont  il  est  question,  changeait  quelquefois  ses  exclama- 
tions articulées,  ordurières,  contre  une  espèce  d'aboiement  qui  imitait  d'une 
façon  presque  servile  le  jappement  de  son  chien  favori.  Un  jeune  garçon  russe 
qui  est  venu  récemment  me  consulter  avec  sa  mère, entremêlait  devant  moi  ses 
tics  convulsifs  avee  des  cris  fort  singuliers  paraissant  exprimer  la  douleur.  La 


—  16  — 

mère  m'apprit  que  ces  cris  étaient  l'imitation  exacte  de  celui  qu'elle  avait  laissé 
échapper  elle-même  un  jour  devant  l'enfant,  au  moment  où  elle  s'était  piqué 
un  doigt  en  travaillant  à  la  machine  à  coudre. 

Mais  j'en  reviens  à  la  coprolalie  et  je  terminerai  par  l'exemple  d'un  pauvre 
petit  tiqueur  âgéde  douze  ans  à  peine  qui  fréquentait  il  y  a  quelques  années 
la  consultation  de  la  Salpêtrière.  11  laissait,  lui  aussi,  sortir  bruyamment, 
même  en  pleine  rue,  des  mots  orduriers  :  «  M.. de,  cochon,  m.. de.  »  Mal  lui  en 
prit  un  jour  que  regardant  des  gamins  jouer  à  la  fossette,  il  ne  put  retenir  ses 
exclamations.  Celles-ci  lui  valurent,  de  la  part  des  gamins  qui  se  croyaient 
insultés,  une  rude  et  injuste  correction. 

Ces  exemples  pris  sur  nature  suffisent  déjà  sans  doute  pour  vous  faire  com- 
prendre que  la  coprolalie  nous  conduit  en  plein  domaine  psychopathique. 
Souvent,  le  plus  souvent  peut-être,  —  c'est  ce  dont  vous  pourrez  vous  con- 
vaincre par  la  lecture  d'un  travail  de  M.Guinon,  qui  vient  compléter  à  quelques 
égards  celui  de  M.  Gilles  de  la  ïourrette,  —  les  tiqueurs,  les  grands  tiqueurs 
principalement, ainsi  que  je  l'ai  depuis  longtemps  fait  remarquer,  sont  placés 
sous  le  régime  mental  des  idées  fixes,  obsédantes,,  impulsives,  comme  vous 
voudrez  les  appeler.  Il  est  clair  qu'ici,  le  trouble  survenu  dans  le  mécanisme 
de  l'idéation,  reproduit  en  quelque  sorte  le  phénomène  duticconvulsif,  et  l'on 
pourrait  dire,  par  conséquent,  que,  chez  ces  sujets-là,  le  tic  moteur  est  doublé 
d'un  tic  d'idées. 

La  proposition  que  je  viens  d'émettre  trouvera,  comme  vous  allez  le  recon- 
naître, sa  justification  chez  notre  malade.  Nous  allons,  en  effet,  observer  chez 
lui  un  certain  nombre  de  marques,  on  stigmates  psychiques,  comme  M.  Magnan 
les  appelle  dans  son  enseignement,  qui  le  placent  dans  la  catégorie  des  dégé- 
nérés, ou,  autrement  dit,  des  déséquilibrés.  Je  préfère  l'emploi  de  cette  der- 
nière dénomination  parla  simple  raison  que  fort  souvent,  parmi  ces  prétendus 
dégénérés,  on  rencontre,  à  côté  de  certaines  anomalies  psychiques  quelquefois 
bien  effacées,  des  qualités  intellectuelles  de  premier  ordre. 

M.  CuARcoT  [au  malade)  :  Voulez-vous  nous  parler  de  ce  qui  vous  arrive  lors- 
qu'il s'agit  pour  vous  de  cacheter  une  lettre  que  vous  venez  d'écrire,  ou  encore 
de  la  mettre  à  la  poste  ? 

Le  MAIADE  :  Je  cachette  bien  la  lettre,  en  général,  je  mets  l'adresse  et  je 
vais  la  porter  à  la  poste.  Mais  lorsque  je  veux  la  mettre  dans  la  boîte,  j'hé- 
site et  je  la  retire  quatre  ou  cinq  fois  de  l'ouverture,  avant  de  l'y  laisser 
tomber.  Lorsqu'elle  m'a  définitivement  échappé  des  mains,  j'éprouve  une 
grande  émotion. 

M.  Ciiahcot:  Kh  bien,  vous  avez  compris   par  là  de  quoi  il  s'agit  :   l'ince 
titude  règne  dans  son  esprit.  H  a  des  scrupules.    L'adresse  est-elle  bien  mise? 
Aurait-il  laissé  échapper,  en  écrivant,  quelque  chose  d'incorrect,  de  compro- 
mettant? 

U>iel(pu'fois  il  (b'chachette  la  lettre  déjà  fermée   et  la  relit   plusieurs  fois 


—  17  — 

avant  de  lu  cacheter  (l«'finitivement.  Sans  doute,  nous  avons  tous,  plus  ou 
moins  parfois,  dans  les  mêmes  circonstances,  de  ces  doutes,  de  ces  scrupules; 
mais  ils  se  présentent  à  nous  à  l'état  d'idées  faibles  «pie  nous  refoulons  faci- 
lement, sans  émotion.  C'est  rexaiï(''ration  de  ce  plu^nomène  physiologHiue, 
l'émotion  qui  l'accompagne  parfois,  l'intensité  de  l'idée,  son  caractère  irré- 
sistible, (jui  constituent  l'état  pathologi([ue. 

M.  C\\A\{COT  {au  mftladp)  :  Racontez-nous,  s'il  vous  plaît,  ce  (fue  vous  nous  avez 
dit  l'autre  jour,  relativement  aux  rasoirs. 

Lk  maladk  :  Kb  bien,  lors(pie  je  vois  un  rasoir  ou  un  couteau,  je  tressaille, 
j'ai  peur.  Il  me  vient  à  l'idée  que  je  pourrais  tuer  quelqu'un  ou  me  tuer  moi- 
même,  et  cela  me  cause  une  très  grande  émotion.  Il  en  est  de  même  lorsque  je 
vois  un  fusil,  ou  seulement  lorsqu'il  me  vient  à  l'esprit  l'idée  d'un  fusil.  Cette 
simple  pensée  me  rend  anxieux  au  plus  liant  point.  Il  me  vient  à  l'idée  que  je 
pourrais  tuer  quelqu'un  et,jusqu'à  un  certain  point,je  ressens  l'envie  de  le  faire. 
J'ai  aussi  une  manie  qui  me  trouble  beaucoup:  il  me  prend  souvent  une  envie 
irrésistible  de  battre  quelqu'un,  et  c'est  surtout  à  la  vue  d'un  cocher  de  fiacre 
que  je  me  sens  poussé  à  cela.  Pourquoi  les  cochers  de  fiacre  plutôt  que  les 
autres,  je  n'en  sais   absolument  rien. 

M.  GuARcoT  :  C'est  assez,  je  vous  remercie,  vous  pouvez  vous  retirer. 

[Aux  auditeurs):  Vous  venez  d'en  entendre  assez,  je  pense,  pour  comprendre 
que  les  mouvements  convulsifs  ne  sont  pas  toujours,  chez  un  tiqueur,  toute  sa 
maladie,  et  que  souvent  derrière  le  tic  il  y  a  lieu  de  rechercher  le  trouble 
psychique  qui  ne  saute  pas  toujours  aux  yeux. 

Or,  messieurs,  les  troubles  psychi(|ues  dont  il  s'agit  sont,  dans  la  majorité 
des  cas,  pour  ne  pas  dire  plus,  la  marque  d'une  tare  héréditaire. 

Nous  avons  naturellement  cherché  avec  quelque  soin  si  l'histoire  des  antécé- 
dents héréditaires  de  notre  tiqueur  venait  confirmer  la  règle.  Malheureusement, 
fils  d'un  réfugié  polonais,  notre  malade  n'a  pas  connu  toute  sa  famille  et  il  ne 
peut,  par  conséquent,  nous  renseigner  exactement. 

Tout  ce  que  nous  pouvons  en  tirer,  concernant  le  point  de  vue  étiologique. 
c'est  une  histoire  qui  pourrait  bien  n'être  qu'une  légende  et  que  je  vais  vous 
transmettre,  néanmoins,  telle  qu'il  me  l'a  donnée.  Il  prétend  que  sa  mère,  étant 
grosse^  était  au  service  d'un  banquier  qui  souffrait  de  tics  épouvantables  1  Ce 
serait  là,  suivant  lui,  l'origine  de  sa  maladie  :  mais  le  banquier  tiqueur  était-il 
en  outre  coprolalique  et  sous  le  coup  des  idées  fixes  ?  —  Voilà,  bien  entendu, 
ce  qu'il  ne  saurait  vous  dire. 

Certes,  messieurs,  je  ne  suis  pas  affligé  de  cette  disposition  d'esprit,  peu 
scientifique,  selon  moi,  qu'on  pourrait  appeler  le  scepticisme  arbitraire,  mais 
j'avoue  que  cette  fois  je  suis  presque  invinciblement  porté  à  penser  que  ce  n'est 
pas  dans  cette  impression  reçue  par  sa  mère  pendant  sa  grossesse  qu'il  faut 
aller  chercher  la  -cause  de  l'aflection  dont  souffre  notre  malade. 


Policlinique  du  Mardi  30  Octobre  1888 


DEUXIEME  LEÇON 

1®^  Malade.  —  Sur  un  môme  sujet  :  sciatique  avec  déformaiion 
spéciale  du  tronc;  à  la  suite  d'un  coup  reçu  sur  le  front, 
Neurasthénie  et  Hystérie. 

2®  Malade.  —  Chorée  paralytique  chez  un  enfant  de  huit  ans  ; 
hérédité  arthritique  et  névropathique. 


1"'  Malade 


M.  GnARCOT  :  Le  premier  malade  que  nous  allons  étudier  ensemble 
aujourd'hui  est  un  homme  de  33  ans,  un  pauvre  hère  s'il  en  fût,  dénué  de  tout 
ou  peu  s'en  faut,  même  d'intelligence.  En  vérité,  il  n  yapasde  sa  faute,  maintes 
fois  il  a  essayé  d'apprendre  à  lire,  à  l'école  de  son  village  d'abord,  puis,  plus 
tard,  au  régiment.  Il  n'a  jamais  pu  y  parvenir  ;  vous  verrez  plus  tard  l'intérêt 
qu'il  y  a  pour  nous  à  connaître  ces  détails;  pour  le  moment,  dirigeons  notre 
attention  d'un  autre  côté. 

Aujourd'hui,  le  malade  se  présente  à  nous  comme  atteint  d'une  douleur 
occupant  le  trajet  du  nerf  sciatique  gauche,  datant  de  cinq  ans  environ  ;  douleur, 
peut-être,  actuellement  amoindrie,  mais  qui  entretient  encore  à  l'heure  qu'il 
est  une  boiterie  très  marquée.  S'agit-il  bien  là  d'une  sciatique?  c'est  ce  que 
nous  allons  avoir  à  rechercher. 

Je  vais  prier  le  malade  de  se  déshabiller.  Lorsqu'il  se  sera  dépouillé  de  ses 
vêtements,  nous  serons  bien  mieux  placés  en  mesure  d'observer  chez  lui  les 
caractères  d'une  attitude  particulière  du  corps,  d'une  déformation  spéciale 
sur  laquelle  je  désire  appeler  votre  attention,  parce  qu'elle  est  très  peu  connue 
encore,  si  je  ne  me  trompe,  des  cliniciens,  et  qu'elle  est  suffisante,  cependant, 
à  elle  seule  pour  nous  mettre  sur  la  voie  du  diagnostic. 

Je  ne  saurais  trop  vous  engager.  Messieurs^  surtout  quand  il  s'agit  de  neuro- 

3 


—  20  — 

pathologie,   à  examiner  les  malades  nus  toutes  les  fois  que  des  circonstances 
d'ordre  moral  ne  s'y  opposeront  pas. 

En  réalité,  Messieurs,  nous  autres  médecins,  nous  devrions  connaître  le  nu 
aussi  bien,  mieux  même  que  les  peintres  ne  le  connaissent.  Un  défaut  de  dessin 
chez  le  peintre  et  le  sculpteur  c'est  grave  sans  doute  au  point  de  vue  de  Tart, 


1"  cas. 


Scialiquo  gauche. 


Fi"    0 


Sciatiqiic  g-aiiche, 

(Dessins  extraits  d'un  article  sur   les  DéTormations  de  la  Slaliquc,   in  Arch,  de  Neurologie 

L.  15,  1888,  obs.  p.  12.) 


—  21  — 

mais  en  somme  cela  n'a  pas  au  point  de  vue  pratique  de  conséquences  majeures. 
Mais  que  diriez-vous  d'un  nii-decin  ou  d'un  chirurgien,  qui  prendrait,  ainsi 
que  cela  arrive  encore  trop  souvent,  une  saillie,  un  relief  normal  pour  une 
déformation  pathologique  ou  inversement?  Pardonnez-moi  cotte  digression  qui 
suffira  peut-être  pour  faire  ressortir  une  fois  de  plus  la  nécessité  pour  le  méde- 
cin comme  pour  le  chirurgien,  d'attacher  une  grande  importance  à  l'étude 
médico-chirurgicale  du  nu.  Bientôt,  je  l'espère,  nous  serons  en  possession  d'un 
grand  ouvrage   orné  de   planches  admirables,  faites  d'après  nature,  où  vous 


2"  cas. 


Fiff.lO. 


Attitude  tkins  la  Sciatiquc  gauche. 


Attitude  dans  la  Sciatique  gauche. 


—  22  — 

trouverez  cette  partie  de  notre  science  traitée  avec  tous  les  détails  qu'elle  com- 
porte. C'est  à  M.  le  D""  Richer,  mon  chef  de  laboratoire,  plusieurs  fois 
mon  collaborateur,  que  sera  dû  ce  monument  où  l'on  verra,  pour  le  plus 
grand  profit  de  tons,  l'art  et  la  science  marcher  de  concert  et  se  donnant  la 
main. 

Mais  il  s'agit  d'en  revenir  à  notre  homme  ;  le  voilà  complètement  nu  ;  notre 
salle  est  justement  surchauffée  comme  le  serait  un  atelier  de  peintre;  nous 
pouvons  examiner  le  malade  tout  à  loisir,  sans  le  souci  de  commettre  un  acte 
d'inhumanité.  Avant  de  concentrer  notre  attention  sur  lui,  veuillez  jeter  les 
yeux  sur  les  dessins  que  j'ai  fait  i>lacer  devant  vous;  ils  représentent  justement 
cette  même  déformation  que  je  veux  vous  faire  reconnaître  chez  notre  homme^, 
observée  cette  fois  sur  deux  autres  sujets  atteint  de  la  même  affection  (fig.  9  et 
fig.  10).  Cette  déformation  sur  laquelle  j'inciste  actuellement  et  dont  vous 
pouvez  saisir  maintenant  les  caractères^,  en  consultant  tour  à  tour  les  dessins 
puis  l'homme  nu,  cette  déformation,  dis-je,  est  bien  remarquable,  bien  facile 
àsaisir.  Elle  sauteauxyeux  en  quelque  sorte.  Elle  a  dû  se  présenter  à  moi, bien 
des  fois,  car  je  vous  assure  qu'elle  n'est  point  très  rare. 

Eh  bien,  Messieurs,  il  arrive  que  je  l'ai  remarquée  seulement  il  y  a  deux  ans, 
pour  la  première  fois,  et  je  ne  sache  pas  qu'avant  moi  elle  ait  été  indiquée 
explicitement  par  d'autres(l).  Singulière  faiblesse  de  nos  facultés  d'observation 
qui  fait  que  nous  ne  voyons  pas  les  choses  cependant  parfaitement  visibles  sans 
le  concours  d'une  adaptation  particulière  de  notre  esprit.  Une  fois  la  chose  vue 
et  bien  vue,  il  est  facile  d^apprendre  aux  autres  à  la  voir  à  leur  tour.  Mais  le 
tout  est  de  la  voir  une  première  fois. 

Yu  de  dos  le  sujet  nous  montre  le  tronc  assez  fortement  incliné  sur  la 
droite,  l'épaule  de  ce  côté  est  tombante;  l'épine  offre  une  déviation  par  suite 
de  laquelle  dans  la  moitié  inférieure  elle  offre  une  concavité  regardant  à 
droite  et  inversement  dans  la  moitié  supérieure  ;  la  main  droite,  le  bras  étant 
pendant,  descend  beaucoup  plus  bas  que  lagauche  ;  à  gauche  le  membre  inférieur 
est  légèrement  lléchi.  Je  vous  ferai  remarquer,  en  passant,  que  de  ce  côté,  le 
talon,  dans  la  station  debout  est  légèrement  relevé,  il  ne  porte  pas  sur  le  sol; 
c'est  là  dans  l'espèce  une  anomalie  sur  laquelle  j'aurai  à  revenir. 

Actuellement  nous  considérerons  le  sujet  vu  de  face  et  nous  constaterons 


l.M.  le  profcssciu'  Erh,  d'Hcidelberg,  dans  une  lettre  publiée  parle  Neurologisches  Cenlral- 
blatt  (.n"  24,  1888,  p.  681))  nous  fait  eonuaîirc  qu'il  avait  lui-môme  depuis  longtemps  remarqué 
l'allitude  sp(l'ciale  que  prennent  certains  sujets  atteints  de  sciatique,  que  d'ailleurs  il  existe, 
dans  la  «  Wiener  med.  Presse  1886,  n"*  26  et  27,  un  travail  sur  la  matière  datant  de  1886 'et 
appartenant  à  M.  C.  Nicoladoni.  Le  mémoire  de  M.  Nicoladoni  est  intitulé  :  «  Ueber  eine  arides 
ZusaminenJiançjes  zwisahen  hchias  und  Scoliose  ».  Un  second  cas  du  même  genre  se  trouve 
paraît-il,  dans  le  même  journal  1887,  n»  39.  La  note  de  M.  Nicoladoni  publiée  en  1886  était 
restée  abioluincnt  ignorée  do  M.  (liiarcot  lors  de  sa  première  observation  sur  ce  sujet, 
laquelle  date  de  septembre  1886. 


—  23  — 

une  fois  de  plusTinclinaison  très  prononcée  du  tronc  vers  la  droite,  la  chute 
de  l'épaule  droite,  etc.,  etc. 

Eh  bien  voilà,  Messieurs,  une  attitude  spéciale  incontestablement  assez 
frappante.  J'ajouterai  qu'elle  offre  pour  nous  un  intérêt  prati(iue  très  particu- 
lier ;  c'est  qu'en  effet  elle  paraît  appartenir  en  propre  à  certaines  formes  d'une 
affection  d'ailleurs  fort  vulgaire  puisque  c'est  de  la  sciatique  qu'il  s'agit.  Je 
ne  dis  pas,  remarquez-le  bien,  qu'elle  existe  dans  toute  sciatique.  Je  suis  même 
porté  à  penser  qu'elle  ne  s'y  voit  qu'exceptionnellement  et  surtout,  bien  que 
non  exclusivement,  dans  la  forme  intense.  Ce  que  je  tiens  à  relever,  c'est  que 
lorsqu'elle  existe  vous  pouvez,  presque  à  coup  sûr,  affirmer  qu'elle  est  liée  à 
une  sciatique,  à  une  sciatique  grave,  de  longue  durée,  le  plus  souvent  mais 
non  toujours,  et  que  cette  sciatique  existe  sur  le  membre  opposé  au  coté  vers 
lequel  a  lieu  l'inclinaison  du  tronc.  L'inclinaison  ayant  lieu  vers  la  droite, 
dites  que  la  sciatique  occupe  le  membre  inférieur  gauche,  et  inversement  si 
l'inclinaison  du  tronc  a  lieu  vers  la  gauche. 

Bien  des  fois  il  m'est  arrivé  en  me  fondant  sur  la  connaissance  de  ce  genre 
de  déformation,  d'affirmer  à  distance  non  seulementl'existence  delà  sciatique, 
mais  encore  de  localiser  l'affection  sur  l'un  ou  l'autre  côté  du  corps. 

Pour  plus  de  détails  relatifs  à  ce  genre  de  déformation,  je  vous  engage  à 
consulter  un  mémoire  de  mon  ancien  chef  de  clinique  M.  le  docteur  Babinski, 
où  la  question  est  traitée  avec  grand  soin. 

Ce  travail  a  été  publié  dans  les  Archives  de  neurologie  pour  1888. 

Vous  verrez  là  que  la  déformation  peut  être  quelquefois  relativement  énorme 
comparée  à  celle  d'aujourd'hui  et  conduire  l'observateur  non  prévenu  à  penser 
qu'il  existe  quelque  grave  lésion  vertébrale. 

Quoi  qu'il  en  soit,  elle  est  suffisamment  prononcée  chez  notre  malade  d'aujour- 
d'hui pour  que  vous  puissiez  la  reconnaître  pour  ce  qu'elle  est,  et  je  suis  con- 
vaincu que  vous  avez  été  amenés  déjà  par  les  indications  que  je  viens  de  vous 
fournir  à  admettre  qu'il  s'agit  chez  notre  homme  d'une  sciatique  gauche. 

Eh  bien,  actuellement  il  faut  établir  par  une  étude  régulière  qu'il  en  est  bien 
réellement  ainsi.  Notre  malade  est-il  bien  et  dûment  atteint  d'une  sciatique 
gauche  et  de  quel  genre  de  sciatique  est-il  affecté?  Voilà,  je  le  répète,  ce  qu'il 
convient  de  déterminer  actuellement. 

Remarquez  d'abord  les  précautions  que  prend  notre  patient  quand  il  s'agit 
de  s'asseoir.  11  ne  s'assied  pas  sur  la  fesse  du  côté  gauche,  parce  que  cela 
exaspère  sa  douleur,  il  s'assied  sur  la  fesse  droite. 

Vous  remarquez  encore  que  lorsqu'il  s'agit  de  se  lever,  c'est  ce  même  mem- 
bre inférieur  droit  qui  presque  exclusivement  fonctionne,  et  en  somme  l'atti- 
tude spéciale  du  corps  que  je  signalais  tout  à  l'heure  à  votre  attention  paraît 
n'être  qu'une  attitude  instinctive  dont  le  but  est  de  diminuer  autant  que  pos- 
sible le  travail  du  membre  où  siège  la  douleur  en  faisant  porter  sur  d'autres 
membres  le  poids  du  corps. 


—  24  — 

Un  autre  fait  encore  qui  frappe  les  yeux,  c'est  l'amaigrissement  relatif  que 
présente  ce  môme  membre  inférieur  gauche  dans  toutes  ses  parties,  cuisse  et 
jambe  surtout.  —  La  différence,  à  cet  égard,  entre  les  deux  membres,  est  de 
plus  d'un  centimètre  ;  évidemment,  d'après  cela,  si  c'est  bien  d'une  sciatique 
qu'il  s'agit,  c'est  d'une  sciatique  ancienne,  ou  pour  le  moins  d'une  sciatique 
grave  (sciatique  neuritique). 

Mais  il  sera  intéressant^  je  crois,  d'entrer  ici  dans  une  courte  digression 
relative  à  l'histoire  de  la  pathologie  de  la  névralgie  sciatique.  Cette  histoire, 
veuillez  le  remarquer,  Messieurs,  contrairement  à  ce  que  quelques-uns  d'entre 
vous  pourraient  croire,  n'est  pas  de  date  très  ancienne. 

C'est  en  effet  seulement  en  1764  que  le  Napolitain  Gotugno,  célèbre  anato- 
miste  et  clinicien,  fit  reconnaître  qu'il  fallait  séparer  foncièrement  r«  Ischias 
arthrltica  »  de  ï  «  Ischias  nervosa  »  et  que  dans  ce  dernier  groupe  il  y  avait 
lieu  de  distinguer  encore  1'  «  Ischias  nervosa  antica  »  (névralgie  crurale),  de 
r  «  Ischias  postica  »  laquelle  répond  à  ce  que  nous  appelons,  nous,  commu- 
nément aujourd'hui  «  la  sciatique  »  ou  «  névralgie  sciatique  ».  Il  ne  fallait 
rien  moins  alors,  qu'un  anatomiste  doublé  d'un  clinicien  pour  déterminer 
exactement  le  siège  de  l'alïection  douloureuse  à  laquelle  il  serait  juste,  comme 
on  l'a  fait  quelquefois,  d'appliquer  le  nom  de  maladie  de  Cotugno  (Dom. 
Gotunii,  opuscula  medica.  T.  H,  p.  I.  De  ischiade  nervosa.  —  Na- 
poli  1827). 

L'histoire  clinique  del'afïection  dont  il  s'agit  n'a  pas  après  Cotugno, pendant 
de  longues  années,  sérieusement  progressé.  Il  faut  arriver  jusqu'à  Valleix  pour 
voir  la  question  du  diagnostic  des  névralgies  s'enrichir  de  la  notion  des  points 
douloureux.  On  peut  reprocher  à  Valleix.  cependant,  d'avoir,  pour  ainsi  dire, 
voulu  couler  dans  le  même  moule  toutes  les  névralgies  quelque  fût  leur  siège 
sans  reconnaître  suffisamment  ce  que  l'histoire  clinique  de  chacune  d'elles  pos- 
sède de  spécial,  et  on  peut  ajouter  d'inattendu  pour  celui  qui  ne  voudrait 
considérer  dans  la  névralgie  occupant  un  nerf  donné  que  ce  que  l'anatomie  et 
la  physiologie  classiques  de  ce  nerf  peuvent  lui  apprendre. 

En  dehors  du  siège  douloureux,  combien  de  différences  profondes,  radi- 
cales môme  parfoiS;  relatives  à  l'évolution,  au  pronostic,  méritent  d'être 
signalées  cliniquement  entre  le  tic  douloureux  et  la  névralgie  sciatique  par 
exemple^,  ou  encore  la  névralgie  brachiale.  Oui^,  on  peut  l'affirmer,  chaque 
espèce  de  névralgie  a  son  histoire  naturelle  à  part  qu'il  faut  apprendre  à 
^connaître,  telle  qu'elle  est,  et  il  ne  suffit  pas  pour  être  renseigné  sur  une 
«  névralgie  »  donnée,  de  lui  appliquer  schématiquoment  les  caractères  que  les 
névralgies  diverses,  comparées  entre  elles,  peuvent  avoir  en  commun. 

C'est  ici  que  l'intervention  de  Lasègue  (1)  me  paraît  avoir  été  décisive  au 

1.  Ch.  Lasègue.  Considcralions  sur  la  scialiquc,  in  Archiv.  générales  de  Médecine,  p.  585, 
18Ù4,  t.  II. 


—    55  — 

premier  chef,  et  bienfaisante  en  proclamant  une  fois  de  plus  la  prépondérance 
légitime,  et  nécessaire,  trop  oubliée  parfois  cependant^  de  la  méthode  clini- 
({uc  dans  toutes  les  ([iicstions  de  ce  genre.  Il  a  bien  fait  ressortir  ce  qu'à  ce 
point  de  vue,  la  névralgie  du  nerf  sciati(pie  présente  vis-à-vis  des  autres 
espèces  du  groupe,  de  spécial,  d'original   même. 

C'est  à  lui  qu'on  doit  aussi  d'avoir  nettement  accusé  l'existence  de  doux  for- 
mes bien  distinctes  de  l'affection  :  l'une  relativement  bénigne,  queb{ue 
intense  et  douloureuse  qu'elle  puisse  être, c'est  la  névralgie  proprement  dite; 
l'autre  maligne,  grave  au  premier  chef,  dans  laquelle  la  douleur  occupe  le 
nerf  en  quebpie  sorte  d'une  façon  permanente  et  n"y  sévit  plus  seulement  par 
paroxysmes;  forme  lente,  chronique  par  exemple,  marquée  souvent  par  l'ac- 
compagnement de  troubles  trophiques  de  siège  musculaire  ou  cutané  et  où 
l'affection  paraît  devoir  être  rattachée  non  plus  cette  fois  à  des  lésions  insai- 
sissables à  nos  moyens  d'investigation  mais  bien  à  une  véritable  lésion  orga- 
nique plus  ou  moins  profonde  du  nerf  sciatique  lui-même. 

Je  ne  veux  pas  négliger  de  vous  rappeler  en  passant  que  la  distinction 
nécessaire  esquissée  par  Lasègue  entre  la  Sciatique  névralgie  et  la  Sciatique 
névrite  a  été  rendue  plus  accentuée  encore  et  plus  évidente  par  une  série 
importante  d'observations  ad  hoc  qu'on  doit  à  M.  Landouzy  (1). 

Je  ne  saurais  trop  vous  engager  à  prendre  lecture  des  divers  travaux  que  je 
viens  de  signaler  à  votre  attention  ;  vous  n'en  saurez  jamais  trop  sur  l'his- 
toire de  la  sciatique  car  il  s'agit  là,  ne  l'oubliez  pas,  d'une  de  ces  affections 
vulgaires  que  l'on  rencontre  à  chaque  pas  dans  la  pratique. 

J'en  reviens  maintenantà  notre  cas.Ehbien,  il  n'est  pas  douteux  qu'il  s'agisse 
là  d'une  sciatique  grave,  d'une  sciatique  névrite.  La  maladie  en  effet  dure 
depuis  cinq  ans  déjà,  ayant  présenté  pendant  cette  longue  période  des  hauts  et 
des  bas.  La  douleur  aujourd'hui  étant  devenue  à  peu  près  permanente  ;  l'amai- 
grissement, l'émaciation  du  membre,  bien  qu'il  n'existe  dans  les  muscles 
atrophiés,  actuellement  du  moins,  aucune  trace  de  réaction  dégénérative,  peut 
bien  être  considéré  comme  la  conséquence  des  troubles  trophiques  qui  accom- 
pagnent la  névrite. 

Enfin  l'existence  passée,  relevée  par  l'observation,  d'une  éruption  de  zona 
occupant  le  trajet  du  nerf  douloureux  plaide  absolument  dans  le  même 
sens. 

Voilà  des  circonstances  qui,  je  pense,  ne  laissent  planer  aucun  doute  sur  le 
caractère  particulier  de  la  sciatique.  En  dehors  de  cela,  tout  est  classique  chez 
notre  homme  et  chez  lui  les  points  douloureux  spontanément  ou  relevés  com- 
me tels  occupent  les  lieux  d'élection. 

Ainsi,  nous  distinguons  un  point  sacro-iliaque  («),  un  point  fessier  [b),  point 
post-trochantérien  (c),   plusieurs  points  fémoraux  [d,  d,  d),  un   point  péréo- 

1.  Landouzy.  De  la  Sciatique.  Archives  générales  de  médecine^  1875. 


26  — 


néen  (e),  un  point  rotulien  externe  (qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  la  dou- 
leur du  genou  qui  s'observe  dans  les  maladies  de  l'articulation  de  la  hanche), 
enfin  le  point  malléolaire  externe  [f)\  le  point  dorsal  du  pied  manque  sur  ce 
sujet. 

Ajoutons  encore  les  traits  suivants  :  quand  le  malade  est  couché  à  terre  sur 
le  dos  et  qu'on  élève  au-dessus  du  sol  son  membre  gauche  maintenu  étendu, 


N»  1.  —  Légende. 

a.  Aneslhésic. 

b.  Plaque  hyslérogène. 


Fig.  11. 


N°  2.  —  Légende. 

a.  Point  sacro-iliaque. 

b.  Point    fessier. 

c.  Point  post-trochantéricn. 
d,d,d.  Poirts  fémoraux, 

e.  Point  péronéen, 

'.  Point  malléolaire  externe. 

AN.  Anesthésie. 


--  27    -" 

on  lui  fait  ressentir  à  un  moment  donné  une  douleur  vive  entre  le  grand 
trochanter  et  l'ischion,  douleur  qui  résulte  évidemment  de  la  distension  que 
dîins  cotte  mana;uvre  subit  lo  norlsciatique.  An  contraire,  si  l'on  imprime  au 
malade  reposant  toujours  à,  terre  un  mouvement  brusque  d'abduction  ou 
d'adduction  à  la  jointure,  il  n'y  a  pas  de  douleur  produite  et  l'on  ne  perçoit 
pas  de  craquements.  Ce  dernier  caractère  joint  k  l'absence  de  douleur  rap- 
portée au  genou,  à  l'absence  de  douleur  provoquée  par  la  percussion  du 
grand  trochanter,  etc.,  etc.,  suffirait  pour  bien  établir  qu'il  s'agit  chez  notre 
malade  de  VJschias  nervosa  postica  et  nom  de  VIschias  arthrilica. 

L'attitude  spéciale  que  présente  notre  homme  et  sur  laquelle  j'appelais  votre 
attention  en  commençant,  pourrait,  elle  aussi,  contribuer  à  fixer  le  diagnostic 
dans  les  cas  réguliers,  classiques  ;  mais  il  y  a  à  cet  égard  chez  notre  sujet,  lieu 
de  signaler  une  anomalie  à  laquelle  j'ai  fait  allusion  déjà  et  que  je  ne  veux  pas 
laisser  passer  inaperçue.  Si  vous  voulez  bien  vous  reporter  au  mémoire  des 
Archives  de  Neurologie  publié  parM.Babinski,  vous  verrez  que  la  caractéristi- 
que de  l'attitude  sciatique,  fondée  sur  la  comparaison  des  observations,  connues 
jusqu'alors,  est  la  suivante  :  Inclinaison  du  tronc  du  côté  opposé  à  la  sciatique, 
absence  complète  de  soulèvement  du  pied  du  côté  malade.  Eh  bien,  Messieurs, 
il  convient  d'apporter  un  correctif  au  second  terme  de  laforniule  ;  en  effet,  ainsi 
que  vous  pouvez  le  reconnaître  chez  notre  malade  d'aujourd'hui  où  l'existence 
d'une  sciatique  régulière  ne  saurait  évidemment  être  douteuse,  le  membre 
inférieur  gauche,  coté  de  la  sciatique,  est  demi  fléchi  et  en  même  temps  le 
pied  de  ce  même  côté  ne  repose  à  terre  que  par  la  pointe,  le  talon  restant 
élevé  de  plusieurs  centimètres  au-dessus  du  sol  ainsi  que  cela  se  voit  dans  cer- 
tains cas  de  coxalgie  organique  ou  encore  de  coxalgie  hystérique. 

Ce  n'était  donc  pas  apporter  trop  de  soin  dans  l'étude  du  cas  que  de 
nous  efTorcer  de  fonder  le  diagnostic  sur  une  analyse  comparative  régulière 
et  de  ne  pas  nous  en  tenir  à  la  seule  considération  do  l'attitude  qui,  dans  les 
exemples  classiques,  est  cependant  si  caractéristique.  Ceci  nous  montre  une 
fois  de  plus  qu'en  pathologie  il  faut  toujours  compter  sur  le  chapitre  des  ano- 
malies et  qu'il  n'existe  pas  de  signes  absolument  pathognomoniques. 

Je  terminerai  ce  qui  concerne  la  sciatique  de  notre  sujet,  en  vous  faisant 
connaître  quelques  détails  complémentaires  relatifs  à  la  marche  del'afrection; 
et  en  même  temps  aux  circonstances  qui  peuvent  avoir  contribué  à  faire  naître 
le  mal. 

V...  des  est  sorti  du  régiment  (il  était  dans  les  dragons)  à  l'ùge  de  26  ans. 
Il  avait,  au  service,  contracté  la  fièvre  typhoïde;  pas  d'autres  maladies  à  signa- 
ler. Une  fois  libéré,  il  est  entré  dans  un  établissement  de  fours  à  plâtre  où  il 
a  travaillé  pendant  plusieurs  années.  \A  il  était  exposé,  le  corps  étant  souvent 
en  sueur,  à  prendre  des  refroidissements,  il  couchait  d'ailleurs  à  cette  époque- 
là  dans  une  chambre  humide  où  l'eau  suintait  des  murs  et,  dans  le  même  temps, 
il  commettait  des  excès  alcooliques  sur  une  grande  échelle. 


-^  28  — 

C'est  vraisemblablement  par  l'action  répétée  et  combinée  des  causes  qui 
viennent  d'être  énumérées  que  s'est  déclarée  la  névralgie  rebelle  dont  il  souffre 
aujourd'hui. 

Celle-ci  s'est  déclarée  pour  ainsi  dire  tout  à  coup  sous  une  forme  en  quelque 
sorte  suraiguë  il  y  a  cinq  ans.  Le  séjour  au  lit  à  l'hôpital  d'Argenteuil  a  été 
absolu  pendant  environ  cinq  semaines  ;  au  bout  de  huit  semaines,  le  malade 
a  pu  reprendre  son  travail  ;  mais  il  a  toujours  souffert  depuis  cette 
époque  et  il  n'a  cessé  de  marcher  en  boitant.  De  temps  en  temps,  il  s'est  pro- 
duit quelques  exacerbations  du  mal  qui,  cependant,  n'ont  pas  nécessité  un 
nouveau  séjour  au  lit  ;  mais,  à  un  moment  donné,  notre  malade  mis  dans 
l'impossibilité  de  fournir  un  travail  suffisant  a  dû  quitter  le  four  à  plâtre  pour 
exercer  la  profession  moins  lucrative  de  terrassier.  Et  justement  c'est  alors 
qu'il  se  livrait  à  des  travaux  de  terrassement,  qu'il  devint  victime  d'un  trauma- 
tisme qui  marque  le  début  de  la  seconde  partie  de  son  histoire  clinique. 


Donc,  il  y  a  cinq  mois,  en  déchargeant  un  wagon  rempli  de  ballast,  V...des 
reçut  sur  le  front  un  coup  qui  le  renversa  à  terre  et  lui  fit  perdre  immédiatement 
connaissance.  La  durée  de  l'inconscience  fut,  paraît-il,  de  dix  minutes  environ. 
Une  plaie  verticale,  assez  étendue  et  profonde,  où  l'on  voit  aujourd'hui  la 
cicatrice  froncée  sur  la  partie  médiane  du  front,  laissa  couler  beaucoup  de 
sang.  Les  jours  suivants,  il  survint  unpeude  fièvre,  et  sous  la  plaie  un  abcès  se 
forma  qui  s'ouvrit  spontanément. 

C'est  huit  jours  après  l'accident  en  qu'îstion,  alors  que  la  fièvre  avait  cessé 
complètement,  que  la  suppuration  avait  cessé  elle  aussi,  que  la  plaie  était 
en  bonne  voie  do  guérison,  que  se  manifestèrent  les  premiers  symptômes  de 
l'affection  nerveuse  dont  notre  homme  souffre  actuellement  à  un  haut  degré 
et  que  je  veux  entreprendre  d'étudier  avec  vous.  Oui,  depuis  cette  époque  son 
caractère  a  changé  complètement  et  il  n'a  pas  discontinué  d'être  sous  le  coup 
de  cette  prostration  et  de  ce  découragement  profonds  dont  il  porte  la  marque 
évidente,  aujourd'hui  encore,  sur  son  visage  et  dans  son  attitude,  ainsi  que 
vous  n'aurez  certainement  pas  manqué  de  le  remarquer  durant  Texamen  au- 
quel nous  venons  de  le  soumettre  à  propos  de  la  sciatique  dont  il  souffre. 

Eh  bien.  Messieurs,  cette  attitude  tristC;,  abandonnée  si  Ton  peut  ainsi  dire, 
cette  impuissance  absolue  où  il  est,  assure-t-il,  deselivrerau  moindre  travail, 
l'insomnie  dont  il  souffre,  les  rêves  épouvantables,  terrifiants  dont  ses  nuits 
sont  tourmentées,  tout  cela  paraissant  bien  nettement  à  la  suite  etcomme  con- 
séquence d'un  coup  violent  reçu  sur  le  front,  tous  ces  pliénoniènes,  dis-je, 
devaient  nous  guider  dans  la  voie  des  recherches  à  faire  pour  arriver  à  établir 
la  caractéristique  de  l'afioction  nouvelle,  aujourd'hui  surajoutée  à  la  névrite 
sciati([ue.  Nous  l'inteprogeons  au  sujet  de  ces  rêves  pénibles  qui  lui   font  re- 


—  29  — 

douter  de  chercher  le  sommeil.  «Je  vois,  dit-ilsouvent, presque  toutes  les  nuits 
une  main  qui  m'étreint  la  fj'orgc  et  qui  m'étrangle  ;  alors  je  me  réveille  tout  à 
coup,  plein  d'effroi  et  je  ne  puis  plus  dormir.  Souvent  aussi,  il  me  semble  que 
je  suis  près  d'un  précipice  vers  lequel  je  suis  entrainé  et  où  je  tombe  toujours 
du  côté  gauche  :  autrefois,  avant  mon  accident^,  je  ne  révais  jamais;  depuis, 
presque  chaque  nuit,  je  fais  les  rêves  que  je  viens  de  vous  dire.» 

Nous  mettons  entre  les  mains  du  sujet  qui  ne  présente  aucune  trace  de  pa- 
ralysie soit  dans  les  membres  inférieurs,  soit  dans  les  membres  supérieurs  et 
qui  peut  exécuter,  à  l'aide  de  ces  membres,  tous  les  mouvements  qu'on  lui 
commande  de  faire,  un  dynamomètre. 

L'instrument  pressé  aussi  fort  que  possible  donne  18,  20  de  la  main  droite, 
bien  qu'il  s'agisse  d'un  sujet  admirablement  musclé,  autrefois  fort  vigoureux 
et  qui,  dans  les  conditions  normales,  devraitdonner  au  moins  80". 

Il  y  a  donc  à  signaler  déjà  chez  notre  homme  une  véritable  asthénie  neuro- 
musculaire. —  Voici  l'exposé  d'une  série  d'autres  phénomènes  que  notre  en- 
quête nous  a  permis  de  relever.  11  se  plaint  de  souffrir  constamment  de  la 
tête  qui  lui  paraît  enserrée  comme  dans  un  casque  de  plomb,  surtout  dans  la 
région  occipitale  et  en  avant  vers  les  bosses  frontales.  Il  a  de  la  confusion 
dans  l'esprit  ;  il  ne  se  souvient  plus  ;  sans  doute  il  n'a  jamais  été  une  forte  tête, 
mais  depuis  l'accident  il  se  trouve  encore  amoindri.  —  Il  n'a  plus  de  courage, 
plus  de  volonté,  plus  de  goût  pour  le  travail  et  il  se  fatigue  depuis  sous  l'in- 
fluence des  moindres  efforts. 

Autrefois,  malgré  sa  boiterie  déterminée  par  la  névrite  sciatique,  il  travail- 
lait encore  clopin-clopant  tant  bien  que  mal  de  son  métier  de  terrassier;  assez 
pour  gagner  sa  vie.  Il  était  gai  ou  pour  le  moins  il  avait  de  l'entrain.  Aujour- 
d'hui il  est  abattu,  morne,  maussade,  incapable  de  toute  initiative.  —  Ajoutez 
à  ce  qui  précède  qu'après  les  repas  il  se  sent  gonflé,  tourmenté  par  le  besoin 
d'expulser  des  gaz;  qu'alors,  comme  il  dit,  le  sang  lui  monte  à  la  figure  et 
qu'il  devient  comme  engourdi,  somnolent  et  vous  aurez  réuni  un  certain 
nombre  de  caractères  cliniques  qui  révèlent  suffisamment  chez  notre  malade 
l'existence  de  la  neurasthénie,  comme  on  l'appelle,  affection  assez  bien  déter- 
minée aujourd'hui  symptomatiqucment,  et  qui  paraît,  enfin,  définitivement 
installée  dans  les  cadres  nosologiques. 

Yous  savez  que  le  plus  généralement  la  névrose  neurasthénique  se  développe 
à  la  suite  d'excès  de  tout  genre  un  peu  prolongés,  du  surmenage  intellectuel  en 
particulier;  aussi  chez  les  enfants  est-ce  une  affection  rare,  parce  que  les 
enfants  ne  se  laissent  pas  surmener  intellectuellement  ou,  autrement  dit,  ils 
savent  se  soustraire  à  ce  genre  de  surmenage. 

Iln'enostpasdemêmedesadultes.  Ainsi,quand  ils'agit,àfàge  del0,17,18ans, 
de  commencer  une  carrière  libérale,  de  passer  les  examens,  le  baccalauréat, 
par  exemple,  ou  ceux  qui  sont  exigés  pour  être  admis  dans  une  école  spéciale, 
alors  la  neurasthénie  se  montre  fréquente  et  elle  sévit  souvent  avec  force  et 


-    30  — 

ténacité.  Chez  notre  malade,  ce  n'est  évidemment  pas  de  cette  cause  qu'il  s'agit. 

C'est  le  traumatisme,  le  choc  nerveux  qu'il  faut  invoquer  ici,  évidemment, 
les  circonstances  du  cas  le  démontrent  suffisamment  et  d'ailleurs,  le  dévelop- 
pement d'états  neurasthéniques  en  conséquence  d'un  traumatisme  ou  simple- 
ment d'un  choc  nerveux  tend  à  devenir  aujourd'hui  de  plus  en  plus  un  fait 
de  connaissance  vulgaire. 

Vous  trouverez  entre  autres  plusieurs  exemples  bien  caractérisés  de  névrose 
neurasthénique  cérébro-spinale  relatés  dans  le  remarquable  ouvrage  de  M.  Page, 
comme  conséquences  de  collisions  de  chemin  de  fer,  Railway  spine,  Railway 
brain  comme  on  dit   encore  (Voir  H.  P.  Injuries  of  the  spine  and  spinal  cord 
îvithout  apparent  mechanical  lésion  and  ncrvous  shock  in  their  surgicaland  medico 
légal  aspects.  London  1885).  Le  choc   nerveux,  la  commotion  nerveuse,  l'émo- 
tion nécessairement  à  peu  près  inséparable  d'un  accident  qui  souvent  menace 
la  vie,  suffisent  à  produire  la  névrose   en  question  ;  l'action   chirurgicale  du 
traumatisme,  ou  autrement  dit  la   production  d'une  contusion^,   d'une  plaie, 
ou  encore   d'une   commotion   cérébrale  proprement   dite,  ne   sont  pas  des 
agents   nécessaires  pour  faire   apparaître  le  mal,  bien  qu'ils  puissent  contri- 
buer à  lui  imprimer  une  forme  grave.    Mais  au  fond  la  maladie  nerveuse 
se  montre  toujours  la  même  quelle  que  soit  la  cause  provocatrice.  J'insisterai 
pour  dire  qu'une  origine   traumatique  ne  détermine  par  elle-même  aucune 
particularité  nosographique  qui  permette  de  la  distinguer  des  neurasthénies 
développées  sous  l'intluence  de  toute  autre  cause,   du  surmenage  intellectuel 
par  exemple.  En  d'autres  termes^,  en  face  des  causes  si  diverses  qui  peuvent  en 
déterminer  la  production,  l'espèce  morbide  :  neurasthénie  cérébro-spinale  con- 
serve  en  quelque  sorte  son  indépendance,  son  autonomie,  sa  spécificité.  C'est 
là  une  doctrine  que  j'ai  été  conduit  à  adopter  par  l'étude  d'un  assez  bon  nombre 
de  faits,  et  que  j'aurai,  je  pense,  bien  des  fois  l'occasion  de  justiher  clinique- 
ment  dans  le  cours  de  ces  leçons. 

Mais,  Messieurs,  la  neurasthénie  n'est  pas,  tant  s'en  faut,  la  seule  forme 
neuropathique  qui  puisse  se  produire  sous  l'action  des  causes  occasionnelles 
dont  nous  parlions  tout  à  Theure  :  traumatisme  ou  choc  nerveux.  On  pourrait 
dire,  au  contraire,  qu'il  n'est  pas  une  seule  des  espèces  composant  la  grande 
famille  nerveuse  qui  ne  se  soit  pas  montrée  dans  les  conditions  étiologiques 
dont  il  s'agit.  Telles  sont  les  vésanies  de  tout  genre,  la  paralysie  agitante, 
Tépilepsie,  la  chorée,  etc.,  etc.,  et  par-dessus  tout  l'hystérie,  oui,  l'hystérie  et 
principalement  l'hystérie  virile,  plus  commune,  cela  est  facile  à  comprendre, 
que  ne  l'est  l'hystérie  féminine  dans  ces  conditions  de  traumatisme  (^ue  nous 
signalions  tout  à  Theure. 

En  somme  donc,  hystérie  et  neurasthénie,  voilà  les  deux  formes  neuropathi- 
ques  qui  s'oflrent  le  plus  vulgairement  à  l'observation  comme  conséquence 
des  chocs  nerveux  avec  ou  sans  accompagnement  d'une  lésion  traumatique 
chirurgicale. 


—  31  - 

Et,  dans  ces  conditions-là  :  tantôt  la  neurasthénie  règne  seu^e,  exclusive- 
ment ;  tantôt,  au  contraire,  Thystérie  est  seule  présente,  tantôt  enfin,  l'une  et 
Tautre  se  montrent  coexistantes,  combinées  en  proportions  diverses. 

La  connaissance  des  faits  qui  précèdent  devait  nous  conduire  à  rechercher, 
si,  chez  notre  malade,  la  neurasthénie,  fort  apparente,  n'était  pas  doublée  de 
symptômes  hystériques  cachés  et  latents,  et  que  seule,  une  analyse  métho- 
dique poursuivie  dans  une  certaine  direction  pouvait  nous  révéler. 

Or,  Messieurs,  les  investigations  poursuivies  dans  ce  sens  ont  pleinement 
justifié  nos  prévisions.  Non  seulement  notre  sujet,  en  conséquence  du  coup 
qu'il  a  reçu  au  front  est  devenu  neurasthénique^  mais  il  est  devenu  aussi  hys- 
térique ,  cela  nous  sera  maintenant  facile  à  démontrer. 

Nous  avons  procédé  tout  d'abord  à  l'examen  du  champ  visuel.  Vous  n'ignorez 
pas  le  rôle  important  que  joue  dans  la  symptomatologie  de  l'hystérie,  le  rétré- 


MS 


Fi  g.  12. 

cissement  monoculaire  ou  binoculaire  concentrique  du  champ  visuel  sans 
accompagnement  de  lésion  ophthalmoscopique  de  la  rétine  ou  des  milieux. 
Sans  doute  ce  n'est  pas  là  un  signe  absolument  pathognomonique  de  la 
névrose,  —  il  n'y  a  rien  d'absolu  dans  ce  genre,  —  mais  on  peut  affirmer 
qu'à  part  le  cas  de  la  lésion  de  la  partie  postérieure  de  la  capsule  interne,  le 
rétrécissement  permanent  du  champ  visuel  ne  se  voit  guère  en  dehors  de  l'hys- 
térie. Je  dis  rétrécissement  à  Tétat  permanent,  parce  que  je  n'ignore  pas  que 
dans  Vépilepsie  vraie,  à  la  suite  des  accès,  le  champ  visuel  présente  souvent  un 
rétrécissement  plus  ou  moins  prononcé,  lequel  s'efface  peu  à  peu  progressive- 


—  32  — 

ment  durant  les  quelques  jours  qui  suivent;  après  quoi  a  lieu  le  retour  àTétat 
normal.  Mais  cela  est  un  rétrécissement  temporaire,  remarquez-le  bien,  et  pas 
un  rétrécissement  permanent;  je  crois  pouvoir  affirmer  qu'il  en  est  de  même 
r)0ur  le  cas  de  la  neurasthénie  ;  on  peut  obsers^er  comme  Ta  fait  M.  Westplial, 
dans  cette  affection-là,  surtout  au  moment  des  vertiges,  des  rétrécissements 
du  champ  visuel,  mais  alors  le  rétrécissement  ne  persiste  pas,  il  ne  s'établit 
pas  comme  cela  a  lieu  dans  le  cas  de  l'hystérie  à  l'état  permanent.  J'ajouterai 
qu'il  paraît  bien  démontré  aujourd'hui  que  les  rétrécissements  du  champ 
visuel  signalés  dans  ralcoolisme,danslesaturnisme,  etc., relèvent  non  pas  direc- 
tement de  la  cause  toxique  mais  bien  de  l'hystérie  dont  celle-ci  provoque  le 
développement  (hystérie  toxique  de  quelques  auteurs). 

Pour  ce  qui  est  de  l'hystéro-épilepsie  à  crises  séparées,  c'est-à-dire  hys- 
téro-épilepsie  à  crises  mixtes  d'un  côté,  liysteria  major,  et  épilepsie,  mal 
comitial,  de  l'autre,  coexistant  chez  un  môme  sujet,  on  peut  affirmer  que  le 
rétrécissement  permanent,  lorsqu'il  existe,  se  rattache  à  la  grande  hystérie 
hystérie  épileptiforme,  et  nullement  à  l'épilepsie. 

Chez  notre  malade,  le  rétrécissement  concentrique,  occupant  les  deux  yeux 
à  peu  près  également,  existe,  porté  à  un  haut  degré  (Fig.  12),  à  l'état  de  per- 
manence. Cette  constatation  rendait,  d'après  ce  qui  précède,  fort  probable  que 
d'autres  stigmates  hystériques  pourraient  être  mis  en  relief.  J'ajouterai  qu'un 
accompagnement  fréquent  du  rétrécissement  concentrique  du  champ  visuel, 
lorsqu'il  appartient  à  l'hystérie,  se  présente  chez  notre  sujet;  je  veux  parler 
de  la  diplopie  monoculaire  ;  cette  anomalie  se  montre  ici  très  accentuée  dans 
Tœil  du  côté  gauche  (i). 

Procédons  maintenant  à  l'énumération  sommaire  des  autres  stigmates 
hystériques  :  il  existe  du  côté  gauche  une  obnubilation  très  prononcée,  et 
très  nette  par  conséquent  de  l'ouïe,  du  goût  et  de  l'odorat  (hémianesthésies 
sensorielles)  ;  une  hémianalgésie  cutanée  (hémiancsthésie  sensitive)  de  tout 
le  côté  gauche  du  corps,  tronc  et  membres.  Cette  hémianalgésie  à  la  partie 
postérieure  du  corps  est  plus  prononcée  qu'en  avant  et  dans  de  certaines 
parties  c'est  de  l'hémianesthésie  dans  l'acception  rigoureuse  du  mot  (Voy. 
Fig.  H  6/s.)  Par  une  sorte  d'anomalie  fort  curieuse,  la  jambe  presque  tout 
entière,  au-dessus  du  creux  poplité,  en  arrière,  est  sensible,  ainsi  que  le  pied, 
tandis  qu'en  avant,  ces  mêmes  parties  sont  partout  analgésiques. 

C'en  est  assez  déjà,  dans  les  conditions  où  nous  sommes,  pour  caractériser, 
l'hystérie.  Mais  il  y  a  plus  encore:  l'attaque,  ({uo  quelques-uns  considèrent 
bien  à  tort,  encore  aujourd'hui,  comme  un  syndrome  nécessaire  à  la  consti- 
tution de  l'hystérie,  l'attaque,  dis-je,  est  ici  représentée.  Sans  doute  il  ne 
s'agit  pas  cette  fois  de  la  grande  attaque,  à  phases   distinctes  et  ordonnées  : 


1.  Voir  3\ir  la  polyopie  monoculairo  des   hyMériques  :  Leçons  sw  les  maladies  du  système 
nervt^ux,  t.  III  p.  322, 


—  33   -' 

i°  période  épileptoïde  ;  2*  période  des  grands  mouvements;  3*  attitudes  pas- 
sionnelles; cela  nous  ne  le  voyons  pas  chez  notre  malade.  Mais  nous  en  voyons 
assezcepcndantpour  pouvoiraffirmer  que  l'attaque  oxisteà  l'état  rudimentaire, 
engermc,ou  si  vous  l'aimez  mieux  sous  une  forme  fruste.  Voici  en  effet  ce  que 
l'on  observe  à  gauche,  en  pleines  régions  analgésiques  ;  il  existe  au-dessus  du 
pli  de  l'aine  et  parallèlement  à  sa  direction  une  plaque,  allongée  (Fig.  Il  bis 


N"  1 


Via-.  11  Ola. 


N°  2 


n°l,^.)ovalaire,  hyperesthésique. Cette  plaque  est  à  un  certain  degré  hj/stéro- 
gène,  c'est-à-dire  que  quand  on  y  produit  un  frôlement  rapide  ou  une  pression 
unpeuvive,  le  malade  ressent  quelques-uns  des  phénomènes  de  l'attaque:  «Il  lui 
semble, —  c'est  d'après  son  naïîrécit  que  nous  décrivons, — illui  semble,  dis-je, 
«  que  quelque  chose  lui  remonte  de  l'aine  gauche  vers  le  ventre,  la  région  du 


-^  34  — 

cœur  où  il  éprouve  des  battements  rapides,  la  région  du  cou  enfin,  où  il  res- 
sent comme  un  étranglement.  Après  quoi,  ses  oreilles  sonnent  et  sifflent,  ses 
tempes  battent  ;  enfin  la  vue  s'obscurcit,  et  il  y  a  un  instant  d'inconscience.  » 
Vous  reconnaisse/,  là  les  phénomènes  de  l'aura  hystérique  parfaitement 
caractérisés  et  les  accidents  qui  la  suivent  représentent  en  quelque  sorte, 
mais  dans  la  catégorie  de  Thystérie  cette  fois,  le  vertige  épileptique, 
sans  accompagnement  de  mouvements  spasmodiques.  Ces  attaques,  ou  mieux 
ces  rudiments  d'attaque  que  nous  venons  de  décrire,  ne  se  montrent  pas 
uniquement  en  conséquence  de  l'excitation  artificielle  des  zones  hystérogènes  ; 
elles  peuvent  se  développer  spontanément. 

Le  malade  en  eff'et, depuis  trois  mois, a  éprouvé  ce  qu'il  appelle  des  syncopes, 
or,  les  svncopes  dont  il  s'agit,  non  accompagnées  de  mouvements  convulsifs, 
sont  précédées  de  l'apparition  d'une  douleur  dans  la  région  hypéresthésique  du 
flanc  o-auche  et,  consécutivement,  de  toute  la  série  des  phénomènes  de  l'aura 
que  nous  décrivions  tout  à  l'heure.  Donc,  il  s'agit  évidemment  ici  d'attaques 
hystériques  se  produisant  sous  une  forme  rudimentaire,  sans  doute,  mais 
suffisamment  caractérisée  pour  qu'il  soit  facile  de  la  désigner  légitimement  par 

son  nom. 

Nous  voilà  conduits  bien  loin  de  notre  point  de  départ;  au  premier  abord, 
notre  homme  nous  paraissait  placé  uniquement  sous  le  coup  d'une  sciatique 
grave,  sciatique  névritique  avec  toutes  ses  conséquences.  Vous  reconnaissez 
maintenant  que  la  situation  est  beaucoup  plus  complexe  qu'elle  ne  paraissait 
l'être,  et  je  ne  suis  pas  fâché  de  vous  faire  remarquer  une  fois  de  plus,  combien 
il  importe  d'examiner  les  malades  sur  toutes  les  faces,   quand  on  ne  veut  rien 

négliger. 

En  somme,  la  deuxième  partie  de  l'histoire  de  notre  malade  est  plus  inté- 
ressante encore  peut-être  que  la  première. 

Voici,  en  eff'et,  qu'à  la  suite  d'un  coup  reçu  au  front,  cause  en  apparence  toute 
accidentelle,  une  double  névrose  s'est  produite;  la  neurasthénie  d'un  cùté, 
l'hystérie  de  l'autre.  Or,  vous  savez  que  nées  dans  ces  conditions-là  les  névroses 
qui  nous  occupent,  bien  qu'il  s'agisse  d'aff'ections  sans  lésions  organiques 
appréciables,  se  montrent  habituellement  remarquablement  tenaces,  etparfois 
à  peu  près  incurables. 

Sans  doute,  une  névrite  sciatique  datant  de  cinq  ans  et  qui  prive  un  malheu- 
reux ouvrier,  pour  longtemps,  de  l'usage  régulier  d'un  de  ses  membres  infé- 
rieurs c'est  une  triste  chose  ;  mais  une  neurasthénie  profonde  compliquée 
d'hystérie,  qui  entraînent  avec  elles  la  misère  intellectuelle  et  morale  pour 
toujours  peut-être,  c'est  incontestablement  chose  plus  grave  encore. 

Tels  sont  les  faits  :  il  ne  sera  certainement  pas  inutile  actuellement  de  re- 
monter encore  une  fois  dans  le  passé  de  notre  malade  pour  rechercher  s'il  n'y 
a  pas  soit  dans  son  histoire  propre,  soit  dans  celle  de  sa  famille,  quelques  cir- 
constances de  nature  à  faire  comprendre  la  genèse,  sous  l'influence  du  choc 


—  35  — 

nerveux  des  deux  névroses  :  hyslrrk  et  neurasthf'nie.  S'cigit-il  là  d'une  création 
de  toutes  pièces,  œuvre  de  l'ébranlement  traiimatique,  ou  bien  j-eut-on  invo- 
({uer  la  prédisposition  antérieure  soit  héréditaire  soit  acquise?  L'obser\'ation 
va  montrer  que  chez  notre  malade,  raj)[)arition  des  névroses  en  question, 
dans  les  circonstances  où  elles  se  sont  produites,  n'offrent  rien  d'inattendu, 
rien  d'imprévu. 

1"  On  sait  bien  aujourd'liui  que  l'alcoolisme  prédispose  à  Thystériefi)  ;  or, 
le  malheureux  V..des,  alors  qu'il  était  employé  dans  un  four  à  plâtre  et  qu'il 
y  gagnait  quelque  peu  d'argent,  dépensait  presque  tout  à  boire.  Il  avoue  que 
dans  ce  temps-là  il  buvait  souvent  en  un  jour,  particulièrement  le  lundi, 
environ  1/3  de  litre  d'eau-de-vie,  de  l'absinthe  et,  en  outre,  environ  3  litres  de 
vin.  Jamais  cependant  ces  doses  énormes  n'ont  provoqué  de  grands  accidents 
toxiques  ;  cela  se  bornait  à  de  terribles  colères  quand  il  était  ivre. 

Néanmoins,  sous  l'influence  de  ces  excès,  il  s'est  produit  sournoisement 
dans  le  système  cérébro-spinal  une  modification  profonde  dont  le  trauma- 
tisme un  beau  jour  a  provoqué  la  révélation.  Voilà  pour  ce  qui  concerne  le 
côté  relatif  à  la  prédisposition  acquise.  Considérons  actuellement  les  faits 
qui  concernent  la  prédisposition  héréditaire;  à  cet  égard,  les  documents 
abondent  et  ils  sont  fort  significatifs. 

Grands  parents  inconnus.  Son  père  est  mort  de  la  poitrine.  Un  de  ses 
oncles  paternels,  cultivateur,  a  eu  la  tète  complètement  dérangée  pendant 
trois  ans  :  il  était  alors  sombre,  triste, et  ne  voulait  voir  personne  ;  laguérison 
n'a  pas  été  complète,  le  malade  est  resté  «  toujours  un  peu  drôle  ».  Il  est 
mort  à  Gl  ans.  —  Une  cousine  germaine  du  côté  maternel  (fille  du  frère  de  la 
mère)  tombe  dans  des  attaques  de  nerfs,  désignées  épileptiques.  —  La  mère 
de  notre  malade  est  morte  de  la  poitrine.  Un  de  ses  frères  était  épileptique  ; 
il  tombait  dans  les  attaques,  environ  tous  les  quinze  jours;  il  perdait  ab- 
solument connaissance  et  écumait  de  la  bouche.  En  voilà  bien  assez  pour  dé- 
montrer jusqu'à  quel  point  V..des  était  prédisposé  antérieurement  à  l'acci- 
dent qui  a  provoqué,  simultanément  sans  doute^,  la  neurasthénie  et  l'hystérie. 


ONGLE    PÈRE 
TABLEAU  DE  FAMILLE 

Aliéné.  Mort 

DE  tuberculeux 


MÈRE  TANTE 


Morte 
tuberculeuse. 


Il  Cousine       ger- 

V.    .    des                                                 Notre  malade  ;    Frère  du  m  ai  ne  du  ma- 

scialiqne             malade  :  lî^de  : 

Neurasthénie      Épileptique  hpileptique. 
Hystérie 

1.  Voir  Charcot  :    Hémanesthésic  hystérique    et  hémianesthésie  toxique,  leçon  faite  à  la 
Salpôlrière.  (Bulletin  médical^  Numéro  du  25  mai  1887.) 

6 


—  36  — 

La  neurasthénie  et  l'hystérie  associées  ou  isolées,  telles  sont,  vous  disais-je 
tout  àFheure,  les  névroses  que  font  apparaître  vulgairement  le  choc  nerveux 
ouïe  traumatisme.  Quelques  auteurs  cependant  donnent,  des  affections  ner- 
veuses qui  se  manifestent  dans  ces  conditions-là,  une  interprétation  toute  dif- 
férente ;  il  ne  s'agirait  pas  là,  suivant  eux,  purement  et  simplement  d'hystérie 
ou  de  neurasthénie.  Il  y  aurait  en  quelque  sorte  création  d  une  espèce  mor- 
bide nouvelle,  toute  spéciale,  à  laquelle  on  propose  d'appliquer  le  nom  de 
névrose  traumatique  générale  pour  bien  rappeler  son  origine  en   quelque  sorte 

spécifique. 

Eh  bien,  Messieurs,  je  l'ai  déclaré  déjà  et  je  hj  déclare  aujourd'hui  encore, 
éclairé  plus  que  jamais  par  nombre  d'observations,  les  faits  publics  comme 
appartenant  à  coite  prétendue  névrose  essentiellement  traumatique  peuvent 
être  ramenés  tous  sans  difficulté  aucune  à  la  neurasthénie  et  à  l'hystérie  iso- 
lées ou  combinées. 

Qu'il  s'agisse  d'une  collision  de  chemin  de  fer,  d'un  choc  nerveux  quelcon- 
que avec  ou  sans  traumatisme,  tremblement  de  terre,  accident  de  voiture,  ou 
au  contraire  du  surmenage  intellectuel  ou  génital  ;  de  l'alcoolisme,  du  satur- 
nisme; peu  importe^  la  névrose  produite  reste  toujours  essentiellement  la 
môme  ;la  cause  provocatrice  de  Taff'ection, qu'elle  soit  le  traumatisme  ou  autre 
chose,  ne  détermine  même  pas,  en  général,  dans  l'appareil  symptomatolo- 
gique  quelcjuc  empreinte  particulière  qui  permette  de  la  reconnaître.  En 
d'autres  termes,  non  seulement  il  n'y  a  pas,  que  je  sache,  de  névrose  générale 
traumatique  spéciale,  mais  en  outre  je  ne  vois  pas  que  la  neurasthénie  et 
l'hystérie  d'origine  traumatique  se  séparent  par  aucun  caractère  clinique 
fondamental  de  celles  qui  ont  été  déterminées  par  d'autres  causes. 

En  ce  ([ui  concerne  la  dernière  aff'cction  je  pense  qu'il  n'est  nullement  légi- 
time d'admettre  qu'il  existe  toute  une  famille  dliysféries,  distinctes  nosographi- 
quement  les  unes  dop  autres  en  môme  temps  qu'elles  sont  distinctes  par  la 
forme. 

Vhystéi^ieest  une  et  Indivisible,  c'est  du  moins  mon  humble  avis. 
Peut-on  vraiment  considérer  la  mélancolie,  l'hypochondrie,  l'aboulie,  les 
rêves  terrifiants,  l'insomnie  comme  caractérisant  psychiquement  la  «  névrose 
traumati(pic  »  lorsque  l'on  sait  par  maintes  et  maintes  observations  que  tout 
cela  se  rencontre  nécessairement  dans  la  neurasthénie  et  dans  l'hystérie  de 
l'homme  avec  ou  sans  l'intervention  quelconqr.e  d'un  traumatisme  ;  et, 
pour  ce  qui  est  des  hémianesthénies  sensorielles  cl  sensitives,  des  rétrécis- 
sements du  champ  visuel,  des  contractures,  etc.,  etc.,  qui  se  trouvent  consi- 
gnés dans  les  observations  relatives  àl;i  prétendue  névrose,  de  quel  droit  vou- 
drait-on les  dépayseren(pi('lque  sorte,  en  les  distrayant  du  champ  de  l'hystérie? 
Je  crains  bien  (juc  dans  cette  aff"aire  l'étrangeté  apparente  du  terme  hyatéine, 
lorsqu'on  l'applique  à  l'homme,  ne  soit  une  des  causes  qui  empêchent  les 
observateurs  de  voir  les  choses  telles  qu'elles  sont  dans  leur  re'alité. 


—  37  — 

En  vérité  cependant,  les  mots,  surtout  en  nosographie,  ne  sauraient  être 
qu'un  symbole,  ils  ne  peuvent  pas  prétendre  à  posséder  la  vertu  d'une  défini- 
tion descriptive. 

Mettez-vous  bien  dans  l'esprit —  et  il  ne  faut  pas,  je  pense,  grand  effort  pour 
cela  —  qu'en  soi  le  mot  hystérie  ne  signifie  rien,  et  peu  à  peu  vous  vous  ha- 
bituerez t\  parler  d'hystérie  chez  l'homme  sans  penser  le  moins  du  monde  à 
r«  utérus  ».  Ne  songeons  pas  d'ailleurs  à  changer  le  mot  contre  un  autre  la 
Neuro'paUio,  de  Piorry  est  tombée  dans  l'oubli;  Le  larassis  de  M.  le  D' de 
Lachèze,  malgré  l'excellence  des  observations  auxquelles  ce  mot  sert  d'étiquette, 
n'a  pas  eu  plus  de  succès  (1).  Le  terme  hystérie  au  contraire  résiste  depuis 
bien  longtemps  aux  injures  du  temps  et  des  hommes.  C'est  là  incontestable- 
mentune  marque  de  vitalitébien  significative.  Le  motvivra  donc  et  continuera 
à  désigner  un  groupe  cohérent  de  faits  nosographiquement  enchaînés  les 
uns  aux  autres.  Il  faut  en  prendre  son  parti. 

Mais  je  ne  veux  pas  m'appesantir  maintenant  sur  ces  questions  relatives  à 
la  névrose  traumatique  ;  ces  questions  je  les  ai  touchées  déjà  bien  des  fois  ; 
vous  les  trouverez  parfaitement  exposées,  au  besoin,  dans  plusieurs  articles 
récemment  publiés  par  mon  ancien  interne  M. le  docteur  Guinon  (2),  articles 
auxquels  je  vous  renvoie. 


2'  Malade 


(Entre  une  mère  portant  dans  ses  bras  sa  lîlle,  enfant  de  8  ans.  Son  mari 
l'accompagne,  ces  personnes  se  sont  présentées  à  la  consultation,  ce  matin, 
pour  la  première  fois.) 

M.  CiiARCOT.  —  Vous  reconnaissez  immédiatement.  Messieurs,  que  cette 
enfant  est  atteinte  de  chorée,  de  chorée  vulgaire  parfaitement  légitime.  Les 
mouvements  choréiques  sont  très  caractéristiques,  pas  très  intenses  ni  très 
précipités,  plutôt  lents.  Ils  occupent  le  cou,  la  face,  les  membres  supérieurs, 
le  tronc. 

A  la  petite  fdlc  :  Comment  vous  appelez-vous,  mon  enfant? 

La  mère.  —  Elle  ne  peut  plus  parler  depuis  quelques  jours. 

1.  Gazelle  des  Hôpitaux^  1884. 

2.  G.  Guinon:  A  propos  de  deux  travaux  récents  sur  l'Hystérie  traumatique.  Progrî's 
médical  T.  317.  3  novembre  1888,  id.  —  De  l'Hystérie  daus  ses  rapports  avec  la  chirurgie.  In 
Revue  de  Ch  irurgie,  numéro  11  ;  10  novembre  1888,  p.  930. 


—  38  — 

L'enfant  (Avec  une  grande  difficulté  et  articulant  d'une  façon  presque 
inintelligible).  —  Hor...tense. 

M.  GuARCOT.  —  Tirez  la  langue. 

{Aux  auditeurs)  :  Vous  voyez  qu'elle  peut  encore,  non  sans  effort  toutefois, 
tirer  salangue  hors  de  sa  bouche  ;  mais  elle  ne  peutpas  l'y  maintenir  longtemps. 

A  la  mère  :  Combien  y  a-t-il  de  temps  qu'elle  a  ces  mouvements? 

La  mère.  —  Un  mois  environ,  monsieur  ;  mais  cela  augmente. 

M.  Gharcot.  —  Rien  de  bien  remarquable  jusqu'ici,  c'est  un  cas  vulgaire, 
du  moins  en  apparence.  J'appellerai  cependant  votre  attention  sur  ce  fait  que 
pendant  toute  la  durée  de  notre  examen  jusqu'ici, les  membres  inférieurs  sont 
restés  absolument  tranquilles,  sans  présenter  aucun  mouvement  choréique, 
lilst-ce  donc  que  ces  membres  sont  indemnes, non  affectés  de  chorée?  c'est  bien 
peu  vraisemblable. 

A  la  mère  :  Pourquoi  portez- vous  cette  enfant?  Elle  ne  peut  donc  pas  se 
tenir  debout,  marcher. 

La  mère.  — Non,  monsieur.  Au  commencement,  ses  jambes  étaient  agitées 
comme  le  reste;  mais  depuis  quelques  jours,  les  mouvements  y  ont  disparu. 
Elles  sont  devenues  tout  à  fait  molles,  flasques,  inertes.  L'enfant  ne  peut  plus 
du  tout  les  mouvoir,  elle  ne  peut  plus  se  tenir  debout  ;  vous  [voyez,  quand  on 
cherclie  à  la  faire  marcher  ses  jambes  se  fléchissent  sous  elle,  s'embarrassent 
l'une  dans  l'autre,  et  si  on  ne  la  soutenait  pas  elle  tomberait  à  terre. 

M.CiiARcoT.  —  Je  vous  le  fais  remarquer  une  fois  de  plus,  Messieurs,  les  mem- 
bres inférieurs  sont  en  efï'et  flasques,  mous.  Impossible  à  l'enfant  de  marcher 
et  môme  de  se  tenir  debout.  Quand  on  l'abandonne  à  elle-même  sans  sou- 
tien elle  s'affaisse;  en  même  temps,  le  tronc  se  fléchit  soit  en  avant  soit  en 
arrière  ;  la  tête  tombe  sur  la  poitrine.  Eh  bien,  Messieurs  voilà  chez  cette 
jeune  choréique  un  incident  qui  mérite  bien  d'être  signalé  parce  qu'il  s'agit 
d'un  fait  encore  insuffisamment  vulgarisé  et  qui  pourrait,  si  vous  n'êtes  pas 
prévenus,  vous  mettre  dans  l'embarras.  Une  paralysie  est  venue  compliquer  la 
chorée,  direz-vous?En  réalité^  Messieurs,  il  ne  faut  pas  voir  là  à  proprement 
parler  une  complication.  Aucun  trouble  de  la  sensibilité  n'existe  sur  ces  mem- 
bres inertes  et  fiasques,  Télectrisation,  j'en  suis  sûr,  n'y  montrerait  aucune 
modification  des  réactions  électriques  ;  la  paralysie  s'est  développée  progres- 
sivement, sans  fièvre,  et  non  brusquement  pendant  le  cours  d'un  état  fébrile. 
Des  mouvements  choréiques  ont  précédé  dans  les  membres  inertes  aujourd'hui 
la  paralysie.  Ge  n'est  donc  pas  de  paralysie  infantile  spinale,  qu'il  s'agit;  et 
immédiatement  pour  ne  pas  prolonger  sans  profit  cette  étude  de  diagnostic  diffé- 
rentiel, je  vous  dirai  qu'il  s'j!git  chez  cette  enfant  d'une  forwe  paralytique,  de 
la  chorée,  de  la  chorée  molle  comme  on  dit  encore. 

Les  choses  peuvent  aller  beaucoup  [)lus  loin  qu'elles  ne  le  sont,  chez  notre 
petite  malade  ;  la  première  fois  (pie  j'ai  été  frappé  de  l'existence  de  cette  forme 
de  chorée,  c'était  en  1879,  chez  une  jeune  fille  de  12  ans. 


-  39  — 

Les  quatre  membres  étaient  flas(jues,  dans  la  résolution  complèio,  absolument 
incapables  de  tout  mouvement  volontaire.  Il  en  était  de  même  du  tronc  et  de 
la  tête  :  celle-ci  était  «  tombante»  et  reposait  sur  un  canapé  où  on  avait  placé 
l'enfant,  à  la  manière  d'un  corps  inerte;  pas  d'aneslhésie  d'ailleurs,  pas  de 
rigidité,  pas  d'atrophie,  les  réflexes  tendineux  étaient  absents.  Je  n'avais  pas 
encore  rencontré  cliose  pareille^  je  fus  un  instant  dans  l'embarras.  Quelques 
mouvements  choréiques  de  la  face, l'impossibilité  de  maintenir  la  langue  hors 
de  la  bouche,  la  difficulté  spéciale  de  l'articulation  me  mirent  bientôt  sur  la 
voie  du  diagnostic.  J'appris  d'ailleurs  que  pendant  plus  d'un  mois,  les  membres 
aujourd'hui  paralysés  et  aussi  la  tête  et  le  tronc  avaient  été  agités  de  mou- 
vements choréi(pies  très  prononcés. 

La  petite  malade  guérit  complètement  au  bout  d'une  vingtaine  de  jours,  de  sa 
chorée  molle,  sans  repasser  par  la  période  des  mouvements  convulsifs.  Elle  a 
malheureusement  succombé  deux  ans  après  par  le  fait  d'une  maladie  orga- 
nique du  cœur. 

C'est  ainsi  que  la  paralysie  choréique  se  termine  toujours,  autant  que  je 
sache.  La  guérison  ici  est  la  règle,  même  dans  les  cas  où  la  paralysie  est 
complète  et  plus  ou  moins  généralisée.  La  chorée  paralytique  d'ailleurs 
paraît  ne  pas  appartenir  particulièrement  aux  cas  où  les  mouvements  gesti- 
culatoires  sont  intenses  ;  on  la  voit  survenir  au  moins  aussi  souvent,  je  pense^ 
dans  les  cas  de  chorée  légère. 

En  somme^  vous  le  voyez,  le  pronostic  de  la  chorée  molle  est  généralement 
favorable  et  il  n'y  a  aucune  raison  pour  que  cette  formule  se  trouve  démentie 
chez  notre  petite  malade  d'aujourd'hui. 

Je  ne  saurais  trop  vous  engager,  pour  en  apprendre  plus  long  sur  cet 
intéressant  sujet  de  la  chorée  paralytique,  à  prendre  connaissance  de  la  thèse 
inaugurale  du  docteur  G.  OUive.  Cette  thèse  a  pour  titre  <^  Des  parah/sies  chez 
les  choréiques  »  ;  elle  a  été  soutenue  à  Paris  en  1883.  C'est,  je  crois,  la  première 
monographie  qui  ait  été  consacrée  à  l'étude  particulière  de  cette  forme  de  la 
chorée. 

Je  vais  essayer  maintenant  de  compléter  par  quelques  interrogations  l'iiis- 
toire  clinique  de  notre  sujet. 

A  la  mère:  Votre  enfant  a-t-elle  souffert  de  rhumatisme  articulaire  aigu; 
c'est-à-dire  d'un  rhumatisme  articulaire  avec  gonflement,  rougeur  des  articu- 
lations et  fièvre  ? 

La  MÈRE. — Oui,  monsieur,  il  y  a  quatre  mois;  cela  a  duré  quelques  se- 
maines. 

M.  Gu ARGOT,  à  la  mère,  —  Avez-vous  souffert  aussi,  madame,  de  cette  même 
maladie  ? 

La  mère.  —  Oui,  monsieur,  et  mon  mari  également. 

Le  mari.  —  Oui,  cela  est  vrai,  plusieurs  fois;  ma  mère  également  a  eu  les 
doigts  des  mains  enflés  et  déformés. 


—  40  — 

M.  CnARCOT.—  Voici  la  part  de  rélément  arthritique  dans  la  famille  ;  re- 
cherchons maintenant  si  Fhérédité  nerveuse  n'est  pas  en  cause. 

S'adressant  à  la  fois  à  la  mère  et  au  père  :  Avez-vous  connu  des  membres 
de  votre  famille  atteints  de  maladies  nerveuses  ou  ayant  eu  la  tête  dérangée? 

Le  père. — Ma  grand'mère  qui  est  morte  à  82  ans  a  été  longtemps  atteinte  de 
démence.  Elle  avait  toujours  peur  d'être  volée:  elle  cachait  son  argent  et 
d'autres  objets  lui  appartenant  et  ne  se  rappelait  plus  après  cela  où  elle  les 
avait  mis  ;  elle  a  eu  un  fils  qui  est  mort  vers  l'âge  de  40  ans,  aliéné,  à  l'asile 
de  Clermont. 

M.  CuARCOT.  —  Voilà  certes  une  révélation  importante. 

A  la  mère.  —  Et  vous,  madame,  qu'avez-vous  à  dire  ? 

La  mère.  —  Rien  dans  ce  genre. 

M.  Charcot.  —  A  quel  âge  avez-vous  eu  votre  rhumatisme  articulaire? 

La  mère.  —  J'ai  eu  deux  attaques  :  la  première  à  19  ans,  l'autre  à  36  ans. 

M.  CiiARCOT.  —  Avez-vous  eu  la  chorée  ? 

La  mère.  —  Non,  monsieur,  je  n'en   connais  pas  d'autre  exemple  dans  la 

famille. 

M.  CiiARcoT.  — Vous  avez  eu  d'autres  enfants  que  celle-ci;  ont-ils  été 
malades  ?  dites-moi  ce  qu'ils  ont  eu. 

La  mère.  —  La  petite  est  la  7*^  de  10  enfants  ;  8  survivent.  Les  deux  autres  sont 
morts  dans  la  première  enfance.  Mon  fils  aîné  est  aujourd'hui  âgé  de  23  ans. 
Il  a  eu  plusieurs  attaques  de  rhumatisme  ;  son  cœur  a  été  pris  —  c'est  pour- 
quoi on  l'a  dispensé  du  service  militaire.  Mon  quatrième  enfant  qui  est  une 
fille  a  eu,  vers  7  ans,  aussi  une  attaque  de  rhumatisme.  Le  cœur  n'a  pas  été 
pris,  les  autres  n'ont  rien  eu. 

M.  GnARCOï.  —  Racontez-moi  l'histoire  du  rhumatisme  de  la  petite  qui  est 
ici  :  a-t-elle  eu  avant  d'autres  maladies  ? 

La  mère.  —  Oui,  la  rougeole  à  l'âge  de  3  ans.  Le  rhumatisme  s'est  déclaré 
il  y  a  quatre  mois  ;  elle  est  restée  au  lit  pendant  un  mois,  elle  avait  des  dou- 
leurs dans  les  cou-de-pieds  surtout  cl  dans  les  genoux  avec  gonflements. 

M.  Guarcot.  —  Qu'est-il  arrivé  après  ? 

La  mèhe. —  Vers  la  lin  de  septembre,  elle  est  tombée  d'une  balançoire  sur  la 
tête  et  s'est  fait  derrière  la  tête  une  blessure  superficielle  qui  a  pas  mal 
saigné  ;  elle  n'a  pas  perdu  connaissance,  mais  peut-être  qu'elle  était  déjà 
malade  avant  l'accident,  car  son  caractère  depuis  plusieurs  jours  était  très 
chani-é. 

M.  GiiARcoT.  —  Quand  la  chose  a-t-elle  commencé?  Il  y  a  un  mois,  dites- 
vous  ? 

La  MÈuii. —  C'est  dillicile  à  dire  exactement,  mais  déjà  le  1"  octobre,  elle 
écrivait  avec  difficulté,  faisait  moins  bien  ses  devoirs  et  n'avait  plus  à  l'école 
de  récompenses  comme  auparavant,  ce  dont  elle  se  montrait  vivement  affectée. 
Nous  avons  dû  la  garder  chez  nous  à  partir  du  10  octobre  parce  que  les  mou- 


—  Ai  — 

vemcnts  étaient  très  forts.  Kilo  ne  pouvait  presque  plus  parler,  laissait  tout 
tomber.  Les  jaml)es  sont  faibles  presque  depuis  le  commencement,  mais  c'est 
depuis  quelques  jours  seulement  qu'elle  ne  peut  plus  s'en  servir  du  tout,  et 
qu'elles  sont  tout  ù,  fait  paralysées. 

M.  CiiARcoT.-- Allons,  vous  pouvez  vous  retirer.  Tout  cela  guérira  très  bien  ; 
même  la  paralysie  des  membres  inférieurs.  Yous  en  avez  peut-être  encore 
pour  un  mois.  Ne  vous  tourmentez  pas(l). 


i.  Gcllo  petite  malade  s'est  prrscntéc  de  nouveau  à  la  consultation  le  22  novembre.  c'e3l-à- 
dire  ving-l-trois  jours  après  la  leçon  du  30  octobre.  La  paralysie  des  jambes  a  disparu  depuis  une 
huitaine  de  jours.  L'amélioration  a  ensuite  rapidement  progressé  sur  toute  la  ligne.  On 
observe  cependant  encore  quelques  mouvements  involontaires  dans  les  bras,  les  jambes  et  la 
lôte.  La  parole  est  redevenue  distincte,  peu  de  grimaces.  Il  lui  est  encore  difficile  d'écrire. 
Cependant  elle  réussit  quoique  avec  peine  à  former  à  peu  près  les  premières  lettres  de  son 
nom.  La  force  musculaire  des  membres  inférieurs  est  assez  prononcée  ;  quand  elle  marche  on 
la  voit,  de  temps  à  autre,  lancer  follement  ses  jambes  à  droite  et  à  gauche.  Rien  d'anormal  au 
cœur.  Le  traitement  a  consisté  dans  l'emploi  du  bromure  de  potassium  à  la  dose  de  3  gram  r.es 
par  jour  et  des  préparations  ferrugineuses. 


(22  novembre  f388) 


nip.de  laSoc.de  Typ.— Noizette,8,  r.  Canipagne-lre,  Paris. 


Policlinique  du  Mardi  6  Novembre  1888 


TROISIEME  LEÇON 

1^'  Malade.  —   Intoxication  par  le  sulfure  de  carbone. 
2"""  Malade.  —   Hémiparaplégie   spinale  croisée   (syndrome 

de  Brown-Séquard),  par  lésion  Iraumatique  de  la  moelle 

épinière  dans  sa  moitié  latérale. 


i^'   Malade 


M.  Charcot  :  Vous  avez  sans  doute,  messieurs,  pour  la  plupart  du  moins, 
entendu  parler  de  l'industrie  du  sulfure  de  carbone.  Cette  industrie  comporte 
d'abord  la  préparation  du  sulfure  de  carbone  lui-même  ;  puis  des  industries 
en  quelque  sorte  subordonnées,  parmi  lesquelles  on  peut  citer  par  exemple  la 
fabrication  du  caoutchouc  vulcanisé.  L'hygiène  et  la  clinique  ont  à 
s'occuper  de  ces  industries  en  raison  de  certains  accidents  principalement 
d'ordre  nerveux  auxquels  se  montrent  sujets  les  ouvriers  qui  travaillent  soit  à  la 
préparation  du  sulfure  de  carbone  soit  au  maniement  de  cette  substance,  dans 
les  diverses  industries  connexes.  Le  malade  que  vous  avez  sous  les  yeux 
vous  oftre  justement  un  exemple  du  genre. 

Il  y  a  longtemps  qu'on  a  signalé  pour  la  première  fois  les  accidents  qui 
peuvent  survenir  par  le  fait  de  l'action  du  sulfure  de  carbone  et  parmi  les  au- 
teurs qui  paraissent  avoir  les  premiers  reconnu  ces  accidents,  il  faut  citer 
Duchenne  de  Boulogne  et  Bouchardat. 

Mais  le  premier  travail  approfondi  sur  la  matière  date  de  1856  ;  il  est  de 
Delpech  et  porte  le  titre  suivant  :  Mémoire  sur  les  accidents  que  développent  chez 
les  ouvriers  en  caoutchouc  l'inhalation  du  sulfure  de  carbone  en  vapeur.  Ce 
mémoire  a  été  lu  à  l'Académie  de  Médecine. 

On  peut  dire  que,  dans  l'espèce,  c'est  là  le  travail  initiateur.  Un  nouveau 
travail,  dû  au   même  auteur,    est  destiné  à  compléter  les  précédents  et  à  en 

7 


—  44  — 

asseoir  les  conclusions  sur  des  bases  plus  solides,  il  date  de  1863,  et  il  est 
intitulé  comme  suit  :  Nouvelles  recherches  sur  V intoxication  spéciale  que  déter- 
mine le  sulfure  de  carbone.  Industrie  du  caoutchouc  soufflé. 

Remarquez  combien  cette  fois  le  titre  est  significatif  :  il  est  clair  que  l'auteur 
Toudra  s'attacher  à  démontrer  que  le  sulfure  de  carbone  a  pour  effet  de  dé- 
terminer chez  les  individus,  exposés  aux  vapeurs  qu'il  dégage,  une  intoxication 
se  traduisant  dans  la  clinique  par  des  caractères  vraiment  particuliers  et 
qui  permettront  de  distinguer  l'affection  ainsi  produite,  de  toutes  les 
névroses  toxiques  d'un  autre  ordre. 

Ainsi,  cela  n'est  pas  douteux  pour  Delpech^  c'est  d'une  névropathie  sui 
generis  qu'il  s'agirait  ici  et  qui  pourrait  être  désignée  sous  le  nom  de  névrose 
sulfo-carbonée.  C'est  dans  le  même  sens  qu'ont  conclu  la  plupart  des  auteurs 
qui  ont  suivi  Delpech  dans  la  voie  qu'il  a  tracée.  Tous  s'efforcent  à  l'envi  de 
bien  établir  les  caractères  spéciaux  des  accidents  nerveux  produits  par  l'action 
du  sulfure  de  carbone,  afin  de  les  distinguer  aussi  nettement  que  possible  de 
«eux  qui  relèvent  des  intoxications  saturnines,  alcooliques,  etc.,  etc.  (1). 

Eh  bien,  messieurs,  nous  avons  justement  sous  les  yeux  un  pauvre  homme 
chez  qui  l'affection  nerveuse  dont  il  souffre  actuellement  a  été  évidemment 
développée —  cela  ressortira  pleinement  de  l'analyse  du  cas  —  sous  l'influence 
de  l'action  du  sulfure  de  carbone,  et  nous  allons  être  mis  à  même  par  consé- 
quent d'étudier  l'aflection  dans  tous  ses  détails.  Mais,  messieurs,  je  crois 
devoir  vous  en  prévenir  immédiatement  :  l'analyse  clinique  ne  nous  conduira 
pas  à  trouver  exactement  ce  que  nous  cherchons  ;  c'est  une  affection  nerveuse 
vulgaire,  très  vulgaire  qu'elle  va  mettre  en  évidence  et  nullement  une  névrose 
toxique  spéciale  ;  nous  serons  conduits  par  là  à  nous  demander  si  bon  nombre 
(jes  cas  —  la  plupart  peut-être  —  rattachés  par  Delpech  à  la  prétendue 
névrose  sulfo-carbonée  n'appartiendraient  pas  purement  et  simplement  au 
domaine  très  étendu  d'ailleurs  et  très  vaste  de  cette  névrose  «  vulgaire  »  à 
laquelle  je  faisais  allusion  tout  à  l'heure. 

Notre  malade,  donc,  est  un  homme  de  soixante-trois  ans,  assez  vigoureux 
autrefois.  Mais  depuis  quelque  temps,  il  a  beaucoup  perdu  de  ses  forces  et  de 
son  entrain. 

Les  accidents  qui  l'ont  amené  ici,  datent  cependant  de  six  semaines  ou 
deux  mois  à  peine. 

Quehpies  mots  d'abord  sur  son  passé.  Nous  n'avons  pu  découvrir,  malgré 
toutes  nos  recherches  poussées  dans  cette  direction  aucune  tare  névropa- 
tliique  dans  sa  famille,  qui  compte  prétend-il,  des  centenaires. 

Nous  avons  toute  raison  de  croire,  d'un  autre  côté,  (jue  P...on,  a  toujours 
été  un  homme  sobre,  nullement  porté  aux  excès  alcooliques  ou  autres,  de 
mœurs  simples  et  tranquilles.  Dans  son  enfance,  il  a  vécu  à  la  campagne  où  il 

\.  Voir  en  particulier  B(ui:iet,  Thèse  de  Paris  1885  ;  Sapclier,  Thèse  de  Paris  1885. 


—     4.)    — 

gardait  les  troupeaux.  Il  n'a  jamais  appris  à  lire.  Vous  voyez  que  ce  n'est  pas 
la  culture  intellectuelle  qui  l'a  perdu.  J«.*  parlais  tout  à  l'heure  de  sa  sobriété: 
nous  avons  à  cet  égard  une  garantie  ;  il  y  a  longtemps  qu'il  travaille  dans  les 
usines  où  l'on  fabrique  le  sulfure  de  carbone.  Or,  dans  cette  industrie-là,  sont 
seuls  admis  et  conservés,  les  ouvriers  qui  ne  boivent  pas.  D'ailleurs,  nous  ne 
trouvons  absolument  rien  en  lui  qui  puisse  faire  soupçonner  que  l'alcoolisme 
soit  enjeu.  Exerçant  auparavant  la  profession  de  terrassier,  P. ..on  fréquente 
l'usine  depuis  1872  ;  mais  il  n'y  a  pas  constamment  travaillé.  De  temps  en 
temps,  par  intervalles,  il  est  revenu  —  pendant  le  cours  de  ces  deux  dernières 
années  surtout — à  6on  métier  de  terrassier.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  était  de  nouveau 
attaché  à  l'usine  depuis  plus  de  quatre  mois  et  n'avait  pas  cessé  depuis  lors 
d'y  travailler  régulièrement,  lorsque  le  24  septembre  pendant  qu'il  procédait 
au  nettoyage  d'une  cuve  destinée  à  contenir  le  sulfure  de  carbone,  survint 
l'accident  qui  l'amène  aujourd'hui  devant  nous. 

11  paraît  qu'il  n'est  point  rare  de  voir  survenir  semblables  accidents,  pen- 
dant ce  même  nettoyage  des  cuves  ou  bassins  à  sulfure  de  carbone.  Voici  d'ail- 
leurs ce  qui  s'est  passé  :  tout  à  coup  P...on,  après  avoir  éprouvé  une  sensa- 
tion d'étoufTement  et  ressenti  dans  le  scrotum  comme  «une  chaleur  »,  s'affaise 
sur  lui-même,  sans  pousser  le  moindre  cri,  comme  frappé  d'apoplexie  ;  ses 
camarades  l'ont  cru  asphyxié  ;  ils  assurent  que  pendant  la  durée  de  la  perte 
de  connaissance,  qui  a  été  d'une  demi-heure  environ,  il  ne  s'est  pas  produit 
de  convulsions.  Enfin,  il  revint  à  lui  et  l'on  put  le  ramener  chez  lui  à  pied, 
tout  confus,  tout  ébaubi.  11  est  resté  dans  sa  chambre  pendant  deux  jours,  et 
durant  ces  jours-là,  il  ne  sait  pas  trop  ce  qui  s'est  passé  ;  mais  le  troisième 
jour,  il  ressentit  dans  le  membre  supérieur  droit  de  forts  engourdissements, 
et  le  lendemain  au  réveil  il  y  avait  dans  ce  même  membre  une  paralysie  très 
accentuée.  Le  même  jour,  le  membre  supérieur  correspondant  se  prit  à  son 
tour  de  la  même  façon,  mais  d'une  manière  beaucoup  moins  prononcée,  car 
toujours  P...on  a  pu  continuer  à  marcher  tant  bien  que  mal. 

Ce  fut  alors  que  notre  malade  se  présenta  à  la  Pitié,  où  il  fut  admis  le 
28  septembre  dans  le  service  de  M.  le  D'"  Ilutinel,  dirigé  à  ce  moment-là  par 
M.  le  D'  Marie  qui  eut  Tobligeance  de  nous  l'adresser  quelques  jours  après.  Eh 
bien,  messieurs,  cette  hémiplégie  survenue  rapidement  après  une  attaque 
apoplectiforme  a  été  la  première  révélation  de  l'affection  nerveuse  dont  il 
s'agit  de  déterminer  maintenant  les  caractères  nosographiques. 

Vous  trouverez  dans  les  mémoires  de  Delpech  et  dans  ceux  de  ses  succes- 
seurs, plusieurs  observations  d'hémiplégie  à  début  brusque  ou  rapide  attri- 
bués à  l'intluence  de  l'intoxication  sulfo-carbonée.  Mais  ces  observations-là 
datent  déjà  de  quelques  années,  et  aujourd'hui  le  neuropathologiste  a  le 
droit  de  se  montrer  plus  difficile  qu'autrefois  à  l'égard  de  la  description  d'une 
hémiplégie.  Il  ne  suffirait  pas  actuellement  de  parler  sommairement  d'une 
paralysie  plus  ou  moins  intense,  survenue  plus  ou  moins  subitement  dans  un 


-  46   -- 

ou  plusieurs  membres.  Il  s'agit  encore  de  rechercher  avec  minutie  la  présence 
d'une  série  de  caractères  cliniques  concomitants  de  l'impuissance  motrice,  qui 
seuls  pourront  permettre  de  déterminer  nosographiquement  l'afiection.  Mal- 
heureusement, ces  détails  ne  se  rencontrent  pas,  tant  s'en  faut,  toujours  dans 
les  observations  d'hémiplégie  sulfo-carbonée  ;  parfois  cependant,  les  descrip- 
tions en  sont  suffisamment  explicites  pour  qu'il  soit  permis  de  rapprocher  ces 
faits  anciens  du  fait  nouveau  qui  s'offre  à  nous  présentement  et  dont  nous 
allons  tâcher  de  préciser  les  caractères. 

Mais  avant  de  procéder  à  notie  démonstration,  je  tiens  à  déclarer  que  c'est 
à  l'obligeance  de  mon  collègue  des  hôpitaux,  M.  Marie,  que  je  dois  de  pouvoir 
vous  présenter  aujourd'hui  cet  ir^téressant  malade  et,  qu'en  outre,  la  plupart 
des  détails  que  nous  allons  vous  développer  à  son  sujet  sont  empruntés  à  une 
note  que  M.  Marie  va  lire  dans  quelques  jours  à  la  Société  médicale  des  Hôpi- 
taux (1). 

Si  donc  vous  trouvez  quelque  intérêt  à  notre  démonstration  d'aujourd'hui, 
veuillez  ne  pas  oublier,  je  vous  prie,  que  c'est  surtout  à  mon  collègue  qu'il  fau- 
dra le  rapporter. 

Je  vais  prier  notre  malade  de  se  lever  et  de  faire  quelques  pas  devant  vous. 
Rappelez-vous  que  l'hémiplégie  chez  lui  date  de  six  semaines  déjà.  Remar- 
quez qu'en  marcliant,  notre  malade  traîne  après  lui  son  membre  inférieur 
parésié,  comme  s'il  s'agissait  d'un  corps  inerte,  conformément  à  la  fameuse 
description  de  Todd,  que  je  vous  ai  rappelée  si  souvent.  Oui,  remarquez-le 
bien,  le  membre  parésié  ne  cesse  de  reposer  sur  le  sol  où  il  traîne,  le  ma- 
lade ne  fait  aucun  eftort  pour  l'élever  à  chaque  pas  ;  il  n'y  a  pas  trace  d'une 
esquisse  de  ce  mouvement  de  circumduction  qui  ne  manque  guère  d'exister 
dans  une  hémiplégie  ancienne  de  cause  organi([ue.  C'est  là  un  détail  qui  n'é- 
chappera pas,  certainement,  à  ceux  d'entre  vous  qui  sont  au  courant  déjà  des 
questions  de  ce  genre  et  ils  ne  manqueront  pas  d'en  faire  leur  profit. 

Considérons  maintenant  le  membre  supérieur  gauche  :  il  est  pendant,  sans 
rigidité,  très  affaibli,  mais  cependant  est  un  peu  déformé  par  ce  fait  que  les 
doigts  sont  tous  rigides,  étendus  en  masse  de  façon  à  faire  un  angle  droit  avec 
la  paume  de  la  main  ;  il  y  a  là  vraiment  contracture  spasmodique,  car  on 
éprouve  une  résistance  élastique  lorsqu'on  veut  mouvoir  les  doigts  aussi  bien 
du  côté  de  la  llexion  que  du  côté  de  l'extension.  Oui,  il  y  a  ici  une  rigidité 
spasmodique,  mais  certes  ce  n'est  pas  là  l'attitude  des  doigts  en  crochet  que 
l'on  observe  dans  les  hémiplégies  de  cause  organique  suivies  de  contracture, 
et  celte  circonstance  déjà  est  bien  faite  pour  éveiller  l'attenlion  du  connais- 
seur. La  pression  dynamométrique  donne  pour  la  main  gauche  parésiée 
Il  kilos,  tandis  qu'elle  donne  60  kilos  pour  la  droite.  D'ailleurs,  pas  d'exalta- 

1.  Svlfuvede  (uwbone  et  ni/sterie,  coinm.  à  la  Société  médicale  des  Hôpitaux,  9  novembre 
1888,  Gaz.  heb(loin.,2^  novembre  1S88. 


—  Al  — 

tion  (les  réflexes  soit  aux  membres  supérieurs,  soit  aux  inférieuis.  Nous  voilà 
déjà,  par  de  certains  indices,  conduits  à  supposer  que  ce  n'est  pas  ici  de  l'hé- 
miplégie vulgaire  de  cause  organique  qu'il  s'agit  et  cette  première  impression 
se  trouvera  confirmée  par  tout  ce  qui  va  suivre. 
Le  premier  fait  que  nous  relevons  maintenant,  c'est  que  la  sensibilité  cuta- 


Fig.  13. 
Hémiplégie  chez  un  homme  intoxiqué  par  \o  sulfure  de  carbone. 

née  est  profondément  atteinte  sur  toute  l'étendue  du  membre  supérieur  para- 
lysé, et  également  sur  toute  l'étendue  du  membre  inférieur  correspondant 
(Fig.  13.)  Vous  savez  que  cette  circonstance  est   fort  rare  dans  l'hémiplégie 


—  48  — 

vulo'aire  ;  on  ne  la  rencontre  guère  dans  Tespècé,  que  lorsqu'il  s'agit  d'une 
lésion  de  la  partie  postérieure  de  la  capsule  interne  et  encore  dans  ce  cas  la 
sensibilité  n'est  à  peu  près  jamais  atteinte  au  degré  que  nous  constatons 
chez  notre  homme. 

Nous  relèverons  de  plus  chez  lui,  un  contraste  remarquable  entre  la  sensi- 
bilité cutanée  qui  est,  comme  nous  le  disons,  très  profondément  affectée,  et 
le  mouvement  qui  lui,  au  contraire,  n'est  pas  complètement  aboli  ;  et  c'est  là 
encore  un  fait  qui  n'appartient  pas  aux  hémiplégies  de  cause  organique. 

Ajoutons  que  ce  n'est  pas  seulement  sur  les  membres  paralysés  qu'est 
répandue  l'anesthésie,  mais  encore  sur  toute  la  moitié  gauche  du  tronc,  en 
avant,  en  arrière  et  sur  la  moitié  de  la  tête  et  de  la  face  ;  que  cette  anesthésie 
n'occupé  pas  uniquement  la  peau,  qu'elle  s'étend  encore  aux  parties  profon- 
des. Ainsi  les  articulations  peuvent  être  soumises  aux  mouvements  de  trac- 
tion ou  de  torsion  les  plus  énergiques  sans  que  le  malade  ait  notion  de  cê 
qu'on  lui  fait.  Il  ignore  aussi  si  l'on  déplace  ses  membres  et  ne  peut  déter- 
miner la  position  qu'on  leur  donne,  ou  pour  le  moins  n'a  sur  ces  divers  points 
que  des  notions  extrêmement  vagues. 

A  ces  traits,  ceux  d'entre  vous  qui  sont  experts  dans  la  matière  n'ont  pas 
manqué  de  reconnaître  qu'il  s'agit  ici  d'hémiplégie  hystérique.  Est-ce  donc 
que  cet  homme  à  la  barbe  inculte,  portant  la  marque  d'une  sénilité  précoce, 
affaissé,  morne,  prostré,  serait  vraiment  un  hystérique  ?  Cela  ne  saurait 
étonner  parmi  vous  que  les  nouveaux  venus.  Les  autres  savent  ce  qu'il  en  est 
de  l'hystérie  de  l'homme  et  sous  quel  aspect  elle  se  présente  à  chaque  pas 
dans  nos  hôpitaux,  depuis  qu'on  a  appris  à  la  connaître.  Déjà  même  plusieurs 
de  nos  auditeurs  se  sont  demandé,  sans  doute,  chemin  faisant,  s'il  n'en  serait 
pas  de  même  du  sulfure  de  carbone  que  du  saturnisme,  de  l'alcoolisme,  voire 
même  du  traumatisme,  tous  agents  'provocateurs  de  J'hystérie. 

Ce  sont  là  des  questions  qui  devront  nous  occuper  tout  à  l'heure.  Au  préa- 
lable, nous  devons  nous  appliquer  encore  à  bien  établir  chez  notre  homme 
le  diagnostic  hystérie. 

Nous  ne  reviendrons  pas  sur  les  symptômes  signalés  jusqu'ici  :  hémianes- 
thésie  sensitive  cutanée  et  profonde  totale,  parésie  concomitante  des  membres 
supérieurs  et  inférieurs  avec  perte  du  sens  musculaire,  absence  de  rigidité  et 
d'exaltation  des  réflexes,  alors  que  rhémiph'gie  date  de  plus  d'un  mois,  etc., 
ces  phénomènes  sont  déjà  par  eux-mêmes  suffisamment  significatifs  ;  mais 
nous  pouvons  allonger  la  série. 

Relevons  en  premier  lieu  la  non-participation  du  facial  inférieur  à  l'hémi- 
plégie motrice,  de  telle  sorte  qu'il  ne  s'agit  pas  chez  notre  homme  d'hémiplé- 
gie proprement  dite,  mais  bien  de  monoplégies  associées.  Après  tous  lesdéve- 
loppements  dans  lesquels  je  suis  entré  l'an  passé  à  propos  de  la  non-partici- 
pation de  la  face  à  l'hémiplégie  hystérique,  je  crois  inutile  d'entrer  à  propos 
du  cas  d'aujourd'hui,  dans  de  nouveaux  développements  sur  ce  sujet.  Certes, 


—  49  — 

il  (3xiste  chez  notre  homme  une  K'gère  déviation  de  la  commissure  labiale 
droite  (côté  paralysé),  en  bas  et  vers  la  droite;  vous  ne  considérerez  pas  cette 
déviation  comme  l'indice  d'une  paralysie  du  facial  inférieur,  si  vous  relevez 
avec  soin  l'existence  facilement  appréciable  chez  notre  sujet  de  petites 
secousses  convulsives  qui  soulèvent  de  temps  en  temps  brusquement  la  lèvre 
supérieure  droite,  et  aussi  de  secousses  du  même  genre  qu'on  voit  se  dessiner 
par  moments  sur  le  côté  droit  du  menton  et  de  la  lèvre  inférieure. 

C'est,  vous  l'avez  compris,  l'hémispasme  facial  et  non  pas  la  paralysie  faciale 
qui  est  ici  en  jeu,  et  cette  constatation  qui  vient  corroborer  le  diagnostic  hys- 
térie, trouve  son  complément  lorsqu'on  fait  tirer  la  langue  au  malade.  Cet 
organe  en  effet  prend  alors  cette  forme  de  crochet  à  concavité  dirigée  vers  le 
côté  paralysé  sur  laquelle  j'ai  maintes  fois  insisté  dans  ma  description  du 
spasme  glosso-labié  des  hystériques. 

Chose  remarquable,  vous  trouverez  les  caractères  du  spasme  glosso-labié 
en  question  parfaitement  indiqués  dans  plusieurs  observations  d'intoxication 


ms 


Fig.  14. 


parle  sulfure  de  carbone,  en  particulier  dans  deux  observations  de  M.  Del- 
pech.  Mais,  naturellement,  dans  ces  cas,  la  nature  hystérique  du  spasme  n'a 
pas  même  été  soupçonnée.  Au  spasme  glosso-labié  nous  devons  ajouter  encore 
d'autres  stigmates  également  caractéristiques  en  premier  lieu  ;  il  y  a  rétrécis- 
sement permanent  très  prononcé  du  champ  visuel  à  droite,  côté  de  la  para- 
lysie motrice,  tandis  qu'à  gauche,  le  champ  visuel  est  normal. 

Remarquez  cette  circonstance  du  rétrécissement  portant  exclusivement  sur 


—  50  — 

l'un  des  yeux,  l'autre  restant  parfaitement  indemne,  parce  que  c'est  là  une 
circonstance  relativement  rare. 

J'ai  dit  tout  à  l'heure  rétrécissement  permanent ,  parce  que  les  rétrécissements 
de  ce  genre  seuls  sont  caractéristiques  de  l'hystérie  dans  certaines  affections, 
en  effet,  comme  dans  l'épilepsie  par  exemple  :  après  Tattaque  le  même  rétré- 
cissement concentrique  peut  se  présenter,  —  à  la  vérité  toujours  d'une  façon 
temporaire.  Pas  de  dyschromatopsie,  mais  diplopie  monoculaire  très  pronon- 
cée; pharynx  insensible;  ouïe  à  droite  très  afïaiblie;  goût  nul  du  côté  droit  de 
la  langue. 

Voilà  toute  la  série  des  stigmates  classiques  qui  se  déroule  devant  nos  yeux, 
et  après  cela  il  n'est  pas  nécessaire,  pour  affirmer  le  diagnostic  hystérie,  de 
chercher  ailleurs. 

\  Sans  doute  notre  homme  n'a  pas  d'attaques  convulsives  ;  on  ne  rencontre  pas 
chez  lui  de  plaques  hystérogènes,  hyperesthésiques.  Mais  vous  savez  que  ces 
phénomènes-là  ne  [sont  nullement  nécessaires  à  la  constitution  de  la  maladie 
hystérique,  et  à  leur  défaut,  nous  avons  relevé  assez  de  signes  caractéristiques 
pour  nous  permettre  de  conclure  en  toute  assurance. 

Un  mot  maintenant-sur  l'état  mental  de  notre  malade.  Si  je  n'admets  pas 
que  l'hystérie  puisse  être  démembrée  et  qu'il  soit  permis  de  reconnaître  autant 
d'hystéries  distinctes  et  nosographiquement  séparées  qu'il  y  a  de  causes  capa- 
bles de  provoquer  le  développement  de  l'aftection,  j'admets  cependant  natu- 
rellement dans  l'hystérie,  espèce  une  et  indivisible,  des  variétés,  des  [formes  ; 
cela  est  élémentaire.  L'ivresse  produit,  par  l'emploi  de  la  même  substance, 
prise  aux  mêmes  doses,  des  effets  fort  différents  chez  les  différents  sujets. 
Celui-ci  devient  expansif  et  abonde  en  traits  d'esprit  qu'on  ne  lui  connaît 
pas  au  même  degré  dans  les  conditions  ordinaires,  tandis  que  celui-là  reste 
concentré,  muet,  abattu  et  stupide.  On  ne  cesse  de  répéter  aux  cliniciens 
commençants  que  la  pneumonie  de  Pierre  n'est  pas  la  pneumonie  de  Jacques, 
et  cela  doit  être  en  effet  pour  lui  matière  de  bréviaire.  Pourquoi  l'hystérie 
échapperait-elle  à  la  règle  ?  De  fait  elle  n'y  échappe  point  et,  relativement  au 
côté  psychique,  j'ai  fait  remarquer  bien  des  fois  déjà  qu'il  ne  faut  pas  s'at- 
tendre à  rencontrer  chez  l'homme,  ce  brio  morbide,  fréquent  en  réalité  chez 
la  femme,  mais  dont  quelques  auteurs  font,  bien  à  tort,  un  caractère  constant 
de  la  névrose  hystérique.  Les  hommes  hystériques  de  la  classe  ouvrière,  qui, 
ainsi  que  le  fait  remarquer  avec  raison  M.  Marie,  encombrent  aujourd'hui  les 
services  hospitaliers  de  Paris,  sont  à  peu  près  toujours  des  gens  sombres, 
mélancoliques,  déprimés,  découragés,  et  justement  le  pauvre  hère  que  nous 
avons  sous  les  yeux  présente,  ainsi  que  je  vous  l'ai  fait  remarquer  il  y  a  un 
instant,  toutes  ces  apparences-là.  Le  voilà  timide,  sombre,  comme  désemparé 
et  remarquez-le  bieU;  cette  prostration  ps}  chique  date  exactement  de  l'acci- 
dent survenu  dans  la  cuve  au  sulfure  de  carbone.  Autrefois  notre  homme 
n'était  pas  gai  à  proprement  parler,  mais  il  supportait  les  choses  de  la  vie  sans 


—  si- 
se plaindre  et  apportait  même  dans  la  lutte  un  certain  entrain,  \ujourdhui  le 
tableau  s'est  considérablement  .issombri,  le  pauvre  diable  se  trouve  tout 
changé  ;  il  a  la  persuasion  qu'il  n'est  bon  à  rien  et  se  laisse  allf-r  à  un  décou- 
ragement profond.  Je  me  réserve  de  vous  montrer  ailleurs  ([ue  celles  des  posi- 
tions d'esprit  des  hystériques  mâles  tient  certainement,  en  partie  du  moins,  à 
ce  que,  chez  eux,  la  neurasthénie  se  montre  presque  toujours  associée  en 
proportions  diverses  à  la  névrose  hystérique. 

Quoi  qu'il  en  soit,  je  le  répète,  ces  conditions  de  dépression  mentale  vous  les 
retrouverez  fréquemment  chez  l'homme  hystérique  ;  chez  lui  également,  vous 
aurez  l'occasion  de  constater  en  outre  une  tendance  à  subir  des  rêves  terrifiants. 
Cette  tendance-là  est  fort  prononcée  chez  notre  malade  d'aujourd'hui  ;  souvent, 
en  effet, fort  souvent, presque  toutes  les  nuits  depuis  l'accident  de  la  cuve, il  est 
poursuivi  par  des  loups,  des  lions,  des  animaux  fantastiques  et  terribles  ;  ce 
matin  même  il  nous  a  conté  que  la  nuit  dernière  il  s'était  trouvé  tout  à  coup 
entouré  d'eau  de  tous  côtés.  L'eau  montait,montait  toujours, et  allait  couvrir  la 
montagne  ou  il  s'était  réfugié,  lorsqu'il  se  réveilla  dans  un  état  d'anxiété  des 
plus  pénibles.  Si  j'insiste  une  fois  de  plus  sur  les  modifications  psychiques  fré- 
quentes à  observer  chez  l'hystérique  mâle  et  très  accentué  en  particulier  chez 
le  malade  d'aujourd'hui,  c'est  qu'on  a  voulu  les  considérer  comme  appartenant 
à  la  prétendue  névrose  ti^aumatlque  et  constituant  même  pour  elle  un  carac- 
tère qui  la  séparerait  de  l'hystérie. 

Evidemment,  c'est  là  une  erreur. 

Ces  mêmes  caractères  appartiennent  bien  et  dûment  à  l'hystérie  virile  et  ils 
s'y  observent  non  seulement  lorsque  la  maladie  relève  d'un  traumatisme  ou 
d'un  choc  nerveux,  mais  lorsqu'elle  s'est  développée  en  conséquence  de 
l'action  d'une  cause  toxique,  saturnine  (sulfo-carbonée)  ou,  pour  tout  dire, 
sous  l'influence  d'une  cause  déterminante  quelcon([uc.  Cet  état  mental  parti- 
culier sur  lequel  je  viens  d'ijisister  n'est  donc  pas  l'apanage^,  la  marque  d'une 
hystérie  spéciale,  elle  peut  se  rencontrer  dans  toutes  les  formes  de  l'hystérie. 

Après  avoir  montré  que  tous  les  accidents  nerveux  relevés  chez  notre 
homme  appartiennent  sans  exception  à  l'hystérie,  plus  ou  moins  mtM(''e  à  la 
neurasthénie,  irons-nous  prétendre  que  c'est  l'hystérie  encore  qui  a  été  en  jeu 
dans  toutes  les  observations  publiées  par  Delpech  et  autres,  comme  exemple 
d'intoxication  spéciale  sulfo-carbonée  ?  Ce  serait  là,  je  pense,  généraliser 
beaucoup  trop  vite.  Sans  doute,  la  lecture  de  ces  observations  nous  révèle 
à  chaque  instant  l'existence  de  phénomènes  qui  relèvent  très  certainement 
de  la  névrose  hystérique  ;  tels  sont  les  cas  dans  lesquels  se  trouvent  signalés 
expressément  le  spasme  glosso-labié,  les  étouft'ements,  la  boule,  les  sensations 
particulières  dans. les  parties  sexuelles,  des  contractures,  des  anesthésies 
ou  des  hypéresthésies,  des  crises  enfin  dont  la  description  rappelle  exaete- 
inent  celle  des  crises  hystériques  épileptoïdes  dont  plusieurs  avec  arc  de  cercle. 
Evidemment,  ces   observations-là  se  rapportent  à  l'hystérie  et  il  faut  en  con- 

8 


—  oc- 
clure, car  les  observations  de  ce  groupe  sont  fréquentes,  que  dans  la  plu- 
part des  cas  l'hystérie  a  été  vue  par  les  auteurs  qui  ont  écrit  sur  l'intoxication 
sulfo-carbonée,  par  fragments,  sans  être  reconnue  par  eux  pour  ce  qu'elle  est. 
L'hystérie  serait  donc  d'après  cela  TafTection  qui  se  développe  le  plus  fréquem- 
ment en  conséquence  de  l'action  des  vapeurs  de  sulfure  do  carbone  ;  il  faudra 
à  l'avenir  pour  savoir  exactement  ce  qu'il  en  est,  réellement  examiner  les 
choses  de  plus  près  qu'on  ne  l'avait  fait  jusqu'ici  et  songer  à  l'hystérie.  Mais, 
dès  aujourd'hui,  on  peutaffirmor  que  toutes  les  observations, passées  ou  fu- 
tures, ne  se  prêteront  pas  à  cette  interprétation  exclusive.  En  effet,  parmi  les 
observations  de  Delpech  et  de  ses  successeurs  il  en  est  plusieurs  où  certaine- 
ment ce  n'est  pas  l'hystérie  qui  est  enjeu.  Je  citerai  comme  exemples  du  genre 
les  cas  où  les  malades  éprouvaient  dans  les  membres  des  douleurs  vives  et  sou- 
daines, en  même  temps  qu'ils  marchaient  d'une  façon  incoordonnée. 

Ces  malades-là  ont  été  considérés  quelquefois  comme  des  ataxiques  (alaxie 
sulfo-carbonée)  ;  il  est  l)ien  plus  vraisemblable  qu'il  s'agit  ici  de  névrites- 
périphériques  analogues  à  celles,  qu'on  sait  relever  de  diverses  intoxications^ 
alcoolisme,  béribéri,  etc.,  etc.,  et  que  l'incoordination  motrice  de  ces  malades, 
si  l'on  y  eût  regardé  de  près,  eût  présenté  les  caractères,  non  pas  de  la 
démarche  tabétique,  mais  bien  ceux  de  la  démarche  du  sfeppeur,  comme  nous 
avons  coutume  de  l^appeler.  En  tout  cas  bien  évidemment,  ces  cas-là  ne  se 
rapportent  pas  à  l'hystérie.  Car  si  l'hystérie  est  capable  de  simuler  une  foule 
d'états  morbides  qui  lui  sont  étrangers,  il  en  est  d'autres,  contrairement  à  l'opi- 
nion de  certains,  qu'elle  ne  saurait  simuler  jamais  devant  un  observateur 
attentif. 

En  résumé  donc,  il  existe  vraisemblablement  des  affections  du  système 
nerveux  relevant  directement  de  Faction  des  vapeurs  du  sulfure  de  carbone 
etqui  mériteraient  de  porter  le  nom  à." affections  nerveuses  sulfo-carbonécs, 

11  faudra  s'appliquer,  à  l'avenir,  à  décrire  ces  affections  plus  minutieuse- 
ment qu'on  ne  l'a  fait  jusqu'ici,  et  s'attacher  surtout  à  les  bien  distinguer  des 
symptômes  hystériques  qui  se  développent  dans  des  circonstances  analogues 
et  pourront  sans  doute  parfois  se  trouver  entremêlés  avec  elles.  C'est  ainsi 
que,  dans  la  pathologie  des  phénomènes  nerveux  saturnins  et  alcooliques, 
il  faut  savoir  distinguer  ce  qui  appartient  à  l'hystérie  provoquée  par  l'in- 
toxication, des  accidents  nerveux  relevant  directement  de  l'intoxication, 
et  qui,  lui  appartenant  en  propre,  méritent  seuls  de  porter  \q  nom  d'jicci- 
donts  nerveux  toxiques. 

Maintenant  que  notre  malade  s'est  retiré,  disons  un  mot  sur  le  })ronostic  et 
sur  le  traitement.  Pronostic  sérieux,  cela  paraît  être  la  règle  dans  l'hystérie 
mfde  des  adultes.  Le  malade  guérira  difficilement  s'il  giuirit  :  en  tous  cas, 
cela  durera  certainement  plusieurs  mois,  plusieurs  années  [)eut-être,  quoi- 
qu'on fasse.  Le  sujet  n'est  pas  hypnotisable.  —  Où  va-t-on  chercher  que  tout 
le  monde, les  sains  comme  les  malades, peuvent  être  hypnotisés  ?  —  Donc  il  ne 


0*1      

pourra  pas  Ix-iiéficier  dos  ullets  de  la  suggestion  liy[)notuiue.  Mais  la  sugges- 
tion à  l'état  de  veilliî  pourra  être  efficace  en  ce  qui'  cfjncerne  la  paralysie,  sui- 
vant la  méthode  dont  je  vous  ai  donné  les  règles  dans  une  leçon  de  l'an  passé. 
Kn  dehors  de  cela  l'hydrothérapie,  les  toniques,  les  reconstituants  seront 
de  mise.  Il  va  de  soi  enfin,  qu'il  conviendra  (l'engager  notre  pauvre  malade  à 
renoncer  aux  usines  ou  l'on  fabrique  le  sulfure  de  carbone  ;  mieux  vaudra 
pour  lui,  si  les  forces  lui  reviennent, rei)rendre  son  métier  de  terrassier. 


2^  Malade. 


M.  CiiARCOT  :  Le  second  malade  sur  lequel  je  viens  aujourd'hui  appeler  votre 
attention  est  un  jeune  homme  nommé  Ch...ey,  âgé  de  vingt-quatre  ans,  exer- 
çant la  profession  de  couvreur.  Il  est  élancé,  fluet,  comme  vous  voyez,  d'une 
figure  plutôt  agréable  et  d'allure  quelque  peu  féminine. 

Cependant, de  très  bonne  heure,  il  a  été  attiré  vers  l'autre  sexe,  et  c'est  jus- 
tement dans  une  affaire  de  femme  qu'il  est  devenu  victime  de  l'accident,  ou 
mieux  de  l'attentat,  dont  nous  allons,  dans  un  instant,  reconnaître  les  consé- 
quences encore  très  accentuées,  malgré  les  atténuations  ({ue  le  temps  y  a 
aj)portées. 

L'événement  auquel  je  fais  allusion  marque  dans  sa  vie,  et  il  a  voulu  en 
consacrer  le  souvenir  sanglant  par  une  inscription  obtenue  par  le  procédé  du 
tatouage,  qu'on  lit  sur  la  partie  supérieure  et  interne  de  son  avant-bras  gau- 
che: «Mort  aux  femmesinfidèles.  »  G'estaux infidèles,  auxinfidèles  seulement  que 
la  menace  s'adresse  et  à  cet  égard  par  conséquent  il  se  montre  moins  pessi- 
miste que  le  grand  poète  qui,  lui,  pèche  peut-être  par  excès  de  généralisation 
lorsqu'il  dit  de  la  femme,  quelle  est  perfide  comme  l'onde:  «  false  like  water.  » 

Mais  ce  n'est  ni  le  cas  ni  le  lieu  d'entrer  ici  dans  une  discussion  scabreuse 
et  j'en  reviens  aux  circonstances  de  l'accident  déjà  signalé. 

Donc,  notre  homme,  qui  alors  comptait  seize  ans  à  peine,  —  c'était  le 
12  mars  1880,  —  il  était  bien  jeune  encore,  vous  l'avouerez  pour  courir  les 
femmes, —  se  prit  une  nuit  de  querelle  avec  des  «  Italiens  » .  Les  agresseurs  étaient- 
ils  bien  des  «  Italiens  »,  comme  il  le  prétend  ?  Je  l'ignore,  et  peu  importe  du 
reste.  Quoi  qu'il  en  soit, Ch....ey  fut  frappé  par  derrière,  et  reçut  dans  la  partie 
supérieure  du  tronc,  à  la  base  du  cou,  un  coup  de  couteau  cpii  parait  avoir 
pénétré  profondément.  Vous  pouvez  encore  reconnaître  parfaitement  vers  les 
deuxième  et  troisième  vertèbres  dorsales,  à  un  ou  deux  centimètres  à  droite 
des  apophyses  épineuses,  la  cicatrice  presque  verticale,  longue  de  3  centi- 
mètres environ  qui  marque  encoi-e  le  lieu  où  l'arme  est  entrée. 

Messieurs,  vous  n'ignorez  sans  doute  pas,  au  moins  d'une  façon  sommaire, 
l'histoire  chirurgicale  des  plaies  de  la  moelle  épinière  qui  se  produisent  dans 


—  54  — 

les  conditions  semblables  à  celles  que  nous  venons  d'indiquer  à  propos  de 
de  l'accident  dont  notre  malade  a  été  victime.  Un  homme  présente  le  tronc 
incliné  en  avant,  l'agresseur  le  frappe  par  derrière  vers  la  partie  médiane  tantôt 
et  le  plus  souvent  au  niveau  de  la  troisième  ou  la  quatrième  vertèbre  dorsale 
(cas  de  Miiller,  cas  de  Jofïroy  et  Salmon),  rarement  plus  bas  vers  la  région 
dorso-ombaire  (cas  de  Viguès).  L'arme  pénètre  entre  les  lames  vertébrales,  non 
sans  doute  sans  effraction,  et,  chose  remarquable  en  raison  de  certaines  com- 
binaisons sur  lesquelles  je  ne  puis  m'étendre,  la  moelle  épinière  subit,  le  plus 
souvent,  à  c6  qu'il  semble,  une  section  hémilatéraie  du  côté  opposé  à  celui  où 
l'arme  a  traversé  la  peau,  quelquefois  fort  régulière,  et  qui  ferait  presque  envie 
à  un  expérimentateur  (1). 


Cas  de  Millier. 

a.  Le  couteau. 

b.  La  moelle  épiuièi'C. 

c.  Corps  vertébral. 

d.  Apophyse  épineuse. 


Fig,  15. 


Cas  de  Millier. 

Hémisection  gauche  de  la 
moelle  épinière. 


Chez  notre  homme  le  coup  de  couteau  a  frappé  à  droite  de  Tépine,  et  c'est, 
ainsi  que  Ton  en  pourra  juger  d'après  la  symptomatologie  qui  va  se  dérouler 
devant  nous,  sur  la  moitié  latérale  droite  de  la  moelle  épinière  que  la  lésion 
a  porté. 

Vout  n'ignorez  pas,  très  certainement^  que  les  lésions  de  ce  genre  sont 
graves  au  premier  chef.  Je  vois  dans  les  observations  du  groupe  que  j'ai  par- 
courues, que  les  sujets  ainsi  frappés  meurent  huit  jours  quinze  jours,  au  plu$. 
après  l'accident  (2). 

Or,  vous  voyez  ([ue  notre  malade  a  eu  de  la  chance  puisqu'il  a   échappé  à 


4.  Voy.  W.  Millier  Beitraqe  zur  Patholog.  Anatoinie  mid  Physiologie  des  Menschlicheu 
MckennHirke.  Leipzig.  1871.  T.  I,  lig.  1  et  2.' 

?.  Voir  Charcot,  Leçons  sur  les  maladies  du  si/slème  îierveux,  t.  I,  p.  103  et  l.  H. p.  132.  — 
Là  se  trouvent  résumées  les  observations  de  JofTroy  et  Salmon  et  colles  de  Viguès. 


—  55  — 

ce  qui  parait  êtio  la  rè^ie.  Ceci  et  certains  détails  de  i'<dj.st;rvation  me  porte 
à  émettre  ici  une  hypothèse  que  nous  essaierons  de  h'-gitimer  tout  à  l'heure! 
C'est  que  chez  lui,  il  n'y  a  pas  eu  section  hémilatérale  gauche  complète,  mais 
seulement  piqûre  ;  l'arme  avait  pénétré  sans  doute  au  sein  de  la  moitié  gauche 
spinale,  mais  seuleniont  par  la  pointe;  et  si,  à  l'origine,  les  symptômes,  comme 
vous  l'allez  voir,  ont  été  ceux  qui  se  rapportent  à  une  section  hémilatérale, 
c'est  que  rapidement  se  serait  produit  autour  de  la  solution  de  continuité  un 
processus  inflammatoire  limité,  véritable  myélite  transverse  hémilatérale 
gauche,  équivalant  quant  à  la  forme  paraph'gique  produite,  à  une  section 
véritable.  Mais,  me  direz-vous,  dans  un  instant,  lorscpie  je  vous  exposerai 
l'évolution  des  phénomènes  paraplégiques,  les  symptômes  spinaux  ont  été 
immédiatement  portés  au  maximum  avec  tous  leurs  caractères  particuliers  et 
Ton  peut  penser  qu'un  procossus  inflammatoire  consécutif  nécessite  pour  se 
constituer  un  temps  plus  ou  moins  long?  —  Celaest  vrai,  mais  à  cette  objection 
je  répondrai  par  avance  que  suivant  une  fort  importante  remarque  de  Brown- 
Séquard  dans  ces  lésions  hémilatérales  de  la  moelle  épinière,  une  simple 
piqûre  portant  sur  une  des  moitiés  de  l'organe,  équivaut,  pour  ce  qui  est  des 
effets  immédiatement  observés,  à  une  hémisection  complète  ;  seulement,  bien 
entendu,  les  effets  de  la  piqûre  sont  en  général  transitoires,  tandis  que  ceux 
de  la  section  sont  permanents  ;  il  y  aurait  donc  lieu  d'admettre  que,  chez  notre 
malade,  dans  les  premières  heures  ou  jours  après  l'accident,  les  symptômes 
ont  relevé  de  la  seule  piqûre,  tandis  que  plus  tard  ils  doivent  être  rattachés  à 
Thémimy élite  développée  consécutivement  au  traumatisme. 

Cette  même  hypothèse  dont  nous  allons  tout  à  l'heure  chercher  la  justifica- 
tion dans  l'histoire  clinique  de  notre  malade,  expliquera  de  plus  comment, 
par  suite  de  la  rétrocession  des  phénomènes  d'irritation  consécutive,  le 
malade  a  pu  survivre  et  même  guérir,  du  moins  partiellement. 

Il  est  intéressant  de  recueillir  de  la  bouche  du  malade  des  renseignements 
relatifs  aux  premiers  effets  de  la  blessure  ;  il  nous  apprend  qu'il  est  resté  tout 
d'abord  pendant  un  temps  assez  long,  parfaitement  conscient  et  nous  n'avons 
aucune  bonne  raison  de  douter  de  sa  sincérité  ou  de  la  fidélité  de  sa  mémoire. 

«  Je  ne  me  suis  pas  aperçUj,nous  a-t-il  dit  vingt  fois,  que  j'avais  reçu  un 
coup  de  couteau  dans  le  dos.  Seulement  je  suis  tombé  tout  à  coup  ;  c'est  ma 
jambe  gauche  qui  s'est  dérobée  sous  moi.  Il  m'a  semblé  que  cette  jambe  était 
cassée,  brisée,  qu'elle  ne  m'appartenait  plus.  On  m'a  aidé  à  me  relever  et  j'ai 
essayé  de  me  tenir  debout.  Mais  ma  jambe  gauche  s'y  est  refusée  et  je  me  suis 
affaissé  de  nouveau.  > 

D'après  ce  récit  donc,  que  nous  avons  toute  raison  de  croire  correct,  la 
paraplégie,  l'hémiparaplégie  motrice  du  moins,  se  serait  immédiatement  pro- 
duite, conséquence  dans  notre  hypothèse  de  la  piqûre  supposée. 

Porté  presque  aussitôt  après  l'accident,  à  rHôtel-Dieu,Ch ey  y  fut  admis 

dans  le  service  de  chirurgie,  dirigé  par  M.  le  professeur  llichet. 


—  56 


C'est  là  seulement  qu'il  paraît  avoir  perdu  conscience,  et  il  y  a  dans  ses  sou- 
venirs relatifs  à  cette  e'poque  une  lacune  de  deux  ou  trois  jours.  —  Il  y  aurait 
eu  de  la  fièvre  pendant  ces  jours-là  et  quelques-uns  de  ceux  qui  suivirent;  il  a 
le  souvenir  d'avoir  entendu  parler  de  températures  montant  à  41°. 

Une  autre  particularité  sur  laquelle  il  insiste  ofïre  de  l'intérêt  parce  qu'elle 
semble  établir,  conformément  à  notre  hypothèse,  Texistence  d'un  processus 
myélitique,  qui,  à  un  moment  donné,  aurait  dépassé  les  limites  de  la  moitié 
latérale  gauche  de  la  moelle.  Je  veux  parler  d'une  rétention  d'urine  qui 
aurait  duré  plusieurs  jours  et  aurait  nécessité  plusieurs  fois  l'emploi  de  la 
sonde.  Ce  symptôme-là  n'appartient  pas  àl'hémisection  latérale  traumatique 
simple,  c'est-à-dire  dégagée  de  toute  complication. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  qui  parait  bien  établi,  c'est  qu'à  son  réveil  le  membre 
inférieur  gauche  était  complètement  inerte,  paralysé,  tandis  que  le  membre 
inférieur  droit  était  parfaitement  libre  de  ses  mouvements,  mais  par  contre 
complètement  insensible  à  toutes  les  excitations  auxquelles  les  assistants  de 
la  clinique  le  soumettait.  Evidemment  c'est  le  syndrome  de  Brcwn-Séquard 
qu'on  avait  sous  les  yeux  et  le  malade  a  entendu  plusieurs  fois  retentir  à  ses 
oreilles  le  diagnostic:  hémisection  latérale  de  la  moelle  épinière.  Défait,  aujour- 
d'hui encore,  il  paraît  fort  au  courant  des  caractères  du  syndrome  introduit 
dans  la  science  par  Brown-Séquard  et  l'on  comprend  à  écouter  ce  qu'il  en 
dit,  qu'il  a  souvent  entendu  disserter  là-dessus  des  personnes  compétentes. 

Mais  il  ne  sera  peut-être  pas  inutile  pour  quelques-uns  d'entre  vous,  que  je 
rappelle  ici  très  sommairement  ce  que  j'entends  par  Syndrome  de  Broirn- 
Séquard.  Quelques-uns  disent,,  remarquez-le  en  passant.  Maladie  de  Brown- 
Séquard  au  lieu  de  syndrome.  Je  préfère  de  beaucoup  le  premier  terme  et  je 
m'y  attache.  C'est  qu'en  effet  il  ne  s'agit  pas  là  d'une  maladie  autonome^  mais 
seulement  d'un  ensemble  symptomatique  pouvant  se  rattacher  à  des  affections 
très  diverses.  Ainsi  en  dehors  de  l'hémisection  il  y  a  lieu  de  signaler  parmi 
les  causes  qui  peuvent  produire  le  syndrome,  les  lésions  de  nature  très 
diverse,  myélite,  tumeurs  intra-spinales  ou  extra-spinales,  syphilitiques  ou 
non,  méningites  caséeuses  ou  autres,  ayant  pour  effet  d'affecter  profondément 
sur  un  point,  le  tissu  de  la  moelle  épinière  dans  une  de  ses  moitiés  latérales 
ou  d'en  déterminer  la  compression.  Mais  il  suffira  de  parler  de  ce  qui  concerne 
la  lésion  traumatique  ;  c'est  l'espèce  du  reste  que  Brown-Séquard  a  surtout 
considérée  et  ce  qu'il  en  dit  d'ailleurs  peut  s'appliquer,  mutaiis  mutaudis^  fort 
aisément  aux  autres  espèces.  Chez  les  animaux  donc, notre  illustre  ami  a  mon- 
tré qu'une  section  hémilatérale  complète  de  la  moelle  épinière  déterminait 
régulièrenuMit  la  production  d'un  syndrome,  dont  il  a,  sous  le  nom,  si'  je  ne 
me  trompe,  (Y  hc  mi  paraplégie  spinale  avec  hémianeslhésie  croisée,  déterminé 
avec  le  i)lus  grand  soin  les  caractères  cliniques.  11  lui  a  été  facile  ensuite  de 
montrer  que  ces  caractères-là  se  trouvent  représentés  chez  l'homme  avec  une 
exactitude  parfaite  dans  les  cas  où  une   blessure   spinalejreproduit  scrupu- 


—  57  — 

Icusemont  —  ce  qui  comme  on  l'a  dit,  n'est  pas  tout  îi  fait  rare  —  la  Ic-sion 
oxpérimontalemonl;  provoquée.  En  ([uoi  consiste  donc  la  symptomatologie 
dont  il  s'agil?  Je  ne  forai  pour  ainsi  dire  (|u'énumérri-  et  je  vous  renvoie  pour 
plus  de  détail  aux  travaux  du  maître. La  section  porte,je  suppose,  comme  dans 
notre  cas,  sur  la  moitié  gauche  de  la  moelle,  et  voici  alors  ce  qu'on  observe: 
i4.  Du  cùté  gauche  (côté  correspondant  à  la  lésion  spinale^  —  plusieurs 
des  données  qui  vont  suivre  sont  empruntées  à  la  clinique  do  l'homme,  pos- 
térieure, sur  ce  point,  aux  études  expérimentales,  mais  il  n'est  guère  douteux 
qu'on  les  retrouverait  chez  les  animaux  avec  tous  leurs  caractères:  —  1°  Para- 
lysie motrice  complète  avec  flarcidité  du  membre  inférieur,  fait  déjà  connu 
de  Galien  ;  — ■  à  un  moment  donné  exagération  des  réflexes  tendineux,  ten- 
danceà  la  contracture  ;  —  2°  La  peau  de  ce  membre  est  hypéresthésiée,  et  l'hy- 
péresthésie  remonte  plus  ou  moins  haut  sur  l'abdomen  ou  le  tronc,  suivant  la 
hauteur  de  la  lésion  spinale  :  elle  est  limitée  de  ce  coté  par  une  ligne  presque 
horizontale;  —  obnubilation  ou  perte  du  sensmusculaire;  — 3°  Elévation  rela- 
tive de  latempérature;  —  4"  Atrophie  musculaire  plus  ou  moins  rapide  parfois 
avec  réactions  dégénératives  ;  —  5°  Quelq  uef  ois  troubles  trophiques  articulaires 
(arthrite  du  genou). 

B.  Du  coté  droit  (côté  opposé  à  la  section)  :  1*^  Anesthésie  cutanée  de  tout  le 
membre  inférieur,  remontant  sur  l'abdomen  ou  le  tronc  où  elle  se  limite,  plus 
ou  moins  haut,par  une  ligne  plus  ou  moins  horizontale; —  2°  Pas  d'élévation  de 
température  de  ce  côté  ;  —3''  Pas  traces  de  paralysie  motrice,  pas  d'atrophie, 
pas  d'exagération  des  réflexes;  —  -4"  Quelquefois  troubles  trophiques  cutanés, 
(eschare  fessière). 

C.  Pas  de  troubles  vésicaux. 

Tel  est  l'ensemble  symptomatiquc  lorsqu'il  s'agit  de  cas  récents  ou  relati- 
vement récents.  Naturellement  nous  ne  devons  pas  nous  attendre  à  rencontrer 
tous  ces  symptômes  chez  un  sujet  qui  a  survécu,  a  récupéré  presque  intrégra- 
lement  —  en  ce  qui  concerne  les  fonctions  motrices  —  l'usage  de  ses  mem- 
bres, et  chez  lequel  il  y  a  tout  lieu  de  supposer,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  en 
commençant,  qu'il  n'y  a  pas  eu  hémisection  proprement  dite,  mais  seulement 
piqûre  ou  peut-être  même  compression  momentanée  plus  ou  moins  brusque. 
Il  est  clair  qu'une  restitution  progressive  très  accentuée  sur  certains  points  a 
seule  permis  ce  retour  partiel  mais  fort  remarquable  cependant  au  fonction- 
nement normal.  Aussi  est-ce, dans  l'acception  le  plus  rigoureuse  du  mot,  d'une 
/im/p%/e  s/9i/î«/e/rî<s/e  qu'il  s'agit  chez  notre  malade.  Mais  vous  aUez  être 
amenés  à  reconnaître  que  V  «inscription  »  n'est  pas  à  l'heure  qu'il  est,  telle- 
ment efl'acée  qu'il  soit  devenu  très  difficile  de  la  «  lire  ». 

Voici  du  reste  le  tableau  analytique  des  phénomènes  qui  peuvent  être 
actuellement  relevés  chez  notre  sujet  : 

A.  Côté  gauchp.  :  1«  Il  n'existe  plus  trace  de  paralysie  motrice  dans  le  mem- 
bre inférieur.  Celle-ci  aurait  été  absolue    complète  pendant  une   quinzaine 


—  58  — 

de  jours  ;  à  partir  de  cette  époque  le  malade  a  commencé  à  pouvoir  remuer 
progressivement  les  divers  segments  de  ce  membre.  Au  sortir  de  l'hôpital,  six 
ou  huit  semaines  après  l'accident,  il  boitait  encore,  et  il  a  éprouvé  de  ce  côté 
une  certaine  gêne  dans  les  mouvements  pendant  près  de  trois  ans.  Cependant 
il  a  pu  très  rapidement  reprendre  son  métier  de  couvreur,  qu'il  n'a  pas  cessé 
depuis;  —  ^''  Aujourd'hui,  pas  d'élévation  de  température  sur  la  peau  de  ce 
membre,  au  contraire  ce  membre  est  relativement  plus  froid  que  l'autre  ;  pas 
d'hypéresthésie  cutanée^,  pas  de  modification  du  sens  musculaire.  Ces  symp- 
tômes ont-ils  existé  autrefois?  Nous  n'avons  pas  de  renseignements  à  cet  égard. 
3°  Le  réflexe  rotulien  est  notablement  exagéré  ;  pas  de  trépidation  provo- 
quée du  pied  ;  —  4"  Le  membre  gauche  est  remarquablement  atrophié  dans 
toute  son  étendue, ce  dont  témoignent  suffisamment  les  chiffres  suivants  :  cuisse 
gauche  partie  moyenne,  39  c.  ;  cuisse  droite,  partie  moyenne,  43  c.  ;  jambe 
gauche,  partie  moyenne,  26  c.  ;  jambe  droite,  partie  moyenne^  33  c.  C'est 
donc  une  atrophie  très  remarquable  ;  mais  M.  Vigouroux  qui  a  examiné  la 
chose  de  près  n'a  pu  retrouver  là  cependant  la  moindre  trace  de  réaction  de 
dégénération.  11  faut  donc  admettre  que  si  ici,  comme  je  suppose  que  cela  a 
lieu  d'ordinaire  dans  les  cas  de  ce  genre,  l'atrophie  a  été  la  [conséquence 
d'une  propagation  du  processus  myelitique  à  la  colonne  des  cornes  antérieurs 
de  la  substance  grise  du  côté  de  la  lésion,  il  faut  admettre,  dis-je  que  cette 
altération  n'a  pas  amené  la  destruction  complète  des  cellules  nerveuses  de  la 
région_,  et  que  la  restitution  ad  in/egrion  en  a  été  possible  pour  la  plupart 
d'entre  elles. 

B.  Côté  droit  :  1°  Pas  de  troubles  du  mouvement,  jamaisil  n'en  a  existé  ;  — 
2°  Réflexes  tendineux  normaux  ;  — 3°  Pas  de  modification  du  sens  musculaire 
de  ce  côté,  mais  modification  profonde  de  la  sensibilité  de  la  peau.  A  propre- 
ment parler  ce  n'est  pas  l'anesthésie  proprement  dite  qu'on  y  rencontre,  mais 
bien  un  trouble  équivalent  qui  signale  généralement  l'existence  d'une  compres- 
sion spinale  ou  d'une  lésion  organicpie  des  faisceaux  postérieurs.  Je  veux  parler 
du  phénomène  de  dysesthésie,  comme  je  l'appelle,  qui  consiste  principalement 
en  ce  que  le  malade  sent  quand  on  le  pince,  quelquefois  avec  un  retard  nota- 
ble, mais  sans  pouvoir  préciser  exactement  le  lieu  où  a  porté  l'excitation  :  de 
plus  la  sensation  produite  diffuse  en  quelque  sorte  au-dessus  et  au-dessous  du 
point  piqué  on  pinec'. 

Enfin  le  froid,  le  chaud  ou  la  piqûre  ne  sont  pas  reconnus  comme  tels  mais 
donnent  tous  également  naissance  à  cette  vibration  douloureuse  ou  pour  le 
moins  fort  incommode  dont  nous  parlions  il  n'y  a  qu'un  instant  à  propos  du 
pincement.  Je  ferai  remarquer  en  passant  ([ue  ce  phénomène  de  dysesthésie, 
autant  qu'on  sache,  paraît  appartenir  exclusivement  aux  lésions  organi([ues 
spinales  et  qu'on  ne  le  voit  pas  se  combiner  par  exemple  avec  l'analgésie  ou 
l'anesthésie  des  hystériques. 

Rien  de  plus  simple,  vous  le  voyez  jusqu'ici,  que  d'interpréter  à  l'aide  de 


39  — 


l'hypotlièse  l'existence  de  ces  reliquats  de  Vhémiparapl/'fjie  spinale  avec  unes- 
thésie  croisée.  Il  est  un  point  cependant  sur  lequel  il  ne  faut  pas  glisser  et  qui 
aura  dû  vous  frapper,  c'est  que  du  côté  du  tronc  la  ligne  qui  limite  l'anesthésie 
dysesthésiquc  ne  remonte  pas  aussi  haut,  il  s'en  faut  de  beaucoup,  que    cela 


¥\g.  W, 


devrait  être  dans  les  cas,  comme  le  nôtre,  où  la  lésion  est  supposée  avoir 
porté  au  niveau  des  troisième  ou  quatrième  vertèbres  dorsales.  Ainsi  dans  le 
cas  de  Millier  (Fig.  16)  qui  pour  la  plupart   des    détails  est  comparable  au 

9 


—  no  - 

nôtre  ce-tte  ligne  remontait  jusqu'au  niveau  de  l'aisselle  tandis  que  chez  notre 
malade  (V.  fiQ.  17), elle  passe  en  avant  par  le  pli  de  l'aine  tandis  qu'en  arrière 
elle  ne  remonte  pas  même  jusqu'à  la  taille. 


Ilcmip/égie  spéciale  avcchémianesthésie  croisée. 

a.  Côté  anestliésié. 

b.  Côté  de  la  paralysie  ('c  mouvement. 

c.  Cicatrice  de  la  plaie. 

Voilà  sans  doute  une  anomalie  singulière,  inexplicable  en   apparence.  Mais 
il  importe  de  ne  pas  oublier  que  l'observation  de  Millier  est  relative  à  un  cas 


—  (H    — 

récent;  le  malade  ayant  succombé  au  bout  d'une  quinzaine  de  jours,  tandis 
que  chez  Ch...oy  l'accident'  remonte  à  huit  ans.  On  peut  donc  admettre  très 
légitimement  ici,  je  pense,  que  ces  modifications  relatives  à  la  distribution  de 
l'anesthésie  qui  à  l'origine  devait  s'étendre  par  en  haut  jusqu'au  voisinage  de 
l'aisselle,  est  une  conséquence  de  la  restitution  progressive  des  parties  lésées 
de  la  moelle. 

C'est  d'ailleurs  en  se  rétrécissant  de  la  périphérie  vers  le  centre  qu'a  dimi- 
nué progressivement  le  champ  d'anesthésie  dans  plusieurs  cas  dhémipara- 
plégie  spinale,  résultant  de  la  compression  par  pachyméningite  caséeuse  por- 
tant sur  un  seul  côté  de  la  moelle,  observés  par  M.  Rosenthal  et  qui  se  sont 
terminés  par  la  guérison  (1). 

Eu  résumé,  messieurs,  je  ne  m'arrêterai  pas  plus  longtemps  sur  ce  cas  qui 
vous  offre,  suivant  moi,  un  intéressant  exemple  d'hérniparaplégle  spinale  avec 
anestlv'-sie  croisée,  par  lésion  traumatique  de  la  moelle  épinière,  terminé  par  la 
guérison,  guérison  incomplète  sans  doute,  mais  néanmoins  fort  acceptable 
encore  telle  qu'elle  est. 

Je  m'en  tiendrai,  relativement  à  ce  cas_,  à  ce  qui  précède  si  il  ne  me  venait 
pas  à  l'instant  un  scrupule.  La  raison  en  est  que  le  malade  en  question  m'a 
été  adressé  par  un  de  mes  élèves  fort  versé  dans  la  connaissance  des  choses 
neuropathologiques,  et  dont  je  tiens  les  opinions  en  grande  estime,  comme  un 
exemple  d'hystérie  traumatique.  Les  raisons  principales  en  faveur  de  cette 
opinion  alléguée  par  notre  collègue,  sont  d'abord  les  anomalies  que  présente 
actuellement  chez  notre  homme,  sur  certains  points,  le  syndrome  hémipara- 
plégie spinale,  ainsi,  par  exemple^  la  limite  d'anesthésie  du  côté  droit  placée 
trop  bas  pour  une  lésion  de  la  moelle  située  au  niveau  de  la  3^  ou  ¥  vertèbre 
dorsale. 

Mais,  déjà,  par  avance,  nous  avons  répondu  chemin  faisant,  à  ces  argu- 
ments et  relevé  en  particulier  que  la  dysesthésie  n'est  pas  autant  qu'on  sache^ 
un  phénomène  hystérique.  Nous  ne  croyons  pas  nécessaire  d'y  revenir  à  nou- 
veau. 

Notre  collègue  suppose  que  tous  les  phénomènes  d'hémiparaplégie  spinale 
survenus  chez  notre  homme  se  sont  développés  chez  lui  par  le  mécanisme  de 
la  suggestion,  dans  le  temps  où  en  conséquence  du  choc  nerveux  produit 
par  l'accideni,  son  état  mental  pouvait  être  comparé  à  celui  des  hypnotiques 
dans  la  période  somnambulique.  Les  dissertations  faites  autour  de  lui,  lors- 
qu'il a  été  porté  à  l'Hôtel-Dieu  dans  un  service  de  chirurgie,  et  relatives  au 
syndrome  de  Brown-Séquard  auraient  été  chez  lui  la  cause  de  la  réalisation 
toute  psychique  de  ce  syndrome. 

Voilà  une  interprétation  que  nous  ne  saurions  certes  pas  admettre.  Vous 
n'ignorez  pas  en  effet  que  dans  les  cas  hystéro-traumatiques  les  paralysies  avec 


1.  Gùnslige  formen  von  Hemildsion  des  Uuckenmarkes.  Wien  1887. 


—  62  — 

ou  sans  anesthésie  qui  se  produisent  en  conséquence  du  choc  local  ne  se  réa- 
lisent pas  du  premier  coup,  en  général.  Elles  n'apparaissent  qu'àlasuite  d'une 
sorte  d'incubation.  J'ai  beaucoup  insisté  là-dessus  et  je  crois  devoir  y  insister 
encore  à  propos  du  cas  présent.  Ce  n'est  pas  en  effet  pour  avoir  entendu 
parler  des  symptômes  liés  à  Thémiparaplégie  spinale  que  notre  homme  a  créé 
psychiquement  et  réalisé  objectivement  toute  la  symptomatologie  :  non,  cela 
n'est  pas  acceptable,  car  il  est  absolument  démontré  par  les  détails  de  l'ob- 
servation, que  chez  le  malade  cette  symptomatologie  s'était  déjà  réalisée 
immédiatement  après  l'accident  :  avant  même  son  admission  à  l'Hôtel-Dieu, 

Je  repousse  donc  absolument  toute  ingérence  de  l'hystérie  dans  la  produc- 
tion du  syndrome  de  Brown-Séquard  chez  notre  malade_,et  je  rattache  ce  syn- 
drome à  la  lésion  traumatique  delà  moelle  épinière.  Mais  je  n'irai  pas  jus- 
qu'à prétendre  que  notre  jeune  malade  est  tout  à  fait  exempt  de  phénomènes 
hystériques  et  je  reconnais  toute  la  valeur  de  quelques  phénomènes  relevés 
par  notre  collègue  chez  notre  malade  en  dehors  de  l'hémiparaplégie  et  qui 
l'avaient  conduit  à  supposer  que  celle-ci  même  pourrait  bien,  elle  aussi,  être 
de  nature  hystérique. 

Ch...ey  dont  nous  avons  déjà  signalé  l'encolure  un  peu  féminine,  et  aussi 
les  excès  vénériens  et  alcooliques,  ne  s'est  pas  présenté  à  l'hôpital  dans 
l'espoir  d'y  être  débarrassé  des  reliquats  de  son  hémiparaplégie.  De 
cela,  il  a  pris  son  parti  et  il  n'attend  pas  grand'chose  des  ressources  de  l'art. 
Mais  il  avait  toussé,  craché  du  sang  ;  c'est  pour  cela  qu'il  est  venu  demander 
secours  ;  or,  un  examen  attentif  a  fait  reconnaître  qu'il  n'existait  en  réalité 
aucune  trace  de  lésion  pulmonaire  et  l'on  a  été  conduit  à  admettre  qu'il 
s'agissait  ici  d'une  de  ces  hémorragies  névropathiques  si  communes  chez  les 
sujets  hystériques:  un  examen  du  champ  visuel  qui  signalait  un  léger  rétré- 
cissement semblait  venir  à  l'appui  de  cette  idée  ;  enfin  on  ne  saurait  ne  pas 
tenir  grand  compte  des  antécédents  héréditaires  du  sujet  qui  sont  assez 
fortement  accentués  :  son  père  en  effet  est  aliéné  et  il  est  actuellement  interné 
à  Tasile  de  Ville-Evrard  ;  sa  grand 'mère  maternelle  a  été  sujette  à  des  atta- 
ques d'hystérie. 

Je  ne  me  refuserai  donc  pas  à  admettre  que  l'élément  hystérique  soit  repré- 
senté chez  notre  homme,  mais  très  certainement,  tout  n'est  pas  hystérique 
chez  lui  et  en  particulier  je  crois  pouvoir  affirmer  que  le  syndrome  de  Brown- 
Séquard  relève  ici  d'une  lésion  spinale  organique  et  nullement  de  la  lésion 
toute  dynamique  ou  fonctionnelle,  en  tout  cas  non  appréciable  pour  nos 
moyens  actuels  d'investigation  qui  paraît  être  le  substratum  des  symptômes 
hystériques. 


•IDB.  da4a  Soc  d« 'l'yp.    -    Moisei  .    .  8,  r- C«iii|>s<ji>«- Première,  l'ari»^ 


Policlinique  du  Mardi  13  Novembre  1888 


QUATRIEME    LEÇON 

1®   Attaque  de  sommeil  hystérique; 

2°    Amyotrophie  par  lésion  articulaire  ; 

3°   Deux  cas  de  paralysie  faciale  périphérique  avec  hérédité 

nerveuse.  Cas  n^  1  :  père  aliéné,  grand-père  irrégulier,  etc. 

Cas  n'^  2  :  plusieurs  cas  de   bégaiement  et  un  épileptique 

dans  la  famille  ; 
4^  Vertige  de  Ménière;  forme  chronique  et  vertiges  par  accès. 


1"^*  Malade. 


M.  Gharcot  :  La  malade  qui  vient  d'être  placée  sous  vos  yeux  est  suivant  le 
langage  usité  dans  cet  hospice,  ce  qu'on  appelle  une  «  dormeuse  ».  En  effet, 
cette  malade  dort  —  si  cela  peut  toutefois  s'appeler  dormir  —  depuis  le 
1"  novembre  dernier,  c'est-à-dire  depuis  douze  jours.  En  réalité,  elle  n'a  pas 
depuis  ce  temps-là  cessé  de  dormir,  à  sa  manière  bien  entendu,  nuit  et  jour, 
sans  se  réveiller  jamais  et  il  y  a  quelque  bonne  raison  de  croire  qu'elle  ne  se 
réveillera  pas  de  sitôt  (1). 

Dans  le  service  où  elle  vit  depuis  bien  longtemps  on  laisse  aller  les  choses 
comme  elles  veulent  aller,  sans  chercher  à  provoquer  le  réveil,  sachant  par 
expérience  que  dans  ce  cas  cela  serait  inutile  quels  que  fussent  les  moyens  «pie 
l'on  mettrait  en  œuvre  ;  et  éclairé  par  ce  qui  s'est  passé  déjà  antérieurement 
dans  nombre  de  crises  semblables^  on  assiste  sans  anxiété,  sans  émotion  à  ce 


\.  L'atlaque  de  sommeil  s'est  termiaée  le  29  novembre.  —  La  malade  a  donc  •  dormi  »  lu-i- 
dant  vingt-neuf  jours. 

10 


—  64  — 

spectacle  singulier  avec  lequel  on  s'est  depuis  longtemps  familiarisé,  vivant 
dans  la  conviction  bien  arrêtée  qu'un  beau  jour, tôt  au  tard,  tout  rentrera  dans 
l'ordre  spontanément. 

Ce  n'est  pas  à  la  Salpêtrière  qu'on  en  est  encore  à  s'exclamer  à  la  vue  de 
pareils  faits.  Ils  y  sont  trop  fréquemment  rencontrés ;'et  au  contact  de  l'obser- 
vation régulière  ils  y  ont  depuis  longtemps  perdu  ce  caractère  de  merveilleux 
qu'on  leur  prête  bien  souvent  encore  parmi  les  laïques  et  dans  les  feuilles 
publiques. 

Vous  avez  compris  par  ce  qui  précède  que  notre  «  dormeuse  »  a  déjà  son  his- 
toire ;  j'ajouterai  qu'elle  a  une  longue  et  fort  intéressante  histoire.  Au  fond 
c'est  une  hystérique  de  la  grande  espèce  et  c'est  généralement  parmi  ces  hysté- 
riques-là du  reste  que  s'observent  les  attaques  de  sommeil. 

Elle  est  rentrée  à  la  Salpêtrière  en  1862,  il  y  a  vingt-six  ans  de  cela,  elle 
avait  alors  27  ans  elle  en  a  maintenant  53.  Vous  trouverez  tout  ce 
qu'il  vous  est  intéressant  de  savoir  sur  son  compte,  dans  l'ancienne  Icono- 
graphie de  la  Salpêtrière  rédigée  par  MM.  Regnard  et  Bourneville  (t.III^ 
1879-1880,  obs.  XI,  p.  118).  Là  vous  apprendrez  qu'Eudoxie  H...  est  née  d'une 
mère  épileptique  (?)  et  d'un  père  alcoolique,  qu'elle  a  commencé  à  avoir  des 
attaques  vulgaires  de  grande  hystérie  à  l'âge  de  18  ans  ;  que  vers  cette 
époque,  à  l'âge  de  20  ans,  elle  a  été  atteinte  de  paraplégie  hystérique  com- 
plète absolue  qui  jamais  n'a  guéri,  et  dont  actuellement  on  peut  reconnaître 
les  reliquats  ;  les  membres  inférieurs,  en  effet,  vous  le  constatez  aujourd'hui, 
sont  rigides,  atrophiés  et  les  muscles  très  certainement  y  ont  subi  des  modifi- 
cations organiques, depuis  longtemps  irréparables  ;  aussi  la  malheureuse  est- 
elle  depuis  trente-trois  ans  absolument  confinée  au  lit,  n'ayant  jamais  quitté 
la  division  autrefois  dirigée  par  M-  Delasiauve,  plus  tard  par  Legrand 
du  Saule  et,  en  ce  moment,  par  mon  excellent  collègue  Jules  Voisin  à  l'obli- 
geance duquel  je  dois  de  pouvoir  vous  la  montrer  aujourd'hui.  —  C'est 
dans  cet  hospice  même,  en  1875,  c'est-à-dire  il  y  a  treize  ans,  que  les  attaques 
hystéro-épileptiques  jusque-là  classiques,  ont  subi  en  quelque  sorte  une 
transformation  et  se  sont  changées^  —  j'insiste  sur  les  termes  que  j'emploie,  — 
se  sont  changées,  dis-je,  en  attaques  de  sommeil.  La  première  fois  que  la 
malade  a  «  dormi  »,  son  attaque  de  sommeil  a  duré  quarante  jours,  et  depuis 
cette  époque-là  elle  n'a  pas  cessé  de  dormir  chaque  année  une  ou  deux  fois» 
pendant  des  périodes  de  un  ou  deux,  quelque  fois  trois  mois,  rappelant  ainsi, 
en  petit  toutefois,  l'histoire  de  la  «  Belle  au  bois  dormant  »  qui  en  somme, 
entre  nous  soit  dit,  n'est  que  l'histoire  embellie  par  l'art,  d'une  hystérique 
recherchée  par  un  prince  jeune  et  quelque  peu  écervelé. 

J'ai  déjà  eu   plusieurs   fois  l'occasion   d'entretenir  mes  auditeurs  de  cette 

malade,  plus  particulièrement  en   décembre  1883  ;  les  leçons  que  j'ai   faites 

alors  à  son  sujet  ont  été  publiées  en  italien  par  le  regretté  D""  Miliotti  de  Milan 

Lezioni clinkhe  dcU  anno  scolaftico  1883-81.  MUano  188^).  Voir  p.    24,  Attaco 


—  05  — 

di  sonno,  et  38  ancora  dell  attaco  di  sonna).  La  malade,  lorsque  je  l'ai  pré- 
sentée dans  cette  occasion  à  la  clinique,  dormait  déjà  depuis  sept  jours  ;  elle 
a  continué  à  dormir  par  la  suite  pendant  plusieurs  semaines  encore.  J'ai  fait 
allusion,  une  fois  de  plus,  à  ce  cas,  dans  une  leçon  publiée  par  le  Bulletin 
médical,  le  2  décembre  1887.  J'engage  ceux  d'entre  vous  qui  s'intéresseraient 
spécialement  aux  attaques  de  sommeil  à  consulter  les  documents  que  je  viens 
d'indiquer  ;  et  j'en  arrive  à  l'étude  clinique  régulière  des  phénomènes  qui 
s'offrent  en  ce  moment  à  notre  observation. 

Notre  malade  dort  donc  depuis  douze  jours;  elle  a  dormi  plusieurs  fois,  je 
l'ai  déjà  dit,  pendant  quarante  jours  et  plus  ;  c'est  donc  un  grand  cas  dans 
l'espèce.  Il  y  a  mieux  que  cela  cependant,  car  le  sommeil  de  ce  genre  peut 
durer  non  seulement  pendant  des  mois,  mais  encore  pendant  des  années, 
ainsi  que  vous  le  verrez  par  la  lecture  d'un  très  intéressant  travail  publié  dans 
les  Arch'wes  de  Neurologie  pour  1888  par  M.  Gilles  de  la  Tourette  (n"'  43 
€t  44)  ;  mais  les  petits  cas,  ceux  dans  lesquels  les  attaques  de  prétendu  som- 
meil durent  seulement  trois,  quatre,  huit,  dix,  douze  jours,  sont  infiniment 
moins  rares  ;  c'est  ainsi  que,  dans  le  service,  nous  n'avons  pas  observé  moins 
de  cinq  cas  de  cette  catégorie  dans  le  courant  de  ces  deux  dernières  années. 
Vous  voyez  qu'en  ces  matières  nous  ne  sommes  pas  pris  tout  à  fait  au  dépourvu 
et  que  nous  y  possédons  une  certaine  expérience  ;  d'autant  mieux  que  tous  les 
cas  du  groupe  se  rapprochent  étroitement  les  uns  des  autres  aussi  bien  dans 
l'ensemble  que  dans  les  détails,  si  bien  qu-e  ce  que  l'on  dit  de  l'un,  on  peut 
l'appliquer  à  l'autre,  non  pas  toutefois  sans  tenir  compte  de  quelques  varia- 
tions individuelles  qu'on  doit  s'attendre  à  rencontrer  toujours,  alors  même 
qu'il  s'agit  d'un  groupe  morbide  des  plus  homogènes. 

Je  vous  ferai  remarquer  en  premier  lieu  que  notre  malade,  qui  parait  dor- 
mir si  profondément,  présente  cependant  une  rigidité  marquée  dans  les  mem- 
bres supérieurs  qu'elle  tient  demi-fléchis  sur  la  poitrine.  Cette  rigidité  déjà 
contraste  nécessairement  avec  la  résolution  qui  caractérise  au  contraire 
l'attitude  des  membres  dans  le  sommeil  physiologique  ;  mais  ne  vous  atten- 
dez pas  à  trouver  cette  rigidité  chez  toutes  les  «  dormeuses  ».  Il  en  est  et  des 
plus  légitimes,  chez  lesquelles  les  membres  restent  parfaitement  mous  et 
flexibles  ;  ce  cas,  même, paraît  être  le  plus  commun.  Un  caractère  plus  impor- 
tant et  qui  se  trouve  parfaitement  accentué  chez  la  malade  d'aujourd'hui, 
c'est  la  vibration, les  palpitations  permanentes  que  présentent  les  paupières  et 
qui  se  montrent  d'autant  plus  prononcées  que  vous  faites  plus  d'efforts  pour 
découvrir  l'œil.  Evidemment  cela  n'appartient  nullement  au  sommeil  naturel  ; 
non  plus  que  l'absence  très  remarquable  de  toute  espèce  de  ronflement  dans 
une  circonstance  où  le  sommeil  —  ou  ce  qu'on  appelle  de  ce  nom  —  est 
tellement  profond  que  ni  le  bruit  du  tam-tam,  ni  l'inspiration  d'ammoniaque, 
ni  la  faradisation  intense  de  la  peau  ou  des  muscles,  des  troncs  nerveux  eux- 
mêmes,  ne  sont  capables  de  produire  le  réveil  :  vous  le  constatez,  toutes  ces 


—  66  — 

expériences-là,quiseraient  absolument  décisives  s'il  s'agissait  du  vrai  sommeil, 
ne  provoquent  ici  aucun  changement,  pas  même  un  soubresaut,  pas  même 
une  modification,  quelque  légère  qu'elle  soit,  de  la  physionomie.  Evidem- 
ment, d'après  tout  cela,  vous  l'avez  compris,  il  ne  saurait  être  question  dans 
notre  cas,  de  sommeil  naturel  et  il  y  a  lieu  par  conséquent  de  faire  ici  un  pre- 
mier départ. 

Je  viens  devons  présenter  notre  «  dormeuse»  comme  parfaitement  impassible 
devant  tous  les  moyens  vulgaires  d'excitation  même  douloureuse,  qui  seraient 
très  certainement  efficaces  à  unhaut  degré  dansle  cas  de  sommeil  naturel.  Ainsi 
sont  les  choses  en  réalité  dans  tous  les  cas  d'attaques  de  sommeil  que  j'ai  ob- 
servés jusqu'ici.  Mais  il  y  a  excitants  et  excitants,  je  dois   vous   en  prévenir; 
et  justement,  il  arrive  que  chez  certaines   hystériques- dormeuses,    les  points 
hystérogènes  dont  l'excitation  dans  l'intervalle  des  périodes  de  sommeil  est 
capable  de  faire  éclater  les  accès  convulsifs  vulgaires,  ou  ceux-ci  une  fois  dé- 
veloppés   d'en   arrêter  l'évolution,   il  arrive,    dis-je,  que  chez  ces  sujets  les 
points  en   question    peuvent  être  utilisés  soit  pour  provoquer  le  sommeil  lui- 
même,  soit  au  contraire  pour  provoquer  le  réveil.   Les   choses   étaient  ainsi 
en  particulier   chez  la   dormeuse  dont  j'ai  raconté  l'histoire  dans  le  ^w/Ze^/i 
médical  du  2  décembre   1887.  Chez  elle  on  pouvait  produire  le  sommeil  ou 
au  contraire  y  mettre  un  terme  à  volonté,  le  plus  facilement  du  monde.  Ce 
n'est  pas  tout  à  fait  le  cas  qui  se  présente   chez  notre  malade  d'aujourd'hui  : 
cependant  vous  voyez  comment  la  compression  de  l'abdomen  dans  la  région  du 
tlanc  produi  chez  elle  un  tressautement  "accompagné  d'une] exclamation  :  Ah! 
ah  !  Mais  à  proprement  parler  il  n'y  a  pes  de  réveil. 

En  somme,  vous  le  reconnaissez, les  palpitations,  les  vibrations  des  paupières, 
l'absence  du  ronflement  qui  devrait  accompagner  un  sommeil  en  apparence  aussi 
profond,  l'impossibilité  de  produire  le  réveil  même  par  l'application  des  plus 
fortes  excitations,  la  rigidité  des  membres  enfin,  phénomène  que  vous  ne 
devez  pas  toutefois  vous  attendre  à  retrouver  dans  tous  les  cas  du  même  genre, 
tout  cela  concourt  à  établir  que  nous  ne  sommes  pas  en  présence  d'unsommeM 
physiologique.  Et  si  nous  y  regardons  encore  de  plus  près,  bien  d'autres  indices 
encore,  comme  par  exemple  le  fait  d'uriner  au  lit,  fait  à  peu  près  général  chez 
les  «  dormeuses  »,  viendront,  je  pense,  justifier  à  vos  yeux,  Topinion  que  je 
professe  depuis  longtemps  relativement  aux  cas  de  ce  genre.  C'est  à  savoir 
que  le  prétendu  sommeil  n'est  autre  chose  qu'une  attaque  hystérique  modifiée 
ou  transformée^  conme  vous  voudrez  le  dire. 

Voici  l'indication  de  quelques-unes  des  preuves  que  l'on  peut  invoquer  à 
l'appui  de  cette  manière  de  voir.  En  premier  lieu  l'attaque  de  sommeil  est, dans 
bon  nombre  de  cas, précédée  et  suivie  des  phénomènes  ordinaires  de  l'attaque 
convulsive  ou  de  ses  prodromes.  C'est  ce  qui  a  lieu  dans  la  règle  chez  notre 
malade  d'aujourd'hui:  au  moment  où  elle  va  entrer  dans  son*  sommeil  » 
elle  est  agitée,  rit   et  pleure  sans  motif,  elle  a  des  hallucinations  terrifiantes, 


—  07  — 

en  tout  semblables  h  celles  qu'elle  présentait  autrefois  lorsqu'elle  était  sous  le 
rép;ime  des  attaques  convulsives  hystéro-épiloptiriucs  normales  :  les  mêmes 
ph(';nornènes  plus  accentués  encore,  et  marqués  i>ar  des  spasmes  toniques  et 
des  mouvements  de  salutation  indi(iuent  la  fin  de  la  crise;  ainsi sontl^js choses 
chez  notre  malade  et  chez  beaucoup  d'autres  du  même  groupe  ;  il  ne  faudrait 
pas  croire  cependant  que  cette  apparition  de  phénomènes  d'hystérie  convul- 
sive  à  la  fin  et  au  début  des  crises  de  sommeil  scjit  un  fait  général.  Non,  cer- 
tainement cela  n'est  pas,  et  il  peut  arriver  qu'on  voie  ces  malades  s'affais- 
ser tout  à  coup  et  tomber  lourdement  à  terre  comme  si  elles  venaient  d'être 
frappées  d'apoplexie  foudroyante.  Le  sommeil  a  commencé  aussitôt  et  il  se 
prolonge  désormais  avec  les  caractères  spéciaux  que  nous  lui  avons  reconnus 
tout  à  l'heure.. 

Combien  de  fois  nous  avons  vu  nos  «  dormeuses  »  entrer  tout  à  coup  dans 
leur  «  sommeil  »  et  se  laisser  choir  soudain  lourdement,  sur  le  sol  des  cours, 
pendant  une  promenade,  au  beau  milieu  d'une  conversation. 

Mais  j'en  reviens  aux  caractères  qui  doivent  nous  conduire  à  admettre  que 
le  «  sommeil  hystérique  »  est  en  quelque  sorte  l'équivalent  d'une  série  plus 
ou  moins  prolongée  d'attaques  régulières.  J'indiquais  tout  à  l'heure  les  phé- 
nomènes convulsifs  ou  psychiques  qui  souvent  sont  le  prodrome  de  l'attaque 
de  sommeil  et  marquent  sa  terminaison.  Eh  bien,  les  mêmes  phénomènes  se 
présentent  fréquemment,  en  manière  d'épisodes,  pendant  la  durée  même  de 
l'attaque  de  sommeil  à  plusieurs  reprises. 

C'est  ainsi  que  vous  avez  vu,  par  intervalle,  la  dormeuse  (jue  vous  avez  sous 
les  yeux,  se  dresser  tout  à  coup  sur  son  séant,  étendre  les  bras  en  avant,  puis 
retomber  sur  son  lit,  pour  recommencer  ensuite,  une  fois  encore  ou  deux,  ce 
même  mouvement,  de  façon  à  rappeler  ce  que,  dans  l'attacfue  hystéro-épilep- 
tique  normale  nous  désignons  sous  le  nom  de  salutations,  et  vous  n'avez  pas 
oublié  sans  doute  qu'un  peu  avant  chacune  de  ces  salutations  on  voit  chez 
la  malade  de  l'écume  sortir  de  la  bouche  comme  pour  marquer  la  place  de 
la  phase  épileptoïde. 

La  dormeuse  dont  je  vous  ai  entretenu  le  2  décembre  1887,  s'écriait  quel- 
quefois, sans  se  réveiller:  «  Emile,  je  t'aime  I  »  et  deux  fois  nous  l'avons  vue, 
toujours  sans  se  réveiller,  se  dresser  tout  à  coup,  se  jeter  à  bas  du  lit  et  courir 
dans  la  salle  en  prenant  des  attitudes  et  en  prononçant  des  paroles  très  signifi- 
catives (période  des  attitudes  passionnelles).  Ainsi  l'on  peut  dire  que  pendant 
Vattaque  de  sommeil,  les  phénomènes  de  l'attaque  convulsive  se  manifestent 
souvent  comme  par  lambeaux. 

Enfin  je  ferai  valoir  ceci  encore  en  faveur  de  la  thèse  que  je  défends  :  ainsi 
que  cela  se  voit  fort  bien'par  l'histoire  d'Eudoxie  H..., les  attaques  de  sommeil 
sont  souvent  pendant  des  années  précédées  par  des  attaques  d'hystérie  con- 
vulsive auxquelles  elles  tendent  à  se  substituer  et  que  définitivement,  à  un 
moment  donné,  elles  remplacent. 


—  68  — 

Mais,  me  direz-vous peut-être,  comment  expliquer,  s'il  est  vrai  comme  vous 
le  prétendez  que  l'attaque  de  sommeil  soit  1  équivalent  d'une  série  d'attaques 
convulsives  hystériques,  d'un  état  de  mal  hystérique  en  un  mot,   comment 
expliquer  que  l'attaque  de  sommeil  puisse  se  prolonger  pendant  des  jours  et 
des  mois  même,  sans  interruption  ?  Eh  bien,  messieurs,  si  vous  voulez  vous 
reporter  à  ce  que  je   vous  ai  dit  dans  le   temps  à  propos   de  la  très   longue 
durée  de  certaines  séries  d^attaques  hystéro-épileptiques,  vous  reconnaîtrez 
aue  l'état  de  mal  dans  les  cas  de  ce  genre,  peut  se  prolonger  pendant  une  et 
parfois  même  pendant  plusieurs  semaines,  de  telle  sorte  qu'en  somme,  entre 
■ces  cas  d'état  de  mal  hystérique,  à  la  vérité  exceptionnels,  et  les  cas  d'attaques 
•de  sommeil,  l'écart,  du  moins  en  ce  qui  concerne  la  durée,  n'est  pas  aussi  con- 
sidérable qu'on  serait  tenté  de  le  croire  au  premier  abord.  Sur  ce  sujet  vous 
consulterez  peut-êtreavec  intérêtuneleçonsurl'A'/a^  de  mal  hystérique  épllepti- 
forme  que  j'ai  donnée  le  9  janvier  1885  et  qui  a  été  publiée  parM"°  Bl. Edwards, 
alors  mon  externe,  dans  la  Tribune  médicale  (16^  volume,  année  1885,  p.  159.) 
Consultez  également  sur  cette  même  question  les  «  Lezione  cliniche  »  pu- 
bliées par  le  D""  Miliotti  en  1885  {Dello  stato  di   malo  istei^o-épilettico  et  stato 
dimalo  épilettico,  p.  159).  Vous  trouverez  là  l'histoire  très  authentique  d'atta- 
ques hystériques  en  série,  qui  ont  duré  quinze  jours  (8.000  accès)  et  vingt-six 
jours  (avec  21.708  accès).  Une   malade  de  mon  service,  la  nommée  Habill... 
est  sujette  à  entrer  de  temps  à  autre  dans  ce  genre  d'état  de   mal.  En  décem- 
bre 1885  (Voy.  Bl.  Edwards,  loc.  cit.)  elle  a  eu  deux  séries  d'accès  :  la  pre- 
mière qui  a  duré  treize  jours  et  où  Ton  a   compté  4.506  accès,   l'autre  qui  a 
■duré  quatorze  jours  et  où  l'on  a  compté  17.083  accès.  Cette  même  observa- 
tion recueillie  par  MM.  Marie  et  Souza-Leite  a  été  publiée    dans  le   Progrès 
médical  (sept.  1885).   Il   est   fort   remarquable  qu'ainsi  que  je  l'ai  démontré, 
la  température  centrale  ne  s'élève  pas  notablement   dans  ces  séries   inter- 
minables  d'attaques    convulsives  qui  presque  sans  cesse  et   sans  trêve  se 
reproduisent  en  nombre  presque  prodigieux  jour  et  nuit  pendant  un  aussi  long 
espace  de  temps.  —  Sous  ce  rapport  il  y  a  encore  un   rapprochement  à  faire 
entre  l'attaque  de  sommeil  et  Vétat  de   mal  hystérique,  car  dans  celle-là  comme 
dans  celle-ci  la  température  reste  au  taux  normal  ou  à  peu  près  :  ainsi,  chez 
notre  malade  d'aujourd'hui,  elle  est  de  37°  2   avec   un  pouls  de   72,80;   en 
même  temps  que  la  peau  reste  fraîche. 

Vous  le  voyez  par  ce  qui  précède,  la  théorie  que  je  soutiens  trouve  sa  véri- 
fication alors  même  que  l'on  considérera  la  durée  des  attaques  et  il  est  rendu 
ainsi  au  moins  fort  vraisemblable,  pour  ne  pas  dire  plus, que  l'attaque  de  som- 
meil représente  une  attaque  ou  plus  exactement  une  série  d'attaques  hysté- 
riques «  transformées  ». 

Il  y  a  cependant,  entre  celles-ci  et  celles-là,  une  différence  que  je  ne  vou- 
drais pas  passer  sous  silence^c'est  que  le  «  sommeil  »  une  fois  constitué  s'éta- 
blit pour  un  temps,  à  l'état  de  permanence,  sans  qu'il  y  ait  de  réveil,  tandis 


—  69  — 

que  dans  Vétat  de  mal  hysirro-tipllep figue,  il  y  a  de  temps  à  autre  des  moments 
de  répit,  comme  des  entr'aetes,  pendant  lesquels  les  convulsions  et  le  délire 
s'interrompent  momentanément.  Mais  je  ne  saurais  voir  là  un  motif  de  dis- 
tinction vraiment  essentielh^,  et  je  crois  que  sans  forcer  les  faits  nous  pou- 
vons rapprocher  l'un  de  l'autre  les  deux  états  et  les  considérer  comme  deux 
modes  éciuivalents  d'une  même  perturbation  fonctionnelle. 

Il  ne  nie  reste  plus  grand'chose  à  vous  dire  concernant  le  cas  d'attaque  de 
«  sommeil  »  que  vous  avez  sous  les  yeux  et  les  «  attaques  »  de  sommeil  consi- 
dérées en  général.  Voici  cependant  l'énoncé  de  quelques  faits  sur  lesquels 
j'aurais  le  regret  de  ne  pas  insister  un  instant. 

En  premier  lieu  j'irai  au-devant  d'une  question  ((ue  certainement  vous  vous 
êtes  tous  posée  pendant  que  je  procédais  à  mon  exposé  :  Comment  notre  ma- 
lade peut-elle  se  nourrir  pendant  cette  longue  durée  d'un  sommeil  profond  ? 

On  pourrait  invoquer  ici,  messieurs,  pour  certains  cas,  cette  condition  spé- 
ciale de  la  nutrition  que  présentent  certaines  hystériques,  comparables  sous 
ce  rapport  aux  animaux  en  hibernation,  et  qui  leur  permettent  de  vivre  pen- 
dant une  période  de  temps  relativement  longue  sans  s'alimenter,  du  moins 
sans  s'alimenter  sérieusement.  Mais  cette  condition  d'après  les  recherches 
faites  dans  ces  derniers  temps  dans  mon  service  de  la  Salpêtrière  par  MM.  Gilles 
de  la  Tourette  et  Cathelineau  serait  beaucoup  plus  rare  qu'on  ne  Ta  supposé 
et  d'ailleurs  nous  n'avons  pas  à  l'invoquer  dans  la  circonstance  actuelle  :  en 
effet  notre  malade  se  nourrit  chaque  jour  ou  pour  mieux  dire  on  la  nourrit 
comme  on  va  le  faire  devant  vous. 

Entre  les  dents  légèrement  serrées,  on  introduit,  vous  le  voyez,  à  l'aide  d'une 
cuiller,  du  lait  ou  tout  autre  aliment  liquide  ou  semi-liquide  qui,  après  avoir 
séjourné  un  instant  dans  la  bouche,  est  bientôt  automatiquement  dégluti  par 
la  malade.  Ainsi  l'alimentation  se  fait  chez  elle  tant  bien  que  mal.  Je  dis  tant 
bien  que  mal,  parce  que  évidemment  en  temps  ordinaire,  cette  alimentation 
serait  relativement  insuffisante. 

MM.  Gilles  de  la  Tourette  et  Cathelineau  ont  en  effet  démontré  par  l'étude 
méthodique  de  six  cas  de  sommeil  hystérique  —six  cas,  vous  le  remarquerez 
en  passant,  c'est  un  chiffre  imposant  dans  l'espèce  —  que  pendant  la  durée  de 
l'attaque  le  poids  du  corps  diminue  rapidement  en  même  temps  que  l'on  cons- 
tate par  l'analyse  des  urines  une  constante  diminution  qualitative  et  quanti- 
tative de  tous  les  éléments:  volume,  urée,  phosphates,  etc.,  etc.  11  est  au 
moins  fort  vraisemblable  que  chez  H...,  les  choses  se  passent  comme  elles  se 
sont  passées  sur  les  six  cas  étudiés  par  MM.  Gilles  de  la  Tourette  et  Catheli- 
neau, chez  lesquels  l'alimentation  se  faisait  absolument  dans  les  mêmes  con- 
ditions. 

D'autres  points  à  relever  sont  relatifs  au  diagnostic.  J'ai  déjà  montré  les 
différences  assez  considérables  qui  séparent  le  «  sommeil»  de  nos  dormeuses 
du  sommeil  naturel.  11  serait  trop  long  à  l'heure  qu'il  est  de  poursuivre  la  com- 


—  70  — 

paraison  avec  tous  les  autres  états  qui  de  près  ou  de  loin  ressemblent  plus  ou 
moins  au  sommeil  physiologique.  Je  me  bornerai  à  vous  montrer  en  quoi 
l'attaque  du  sommeil  hystérique,  diffère  «  des  sommeils  »  propres  à  certaines 
formes  de  la  névrose  hypnotique  ;  je  fais  allusion  ici,  à  ce  que  j'appelle  le 
grand  hypnotisme  des  hystériques,  seul  cas  dans  lequel  les  symptômes  céré- 
braux particuliers  qui  marquent  les  trois  états  s'accompagnent  de  phénomènes 
somatiques  correspondants.  Seule,  la  période  dite  léthargique  de  ce  genre 
d'hypnotisme  caractérisée  par  l'apparence  d'un  sommeil  profond  avec  résolu- 
tion des  membres  pourrait  être  confondue  avec  l'attaque  de  sommeil  hysté- 
rique ;  laquelle  attaque  d'ailleurs  peut  être  provoquée  parfois  chez  quelques 
sujets,  par  les  mêmes  manœuvres  (pression  des  globes  oculaires,  fixation  du 
regard),  qui  chez  la  majorité  des  autres  déterminent  l'apparition  du  grand 
hypnotisme. 

Mais  la  différence  qui  existe  entre  les  deux  étals  peut  être  facilement  mise 
en  relief,  cliniquement,  par  la  mise  en  jeu  du  phénomène  de  Thyperexcitabi- 
lité  névro-musculaire  qui  appartient  exclusivement  à  la  léthargie  hypnotique. 
La  pression  sur  les  muscles,  sur  les  trajets  nerveux,  ne  détermine  pas 
la  contracture  des  muscles  correspondants  dans  Tattaque  de  sommeil 
hystérique,  tandis  que,  dans  la  léthargie  hypnotique,  ce  phénomène  ne 
manque  jamais  de  se  montrer  au  moins  à  un  certain  degré.  Il  est  clair  que 
lorsque  les  membres  seront  naturellement  rigides,  comme  dans  le  cas  que 
nous  avons  actuellement  sous  les  yeux,  le  diagnostic  se  pourra  faire  du  pre- 
mier coup,  car  la  résolution  complète,  absolue  des  membres,  antérieurement 
bien  entendu  à  la  pression  exercée  sur  les  muscles  ou  sur  les  troncs  nerveux, 
est  un  caractère  inhérent  à  la  léthargie  hypnotique,  et  à  ce  propos  je  ferai 
remarquer  chez  notre  malade  d'aujourd'hui  un  fait  qui  m'a  été  signalé  par 
mon  collègue,  M.  Jules  Voisin,  et  qui  dans  l'espèce,  me  parait  constituer  une 
anomalie  ;  ce  fait  du  moins  je  ne  l'ai  pas  rencontré  encore  dans  les  aulres 
cas  assez  nombreux  de  sommeil  hystérique  que  j'ai  observés  jusqu'à  ce  jour. 
Vous  voyez  que  lorsqu'on  soulève  les  membres  supérieurs  de  la  malade,  ceux- 
ci  ne  retombent  pas  et  conservent  au  contraire  la  position  qu'on  leur  a  im|)ri- 
mée. 

Ceci  rai)pelle  jusqu'à  un  certain  point  ce  que  l'on  voit  dans  la  période  cata- 
leptique de  l'hypnotisme.  Mais  entre  les  deux  cas  la  différence  qu'on  peut  rele- 
ver tout  au  moins  chez  notre  sujet  d'aujourd'hui  c'est  que,  contrairement  à  ce 
qui  a  lieu  dans  la  catalepsie  bien  formulée,  les  attitudes  expressives  imprimées 
aux  membres  supérieurs  de  manière  à  hgurer  ce  qui  se  voit  soit  dans  l'acte 
d'envoyer  un  baiser,soitau  contraire  dans  l'acte  de  menacer  du  poing,  n'ont  pas 
pour  elfet  d'affecter  les  traits  de  la  physionomie  d'une  façon  correspondante.  Les 
traits  restent  immobiIes,impassibles  comme  vous  le  voyez  chez  notre  malade  et 
j'ajouteiai  que  chez  elle  aussi  les  yeux  un  instant  maintenus  ouverts  parTélô^ 
vation  des  paupières  ne  tardent  pas  à   se  fermer  de  nouveau  d'eux-mêmes, 


—  71  — 

tandis  que  dans  la  vraie  catalepsie  du  grand  hypnotisme,  cela  n'aurait  point 
lieu. Quoi  qu'il  en  soit  il  est  diffi(!ile  de  méconnaître  qu'il  existe  dans  notre  cas 
certains  caractères,  certains  traits  qui  jusqu'à  un  certain  point  rappellent  ce 
qu'on  voitdans  la  catalepsie  hypnotique  et  c'est  là  une  circonstance  quiméri- 
tait  certainement  d'être  relevée  ;  il  est  possible  en  effet  qu'elle  se  retrouve  dans 
d'autres  cas  de  sommeil  hystérique  lorsqu'on  prendra  le  soin  de  l'y  rechercher 
et  alors  ce  serait  un  trait  d'union  de  plus  à  signaler  entre  la  névrose  hysté- 
rique et  le  grand  hypnotisme. 

Vous  savez  comment  dans  ces  dernierstempsM.Debove  et  son  élève  M.Achard 
ont  publié  d'excellents  travaux  sur  ce  qu'ils  appellent  «  l'apoplexie  hystérique  ». 
C'est  à  mon  avis  un  grand  service  qu'ils  ont  rendu  aux  cliniciens  en  faisant 
bien  connaître  ces  cas  restés  jusqu'à  eux  méconnus  ou  mal  connus,  dans  les- 
quels l'attaque  d'hémiplégie  hystérique  se  développe  brusquement,  au  milieu 
de  symptômes  qui  rappellent  ceux  de  l'apoplexie  avec  hémiplégie  de  cause 
organique.  Je  n'entreprendrai  pas  de  séparer  cliniquement  cette  apoplexie 
hystérique  de  l'attaque  de  sommeil,  par  la  simple  raison  qu'à  mon  avis  il 
s'agit  là  d'un  seul  et  même  état  morbide.  La  seule  différence  à  ce  qu'il  me 
semble,  serait  que  dans  les  cas  signalés  par  MM.  Debove  et  Achard  l'attaque 
de  sommeil  à  début  brusque  est  suivie  d'hémiplégie,  tandis  que  celle-ci  fait 
défaut  dans  les  autres,  et  à  ce  propos  je  pourrais  citer  comme  éminemment 
propre  à  bien  établir  la  relation  sur  laquelle  j'insiste  actuellement,  lecas  d'un 
hystérique  (le  fameux  dormeur  de  Londres  [1],  que  j'ai  eu  longtemps  dans 
mon  service  et  chez  lequel  les  attaques  de  sommeil  marquées  par  tous  les 
caractères  décrits  plus  haut,  et  dont  la  durée  était  en  moyenne  de  six  à  huit 
jours,  était  dans  certains  cas  accompagnée  d'hémiplégie  gauche^  tandis  que 
dans  d'autres  cas  c'était  le  mutisme  qui  occupait  la  scène. 

Mais  en  voilà  assez  pour  aujourd'hui  sur  le  sommeil  hystérique  :  c'est  un 
sujet  sur  lequel  j'aurai  certainement  l'occasion  de  revenir  quelque  jour.  Notre 
malade,  toujours  dormant,  va  être  reconduite  dans  son  service  qui  est  situé 
peut-être  à  un  demi-kilomètre  d'ici.  Elle  aura  donc  à  traverser  de  longues 
cours  et  il  n'est  guère  vraisemblable  que,  pendant  son  trajet,  elle  se  réveille. 
Il  est  même  assez  vraisemblable  que  je  pourrai  mardi  prochain  vous  la  pré- 
senter à  nouveau  telle  que  vous  l'avez  vue  aujourd'hui,  et  ayant,  par  consé- 
quent, pendant  huit  nouveaux  jours,  sans  cesse  et  sans  trêve,  dormi  du  som- 
meil particulier  dont  nous  venons  de  la  voir  dormir. 


i.  Le  nommé  Ch...ffat,  dont  l'histoirf  est  rapportée  dans  le    3«  volume    des  Leçons  sur   les 
maladies  du  système  nerveux.  —  Voir  l'Appendice. 


11 


-  72 


2"    Malade. 


Je  vais  maintenant,  conformément  à  nos  habitudes,  étudier  avec  vous  quel- 
ques-uns des  malades  qui  se  sont  présentés  ce  matin  même  à  la  consul- 
tation. 

Le  premier  est  une  de  nos  anciennes  connaissances.  Nous  Tavons  traité,  il 
y  a  environ  deux  ans,  pendant  plusieurs  mois  dans  nos  salles.  Il  est  venu  nous 
retrouver  ces  jours-ci  et  nous  l'avons  engagé  à  paraître  devant  nous,  une  fois 
de  plus^  ce  matin.  Ce  n'est  pas  d'hystérie  qu'il  est  question  cette  fois,  mais 
bien  d'une  affection  d'un  ordre  tout  différent. 

11  s'agit,  vous  le  reconnaissez  aux  reliefs  que  font  les  muscles,  d'un  homme 
d'une  vigueur  peu  commune,  d'une  sorte  d'athlète. 

Il  est  âgé  de  trente  et  un  an. 

Il  ne  procède  pas  de  gens  nerveux  et  jamais  il  n'avait  été  malade  avant  un 
accident  dont  je  parlerai  dans  un  instant.  Il  a  servi  dans  l'artillerie  pendant 
cinq  ans  sans  jamais  être  arrêté  par  le  moindre  malaise;  ce  n'est  pas  un 
alcoolique  et  jamais  il  n'a  eu  la  syphilis.  Il  exerce  la  profession  de  gardien  de 
le  paix  et  c'est  justement  dans  l'exercice  de  sa  profession  ingrate  qu'il  a  con- 
tracté l'affection  dont  aujourd'hui  encore  il  porte  les  traces. 

Voici  dans  quelles  conditions  la  maladie  s'est  produite  :1e  19  novembre  1886, 
vers  7  heures  du  soir,  alors  qu'il  courait  après  un  voleur,  il  fit  une  chute  sur  le 
genou  gauche.  Au  moment  de  sa  chute  il  ne  ressentit  pas  grande  douleur,  et  il 
put  même  continuer  à  faire  son  service,  un  peu  gêné  dans  la  marche  toute- 
fois, pendant  près  de  trois  quarts  d'heure  encore. 

Examinons  maintenant  de  près  l'état  actuel  du  malade;  nous  compléterons 
dans  un  instant  l'histoire  des  incidents  qui  se  sont  produits  à  la  suite  de  cette 
chute. 

M.  CiiARCOT  [au  malade)  :  Veuillez  mettre  A  nu  vos  jambes  et  vos  cuisses, 
dépouillez-vous  de  votre  pantalon. 

Veuillez  considérer.  Messieurs,  les  choses  d'un  peu  près  :  au  membre  infé- 
rieur droit,  vous  le  voyez  (fig.l8)la  musculature  de  la  cuisse  et  de  la  jambe  est 
bien  celle  d'un  atlilète,  comme  je  vous  le  disais  tout  à  l'heure  et  les  reliefs 
musculaires  déjà  si  accusés  à  l'état  de  repos,  s'exagèrent  encore  lorsqu'on 
dit  au  malade  de  raidir  ses  membres  autant  que  possible.  Alors  l'action  des 
muscles  extenseurs  de  la  jambe  devient  tellement  puissante   qu'il  se  produit 


—  73  — 

entre  celle-ci  et  la  cuisse,  un  angle  obtus,  ouvert  en  avant  de  façon  à  rappeler 
la  déformation  connue  sous  le  nom  de  rjenu  recurvatum.  Pareille  chose  ne  se 


Fig.  18.  —  Les  membres  inférieurs  vus 
de  profil.  La  ligne  imaginaire  A,  B,  G, 
montre  l'angle  obtus  ouvert  en  avant  que 
font  la  cuisse  et  la  jambe  droites.  A'  ,B',  G' 
montre  au  contraire  l'angle  ouvert  en  ar- 
rière que  font  la  cuisse  et  la  jambe  gau- 
ches, ainsi  que  la  tuméfaction  apparente 
du  genou  de  ce  même  côté. 


Fig.^19.  —  Les  membres  inférieurs  vus  de 
profil. 

(Môme  signification  des  lettres  que  dans  le 
cas  précédent.) 

[Croquis  cVapvès  nature.  J.  M.  C.) 


voit  à  l'état  normal  que  chez  les  gens  exceptionnellement  vigoureux.  Exami- 
nons maintenant  l'état  du  membre  inférieur  gauche.   Le  contraste  est  vrai- 


74 


ment  très  frappant.  En  efïet,  ce  membre  dans  toute  son  étendue,  cuisse,  fesse 
et  jambe,  est  très  manifestement  amaigri  {fig.18, 19, 20,21);  l'amaigrissement 


^ 


Fig.  20.  —  Atrophie  totale  du  membre 

inférieur  gauche. 
A,  Fesse.  —  B,  Cuisse.  —  C,  Jambe. 


Fig:.    21.  --   Le   muscle  tenseur  du  fascia 
lata  (A)  est  relativement  conservé  (1). 


portant  toutefois  tout  particulièrement  sur  les  muscles  antérieurs  de  la  cuisse 

1.  Les  croqul^  des  fig.  18,  19,  ^20,  21  ont  été  recueillis  en  janvier  1887.  Aujourd'hui, 
13  novembre  1888  les  choses,  quant  à  ce  qui  est  de  l'atrophie,  sont  restées  à  peu  près  telles 
quelles  ;  seulement  celle-ci  est  un  peu  moins  prononcée. 


...  75 

extenseurs  de  la  jambe.  Partout  les  reliefs  musculaires  sont  relativement  peu 
accusés,  alors  même  que  le  malade  fait  tous  ses  efforts  pour  produire  d'éner- 
giques contractions. 

Remarquez  que,  quoi  qu'il  fasse,  ce  membre  reste  demi-fléchi  au  niveau  du 
genou  (fig.  19  B.),  en  même  temps  que  la  rotule  se  montre  trùs  mobile  laté- 
ralement, tandis  qu'à  droite  elle  est  fortement  fixée  contre  les  surfaces  osseuses 
articulaires,  dans  ces  mêmes  conditions  d'extension  forcée.  Voilà,  je  le  répète, 
un  contraste  bien  remarquable  dont  il  s'agira  de  faire  ressortir  la  significa- 
tion. 

Mais  auparavant,,  je  veux  compléter  notre  description  par  quelques  détails. 
Vous  voyez  que  le  genou  gauche  est  comme  arrondi,  il  semble  un  peu  tuméfié, 
flasque  au  toucher  ;  on  pourrait  croire  que  la  synoviale  contient  du  liquide  ; 
nous  nous  assurons,  par  une  palpation  méthodique,  qu'il  n'en  est  rien  absolu- 
ment. Cette  apparence  tient  évidemment,  du  moins  cela  nous  paraît  être,  au 
défaut  d'action  des  muscles  tenseurs  de  la  rotule  et  de  la  capsule  articu- 
laire. 

Veuillez  remarquer  encore  une  fois  la  maigreur  de  la  fesse  gauche  compa- 
rée à  la  fesse  droite  (fîg.  20),  celle  de  la  cuisse  gauche  surtout  prononcée,  je 
le  répète  encore  une  fois,  sur  les  muscles  de  l'extension  (fig.l9et  20). 

La  différence  entre  les  deux  cuisses,  après  deux  ans,  est  encore  de  deux  cen- 
timètres et  demi.  La  différence  de  volume  entre  les  deux  mollets  est  un  peu 
moins  prononcée,  mais  elle  est,  cependant,  encore  très  sensible  (fig.20). 

Eh  bien.  Messieurs,  après  tous  les  détails  dans  lesquels  nous  venons  d'entrer 
et  étant  donné  la  connaissance  de  l'accident  du  19  novembre  1886,  on  peut 
en  quelque  sorte  reconstituer,  tant  les  phénomènes  relevés  sont  caractéristi- 
ques, l'histoire  tout  entière  de  la  maladie.  J'insisterai  particulièrement  sur  les 
traits  suivants  :  atrophie  musculaire  d'un  membre  tout  entier,  mais  manifes- 
tement prédominante  sur  les  muscles  extenseurs  de  l'articulation  sur  laquelle, 
lors  de  la  chute,  le  choc  a  porté,  —  absence  de  troubles  de  la  sensibilité. 
J'ajouterai,  comme  détails  complémentaires,  l'absence,  reconnue  ces  jours-ci 
mais  aussi  dans  les  premiers  temps  du  mal,  de  la  réaction  de  dégénération  et 
enfin  l'exagération  du  réflexe  rotulien  du  côté  malade,  beaucoup  moins  accen- 
tué aujourd'hui  toutefois  qu'elle  ne  l'était  autrefois. 

Voilà,  je  le  répète,  Ténumération  de  faits  qui,  dans  leur  ensemble,  consti- 
tuent un  syndrome  vraiment  caractéristique.  Il  révèle,  quand  tous  ces  caiac- 
tères  se  trouvent  réunis,  l'existence  d'une  atrophie  musculaire  de  cause  articu- 
laire,iiuiremeni  dit  d'une  amyotrophie  consécutive  à  la  lésion  d'une  jointure. 

Je  ne  m'étendrai  pas,  Messieurs,  sur  l'histoire  générale  de  ces  amyotrophies 
articulaires.  C'est  un  sujet  d'ailleurs  que  j'ai  traité  dans  maintes  circonstances, 
en  particulier  dans  les  Leçons  sur  les  maladies  du  sxjstème  nerveux  (t.  III, 
1887,  p.  27  et  suivantes),  et  plus  récemment  dans  les  Leçons  du  mardi  de  la 
précédente  année  scolaire  (p.  331).  Je  renvoie  à  ces  leçons  ceux  qui   vou- 


—  76  — 

(iraient  approfondir  la  matière  et  je  me  contenterai  aujourd'hui  de  quelques 
remarques  qui  s'appliquent  plus  spécialement  au  malade  que  nous  avons  sous 
les  yeux. 

L'histoire  de  Taffection  articulaire  qui^  chez  notre  homme,  a  été  la  cause 
de  tout  le  mal,  est  fort  intéressante  en  ce  sens  qu'elle  montre  qu'une  arthrite 
même  légère,  peut  chez  certains  sujets  avoir  pour  effet  de  déterminer  très 
rapidement  la  production  a'une  amyotrophie  très  prononcée  et  qui  longtemps 
privera  le  malade  de  l'usage  de  ce  membre.  Ainsi  que  je  le  faisais  remarquer 
tout  à  l'heure,  R...  a  pu,  après  sa  chute,  continuer,  le  soir,son  service  pendant 
plus  de  trois  quarts  d'heure.  11  n'y  avait  pas  de  plaie,  pas  traces  de  contusion,, 
et  la  nuit  il  souffrit  à  peine.  Mais  le  lendemain  matin  le  genou  était  rouge, 
tuméfié,  et  il  y  avait  de  la  fièvre.  Il  fallut  donc  garder  le  lit.  Les  choses 
allèrent  ainsi  pendant  trois  jours.  —  Vers  le  quatrième  jour,  la  fièvre  ayant 
cessée  et  la  tuméfaction  ainsi  que  la  douleur  s'étantconsidérablementamendées 
dans  le  genou,  le  malade  commença  à  pouvoir  quitter  le  lit  et  à  faire  quelques 
pas  dans  la  chambre,  fort  gêné  toutefois  dans  l'usage  de  son  membre  inférieur 
gauche  qui  était  «  très  faible  ».  Au  bout  de  quinze  jours,  il  pouvait  sortir  de 
chez  lui  et  se  rendre  à  l'hôpital  de  la  Pitié,  près  duquel  il  demeure,  pour  y 
prendre  des  consultations. 

Le  genou  dans  ce  temps-là  était  encore  un  peu  gonflé  mais  non  douloureux,, 
assure-t-il,  et  la  gêne  qu'il  éprouvait  pour  marcher,  il  l'attribuait  non  à  la 
douleur  mais  à  la  faiblesse  du  membre. 

C'est  six  semaines  après  l'accident  qu'il  se  présenta  pour  la  première  fois  à 
la  Salpêtrière  où  il  fut  admis  :  à  cette  époque,  l'arthrite  avait  complètement 
disparu,  sans  laisser  de  traces;  mais  l'atrophie  du  membre  tout  entier,  pré- 
dominant toutefois,  comme  c'est  la  règle  en  pareil  cas,  sur  la  région  anté- 
rieure de  la  cuisse,  était  poussée  déjà  au  plus  haut  degré.  Toute  trace  de 
douleur  était  disparue  dans  le  genou  et  cependant  l'impuissance  motrice 
dans  le  membre  gauche  tout  entier,  surtout  en  ce  qui  concerne  les  mouve- 
ments d'extension  de  la  jambe,  était  fort  prononcée. 

C'est  évidemment  d'une  paralysie  amyotrophique  qu'il  s'agissait  ici  et  cette 
amyotrophie  développée  en  conséquence  de  l'affection  articulaire  s'était 
accusée  bien  rapidement,  puisque  au  bout  de  six  semaines  elle  était  considé- 
rable. 11  est  clair  qu'au  milieu  d'un  pareil  concours  de  circonstances,  la  théorie 
([ui  voudrait  rattacher  les  amyotrophies  de  ce  genre  à  l'influence  de  l'inaction 
prolongée  des  muscles  ne  mérite  même  pas  d'être  discutée,  puisqu'en  somme 
l'inaction  totale  n'a  pas  duré  plus  de  quatre  ou  cinq  jours. De  même, on  ne  saurait 
admettre  que  ces  amyotrophies  soient  la  consé(|ucnce  d'une  propagation  aux 
muscles  d'un  processus  inflammatoire,  car  dans  notre  cas  l'arthrite,  en  somme, 
a  été  fort  peu  de  chose  ;  d'ailleurs,  il  serait  bien  difficile  d'expliquer  une 
extension  aussi  rapide  d'un  processus  intlammaloire  à  toute  l'étendue  d'un 
membre  et   sa   prédominance   très  marquée  sur  les  muscles  antérieures  de  la 


—  77  — 

cuisse.  Seule,  la  théorie  imaginée  par  Vulpian,  que  j'ai  depuis  longtemps 
adoptée  et  soutenue,  me  paraît  applicable  â  rinter[>rétation  de  toute  la  série 
de  faits  que  nous  venons  d'exposer.  Elle  consiste, vous  le  savez,  à  admettre  que 
sous  l'influence  de  l'affection  de  la  jointure,  les  nerfs  articulaires  centri- 
pètes, irrités  à  leurs  extrémités  périphériques,  transmettent  l'irritation  jusqu'à 
la  substance  grise  spinale,  et  plus  précisément  aux  grandes  cellules  nerveuses 
des  cornes  antérieures  :  d'où  l'amyotrophie  consécutive  {y  o\y  Leçons  du  Mardi, 
1887-1888,p.335).Pour  avoir  soutenu  cette  théorie  un  confrère  allemand  m  accu- 
sait ces  jours-ci  de  «  mysticisme  ».  Voilà  une  accusation  faite  pour  me  rendre 
rêveur,  car  je  ne  vois  pas  bien  ce  qu'il  peut  y  avoir  de  «  mystique  >>  dans  une 
théorie  fondée  sur  des  analogies  anatomiques  et  physiologi<[ues. D'ailleurs, 
quoi  qu'il  en  puisse  être,  la  théorie  en  question  paraît  être  aujourd'huifondée 
autrement  que  sur  des  analogies  et  sur  des  vraisemblances  puisque,  ainsi  que 
M.  Klippel  l'a  fait  voir  (Société  anatomique,  novembre  1887  et  janvier  1888)  la 
lésion  supposée  des  cellules  des  cornes  antérieures  a  pu  se  trouver  réalisée  et 
démontrée  dans  un  cas  par  un  examen  nécroscopique  attentif. 

Il  est  d'autres  enseignements  encore  fournis  par  notre  cas.  Voyez  comment 
les  amyotrophies  de  cause  articulaire  sont  tenaces  et  durables, alors  même  que 
la  cause  provocative  a  été  vraiment  minime.  Voilà  deux  ans  que^la  maladie  a 
commencé  et  chez  notre  homme  elle  laisse  subsister  des  traces  profondes;  l'atro- 
phie est,vous  l'avez  vu,considérable  encore  et  les  mouvements  du  membre  sont, 
à  l'heure  qu'il  est,  toujours  fort  gênés;  c'est  au  point  qu'il  est  impossible  au 
malade  de  courir.  Voilà  qui  est  fait  pour  surprendre,  lorsque  l'on  songe  que. 
dans  la  règle,  ce  genre  d'atrophie  musculaire  ne  s'accompagne  pas  de  la 
réaction  de  dégénération;  là,  en  général,  toutes  les  réactions  persistent,  elles 
sont  seulement  affaiblies  parallèlement.  Eh  bien,  malgré  tout  cela,  je  le  ré- 
pète, les  amyotrophies  en  question  sont  fort  rebelles.  Je  puis  en  parler  en 
connaissance  de  cause  car  j'ai  sur  ce  sujet  quelque  expérience  et  je  puis 
citer  en  particulier  le  cas  d'un  employé  de  télégraphe  qui  a  fait  l'objet  d'une 
de  mes  leçons  cliniques  (T.  III,  2°  leçon).  Chez  ce  malade  qui, lui  aussi,  avait 
été  frappé  d'une  amyotrophie  d'un  membre  inférieur  en  conséquence  d'un 
léger  traumatisme  du  genou,  la  guérison,dérmitive  depuis, n'a  pu  être  obtenue 
qu'au  bout  de  plusieurs  années. Et  n'allez  pas  croire  ([ue  la  longue  persistance  de 
l'amyotrophie  et  de  la  faiblesse  du  membre,  soit  chez  notre  sergent  de  ville  la 
conséquence  de  quelque  négligence  dans  le  traitement.  Ce  serait  une  erreur 
profonde;  le  traitement  électrique  méthodique  a  été,  chez  lui,  commencé  dès 
son  entrée  à  la  Salpêtrière,  il  y  a  deux  ans,  c'est-à-dire  de  bonne  heure,  et  il 
n'a  pas  cessé  d'être  continué  depuis  lors,  régulièrement,  sans  grands  inter- 
valles, le  malade,  depuis  sa  sortie  de  l'hospice  ayant  continé  de  se  rendre  à 
peu  près  tous  les  deux  jours  au  service  électro-thérapique  annexé  à  la  cli- 
nique. 

La   situation,    sans  doute,  s'améliore  peu  à  peu,  progressivement;  mais 


—  78  - 

combien  il  reste  à  faire  encore,  pour  obtenir^  si  toutefois  elle  est  possible, 
une  restitution  absolument  complète. 

La  morale  de  tout  ceci,  Messieurs,  c'est  que  nous  ne  devons  pas,  en  pré- 
sence d'une  amyotrophie  articulaire,  alors  même  qu'elle  a  été  déterminée  par 
une  lésion  banale,  porter  un  pronostic  trop  favorable. 

La  maladie  sera  longue,  à  peu  près  nécessairement  quoi  qu'on  fasse,  et  il 
n'est  pas  certain  qu'on  doive  toujours  la  voir  disparaître  complètement  sans 
laisser  de  traces. 


3«  ET  4®  Malades 


On  introduit  une  petite  fille  âgée  de  douze  ans  accompagnée  de  sa  mère  ; 
elle  est  atteinte  d'une  paralysie  faciale  complète  du  côté  gauche  (paralysie 
périphérique);  l'œil  gauche  ne  peut  pas  se  fermer  complètement.  Cette  para- 
lysie date  de  dix-huit  jours^  on  s'en  est  aperçu  un  soir  que  l'enfant  revenait 
de  l'école.  En  même  temps  que  la  distorsion  des  traits  de  la  face  il  y  avait  au 
début  quelques  douleurs  derrière  l'oreille  gauche  (1). 

M.  Charcot  :  Vous  connaissez  nos  idées  relativement  à  la  paralysie  faciale 
dite  afrigore.  Souvent  l'impression  du  froid,  quand  elle  a  réellement  existé, 
ne  peut  être  considérée  que  comme  une  cause  occasionnelle. 

Il  ne  faut  jamais  négliger,  quand  il  s'agit  de  paralysie  faciale  dite  rhuma- 
tismale,ainsi  que  M-NeumanuTabien  montré, —  si  l'on  veut  se  rendre  vraiment 
compte  de  la  situation,  —  de  rechercher  s'il  n'existe  pas  quelque  tare  ner- 
veuse dans  la  famille. 

Or,  voici  quels  sont  chez  cette  jeune  fille  les  antécédents  de  famille  révélés 
par  sa  mère. 

Son  père  a  été  il  y  a  trois  ans  renferme  comme  aliéné,  à  l'asile  de  Vaucluse 
où  il  est  resté  deux  ans  et  demi.  Son  grand-père  paternel  qui  a  mené  une  vie 


1.  L'examen  électrique  a  donné  les  rcâultats  suivants  le  10  novembre  1888:  forme  légère  de 
la  réaction  de  dCgénéresccnce.  —  Pronostic,  quant  à  la  dui'ée,  un  mois  environ.  — «  R.Vigou- 
roux.  » 


-  l'J  — 


très  iiTéj'ulièie,  est  mort  paralysé  d'un  côté  du  corps.  —  Sa  mère  est  ner- 
veuse, très  impressionnable  ;  la  ^^'and'mère  maternelle  a  été  paralysée  du  côté 
droit  du  corps  et,  parait-il,  Jiphasique  à  l'âge  de  4H  ans.  —  Un  oncle  maternel 
a  été  paralysé  (?)  à  l'âge  de  9  ans  ;  il  est  mort  de  la  poitrine  à  l'âge  de  30  ans. 
Voilà  les  antécédents  qui  certainement  viennent  plaider  fortement  en  faveur 
de  la  thèse  soutenue  par  M.  Neumann  (1). 


M.  CriARCOT  :  ...  C'en  est  assez  sur  ce  cas.  Voici  qu'on  nous  amène  un  second 
exemple  de  paralysie  faciale  périphérique,  autant  ({ue  j'en  puis  juger  par  un 
examen  très  superficiel.  —  Mais  voyez,  on  ne  saurait  s'y  tromper!  la  commis- 
sure labiale  est  tombante  vers  la  droite  et  l'œil  droit  ne  se  ferme  point. 

Au  moindre  jeu  de  physionomie,  on  remarque  que  du  côté  droit  les  traits  du 
visage  restent  absolument  immobiles. 

[Au  malade)  :  Quel  âge  avez-vous  ? 

Le  malade  (en  bégayant  fortement)  :  Vingt-huit  ans. 

M.  CnARCOT  :  Depuis  quand  avez-vous  cette  paralysie  ? 

Le  malade  :  Depuis  onze  jours. 

M.  Charcoï  :  Avez-vous  ressenti  un  peu  avant  une  impression  de  froid  ? 

Le  malade  :  Je  ne  m'en  suis  pas  aperçu,  mais  j'ai  été  consulter  un  médecin 
qui  m'a  dit  que  ce  devait  être  l'effet  d'un  courant  d'air. 

M.  Ciiarcot  :  Eh  bien,  vous  le  voyez,  Messieurs,  voilà  une  étiologie  imposée 
par  le  médecin  ! 

(Au  malade)  :  Avez-vous  souffert  du  côté  de  l'oreille  ou  de  la  face,  ces 
jours-ci  ? 

Le  malade  :  Non,  monsieur,  absolument  pas  ;  je  n'ai  rien  senti  du  tuut.  Je 
me  suis  aperçu  que  j'avais  la  face  tournée  en  me  réveillant  le  matin.  J'avais 
dormi  comme  de  coutume. 

M.  CuARCOT  :  Le  pronostic  de  la  paralysie,  comme  durée,  ne  pourra  être 
.fourni,  vous  le  savez,  que  par  un  examen  électricpie  que  nous  aurons  à  pra- 
tiquer. 

(Au  malade)  :  Vous  avez  toujours  bégayé  comme  vous  le  faites  ? 

Lemalade  :  Oui,  monsieur,  c'est  chez  nous  une  maladie  de  famille.  Mon  père 
est  bègue,  mon  grand-père  paternel  l'était  également. 

M.  CiiARcoï  :  Voilà,  remarquez-le  bien,  Messieurs_,une  révélation  inattendue, 
fort  intéressante. 

Le  bégaiement  en  effet  figure  dans  la  famille  neuropathologique  et  y  occupe 
un  rang  distingué. 


1.  Voir,  à  ce  sujet,  dans  un  nouveau  travail  de  M.  Neumann  :  De  la  prédisposition  nerveuse 
dans  V étiologie  de  la  paralysie  faciale  dite  *  à  frigore  »  {Union  médicale,  15  novembre  et 
!«'  décembre  1888).  Voir  aussi  Leçons  du  mardi  1887-88.  La  table. 


—  80  — 

Voilà  donc  un  cas  qui,  comme  le  précédent,  vient  confirmer  nos  idées  rela- 
tives à  l'étiologie  de  la  paralysie  faciale  dite  à  frigore.  Mais  pénétrons  plus 
avant  et  peut-être  aurons-nous  à  relever  encore  dans  la  famille  quelque  chose 
d'important. 

[Au  malade)  :  Y  a-t-il  dans  votre  famille  quelque  cas  de  maladie  nerveuse- 
autre  que  le  bégaiement?  le  bégaiement  en  somme  est  plutôt  une  infirmité 
qu'une  maladie. 

Je  malade  :  J'ai  eu  un  frère,  mort  maintenant,  qui  a  été  traité  à  Bicêtre  dans 
le  service  de  M.  Bourneville.  C'était  un  enfant  arriéré  et  il  avait  des  attaques- 
convulsives. 

M.  CuARCOT  [aux  auditeurs)  :  Eh  bien,  Messieurs,  qu'en  pensez-vous  ?  Voilà 
deux  cas  de  paralysie  faciale  périphérique  pris  au  hasard  ;  ne  sont-ils  pas  au 
point  de  vue  de  l'hérédité  nerveuse  suffisamment  significatifs  ? 


5*  Malade. 


On  introduit  dans  la  salle  un  homme  de  54  ans  exerçant  la  profession  de 
forgeron. 

M.  Charcoï  [au  malade)  :  Pourquoi  venez-vous  nous  consulter  ? 

Le  malade  :  C'est  que  je  me  sens  souvent  menacé  do  tomber  du  côté  gauche. 

M.  CiiARCOT  :  Avez-vous  des  bourdonnements  d'oreille,  et  de  quel  côté? 

Le  malade  :  Oui,  monsieur,  du  côté  gauche  et  de  ce  côté-là  je  n'entends  pas 
très  bien.  —  (On  constate  en  effet,  sommairement,  à  l'aide  d'une  montre,  que 
l'ouïe,  du  côté  de  l'oreille  gauche,  est  fortement  obnubilée.) 

M.  GiiARCOT  :  Avez-vous  remarqué  que  les  bourdonnements  de  votre  oreille 
soient  plus  forts  au  moment  où  vous  êtes  menacé  de  tomber  à  gauche  ? 

Le  malade  :  Oui,  quand  j'ai  le  vertige,  cela  me  prend  par  un  mal  de  cœur  et 
par  un  bourdonnement  dans  les  oreilles. 

M.  Gharcot  :  Êtes-vous  jamais  tombé  par  le  fait  de  votre  vertige? 

Le  malade  :  Non,  je  ne  suis  jamais  tombé;  j'ai  toujours  pu  me  retenir. 

M.  CiiARcoT  :  Mais  vous  êtes  sérieusement  menacé  dt,  tomber? 

Le  malade  :  Si  je  n'avais  pas  une  canne,  je  serais  exposé  à  tomber  à  gauche. 


—  81  — 

M.  CuAHCOT  :  Je  vois  que  vous  avez  non  seulement  une  canne,  mais  encore 
un  parapluie.  Il  vous  faut  donc  un  double  appui  pour  marcher  dans  les  rues? 

Le  malade  :  Oh!  monsieur,  je  ne  puis  pas  marcher  dans  les  rues  :  je  suis 
toujours  comme  si  j'étais  pris  de  boisson,  je  titube;  je  n'ose  pas  sortir  seul. 

M.  CiiARcoT  :  Votre  étourdissement  est  donc  permanent,  incessant? 

Le  malade  :  Oui,  monsieur,à  peu  près,  seulement  par  moment  j'jii  des  étour- 
dissements  plus  forts,  avec  crainte  d'être  précipité  du  cùté  gauche,  et  c'est 
alors  que  j'ai  des  envies  de  vomir. 

M.  CnAHCoT  :  Vomissez-vous  alors  quelquefois? 

Le  malade  :  Non,  je  ne  vomis  pas,  mais  j'ai  bien  mal  au  cœur. 

M.  CiiARCOT  :  A  quoi  ressemble  le  bruit  que  vous  avez  dans  les  oreilles? 

Le  malade  :  C'est  une  espèce  de  bourdonnement;  on  dirait  un  oiseau  qui 
vole,  cela  augmente  quand  je  tourne  brusquement  le  tête,  soit  à  gauche,  soit 
à  droite,  cela  augmente  aussi  quand  je  vais  avoir  un  grand  vertige. 

M.  Charcot  :  Et  la  nuit,  quand  vous  êtes  au  lit,  qu'est-ce  qui  vous  arrive? 

Le  malade  :  J'ai  souvent  des  vertiges,  il  me  semble  que  je  suis  en  mer,  et 
quelquefois  les  croisées  me  paraissent  monter  au  plafond. 

M.  CiiARCOT  :  Avez-vous  donc  été  en  mer  par  un  gros  temps? 

Le  malade  :  Oui,  monsieur,  j'ai  fait  la  campagne  de  Crimée. 

M.  Charcot  :  Vous  n'avez  jamais  perdu  connaissance  au  moment  de  ces 
vertiges? 

Le  malade  :  Non,  monsieur,  jamais;  j'ai  toujours  dans  ces  moments-là  la 
tête  à  moi. 

M.  Charcot  :  Avez-vous  eu  des  douleurs  d'oreille,  des  écoulements? 

Le  malade  :  Non,  monsieur,  jamais. 

M.  Charcot  :  Depuis  quand  avez-vous  ces  vertiges? 

Le  malade  :  Depuis  six  semaines  seulement.  J'oubliais  de  vous  dire,  mon- 
sieur, qu'au  commencement  de  ma  maladie,  la  première  fois  que  j'ai  eu  le 
vertige,  j'étais  en  chemin  de  fer  et  alors  j'ai  vomi. 

M.  Charcot  :  Avez-vous  été  traité  déjà? 

Le  malade  :  Oui,  monsieur,  on  m'a  dit  que  j'étais  atteint  d'anémie  céré- 
brale et  l'on  m'a  fait  prendre  beaucoup  d'iodure  et  de  bromure.  Ça  ne  m'a 
rien  fait  du  tout. 

M.  Charcot  :  Je  le  crois  bien.  J'ai  tenu_,  Messieurs,  à  faire  parler  ce  malade 
devant  vous,  longuement,  parce  qu'il  explique  parfaitement  son  atïaire. 

Le  diagnostic,  certes,  après  ce  colloque,  ne  vous  paraîtra  pas  difficile.  Il 
s'agit  du  vertige  ab  aure  lœsa  se  présentant  non  seulement  sous  la  foi  me 
d'accès  séparés,  mais  encore  sous  celle  du  vertige  permanent  sur  laquelle  j'ai 
appelé  l'attention. 

Il  reste  cependant  encore,  avant  de  fixer  complètement  ce  diagnostic  et  de 
procéder  au  traitement,  à  rechercher  s'il  ne  s'agit  pas  ici,  comme  cela  a  lieu 
dans  certains  cas,  d'une  accumulation  cérumineuse  dans  le  conduit  externe. 


—  b2  — 

refoulant  la  membrane  du  tympan.  Si  cela  était,  il  suffirait  probablement 
d'enlever  le  bouchon  pour  mettre  un  terme  aux  accidents  nerveux.  Si,  au  con- 
4:raire,  le  point  de  départ  des  accidents  est  soit  dans  l'oreille  moyenne,  soit 
dans  l'oreille  interne,  peu  importe  en  ce  qui  concerne  les  phénomènes  verti- 
gineux, le  traitement  sera  toujours  le  même  :  le  malade  prendra  pendant  deux 
ou  trois  séries  de  quinze  jours  ou  trois  semaines,  séparées  par  des  intervalles 
Kie  huit  ou  dix  jours,  le  sulfate  de  quinine  à  la  dose  de  0,60,  0,80  à  1  gramme 
par  jour.  La  cessation  des  sensations  vertigineuses  à  la  suite  de  ce  traitement 
sera,  si  j'en  juge  d'après  une  expérience  déjà  longue,  un  résultat  sur  lequel  vous 
pouvez  compter  presque  nécessairement.  Je  vous  ferai  remarquer  seulement 
que  le  vertige  chronique  résiste  en  général  beaucoup  plus  à  l'action  de  la 
médication  que  ne  le  fait  le  vertige  par  accès. 

J'ai  eu  bien  des  fois  l'occasion  Tan  passé  de  vous  parler  du  vertige  de  Mé- 
nière  et  de  son  traitement  par  le  sulfate  de  quinine.  Si  je  reviens  sur  ce  sujet 
fréquemment  et  avec  insistance,  c'est  que  je  suis  amené  à  constater  à  chaque 
instant,  que  les  notions  qui  s'y  rattachent  n'ont  pas  encore  pénétré  suffisam- 
ment dans  la  clinique.  J'ai  eu,  en  effet,  Messieurs,  plusieurs  fois  l'occasion  de 
vous  faire  remarquer  qu'aujourd'hui  encore  des  praticiens  même  distingués 
rapportent  souvent  soit  à  la  congestion  ou  à  l'anémie  cérébrale,  soit  encore  au 
vertige  gastrique,  ce  qui  appartient  réellement  au  vertige  ab  aure  lœsa. 


u D.  oc  .u  so:.  d*  Typ.    •    r^oiinT.  .,  (,  r.  C*n>|>«}r.e->'iciniiie.  I'«t». 


Policlinique  du  Mardi  20  Novembre  1888 


CINQUIÈME  LEÇON 

l*""  Malade.  —  Cas  complexe  :  paralysie  spinale  infantile,  para- 
plégie alcoolique,  attaques  hystéro-épileptiques. 
2%  'i%  et  4^  Malades.  —  Paralysie  faciale  périphérifjue. 


1^'  Malade. 


I 


Messieurs,  je  vais  faire  comparaître,  dans  le  l»ut  de  l'étudier  avec  vous 
médicalement,  un  sujet  fort  singulier,  fort  original  et  qui,  au  point  de  vue 
clinique,  ofïre  un  cas  complexe  assez  difficile  à  débrouiller.  Raison  de  plus 
pour  nous  y  attacher. 

Nous  l'avons  depuis  quelque  temps  sous  notre  direction  dans  cet  hospice  et 
nous  l'avons  examiné  plusieurs  fois  déjà  avec  intérêt.  Il  n'y  a  donc  rien,  chez 
lui,  qui  soit  tout  à  fait  imprévu  pour  nous  et  nous  pourrons  par  conséquent 
entrer  à  son  propos  dans  des  détails  circonstanciés.  Sommairement,  avant  de 
procéder  à  l'analyse,  je  tiens  à  vous  le  présenter  comme  un  bizarre,  un  toqué  ; 
c'est, on  tout  cas, dans  la  catégorie  faubourienne, un  type  parisien  assez  réussi, 
et  qui  mérite  à  tous  égards  qu'on  s'y  arrête. 

(Le  malade  est  introduit.) 

M.  Charcot.  —  Veuillez  remarquer,  messieurs,  tout  d'abord  sa  démarche 
et  prêter  attention  au  bruit  qu'il  fait  lorsqu'à  chaque  pas  ses  pieds  viennent 
successivement  frapper  le  parquet.  Ceux  d'entre  vous  qui  ne  sont  pas  tout  à 
fait  neufs  dans  la  matière,  ont  immédiatement  reconnu  qu'il  s'agit  ici  de  la 
démarche  du  sfeppt'wr,  ainsi  que  j'ai  proposé  de  la  dénommer  (Voir  Leçons 
du  mardi,  leçon  du  27  mars  1888)  ;  vous  savez  ce  qu'on  entend  par  là. 
Steppeur  vient  du  mot  anglais  slepper  signifiant  cheval  qui  a  de  l'action. 

Or,  une  des  particularités  du  steppeur,  c'est  que  dans  la  progression  il 
fléchit  ses  cuisses  à  l'excès  et  élève  ses  pieds  démesurément.  Vous  voyez   ce 

13 


—  84  — 

caractère  se  produire  chez  notre  homme  :  à  chaque  pas  il  fléchit  plus  que  cela 
ne  se  fait  dans  la  marche  physiologique  la  cuisse  sur  l'abdomen,  et  la  jambe 
sur  la  cuisse,  de  façon  à  soulever  les  pieds  anormalement  au-dessus  du  sol  ; 
mais  ceux-ci  sont  flasques  dans  l'articulation  tibio-tarsienne  par  suite  de  la 
paralysie  des  extenseurs  et  il  en  résulte  que,  en  retombant  sur  le  sol,  chacun 
d'eux  fait  entendre  deux  bruits  successifs,  d'abord  un  bruit  «  de  pointe  »,  puis 
un  bruit  de  «  talon  »,  le  second  bruit  plus  fort  que  le  premier  :  tic,  toc,  tic, 
toc.  Ceci  contraste  singulièrement  avec  la  démarche  classique  du  tabétique 
qui,  à  chaque  pas,  lance  en  avant  sa  jambe  étendue  et  frappé  du  talon  le  sol, 
en  produisant  un  bruit  unique. 

Ainsi  que  je  le  rappelais  tout  à  l'heure,  les  gens  qui  marchent  en  steppant 
ont  généralement  une  paralysie  plus  ou  moins  prononcée  des  extenseurs  des 
pieds,  et  c'est  justement  à  cette  circonstance  qu'est  dû  si  je  ne  me  trompe, 
pour  la  majeure  partie  du  moins,  le  phénomène  du  steppage. 

Chez  notre  homme  vous  constatez  aisément,  lorsqu'il  est  assis,  cette  para- 
lysie et  vous  remarquez  qu'elle  est  absolue  à  gauche,  tandis  qu'à  droite  elle 
reste  incomplète.  Là  le  pied  est  ballant  absolument  dans  l'articulation  tibio- 
tarsienne  et  le  sujet  est  impuissant  à  en  opérer  la  flexion  dorsale,  tandis  qu'à 
droite  ce  mouvement  est  possible  et  en  même  temps  le  pied  se  porte  dans 
Vadduction  ;  mais  nous  reviendrons  sur  ces  détails  dans  un  instant. 

Eh  bien,  messieurs,  ce  fait  de  l'existence  de  la  démarche  du  steppeur  a  dû 
déjà,  chez  quelques-uns  d'entre  vous,  éveiller  certaines  idées  relatives  au 
diagnostic.  Cette  démarche,  certes,  n'est  point  spéciale  à  un  seul  état  morbide  ; 
on  peut  dire  que  c'est  un  complexus,  un  syndrome  si  vous  voulez,  commun  à 
plusieurs  espèces  nosographiques. 

Mais  vous  allez  voir,  i)ar  Ténumération  (|ue  nous  allons  en  faire  que,  même 
en  dehors  des  particularités  relatives  à  la  marche,  ces  afl'ections  ont  bien  des 
traits  en  commun.  Ainsi  le  s^e;?pa^e  peut  se  voir  dans  l'intoxication  satur- 
nine, bien  qu'il  y  soit  un  fait  exceptionnel,  la  paralysie  en  pareil  cas  portant 
principalement  et  dans  la  règle  à  peu  près  exclusivement  sur  les  extenseurs 
du  poignet. 

Il  peut  être  un  des  symptômes  des  paraplégies  arsenicales  ainsi  que  nous 
l'avons  pu  constater  récemment  chez  un  sujet  qui  nous  a  été  adressé  par 
MM.  Brouardel  et  Marie. 

On  l'observe  encore  très  communément  dans  le  béribéri  sec  ;  souvent  nous 
l'avons  constaté  en  pareil  cas  chez  des  sujets  venant  du  Brésil  et  aussi  chez 
quelques  personnes  européennes  ayant  résidé  à  Panama,  à  l'occasion  des  tra- 
vaux du  percement  de  l'isthme. 

Mais  dans  le  cas  ({ue  nous  avons  sous  les  yeux  il  est  facih^  (réliminer  toutes 
ces  causes  là,  et  à  la  suite  d'un  interrogatoire  même  très  sommaire,  il  de- 
vient, du  premier  coup,  éminemment  vraisemblable  que  la  cause  à  invoquer, 
c'est  l'alcoolisme. 


—  85  — 

Eh  bien,  messieurs,  l'examen  plus  attentif  auquel  nous  allons  procéder 
n'aura  pas  pour  résultat  de  démentir  nos  prévisions.  C'est  bien  d'un  steppage 
conséquence  d'une  paraplégie  alcoolique  ([u'il  est  question  ici  :  cela  ne  sera 
pas,  je  pense,  très  difficile  à  démontrer. 

Toutes  ces  afïections  toxiques  qui  peuvent  produire  la  démarche  du  step- 
peur,  ofïront,  je  le  disais  tout  à  l'heure, des  traits  communs. 

Elles  paraissent  toutes  anatomiquement  caractérisées  par  une  lésion  des  nerfs 
périphéri(iues,  —  névrite  périphérique  des  auteurs  —  et  par  des  lésions  dégé- 
nératives  des  muscles  correspondants;  ces  lésions  entraînent  après  elles  tout 
un  ensemble  symptomatique  dont  la  raison  physiologique  n'est  pas  en  général 
très  difficile  à  déterminer.  Ce  sont,  par  exemple,  l'atrophie  musculaire  avec 
réaction  de  dégénération  plus  ou  moins  prononcée  ;  l'absence  ou  l'aflaiblis- 
sement  des  réflexes  rotuliens,  quand,  bien  entendu,  il  s'agit  des  membres 
inférieurs  ;  enfin  des  troubles  de  la  sensibilité  manifestés  spontanément  ou 
provoqués  seulement  par  certaines  manœuvres,  qui  n'appartiennent  pas  à 
tous  les  cas  du  groupe,  car  il  y  a  très  certainement  des  paraplégies  par  névrite 
périphérique  sans  anesthésie  et  sans  douleur. 

Tous  les  symptômes  plus  haut  signalés,  y  compris  les  troubles  de  sensibi- 
lité, se  retrouvent  au  plus  haut  degré  dans  la  paralysie  alcoolique  qui  peut 
être  considérée  comme  un  type  du  genre,  et  qui,  du  reste,  est  celle  que  nous 
devons  nous  attendre  à  rencontrer  surtout  lorsqu'il  s'agit  d'un  malade  step- 
peur  qui  vient  nous  consulter  à  l'hôpital. 

Nous  avons  prie  le  malade  de  mettre  à  nu  ses  membres  inférieurs  et  nous 
pourrons  maintenant  procéder  à  un  examen  détaillé  de  ses  muscles. 

Voici  ce  que  cet  examen  permet  de  constater.  Les  deux  jambes  et  les  deux 
cuisses  sont  considérablement  atrophiées.  A  gauche  cette  atrophie  est  plus 
prononcée  qu'à  droite. 

Gauche        Droite 

Ciiconférenco  de  la  jambe  à  10  centimètres  au-dessous 

de  la  rotule.  24  c.       29  c. 

Circonférence  de  la  cuisse  à  15  centimètres  au-dessus  de 

la  rotule.  31  c.       29  c 

Circonférence  de  la  cuisse  au  niveau  de   la  racine  du 

membre.  14  c.       43  c. 

Les  deux  pieds  sont  tombants,  ballants  dans  l'articulation  tibio-tarsienne 
mais  cela  est  beaucoup  plus  prononcé  à  gauche  qu'à  droite. 

Les  deux  membres  inférieurs,  surtout  aux  jambes  et  aux  genoux,  sont  froids 
au  toucher,  surtout  à  gauche.  C'est  pourquoi  le  malade  entoure  habituelle- 
ment la  jambe  et  le  pied  de  ce  côté  d'un  matelas  d'ouate  recouvert  d'une 
bande  roulée.  Cet  appareil  est  destiné  d'ailleurs  non  seulement  à  réchaufî'er 
le  membre,  mais   encore  à   maintenir  le  pied,  qui  autrement   serait  ballant, 


-    86  — 

fléchi  à  angle  droit  sur  la  jambe  :  disposition  qui  a  pour  effet  de  rendre  pour 
ce  membre  l'acte  de  la  marche  moins  difficile. 

Là,  dans  ce  même  membre,  les  troubles  vasomoteurs  sont  beaucoup  plus 
prononcés  que  partout  ailleurs  :  en  effet  il  suffit  que  le  membre  inférieur  de 
ce  côté  soit,  dans  la  station  assise  resté  pendant  durant  quelques  minutes, 
pour  qu'il  prenne  une  teinte  d'un  rouge  violacé  qui,  de  l'extrémité  du  pied, 
s'étend  jusqu'au  niveau  du  genou. 

Nous  parlerons  plus  tard  de  l'anesthésie  cutanée  qui  se  montre  sur  la 
jambe  et  le  pied  gauches  ;  je  me  borne  à  signaler  pour  le  moment  qu'au  niveau 
des  mollets  la  pression  exercée  sur  les  muscles  est  douloureuse,  douloureuse 
également  est  la  percussion  des  tendons  rotuliens. 

Les  réflexes  tendineux,  comme  du  reste  les  réflexes  cutanés,  sont  abolis. 

Nous  donnons  maintenant  l'indication  plus  détaillée  des  principaux  mus- 
cles atrophiés. 

A  gauche,  presque  tous  les  muscles  de  la  jambe  sont  atrophiés.  Les  exten- 
seurs plus  encore  que  les  fléchisseurs.  A  la  cuisse,  le  triceps  est  très  atrophié 
(Une  partie  seule  du  vaste  interne  est  conservée).  Cependant  de  ce  coté  le 
malade  peut  étendre  la  jambe  sur  la  cuisse  et  opposer,  dans  l'attitude  fléchie, 
une  certaine  résistance,  grâce  à  cette    circonstance   que  le  tenseur  du  fascia 

lata  est  conservé. 

A  rfroz7e,  le  jambier  antérieur  est  complètement  atrophié.  L'extenseur  est 
bien  conservé  au  contraire  et  en  conséquence  rextcnsion  du  pied  est  en  partie 
possible  ;  mais  dans  ce  mouvement-là,  l'axe  du  pied  est  porté  en  dehors.  Les 
muscles  du  mollet  sont  en  partie  conservés,  surtout  le  jumeau  interne.  A  la 
cuisse  le  triceps  est  aussi  atrophié  qu'à  gauche  :  le  vaste  interne  seul  est  con- 
servé en  partie  mais  ici  le  tenseur  du  fascia  lata  est  complètement  atrophié, 
ce  qui  fait  que  l'extension  de  la  jambe  sur  la  cuisse  est  complètement  impossible. 

Aux  deux  cuisses  les  adducteurs  et  les  fléchisseurs  (muscles  postérieurs) 
sont  bien  conservés.  Aux  fesses  les  moyen  et  petit  fessier  sont  un  peu  atro- 
phiés, surtout  à  droite. 

Il  y  a  chez  le  sujet  une  ensellure  lombaire  assez  prononcée. 

Nous  signalons  en  dernier  lieu  les  principaux  résultats, fournis  par  l'explo- 
ration électrique  :  A  la  jambe  gauche,  tous  les  muscles  sont  inexcitables, 
tant  par  le  courant  galvanique  (lue  par  le  courant  galvanique  et  le  courant 
faradique.  Seul,  le  long  péronicr  de  ce  côté  présente  uhc  contraction  faible 
et  encore  par  l'action  de  très  forts  courants.  A  ia  cuisse  gauche,  le  droit 
antérieuret  le  vaste  externe  sont  inexcitables.  Le  vaste  interne  est  excitable 
dans  sa  partie  inférieure  :  son  excitabilité  est  seulemer.t  diminuée  sans 
inversion  de  la  formule. 

Ala  jambe  droite,  le  jambier  antérieur  est  inexcitable  par  les  deux  cou- 
rants: dans  les  jumeaux,  excitabilité  un  peu  diminuée  sans  inversion.  Les 
autres  muscles,  extenseurs  des  orteils,  etc.,  sont  normaux.  A  la  cuisse  droite, 


—  87  — 

le  droit  antérieur,  le  vaste  externe,  le  tenseur  du  lasda  Inta  sont  compi«He- 
ment  incxcital)ies,  les  autres  muscles,  adducteurs  et  fléchisseurs,  de  même  que 
à  gauche  sont  normaux. 

A  part  cor  laines  particularités  que  nous  aurons  à  rchner  dans  un  inslant 
parce  qu'elles  icndcint  à  établir  qu'il  ne  s';i,^itpas  ici  d'une  forme  pure  et  qu'il 
existe  une  complication  que  nous  devons  déjçager,  rien  dans  l'exposé  qui  pré- 
cède ne  vient  directement  à  rencontre  de  l'hypothèse  d'une  [)aralysie  alcoo- 
lique. Toutefois,  pour  bien  apprécier  la  situation,  il  faut  avoir  dans  l'esprit 
qu'à  l'heure  qu'il  est  nous  n'avons  pas  sous  les  3'cux  un  processus  en  pleine 
activité,  mais  bien  le  résultat  d'un  processus  éteint,  c'est-à-dire  d'un  reliquat 
de  maladie. 

L'histoire  de  l'évolution  du  cas  que  nous  devons  exposer  maintenant 
nous  apprend  en  effet  ce  qui  suit.  Il  fut  un  temps  où  l'impuissance  motrice 
des  membres  inférieurs  a  été  absolument  complète. 

Il  y  a  eu  plusieurs  périodes  de  relèvement  et  de  rechutes  successives,  enfin 
la  guérison  relative  est  devenue  à  un  moment  donné  permanente.  Les  pre- 
miers sympt(unes  de  la  paralysie  actuelle  paraissent  remonter  à  sept  ou  huit 
ans.  L'atrophie  des  membres  s'était  dès  l'origine  rapidement  accentuée. 

La  démarche  du  steppeur  était  déjà  manifeste  en  1882.  Pendant  toute  la 
période  d'activité  du  mal,  un  certain  nombre  de  symptômes  caractc-ristiques 
qui  aujourd'hui  ont  disparu,  étaient  fort  accentués. 

C'est  ainsi  qu'alors  le  niîilade  souffrait  surtout  dans  les  jambes  de  douleurs 
vives  et  rapides  rappelant  jusqu'à  un  certain  point  par  leur  description  celles 
des  tabétiques  ;  en  même  temps  il  ressentait  des  picotements,  des  coups 
d'épingles  d'une  façon  pres([uc  permanente,  tout  cela  l'empêchait  habituelle- 
ment de  dormir.  Alors  la  peau  des  jambes  et  des  pieds  était  peu  sensible  aux 
piqûres,  mais  on  ne  pouvait  presser  les  tendons  et  les  muscles,  des  jambes 
surtout,  sans  provoquer  une  vive  douleur.  Enfin  les  jambes  et  les  pieds  étaient 
chauds,  œdématiés,  tuméfiés.  Joints  aux  modifications  des  réactions  électri- 
ques, à  la  perte  des  réflexes  rotuliens  que  nous  avons  pu  constater,  ces 
symptômes  suffiraient  en  quelque  sorte,  à  établir  cliniquement,  dans  les  con- 
ditions où  nous  sommes,  l'existence  de  la  paralysie  alcoolique. 

Pour  ne  pas  entrer  à  propos  des  caractères  clini(£ues  de  cette  espè<;é  de 
paralysie,  dans  une  description  en  règle,  je  vous  prierai  de  vous  reporter  à  la 
leçon  que  j'ai  donnée  sur  ce  sujet,  l'an  passé  (6  mars  1888). 

J'ai  hâte  maintenant  de  vous  montrer  que  l'étude  des  antécédents  du  nui- 
lade  et  en  particulier  de  ses  habitudes  de  vie  ne  contrediront  en  rien  nos 
assertions  ;  vous  verrez  qu'au  contraire,  elle  viendra  la  confirmer  de  la  façon 
la  plus  éclatante. 

Je  procéderai  dans  ce  but,  à  l'exposé  de  quelques  points  de  l'histoire  des 
antécédents  de  notre  malade.  C'est  un  gaiçon  d'environ  27  ans,  né  à  Paris, 
au  premier  abord  d'assez  chétive  apparence  ;  mais  il  affirme  qu'il  a  pu    autre- 


—  88  — 

fois  clans  une  rude  profession,  déployer  une  grande  force.  Je  me  réserve  de 
vous  parler  un  peu  plus  tard  de  sa  famille  considérée  au  point  de  vue  de  l'hé- 
rédité nerveuse  :  pour  le  moment  je  me  borne  à  relever  que  son  père  âgé  de 
57  ans  est  un  ivrogne  fiefTé,  batailleur,  emporté,  colère  ;  que  sa  mère  boit 
aussi  un  peu  et  qu'il  en  est  de  même  d'une  de  ses  sœurs  qu'il  va  voir  assez 
souvent  le  dimanche  et  avec  laquelle  il  s'est  grisé  plusieurs  fois  :  «  Il  n'y  a  pas 
de  mal,  dit-il,  à  boire  en  famille.  » 

Rien  d'étonnant  qu'avec  de  pareils  exemples  sous  les  yeux  il  ait  été  enclin 
lui  aussi,  à  abuser  des  boissons  alcooliques;  il  n'y  a  point  manqué,  en  eftet, 
et  souvent,  surtout  dans  une  certaine  période  de  sa  vie,  ses  excès  ont  été  véri- 
tablement énormes  ;  voici  dans  quelles  circonstances  :  il  a  commencé  à  boire 
à  Tàge  de  14  ans  alors  (ju'il  faisait  son  apprentissage  chez  un  cordonnier. 
«  C'était  un  excellent  patron,  dit-il,  mais  il  buvait  ferme  ;  et  quand  il  y  avait 
quelque  bonne  noce  à  faire  il  m'emmenait  toujours  avec  lui.  >  Aucun  chan- 
gement notable  cependant  ne  s'est  produit  dans  sa  santé  jusqu'à  l'époque  où 
il  est  entré  comme  garçon  de  jour  dans  le  lavoir  de  la  rue  de  Charenton.  Je 
ne  vous  dirai  pas  tout  au  long  ce  qu'est  à  Paris,  un  lavoir,  et  ce  que  sont  au 
point  de  vue  des  mœurs  les  personnes  qui  les  fréquentent.  Vous  le  savez  du 
reste  très  probablement  par  la  lecture  que  vous  n'avez  pas  manqué  de  faire 
du  très  intéressant  roman  de  M.  Zola  :  L'Assommoir. 

Quoiqu'il  en  soit,  au  lavoir  de  Charenton  comme  dans  les  autres  sans 
doute,  le  travail  commence  le  matin  de  très  bonne  heure.  Le  «  garçon  de 
jour  »  doit  aider  à  porter  le  linge  dont  les  blanchisseuses  arrivent  chargées. 

C'est  un  rude  lal)our,  paraît-il,  car  il  s'agit  souvent  de  lourds  fardeaux.  Il 
faut  de  temps  en  temps  relever  le  courage  du  garçon  et  les  pourboires  abon- 
dent, destinés  à  stimuler  son  zèle  :  ainsi  il  est  conduit  à  boire  beaucoup  et 
souvent. 

Puis  il  y  a  encore,  dans  le  travail,  les  temps  de  repos  nécessaire,  pendant 
lesquels  après  manger  se  font  les  causeries,  les  épanchements  autour  du 
comptoir,  nouvelle  occasion  de  boire  :  le  vin,  le  rhum,  l'eau-de-vie  circulent 
alors  tour  à  tour.  Mais  déjà  on  a  pris  l'absinthe  et  l'usage  de  cette  substance 
en  particulier  paraît  être  très  répandu  au  lavoir  de  la  rue  de  Charenton  ;  on 
en  peut  juger  du  reste  par  une  chanson  qui  y  est  fort  à  la  mode.  Je  crois 
intéressant  d'en  détacher  quelques  fragments  communiqués  par  notre  malade 
qui  la  sait  par  cœur  pour  l'avoir  bien  souvent  chantée  «  en  société  >.  Cela 
s'appelle  :  La  Mitsn  aux  ynix  vprfs. 

1*"^    COUPLKT 

Voyez  cet  homme  à  la  face  blémie, 
Dont  In  regard  s('ml)lc  à  jamais  éteint; 
l*.ir  lii  l)()isson  il  uhrè;4;i'  sa  vie  : 
Cet  homiiif,  ami,  est  son  propre  assassin. 


—  S9  — 

J)'iin  vort  poison  s'.'ibrouvrint  avec  ra/^i;, 
Poison  mautlit  «{uo  lui  verse  Saltiii 
Boire  toujours  :  voilà  son  seul  courage, 
Courage  affreux  qui  conduit  à  néant. 

RKFRAIN 

Amis,  c'est  la  muse  aux  yeux  verts 
Fuyez  devant  ses  folles  étreintes, 
Sachez  que  son  nom  c'est  l'absinthe 
Et  que  ses  baisers  sont  pervers, 
Car  son  amour  était  ma  plainte  (sic) 
Fuyez  tous  la  Muse  aux  yeux  verts!... 
Etc.,  etc. 

C'en  est  assez  :  il  y  en  a  comme  cela  trois  ou  quatre  couplets. 

Ne  Yoilà-t-il  pas  une  brave  et  bonne  chanson,  bien  intentionnée,  bien 
morale!  Mais  hélas,  les  meilleurs  conseils,  alors  même  qu'ils  sont  présentés 
sous  la  forme  poétique  et  renforcés  par  le  concours  du  rythme  musical,  ne 
sont  pas  toujours  suivis  comme  ils  mériteraient  de  l'être.  Notre  pauvre 
garçon  de  lavoir,  en  particuliei',  malgré  ces  excellents  préceptes  quïl  a  si 
souvent  proclamés  lui-même  en  chantant,  n'en  a  pas  moins  continué  à  cul- 
tiver avec  un  amour  effréné,  non  seulement  la  Muse  «  aux  yeux  verts  >  mais 
encore  toutes  les  autres  muses  de  même  famille,  dont  les  yeux  sont  d'autres 
couleurs. 

Par  le  fait,  divers  symptômes  de  l'alcoolisme  grave  n'ont  pas  tardé  à  se 
manifester  successivement  chez  lui. 

Voici  on  effet  ce  que  nous  apprennent  à  cet  égard  les  détails  de  l'observa- 
tion : 

Eq  1880,  à  l'âge  de  20  ans,  surviennent  dans  les  membres  inférieurs,  les 
douleurs,  les  picotements,  les  crampes,  surtout  nocturnes, dont  il  a  été  ques- 
tion déjà.  En  même  temps  ces  membres  s'affaiblissent  et  bientôt  les  choses  en 
viennent  à  ce  point  que  Br..ot  était  devenu  incapable  de  traîner  la  voiture  du 
lavoir,  ou  de  porter  de  lourdes  charges.  Néanmoins,  il  a  continué  à  travailler 
jusqu'en  1882.  A  cette  époque  laparésie  des  membres  inférieurs  s'étant  accen- 
tuée de  façon  à  constituer  une  véritable  paraplégie,  le  malade  dut  entrer  une 
première  fois  à  la  Salpêtrière  dans  le  service  dirigé  alors  par  M.  Luys  (11  y 
est  resté  du  18  juin  au  18  août).  Là  il  est  demeuré  pendant  près  d'un  mois  à 
peu  près  complètement  confiné  au  lit.  Les  douleurs  à  la  pression  étaient 
vives,  ainsi  que  les  douleurs  nocturnes;  la  tuméfaction  des  pieds  et  des  jambes 
s'accentuait,  etc.,  etc.  En  même  temps  le  malade  souffrait  le  matin  de  pituites, 
la  nuit  ses  rêves  étaient  tourmentés  par  la  vision  d'animaux  tels  que  rats, 
serpents,  etc.,  etc. 

La   privation  des  boissons   alcooliques,   rintervention    de    rélectrisation 


—  90  — 

faradique,  l'usage  des  bains  sulfureux  amenèrent  assez  rapidement  une   amé- 
lioration très  notable. 

Les  douleurs  cessèrent,  Timpuissance  motrice  disparut  en  grande  partie  et 
à  partir  du  18  août  188:2  le  malade  put  reprendre  son  travail  qu'il  ne  quitta 
plus  qu'en  1887.  Mais  les  jamlx'S  étaient  toujours  faibles,  et  la  démarche  du 
steppcur  depuis  longtemps  accusée  n'a  désormais  jamais  cessé  d'exister.  Il 
fallut  renoncer  aux  travaux  très  fatigants  et  se  contenter  dans  le  lavoir  d'une 
position  moins  lucrative  que  celle  qu'il  avait  autrefois.  Il  passait  la  nuit  à 
surveiller  les  machines.  Néanmoins  les  habitudes  alcooliques  ne  firent  pas 
trêve. 

Il  but  de  nouveau  trop  et  trop'souvent  et  bientôt  apparurent  de  nouveau 
divers  accidents  qu'il  est  naturel  de  rapporter  à  l'abus  des  boissons  alcooliques. 

On  note  pendant  cette  période  qui  s'étend  jusqu'en  1887,  date  de  l'entrée  à 
l'hôpital  Laënnec,  les  faits  pathologiques  suivants  :  nombreux  oublis  :  une 
fois  il  a  failli  faire  sauter  la  chaudière  du  lavoir  pour  avoir  oublié  de  la 
remplir  d'eau  ;  véritables  absences  qui  duraient  })arfois  plusieurs  heures  et 
même  plus  encore,  pendant  lesquelles  il  ne  se  rendait  pas  compte  de  ce  qu'il 
faisait  et  commettait  des  actes  dont,  au  moment  du  retour  aux  conditions 
normales,  il  n'avait  pas  gardé  le  souvenir. 

Plusieurs  fois,  sous  cette  influence,  il  a  disparu  pendant  quelques  jours  de 
la  maison  où  il  habite  et  l'on  a  dû  aller  le  réclamer  à  la  Préfecture  ;  il  ne 
sait  dire  ce  qu'il  a  fait  pendant  ce  temps-là.  Une  fois,  il  a  jeté  sa  montre  dans 
une  bouche  d'égout,  et  il  ne  peut  expliquer  par  aucune  raison  cet  acte  stu- 
pide. 

Les  douleurs  dans  les  jambes  et  les  cuisses,  les  pituites,  les  insomnies,  les 
rêves  terrifiants  avaient  reparu. 

L'afTaiblissement  des  membres  inférieurs  s'était  montré  à  nouveau,  sans 
s'accompagner,  cependant,  comme  dans  le  temps,  d'une  paralysie  complète  ; 
et,  par  l'accumulation  de  toutes  ces  circonstances,  le  travail  étant  devenu 
absolument  impossible,  B...  dut  demander  une  fois  de  plus  à  entrer  à 
l'hôpital. 

11  fut,  nous  l'avons  dit,  admis  à  Laënnec  dans  le  service  de  M.  le  professeur 
Damaschino  le  29  mars  1887  ;  ily  resta  jusqu'au  25  janvier  1888.  Il  y  a  lieu 
de  signaler  pendant  ce  long  séjour  divers  accès  délirants  qui  tou5  ont  été 
rapportés  à  l'alcoolisme  et  dont  l'un  n'a  pas  duré  moins  de  huit  jours  ;  pen- 
diint  cet  accès  le  malade  très  bruyant  dut  être  maintenu  au  lit  par  la  cami- 
sole de  force.  Il  était  quelque  temps  auparavant  devenu  complètement  épris 
d'une  jeune  infirmière  du  service  qu'il  avait  résolu  d'épouser  mais  qui  lui  fut 
refusée  pai-  sa  famille. 

Le  chagrin  qu'il  en  éprouva  fut,  paraît-il  profond, et  c'est  à  la  suite  de  liba- 
tions auxquelles  il  se  serait  livré  en  manière  de  consolation  que  serait  sur- 
venu l'accès  délirant  dont  il  vient  d'être  question. 


—  91  — 


H 


Telle  est  la  part,  et  vous  voyez  qu'elle  est  large,  des  phénomènes  qui  peu- 
vent être  rapportés  à  l'alcoolisme,  dans  le  cas  de  notre  homme.  Mais  ainsi 
({ue  je  vous  l'ai  annoncé,  il  s'agit  chez  lui  d'un  cas  complexe  et  nous  devons 
nous  attacher  à  mettre  en  lumière  actuellement  les  autres  éléments  qui  le 
constituent. 

En  premier  lieu  je  rappellerai  ce  que  j'ai  dit  au  moment  où  je  décrivais  la 
paraplégie  alcoolique  de  notie  homme. 

«  Il  ne  s'agit  pas  ici,  vous  disais-je,  d'une  forme  pure  :  il  y  a  une  compli- 
cation que  nous  devrons  dégager.  »  De  quelle  complication  s'agit-il  donc  ?  Eh 
bien,  messieurs,  nous  croyons  pouvoir  affirmer,  en  nous  fondant  sur  This- 
toire  des  premières  périodes  de  la  vie  de  notre  malade  qu'il  a  été  frappé  do 
très  bonne  heure,  vers  l'âge  de  dix  mois,  d'une  paralysie  spinale  infantile  de 
forme  paraplégique  développée  à  la  suite  de  «  convulsions  ».  Cette  paralysie 
a  été  la  cause  que  de  tous  temps  à  partir  de  l'âge  de  trois  ans,  époque  tardive 
à  laquelle  l'enfant  a  commencé  à  pouvoir  marcher,  les  membres  inférieurs 
sont  toujours  restés  grêles  et  faibles. 

De  fait,  chez  B...,  avec  une  vigueur  presque  athlétique  du  Ivonr  et  des 
membres  supérieurs,  la  démarche  a  de  tout  temps  été  anormale,  un  peu 
claudicante.  «  Il  n'était  pas  solide  sur  ses  jambes,  il  ne  pouvait  rester  long- 
t(inq:)s  deijout  et  lorsqu'il  marchait,  princii)alement  lors«iu'il  courait,  il  tombait 
fi'équemment  à  terre  sur  les  genoux.  » 

Aux  reliquats  de  cette  paralysie  infantile  sont  donc  venus  se  surajouter  les 
phénomènes  liés  à  l'intoxication  alcoolique,  c'est  celle-ci  qui,  à  un  moment 
donné,  a  déterminé  une  impuissance  motrice  complète  à  peu  près  également 
répartie  sur  toute  l'étendue  des  muscles  des  membres  inlériGurs  mais  pré- 
dominant toutefois,  comme  c'est  la  règle,  sur  les  extenseurs  des  pieds  ;  puis 
à  l'époque  de  la  période  régressive,  le  phénomène  du  pied  tombant  ainsi  que 
la  démarche   du  steppeur  ({ui  s'y  rattache. 

Mais  aujourd'hui  encore,  on  peut,  si  je  ne  me  trompe,  à  côté  des  lésions 
qui  relèvent  de  la  paralysie  alcoolique,  discerner  celles  qui  constituent  les 
derniers  vestiges  de  la  paraplégie  spinale  infantile  de  date  antérieure.  C'est  à 
cette  dernière  ([ue  nous  croyons  devoir  rattacher,  en  particulier,  l'inégale 
répartition  de  la  paralysie  et  de  l'atrophie  dégénérative  des  muscles  des 
membres  inférieurs.  C'est  ainsi  qu'aux  deux  cuisses  le  droit  antérieur,  le  vaste 
externe, une  partie  du  vaste  interne  étaient  on  peut  le  dire  détruits;  le  tenseur 


—  92  — 

du  fascîa  lata  est  bien  conservé  à  gauche,  tandis  qu'à  droite  il  n'existe  plus  — 
à  la  jambe  gauche  tous  les  muscles  sont  pris,  extenseurs  et  fléchisseurs  ;  seul 
le  long  péronier  est  en  partie  épargné  —  à  la  jambe  droite,  enfin,  parmi  les 
extenseurs,  le  jambier  antérieur  est  complètement  détruit  tandis  que  l'ex- 
tenseur commun  est  très  bien  conservé.  Sur  cette  même  jambe,  les  muscles 
fléchisseurs  du  pied  sont  détruits  en  partie  seulement. 

Cette  inégale  répartition  des  affections  musculaires  est  chose  vulgaire  dans 
la  paralysie  infantile,  tandis  que,  dans  la  paralysie  alcoolique^  ces  lésions 
sont  à  peu  près  uniformément  répandues  dans  toute  l'étendue  des  membres  ; 
sauf  en  ce  qui  concerne  leur  prédominance  symétrique  sur  les  muscles  de  la 
flexion  dorsale  des  pieds. 

Ainsi,  je  le  répète,  il  ne  nous  paraît  pas  impossible  de  reconnaître  chez 
notre  homme,  même  aujourd'hui,  ce  qui  appartient  à  la  lésion  des  cornes 
antérieures  spinales,  et  ce  qui  est  la  conséquence  de  la  névrite  périphérique 
alcoolique. 

Etant  donné  donc  Texistence  passée  d'une  paralysie  infantile  spinale  dont 
les  vestiges  sont  encore  parfaitement  reconnaissables, il  nous  paraît  intéressant 
do  recliercher  actuellement  si  nous  ne  trouvons  pas,  dans  les  antécédents  de 
famille  de  notre  homme,  quelques  particularités  dignes  d'êtres  relevées  en 
tant  qu'elles  seraient  conformes  à  une  opinion  que  je  professe  depuis  long- 
temps :  c'est  à  savoir  que  la  paralysie  infantile  spinale  serait,  au  même  titre 
que  l'ataxie  locomotrice,  la  paralysie  générale,  l'épilepsie,  l'hystérie,  etc., 
un  membre  de  la  famille  neuropathologique,  ou  autrement  dit  une  mala- 
die de  diathèse  nerveuse. 

Voici  autant,  qu'il  a  pu  être  reconstitué  d'après  les  souvenirs  du  malade 
son  «  pedigree  ». 

A.  Père  âgé  de  57  ans,  mécanicien  ajusteur.  C'est  un  ivrogne  et  nous 
l'avons  déjà  présenté  comme  tel.  Il  est  fils  naturel  —  pas  de  maladies 
nerveuses  bien  déterminées  ;  mais  il  est  emporté,  colère,  et  dans  la  maison 
les  scènes  d'ivrognerie  sont  fréquentes. 

B.  Mère,  53  ans,  bien  portante  elle  est,  elle  aussi,  un  peu  portée  à  la  bois- 
son ;  mais  ce  n'est  pas  à  proprement  parler  une  ivrognesse.  Elle  a  trois 
sœurs,  également  bien  portantes,  et  trois  frères.  L'un  de  ceux-ci  est  un  délin- 
quant. Il  a  été,  paraît-il,  arrêté  dans  le  bois  de  Yincennes  commettant  un 
attentat  à  la  pudeur.  Il  est  resté  douze  mois  k  Sainte-Pélagie.  Un  autre  frère 
exerce  la  profession  de  marchand  de  vins;  il  est  très  colère,  excentrique,  il  ne 
peut  rester  en  place  ;  il  change  à  chaque  instant  le  siège  de  son  établissement. 

Du  mariage  de  A  et  ^  sont  nés  quatorze  enfants.  Six  d'entre  eux  sont  morts 
(le  «  convulsions  »;  Br...  notre  malade,  est  le  septième  ;  on  sait  que  lui  aussi  a 
eu  des  «  convulsions  »  et  qu'il  a  été  frappé  de  paralysie  infantile. 

Nous  avons  mentionné  déjà  que  l'une  de  ses  sœurs,  plus  jeune  que  lui^  se 
livre  volontiers  à  la  boisson,  et  qu'il  s'est  plusieurs  fois  enivré  avec  elle. 


—  93  — 

En  coiisulLant  cet  urbre  généalogique,  nous  ne  relevons  chez  les  antécé- 
dents aucune  maladie  nerveuse  typique,  de  parfait  développement  :  seuls, 
peut-être,  l'oncle  délinquant  et  l'autre  oncle  marchand  de  vins  voyageur 
pourront-ils  être  considérés  comme  des  dégénérés,  des  déséquilibrés. 

Mais  on  voit  dans  la  famille,  un  peu  partout,  régner  le  vice  divrognerie. 
C'est  ici  le  cas  de  rappeler  que  l'usage  exagéré  des  boissons  alcooliques  peut 
chez  celui  qui  abuse,  supposé  vierge  de  toute  tare  héréditaire,  créer  de  toutes 
pièces  en  quelque  sorte,  en  outre  des  accidents  à  proprement  parler  toxiques, 
la  diathèse  nerveuse  qui  pourra  ou  non  se  traduire  déjà  chez  lui  par  une 
forme  névropathique  nosographiquement  bien  déterminée;  que,  une  fois  con- 
tituée,  cette  diathèse  nerveuse  artificiellement  produite  pourra  se  transmettre 
aux  descendants,  par  voie  d'hérédité,  et  faire  naître  chez  eux,  par  le  concours 
de  circonstances  provocatrices  appropriées,  tantôt  Tune,  tantôt  l'autre  des 
espèces  morbides  dont  l'ensemble  constitue  ce  que  nous  appelons  la  famille 
neuropathique.  Tout  ce  que  nous  avançons  là  repose  sur  nombre  défaits  clini- 
ques en  ce  qui  concerne  i'inOuence  de  l'alcool  ;  on  peut  en  dire  autant  relati- 
vementau  saturnisme  ainsi  qu'en  témoignent, entre  autres,  les  faits  signalésdans 
une  intéressante  note  de  M.  Roques  [Dégénérescences  héréditaires  produites 
par  Vintoxiration  saturnine  lente.  Société  de  Biologie,  1872,  t.  IV,  p.  243). 

Enfin  le  surmenage  intellectuel,  surtout  lorsqu'il  est  accompagné  d'excès 
physiques,  peut  lui  aussi,  cela  est  bien  connu,  créer  chez  un  individu  resté 
jusque-là  non  taré  une  prédisposition  nerveuse  qui  pourra,  suivant  les  lois  de 
l'hérédité  se  transmettre  aux  descendants. 

Il  n'est  pas  jusqu'aux  états  passionnels  transitoires  existant  au  moment  de 
la  conception  chez  les  géniteurs  qui  n'aient  pu  être  accusés  d'avoir  sur  la 
nature  de  l'être  procréé  une  influence  décisive. 

Les  arguments  abondent  dans  le  domaine  de  la  fantaisie  en  faveur  de  cette 
thèse.  Ainsi,  toutes  les  tribulations  qu'il  n'avait  cessé  d'éprouver  depuis  le 
jour  où  il  avait  été  jeté  «  sur  notre  sale  planète  »,  Tristram  Shandy  en 
accusait  son  père  qui,  dans  un  moment  solennel,  s'était  malencontreuse- 
ment laissé  impressionner  par  l'idée  «  qu'il  avait  oublié  de  remonter 
son  horloge  ».  —  «  Pouj-quoi,  s'écrie  le  bâtard  Edmond  dans  le 
/^oi  Zear,  nous  injurient-ils  toujours  en  nous  jetant  à  la  face  ces  mots  de 
vilenie  et  de  bâtardise?  Ne  puisons-nous  pas  dans  la  lascive  impétuosité  de 
la  nature  furtivement  satisfaite  plus  de  vigueur  et  de  fougue  qu'il  n'en  faut 
pour  procréer,  dans  un  lit  maussade^  insipide  et  fatigué,  toute  une  tribu  de 
coquins  légitimes  engendrés  entre  deux  sommes  !  »  (Scène  II). 

Il  ne  s'agit  là,  en  vérité,  que  de  prévisions  géniales  ;  mais  on  ne  saurait 
guère  méconnaître  que  celles-ci  trouvent  un  appui  dans  les  faits  tirés  du 
domaine  de  l'observation  régulière.  Je  me  bornerai  à  vous  rappeler  à  ce  pro- 
pos l'observation  bien  connue  de  M.  le  professeur  Quatrefages,  relative  à  une 
famille  de  quatre  enfants  dont  un  seul^  conçu  alors  que  le  père  était   en   état 


—  u  — 

d'ivresse,  était  demi-idiot  et  presque  sourd,  tandis  que  les  trois  autres,  nés 
dans  d'autres  conditions,  étaient  parfaitement  intelligents  (1). 

Nous  pourrions  signaler  également  des  faits  du  même  genre  relevant  de  la 
pathologie  expérimentale  ;  c'est  ainsi  que  MM.  Mairet  et  Combemale  rappor- 
tent dans  un  travail  présenté  récemment  à  T/Xcadémie  des  sciences  (2)  qu'une 
chienne  ayant  été  alcoolisée  par  l'absinthe  de  débit, il  survint  dans  sa  descen- 
dance au  deuxième  degré,  chez  un  des  produits  un  pied  bot  avec  atrophie  de 
plusieurs  orteils  et  une  gueule  de  loup  ;  chez  un  second  produit,  un  atrophie 
du  train  postérieur. 

C'en  est  assez  sur  ce  point.  II  est  temps  d'en  revenir  à  notre  malade;  lui  n'est 
pas  un  «  Edmond  »  ;  c'est,  paraît-il,  un  enfant  parfaitement  légitime  ;  aussi 
n'avons-nous  pas  à  nous  étonner  de  voir  l'alcoolisme  du  père  retentir  sur  lui 
septième  enfant,  sous  la  forme  de  paralysie  infantile  spinale,  alors  que  six  de 
ses  frères  et  sœurs  avaient  déjà  succombé  en  bas  âge  à  la  suite  de  convul- 
sions. 


III 


Nous  venons  de  reconnaître,  dans  l'histoire  pathologique  de  B...ot  l'exis- 
tence de  deux  périodes  successives  :  l'une,  la  première,  marquée  par  la  pro- 
duction de  la  paralysie  spinale  infantile  ;  l'autre,  la  seconde  en  date,  par 
celle  de  la  paraplégie  alcoolique  et  de  divers  autres  phénomènes  toxiques  du 
môme  ordre. 

Il  est  dans  cette  histoire  une  troisième  phase  qu'il  nous  reste  à  étudier 
maintenant,  et  dont  le  début  apparent  a  été  signalé  par  le  développement  de 
crises  convulsives  à  retour  fréquent.  Ces  crises  se  sont  pour  la  première  fois 
montrées  il  y  a  près  de  deux  ans  pendant  le  séjour  à  l'hùpital  Laënnec  ;  elles 
subsistent  encore,  dans  toute  leur  intensité.  11  paraît  au  moins  fort  vraisem- 
blable que  l'afïection  à  laquelle  elles  appartiennent  et  dont  elles  constituent 
la  manifestation  la  plus  saisissante,  a  été  déterminée  en  conséquence  d'une 
vive  contiariété,  on  pourrait  même  dire  d'un  vrai  chagrin.  A  ce  propos,  pour 
bien  établir  la  situation,  il  nous  paraît  nécessaire,  désormais,  de  mettre  en 
lumière  chez  notre  malade  tout  un  côté  de  son  caractère  et  de  ses  mœurs  que 
jusqu'ici  nous  avons  laissé  dans  l'ombre.  A  cet  égard,  après  ce  que  nous 
vous  en  avons  dit  précédemment  vous  pourriez  le  considérer  peut-être  exclu- 
sivement comme  un  être  grossier  et  crapuleux,  ne  parlant  guère   que  l'argot 


1,  Voir:  Hibot.  L'hérédité  psychologique,  p.   251. 

2.  Iniluence  déqénérative  de  l'alcool  sur  la  descendance^  5  mars  1888. 


—   iio   — 

(;t  la  langue  verte.  Ce  serait  une  erreur,  messieurs,  et  aussi  une  injustice.  Il  y 
a  quelcjoe  chose  de  tout  cela  en  lui,  bien  certainement,  et  plus  qu'il  n'en  fau- 
drait, in.iis  il  y  a  aussi  autre  chose.  lî...  sans  doute,  n'a  f)as  été  un  [)arfait 
écolier,  l;nit  s'en  faut  ;  il  ne  songeait  dans  ce  temps-là  qu'au  jeu  ;  cT-tait  dans 
l'acception  rigoureuse  du  mot  un  mauvais  élève,  un  cancre  fort  indiscipliné, 
très  batailleur,  et,  en  somme,  au  sortir  de  l'école,  savait-ii  à  peine  lire  et 
écrire  ! 

Plus  tard,  par  un  retour  singulier,  il  s'est  rattrapé  à  cet  égard  en  fréquen- 
tant régulièrement  et  avec  quelque  zèle,  lorsqu'il  était  apprenti,  les  cours  du 
soir.  Actuellement  il  écrit  non  sans  orthographe  et  non  sans  quelque  préten- 
tion à  l'élégance  du  style. 

Il  fait  même  des  vers  dans  lesquels,  sans  doute,  la  mesure  laisse  souvent 
fort  à  désirer,  mais  où  l'idée  poétique  n'est  pas  toujours  absente.  C'est  le 
genre  erotique  qu'il  cultive  surtout  ;  mais  dans  les  vers  comme  dans  la  prose 
c'est  plutôt  la  quintessence  qu'il  vise  et  non  les  bassesses.  Les  arrangements 
de  sa  toilette  sont  conformes  à  son  langage;  ses  infirmités  ne  le  découragent 
pas  :  il  est  coquet  et  porte  habituellement  une  brillante  cravate  rouge  en  même 
temps  que  ses  cheveux,  très  pommadés,  sont  disposés,  comme  il  le  dit  «  à  la 
Capoul  »  ;  c'est  donc  un  élégant,  dans  son  genre,  et  il  se  vante  d'avoir^gràce  à 
ses  avantages,  fait  au  lavoir^  où  on  le  désigne  sous  le  nom  caractéristique  de 
«  Don  Juan  »,  de  nombreuses  conquêtes. 

Peut-être,  à  cet  égard,  fait-il  le  fanfaron  ;  toujours  est-il  que  pendant  long- 
temps il  n'avait  recherché  que  les  amours  légères  ;  tandis  qu'un  beau  jour,  il 
s"est  laissé  prendre  à  l'amour  sérieux.  De  fait,  à  Laënnec  il  s'est  amouraché 
d'une  jeune  infirmière  qu'il  voulait  épouser  à  tout  prix,  et  c'est  justement  à  la 
suite  du  chagrin  causé  par  le  refus  formel  des  parents  de  la  jeune  fille  que 
sont  survenus  les  accidents  nerveux  variés  qu'il  nous  reste  maintenant  à  décrire. 

Et  d'abord  relevons  que  pour  réagir  contre  les  effets  dépressifs  du  chagrin 
B...  a  plus  d'une  fois  alors  cherché  les  consolations  dans  l'abus  des  boissons 
alcooliques,  dont  il  s'était  pendant  quelque  temps  tenu  éloigné,  si  bien  qu'il 
fut  pris  à  cette  époque  d'un  accès  de  delirium  tremens  ;  mais  les  attaques  con- 
vulsives  qui  se  sont,  comme  nous  l'avons  dit, pour  la  première  fois  manifestées 
vers  le  môme  temps  sont-elles,  elles  aussi,  au  môme  titre  que  le  delirium 
tremens,  de  nature  toxique  ? 

A  cet  égard,  messieurs,  je  me  rattache  absolu:iient  à  l'opinion  professée  par 
M.  Magnan  (1). 

Il  n'existe  pas  suivant  moi  d'épilepsie  à  proprement  parler  alcoolique. 

Oui,  sans  doute,  l'épilepsie  existe  souvent  chez  un  alcoolique  ou  dans  sa 
descendance_,  mais  la  cause  toxique  joue  uniquement  ici  le  rôle  d'un   agent 


\.  Magnan.  Influence  de  V alcoolisme  sur  les  maladies  mentales.  Genève,  4878. 


—  96  — 

pi'OYocateur  qui  met  en  jeu  une  prédisposition  spéciale  antérieure,  ou  qui 
encore,  dans  certains  cas,  crée  la  diathèse  nerveuse  d'où  pourra  naître,  par 
le  concours  de  circonstances  appropriées,  l'affection  convulsive. 

Il  n'en  est  pas  tout  à  fait  de  même,  vous  le  savez,  de  l'absinthisme  ;  l'ab- 
sinthe, ainsi  que  l'a  encore  bien  montré  M.  Magnan,  est  un  convulsivant  ;  il  y 
a  en  réalité  une  affection  épileptiforme  qui  mérite  vraiment  de  porter  le  nom 
d'absinthique,  mais  ces  convulsions-là  ne  survivent  pas  à  l'abus  de  la  boisson 
toxique,  elles  cessent  en  même  temps  que  lui.  Ce  n'est  donc  pas  de  cela  qu'il 
s'agit  dans  notre  cas  où  les  attaques  persistent  telles  quelles,  se  reproduisant 
comme  par  le  passé,  environ  trois  fois  par  mois,  bien  que  le  malade^,  très 
surveillé  depuis  son  entrée  à  la  Salpêtrière,  ne  puisse  plus  se  procurer  d'ab- 
sinthe. 

D'ailleurs  maintes  fois  nous  avons  été  témoin  de  ces  attaques  et  nous  pou- 
vons affirmer  qu'elles  portent  avec  elles  des  caractères  cliniques  tellement 
précis  qu'on  ne  saurait  hésiter  un  instant,  lorsqu'on  les  a  vu  évoluer,  à  leur 
attribuer  le  nom  (|ui  leur  convient.  Voici  en  effet  ce  que  nous  trouvons  noté 
dans  les  observations  ad  hoc  :  le  malade  prévoit  qu'il  va  avoir  son  attaque  ; 
le  premier  signe  précurseur  est  une  douleur  vive  qu'il  ressent  dans  le  côté 
droit  du  tronc,  au  niveau  de  la  région  liépatique  et  qu'il  décrit  comme  un 
sentiment  de  brûlure.  De  là  part  \xïi9,aura  ascendante  qui  monte  vers  le  cou  et 
y  produit  une  sensation  d'étranglement,  puis  vers  la  tête  où  surviennent  des 
bourdonnements  d'oreilles  et  des  battements  dans  les  tempes,  une  obnu- 
bilation  de  Ja  vue,  symptômes  qui  bientôt  sont  suivis  de  perte  de  connais- 
sance. 

Les  accidents  convulsifs  se  développent  alors  successivement  suivant  des 
règles  aujourd'hui  bien  connues:  d'abord  c'est  une  phase  marquée  par  des 
convulsions  épileptiformes,  ici  peu  accentuées  ;  puis  se  dessinent  tour  à  tour 
les  grands  mouvements  de  salutaticu  et  l'attitude  en  arc  de  cercle;  enfin  c'est 
le  tour  des  attitudes  passionnelles,  des  cris,  des  hurlements  :  alors  on  l'entend 
proférer  de  temps  à  autre  le  nom  de  Maria  !  Maria  !  c'est  le  roman  de  l'hôpital 
Lacnnec  qui  se  déroule  devant  les  yeux  de  son  esprit,  la  série  se  termine  de 
la  sorte,  mais  elle  peut  se  reproduire  un  certain  nombre  de  fois,  sans  temps 
d'arrêt,  de  façon  à  tenir  la  scène  pendant  une  durée  de  plusieurs  heures. 

Vous  avez  compris,  sans  qu'il  soit  nécessaire  d'y  insister  qu'il  s'agit  là 
d'une  attaque  de  grande  hijstêrie  (Hysleria  major  :  hystéro-épilepsie  à  crises 
mixtes)  parfaitement  caractérisée  et  ne  différant  (juc  sur  un  point  de  colles 
que  nous  avons  si  fréquemment  l'occasion  d'observer  chez  la  femme,  dans  cet 
hospice.  Ce  point  est  relatif  à  l'extrême  violence  des  cris  et  des  mouvements 
convulsifs  chez  l'Iiomme.  Trois  ou  quatre  hommes  ne  sont  pas  de  trop  puur 
maintenir  B...  «{uand  il  est  pris  de  ses  attaques  et  le  lif  de  fer  sur  lequel  on 
est  obligé  de  l'attacher  à  été  plusieurs  fois  brisé  en  mille  pièces. 

Notre  malade  est  donc  un  hystérique^  cela  n'est  pas  douteux  et  la  recherche 


—  97  — 


des   stigmates  chez   lui  va  donner  plus   de  poids  encore  à  notre  assertion. 
{Fig.  22).  Il  existe  sur  la  tête,  le  tronc,  les  membres,  une    hémianalL'f'sie 


^  o 


Fig-.  22.  —  1.  Anestliésic  complète. 
2.  Diminution  do  la  sensibilité.  —  3.  Plaques  hysiérogvnes. 


gauche  très  nettement  accusée,  une  anesthésie  presque  absolue  sur  la  jambe 
et  le  pied  gauches.  Les  troubles  sensoriels  sont  de  leur  coté  très-bien  carac- 
térisés :  goiU  diminué  sur  le  coté  gauche  delà  langue  ;  odorat  obnubilé  égale- 
ment à  gauche  ;  ouïe  allectée  à  gauche;  enfin  on  observe  sur  l'œil  gauche'tous 


-^  98 


les  caractères  de  l'amaurose  hystérique  complète,  la  vision  de  Toeil  droit  ne 
présentant  aucune  anomalie  appréciable. 

Yoici  d'ailleurs  quelques  détails  plus  circonstanciés  relevés  par  M.  Parinaud 
à  propos  de  l'examen  oculaire  de  notre  malade  {Fig.  23).  L'examen  de  l'œil 


D 


Cxt  ■«) 


■j.    .\a>    '.u 


G 


Fig.    23. 


droit  fait  constater  un  champ  visuel  absolument  normal.  Pas  de  dischroma- 
topsie,  pas  depolyopie  monoculaire.  Le  champ  visuel  du  rouge  est,  comme 
dans   l'état  normal,  moins  étendu  que  celui  du  bleu. 

L'œil  gauche  présente  au  contraire  une  amaurose  complète  ;  on  peut  s'en 
assurer  en  approchant  vivement  un  doigt  de  l'œil  gauche,  le  réflexe  du  cligne- 
ment n'a  pas  lieu.  En  outre  le  malade  ne  présente  pas  de  ce  côté  les  modifi- 
cations pupillaires  relatives  à  l'accommodation  aux  distances.  Point  d'anes- 
thésie  cornéenne  ou  conjonctivale. 

Lorsque,  les  deux  yeux  étant  ouverts,  on  fait  regjirder  au  malade  un  carré 
de  papier  blanc,  il  ne  voit  qu'une  image,  laquelle  disparaît  si  Ton  ferme  l'œil 
droit  ;  par  contre  si  Ton  place  devant  ce  dernier  œil  un  prisme  donnant  une 
déviation  de  l'image  de  10  centimètres  environ,  le  malade  voit  deux  carrés  de 
papier  bl;mc,  au  lieu  d'un  ;  si  Fou  interpose  dans  cette  même  expérience  un 
verre  coloré  devant  un  des  deux  yeux,  le  malade  voit  une  image  colorée  et  une 
image  blanche  et  les  positions  respectives  de  ces  images,  varient  suivant  la 
direction  du  prisi)ie.Si,au  lieu  de  placer  le  prisme  devant  VwW  droit,  on  le  place 
devant  l'œil  gauche  amaurotique,  le  malade  ne  voit  qu'une  seule  image.  Ainsi 
l'œil  gauche, amaurotique  dans  la  vision  monoculaire, fonctionne  normalement 
lorsqu'il  s'agit  de  la  vision  binoculaire.  Cesfaits  singuliers  mais  qui,  plusieurs 


—  99  — 

fois,  déjà,  ont  été  observés  dans  des  circonstances  analogues,  avec  un  con- 
cours de  précautions  qui  mettent  à  l'abri  de  toute  erreur,  peuvent-ils  être 
interprétésen  admettant  pour  la  vision  monoculaire  et  pour  la  vision  binoculaire 
deux  centres  distints?  Je  laisserai  pour  le  moment  la  question  sans  solution, 
car  il  s'agit  seulement  pour  nous  actuellement  de  bien  montrer  que  notre 
sujet  présente  réellement  un  ensemble  fort  caractéristique  de  symptômes  hys- 
tériques; à  cet  égard,  vous  le  voyez,  les  preuves  abondent,  et  il  paraît  inutile 
de  pousser  plus  avant. 

Je  ne  veux  pas  oublier  de  mentionner  cependent  encore,  avant  de  clore 
cette  énumération,  l'existence  d'une  plaque  hypéresthésiquehystérogène  dont 
il  a  été  déjà  question  du  reste  plus  haut,  située  sur  le  tronc  dans  la  région 
hépatique,  et  celle  d'une  plaque  de  même  nature  occupant  le  scrotum  du 
côté  gauche,  avec  participation  du  testicule  correspondant. 

Tels  sont  les  trois  grands  éléments  pathologiques  que  l'analyse  clinique 
nous  conduit  à  distinguer  chez  notre  malade. 

Vous  avez  bien  compris  qu'il  ne  faut  pas  voir  là  autant  d'épisodes  sans 
connexion  mutuelle  et  réunis  par  le  seul  hasard  sur  un  même  sujet.  Les  lois 
d'une  logique  implacable  régnent,  au  contraire,  dans  toute  cette  histoire. 

L'alcoolisme  du  père  a  retenti  sur  le  fils  sous  la  forme  de  la  paralysie 
infantile  spinale.  Les  abus  du  lils,  dont  le  père  encore  est  au  moins  en  partie 
responsable,  ont  déterminé  chez  celui-là  la  paraplégie  alcoolique  et  préparé 
le  développement  de  Taffection  hystérique  que  des  causes  morales  ont,  à  un 
moment  donné,  fait  éclater.  L'influence  des  abus  alcooliques  sur  le  déve- 
loppement de  l'hystérie,  surtout  chez  l'homme,  est,  on  le  sait  aujourd'hui  un 
fait  de  connaissance  vulgaire  et  pour  ne  pas  entrer  actuellement,  sur  ce 
sujet,  dans  de  longs  développements,  je  vous  renverrai  à  une  leçon  que  j'ai 
faite  il  y  a  deux  ans  et  que  vous  trouverez  insérée  dans  le  BuWdin  inrcUcal 
du 25  mai  1887  [Hémianesthésie  hyslérique  et  héimanesthés'ies  toxiques). 

11  ne  nous  reste  plus,  messieurs,  pour  en  finir,  qu'à  envisager  les  questions 
relatives  au  pronostic  et  au  traitement.  C'est  l'hystérie  qui  aujourd'hui  est 
ici  l'affection  dominante  vraiment  active  ;  les  lésions  de  la  paralysie  infan- 
tile spinale,  aggravées  un  moment  par  celles  qu'a  produites  l'intoxication 
alcoolique  ne  constituent  plus  guère  que  des  infirmités  incurables,  derniers 
vestiges  de  maladies  éteintes. 

Que  pourrons-nous  faire  en  faveur  de  notre  malade?  C'est  toujours  cliose 
fort  sérieuse  que  l'existence  d'une  hystéro-épilepsie  développée  dans  les  con- 
ditions où  il  se  trouve.  Personne  ne  veut  plus  l'employer  à  cause  de  ses  crises 
nerveuses  fréquentes  et  d'ailleurs  terribles,  et  aussi  à  cause  de  son  état  mental 
qui  le   rend   irrégulier  et  oublieux. 

C'est  ici  le  lieu  de  rappeler  que  les  affections  nerveuses  d'ordre  dyna- 
mique, sans  lésions  appréciables,  ne  sont  pas,  tant  s'en  faut,  toujours  moins 
durables,  moins  tenaces  que  ne  le  sont  les  maladies  dites  organiques. 


—  100  — 

Telle  est  en  particulier  l'hystérie  de  l'homme,  surtout  celle  de  l'homme 
adulte,  et  pour  ce  qui  est  spécialement  du  sujet  que  nous  avons  sous  les  yeux, 
je  ne  pense  pas  qu'il  puisse  reprendre  son  travail  assez  sérieusement  pour 
subvenir  à  son  existence,  avant  plusieurs  mois,  plusieurs  années  peut-être. 

Sans  doute,  la  cessation  des  abus  alcooliques,  par  la  stricte  observation  des 
règles  de  l'hôpital,  a  eu  pour  effet  de  produire  en  lui  quelques  amendements 
auxquels  ont  contribué,  d'un  autre  côté,  l'emploi  des  pratiques  hydrothéra- 
piqucs  et  l'usage  des  toniques  ;  mais  nous  n'entrevoyons  pas  encore  une 
solution  définitive  quelque  peu  prochaine  (1).  Les  attaques  chez  lui,  bien 
qu'un  peu  moins  fréquentes  que  par  le  passé,  persistent  toujours  et  aussi  les 
stigmates.  Le  mieux,  je  crois,  sera  d'obtenir  son  admission  à  l'hospice  de 
Bicêtre,  ou  à  l'abri  de  la  misère  et  des  tristes  préoccupations  et  privations 
qu'elle  entraîne  avec  elle,  il  pourra  pendant  un  temps  suffisamment  prolongé, 
suivre  le  traitement  qui  lui  convient.  Finir  par  Bicêtre  !  Hélas,  pauvre  «  Don 
Juan  »  I 


2«  Malade 


Trois  malades  atteints  de  paralysie  faciale  périphérique  sont  introduits. 

M.  CnARCOT.  —  Le  premier  de  ces  trois  malades  dont  nous  allons  nous  occu- 
per un  instant  est  un  garçon  de  15  ans  que  nous  vous  avons  présenté  déjà  le 
mardi  18  juin  dernier  (Voir  Leçons  du  mardi,  1887-88,  p.  463)  comme  un 
exemple  de  paralysie  faciale  douloureuse.  En  eff'et,  le  dimanche  3  juin  il 
avait,  le  soir,  ressenti  une  douleur  dans  la  profondeur  de  l'oreille  externe 
droite  et  en  même  temps  un  agacement  des  dents  du  même  côté.  Déjà,  ce 
soir-là,  il  ne  pouvait  plus  fermer  son  œil  droit  complètement.  Le  lendemain 
la  bouche  était  de  travers  et  la  paralysie  faciale  était  absolue.  L'application 
du  froid  dans  ce  cas  parait  avoir  contribué  à  provoquer  l'apparition  de  la 
paralysie  ;  mais  on  pouvait  recueillir  dans  les  antécédents  personnels  et 
héréditaires  du  malade  les  preuves  d'une  prédisposition  nerveuse  accentuée. 
Lui-même  est  névropathe  ;  dans  l'enfance  il  a  eu  des  con>ulsions  ;  la  nuit  il 
parle,  s'agite,  gesticule. 

1.  Comme  cela  arrive  dans  la  plupart  des  cas  de  grande  hystérie  chez  l'homme  rhypnolisa- 
tion  (lima  ce  cas  n'a  pas  rU'  praticable. 


--    101  — 

Sa  mère  est  une  môlnncolique,  une  anxieuse;  elle  tombe  de  temps  en  temps, 
sans  cause  ai)[)i(kialjle,  dans  dos  accôs  de  tristesse  qui  durent  plusieurs 
semaines,  plusieurs  mois. 

Je  crois  devoir  reproduire  ici  les  paroles  par  lesquelles  je  terminais  les 
considérations  présentées  à  propos  de  ce  malade  dans  la  leçon  du  ISjuin  18S8: 
«  Chez  notre  malade,  les  douleurs  de  l'oreille  et  des  dents  n'ont  pas  é'té 
intenses;  elles  paraissent  s'être  développées  presque  en  même  temps,  peut- 
être  en  même  temps  que  la  paralysie  et  elles  nVjnt  pas  surv^écu  longtemps  à 
son  début;  d'après  cela,  conformément  aux  conclusions  de  M.  Testaz,  la 
paralysie  devrait  être  considérée  comme  bénigne,  facilement  guérissable. 
Eh  bien,  messieurs,  cela  ne  paraît  pas  être  tout  à  fait  le  cas  chez  notre 
malade,  car  l'exploration  électrique  pratiquée  il  y  a  quatre  jours  a  fait  recon- 
naître chez  lui  une  réaction  de  dégénération  prononcée. 

«  De  plus,  quand  à  l'aide  du  marteau  de  Skoda,  on  percute  les  muscles 
du  côté  paralysé,  on  les  voit  agités  de  secousses  fibrillaires  qui  révèlent  en 
général,  une  modification  organique  assez  prononcée  des  faisceaux  muscu- 
laires. Notre  cas  donc,  à  n'en  pas  douter,  n'appartient  pas  à  la  catégorie 
bénigne  :  il  est  vraisemblable,  au  contraire,  que  notre  jeune  client  en  aura 
pour  longtemps.  >^ 

11  n'est  pas  sans  intérêt  de  constater  aujourd'hui  ce  qui  est  advenu  chez 
notre  jeune  malade,  qui  n'a  pas  cessé  d'être  soumis  au  traitement  électrique 
méthodique  depuis  le  20  juin,  c'est-à-dire  depuis  5  mois  environ.  Nous  cons- 
tatons aujourd'hui  un  amendement  très  remarquable.  La  plupart  des  mouve- 
ments volontaires  ont  reparu  dans  le  domaine  du  facial  paralysé  ;  il  peut 
fermer  parfaitement  l'œil,  faire  contracter  normalement  les  divers  muscles 
de  la  joue  et  des  lèvres  ;  l'excitabilité  électrique  cependant  est  encore  en 
défaut.  En  somme  les  choses  ont  été  plus  vite  ({ue  nous  ne  l'avions  pensé 
en  nous  fondant  sur  V électro-pronostic  :  nous  pouvons  espérer  que  sous  peu  la 
guérison  sera  complète.  A  ce  propos  je  crois  devoir  relever  ce  qui  suit: 

Rien  de  mieux  établi  pour  l'immense  majorité  des  cas  que  la  classification 
établie  par  M.  le  professeur  Erb,  des  paralysies  faciales  en  forme  légère, 
moyenne,  et  grave^,  classification  fondée  sur  l'électro-diagnostic  qui,  dans  l'es- 
pèce, pourrait  être  appelé  l'électro-pronostic.  Mais  il  ne  fautpas  oublier  que  les 
règles  établies  par  M.  Erb,  fondées  incontestablement  sur  un  nombre  consi- 
dérable de  bonnes  observations,  comportent  cependant  quelques  exceptions 
([ue  relevait  l'autre  jour  M.  le  D*"  Neumann  dans  un  travail  publié  par  V Union 
médicale  (15  novembre  1888).  On  peut  voir  des  cas  de  paralysie  faciale  qui, 
[)araissant,  au  point  de  vue  des  réactions  électriques,  comporter  un  pronostic 
grave,  guérissent  cependant  rapidement,  tandis  que  des  paralysies  dites  bé- 
nignes, d'après  les  réactions  électriques,  peuvent  exceptionnellement  persister 
pendant  longtemps. 

M.  Dejerine  a  signalé  un  cas  de  ce  genre  (Société  de  Biologie,  9  août  1884), 


—  102  — 

dans  lequel  Tautopsie  a  fait  reconnaître  dans  le  nerf  facial  l'intégrité  de  la 
grande  majorité  des  tubes  nerveux. 

«  Nous  avons  eu  l'occasion,  dit  M.  Neumann,  d'observer  des  hémiplégies  de 
la  face  dans  lesquelles  les  résultats  fournis  par  l'examen  électrique  ne  s^ac- 
cordaient  en  aucune  façon  avec  l'intensité  et  la  durée  de  la  maladie  ;  et  nous 
avons  vu  des  paralysies  faciales,  ne  s'accompagnant  d'aucun  changement  dans 
les  réactions  électriques,  persister  pendant  des  mois  entiers  et  ne  se  terminer 
que  par  une  guérison  incomplète.  » 

Ces  cas  qui  paraissent  échapper  aux  règles  posées  par  M.  le  professeur  Erb 
doivent  être  certainement  fort  exceptionnels.  Ils  suffisent  cependant  à  montrer 
une  fois  de  plus  qu'il  reste  encore  quelque  chose  à  faire  sur  ce  chapitre  de  la 
paralysie  faciale  qu'on  pourrait  croire  à  peu  près  complètement  épuisé. 


3e  ET  4^  Malades 


Il  s'agit  ici  de  deux  cas  de  paralysie  faciale  périphérique  de   date  récente. 

Le  premier  concerne  un  homme  d'une  trentaine  d'années  qui,  il  y  a 
huit  jours  a  souffert  d'un  coryza  avec  mal  de  tête  et  en  même  temps  de  dou- 
leurs derrière  l'oreille  du  côté  droit.  La  paralysie  faciale  a  paru  deux  jours 
après.  Impossibilité  de  fermer  l'œil  droit,  joue  droite  flasque  et  immobile. 

La  réaction  électriciuc  indique  une  forme  légère.  Il  a  été  impossible  de 
trouver  clans  les  antécédents  héréditaires  du  malade  la  moindre  trace  d'une 
tare  nerveuse. 

Le  second  mahide,  âgé  de  18  ans.  est  également  atteint  de  paralysie 
faciale  depuis  une  huitaine  de  jours;  c'est  de  la  forme  non  douloureuse  qu'il 
s'agit.  Il  s'en  est  aperçu  le  matin  au  réveil  :  il  ne  se  rappelle  pas  avoir  été 
soumis  à  l'action  du  froid.  La  recherche  des  antécédents  nerveux  dans  la 
famille  ou  chez  le  sujet  lui-même  est  restée  sans  résultat.  La  paralysie  est 
très  accentuée  dans  tout  le  côté  gauche  de  la  face  :  front,  orbiculaire  de  l'œil, 
muscles  de  la  joue. 

Cependant  il  s'agirait,  d'après  les  indications  fournies  par  l'étude  des 
réactions  électriques,  d'une  forme  légère. 


ai),  data  ni»o>  d*  Tfp.   -   rtointr.    ,8,  r.  Canipa|{ii«   rrcmiAro.  l'an*. 


Policlinique  du  Mardi  27  Novembre  1888 


SIXIÈME   LEÇON 

1°  Chorée  aiguë  grave  chez  un  jeune  homme  de  18  ans.  — 
Antécédents  nerveux  héréditaires  très  accentués.  —  Rhuma- 
tisme articulaire  aigu  dans  les  antécédents  personnels. 

2*^  c(  Secousses  »  servant  de  prodromes  aux  accès  chez  une 
jeune  épileptique  de  15  ans.  —  Rétrécissement  du  champ 
visuel  après  les  accès. 

3^  Hystérie  chez  un  saturnin  âgé  de  28  ans. 


1""  Malade. 


Messieurs, 

Je  vais  faire  placer  sous  vos  yeux  un  cas  de  chorée  aiguë  grave,  menaçant 
au  premier  chef  au  point  de  vue  du  pronostic.  La  mort  peut  s'en  suivre,  en 
effet,  dans  un  bref  délai,  et  je  crains  beaucoup,  je  vous  l'avoue,  que  ces  tristes 
prévisions  ne  se  réalisent.  Je  vous  ferai  remarquer  en  passant,  messieurs,  que 
depuis  l'installation  dans  cet  hospice  de  la  consultation  externe  et  du  service 
de  clinique,  notre  matériel  d'observations,  en  ce  qui  concerne  la  chorée,  est 
devenu  fort  riche. 

Chaque  année,  en  effet,  nous  sommes  consultés  par  une  soixantaine  de 
choréiques  des  deux  sexes  et  de  tous  les  âges  ;  de  fait  nous  en  avons  observé 
plus  de  cent  cinquante,  dans  le  courant  des  trois  dernières  années  dont  une 
quinzaine  environ  ont  été  admis  dans  les  salles.  — Cette  remarque  est  des- 
tinée à  vous  montrer  que  sijjparfois  nos  opinions  ditTèrent  sur  certains 
points  relatifs  à  cette  affection  de  celles  professées  par  quelques  auteurs  auto- 
risés, nos  assertions  contradictoires  ne  sont  pas  fondées  uniquement  sur  des 

16 


—   104  — 

vues  de  l'esprit;  elles  s'appuient  au  contraire,  à  peu  près  toujours,  sur  un 
nombre  suffisant  d'observations  originales. 

Vous  comprendrez  également  par  là  comment  nous  avons  été  plusieurs  fois 
mis  en  mesure,  depuis  cette  époque,  d'observer  dans  ce  genre  un  certain  nom- 
bre de  cas  rares,  exceptionnels. 

Un  malade  est  introduit  sur  une  civière. 

M.  Charcot  :  Yoici  notre  malade^,  nous  allons  l'examiner  très  rapidement  ;  sa 
situation  ne  nous  permet  pas  de  le  laisser  longtemps  sous  vos  yeux. 

Je  vous  Tai  annoncé  comme  un  choréique  ;  au  premier  abord  vous  pourriez 
ne  m'en  pas  croire  tant  sont  faibles  et  rares  actuellement  chez  lui  les  gesticu- 
lations. 

Il  en  étaittoLit  autrement  il  y  a  vingt-quatre  heures  à  peine  ;  alors  les  mouve- 
ments choréiques  étaient  quant  à  lagénéralisation,  à  la  persistance  et  à  l'inten- 
sité, poussés  au  plus  haut  degré,  subsistant  nuit  et  jour,  sans  cesse  ni  sans  trêve. 
Voici  d'ailleurs  l'histoire  clinique  de  la  maladie  telle  qu'elle  s'est  déroulée 
depuis  son  début  jusqu'à  ce  jour. 

Les  premiers  mouvements  involontaires  ont  paru  dans  les  bras  et  dans  la 
tête  vers  le  5  novembre,  c'est-à-dire  il  y  a  environ  vingt-deux  jours  ;  quinze 
jours  auparavant,  s'étaient  montrées  des  douleurs  articulaires  avec  gonflement 
occupant  les  deux  cous-de-pied  et  qui  ne  durèrent  que  quelques  jours;  c'était 
une  réapparition  fort  atténuée  d'un  rhumatisme  articulaire  beaucoup  plus 
intense,  plus  généralisé  qui  avait  sévi  au  mois  de  janvier  et  sur  lequel  je 
reviendrai  ultérieurement.  Je  me  borner?!  à  relever  en  ce  moment  que  cette 
attaque  de  rhumatisme  a  laissé,  après  elle,  une  lésion  de  l'endocarde  marquée 
actuellement  par  un  souffle  assez  rude  siégeant  à  la  pointe  du  cœur,  au  pre- 
mier temps. 

Les  grands  mouvements  choréiques  se  sont  manifestés  d'abord  sur  le  mem- 
bre supérieur  gauche  ;  deux  ou  trois  jours  après  ils  ont  gagné  le  membre 
inférieur  du  même  côté  et  la  face  enfin;  une  semaine  après,  le  côté  droit  a  été 
pris  à  son  tour. 

Le  malade  est  venu  à  la  consultation  de  l'hospice  pour  la  première  fois  le 
mardi  13  novembre  ;  les  mouvements  choréiques  étaient,  cette  fois-là  encore, 
d'intensité  moyenne;  ils  s'étendaient,  comme  on  Ta  dit,  aux  quatre  membres  et 
à  la  face  avec  prédominance  à  gauche.  La  parole  était  déjà  assez  difficile;  pas 
de  fièvre  ;  souffle  vers  la  pointe  du  cœur.  La  seconde  visite  qu'il  nous  a  faite 
date  du  16  novembre,  trois  jours  après  la  première.  Les  accidents  nerveux 
s'étaient  rapidement  aggravés  :  le  malade  est  ce  jour-là,  énormément  agité  sur 
la  chaise  où  il  se  tient  assis  ;  ses  grimaces,  ses  gestes  sont  des  plus  désordon- 
nés ;  soudain  il  lance  ses  bras  de  chaque  côté  du  tronc,  croise  ses  jambes 
avec  un  grand  luxe  de  mouvements  ;  il  parle  très  diflicilement,  en  changeant 
sans  transition  le  tonde  sa  voix  et  en  chantonnant.  Si  on  lui  dit  de  se  lever,  il 
le  fait  brusquement  et,  une  fois  debout,  il  sautille  tantôt  sur  une  jambe,  tantôt 


—  105  — 

sur  l'autre,  inclinant  son  corps  d'un  côté,  puis  de  l'autre.  Les  mouvements 
anormaux  sonttoujours  plus  intenses  du  côté  gauche  que  du  côté  droit.  Chose 
intéressante  à  noter, parce  qu'on  a  v(ju1u  en  faire  un  caractère  propre  à  certai- 
nes choses  prétendues  spéciales,  à  l'occasion  des  mouvements  volontaires,  les 
gesticulations  s'atténuent,  et  même  parfois  cessent  momentanément  tout  k  fait  : 
ainsi,  il  peut  porter  un  verre  à  sa  bouche,  de  la  main  droite  surtout,  sans  répan- 
dre le  contenu.  Toutefois  il  lui  est  impossiJjle  d'écrire.  Sommeil  agité.  Le  tiai- 
tement  jusqu'ici  a  consisté  dans  l'emploi  du  bromure  (4  à  5  gr.)  et  hydrate  de 
de  chloral  (2  à  3  gr.  par  jour.) 

Nouvelle  présentation  du  malade  le  19  novembre. 

Empiremcnt  très  accentué  de  tous  les  symptômes  :  le  malade  ne  dort  pour 
ainsi  dire  plus  depuis  deux  nuits.  Les  gesticulations  des  membres  et  du  tronc 
sont  de  plus  en  plus  étendues.  La  situation  évidemment  devient  sérieuse  et 
sur  la  demande  de  sa  mère  le  malade  est  admis  dans  les  salles  de  la  Clinique. 
1-es  difficultés  qui  se  sont  produites  un  instant  après  son  admission  sont,  en 
ce  qui  concerne  son  état  mental,  une  véritable  révélation  :  Il  fait  dans  la  cour 
de  l'hospice  tout  en  gesticulant  à  l'extrême,  une  scène  des  plus  bruyantes. 
Il  prétend  qu'il  ne  peut  supporter  l'odeur  de  la  salle,  qu'il  ne  saurait  rester 
avec  des  gens  d'aussi  basse  extraction  que  ceux  qui  s'y  trouvent^,  etc.,  etc.  Enfin 
on  parvient  à  le  calmer  un  peu  et  il  consent  à  se  coucher  (Bromure  de  pot., 
6  gr.,  hydrate  de  chloral,  4  gr.) 

Mardi  20  novembre.  —  Le  malade  n'a  pas  dormi  de  la  nuit  ;  il  s'est  montré 
très  agité  ;  il  se  livre  continuellement  soit  au  lit,  soit  sur  le  fauteuil  où  il  s'as- 
sied, à  des  gestes  de  grande  étendue.  Il  projette  sa  tête  violemment  de  côté  et 
d'autre  et  en  frappe  les  oreilles  du  fauteuil  ou  l'oreiller  du  lit.  Il  fait  les 
grimaces  les  plus  insensées,  croise  et  décroise  constamment  ses  jambes  ;  plie 
le  tronc  en  avant  et  peu  après  le  renverse  brusquement  en  arrière  ;  il  glisse 
incessamment  sur  le  fauteuil  où  il  est  assis  de  façon  que  sa  tête  repose  bientôt 
sur  le  siège  et  qu'on  est  à  chaque  instant  obligé  de  le  redresser  ;  au  lit,  même 
tendance  à  toujours  descendre.  On  s'aperçoit  que  les  coudes,  le  creux  poplité 
commencent  à  rougir  en  conséquence  des  violents  frottements  auxquels  ils 
sont  incessamment  soumis. 

Sans  doute  il  est  de  règle  que  dans  îa  chorée,même  la  plus  bénigne,  il  y  ait 
à  constater  quelque  perturbation  mentale.  Mais,  désormais,  chez  notre  malade, 
les  troubles  de  ce  genre  dépassent  évidemment  les  limites  ordinaires  c'est 
ainsi  qu'il  prétend  avec  assurance,  être  persécuté  par  les  malades  du  service  ; 
tous  ceux  qui  ont  aidé  à  le  maintenir  dans  son  lit  ou  dans  son  fauteuil  l'ont, 
assure-t-il,  cruellement  brutalisé;  on  l'accuse  sans  cesse,  dit-il,  d'avoir  eu  la 
syphilis;  le  soir  du  même  jour  il  nous  affirmait  qu'on  lui  avait  coupé  le  «scro- 
tum ».  Par  moments  il  semble  reconnaître  que  tout  cela  est  faux  et  nous  dit  : 
«  Mais  est-ce  que  je  rêve?  »  La  température  s'élève  à  39°  ;  le  pouls  est  à  120, 
régulier.  (Bromure  de  sodium,  G  gr.  ;  chloral,  6  gr.  ;  extrait  thébaï(iue,0  gr.  05.) 


—  106  — 

Mercredi  21  novembre.  —  Cette  nuit,  il  a  dormi  en  deux  fois  près  de  trois  heu- 
res. Ce  matin  néanmoins  il  est  à  peu  près  aussi  agité  qu'hier  ;  les  gesticulations 
sont  tout  aussi  étendues.  C'est  à  peine  s'il  peut  aujourd'hui  articuler  un  mot 
distinctement.  Les  rougeurs  dues  au  frottement  s'étendent  maintenant  à  la  face 
postérieure  et  interne  des  bras.  On  n'a  pu  le  laisser  hors  du  lit,  sur  son  fau- 
teuil, qu'une  heure  ce  matin.  De  même  que  les  jours  précédents,  il  ne  peut 
avaler,  et  encore  difficilement,  que  des  aliments  liquides.  Même  traitement. 
Température  rectale  de  38°  4  matin,  38°  8,  le  soir. 

Jeudi  22  novembre.  —  lia  à  peine  dormi  une  heure  cette  nuit.  Toujours  extrê- 
mement agité.  Les  gesticulations  sont  des  plus  intenses.  Il  n'a  pu  quitter 
un  instant  le  lit  où  il  rend  les  urines  involontairement.  Impossible  d'émettre 
le  moindre  bruit  articulé  ;  aussi,  est-il  fort  difficile  de  se  rendre  compte  exac- 
tement de  son  état  mental.  Toujours  est-il  qu'il  paraît  comprendre  les  ques- 
tions qu'on  lui  adresse  ;  sur  la  demande  qu'on  lui  en  fait,  il  essaie  de  tirer  sa 
langue,  mais  il  n'y  réussit  pas  et  parvient  seulement  à  ouvrir  la  bouche.  La 
langue  n'est  point  sèche.  Même  traitement.  Température  rectale  :  matin  38°  6, 
soir  38°  8. 

Vendredi  23  novembre.  —  Bien  qu'il  n'ait  pris  qu'environ  2  grammes  de  chlo- 
ral,il  a  dormi  toute  la  nuit.  Les  mouvements  choréiqucs  sont  moins  étendus  et 
plus  lents  qu'hier.  Il  y  a  donc  à  quelques  égards  une  apparence  d'amendement  ; 
mais,  s'agit-il  d'une  amélioration  sérieuse  ?  on  n'ose  l'espérer.  Le  malade 
est,  en  réaHté,  très  prostré,  très  amaigri,  les  yeux  enfoncés.  Les  lèvres  sont 
sèches,  couvertes  d'enduits  ;  la  langue  cependant  reste  humide. 

On  a  eu  raison  ce  matin,  quant  au  pronostic,  de  se  tenir  sur  la  réserve,  car 
le  soir,  bien  qu'on  ne  puisse  découvrir  l'existence  d'une  complication  viscé- 
rale quelconque,  la  température  s'élève  brusquement  à 40°  ;  le  pouls  est  à  120, 
régulier. 

Samedi  2^novembre.  —  Le  malade  n'a  pas  paru  agité  cette  nuit  :  mais  son 
état  ce  matin  n'en  est  pas  plus  rassurant  pour  cela  :  sans  doute  les  mouvements 
anormaux  des  membres  ainsi  que  les  grimaces  sont  moins  étendus  moins  fré- 
quents. 11  se  borne  à  grincer  des  dents,  à  élever  les  sourcils  brusquement  pour 
les  abaisser  ensuite,  à  tourner  les  yeux  presque  convulsivement  de  tous  côtés  ; 
mais  le  faciès  est  légèrement  cyanose,  amaigri.  La  température  est  à  40°  3, -le 
soir  elle  se  maintient  à  40°.  Pouls  très  fréquent  :  près  de  140  par  minute  et  un 
peu  après  à  120  seulement;  arythmie  très  prononcée  ;  le  souffle  vers  la  pointe 
du  cœur  ne  s'est  pas  modihé. 

En  outre  de  la  solution  de  Fowler  et  de  la  teinture  de  Mars  prescrites  hier, 
on  a  administré  aujourd'hui  0  gr.  75  de  digitale.  Poudre  de  viande,  potion  de 
Todd. 

Dimanche  25  novembre.  — Sommeil  très  agité  lanuit  ;  il  crie,  délire,  appelle 
sa  mère.  Toujours  grincements  de  dents,  mouvements  divers  de  la  face;  les  gesti- 
culations sont  encore  atténuées.  Il  ne  parait  pas  reconnaître  les  gens  qui  l'en- 


-  107   -- 

tourent.  Quoi  qu'il  on  soit,  la  tempôrature  a  notablement  baissé  :  le  matin,  elle 
est  à  39"  le  soir  à  38"  G.  S'ai,Mt-iI  là  d'une  défervescence  do  bon  aloi  :  C'est  bien 
peu  vraisemblable.  Le  pouls  ralenti  est  tantôt  à  00",  tantôt  à  80%  presque  régu- 
lier :  on  suspend  la  digitale  et  Ton  se  borne  aux  toniques. 

Lundi  26  novembre.  — Même  état  qu'hier.  Il  avale  difficilement,  somnolence, 
avec  cris  inarticulés  do  temps  à  autre  ;  les  mouvements  dans  les  membres  ont 
presque  complètement  disparu.  Température  38",  pouls  130,  120. 


Mois  de        q 

Novembne 


Pouls.  T. 


180- 4r 


16D_40^ 


140.53' 


1£0_58"I 


IMHMHHFAMBII 
klB^^PWâiniyHI 
IL^HIiSPr/fllBMl 
IHiSMBiMIBlI 

■■JHOHHVim 


inif 


ira 

IHRI 
imi 


100.57° 
80  -  36» 
GO  _  35° 

*5S5SB99S9S559SS 

Miiiiinii 

IlIBBilBBIBB 
IBKBIiBBIBB 
inBBIBinill 

fissiiiniii 

ililBBIBIIBII 
IliBBIBISBIl! 
IBSBSiMBBIBBI 

niBBlIBBIBII 
■■■BBIBBBIIII 

Voici  enfin  l'état  dans  lequel  nous  le  trouvons  aujourd'hui  mardi  27.  — 
Veuillez  bien  remarquer  tous  les  détails  que  je  vais  relever  chemin  faisant 
dans  le  cours  de  notre  examen. 


Le  tracé  du  pouls  est  ( )  schématique,  le  pouls  variant  d'un  instant  à  l'autre. 


—  108  — 

Ce  qui  frappe  tout  d'abord,  avec  le  mutisme  absolu  du  sujet  et  Texpression 
de  torpeur  de  ses  traits,  c'est  l'absence  à  peu  près  complète  de  mouvements 
involontaires  :  que  sont  devenues  ces  grandes  gesticulations  de  ces  jours  pas- 
sés ?  Elles  ne  sont  plus  représentées  actuellement  que  par  de  légères  secousses 
des  membres  tant  supérieurs  qu'inférieurs,  visibles  surtout  lorsque  ceux-ci 
sont  maintenus  soulevés  par  la  main  de  l'observateur  et  qui  rappellent  la  des- 
cription des  soubresauts  détendons  des  fièvres  graves. 

Serait-ce  donc  qu'il  s'agit  ici  de  cette  forme  paralytique  de  la  chorée  dont 
je  vous  montrais  l'autre  jour  un  exemple  ?  Hélas  !  non,  il  n'y  a  là  qu'une 
apparence  trompeuse;  la  chorée  molle  paraît  être  généralement  bénigne,  tandis 
que,  actuellement,  le  cas  est  évidemment  sérieux.  Je  relèverai  particulièrement, 
comme  indices  tristement  significatifs,  la  teinte  cyanosée  générale  des  tégu- 
ments et  surtout  des  extrémités  et  du  nez  ;  la  maigreur  extrême  du  sujet  sur- 
venue très  rapidement,  bien  que  l'alimentation  ait  pu  être  continuée  tant 
bien  que  mal  ;  la  langue  est  sèche,  le  ventre  creusé  en  bateau,  comme  rata- 
tiné, etc.,  etc. 

Le  malade  peut  être  ramené  dans  les  salles  :  (Le  malade  est  porté  hors  de 
de  la  salle),  le  voilà  parti,  nous  pourrons  parler  de  lui  plus  librement.  Eh 
bien,  messieurs,  je  vous  dirai  franchement,  maintenant  qu'il  ne  peut  plus 
nous  entendre^  que  je  ne  suis  nullement  rassuré  sur  son  compte.  L'amaigris- 
sement rapide,  la  teinte  cyanosée,  la  stupeur  et  jusqu'à  la  presque  complète 
cessation  dos  mouvements  qu'on  pourrait,  dans  d'autres  circonstances,  con- 
sidérer comme  un  événement  favorable^,  tout  cela  ne  nous  dit  rien  de  bon  ;  et, 
bien  que  depuis  hier,  la  température  centrale  ne  se  soit  pas  élevée  au-dessus 
de  38°8,  je  redoute  fort,  quoi  que  nous  puissions  faire, une  terminaison  fatale 
dans  un  bref  délai. 

Oui  messieurs,  pour  tout  dire  en  un  mot^,  je  crains  qu'il  ne  s'agisse  ici 
d'une  chorée  mortelle.  Est-ce  donc  que  la  chorée,  cette  affection  que  j'ai  eu 
l'occasion  fréquente  de  vous  présenter  comme  généralement  bénigne,  puisse 
en  réalité  se  terminer  quelquefois  par  la  mort?  Eh  bien,  oui, cela  peut  arriver 
dans  certains  cas,  et  justement  je  veux^  un  instant,  attirer  votre  attention  sur 
les  faits  de  ce  genre. 

Messieurs,  il  sera  légitime,  je  pense,  avec  Lendet  (Mémoire  sur  les  chorées 
sans  complications,  terminées  parla  mort.  Arch.  de  Méd.  1853,  2*^  série)  et  avec 
le  D""  Sturges  [Cliorea  as  a  fatal  disease. —  On  chorea,  p.  17:2.  London  1881),  de 
distinguer  dans  l'espèce  deux  ordres  de  cas  tout  à  fait  différents  :  Ceux  dans 
lesquels  on  meurt  pendant  la  chorée  en  conséquence  de  quelque  complication 
organique  telle  que  pneumonie,  endocardite,  etc.;  ceux  dans  lesquels,  au  con- 
traire, on  meurt  sans  complication  de  C3  genre,  par  le  fait  même  de  la  chorée 
si  Ton  peut  ainsi  parler. 

Ce  sont  les  cas  du  dernier  groupe  qui  devront  nous  occuper  exclusivement, 
car  à  mon  avis,  messieurs,  si  la  terminaison  par  la  mort  a  lieu  chez  notre  pau- 


I 


—  100  — 

vre  garçon,  commo  je  le  redoute,  ce  ne  sera  pas,  ainsi  que  je  l'exposerai  tout 
à  l'heure  dans  le  détail  par  suite  d'une  complication  viscérale,  cardiaque,  pul- 
monaire ;  en  outre,  mais  bien  en  conséquence  d'un  processus  particulier  dont 
la  raison  physiologique  ne  nous  est  pas  encore  connue.  Mais  avant  d"<m  venir 
à  la  discussion  de  ces  points,  il  ne  sera  peut-être  pas  inutile  de  relever,  en 
passant,  qu'en  tous  cas,  quelle  qu'on  soit  la  cause,  qu'il  y  ait  ou  non  complica- 
tion viscérale  imllammatoire,  la  terminaison  par  la  mort,  dans  la  chorée,  est 
chose  vraiment  rai'(3.  Ainsi  au  rapport  de  M.  Sturges.  en  prenant  les  registres 
de  Guy*s  hospital  pour  30  ans,  Hughes  a  trouvé  seulement  11  cas  de  chorée 
avec  issue  fatale;  le  D' Dickinson,  à  Saint-Georges  hospital,  pour  une  période 
de  31  ans, 16  cas;  à  l'hôpital  des  Enfants  malades, dans  une  période  de  15  ans, 
on  n'en  a  pas  compté  plus  de  6  cas. 

Il  y  a  tout  lieu  de  croire  d'ailleurs,  bien  que  le  départ  à  cet  égard  n'ait  pas 
été  fait  régulièrement,  que  la  chorée  mortelle  par  elle-même  est  plus  rare  que 
la  chorée  mortelle  par  complication. 

Mais  j'en  reviens  à  notre  cas,  qui,  je  le  répète,  représente  un  exemple  de  la 
première  catégorie,  c'est-à-dire  un  cas  de  chorée  mortelle  sans  complication. 
La  question  à  examiner  est  celle-ci.  Comment,  dans  quelles  circonstances 
meurt-on  dans  la  chorée  par  la  chorée  ?  Là-dessus,  on  le  comprend,  nous  ne 
pouvons  rien  savoir  qui  ne  soit  fondé  sur  l'observation  comparative  d'un  cer- 
tain nombre  de  faits  du  groupe.  Or  la  comparaison  de  ces  faits  apprend  ce 
qui  suit  :  Il  ne  paraît  pas  et  je  m'appuie  ici  sur  les  chiffres  rassemblés  par 
M.  Sturges  qu'avant  l'âge  de  7  ou  8  ans,  et  même  jusqu'à  12  ans,  on  meure  de 
la  chorée  sans  complication;  s'il  y  a  quelques  exceptions  à  cette  règle,  ce 
serait  chez  les  filles  qu'elles  auraient  été  observées. 

Après  l'âge  de  12  ou  14  ans,  il  se  produit  dans  l'histoire  clinique  de 
la  chorée  une  évolution  fort  remarquable,  car  alors,  en  effet,  on  peut  voir 
survenir,  contrairement  à  ce  qui  est  la  règle  aux  époques  antérieures,  des  cas 
graves  ;  soit  que  la  maladie  en  vienne  à  s'éterniser  à  l'état  chronique  (chorée 
chronique)  soit  qu'elle  conduise,,  dans  la  forme  aiguë,  plus  ou  moins  rapide- 
ment et  sans  le  concours  d'une  complication  organique  viscérale,  à  la  termi- 
naison fatale. 

C'est  donc,  en  résumé,  chez  l'adolescent,  chez  l'adulte,  et,  aussi  chez  le 
vieillard  ainsi  que  je  l'ai  plusieurs  fois  observé,  qu'on  peut  redouter  de  voir 
survenir  la  mort  dans  la  chorée  non  compliquée.  Ainsi,  en  d'autres  termes, 
chez  l'enfant,  au-dessous  do  12  ans  par  exemple,  quelle  que  soit  l'intensité, 
souvent  effroyable  des  convulsions  choréiques,  tant  qu'il  n'y  a  pas  interven- 
tion de  quelque  complication  viscérale  redoutable  par  elle-même,  l'issue  fatale 
n'est  pas  à  prévoir.  Vous  voyez,  par  contraste  d'après  ce  qui  a  été  dit  plus 
haut,  qu'il  n'en  est  pas  tout  à  fait  de  même  lorsque  la  chorée  survient  à  un  âge 
plus  avancé.  Alors  si  la  chorée  se  montre  quelque  peu  intense,  si  même  aucune 
complication  alarmante  n'est  survenue^  soyez  attentifs,  sachez  vous  tenir  pru- 


—  110  - 

déminent  sur  la  réserve,  en  ce  qui  concerne  le  pronostic  ;  le  cas  peut  tout  à 
coup  se  montrer  grave. 

Nous  venons  de  recueillir  là,  chemin  faisant,  un  renseignement  évidemment 
de  grande  importance.  C'est  à  savoir  que  chez  l'adolescent  et  l'adulte,  la  cho- 
rée  aiguë  peut  par  elle-même,  exceptionnellement  il  est  vrai,  devenir  une 
maladie  fort  sérieuse.  Nous  devons  nous  appliquer  à  rechercher  maintenant  si, 
étant  donné  Texistence  de  la  chorée  aiguë  chez  un  adulte,  il  n'est  pas  cer- 
taines circonstances,  qui,  dans  un  cas  particulier,  puissent  conduire  à  prévoir 
le  danger.  Parmi  ces  circonstances  fâcheuses  de  nature  à  assombrir  le  pronos- 
tic de  la  chorée  chez  l'adulte^  onpeut  au  premier  chef  citer  l'état  de  grossesse. 
C'est  à  juste  titre  que  la  chorée  de  la  grossesse  porte  en  clinique  un  renom 
fâcheux,  non  pas  qu'il  s'agisse  là  d'une  chorée  spéciale  liée  intimement  à  la 
grossesse,  M.  le  Prof.  Jaccoud  a  parfaitement  montré' que  c'est  dans  ces  cas- 
là,  la  chorée  vulgaire  qui  est  en  jeu,  aggravée  par  les  conditions  de  la  gros- 
sesse.(Clinique  de  la  Charité  p.  476).  Les  deux  seuls  cas  de  chorée  mortelle 
qui  se  sont  produits  dans  mon  service  à  la  Salpêtrière,  dans  le  cours  des  trois 
dernières  années,  sont  relatifs  à  des  femmes  grosses. 

La  première  était  une  fille  de' 19  ans  dont  l'histoire  a  été  rapportée  par 
M.  Guinon, mon  interne,  d'abord,  dànsla.  France  médicale  (n°  7, 19  janvier  1886). 
Cette  fille  nous  parait  avoir  succombé  à  la  chorée,  par  la  cliorée.  Les  phleg- 
mons suppures  qui  s'étaient  produits  dans  les  membres  en  conséquence  des 
mouvements  désordonnés,  et  les  vestiges  d'endocardite  ancienne  relevés  chez 
elle  lors  de  l'autopsie,  ne  nous  ont  pas  paru  expliquer  à  eux  seuls  la  terminai- 
son fatale,  l^e  deuxième  cas  est  plus  récent  :  il  est  relatif  à  une  femme  mariée 
âgée  de  20  ans,  enceinte  de  deux  mois  environ  à  l'époque  où  la  chorée 
a  débuté.  Les  mouvements  étaient  désordonnés  au  plus  haut  degré  :  On  n^a  pu 
découvrir  cliniquement  aucune  complication  viscérale. 

La  mort  est  survenue  dix  jours  à  peine  après  le  début  de  la  maladie  convul- 
sive  ;  on  avait  constaté  un  peu  avant  une  température  vaginale  de 
41  degrés  :  Malheureusement  l'autopsie  a  été  refusée. 

Il  ne  paraît  pas  que  l'existence  antérieure  du  rhumatisme  articulaire  chez 
l'adulte  atteint  de  chorée  ait  une  influence  très  marquée  sur  la  production 
des  accidents  qui  conduisent  à  la  terminaison  fatale,  dans  les  cas  qui  nous 
occupent.  Toujours  est-il  qu'on  peut  voir  la  chorée  survenir  chez  l'adulte 
dans  des  circonstances  où  il  n'existe  aucune  trace  d'une  endocardite  présente 
ou  passée.  Sur  dix  cas  concernant  des  choréiques  morts  pendant  la  chorée  re- 
levé par  M.  Dickenson,  on  en  compte  trois  chez  lesquels  l'endocarde  ne  pré- 
sentait aucune  trace  de  végétations.  Sur  trois  cas  du  même  genre,  rassemblés 
par  M.  Peacock,  les  végétations  faisaient  défaut  dans  un  cas.  J'emprunte  ces 
chiflres  à  l'intéressant  ouvrage  déjà  cité  de  M.  Sturges  (1). 

1.  Tout  récemment  M.  le  D»"  E.  Powell,  de  NoUingham,  décrivait  deux  cas  de  chorée  aiguë 


—  111  — 

Il  n'en  est  certainement  pas  (le  môme  de  rinfliionce  des  émotions  plus  ou 
moins  profondes,  de  la  peur,  ayant  pu  présider  au  développement  de  la  chorée_ 
Les  choiées  des  adultes  ([ui  doivent  se  terminer  par  la  mort  reconnaissent 
souvent  les  causes  susdites.  Elles  se  font  remarquer  habituellement,  anté- 
rieurement à  l'apparition  des  mouvements  choréiformes,  comme  aussi  pendant 
le  cours  de  TafTection,  par  des  troubles  psychiques  plus  profonds  que  cela  n'a 
lieu  d'ordinaire,  par  une  exaltation  mentale  poussée  au  plus  haut  degré,  ou 
encore  de  vériialdes  troubles  vésaniques. 

On  pourrait  formuler  ces  résultats  de  l'observation  clinique  en  disant  que 
ce  sont,  chez  l'adulte,  les  chorées  émotionnelles  qui  surtout  se  montrent  graves 
et  j'ajouterai  que,  dans  ces  cas-là,  une  recherche  attentive  des  antécédents  de 
famille  conduirait,  vraisemblablement  presque  toujours,  à  la  r('vélation  de 
tares  nerveuses  des  plus  signiticatives.  Nous  verrons  dans  un  instant  que  juste- 
ment, ces  conditions-là  existent  d'une  façon  très  accentuée  dans  l'hérédité  de 
notre  malade. 

Autre  ({ucstion  :  Quels  sont,  étant  donnée  la  chorée  chez  un  adulte,  les 
signes  prochains  propres  à  indiquer  que  les  choses  prennent  une  mauvaise 
tournure?  On  doit,  à  ce  sujet,  rappeler  en  premier  lieu  que,  généralement,  la 
chorée  grave  chez  l'adulte  se  fait  remarquer  par  des  mouvements  d'une  inten- 
sité extrême;  ce  n'est  pas  là  une  circonstance  absolument  nécessaire,  mais 
c'est  certainement  le  cas  habituel.  «  On  a  peine  à  contenir  les  malades...  Ils 
brisent  les  liens  dont  on  les  entoure,  se  roulent  en  bas  de  leur  lit...  etc.,  etc. 
Puis  subitement,  disent  MM.  Rilliet  et  Barthez  »,  la  violence  des  contractions 
diminue  pour  faire  place  à  des  soubresauts  de  tendons. 

Incontestablement  voilà  qui  est  bien  dit,  et  cet  abaissement  soudain  de  la 
violence  des  gesticulations  choréiques,  est  certainement,  dans  ces  conditions- 
là  un  symptôme  de  fort  mauvais  augure.  Quelques  traits  devront  être  ajoutés 
pour  compléter  le  tableau  : 

En  premier  lieu,  ramaigrissement  rapide  du  malade,  la  teinte  cyanosée  des 
téguments,  la  cessation  brusque  d'un  délire  plus  ou  moins  bruyant  remplacé 
désormais  par  de  la  stupeur;  la  sécheresse  de  la  langue,  etc.,  etc.  ;  et  enfin, 
par-dessus  tout,  l'élévation  de  la  température  centrale  qui,  brusquement,  dans 
l'espace  de  quelques  heures,  dépasse  38*^,  39°  et  s'élève  jusqu'à  40"  41".  Voilà, 
je  crois,  l'un  des  éléments  nécessaires  du  complexus  morbide  de  fâcheux 
augure  sur  lequel  j'attire  spécialement  votre  attention  et  qui  ne  me  parait  pas 
avoir  été  suflisamment  mis  en  relief  par  les  auteurs.  Je  l'ai  rencontré  pour 
ma  part  dans  tous  les  cas  de  chorée  mortelle  sans  complication,  au  nombre  de 


qui  se  sont  terminés  par  la  morl.  Ils  sont  relatifs  à  un  garçon  de  dix-neuf  ans  et  à  une   femme 
de  vingt  ans.  Le  garçon  présentait  à  l'autopsie  des  végétations  sur  le  bord  de  la  valvule  mitrale 
chez  la  jeune  femme  morte  «  d'épuisement  »  cinq  jours  après  son  entrée  à  l'hôpital,   l'autopiic 
est  restée  négative  {Semaine  médicale,  Lettres  d'Angleterre,  par  le  D'  Keser,  9  janvier  1889). 

17 


—  112  — 

cinq,  qu'il  m'a  été  donné  d'observer,  et  je  crois  bien  que  son  existence  a  égale- 
ment été  constatée  constamment  par  tous  les  observateurs  qui  ont  pris  la 
peine  de  le  rechercher. 

Mais,  medirez-vous,  votre  cas  d'aujourd'hui  fait  exception  à  la  règle,  sous 
ce  rapport,  car  si  la  température  s'est,  chez  votre  malade,  élevée  rapidement 
à  un  moment  donné,  et  elle  a  atteint  un  jour  près  de  40°3;  bientôt  après, 
vraisemblablement  sous  l'influence  de  la  médication  mise  en  œuvre  (tein- 
ture de  digitale),  elle  s'est  abaissée  très  notablement  ;  peut-être,  ajouterez- 
vous,  vous  laissez-vous  trop  vivement  impressionner  par  les  autres  symptô- 
mes, à  savoir  la  cessation  des  gesticulations,  le  délire,  l'amaigrissement,  le 
fac-ies  cyanose,  etc.,  etc.  Tout  cela  p(îut-èlru  est  réparable.  Eh  bien.  Messieurs, 
vous  direz  tout  ce  que  vous  voudrez  :  je  dois  vous  Tavouer,  Félat  de  notre 
pauvre  malade  ne  m'inspire  aucune  confiance  et  je  redoute  fort,  je  le  répète 
encore  une  fois,  qu'il  ne  succombe  dans  un  bref  délai.  Son  cas  me  remet  en 
mémoire  ce  qui  m'est  arrivé  souvent  chez  les  vieillards  affaiblis  de  cet  hospice 
atteints  de  pneumonie  lobaire,  alors  que,  dans  les  premiers  temps  de  mon 
exercice,  je  m'efTorçais,  peut-être  un  peu  naïvement,  d'enrayer  la  marche  si 
habituellement  fatale  de  la  maladie,  par  l'emploi  des  agents  antipyré- 
tiques, en  particulier  de  la  digitale. 

Nous  obtenions  ainsi  assez  facilement  des  courbes  thermiques  superbes  et 
qui  ne  différaient  en  rien  d'essentiel  des  courbes  relatives  aux  cas  terminés  par 
la  guérison.  Mais,  hélas!  les  autres  symptômes  ne  marchaient  point  de  pair, 
et  les  malades  succombaient,  à  la  vérité,  en  pleine  défervescence.  Il  faut  tenir 
compte  de  ces  défervescences  de  «  mauvais  aloi  »  et  je  crains  bien  que  notre 
sujet  n'offre  un  nouvel  exemple  du  genre. 

Quel  est  donc  le  mécanisme  suivant  lequel  se  produit  la  terminaison  fatale 
dans  ces  cas  de  chorée  des  adultes  aboutissant  à  la  mort?  Là-dessus,  je  n'ai 
pas  de  bien  grands  éclaircissements  à  vous  donner;  tout  ce  qu'on  peut  dire, 
c'est  qu'aucune  lésion  organique  grossière  n'explique  ces  terminaisons-là. 
Ainsi,  chez  notre  malade,  s'il  succombe  comme  je  le  redoute,  il  n'y  aura  cer- 
tainement pas  lieu  d'invoquer  l'influence  de  la  lésion  mi  traie  dont  l'ausculta- 
tion nous  a  fait  reconnaître  l'existence;  cette  lésion  date  de  loin,  elle  repré- 
sente le  résidu  d'un  processus  éteint.  Elle  n'est  pas  l'expression  d'une  maladie 
en  pleine  activité  et  qu'on  pourrait  incriminer  comme  étant  la  cause  de  tous 
les  désordres.  J'ajouterai  que  nulle  part  ailleurs  nous  ne  rencontrons  dans 
ces  organes  de  signes  d'une  lésion  quelconciue  appréciable  i)ar  nos  moyens 
d'investigation  clinique.  La  plupart  des  auteurs  qui  se  sont  occupés  de  la 
question,  ont  fait  des  remarques  analogues  et  plusieurs  d'entre  eux  ont  pro- 
posé de  rapporter  la  cause  de  la  mort  à  une  modification  générale  de  l'orga- 
nisme, et  en  particulier  du  système  nerveux,  résullant  du  surmenage,  de 
l'épuisement  causés  par  l'excessive  intensité  des  gesticulations  choréiformes. 
Sans  doute  il  y  a  souvent  quelque  chose  de  cela  dans  la  chorée  mortelle;  mais 


—  H.'i  — 

je  forai  remarquer  que  l'intensité  des  mouvements  n'est  pas  une  condition 
ahsoliiniont  nf'cessaire  à  la  produetion  de  la  ohorée  grave  et  quo_,  d'un  aiili»' 
côté,  chez  l'enfant  au-dessous  de  huit  à  dix  ans,  ainsi  rpie  nous  l'avons  fait 
remar([uer  plus  haut,  les  chorécsles  [)lus  intenses  quant  aux  mouvements,  si 
elles  ne  sont  pas  compliquées  de  lésions  viscérales,  évoluent  le  plus  souvent 
sans  tourner  à  mal.  Dans  l'impossibilité  où  je  suis  de  vous  dire  queh|ue  chose 
d'un  peu  précis  sur  ce  sujet,  je  me  bornerai  à  vousproposerune  comjjaraison, 
sans  me  faire  d'illusion  bien  entendu  sur  la  valeur  des  arguments  f(jn(h''s  sur 
la  seule  analogie  ;  voilà  du  reste,  de  quoi  il  s'agit  :  il  y  a  un  rapprochement  à 
établir,  si  je  ne  me  trompe,  entre  la  chorée  mortelle  et  ce  qui  arrive  chez  les 
épileptiques  dans  les  conditions  dites  de  Vî'tat  de  mol  ;  ici  les  accès  convulsifs 
deviennent  nombreux  et  ils  s'enchainent  de  façon  à  constituer  une  série  à  peu 
près  ininterrompue.  La  température  s'est  élevée  rapidement  à  38°  5,  39'*,  40" 
et  au  delà,  et  elle  ne  s'abaisse  guère,  alors  que  les  convulsions  ont  cessé  ou 
se  sont  considérablement  affaiblies,  le  malade  restant  toutefois  dans  le  coma 
Le  danger  est  alors  imminent, et  si  le  malade  succombe,  ce  qui  est,  hélas  !  bien 
fréquent,  l'autopsie  ne  révèle  dans  les  organes  aucune  altération  appréciable 
par  nos  moyens  actuels  d'investigation,  qu'on  puisse  incriminer.  C'est  donc 
en  pareil  cas  de  la  mort  par  Vépilepsie  qu'il  s'agit  bien  réellement  et  non  pas 
de  la  mort  déterminée  chez  un  épileptique  par  l'intervention  d'ime  com[»li- 
cation  viscérale.  11  y  a  certainement  de  l'analogie  entre  ces  cas  relatifs  à 
Vétat  (/e  ma/ épileptique  et  ceux  qu'on  pourrait  grouper  peut-être  sous  le  nom 
(ï (Hat  de  mal  choréique;  et  cette  analogie-là,  j'ai  tenu  à  la  faire  ressortir,  i)arce 
qu'elle  conduira  peut-être  quelque  jour  à  trouver  une  interprétation  légitime 
des  phénomènes  communs,  qui  pour  le  moment  nous  échappe. 

Mais  en  voilà  assez  pour  aujourd'hui  sur  cette  question  des  «  chorées  sans 
complication  terminées  par  la  mort  ».  C'est  un  sujet  sur  lequel  j'aurai  malheu- 
reusement, sans  doute,  l'occasion  de  revenir  très  prochainement  à  propos  de 
notre  pauvre  malade. 

J'en  viens  maintenant  à  compléter  son  histoire  clinique  antérieure  aux  phé- 
nomènes actuels,  par  quelques  détails  fort  intéressants,  concernant  sori  passé 
et  son  hérédité. 

Maladif  pendant  son  enfance,  A...  el  a  eu  au  cou,  vers  l'âge  de  2  ans,  des 
ganglions  scrofuleux  suppures  dont  il  porte  les  traces.  Sa  santé  s'était  ensuite 
passablement  amendée  et  il  était  devenu  assez  fort.  Depuis  deux  ans  il  travail- 
lait dans  une  pharmacie  comme  élève. 

Depuis  le  mois  de  février  1888,  il  a  souffert  de  plusieurs  attaques  de  rhu- 
matisme articulaire  aigu  de  moyenne  intensité  durant  chaque  fois  de  huit  à 
quinze  jours  ;  elles  ont  sévi  surtout  en  juin,  juillet  et  août,  et  c'est  alors  que 
s'est  déveloi)pée,  suivant  toute  apparence  l'endocardite  dont  il  porte  les  traces. 

A  partir  de  février,  avant  même  le  développement  des  accès  de  rhumatisme 
articulaire,  son  caractère   était  notablement  changé  ;  il  était  devenu   ner- 


—  114  — 

veux,  irascible,  se  contrariant  pour  un  rien  ;  au  mois  de  mai,  à  la  suite  d'une 
observation  sans  importance  de  la  part  de  son  patron,  il  avait,  par  un  coup 
de  tête,  quitté  la  pharmacie  où  il  travaillait  habituellement. 

Ces  changements  de  caractère  s'étaient  accentués  surtout  après  le  13  mars, 
époque  où  il  fut  soumis  à  une  assez  violente  émotion  :  Il  fut  attaqué  un  soir 
en  rentrant  chez  lui  par  deux  individus  qui  après  l'avoir  renversé,  lui  prirent 
sa  montre  et  son  porte-monnaie,  sans  le  frapper  toutefois. 

Le  début  de  la  chorée  remonte,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  au  commence- 
ment de  novembre,  vers  le  5  environ.  Une  quinzaine  auparavant,  il  avait  été 
repris  pendant  quelques  jours  de  douleurs  articulaires,  avec  gonflement  dans 
les  deux  cous-de-pied.  Mais  je  le  répète,  c'est  le  5  novembre  seulement  que 
les  mouvements  choréiques  ont  commencé  à  s'accuser  nettement. 

Vous  le  voyez,  messieurs,  le  rhumatisme  articulaire  joue,  chez  notre  malade 
un  rôle  assez  important.  On  le  voit  sévir  à  plusieurs  reprises  avant  le  déve- 
loppement de  la  chorée  et  quelques  médecins, après  constatation  de  l'aff'ection 
articulaire, désigneront  le  cas  sous  le  nom  de  chorée  rhumatismale  et  croieront 
peut-être  avoir  tout  dit  ;  mais  n'avez  vous  pas  manqué  de  le  remarquer, 
messieurs,  qu'il  y  a  chez  notre  homme  autre  chose  encore  qui  mérite  bien 
d'être  relevé,  c'est  à  savoir  l'élément  névropathique,  lequel  se  révélera  dans 
tout  son  jour  par  l'étude  des  antécédents  de  famille.  Messieurs,  c'est  cet  élé- 
ment-là qui,  dans  le  drame  morbide,  me  paraît  devoir  occuper  sur  la  scène  la 
place  prépondérante. 

A^ous  connaissez  certainement  mon  opinion  relativement  à  la  chorée  dite 
rhumatismale  :  Je  me  suis  plusieurs  fois  exprimé, je  pense,  très  nettement, à  ce 
sujet.  A  mon  avis, permettez-moi  de  vous  le  rappeler  en  deux  mots  ;  il  n'y  a  pas 
de  chorée  méritant  d'être  appelée. rhumatismale  dans  l'acception  rigoureuse 
du  mot  :  eu  d'autres  termes,  je  ne  crois  pas  que  la  chorée  puisse  jamais  être 
considérée  comme  un  «  équivalent  »  dans  les  centres  nerveux,  de  l'affection 
articulaire,  ou  des  affections  viscérales  de  la  «  fièvre  rhumatismale  »  ;  il  me 
parait  bien  que  l'opinion  contre  laquelle  je  m'élève  est  le  résultat  d'une  illu- 
sion. La  chorée  et  le  rhumatisme  articulaire  coexistent  sous^ent  soit  chez  un 
même  sujet,  soit  dans  la  famille,  cela  n'est  nullement  douteux;  mais  la  co'in- 
cidence  fréquente,  l'alternance  même  de  deux  affections  ne  suffit  nullement  à 
montrer  qu'elles  sont  identiques  et  de  même  nature  ;  tout  au  plus  cela  peut-il 
faire  penser  qu'il  y  a  entre  elles  une  certaine  affinité  dont  il  reste  à  recherclier 
la  raison  d'être.  Or  la  coïncidence  dont  il  s'agit,  bien  que  réellement  très  vul- 
gaire dans  le  cas  de  la  chorée, ne  lui  appartient  certes  pas  en  propre. On  pour- 
rait la  signaler,  bien  que  moins  accentuée  sans  doute,  mais  très  commune 
encore,  dans  toutes  les  autres  névroses  à  peu  près  sans  exception  ;  ainsi  dans 
l'hystérie,  dans  le  mal  comitial,  dans  la  paralysie  agitante,  dans  la  maladie 
de  Basedowe  danslesvésanies,  etc.,  etc.  Cela  saute  aux  yeux  lorsque,  cessant 
de  concentrer  toute  son  attention  sur  un  champ  limité,  le  clinicien  prend 


—  llo  — 

«  du  recul  »  à  rimitaiion  du  peintre  qui  veut  envisager  le  tableau  non  plus 
dans  les  détails  mais  dans  rensemblc.  C'est  en  somme  par  un  procédé  d'obser- 
vation analogue  qu'on  a  pu  se  convaincre,  que  la  diatbèse  artbriti(pje,  dont  le 
rhumatisme  articulaire  est  un  des  représentants  les  plus  communs,  les  plus 
vulgaires  et  la  diath«'.'se  nerveuse  s'associent  volontiers  l'une  avec  l'autre  ]»our 
cn'or,  en  clinique,  les  combinaisons  les  plus  variées,  sans  qu'on  jiuisse  dire 
qu'il  y  ait  jamais  entre  elles  cependant  une  véritable  promiscuité.  La  coexis- 
tence très  fréquente,  mais  nullement  nécessaire,  tant  s'en  faut,  de  la  chorée 
et  du  rhumatisme  est  un  exemple  très  frappant  de  cette  association  des  deux 
diathèscs;  mais,  je  le  répète,  ce  n'est  pas  un  exemple  unique  dans  son  genre 
et  il  n'est  pas  à  proprement  parler  un  seul  des  membres  de  la  grande  famille 
neuropathologique  où  cette  association-là  ne  puisse  être  signalée. 

Quoi  qu'il  en  soit,  à  mon  avis,  ce  n'est  pas  à  titre  de  chorée  associée  au 
rhumatisme  articulaire  que  l'affection,  chez  notre  infortuné  malade,  s'accom- 
pagne de  symptômes  graves  ;  car  l'on  sait  que  le  pronostic  dans  la  chorée  des 
rhumatisants,,  en  dehors  des  complications  viscérales,  n'est  pas  plus  fâcheux 
que  dans  celle  qui  se  développe  sans  ce  concours  du  rhumatisme.  C'est  donc 
ailleurs,  je  pense,  qu'il  faut  chercher  la  raison  des  accidents  graves  observés 
dans  notre  cas;  déjà,  tout  à  l'heure,  nous  avions  été  conduits  à  incriminer 
l'élément  névropathique.  Il  me  semble  que  cette  accusation,  appuyée  déjà 
sur  la  connaissance  des  antécédents  personnels  du  sujet,  va  se  trouver  mieux 
justifiée  encore,  par  l'étude  que  nous  allons  faire  des  antécédents  héréditaires. 

TABLEAU  SYNOPTIQUE  DES  ANTÉCÉDENTS  DE  FAMILLE  DE  A...  EL 

COTÉ  PATERNEL  COTÉ  MATERNEL 


Grand-père  Grand'mère  Grand-père 

Il  s^est  PENDU  cinq       S'est  suicidé  en  se  0 

ans  après   le   suicide  jetant  par  la  fenêtre, 
de  sa  femme. 


Le  père  du  malade 

Suicide 

S'est  noyé  volontairement  dans  le  canal  St- 
Martin.  —  C'était  un  exalté.  Il  commettait  de 
nombreux  excès  alcoolique,  d'absinthe  sur- 
tout. Il  avait  été  atteint  de  chorée  à  l'âge  de 
9  ans. 


Grand'mère 

Attaques  de  nerfs  à 
l'âge  de  43  ans. 


La  mère  du  malade 

Hémopbjsies  nerveuses  (?)  supplémentaire 
des  époques,  il  y  a  douze  ans. 


l**"  enfant  né  à  7  mois. 


2  autres  enfants  morts 
en  bas  âge. 


Le  4e  enfant.  A.. .  el 
Gabriel,  notre  malade, 
né  le  13  avril  1871 
(après  le  siège  ,  ner- 
veux e.xalté,  CHORÉE 
grave. 


—  Ji6  — 

Entrons  dans  quelques  détails  nécessaires  pour  bien  faire  ressortir  tout  ce 
qu'il  y  a  d'intéressant  pour  nous,  dans  l'évolution  de  cet  arbre  généalogique. 
Le  père  du  malade  exerçait  la  profession  de  peintre  sur  porcelaine  ;  or,  L? 
peintre  sur  porcelaine  à  Paris  tient  à  la  fois,  généralement,  de  l'ouvrier  et  de 
l'artiste.  Education  souvent  incomplète  :  assez  d'éducation  et  d'instruc- 
tion pour  se  faire  illusion  et  croire  qu'on  peut  juger  de  tout  en 
dernier  ressort;  pas  assez  cependant  pour  bien  juger;  d'ailleurs  lui  était  un 
exalté;  il  a  été  plusieurs  fois  compromis  dans  les  affaires  de  l'Internationale, 
puis  dans  celle  de  la  Commune  et  il  a  dû  ,en  1871,  fuir  en  Angleterre  où  il  est 
resté  jusqu'en  1878.  Assez  sobre  jusqu'en  1871,  il  s'est  mis,  à  partir  de  cette 
époque,  àboire  à  l'excès  ;  il  buvait  d'habitude  jusqu'à  sept  ou  huit  verres  d'ab- 
sinthe par  jour. 

En  1886,  après  avoir  perdu,  par  son  inconduite,  une  place  qu'il  avait  au 
Mont- de-Piété  et  qui  le  faisait  vivre,  il  est  allé  se  jeter  dans  le  canal  Saint- 
Martin  où  il  s'est  noyé. 

On  nous  apprend  qu'à  l'âge  de  neuf  ans  il  avait  été  atteint  d'une  chorée  qui 
aurait  duré  pendant  près  de  dix-huit  mois  ;  c'est  vraisemblablement  d'une 
chorée  à  rechutes  subintrantes  et  non  pas  d'une  chorée  chronique  qu'il  a  dû 
s'agir  à  cet  âge.  Quoiqu'il  en  soit,  l'afTection  serait  survenue  chez  lui  à  la  suite 
de  l'émotion  vive  qu'il  aurait  éprouvée  en  trouvant  son  père  pendudanslacave  de 
la  maison.  Déjà,  quelques  années  auparavant,  sa  mère  s'était  également  sui- 
cidée en  se  jetant  par  une  fenêtre. 

Voilà  pour  ce  qui  concerne  le  côté  paternel  ;  vous  voyez  que  de  ce  cùté-là 
l'hérédité  est  fort  chargée  :  trois  suicides!  Gela  est  très  signiticatif.  Le  côté 
maternel  n'est  pas  non  plus  indemne  de  tares  nerveuses.  La  grand'mère  du 
malade  a  en  effet  souffert  d'attaques  de  nerfs  et  sa  mère  a  été  affectée  d"hémop- 
tisie,  qu'on  a  été  conduit  à  considérer  comme  étant  d'origine  névropathique. 
Il  n'est  pas  inutile  de  relever  que  notre  sujet  est  comme  on  dit  :  «un  Enfant 
du  Siège  »  et  qu'il  est  le  dernier  de  quatre  enfants  dont  les  trois  premiers 
sont  morts  en  bas  âge. 

Avec  une  telle  hérédité,  on  comprend  aisément  qu'A...el  ait  toujours  été 
un  sujet  nerveux, singulier,  bizarre,  irritable  et  qu'à  la  suite  de  l'émotion  vio- 
lente qu'il  a  éprouvée  lorsqu'il  a  été  attaqué  une  nuit  par  des  voleurs,  il  soit 
devenu  plus  déséquilibré  encore,  presque  vésanique.  On  comprend  ainsi  d'un 
autre  côté  que,  développée  sur  un  tel  terrain,  la  chorée  ait  pu  prendre^ 
presque  dès  l'origine,  les  allures  d'une  affection  grave,  et  s'accompagner  d'acci- 
dents de  fâcheuse  apparence  qui  nous  font  redouter  pour  bientôt  une  termi- 
naison fatale. 


*i 


-   117 


2^  Malade. 


Le  second  sujet  dont  je  veux  vous  parler  maintenant  est  une  jeune  opilep- 
tique  âgée  de  15  ans  qui  est  entrée  dans  le  service  depuis  quelques  se- 
maines seulement.  Nous  en  Scivons  assez  sur  son  compte  p(jur  puuvoii"  v(jus 
dire  que  ce  qui  doit  nous  intéresser  dans  son  cas  est  ce  qui  suit:  i"  Il  y  a  ii 
observer  chez  elle  un  phénomène  qui  n'est  pas  très  vulgaire,  et  que  je  dési- 
gnerai avec  M.  Reynolds  sous  le  nom  de  «  secousses  iuterpai'oxt/sjnales  »  de 
l'épilepsie  {interparoxysmal  slarts).  2''  Elle  présente  en  outre,  après  les  accès, 
un  rétrécissement  concentrique  temporaire,  ou  passager,  comme  vous  voudrez 
dire,  du  champ  visuel. 

Voici  d'abord  quelques  détails  concernant  les  antécédents  tant  personnels 
qu'héréditaires  de  notre  malade  ;  relativement  au  second  puint  nous  n'avons 
pu  recueillir  rien  de  bien  précis. 

L'enfant  est  orpheline  ;  elle  a  perdu  son  père  et  sa  mère  alors  qu'elle  était 
encore  très  petite.  Cependant  sa  grand'mère,  qui  l'a  élevée,  affirme  que  tous 
les  membres  de  la  famille  «  étaient  excessivement  nerveux,  aussi  nerveux  que 
possible  »  ;  on  n'a  jamais  pu  en  savoir  plus  long. 

Pour  ce  qui  est  de  l'enfant  elle-même,  elle  n'avait  jamais,  paraît-il,  été  ma- 
lade lorsque,  à  7  ans,  elle  fut  un  soir  épouvantée  par  un  gros  chien  qui  se 
jeta  sur  elle  en  grondant  sans  toutefois  lui  faire  le  moindre  mal.  C'est  peu  de 
temps  après  cet  événement  que  serait  survenue  la  première  crise  comitiale  et 
par  la  suite  les  accès  ont  eu  une  tendance  marquée  à  se  répéter  environ  tous 
les  huit  jours.  C'est  bien  du  mal  comitial  qu'il  s'agit  dans  ce  cas.  En  elTet  sou- 
vent il  y  a  pendant  l'accès,  morsure  de  la  langue  et  urines  inyolontain's, 
faits  vraiment  exceptionnels  dans  l'hystérie,  même  dans  l'hystérie  épilepti- 
forme  (hystéro-épilepsie).  Les  accès  sont  le  plus  souvent  nocturnes,  ils  sont 
marqués  par  une  perte  deconnaissance  absolue  et  immédiate  et  le  stertor  de 
la  fin  est  assez  prononcé. 

En  1887,  la  petite,  ayant  été  placée  à  l'hôpital  des  Enfants  malades,  a  été 
traitée  par  le  bromure;  sous  l'influence  de  cette  médication,  les  crises  qui  au- 
paravant, comme  j.e  Fai  dit  il  y  a  un  instant,  se  montraient  tous  les  huit  jours, 
n'ont  plus  paru  qu'une  fois  par  mois,  pendant  toute  la  durée  du  traitement. 

Cette  influence  marquée  de  l'action  du  ])romure  fournit  un  caractère  que, 
pour  le  diagnostic,  on  pourrait  utiliser,  dans  certains  cas  difficiles,  je   crois 


—  118  - 

en  effet  pouvoir  affirmer  Topinion  que  jamais  la  fréquence  des  crises  n'est 
sérieusement  modifiée  par  l'emploi  du  bromure,  même  aux  doses  les  plus 
élevées,  quand  il  s'agit  de  l'hystérie,  tandis  que,  au  contraire,  dansl'épilepsie, 
l'influence  modératrice  du  médicament  se  fait  toujours  reconnaître  au  moins 
à  un  certain  degré  —  Du  reste  l'enfant,  examinée  avec  soin,  ne  présente 
aucune  trace  d'ovarie,  d'analgésie  ou  d'anesthésie  soit  sensitive,  soit  senso- 
rielle, à  Fexception  de  ce  qui  concerne  la  vision,  mais  c'est  là  un  point  sur 
lequel  on  reviendra  tout  à  l'heure,  d'une  façon  particulière. 

Je  vous  disais  que  l'accès  n'était,  chez  notre  jeune  malade,  précédé  par 
aucune  sensation  d'aura  et  cela  est  vrai  ;  mais  elle  ressent  cependant,  dans  la 
règle,  des  avertissements,  des  prodromes,  annonçant  presque  à  coup  sûr  que 
la  crise  est  plus  ou  moins  imminente,  qu'elle  éclatera  dans  uu  bref  délai;  et 
justement  ce  qui  constitue  les  «  avertissemcuts  »  dont  il  s'agit,  ce  sont  les 
«  secousses  »  sur  lesquelles  je  vais  actuellement  vous  dire  un  mot. 

Voici  en  quoi  elles  consistent,  chez  notre  malade.  Ce  sont  de  brusques 
mouvements  cloniques  qui_,  le  sujet  étant  assis,  les  mains  reposant  sur  le 
genou,  élèvent  tout  à  coup  les  membres  supérieurs  à  10  ou  12  centimètres  au- 
dessus  du  plan  de  repos,  puis  ces  membres  retombent  inertes  presque  aussitôt, 
pour  être  de  nouveau  soulevés  par  une  ou  plusieurs  secousses.  Lorsqu'elle 
est  debout,  ces  secousses,  qui  rappellent  les  mouvements  analogues  produits 
sous  l'influence  d'une  émotion  brusque,  d'une  surprise  déterminée  je  suppose 
par  une  détonation  inattendue,  ces  secousses,  dis-je,  sont  assez  intenses  pour 
faire  «  qu'elle  laisse  tomber  ce  qu'elle  tient  dans  les  mains  ».  Les  secousses 
surviennent  pour  ainsi  dire  par  accès  très  souvent  répétés  pendant  la  durée 
des  trois  ou  quatre  jours  qui  précèdent  l'accès  comitial;  d'abord  discrètes  le 
premier  jour,  elles  se  rapprochent  de  façon  à  devenir  enfin  presque  inces- 
santes, et  c'est  alors  que  l'accès  éclate.  Il  est  remarquable  que  ces  secousses 
sont  toujours  antérieures  à  l'accès,  jamais  postérieures;  il  est  remarquable 
aussi  qu'elles  se  sont  manifestées  dès  les  premières  attaques  et  que  jamais 
celles-ci  ne  paraissent  sans  en  avoir  été  précédées.  Elles  ne  sont  marquées 
par  aucune  sensation  pénible  :  elles  ne  s'accompagnent  pas  de  crampes,  en 
particulier.^ Elles  ne  se  montrent  habituellement  pas  la  nuit. 

Messieurs,  parmi  les  auteurs  qui  ont  écrit  sur  l'épilepsie,  il  en  est  peu  qui 
n'aient  pas  mentionné  les  «  secousses  »  dont  il  s'agit  et  que  quelques-uns 
d'entre  eux  désignent  sous  les  noms  de  «  commotions  prémonitoires  (Herpin) 
«  d'épilcpsie  parcellaire  »  (Burlureaux,  Dict.  df  DeclifunOrc,  etc).  Mais  c'est 
surtout  au  D*"  Reynolds,  de  Londres,  qu'on  doit  une  étude  régulière  du  sujet. 
(Epilepsy,  London  1881,  p.  63,  clonic.,  spasm.,  star).  Ces  secousses,  qui  doi- 
vent ètie  distinguées  des  crampes  et  du  tremblement  qui  quelquefois  se  pro- 
duisent dans  les  mêmes  circonstances,  occupent  les  membres  supérieurs,  ou 
les  membres  inférieurs  ou  parfois  les  deux  en  même  temps  ;  on  les  voit  en 
outre  se  produire  aussi  chez  quelques  individus  dans  les  muscles   extenseurs 


—  119  — 

du  tronc,  plus  rarement  dans  ceux  de  la  face  et  du  cou.  Dans  certains  cas,  à 
peine  visibles  à  Tœil  tant  elles  sont  légères,  elles  sont  d'autrefois  tellement 
puissantes  (pio  le;  malade  peut,  ôtic  renversé  à  ton*!  avec  un  cri  produit  par 
■nn  action  l)rus([uc  des  muscles  respirateurs.  Cela  arrivait  cIk.'Z  un  jeune 
homme  de  20  ans  observé  par  M.  Reynolds  et  j'ai  vu  la  même  chose  surve- 
nir fréquemment  chez  une  malade  de  mon  service  à  la  Salpêtrière. 

Qnobpie  intenses  qu'elles  soient  d'ailleurs,  les  secousses  ne  sont  à  peu  près 
jamais  accompagnées  de  perte  de  connaissance,  ce  qui  les  distinj^ue  de  la 
plupart  des  formes  diverses  du  petit  mal. 

Je  suis  étonné  que  M.  Reynolds  considère  les  secousses  dans  l'épilepsie 
comme  chose  vulgaire  ;  cela  ne  répond  pas  à  ce  que  j'observe  dans  mon  ser- 
vice spécial,  surtout  composé  de  femmes  (1)  ;  la  vérité  est  qu'elles  y  sont 
plutôt  rares. 

Un  des  principaux  points  qui  donnent  de  l'intérêt  à  la  connaissance  de  ce 
phénomène,  c'est  qu'on  l'observe  non  seulement,  une  fois  l'épilepsie  d(''clarée, 
comme  prodrome  immédiat  de  Taccès,  mais  encore  souvent  pendant  plusieurs 
mois  avant  que  celle-ci  n'ait  paru,  autrement  dit,  dans  la  période  précomi- 
tiale.  Les  secousses  peuvent  permettre  alors,  on  le  comprend,  de  prévoir  à 
longue  échéance  la  venue  du  mal  et  aussi  de  prendre  des  mesures  en  consé- 
quence. 

L'autre  fait  à  considérer  chez  notre  jeune  épileptique,  c'est,  ainsi  que  je 
vous  l'ai  dit,  l'existence  plusieurs  fois  constatée  chez  elle,  d'un  rétrécisse- 
ment concentrique  et  temporaire  du  champ  visuel  survenant  après  chaque 
accès.  On  a  fait  remar(|uer  dans  ces  derniers  temps  qu'à  la  suite  des  attaques 
d'épilepsie  proprement  dite,  il  n'est  pas  très  rare  devoir  le  champ  visuel  subir 
un  rétrécissement  concentrique  et  régulier  comparable  au  rétrécissement 
des  hystériques.  La  seule  différence  apparente  est  que  chez  les  hystériques  le 
rétrécissement  est  permanent,  tandis  que  dans  l'épilepsie,  il  est  essentielle- 
ment temporaire.  On  doit  à  MM.  Oppenheim  et  Thomsen  d'avoir  appelé 
l'attention  sur  cet  ordre  de  faits. 

Un  élève  du  professeur  Mierzeewski,  de  Saint-Pétersbourg, le  D""  Finkelstein, 
a  repris  le  sujet  et  il  a  insisté  sur  ce  point  que,  dans  l'épilepsie,  le  rétrécisse- 
ment du  champ  visuel  est  toujours  transitoire,  jamais  permanent. 

Dans  la  grande  majorité  des  cas,  le  rétrécissement,  dans  l'épilepsie, suit  les 
attaques,  mais  il  peut  arriver,  comme  Ta  montré*  M.  Heinemann  (Virchow, 
Archiv.  Bd  102.  H  3.  1886)  par  une  observation,  que,  par  exception,  le 
rétrécissement  en  question  précède  l'accès,  à  titre  d'aura  et  cesse  après  lui. 

Chez  notre  jeune  malade,  les  choses  rentrent  dans  le  cadre  vulgaire  et  c'est 
à  la  suite  de  l'accès  que  le  rétrécissement  se  montre  le  plus  prononcé. 


1.  Le  service   de  la  Clinique,  à  la  Salpêtiière   comprend  environ  IGO  épileptiques  femmes, 
non  aliénées,  considérées  comme  incurables. 

18 


—  120  — 


Les  jours  suivants,  le  cercle  s'élargit  progressivement;  mais  le  retour  à 
l'état  normal  se  fait  attendre  plus  de  quatre  ou  cinq  jours,  ainsi  que  vous  pou- 

D  a 


Nas   <j 


ion  luo' 


,Ext 


Fig'.  25.  —Champ  visueljde  D...,  vue  deux  jours  après  l'accès, 

D  G 


Fig.  26.  —  Champ  visuel  de  D....  vue  9  jours  après  l'aecès. 
Retour  presque  complet  à  l'état  normal. 

vez  le  reconnaître  sur  les  schémas  que  je  vous  présente  (fig.  25  et  20). Si  bien  que 
lorsque  les  attaques  se  reproduisent  i\   de  courtes   distances,  tous  les  six  ou 


121   — 

huit  jours  par  exemple,  on  pourrait  dire  que  chez  la  malade  le  létrécissement 
est  un  phénomène  en  quehjue  sorte  permanent.  Dans  le  but  de  bien  établir 
que  dans  le  cas  de  notre  malade,  où  il  s'af^it  d'é[)ilepsie  et  non  d'hystérie,  le 
rétrécissement  du  champ  visuel  n'est  pas  un  phénomène  permanent,  il  ne 
sera  pas  sans  intérêt  de  cliercher  à  éloigner  les  accès  les  uns  des  autres;  nous 
pourrons  y  parvenir  je  pense  par  l'emploi  du  bromure  de  potassium  donné  à 
dose  suffisante,  3,  4,  5,  grammes  en  24  heures,  administré  d  'une  façon  con- 
tinue. L'écart  des  accès  qui  s'en  suivra  à  coup  sûr  nous  permettra,  je  pense, 
de  constater,  plus  aisément  que  nous  ne  l'avons  pu  faire  jusqu'ici,  le  retour  à 
l'état  normal  des  limites  du  champ  visuel.  Nous  reviendrons  quelque  jour  sur 
ce  cas  pour  vous  faire  part  de  ce  qui  sera  advenu  après  l'expérience  que  nous 
allons  mettre  en  œuvre. 


3'    Malade. 


Le  dernier  malade  que  je  vous  présenterai  aujourd'hui  est  un  nouvel  exem- 
ple de  ces  cas  aujourd'hui  devenus  presque  vulgaires  sur  lesquels  M.  Debove 
a,  le  premier  je  crois,  appelé  l'attention  et  dans  lesquels  on  voit  l'hystérie  sur- 
venir chez  l'homme  à  la  suite  de  l'intoxication  saturnine  (Ij.jll  vous  sera  facile 
de  reconnaître  par  la  description  du  malade  que  chez  lui  l'hystérie  provoquée 
par  le  saturnisme  ne  diffère  en  rien  d'essentiel  de  ce  qu'elle  serait  si  son 
apparition  avait  été  déterminée  par  tout  autre  cause  telle  que  l'alcoolisme 
par  exemple,  ou  l'action  du  sulfure  de  carbone  ainsi  que  je  le  relevais  l'autre 
jour,  etc.,  etc.,  ou  encore,  soit  une  émotion  morale,  soit  un  traumatisme. 
L'hystérie  est  une,  je  le  répète  une  fois  de  plus,  et  quelle  que  soit  la  cause 
occasionnelle  qui  la  fait  paraître,  elle  reste  toujours  la  même  foncièrement, 
partout  où  elle  se  présente,  sans  subir  dans  sa  constitution  nosographique  de 
modifications  radicales. 

Voici  le  cas  :  il  s'agit,  comme  vous  le  voyez,  d'un  homme  de  28  ans  assez 

I.Voii-  la  leçon  sur  Yhc'mianesthésie  hystérique  et  les  hémianesthésies  toxiques.  In  Bulletin 
médical,  25  mai  1887 


—  122  — 

vigoureux  ;  nous  ne  rencontrons  pas  chez  lui  d'antécédents  héréditaires  qui 
méritent  d'être  gnalés.  Il  faut  dire  que  la  ligne  maternelle  lui  est  fort  mal 
connue  et  pour  ce  qui  est  des  antécédents  personnels,  ils  n'offrent  également 


I 


Fig.  27.  —  A.  Points  livalerogèacs. 
B.  Analhésie  cutanée. 
G.  Analgésie. 


rien  d'intéressant  pour  nous.  Après  avoir  servi  pendant  vingt-huit  mois  dans 
l'armée,  il  a  été  réformée  pour  myopie  avec  choroïdile  chronique  ;  après  cela 
il  a  travaillé  comme  homme  d'équipe  au  chemin  do  fer  de  l'Est  pendant  sept 
mois  ;  plus  tard  il  a  fait  le  métier  de  ploml)icr  pendant  plus  de  deux  ans,  après 


I 


—  123  — 

quoi  il  est  entré  à  Tours  dans  une  fabrique  de  minium  où  il  a  été  employé  au 
«  blutage  ».  C'est  là  que,  pour  la  première  fois,  il  a  souflert  à  plusieurs 
reprises  de  coliques  de  plomb. 

Quelques  jours  après  la  cessation  de  sa  dernière  colique  pour  laquelle  il  a 
été  soigné  à  rhûpital  de  Tours,  c'est-à-dire  en  septembre  1888,  il  a  commencé 
à  s'apercevoir  un  matin  au  réveil  que  sa  main  gauche  était  le  siège  de  four- 
millements et  que  le  membre  supérieur  de  ce  côté  tout  entier  était  devenu 
faible,  pesant  et  lourd  ;  en  même  temps,  à  plusieurs  reprises,  il  avait  ressenti 
une  tendance  à  défaillir  qui  l'avait,  dans  la  rue,  obligé  à  s'appuyer  contre  le 
mur  et  qui  avait  été  précédée  toujours  par  une  sensation  de  constriction  à  la 
gorge,  des  sifflements  d'oreilles,  des  battements  dans  les  tempes,  etc.  Tels  ont 
été  les  premiers  symptômes  relatifs  à  la  maladie  nerveuse  que  nous  avons  à 
considérer  actuellement.  Celle-ci  n'a  fait  depuis  que  s'accentuer  de  plus  en 
plus  et  c'est  en  raison  de  l'impossibilité  où  elle  le  met  de  travailler  pour 
vivre  qu'il  est  venu  nous  consulter  le  19  octobre  1888. 

Voici  en  quelques  mots  l'état  actuel  du  malade  :  teinte  jaunâtre  et  pâle  des 
téguments  ;  liséré  saturnin  très  net. 

Les  troubles  permanents  de  la  sensibilité  sont  disposés  comme  vous  pou- 
vez le  reconnaître  sur  le  schéma  que  je  vous  présente  :  Anesthésie  cutanée 
absolue  sur  le  membre  supérieur  gauche,  se  terminant  en  <k  gigot  »  du  côté  du 
tronc  ;  sur  la  main,  il  y  a  seulement  analgésie;  analgésie  de  toute  la  moitié 
gauche  du  tronc  et  de  la  face.  En  avant,  l'analgésie  du  tronc  s'arrête  au-des- 
sous de  l'hypocondre  gauche,  tandis  qu'en  arrière  elle  comprend  la  fesse.  Le 
membre  inférieur  gauche  est  indemne  de  troubles  de  la  sensibilité,  tandis 
qu'à  droite^  au  contraire,  ceux-ci  occupent  la  cuisse  et  les  deux  tiers  supé- 
rieurs de  la  jambe  gauche  ;  disposition  croisée  du  reste  fort  singulière  et  cer- 
tainement peu  commune. 

Plusieurs  points  ou  plaques  hystérogènes:  l'une  d'elles,  la  principale, 
occupe  l'aine  et  une  partie  du  flanc  gauche  ;  quand  on  presse  sur  ce  point,  on 
détermine  les  phénomènes  de  l'aura,  qui  d'autres  fois  se  produisent  sponta- 
nément, ainsi  que  nous  l'avons  indiqué  déjà. 

Un  autre  point  hypéresthésique  possédant  à  peu  près  les  mêmes  propriétés 
que  le  précédent  siège  sur  le  testicule  gauche  ;  un  troisième  occupe  la  limite 
inférieure  du  tiers  supérieur  du  mollet  droit  ;  un  quatrième  enfin  se  trouve  sur 
la  partie  médiane  de  l'épine,  un  peu  au-dessus  de  la  région  lombaire. 

Double  rétrécissement  concentrique  du  champ  visuel  plus  prononcé  à 
gauche  qu'à  droite  (fig  28  )  ;  diplopie  monoculaire,  pas  de  dyschromatopsie. 
L'odorat  et  l'ouïe  ne  paraissent  pas  sensiblement  modifiés.  Le  goût  au  con- 
traire est  à  peu  près  aboli  des  deux  côtés. 

Revenons  actuellement  sur  ce  qui  est  relatif  au  membre  supérieur  gauche  : 
de  ce  côté;,  il  n'y  a  pas,  à  proprement  parler  paralysie  mais  seulement 
parésie. 


—  124  — 

Le  dynamomètre  pressé  par  la  main  gauche  donne  25,  tandis  que  pour  la 
main  droite  il  donne  80.  —  Aucune  participation  à  la  parésie,  soit  du  membre 
inférieur,  soit  de  la  face.  Remarquez  que  sur  le  membre  parésié,  les  troubles 
de  la  sensibilité,  déjà  très  prononcés  en  ce  qui  concerne  la  peau,  sont  pour 
le  moins  tout  aussi  accentués  en  ce  qui  concerne  la  sensibilité  profonde;  ainsi 
partout  excepté  à  la  main  où  le  malade  conserve  quelques  notions  des  mouve- 
ments imprimés  aux  doigts  ou   au  poignet,  le  sens  musculaire  est  complè- 


D 


G 


ExI   à\ 


^0   Nas   90 


30  Exl 


Fig.  28. 


temcnt  aboli  et  l'on  peut  tordre,  distendre  les  articulations  du  coude  et  de 
l'épaule  avec  violence  sans  produire  la  moindre  sensation.  Il  y  a  là  un  con- 
traste entre  les  troubles  de  la  sensibilité  et  ceux  des  mouvements,  fort  remar- 
quable assurément,  et  qui  paraît  appartenir  aux  seules  paralysies  hystériques; 
non  pas  qu'on  le  rencontre,  bien  entendu,  dans  tous  les  cas  de  ce  genre,  mais 
parcequ'on  ne  le  trouve  jamais,  que  je  sache,  en  dehors  de  ces  cas-là. 

En  voilà  assez  pour  bien  établir  chez  notre  malade,  l'existence  de  Thystérie 
classique. 

Rien  n'y  manque,  anesthésies  sensitives  et  scnsoreilles^  points  hystéro- 
gènes,  etc..  constituant  des  stigmates  permanents,  monoplégied'un  caractère 
spécial  ;  et,  pour  ce  qui  est  de  l'atta(pu\  si  elle  ne  s'accuse  pas  sous  une  forme 
très  ac(:entuéc,  elle  est  représentée  cci)endant  par  Vaio'o,  dune  façon  très 
caractéristique. 

Un  mot,  en  terminant,  sur  les  modifications  qui  se  sont  produites  dans  le 
carnctère  chez  notre  homme,  depuis  qu'il  est  devenu   hystérique.    Autrefois 


gai,  plein  d'entrain,  il  est  devenu  maintenant  triste,  apathique  sans  courage. 
Il  recherche  la  solitude,  fuit  la  société  des  camarades.  Il  s'émotionne  facile- 
ment et  pleure  parfois  sans  motif.  Les  nuits  sont  tourmentées  par  des  rêves 
terriliants  (pii  le  réveillent  en  sursaut:  11  se  croit  sur  un  toit  ou  sur  un 
chemin  bordé  d'un  précipice,  et  à  chaciue  instant  il  se  sent  menacé  de  tomber 
du  côté  du  gauche.  Il  croit  qu'à  la  suite  de  sa  chute  imaginaire  il  perd  un 
instant  connaissance.  En  tous  cas,  il  se  réveille  avec  des  sifflements  dans  les 
oreilleSjdes  battements  dans  les  tempes,  le  serrement  bien  connu  de  lui,  de 
la  gorge.  De  cela  suit  que  l'on  est  porté  a  supposer  que  les  cauchemars 
en  question  sont  liés  jusqu'à  un  certain  point  au  développement  de  Yaïu^a 
provoquée  elle-même,  peut-être  au  moins  en  certains  cas,  par  la  pression  des 
zones  hystérogènes  déterminée  inconsciemment  par  le  malade  durant  son 
sommeil. 

Peu  importe  du  reste,  pour  le  moment,  que,  pour  ce  qui  concerne  le  dernier 
point, il  en  soit  ainsi  ou  autrement.  J'ai  voulu  surtout  relever  les  modifications 
psychiques  très  accentuées,  observées  chez  notre  malade,  afin  de  montrer  une 
fois  de  plus  que  ces  modifications-là  n'appartiennent  pas,  ainsi  que  quelques 
auteurs  l'ont  prétendu,  aux  seules  hystéries  déterminées  par  un  traumatisme. 


IMP.  NOIZETTE,   8,  KUK   CAMPAGNE-PREMIKRE,   PARIS. 


Policlinique  du  Mardi  4  Décembre  1888 


SEPTIEME  LEÇON 

1°  Relation  de  Tautopsie  du  sujet  atteint  de  chorée  présenté 

dans  la  dernière  leçon. 
2''  Cas  de  chorée  vulgaire  chez  une  jeune  fille  âgée  de  12  ans. 

Hérédité  nerveuse  et  antécédents  personnels  névropalhiques 

très  chargés. 
3°  Cas   d'hystéro-neurasthénie    survenue   à  la    suite  d'une 

collision  de  trains  chez  un  employé  de  chemin  de  fer  âgé  de 

56  ans. 
4*"  Deux  cas  de  paralysie  infantile  spinale   présentant  qut^l- 

ques  anomalies. 


M.  CiiARCOT  :  Coiiformument  aux  sombres  prévisions  dont  je  vous  faisais 
part  mardi  dernier,  notre  pauvre  malade  atteint  de  chorée  aiguë  a  succombé 
dans  la  nuit  du  27  au  28  novembre^,  c'est-à-dire  dans  la  nuit  même  du  jour  où 
il  avait  été  présenté  à  la  leçon.  —  Voici  comment  les  choses  se  sont  passées. 

La  nuit  du  2G  au  27  avait  été  relativenu'ut  calme  ;  mais  la  stupeur,  ainsi 
que  je  vous  l'ai  fait  remarquer  au  moment  de  la  leçon, était  portée  à  un  haut 
degré  ;  la  langue  était  sèche  :  les  mouvements  choréiques,  atténués  d'une 
façon  remarquable,  n'étaient  plus  représentés  que  par  des  espèces  de  soubre- 
sauts des  tendons.  N'oubliez  pas  cette  teinte  bleuâtre  des  téguments  et  cet 
amaigrissement  énorme  sur  lequel  j'appelai  votre  attention. 

Dans  la  journée  du  27,  l'état  persiste  tel  quel,  sans  modification  très  marquée. 
Le  soir,  môme  prostration,  même  stupeur;  langue  toujours  sèche,  déglutition 
difficile.  Le  pouls  qui,  ce  niatin,  éiait  à  120-130,  ne  donm^  plu>  maintenant 
(pie  80,  mais  la  température  (jui  était  à  38,  s'est  élevée  ;i  38,8.  La  mort  a  eu 
lieu  à  5  heures  du  matin. 

19 


—  1218  —  ■ 

Je  crois  intéressant  de  vous  faire  connaître  les  résultats  de  Tautopsie  qui 
a  été  pratiquée  vingt-huit  heures  après  la  mort.  Je  me  bornerai  à  extraire  du 
protocole,  les  détails  qui  nous  intéressent  particulièrement. 

Cadavre  très  amaigri.  Pas  d'eschares  au  sacrum.  Rigidité  cadavérique  très 
prononcée  ;  elle  l'était  déjà  sept  heures  après  la  mort. 

Cm«e  ;  pas  de  pachyméningite  ;  l'arachnoïde  et  la  pie-mère  ne  sont  ni  épais- 
sies ni  opalescentes  ;  la  seule  altération  à  signaler  ici  est  l'adhérence  en  plu- 
sieurs points  de  la  pie-mère  à  Técorce  cérébrale  des  hémisphères,  si  bien  que 
sur  certains  endroits  on  ne  peut  détacher  cette  membrane  sans  entraîner  un 
peu  de  la  couche  la  plus  superficielle  de  la  substance  corticale.  C'est  là  la 


Fi^,'.  29. 


seule  altération  qu'il  ait  été  permis  de  constater,  à  part  un  certain  degré  de 
congestion  de  l'écorce  des  hémisphères.  Rien  à  noter  du  cùté  dos  ventricules, 
non  plus  que  sur  les  coupes  nombreuses  pratitiuécs  dans  les  i)aitios  centrjdes 
du  cerveau.  Rien  du  coté  du  cervelet  ni  du  bulltc  :1a  moelk' épiniùre,  à  l'œil 
nu  ne  [)résente  aucune  trace  d'altération. 

Muscles  des  membres  :  Ils  sont  durs  et  présentent  une  teinte  noirâtre. 


—  j2y  — 

Cœw  : kucune  trace  de  péricardite.  Le  cœur  est  un  peu  auguienté  de  volume, 
principalement  le  ventricule  fçauche.  Celui-ci  pèse  270  grammes. 

Ses  cavités  cimticniicnt,  snrt(Mit  à  druil»'  des  (-aillols  [i()iiàtn;s,  évidemment 
formés  pendant  l'agonie. 

La  valvule  mitrale  saim;  sur  sa  face  venti'iculairc,  [jiM-scnte  tout  h-  long  de 
sonbordlibre.sur  la  face  auriculjiire,  une  couronne  non  inL(Mrom[)U<;  de  i)eti- 
tes  végétations  verru([ueuses,  très  nombreuses,  déjà  anciennes  très  certaine- 
ment, dures,  tapissantle  bord  libre  de  la  valvulesur  une  hauteurde  iii'A  milli- 
mètres.Pas  de  dépôts  fibrineux  sur  ces  végétations;  aucune  d'elles  n'est  ulcé- 
rée, déchirée,  et  l'on  est  conduit  à  la  suite  d'un  examen  attentif  à  affirmer 
qu'aucune  parcelle  ne  s'en  est  détachée  pour  former  une  embolie. 

La  valvule  mitrale  reste  souple  d'ailleurs,  dans  toutes  ses  parties  et  le  rétré- 
cissement pendant  la  vie  était  certainement  fort  peu  prononcé.  Aucune  alté-ra- 
tion  à  signaler  sur  les  autres  valvules  et  orifices. 

Poumons  et  plèvres  sains. 

Foie  de  forme,  de  couleur  et  de  volume  normaux.  Il  pèse  1.400  grammes. 

Rate  normale  110  grammes  ; 

Reins  :  pas  d'altération. 

Ainsi,  en  résumé,  à  part  les  quelques  adhérences  de  la  pie-mère  à  l'écorce 
cérébrale  signalées  sur  certains  points  des  hémisphères  cérébraux,  sans  loca- 
lisation déterminée,  les  résultats  de  l'autopsie  sont  purement  négatifs  et 
viennent  à  l'appui  de  l'opinion  émise  par  nous  mardi  dernier  à  propos  de  la 
nature  des  accidents  devant  entraîner, suivant  nous, l'issue  fatale.  Bien  évidem- 
ment, ces  accidents-là  ne  relevaient  pas  d'une  lésion  organique  appréciable 
par  nos  moyens  d'investigation,  et,  à  cet  égard,  le  rapprochement  que  nous 
avons  proposé  d'établir  entre  l'état  de  mal  épileptique  et  l'état  de  mal  choréi- 
que  se  trouve  justifié. 


—  130  — 


l^f  Malade 


Je  vous  présente  actuellement  une  jeune  fille ùgée  de  12  ans,  atteinte  de  cho- 
réevulgaire;le  début  s'est  tait  le  14  novembre  ;  vous  voyez  que  les  mouvements 
choréiques,  qui  d'ailleurs  ne  sont  pas  fort  intenses, sont  accusés  particulière- 
ment du  côté  gauche,  ils  sont  cependant  très  appréciables  aussi  à  droite. 

Je  vous  ferai  remarquer  en  passant  que  les  gesticulations  s'atténuent  un  peu 
à  l'occasion  des  mouvement  intentionnels  ;  ainsi, lorsqu'il  s'agit  de  porter  à  la 
bouche  un  verre  ou  une  cuillère.  Ce  phénomène  n'est  donc  pas  Tapanage, 
comme  quelques-uns  paraissent  l'avoir  supposé,  des  chorées  chroniques. 

Rien  au  cœur.  On  assure  que  cette  jeune  fille  n'a  jamais  souffert  de  rhuma- 
tisme articulaire  aigu. 

Voilà  donc  un  cas  fort  banal  incontestablement,  en  ce  qui  concerne  l'expres- 
sion symptomatiqueet  je  ne  vous  l'eusse  point  i)résenté  s'il  ne  devait  pas  nous 
fournir  cependant  un  certain  enseignement  à  propos  de  notre  pauvre  choréi- 
que  de  19  ans.  Je  faisais  ressortir  fautre  jour  qu'à  mon  avis  l'hérédité   ner- 
veuse jouait  dans  l'étiologie  de  la  chorée  un  rôle  beaucoup  plus   important 
qu'on  ne  l'avait  jusqu'ici  supposé.  Sans  doute  le  rhumatisme  articulaire  aigu 
figure  souvent  dans  l'arbre  généalogique  des  choréiques  comme  il  figure  dans 
leurs   antécédents  héréditaires  ;  mais   les  maladies  nerveuses  n'y  font  pas 
défaut  non  plus,  et  bien  des  fois  même  elles  y  régnent  d'une  façon  prédomi- 
nante ;  tel  est  en  particulier  le  cas  de  la  jeune  malade  que  nous  avons  sous 
les  yeux. 
Voici  d'abord  ce  qui  est  relatif  chez  elle  aux  antécédents  personnels. 
Depuis fàge  de  6  ans, cette  enfant  s'est  montrée  sujette  à  des  crises  de  colère, 
à  des  sortes  d'accès  de  rage  et  de  méchanceté  tels  que  ses  parents  ont  dû  de- 
mander,lorsqu'elle  avait  att(>int  8  ans,  son  admission  à  Sainte-Anne.  Après  sa 
sortie  de  cet  asile,  elle  s'est  montrée  moins  difficile   à  vivre,  mais   parfois 
encore  fort  emportée. 

Elle  est  extrêmement  peureuse;  elle  regarde  à  plusieurs  reprises  sous  son 
lit,  tous  les  soirs  avant  de  se  coucher.  Elle  a  des  idées  fixes,  des  manies  qui 
font  qu'elle  reste  des  iieures  entières  à  s'habiller, à  se  peigner.  Pas  de  troubles 
de  la  sensibilité  générale  ou  spéciale  ;  pas  de  rétrécissement  du  champ  visuel. 
Rêves  fréquents  la  nuit,  surtout  depuis  le  début  de  la  chorée,  lesquels  portent 
prcscpie  toujours  sur  une  petite  sœur  morte  récemment  de  lu  rougeole.  C'est 


—  \:n  — 

rémotion  éprouvée  à  l'occasion  de  celte  mort  qui  parait  avoir  du  reste  provo- 
qué chez  notre  jeune  malade  le  développement  de  l'aflection. 

Ajoutons  en  passant  les  traits  suivants  qui  la  marquent  du  sceau  de  la 
«  dégénération  pliysi(pie  ».  Face  asymétrique;  front  plus  lias  à  droite  qu'à 
gauche;  nez  dévié  vers  la  droite;  tout  le  côté  droit  de  la  face  et  du  crâne  est 
plus  petit  que  les  parties  correspondantes  du  cùté  gauche. 

La  bosse  pariétale  droite  est  i)lus  proéminente  ({uc  la  gauche  et  située  [ilus 
en  arrière. 

Actuellement,  je  vais  mettre  sous  vos  yeux  \e  pedigree  de  notre  jeune  malade 
et  vous  allez  reconnaître  jusqu'à  quel  point  il  est  chargé   de  tares  nerveuses. 

COTÉ  PATERNEL  COTÉ  MATERNEL 


Mi:riE,  38  ans. 

Plusieurs  alteinlcs  de  manie 
puerpérale  à  la  suite  de  ses 
dernières  ijrossesses. 


Un    frère  du  père  esl  mort  Pî:rk,  45  ans. 

aliéné  à  l'âge  de  30  ans.  j^icn    de  nerveux,  pas   de 

Une  cousine   germaine    du       rhumatisme, 
père  est  «  un  peu  folle  »  et  a 
des  attaques  de  nerfs. 

8  enfants  dont  3  morts  en  bas  âge. 

Une  des  sœurs  de  la  malade,  âgée  de  10  ans,  a  eu  plusieurs  attaques  de  rhumatisme  arti- 
culaire. 

Notre  malade,  âgée  de  12  ans,  choréiquc  ;  —  a  des  idées  fixes,  des  terreurs  morbides,  des 
accès  de  colère  et  de  rage,  etc. 

Voilà  un  exposé  qui  certes  n'a  pas  besoin  de  commentaires. 


2«  Malade 


Je  saisis  avec  empressement  l'occasion  qui  s'offre  d'étudier  avec  vous  un 
cas  relatif  à  la  prétendue  névrose  spéciale  qui  serait  produite  par  les  colli- 
sions de  chemin  de  fer  et  que  l'on  désigne  quelquefois  sous  le  nom  de  Railwaij- 
Sp'mr  ou  Railway-Braïn.  Plusieurs  fois  déjà  je  vous  ai  exposé  roi)inion  que  je 
professe,  relativement  à  la  nature  de  ces  cas.  Il  n'est  point,  vous  ai-je  dit  et 
répété,  une  seule  des aflections  nerveuses  dontl'ensemble  forme  ce  que  j'appelle 
ia  famille  neuropathologique  qui  ne  puisse  apparaître  comme  conséquence  du 


—  132  — 

schock  nerveux  ressenti  dans  un  accident  de  chemin  de  fer.  A  savoir:  paralysie 
aiïitante,  épilepsie,  vésanie,  sclérose  en  plaques,  etc.,  etc. 

Mais,  dans  la  règle,  c'est  la  neurasthénie  et  l'hystérie,  soit  isolées  soit  com- 
binées l'une  avec  l'autre  en  proportions  diverses,  qui  s'offrent  en  pareille 
occurrence  compliqués  ou  non  de  lésions  organiques.  On  pourrait  dire,  si  je 
ne  me  trompe,  que  dans  ces  conditions  un  peu  spéciales  des  collisions  de 
trains,  s'il  y  a  production  d'une  afTection  nerveuse  purement  dynamique,  c'est- 
à-dire  ne  relevant  pas  d'une  lésion  matérielle  appréciable,  cette  afïection-là 
consistera  dans  la  majorité  des  cas,  —  normalement  si  l'on  peut  ainsi  parler, 
—  dans  la  combinaison  de  deux  névroses  parfaitement  autonomes,  d'ailleurs 
indépendantes  l'une  de  l'autre  nosographiquement,  mais  qui  semblent  avoir 
Tune  pour  l'autre  une  grande  affinité  et  coexistent  en  conséquence  très  vul- 
gairement chez  un  même  sujet.  J'ai  nommé  la  neurasthénie  d'une  part  et 
l'hystérie  de  l'autre. 

Le  sujet  que  vous  avez  sous  les  yeux  offre  ainsi  que  vous  le  verrez  un  exemple 
de  ce  genre.  Il  ne  représente  pas,  sans  doute,  dans  l'espèce,  un  fait  de  première 
gravité;  les  accidents  nerveux  dont  souffre  notre  homme  se  montrent  cepen- 
dant chez  lui  sous  une  forme  assez  accentuée,  assez  typique, pour  devenir 
l'objet  d'une  analyse  clinique. 

M.  V...lois  est  âgé  de  cinquante-six  ans.  Il  est  employé  au  chemin  de  fer  du 
Nord.  Il  y  exerce  depuis  longtemps  la  fonction  de  chef  de  train.  C'est,  vous  le 
voyez, un  homme  d'apparence  robuste,  trapu,  —  râblé  comme  on  dit  quel«iue- 
fois,  —  aux  traits  énergiques. 

Autrefois  il  était  vaillant,  actif,  plein  d'entrain,  pas  du  tout  émotif.  Tout 
cela  a  changé  depuis  le  mois  d'août,  c'est-à-dire  depuis  cinq  mois,  époque  où 
a  eu  lieu  l'accident  que  je  vous  dirai  tout  à  l'heure.  Avant  d'en  venir  là,  Usera 
bon  d'insister  un  peu  plus  sur  les  antécédents  de  notre  malade. 

L'étude  des  antécédents  de  famille  ne  fournit  aucun  renseignement  intéres- 
sant. Père  mort  d'un  cancer  du  larynx  à  Tâge  de  56  ans  ;  la  mère  n'a  jamais 
souffert  de  maladies  nerveuses  :  réponses  également  négatives  en  ce  qui  con- 
cerne les  autres  parents.  Ainsi, ni  la  diathèse  nerveuse,  ni  la  diathèse  arthriti- 
que, autant  qu'il  le  sache  du  moins,  ne  se  trouvent  représentées  dans  la 
famille.  Il  n'en  est  pas  tout  à  fait  de  même  en  ce  qui  le  concerne  personnellement. 
S'il  est  vrai  qu'antérieurement  à  l'accident  il  n'a  jamais  soulfert  d'une  affec- 
tion nerveuse  quelconque,  il  faut  relever  que,  par  contre,  il  a  éprouvé  deux 
accès  de  goutte  parfaitement  caractérisée  et  siégeant  au  lieu  d'élection  ;  le  pre- 
mier accès  il  y  aun  an,  en  décembre  1887  ayant  duré  quinze  jours,  l'autre  à 
peu  près  de  même  durée,  vers  le  milieu  de  juillet  1888. 

Au  malade  :  Vous  n'avez  jamais  eu  lagravelle,  des  coliques  néphrétiques? 

Le  malade  :  Non,  monsieur. 

M.  Charcol  :  Je  remarque  en  passant  qu'il  ne  présente  pas  de  concrétions 
tofacées  sur  les  oreilles. 


*-  133  - 

Au  malade  :  Vous  avez  eu  la  goutte  deux  fois?  Où  siégeaient  la  douleur  et  le 
gonflement. 

Le  malade  :  Oui,  monsieur,  chaqne  fois  elle  a  duré  de  dix  à  quinze  jours, 
Le  gonflement  était  sur  les  deux  orteils.  —  (11  désigne  les  articulations  méta- 
tarso  phalangiennes  des  gros  orteils.) 

M.  Charcot  :  A  quelle  époque  la  douleur  était-elle  surtout  vive  ;  la  nuit  ou 
le  jour? 

Le  malade  :  Oh  !  monsieur, c'était  la  nuit  ;  je  ne  pouvais  jamais  dormir:  cela 
s'apaisait  le  matin,  dans  le  jour.  J'ai  eu  aussi  plus  tard  une  éruption  sur  la 
jambe  gauche  qu'on  a  appelée  un  eczéma  variqueux. 

M.  Charcot  :  AllonS;,  bien  certainement  c'est  de  la  goutte  qu'il  s'est  agi  dans 
ces  deux  accès,  il  n'y  a  pas  à  s'y  tromper. 

Au  malade  :  Avant  cet  accès  de  goutte,  vous  n'avez  jamais  été  malade? 

Le  malade  :  Non,  monsieur,  jamais  je  n'avais  connu  la  maladie. 

M.  Charcot:  Vous  avez  servi? 

Le  malade:  Oui,  j'ai  été  aux  chasseurs  d'Afrique.  J'ai  fait  la  guerre  d'Italie; 
j'étais  à  Magenta,  à  Palestro,  à  Solférino.  J'ai  pris  part  aussi  à  plusieurs  com- 
bats en  Afrique,  mais  c'était  presque  insigniflant. 

M.  Charcot  :  Il  est  attaché  à  la  compagnie  du  chemin  de  fer  du  Nord,  depuis 
1871,  comme  chef  de  train.  11  n'avait,  — j'y  insiste,  —  depuis  cette  époque 
jamais  été  arrêté  dans  son  travail,  lorsque  le  17  août  dernier,  alors  qu'il  con- 
duisait un  train  de  marchandises,  le  fourgon  dans  lequel  il  se  trouvait,  fut,  à 
l'occasion  d'une  manœuvre  de  gare,  renversé  par  une  locomotive  qui  le  croi- 
sait perpendiculairement  et  littéralement  broyé,  paraît-il,  en  mille  pièces. 

li  ne  saurait  trop  dire  ce  qui  s'est  passé  en  ce  moment-là  ;  ce  qu'il  en 
raconte  il  le  tient  des  assistants.  Il  lui  semble  cependant,  mais  il  n'en  est  pas 
bien  sûr,  qu'au  moment  de  l'accident  il  aurait  entendu  un  cri  de  détresse  par- 
tant de  l'autre  train  !  «  Oh  !  ça  y  est.  »  Toujours  est-il  qu'il  fut  relevé,  sans 
connaissance,  au  milieu  des  débris  du  fourgon  écrasé.  La  collision  avait  eu 
lieu  à  Villeneuve-Saint-Georges  ;  il  fallut  environ  une  demi-heure  pour  le 
transporter  à  la  gare  de  Paris  d'abord,  puis  à  l'hôpital  de  Lariboisière,  et, 
pendant  tout  ce  temps,  il  est  resté  inconscient. 

Il  n'est  peut-être  pas  hors  de  propos  de  relever  ici  cette  amnésie  relative 
aux  circonstances  de  l'accident.  Elle  est  à  peu  près  la  règle  dans  les  grands 
shocks  nerveux  et  même  dans  certains  cas  de  ce  genre  on  peut  observer  ce 
phénomène  remarquable  de  l'amnésie  rétrograde  que  M.  le  professeur  Azam 
de  Bordeaux  a  bien  étudié  (1)  dans  ces  derniers  temps. 

Dans  ces  cas,  le  malade  a  perdu  non  seulement  le  souvenir  de  ce  qui  s'est 
passé  depuis  le  moment  de  l'accident,  jusqu'à  son  retour  à  la  connaissance, 

i.  Troubles  intelloctiiels  provoqués  par  les  traumatismes  cérébraux.  Arch.  géi.de  Médecine 
1881,  février,  p.  129. 


»-  134  — *! 

Inais  encore  le  souvenir  de  ce  qui  s'est  passé  pendant  une  période  de  tetripâ, 
plus  ou  moins  longue,  antérieurement  à  raccident. 

Et  à  ce  sujet,  permettez-moi  d'entrer  dans  une  courte  digression  pour  vous 
dire  quelques  mois  d'un  de  ces  faits  d'amnésie  rétrograde  dout  j'ai  été  directe- 
ment le  témoin.  Le  23  mai  1883  vers  9  heures,  le  matin  —  alors  que  je  me  ren- 
dais comme  de  coutume  en  voiture  à  la  Salpêtrière,  —  sur  le  boulevard  Saint- 
Germain,  non  loin  de  l'église  Saint-Bernard, une  femme  qui  traversait  le  bou- 
levard et  était  parvenue  sur  la  partie  de  la  chaussée  qui  est  pavée  de  bois, 
n'entendit  ni  le  bruit  de  la  voilure  ni  les  cris  de  mon  cocher  et  fut  renversée 
par  mes  chevaux.  La  voiture  continua  à  rouler,  quoi  qu'on  fît  pour  l'arrêter, 
pendant  quelques  instants  encore  et  heureusement  la  pauvre  crrature,  pen- 
dant tout  ce  temps  fut  épargnée  par  les  chevaux  qui  passèrent  de  chaque  côté 
d'elle  sans  la  piétiner  sérieusement,  puis  par  les  quatre  roues  de  la  voiture 
qui  ne  la  touchèrent  point.  Elle  fut  immédiatement  transportée  chez  une  cré- 
mière du  voisinage  où  je  la  suivis. 

Elle  était  sans  connaissance,  pâle,  dans  la  résolution,  et  portait  au-dessus 
du  sourcil  gauche  une  plaie  verticale,  de  1  centimètre  de  longueur  à  peine, 
peu  profonde,  avec  léger  thrombus,  et  qui  saignait  médiocrement.  Elle  reprit 
connaissance  peut-être  trois  minutes  après  l'accident.  Alors  je  la  fis  se  tenir 
debout  et  je  constatai  que,  à  part  la  petite  plaie  ci-dessus  décrite,  elle  ne  pré- 
sentait heureusement  aucune  lésion  traumatique  de  quelque  importance.  Une 
fois  debout,  elle  commença  à  répondre  ù.  mes  questions  et  d'un  air  fort  étonné 
faisant  signe  qu'elle  ne  comprenait  rien  à  la  situation,  elle  nous  fit  connaître 
qu'elle  ne  se  rappelait  nullement  avoir  été  renversée  par  une  voiture,  ni 
même  avoir  traversé  le  boulevard,  ignorant  pourquoi  elle  était  sortie.  On  lui 
demanda  son  nom  ;  elle  ne  put  le  trouver  qu'au  bout  de  quelques  instants  et 
quaud  on  lui  demanda  où  elle  demeurait,  il  lui  fut  impossible  de  le  dire.  Sur 
ces  entrefaites,  se  présenta  un  monsieur  qui  nous  dit  qu'elle  était  sa  bonne, 
qu'elle  demeurait  dans  le  voisinage.  Elle  reconnut  parfaitement  son  maître 
mais  il  ne  lui  fut  pas  possible  de  dire  l'adresse  de  la  maison  où  il^demeure.  Cette 
femme  parlait  d'ailleurs  très  facilement,  avec  une  certaine  volubilité  môme, 
sans  le  moindre  embarras  dans  Tarticulution  des  mots. 

C'est  vous  dire,  messieurs,  que  vous  ne  devrez  jamais  donner  créance  sans 
réserve  aux  récits  que  vous  font  volontiers  les  malades  lorsque  vous  les  inter- 
rogez sur  les  circonftanccs  de  l'accident  dont  ils  ont  été  victimes.  Ces  circons- 
tances, dans  la  règle,  ils  ne  les  connaissent  que  pour  les  avoir  entendu  narrer 
par  les  assistants,  et  j'ajouterai  même  que  souvent,  il  se  crée  à  ce  propos 
dans  leur  esprit  une  sorte  de  légende,  à  laquelle  ils  accordent  volontiers  la 
confiance  la  plus  absolue  et  qu'ils  s'habituent  à  raconter  naïvement,  sincère- 
ment, comme  si  (;lle  représeiilait  la  réalité  même.  Tel  a  ('lé  le  cas  d'un  pauvre 
diable  dont  j'ai  raconté  l'histoire  dans  le  troisième  volume  de  mes  Leçons  sitr  les 
maladies  du  système  nerveux.  (Appendice,  p.  441  et  suiv.)  Il  avait  été  renversé 


—  135  -- 

par  une  voiture  et,  contrairement  à  la  réalité,  il  était  poursuivi  jusque  dans 
ses  rêves  par  la  persuasion  que  les  roues  lui  avaient  passé  sur  le  corps.  Plu- 
sieurs fois,  dans  son  sommeil  troul)lé  on  Ta  entendu  s'écrier  :  «  Arrêtez  1  ne 
fouettez  pas  le  cheval,  il  va  m'écraser!  ali!  la  voiture  me  passe  sur  le  c<jrp3.  » 
Et  cette  môme  doctrine,  pendant  la  veille  il  la  soutenait  encore  avec  l'ardeur 
que  communi([ue  une  conviction  profonde  et  il  se  fâchait  «  tout  rouge  »  quand 
on  faisait  mine  d'en  contester  la  valeur. 

Mais  il  est  temps  d'en  revenir  à  notre  chef  de  train.  —  Une  fois  à  Lariboi- 
sière  il  reprit  connaissance  et  on  reconnut  là  qu'il  ne  présentait  aucune  bles- 
sure sérieuse;  il  portait  des  contusions  sur  diverses  parties  du  corps,  le  côté 
droit  du  thorax,  les  genoux,  la  tête;  voilà  tout.  Il  put  quitter  l'hôpital  au  bout 
de  quatre  jours  et  se  rendit  chez  lui  où  il  garda  le  lit  pendant  une  vingtaine 
de  jours  à  cause  d'une  angioleucite  qui  s'était  développée  sur  toute  l'étendue 
de  l'un  des  membres  inférieurs.  11  affirme  que  pendant  ces  vingt-cinq  jours 
qui  ont  suivi  Taccident,  il  ne  ressentit,  —  à  part  les  douleurs  liées  aux  contu- 
sions, —  aucun  malaise  nerveux,  et  lorsque  guéri  de  son  angioleucite,  il 
quitta  son  lit,  il  croyait  bien  en  être  quitte, je  ne  dirai  pas  pour  la  peur,  puis- 
qu'il n'avait  pas  eu  peur,  du  moins  consciemment,  mais  pour  toutes  les  petites 
misères  qu'il  avait  traversées  sans  encombre.  De  fait,  il  se  sentait  fort  dispos 
et  se  préparait  en  conséquence  à  reprendre  très-sérieusement  son  travail. 

C'est  alors  qu'il  s'aperçoit  pour  la  première  fois  que  tout  son  être  a  subi 
une  modification  profonde.  Il  lui  semble  qu'il  a  perdu  une  partie  de  ses  forces 
physiques,  mais  cela  l'inquiète  peu  d'abord  ;  il  est  convaincu  qu'il  les  repren- 
dra par  l'action  :  ce  qui  l'inquiète,  ce  qui  le  trouble  profondément  c'est  que 
dans  la  gare  où  il  s'est  rendu  plusieurs  fois,  à  titre  d'essai,  les  coups  de  sifflet 
le  font  tressauter  et  l'agacent  d'une  façon  épouvantable.  Quand  passe  un  train 
en  marche,  il  ne  peut  voir  tourner  les  roues  des  wagons  sans  être  pris  d'un 
vertige  qui  l'affole.  Il  lui  semble  qu'il  est  attiré  vers  le  train  qui  devra  l'écra- 
ser. Et  il  ne  s'agit  pas  là  d'une  émotion  relative  seulement  aux  choses  du  che- 
min de  fer,  car  ces  mêmes  vertiges,  ces  mêmes  tressautements,  ces  mêmes 
malaises  indescriptibles,  ces  mêmes  terreurs  il  les  éprouve  dans  la  rue  lors- 
qu'il voit  passer  une  voiture,  lorsqu'un  cocher  fait  claquer  son  fouet.  A  plu- 
sieurs reprises,  il  retourne  à  la  gare  pour  s'aguerrir,  comme  il  dit,  mais 
toutes  ses  tentatives  sont  inutiles  ;  elles  restent  sans  effet  et  il  acquiert  ainsi 
la  triste  conviction  qu'il  lui  sera  impossible  pendant  longtemps  de  reprendre 
son  service. 

Il  s'aperçoit  bien  vite  que  son  caractère  est  changé  ;  il  est  sans  cesse 
envahi  par  des  idées  tristes  ;  il  est  devenu  émotif,  au  plus  haut  degré.  Lui, 
l'ancien  soldat  qui  plusieurs  fois  a  pris  part  à  des  combats  et  qui  plus  tard 
s'est  trouvé  comme  chef  de  train  mêlé  à  des  accidents  de  chemin  de  for, 
dont  quelques-uns  fort  graves,  il  pleure  aux  plus  futiles  motifs.  11  n'ose  pUis 
traverser  seuj  les  rues,  il  s'y  sent  étourdi,  il  craint  d'être  écrasé  par  les  voi- 

20 


—  136  — 

tures,  troublé  qu'il  est  par  les  moindres  incidents,  les  moindres  bruits.  Il  a, 
dit-il,  la  tête  vide  ;  il  n'a  plus  de  mémoire  ou  pour  le  moins  il  a  la  mémoire 
très  lente.  S'il  veut  penser  à  quelque  chose,  combiner  quelques  idées,  dis- 
poser quelque  projet  dans  son  esprit,  il  se  sent  bientôt  la  tête  fatiguée.  Si 
pour  se  distraire  il  prend  un  journal,  à  peine  en  a-t-il  lu  quelques  lignes 
qu'il  est  obligé  de  le  quitter.  C'est  qu'alors  il  éprouve  dans  les  régions  fron- 
tales et  occipitales,  à  la  nuque,  un  sentiment  de  constriction,  de  pesanteur 
souvent  très  pénible.  Cette  sensation  ne  le  quitte  jamais  complètement  mais 
elle  s'aggrave  très  manifestement  toues  les  fois  qu'il  se  produit  un  acte  intel- 
lectuel un  peu  prolongé, quel  qu'il  soit.  A  ces  derniers  traits  vous  reconnaissez 
les  caractères  de  cette  Céphalée  neurasthénique  dont  je  vous  ai  entretenu  bien 
des  fois  déjà  et  qui  se  développe  si  fréquemment,  vous  le  savez,  d'une  façon 
progressive,  en  conséquence  du  surmenage  intellectuel,  de  l'anxiété  produite 
par  les  affaires,  d'un  chagrin  enfin. 

Ici  ce  ne  sont  pas  des  efforts  d'intelligence  ou  des  chagrins  qui  ont  été  en  j  eu  ; 
le  mal  s'est  produit  en  conséquence  d'un  shock  nerveux,  d'un  ébranlement 
soudain  et  il  est  intéressant  de  voir  le  même  résultat  déterminé  par  le  fait 
de  causes  aussi  différentes  en  apparence. 

Ainsi,  de  parles  symptômes  céphaliques,  voilà  notre  sujet  nettement  cons- 
titué comme  neurasthénique  :  Céphalée  spéciale,  amnésie,  vertiges,  aboulie, 
tristesse,  émotivité,  etc.,  etc.,  rien  d'essentiel  n'y  manque.  Nous  avons 
cependant  encore  à  ajouter  les  traits  suivants  :  Les  nuits  sont  mauvaises^ elles 
^ont  habituellement  tourmentées  par  des  rêves  pénibles,  quelquefois  terri- 
fiants. Ces  rêves  ne  sont  pas  relatifs  aux  détails  de  l'accident  dont  du  reste  il 
n'a  pas  été  témoin,  témoin  conscient  du  moins  ;  ils  ne  portent  même  pas, 
chose  assez  curieuse  du  reste,  sur  des  accidents  de  chemin  de  fer,  dont  il  a  dA 
cependant  entendre  parler  bien  souvent  ;  non,  il  rêve  de  batailles,  il  se  revoit 
à  Palestro,  à  Magenta,  en  Afrique.  Une  des  nuits  précédentes,  il  a  rêvé  que 
des  voleurs  s'étaient  introduits  dans  sa  maison. 

Vous  n'ignorez  pas  que  les  troubles  nerveux  qui  constituent  la  neurasthénie 
cérébro-spinale  ont  souvent  un  retentissement  sur  les  viscères  et  en  particu- 
lier sur  l'estomac  ;  alors  se  produit  une  forme  de  dyspepsie  à  laquelle  convient 
le  nom  de  neurasthénique.  Les  choses  sont  ainsi  en  réalité  chez  notre  malade. 
Bien  qu'il  ait  conservé  l'appétit,  le  matin  sa  bouche  est  souvent  mauvaise, 
amère,  pâteuse  ;  à  peine  aux  repas  les  aliments  sont-ils  introduits  dans  l'esto- 
mac que  celui-ci  se  gonfle,  se  ballonne,  et  peu  après  se  produisent  des  gaz 
dont  l'expulsion  est  pénible.  «  Le  sang,»  pendant  et  peu  après  le  repas,monte 
à  la  figure.  On  ressent  de  la  fatigue,  du  malaise  un  besoin  impérieux  de  dor- 
mir. Gela,  chez  notre  malade  contraste  singulièrement  avec  ce  qui  existait 
autrefois  :  quoique  goutteux,  il  n'avait  «  jamais  senti  son  estomac  »  et  il 
est  bien  établi  que  la  dyspepsie  en  question  ne  date  que  du  jour  où  les  symp- 
tômes de  neurasthénie  céphalique  ont  commencé  à  s'accentuer. 


-^  137  - 

Parmi  les  autres  symptômes  neurasthéniques  qui  me  paraissent   devoir 
être  signales  encore  à  propos   du  cas,  je  relèverai  d'abord  un  affaiblissement 

D  a 


i<    N<i> 


FJg.  30. 


D 


0   Nâs   . 


Fig:.  31. 


génital  très  prononcé  et  développé  en  quelque  sorte  tout  à  coup  :  puis,  en 
dernier  lieu  une  diminution  très  marquée  de  la  force  de  pression  dynamomé- 
trique. Ainsi  tandis  qu'un  homme  vigoureux  de  son  espèce,  et  tel  qu'il  l'était, 


aïitrefois  devrait  donner  par  exemple  80''  de  la  main  droite^  il  ne  donne  lui 
que  28*',  30°  au  plus.  Il  reste,  vous  le  voyez,  bien  au-dessous  de  la  normale." 
Réflexes  rotuliens  conservés,  plutôt  un  peu  taibles. 

Nous  n'avons  considéré  encore,  jusqu'ici,  messieurs,  qu'un  des  coté»  du 
tableau. 

Ainsi  que  je  Tai  déclaré  en  commençant,  Thystérie  se  trouve  chez  notre 
sujet  combinée  àla  neurasthénie.  C'est  là  une  assertion  qu'il  s'agit  maintenant 
de  justifier.  Eh  bien  !  je  relèverai  en  premier  lieu  que  chez  V...lois,  il  eiiste  à 
l'état  permanentunrétrécissement  concentrique  du  champ  visuel, peu  prononcé 
dans  les  circonstances  ordinaires  (fig.30),  plus  marqué  au  contraire  à  la  suite 
de  ce  qu'il  appelle  ses  attaques  (fig.  31),  ses  étourdissements,  sa  syncope. 
D'ailleurs  pas  d'autres  troubles  de  la  sensibilité,  pas  d'autres  stigmates,  pas 
d'anesthésie,  pas  de  lésion  du  goût,  de  rodorat,etc.,etc.  Maisun  rétrécissement 
concentrique  permanent  du  champ  visuel,  comme  marque  hystérique,  c'est 
déjà  quelque  chose,  car,  quoi  qu'on  en  dise,  pareil  symptôme  ne  se  voit  guère, 
à  part  un  ou  deux  cas  de  lésion  organique  auj  ourd'hui  passablement  déterminées, 
en  dehors  de  l'hystérie.  Il  n'appartient  pas  en  tout  cas,  je  crois  pouvoir 
l'alTirmer  en  me  fondant  sur  de  nombreuses  observations,  il  n'appartient  pas, 
dis-je,  à  la  neurasthénie  non  compliquée.  Mais  il  y  a  plus,  l'attaque  hystéri- 
que est  ici  représentée  nettement  sipon  sous  la  forme  convulsive,  du  moins 
sous  la  forme  non  moins  typique  d'un  vertige  avec  perte  de  connaissance  pré- 
cédé de  l'évolution  des  phénomènes  caractéristiques  del^aïu^a.  «Les bruits  qui 
éclatent  dans  la  rue_,  un  cri,  un  coup  de  fouet,  me  font,  dit-il,  venirmesattaques  ; 
alors  j'éprouve  des  étoufîements  au  cou,  je  ressens  des  bourdonnements  dans 
les  oreilles,  des  battements  dans  les  tempes  ;  peu  après  ma  vue  se  trouble,  je 
chancelle  et  je  suis  menacé  de  perdre  connaissance  ;je  suis  obligé  de  m'appuyer 
à  un  mur.  Quelquefois  même  j'ai  perdu  réellement  connaissance  pendant 
(pielques  secondes  ;  cela  m'est  arrivé,  dit-il,  en  particulier,  l'autre  jour 
rue  Lafayette  à  la  suite  de  l'émotion  que  j'ai  éprouvée  en  voyant  tomber  un 
cheval.  Il  m'a  été  impossible  de  rentrer  chez  moi  sans  l'aide  d'un  ami  qui 
m'accompagnait.  »En  voilà  suffisamment,  je  crois,  pour  justifier  le  diagnostic 
hystéro-neurasthénie  que  nous  vous  proposons  d'admettre  pour  caractériser 
ce  cas  cliniquement. 

Peut-être  pourriez-vous  penser,  messieurs,  que  les  désordres  produits  par 
le  shock  nerveux  chez  un  homme  robuste,  exerçant  les  fonctions  de  chef  de 
train,  devront  difTérer  sur  quelques  points  de  ceux  déterminés  dans  des  cir- 
constances analogues  chez  un  homme  cultivé,  vivant  surtout  des  clioses  de 
l'esprit,  chez  un  médecin  par  exemple.  Si  vous  pouviez  le  croire,  messieurs, 
je  serais  en  mesure  devons  détromper  en  vous  citant  l'exemple  d'un  de  mes 
amis,  docteur  en  médecine,  qui, à  la  suite  d'un  accident  de  chemin  de  fer  (col- 
lision de  trains),  dont  il  a  été  la  victime  en  Angleterre,  a  présenté  des  symp- 
tômofe  tout  à  fait  comparables,  par  les  traits  fondamentaux  du  moins,  à  ceux 


—  139  — 

que  nous  venons  de  décrire  et  a  été,  en  conséquence,  placé  pendant  plus  de 
deux  ans  dans  Timpossibiliié  absolue  d'exercer  sa  profession.  Il  ne  faudrait 
pas  croire  non  plus  que,  symptomatolofriquoment,  rhystéro-neuraslhénie 
développée  dans  une  collision  de  trains  (Railway  Brain)  diflero  en  rien  d'es- 
sentiel de  celle  qui  se  développe  ea  conséquence  d'autres  causes  ;  ce  serait  là 
encore  une  erreur,  messieurs,  dans  laquelle  vous  ne  devez  pas  tomber.  M.  le 
D""  Mathieu  (1)  a  bien  fait  voir,  àpropos  d'un  cas  qu'il  m'a  communiqué  et  que 
j'ai  présenté  à  la  clinique  de  l'an  passé  (leçons  du  mardi  ;  Policlinique  1887- 
1888, sixième  leçon, p.  62)  comment  la  combinaison  hystéra-neurasthénique,se 
présentant  avec  tous  les  caractères  que  nous  lui  avons  reconnus  chez  notre 
traumatisé,  peut  se  développer  en  dehors  de  toute  action  traumalique,  de 
tout  shock  nervPAix,  chez  un  employé  de  chemin  de  fer,  agent  à  la  vérité 
d'un  service  actif  (voyages  de  Paris  à  la  frontière  jour  et  nuit),  et  prédisposé 
aux  affections  nerveuses  par  son  hérédité.  Mais,  même  chez  les  agents  qui 
ne  voyagent  pas,  chez  les  employés  de  bureau,  comme  d'ailleurs  dans  toutes 
les  conditions  vulgaires  du  surmenage  intellectuel,  la  névrose  complexe  sur 
laquelle  j'appelle  votre  attention  peut  se  montrer  revêtue  parfois  de  tous  ces 
attributs  caractéristiques,  bien  que  dans  ces  conditions-là,  ce  soit  plutôt  en 
général,  la  neurasthénie  simple  dégagée  de  toute  complication  qui  s'observe. 
.  Mais  en  voilà  assez  pour  le  moment  sur  ces  questions  que  je  reprendrai 
certainement  par  la  suite  avec  plus  de  détails.  Je  terminerai  aujourd'hui  j)ar 
quelques  mots  relatifs  au  pronostic;  eh  bien,  le  pronostic  me  paraît  sérieux, 
non  pas  en  ce  qui  concerne  la  vie  bien  entendu,  elle  n'est  nullement  mena- 
cée :  mais  en  ce  sens  qu'il  me  paraît  douteux  que  notre  malade  puisse  jamais 
reprendre  son  service.  Voilà  près  de  six  mois  qu'il  se  traite  régulièrement  par 
l'emploi  des  toniques,  des  bromures,  de  l'électricité  statique,  de  l'hydrothéra- 
pie. Il  a  obtenu  sans  doute  un  peu  d'amélioration,  il  dort  moins  mal.  mange 
avec  plus  d'appétit;  mais  tous  les  symptômes,  tant  hystériques  ((ue  neuraslh(*- 
niques,  persistent  chez  lui  à  un  certain  degré  et  la  dernière  expérience  dyua- 
mométrique  a  donné  seulement  14  pour  la  main  droite  et  50  pour  la  main 
gauche.  Hien  n'est  plus  tenace  quelquefois,  vous  le  voyez,  que  ces  affections 
nerveuses  purement  dynamiques  cependant,  et  mieux  eut  valu  *  pour  moi  », 
dit  le  malade, «  une  jambe  cassée  ».«Je  vois  bien,  ajoute-t-il,que  jamais  je  ne 
pourrai  rentrer  dans  la  compagnie  puisque,  comme  au  premier  jour,  je  suis 
émotif,  vertigineux,  sans  volonté  et  sans  force.  Le  moindre  bruit  me  fait  tres- 
saillir :  Paris  m'est  insupportable.  Je  veux  absolument  me  soustraire  à  tout  ce 
bruit  qui  s'y  fait  :  j'ai  pris  la  résolution  de  demander  ma  retraite  et  d'aller 
vivre  à  la  campagne,  de  façon  à  ne  plus  rien  entendre  de  tout  cela.  » 

Entre  nous,  messieurs,  je  crois  qu'il  est  dans  le  vrai  et  je  l'engage  à  suivre 
son  idée. 


1.    Neui  asthénie  et  hystérie  combinées.   Le   Progrès  médical,  1888,  t.  VIII,  6™«  série,  p.  5S. 


140 


3"  ET  4'  Malades 


(Deux  jeunes  malades,  Tun  âgé  de  12  ans,  l'autre  de  20 ans,  sont  introduits 
dans  la  salle  de  cours). 

Les  deux  jeunes  sujets  qui  viennent  d'être  placés  sous  vos  yeux,  sont 
l'un  et  l'autre  atteints  à  divers  degrés  de  l'affection  assez  bien  connue  aujour- 
d'hui que  l'on  désigne  assez  vulgairement,  d'après  Duchene  de  Boulogne, 
du  nom  de  paralysie  spinale  de  V enfance  (1).  Immédiatement,  ceux  d'entre 
vous  qui  sont  au  courant  des  questions  qui  se  rattachent  à  ce  sujet,  si  je  leur 
annonce  qu'il  n'y  a  pas  longtemps  que  les  malades  ont  été  frappés,  recon- 
naîtront qu'il  s'agit  de  cas  anormaux.  De  nos  deux  malades  en  effet,  l'un  est 
âgé  de  12  ans  et  l'autre  a  atteint  sa  vingtième  année  ;  vous  n'ignorez  pas  que 
la  paralysie  infantile^  comme  on  l'appelle  encore  sans  autre  adjectif,  pour 
plus  de  brièveté,  ne  survient  dans  la  règle  que  de  1  an  à  3  ans  ;  après  5  ans 
les  cas  sont  déjà  rares  :  après  10  ans  ils  sont  tout  à  faits  exceptionnels.  Cette 
anomalie  relative  à  l'âge  auquel  la  maladie  s'est  développée  ne  sera  pas  la 
seule  que  nous  aurons  à  relever  chez  nos  malades  et  c'est  là  justement  ce  qui 
fera  leur  intérêt.  C'est  que,  messieurs,  si  en  pathologie  descriptive  nous 
recherchons  surtout  les  cas  typiques,  il  n'en  est  pas  tout  à  fait  de  même  dans 
la  clinique  où  ce  sont  principalement  les  cas  anormaux  par  quelque  côté 
qui  s'oflrent  à  notre  observation  et  qu'il  nous  faut  analyser  et  débrouiller. 
Or,  pour  mieux  faire  ressortir  ce  qu'il  y  a  d'intéressant  à  relever  dans  nos 
deux  cas,  je  crois  qu'il  ne  sera  pas  inutile  de  vous  présenter  au  préalable  un 
aperçu  sommaire  de  l'histoire  symptomatologique  de  la  paralysie  infantile 
considérée  dans  sa  forme  classique.  Je  crois  même  qu'il  conviendra,  en  vue 
même  du  but  à  atteindre,  de  faire  appel  un  instant  aux  connaissances  ana- 
tomo-pathologiques,  aujourd'hui  à  peu  près  décidément  fixées  que  nous  pos- 
sédons sur  la  matière. 

En  réalité,  ainsi  que  je  l'ai  fait  remarquer,  il  y  a  longtemps  {Leçons  sur  les 
maladies  du  système  nerveux,  i.  Il,  p.  103, —  octte  leçon  date  de  juillet  1870), 
la  paralysie  infantile  peut  être  considérée,  pour  le  commençant  qu'on  vou- 
drait initier  â  la  connaissance  des  maladies  organiques  du  centre  nerveux  et 
de  la  moelle  épinière  en  particulier,  comme  une  maladie  d'étude. 

i.  Synonymes  :   Téphromyélite  ou  Poliomyélite  antérieure  aip:uf.  —  Cornual  myelilis^  etc. 


Défait,  dans  un  cas  de  raffection  dontil  s'agit,  se  trouvent  réalisées  en  quel- 
que sorte  les  conditions  d'une  expérience  instituée  sur  le  vivant  dans  le  but 
d'éclairer  certains  projjlèmes,  autrement  bien  difficiles  à  résoudre,  de  la  phy- 
siologie pathologique  spinale. 

Il  s'agit,  je  suppose,  de  déterminer  les  effets  que  produisent  les  lésions  des- 
tructives limitées  étroitement  aux  cornes  antérieures  de  la  substance  grise 
centrale  de  la  moelle  ;  il  serait  bien  difficile,  pour  ne  pas  dire  plus,  il  faut 
l'avouer,  d'aller  détruire  chez  les  animaux,  ces  seules  cornes  antérieures,  sans 


Fig,  32.—  Croupe  de  la  moelle  faite  dans  la  région  lombaire.  —  A.  Corne  antérieure  gauche 
saine,  —  a,  noyau  ganglionnaire  sain.  —  B.  Corne  antérieure  droite,  —  b.  noyau  ganglion- 
naire médian  dont  les  cellules  sont  détruites  et  qui  est  représenté  par  un  petit  foyer  de  sclé- 
rose. (Extrait  des  Maladies  du  système  nerveux,  t.  II.  Œuvres  complètes  de  J.  M.  Charcot), 

intéresser  sérieusement  la  reste  de  l'organe  (1).  C'est  un  problème  devant 
lequel  reculerait  sans  doute  l'expérimentateur  le  plus  hakile,  s'il  lui  fallait 
le  prendre   au  pied  delà  lettre.  Eh  bien,  ce  problème-là,  la  maladie  nous 


1.  Les  expériences  de  M.  Prévost  de  Genève   répondent   cependant  en  grande    partie  à  cet 
idéal. 


—  142  — 

permet  de  le  résoudre.  Dans  nombre  de  cas,  les  lésions  qu'on  rencontre 
dans  la  moelle  épinière,  chez  les  sujets  qui  ont  été  atteints  de  paralysie 
infantile  spinale  peuvent  se  montrer  étroitsment  limitées  non  seulement 
à  la  substance  grise  centrale,  mais  encore  plus  explicitement,  aux  seules 
cornes  antérieures  de  substance  grise,  tantôt  aux  deux,  tantôt  seulement  à 
Tune  d'entre  elles  ;  j'ajouterai,  que  même  dans  les  cornes  antérieures,  ainsi 
que  cela  se  voit  bien  lorsqu'il  s'agit  de  la  région  lombaire,  la  lésion  peut 
ne  pas  se  montrer  uniformément  répandue  sur  toute  l'étendue  de  la  corne,, 
et  aftecter  au  contraire  exclusivement,  tantôt  l'un  tantôt  l'autre  des  trois 
groupes  ou  amas  cellulaires  de  la  région. 

On  peut  même  supposer,  — quelle  que  soit  la  théorie  adoptée,  —  qu'à 
l'origine  tout  au  moins,  le  processus  morbide  concentre  son  action  dans  le 
voisinage  des  cellules  motrices  des  cornes  antérieures  et  peut-être  primitive- 
ment dans  ces  cellules  elles-mêmes,  et  de  là  se  répand  par  diffusion,  non 
seulement  dans  les  diverses  parties  de  la  substance  grise  centrale,  mais  encore 
quelquefois  dans  la  substance  blanche,  avec  ou  sans  participation  des  ménin- 
ges. Cest  là  évidemment  au  point  de  vue  de  la  physiologie  pathologique  le 
nœud  de  la  situation.  Voici  en  effet  dans  une  des  cornes  antérieures  de  sub- 
stance grise  un  ou  plusieurs  groupes  de  cellules  motrices  qui  ont  été  détruits. 
La  conséquence  nécessaire  de  cette  destruction  sera  l'alDsorption,  plus  ou 
moins  rapide,  du  cylindre  axile  d'un  nombre  plus  ou  moins  considérable  de 
nerfs  moteurs  correspondants,   par  suite  l'atrophie   consécutive  des  muscles  ] 

ou  partie  de  muscle  auxquels  ces  nerfs  moteurs  se  rendent.  ■ 

Mais  il  ne  s'agit  pas  ici  seulement  de  modifications  anatomiqucs  plus  ou  ■ 

moins  profondes  ou  étendues;  il  y  a  lieu  de  relever  les  modifications  fonction- 
nelles qui  répondent  à  ces  altérations,  et  se  développent  en  quelque  façon 
parallèlement  à  elles,  car  précisément  ce  sont  ces  troubles  fonctionnels  qui 
constituent  à  proprement  parler  la  symptomatologie  de  la  paralysie  infantile 
spinale. 

Au  processus  morbide  qui  rapidement,  au  milieu  d'un  appareil  fébrile  plus 
ou  moins  accentué,  envahit  la  région  des  cellules  nerveuses  motrices  des  cornes 
antérieures  et  en  détruit  un  certain  nombre,  répond  une  paralysie  motrice 
plus  ou  moins  complète  du  membre  ou  des  membres  rattachés  anatomique- 
ment  et  physiologiquement  au  foyer  spinal  ;  cette  paralysie  est  souvent  dès 
l'origine  absolue,  complète,  marquée  par  une  flaccidité  considérable  des  par- 
tics;  en  ellet,  par  suite  de  la  destruction  des  centres  de  l'arc  diastaltique,  tous 
les  réflexes  spinaux,  y  compris  celui  qui  détermine  le  tonus  musculaire,  et  y 
compris  aussi  les  réflexes  tendineux,  cessent  rapidement  d'exister.  Cependant 
il  n'y  a  i)as  à  observer,  —  à  moins  d'anomalies  méritant  une  étude  à  part,  — 
de  troubles  de  la  sensibilité  soit  objectifs  soit  subjectifs  dans  les  membres 
aflectés  ;  la  seule  lésion  des  cornes  antérieures  ne  les  comportant  i)as:  fait  du 
reste  déjà  reconnu  depuis  longtemps  expérimentalement  par  les  expériences 


—  143  — 

(le  Brown-Sequard  et  autres,  et  confirmé  par  l'histoire  même  de  la  paralysie 
infantile,  Pas  de  troubles  vésicaux,  du  moins  dans  la  ivgl(*,  de  tr<jijbles  tro- 
phiques  cutani'îs  ou  sous-cutanés  pouvant  survenir  comme  conséquence  de  la 
pression  exercée  sur  les  parties,  et,  en  particuii<  r,  pas  d'escarres  à  la  région 
sacrée. 

Conformément,  à  peu  de  chose  près,  à  ce  qui  se  voit  dans  les  cas  de  section 
expérimentale  des  nerfs  moteurs,  d'importantes  modifications  des  réactions 
électriques  se  font  reconnaître  dès  le  quatrième  ou  cinquième  jour  sur  les 
muscles  le  plus  profondément  affectés  et  l'on  peut  en  suivre  alors  les  progrès 
jour  par  jour.  Dès  les  premiers  jours  le  mal  est  fait:  bientôt  survient  une 
période  de  réparation  pendant  laquelle  les  éléments  nerveux  et  musculaires 
qui  n'ont  été  que  molestés,  sans  être  décidément  compromis,  reviennent  pro- 
gressivement àFétat  normal.  Sur  les  membres  qui  ont  été  frappés  de  paralysie  il 
en  est  un  ou  deux  qui  se  dégagent  en  grande  [)artie  ;  si  un  seul  membre  a 
été  affecté,  un  ou  plusieurs  muscles  ou  groupes  de  muscles  reviendront  sur 
ce  membre  à  l'état  normal.  En  général,  cette  période  de  réparation,  de 
reconstitution  évolue  en  trois  ou  quatre  mois  ;  au  bout  de  six  mois,  et 
à  plus  forte  raison  au  bout  d'un  an,  il  n'y  a  presque  plus  rien  à  attendre 
du  traitement  le  mieux  conduit,  le  plus  méthodique^  quelques  exceptions 
à  cette  règle  pourraient  cependant  être  citées.  Il  est  éminemment  rare  en 
tout  cas,  que  survienne  une  guérison  absolument  complète  ;  même  dans  les 
exemples  les  plus  légers^  dans  ceux  où  l'altération  spinale  est  le  plus  limitée 
en  même  temps  et  le  moins  profonde,  quelques  muscles  ou  groupes  de  mus- 
cles resteront  en  général  définitivement,  à  tout  jamais  condamnés.  De  ce  côté 
encore,  toutefois,,  il  y  a  le  chapitre  des  exceptions  et  Ton  peut  citer  dans  ce 
groupe  les  observations  de  Kennedy,  celle  de  Frey  comme  des  exemples  fort 
rares  du  reste,  d'une  paralysie  infantile  spinale  terminée  par  une  vraie  guérison. 
J'ai  eu  l'occasion,  pour  mon  compte,  d'observer  dans  le  temps  un  fait  de  ce 
genre,  dans  lequel  la  paralysie  absolue,  complète  de  l'un  des  membres  infé- 
rieurs, subitement  développée  au  milieu  d'un  appareil  fébrile  à  la  vérité 
modéré,  chez  un  enfant  de  4  ans,  —  et  reproduisant  d'ailleurs  toute  la 
symptomatologie  de  la  téphro-my  élite  antérieure  aiguë, —  a  disparu  au  bout 
de  quatre  ou  cinq  jours  sans  laisser  de  traces.  N'allez  donc  pas  constamment, 
en  présence  d'un  cas  de  paralysie  spinale  infantile, annoncer  la  perte  totale  et 
nécessaire  de  quelques-unes,  au  moins,  des  fonctions  motrices  des  membres 
affectés;  attendez,  avant  de  rien  décréter,  que  quelques  jours  se  soient  écoulés 
et  que  le  moment  soit  venu  où  Télectro-diagnostic  qui,  dans  l'espèce,  pourrait 
être  dit  électro-pronostic,  vous  met  en  mesure  de  prononcer  en  dernier 
ressort. 

Au  bout  de  quatre  ou  cinq  mois,  le  processus  morbide  agressif  est  depuis 
longtemps  éteint,  et  le  processus  de  rétrocession  s'est  lui-même  arrêté.  C'est 
alors  qu'est  constituée  la  période  des  infirmités.  Le  membre  aftecté,  considé- 

21 


—  144  - 

rablement  atrophié,  amaigri,  s'il  s'agit  d'un  enfant,  s'arrête  dans  son  déve- 
loppement. La  peau  y  devient  habituellement  froide,  violacée,' couverte  d'une 
sueur  gluante  ;  il  s'y  produit  des  rétractions  par  prédominance  d'action  des 
muscles  les  moins  altérés  lesquelles  conduisent  aux  membres  inférieurs,  à  la 
production  des  pieds-bots  (pieds  bots  paralytiques)  etc.  Les  récidives  ne  sont 
pas  à  craindre,  cependant  il  ne  faut  jamais  oublier  qu'à  la  paralysie  infantile 
de  date  ancienne  correspond  nécessairement  une  lésion  scléreuse  et  cica- 
tricielle de  la  substance  grise  spinale,  lésion  indélébile  désormais,  toujours 
présente  et  que  nous  avons  plusieurs  fois  retrouvée  de  la  façon  la  plus  réelle 
chez  des  sujets,  qui  frappés  à  l'âge  d'élection,  avaient  atteint  parla  suite  un 
âge  très  avancé.  C'est  là  sans  doute  la  raison  qui  fait  que  quelquefois  chez  des 
sujets  devenus  infirmes  par  le  fait  de  la  paralysie  infantile,  on  voit  plus  ou 
moins  tardivement  se  développer  à  titre  de  complications,  ou  mieux  d'afiec- 
tions  secondaires,  diverses  lésions  médullaires  et  en  particulier  une  forme 
d'amyotrophie  spinale  progressive:  mais  c'est  là  un  sujet  dont  je  me  réserve 
de  vous  entretenir  dans  une  autre  occasion. 

Dans  l'esquisse  qui  précède  destinée  seulement  à  vous  rappeler  les  grands 
traits  de  l'évolution  normale,  si  vous  voulez,  de  la  paralysie  infantile  con- 
sidérée dans  son  type  vulgaire,  j'en  ai  dit  assez,  je  pense,  pour  que  nous 
soyons  actuellement  mis  en  mesure  de  faire  ressortir  convenablement  les 
particularités  intéressantes  des  deux  cas  qui  vont  passer  sous  vos  yeux. 

Mais  avant  d'en  arriver  là  je  voudrais,  en  passant, saisir  l'occasion  de  toucher 
à  un  point  fort  peu  discuté  encore,  relatif  à  l'étiologie  de  l'affection  qui  nous 
occupe.  J'ai  été  conduit  par  l'étude  des  antécédents  héréditaires  des  sujets 
frappés  de  paralysie  infantile,  à  penser  que  la  maladie  dont  il  s'agit,  repré- 
sente un  des  membres  de  la  grande  famille  neuropathologique;  quelques-uns 
des  documents  sur  lesquels  s'appuie  mon  opinion  ont  été  consignés  dans  la 
thèse  fort  intéressante  de  M.  le  D'"  Déjerine  (1).  Je  me  bornerai  ici  à  relever 
quelques  tableaux  de  famille  qui  me  paraissent  significatifs. 

Voici  d'abord  l'histoire  de  la  descendance  d'un  paralytique  général  (Voir  le 
tableau  ci-dessous)  : 

Grand-père  paternel 
Paralysie  générale  progressive 


Pkre 
Sain 


Mkre 
Saine 


Deux  enfants  ; 

1°  Fille  frappée  de  paralysie  infantile  à  Tâge  2*  Fille  frappée  de  paralysie  infantile  à  l'âge 

de  18  mois.  de  3  ans  1/2. 

i.  Uhéredité  dans  les  maladies  du  système  nerveux.  1886,  p.  204. 


—  145  — 

Je  n3lèverai  à  ce  propos  que  plusieurs  foi?  j'jii  vu  la  paralysie  générale  pro- 
gressive survenir  chez  des  sujets  qui  dans  l'enfance  avaient  été  atteints  de 
paralysie  infantile.  Le  cas  auquel  est  relative  la  figure  5  empruntée  au  2' vo- 
lume de  nos  Leçons  sur  les  maladies  du  système  nerveux  (t.  II,  fig.  5,  8, 
p.  ISl),  offre  précisément  un  exemple  de  ce  genre. 

Un  second  tableau  montrerait  la  paralysie  infantile  survenant  chez  le  des- 
cendant d'une  grand'tante  aliénée. 

Un  troisième  enlin,em[)runtéàlathèsedeM.  Déjerine,  montrerait  la  maladie 
frappant  lo  fils  d'un  paralytique  général  qui  comptait  dans  sa  famille  plu- 
sieurs aliénés,  une  hystérique  et  deux  sourds-muets. 

Je  pourrais  multiplier  ces  exemples  ;  je  me  bornerai  pour  le  moment  à 
exposer  un  dernier  tableau  qui  me  paraît  être  fort  instructif. 


COTE  PATERNEL 


Sœur  du  père 
Scrofule 


Cousin  germain 
Épileptique,  aliéné 


Père 
Épileptique 


1"  Fils 
M  étallophobie 
Agé  de  10  à  12  ans  ne  pou- 
vait toucher  un  objet  de  cui- 
vre, surtout  s'il  était  sale, sans 
éprouver  une  sensation  de 
dégoût  se  traduisant  par  des 
crachottemcnts. 


COTÉ  MATERNEL 

Grand'mère 

Plusieurs  accès  de  mélan- 
colie. 

Mère 
Tuberculeuse 


2«  Fils 
Kleptomane 

a.  Vers  l'âge  de  10  à  12  ans, 
ramassait  tous  les  objets  mé- 
talliques qu'il  pouvait  s'appro- 
prier et  les  accumulait  dans 
une  cachette. 

b.  Vers  Tàge  de  60  ans  ;  un 
accès  de  mélancolie  à  l'occa- 
sion d'uije  maladie  aiguë. 

II 

Sa  femme  issue  d'une  fa- 
mille goutteuse  est  goutteuse 
elle-même  (goutte  régulière 
occupant  les  gros  orteils). 

Un  fils  frappé  à  l'âge  de 
4  ans  d'une  paralysie  infan- 
tile spinale  typique. 


Ces  faits  tendent  évidemment  à  faire   reconnaître  la  paralysie   infantile 
comme  une  maladie  d'hérédité  nerveuse.  Mais  je  ne  puis  vous  laisser  ignorer 


—  146  — 

que,  par  contre,  certaines  observations  sembleraient  contredire  formellement 
cette  opinion.  C'est  ainsi  que  tout  récemment,  dans  le  Lyon  mrdkal  (jan- 
vier 1888),  M.  le  D""  Gordier  publiait  treize  observations  de  paralysie  infantile 
développée  dans  l'espace  de  deux  mois  seulement  (juin  et  juillet  1885),  dans 
une  population  qui  ne  dépasse  pas  1.500  âmes.  De  là  à  conclure  que  la  pa- 
ralysie infantile  est  une  maladie  infectieuse,  peut-être  contagieuse,  la  voie 
est  facile  aujourd'hui,  et  toute  tracée.  On  ne   saurait  s'y   engager  cependant 


Fig.  33.  —  Coupe  de  la  moelle  ù  la  région  cervicale  tUins  un  cas  de  paralysie  infantile  du 
nnembre  supérieur  droit.  —  Pièce  recueillie  à  la  Salpêtrière  chez  une  femme  morte  de  paralysie 
générale  à  l'âge  de  50  ans. 


sans  quelque  réserve,  car  en  somme  cette  très  curieuse  histoire  d'une  petite 
e'pidémie  de  paralysie  spinale  infantile,  constitue  encore,  à  l'heure  qu'il  est, 
un  épisode  absolument  isolé. 

J'en  viens  à  l'étude  de  nos  deux  malades;  le  premier  est,  comme  vous  le 
voyez,  un  gros  et  beau  gaiçon  d'apparence  vigoureuse;  il  est  âgé  de  11  ans. 
Il  a  été  admis  à  la  Salpêtrière  le  17  octobre  1888.  Il  appartient  à  une  famille 
de  paysans  normands,  malins  et  retors,  dont  nous  n'avons  pas  pu  tirer  grand' 
chose  relativement  aux  antécédents  héréditaires.  Nous  avons  appris  cependant 
ce  qui  suit,  et  ce  sont  là  incontestablement  des  aveux  intéressants.  Un  de  ses 
oncles  maternels  est  un  goutteux  émérite  ;  un  autre  oncle,  du  cùté  paternel 
cette  fois,  est  faible  d'esprit,  presque  idiot  ;  le  père  est  un  homme  excitable, 
très  emporté,  il  se  met  très  souvent  dans  d'afïreuses  colères  pendant  lesquelles 
il  ne  sait  plus  ce  qu'il  fait! 


—  147  — 

L'enfant  a  une  sœur  morte  en  Jjas  âge  qui  était  née  avec  une  sorte  de 
paralysie  d'un  des  membres  supérieurs,  probablement  d'une  paralysie  obsté- 
tricale. 

Lui,  n'avait  jamais  été  malade  et  raiï'ection  dont  il  souiïre  aujourd'hui  est 
attribuée,  à  tort  ou  à  raison,  par  tous  les  siens,  aux  fatigues  qu'il  s'est  donné 
à  Toccasion  de  la  fête  du  15  aont.  Quoi  qu'il  en  soit,  voilà  ce  qui  s'est  passé  : 
Le  16  août,  reniant  a  mal  à  la  Léte,  il  a  de  l'inappétence  ;  il  souffre  un  peu 
des  «  reins  »,  ce  qu'on  attribue  aux  exercices  gymnastiques  qu'il  avait  faits  la 
veille  et  qui  consistaient  surtout  à  renverser  le  tronc  en  arrière.  Sur  la  partie 
douloureuse  des  reins,  d'ailleurs,  la  mère  aurait  remarqué  la  présence  d'une 
tache  bleuâtre^  d'une  ecchymose?  Le  malade  est  resté  au  lit  toute  la  journée. 
Le  lendemain  il,  allant  mieux, il  est  sorti;  le  18,  continuation  du  mieux  ;  il  a 
pu  aller  communier.  Le  19,  le  mal  de  tête  reparaît  vers  le  soir  ;  l'enfant  a  des 
courbatures  dans  les  membres,  il  va  se  coucher  de  très  bonne  heure. 
La  nuit  du  19  au  20  a  été  fort  agitée,  il  y  a  eu  du  délire^  une  lièvre  vive  et 
le  lendemain  matin  lors  d'une  accalmie,  le  malade  voulant  aller  aux  cabinets, 
sentit  son  membre  inférieur  droit  fléchir  sous  lui  et  tomba  sur  le  parquet. 
La  fièvre  dura  trois  ou  quatre  jours  encore,  et  c'est  alors  que  commencèrent 
à  se  produire  dans  le  membre  paralysé  des  douleurs  extrêmement  vives 
paraît-il,  et  qui  ont  occupé  à  peu  près  le  trajet  du  nerf  sciatique  à  la  fesse  et 
sur  la  partie  postérieure  delà  cuisse;  la  région  surtout  douloureuse  est  encore 
aujourd'hui  marquée  par  les  traces  de  nombreuses  pointes  de  feu  qui  ont  été 
appliquées  à  plusieurs  reprises.  L'enfant  se  souvient  parfaitement  que  ces 
douleurs  qu'il  qualifie  d'atroces,  revenaient  par  accès  surtout  nocturnes  ; 
l'accès  durait  environ  dix  minutes,  elles  ont  persisté  pendant  quinze  jours  en 
tout.  Depuis  longtemps,  il  n'y  a  plus  sur  ces  régions  de  douleurs  spontanées; 
mais  même  encore  aujourd'hui,trois  mois  etdemi  après  le  début  del'aff'ection,  il 
existe  une  certaine  sensibilité  à  la  pression  sur  le  trajet  du  sciatique  (1)  entre 
le  trochanter  et  l'ischion.  L'existence  de  cette  douleur  méritait  certainement 
d'être  signalée,  messieurs,  parce  que,  dans  l'espèce,  elle  constitue  une  ano- 
malie. Dans  la  règle,  en  effet,  ainsi  que  je  le  faisais  remarquer  en  commen- 
çant;,  la  paralysie  infantile  paraît  évoluer  sans  s'accompagner  de  phénomènes 
douloureux,  autant  qu'on  en  puisse  juger,  toutefois,  chez  les  très  jeunes 
enfants  qui  ne  rendent  pas  compte  de  ce  qu'ils  éprouvent. 

Le  fait  est  que  ces  douleurs  qui  précèdent  quelquelois  de  quelques  jours  le 
début  delà  paralysie, et  quipersistent  parfois  cinq  ou  six  mois  après,  ainsi  que 
l'a  vu  M.  Seeligmuller, paraissent  être  relativement  plus  fréquentes,  lorsque  la 
maladie  frappe  les  adolescents  ou  les  adultes.  Elles  seraient  dues  en  tout  cas  à 


i.  On  ô  veille  dans  le  .membre  paralysé  un  peu  de  douleui'  par  la  pression  snr  les  points  sui- 
vants :  1°  Au  niveau  de  la  sortie  du  sciatique  au-dessous  de  l'échancrure  ;  2"  A  la  base  du  triangle 
de  Scarpa  et  au  niveau  de  l'émergence  du  nerf  crural  ;  3»  Un  peu  au-dessous  du  creux  poplité. 


-  148   - 

l'extension  du  foyer,  originellement  limité  dans  la  corne  antérieure,  aux 
régions  postérieures  de  la  substance  grise, et  peut-être  même, dans  certains  cas, 
à  l'invasion  des  méninges  et  des  racines  postérieures  des  nerfs.  C'est  sans  doute 
dans  des  conditions  analogues  que  se  produiraient  les  hypéreslhésies,  ou  au 
contraire^  les  anesthésies  plus  ou  moins  durables,  observées  dans  certains  cas 
et  dont  il  n'existe  d'ailleurs  pas  de  traces  chez  notre  petit  malade. 

A  part  ce  fait  de  la  présence,  à  un  moment  donné,  d'une  vive  douleur 
occupant  une  partie  du  membre  paralysé,  il  n'y  a  plus  rien  que  de  normal  à 
signaler  chez  notre  jeune  malade,  si  ce  n'est  toutefois  sur  un  point  que  je 
relèverai  tout  à  l'heure. 

La  paralysie,  à  l'origine,  ainsi  qu'on  l'a  dit,  était  complète  dans  le  membre 
inférieur  droit  où  elle  occupait  à  la  fois  les  muscles  qui  meuvent  la  hanche, 
ceux  qui  meuvent  le  genou,  ceux  enfin  qui  meuvent  l'articulation  tibio-tar- 
sienne;  aucune  autre  partie  du  corps  n'a  été  touchée:  mais  chose  remar- 
quable, et  c'est  là  justement  le  point  que  je  signalais  plus  haut,  presque  tous 
les  muscles  qui  ont  été  frappés,  l'ont  été  du  premier  coup,  au  plus  haut  degré, 
de  telle  sorte  que  l'on  pourrait  dire  qu'il  n'y  a  pas  eu,  à  proprement  parler, 
contrairementàlarègle,depériode de  rétrocession. Seuls, quelques  mouvements 
d'abduction,  d'adduction  et  de  circumduction  sont  redevenus  possibles  à  la 
hanche  vers  la  troisième  semaine.  Mais  la  reconstitution  n'a  pas  été  plus  loin  ; 
partout  ailleurs  l'impuissance  motrice  est  restée  complète, absolue. Le  membre 
est  aujourd'hui  flasque,  atrophié  (1),  les  réflexes  cutanés  et  tendineux  font 
complètement  défaut,  la  peau  du  membre  est  froide,  livide  surtout  à  la  jambe 
et  au  pied  et  couverte  d'une  sueur  gluante.  Le  pied  présente  un  léger  équi- 
nisme. 

Pour  ce  qui  est  des  réactions  électriques,  elles  sont  absolument  nulles  dans 
tous  les  muscles  de  la  cuisse,  de  la  jambe  et  du  pied  et  après  trois  mois 
de  tentatives  thérapeutiques  appropriées,  il  n'y  a  plus  guère  d'espoir  de 
voir  se  produire  quelque  retour  favorable.  La  période  d'infirmité  est  donc 
définitivement  constituée. 

Notre  second  malade  est  un  garçon  âgé  aujourd'hui  de  21  ans  et  qui  a  été 
admis  dans  nos  salles  il  y  a  environ  deux  ans. 

Il  était  âgé  de  19  ans  quand  il  a  été  frappé  de  la  maladie  dont  il  s'agit. Nous 
ne  lui  connaissons  pas  d'antécédents  héréditaires  dignes  d'être  signalés  ;  il 
raconte  seulement  que  son  père  est  éminemment  irascible,  violent  même.  Lui 
exerçait  la  profession  de  coupeur  en  souliers. 

Jamais  il  n'avait  été  malade  et  il  était  en  état  de  santé  parfaite,  lorsque  le 
4  septembre  1886,  sans  avoir  subi  l'intluence    d'aucune  cause    occasionnelle 


1.  11  y  a  entre  les  parties  correspondantes    des  deux  membres   inférieurs  des  différences  de 
un  centime  Ire  environ. 


—  w.)  - 

appréciable,  un  vcndiodi  dans  la  jouriii'e,  il  ressentit  des  frisso.is,  un  peu  de 
fièvre  et  secoucha.  Le  lendemain,  au  réveil,  on  constate  la  paralysie  corni)l«'te 
(lu  membre  inférieur  gauche  dans  sa  totalité.  Le  surlendemain  matin,  la 
fièvre  contiini;int  toujours^  bien  (pi'à  un  degré  modéré,  le  membre  inférieur 
gauche  a  été  pris  à  son  tour.  Lnfin,  le  quatrième  jour,  la  fièvre  paraît-il  était 
toml)éc  et  néanmoins,  ce  jour-là,  la  i)aialysie  s'est  étendue  au  membre  su- 
périeur droit.  Aucune  trace  de  douleurs.  Mais,  par  contre^  une  paralysie 
vésicale  dont  il  n'existe  plus  la  moindre  trace  s'est  produite  dès  Torigine  et  a 
exigé  l'emploi  du  cathéter  pendant  six  jours  ;  fait  anormal  dans  l'espèce  vous 
le  savez  et  qui  paraît  être  relativement  moins  rare  lorsque  la  paralysie  spinale 
frappe  les  adultes. 

La  période  de  rétrocession  a  commencé  au  bout  de  15  jours  ;  malheureuse- 
ment, le  membre  supérieur  droit  :  l'épaule,  le  coude  d'abord,  puis  la  main, 
s'est  seul  dégagé. 

Rien  de  semblable  ne  s'est  fait  sentir  dans  les  membres  inférieurs  qui, 
depuis  l'origine,  n'ont  pas  récupéré  un  seul  mouvement  soit  dans  les  hanches, 
soit  dans  les  autres  articulations. 

Inutile  de  dire  l'état  dans  lequel  se  trouvent  les  membres  inférieurs  pa- 
ralysés près  de  deux  ans  après  le  début;  flaccidité,  algidité  des  membres, 
absence  des  réflexes  de  tout  genre,  rien  n'y  manque  et  pour  ce  qui  est  de 
l'exploration  électrique,  elle  amontré  aux  cuisses  l'existence  d'une  réaction 
de  dégénérescence  très  nette  et  complète,  pour  la  plupart  des  muscles.  Les 
muscles  de  la  jambe  ne  répondent  plus  aux  excitations. 

Ici  encore  nous  avons  sous  les  yeux  un  cas  d'infirmité  indélébile. 


1M1\  NOlZlîTTE,  8,  RUK  CAMPAGNE-fREMllvRE,   PARIS. 


i 


Policlinique  du  Mardi  11  Décembre  1888 


HUITIEME  LEÇON 

l'^  Malade.    —  Cas    complexe.   —    Alaxie    locomotrice     et 

hystérie. 
2^  Malade.  —   Cas  complexe.    —   Hystérie  et    sclérose    en 

plaques. 

(A  propos  de  ces  deux  cas,  on  fait  ressortir  l'importance  pour  le  diagnostic 
de  l'étude  des  troubles  oculaires.) 

3^  Malade.  —  Chorée  molle  chez  un  enfant  de  12  ans.  — 
Hérédité  nerveuse. 


M.  CiiARCOT  :  Je  voudrais,  à  propos  du  cas  qui  va  vous  être  présenté,  rele- 
ver une  fois  de  plus  ce  grand  fait  nosologique,  que  même,  et  peut-être  surtout 
en  pathologie  nerveuse,  les  espèces  ou  types  morbides,  offrent,  dans  la  com- 
binaison de  leurs  caractères  cliniques  une  véritable  fixité,  une  originalité 
réelle  qui  permettra  à  peu  près  toujours,  de  les  reconnaître,  ou  de  les  séparer 
par  Fanalyse,  alors  même  que  plusieurs  de  ces  espèces  coexisteraient  sur  un 
même  individu  où  elles  peuvent  former  des  complexus  très  variés.  La  doc- 
trine que  nous  voudrions  faire  prévaloir  en  pareille  matière  est,  vous  le  savez 
par  ce  que  nous  avons  dit  maintes  fois  sur  ce  sujet,  que  les  complexus  noso- 
logiques  dont  il  s'agit  ne  représentent  pas  en  réalité  des  formes  hybrides, 
produits  variables  et  instables,  d'un  mélange^  d'une  fusion  intime,  mais  plu- 
tôt le  résultat  d'une  association,  d'une  juxtaposition  dans  laquelle  chacun  des 
composants  conserve  son  autonomie.  Et,  à  ce  propos,  je  vous  ferai  remar- 
quer, messieurs^,  qu'il  est  fort  heureux,  en  pratique,  que  les  choses  soient 
réellement  ainsi  ;  car  autrement,  comment  le  clinicien  pourrait-il  apprendre 
jamais  à  s'orienter,  au  milieu  de  groupes  symptomatiques  innombrables 
n'offrant  pas  de  cohésion  mutuelle,  et  toujours  prêts  au  changement,  à  la  mé- 
tamorphose ?  Je  compte  d'ailleurs,   messieurs,    m'attacher    désormais  dans 

22 


~  152  — 

nos  leçons  à  l'étude  de  ces  cas  complexes  espérant  y  trouver  l'occasion  de 
vous  bien  convaincre  que  le  déterminisme  règne  dans  le  domaine  des  asso- 
ciations d'espèces  morbides,  tout  aussi  bien  que  partout  ailleurs  en  patho- 
logie. 

L'examen  de  notre  malade  d'aujourd'hui  nous  permettra  aussi  de  vous 
montrer  l'importance  fondamentale,  —mille  fois  proclamée  déjà  du  reste  et  à 
juste  titre,  — des  études  d'ophthalmologie  méthodique  pour  Télucidation  d'un 
très  grand  nombre  de  problèmes  attenant  à  la  pathologie  nerveuse,  surtout 
en  ce  qui  concerne  le  diagnostic  et  le  pronostic. 


V'  Malade. 


{Une  malade  est  introduite  dans  la  salle  de  cours.)  Il  s'agit^  vous  le  voyez 
d'une  femme  déjà  âgée  ;  elle  a  58  ans  ;  elle  exerce  depuis  très  longtemps  la 
profession  de  domestique  ;  elle  va  nous  faire  '  connaître  elle-même  en  répon- 
dant aux  questions  que  je  vais  lui  adresser  devant  vous,  les  principales 
phases  de  sa  maladie. 

A  la  malade  :  Veuillez  nous  parler,  je  vous  prie  des  premières  douleurs  que 
vous  avez  éprouvées. 

La  malade  :  Vous  voulez  parler  de  1876  ? 

M.  Charcot  :  C'est  cela  même  ;  vous  aviez  alors  4G  ans  je  crois  ? 

La  malade  :  Oui  monsieur  ;  c'est  le  commencement  de  mon  mal  ;  j'ai  eu 
alors  d'atroces  douleurs  dans  le  dos  ;  cela  est  venu  tout  d'un  coup,  un  beau 
jour  je  ne  sais  pourquoi  ;  mon  dos  était  sensible  partout  comme  si  j'avais  ou 
un  vésicatoire  à  vil"  :  on  ne  pouvait  me  touclicr  même  légèrement,  même  et 
surtout  en  frôlant,  sans  provoquer  une  douleur  afireuse. 

M.  Charcot  :  Peut  être  même  que  là  une  forte  pression  eût  été  moins  dou- 
loureuse que  le  frôlement  ? 

La  malade  :  Je  ne  saurais  vous  dire, monsieur  ;  mais  c'était  comme  une  cein- 
ture de  feu  qui  m'enveloppait  et  j'avais  bien  peur  (pi'on  ne  me  touchât. 

M.  Charcot  :  Dans  quelle  partie  du  dos  siégeait  cette  douleur  ?  y  avait-il  des 
élancements  suivis  de  calme^  ou  était-ce  tout  à  fait  continu  ? 

La  malade  :  Je  ne  puis  préciser  ;  la  douleur,  il  me  semble,  était  i)artout  dans 


—  153  — 

le  dos.  11  y  avait  dos  élancements  c'est  vrai  ;  mais  jamais  d'inten^alles  de 
repos  ;  cela  brûlait  toujours  affreusement  nuit  et  jour. 

M.  r/ia/To^  .-Remarquez,  messi(!urs,  cette  rachialgie  avec  hypéresthésie 
extrême,  n'admettant  i)as  le  moindre  frôlement,  donnant  ii  la  malade  l'idée 
d'un  vésicatoire  à  vif.  Voilà  un  phénomène  qui  ne  se  voit  guère,  ainsi  que  je 
vous  l'ai  fait  remarquer  souvent,  que  dans  deux  affections  en  apparence  fort 
éloign('CS  l'une  de  l'autre,  à  savoir  Tataxie  locomotrice  et  l'hystérie.  S'agit-il 
ici  de  l'une  ou  de  l'autre  ?  Avant  de  rien  décider  laissons  parler  les  faits. 

A  In  malade  :  Combien  de  temps  cette  douleur  a-t-elle  duré  ? 

La  malade  :  Quatre  jours,  monsieur,  après  cela  la  grande  douleur  s'est 
apaisée  ;  mais  pendant  bien  longtemps  encore,  je  prenais  toutes  les  précau- 
tions possibles  pour  qu'on  ne  me  touchât  pas  le  dos.  Quand  on  ne  me  touchait  pas 
je  ne  souffrais  plus  beaucoup,  mais  quand  on  me  touchait  le  dos,  mrme 
légèrement,  c'était  affreux.  Gela  a  duré  encore  ainsi  pendant  quelques  jours  ; 
durant  ce  temps-là,  je  me  tenais  raide,  toute  d'une  pièce,  afin  de  ne  pas  mou- 
voir mon  dos  ;  couchée  dans  mon  lit  c'était  la  même  chose  :  je  me  tenais  raide 
et,  je  me  tournais  d'une  pièce  afin  de  ne  pas  frotter  mon  dos  sur  le  lit  ou  le 
heurter. 

Quelques  jours  après,  le  mal  a  un  peu  changé  ;  il  me  semblait  que  j'avais 
une  ceinture  qui  me  serrait  le  corps  et  j'ai  toujoursgardé  depuis  .plus  ou  moins, ce 
sentiment  de  constriction.  Il  existe  toujours  un  peu  et  augmente,  de  temps  en 
temps,  par  moments. 

M.  C/mrco^;  Veuillez  remarquer,messieurs, cette  «  installation  définitive  » 
des  douleurs  en  ceinture  :  cela  est  fort  significatif  dans  l'espèce.  Vous  allez 
voir  maintenant  les  divers  symptômes  de  la  maladie  dont  il  s'agit  dans  ce 
cas,  apparaître  successivement  non  pas  tout  à  fait  dans  l'ordre  classique,  mais 
avec  une  allure  cependant  suffisamment  caractéristique  ;  et  d'ailleurs 
la  plupart  des  épisodes  qui  vont  se  dérouler  l'un  après  Pautre  devant  vous 
chronologiquement,  même  si  vous  les  considérez  individuellement,  sans  tenir 
compte  de  leur  relation  mutuelle,  vous  apparaîtront  avec  une  physionomie 
assez  spécifique  pour  que  vous  soyez  en  mesure  bientôt  de  formuler  dans 
votre  esprit  le  diagnostic. 

Je  me  suis  assuré,  messieurs,  qu'avant  cette  douleur  du  dos  dont  elle  vient 
de  nous  donner  la  description,  Une  s'était  produit  chez  elle  aucun  symptôme 
qui  mérite  d'être  relevé  pour  le  moment.  C'est  donc  l'invasion  de  cette 
rachialgie  épouvantable,  dont  elle  conserve  encore  le  souvenir  poignant,  et 
dont  la  durée  n'a  pas  dépassé  quatre  jours,  qui  a  marqué  le  début  de  l'affec- 
tion. 

A  la  malade  :  Parlez-nous  de  ce  qui  s'est  passé  après  la  douleur  du  dos. 

La  malade  :  Quelques  jours  après,  j'ai  commencé  à  ressentir  d'affreuses 
douleurs  pareilles  à  celles  que  j'avais  eues  dans  le  dos,  dans  les  pieds  et  les 
jambes  d'abord,  puis  dans  les  bras  et  les  mains,  et  un  peu  partout. 


—  154  — 

M.  Charcot  :  Voyons,  ne  mêlons  pas  tout,  procédons  par  ordre;  parlez-moi 
d'abord  des  douleurs  des  jambes,  puisqu'elles  sont  les  premières  en  date, 
voulez-vous  nous  dire  quel  genre  de  douleur  c'était  ;  les  éprouvez-vous 
encore  aujourd'hui  quelquefois,  ces  douleurs  ? 

Lamalade  :  Non,  monsieur,  je  ne  les  ai  pas  aujourd'hui,  mais  je  les  ai  res- 
senties encore  il  y  a  deux  ou  trois  jours. 

M.  Charcot  :  Eh  bien  !  c'est  cela  que  je  veux  dire  :  vous  les   avez  encore  de 
temps  en  temps  ;  elles  sont  pareilles  à  ce  qu'elles  étaient  autrefois  ? 
La  malade  :  Oui,  monsieur,  tout  à  fait. 

M.  Charcot  :  Par  conséquent,  vous  les  connaissez  bien  et  vous  pourrez  nous 
les  décrire  ? 

La  malade  :  Ohl  monsieur,  ce  sont  des  douleurs  tout  à  fait  pareilles  à  celles 
que  j'ai  eues  dans  le  dos.  Il  me  semblait  que  dans  les  pieds,  dans  les  jambes, 
dans  les  cuisses,  on  me  donnait  par-ci  par-là,  des  coups  de  couteau  ;  ou  bien 
j 'avais  les  jambes  traversées  par  des  lames  de  feu  ;  cela  me  partait  dans  les 
genoux,  dans  les  doigts  de  pieds,  quelquefois  dans  les  talons  et  aussi  dans  les 
mollets  et  dans  les  cuisses.  Quelquefois  il  me  semble  que  les  douleurs  se 
rejoignent. 

M.  Charcot  :  Vous  m'avez  dit  que  ces  douleurs,  vous  les  ressentiez  encore 
aujourd'hui  ;  naturellement,  il  y  a  des  temps  où  vous  ne  les  sentez  pas.  Donc 
elles  reviennent  par  accès  de  temps  en  temps  ;  combien  de  temps  durent  les 
accès  de  douleurs  ? 

La  malade  :  Monsieur  cela  dure  habituellement  pendant  quatre  ou  cinq 
jours,,  jour  et  nuit,  surtout  la  nuit  ;  il  y  a  maintenant  douze  ans  que  cela 
dure. 

M.  Charcot  :  Sont-elles  aussi  fortes  maintenant  qu'autrefois  ? 
Z.«  ma/ac?^  ;  Oui,  monsieur,  à  peu  près;   il  n'y  a  pas    longtemps,  je    suis 
restée  huit  jours  sans  dormir,  à  cause  des  douleurs. 

M.  Charcot  :  Et  les  coups  de  couteaux,  sur  le  point  où  vous  les  avez  res- 
sentis, la  peau  devient-elle  très  sensible,  douloureuse  au  moindre  frôlement? 
La  malade  :  Monsieur,  c'est  tout  à  fait  la  même  chose  que  ce  que  j'ai 
éprouvé  dans  le  dos.  Quand  les  douleurs  sont  apaisées,  la  peau  devient  extrê- 
mement sensible;,  je  ne  puis  pas  y  toucher  et  même  quand  je  n'y  touche  pas 
je  soufîre  encore  d'un  sentiment  de  brûlure.  Il  me  semble  que  mes  jambes 
sont  dans  un  brasier. 

M.  (liarcot  :  Vous  êtes  sure  qu'il  y  a  des  intervalles  parfaitement  libres 
pendant  lesquels  vous  ne  soutirez  pas  du  tout? 

La  malade  :  Oui  monsieur,  certainement  :  ainsi  aujourd'hui  je  me  sens  par- 
faitement bien  ;  je  n'éprouve  aucune  espèce  de  douleur;  mais  elle  reviennent 
tous  les  dix,  douze  ou  quinze  jours,  sans  grande  rép^ularité,  depuis  douze 
ans. 

M.  Charcot  :   Veuillez   retenir    ceci,    messieurs  :  les   douleurs   ressenties 


—   loo  

autrefois  dans  le  dos,  elle  les  a  éprouvées  un  pou  plus  tard  dans  les  membres 
inférieurs  où  elles  se  sont  montrées  avec  les  mêmes  caractères,  mais  sous 
forme  de  crises  qui  n'ont  pas  cessé  de  se  reproduire  depuis,  de  temps  à  autre. 
Ce  sontlàdéjà  des  faits  fort  significatifs  et  trèscertainement  plusieurs  d'entre 
vous  ont  deviné  de  quoi  il  s'agit.  Mais  poussons  plus  avant. 

A  la  malade  :  Vous  nous  avez  dit  tout  à  l'heure  que  les  douleurs  des  mem- 
bres inférieurs  ont  plus  tard  envahi  les  avant-bras  et  les  mains  ? 

La  malade:  Ouï,  monsieur,  mais  cela  s'est  fait  bien  longtemps  après,  au 
bout  de  quatre  ou  cinq  ans,  peut-être. 

M,  Charcoi  :  Pouvez-vous  nous  dire  précisément,  où  les  douleurs  siègent 
dans  les  mains;  d'abord,  existent-elles  dans  les  deux  mains? 

La  malade  :  Oui^  dans  les  deux  mains,  mais  jamais  dans  les  deux  à   la  fois. 
M.  Charcot  :  Et  comment  sont  les  douleurs  dans  les  mains  ?  sont-elles  aussi 
fortes  que  dans  les  jambes?  montrez  exactement  où  elles  siègent. 

La  malade  montre  l'extrémité  inférieure  du  bord  cubital  de  l'avant-bras, 
l'éminence  hypothénar  et  le  petit  doigt.  —  Voilà,  dit-elle,  où  je  les  ressens, 
mais  là,  elles  ne  sont  pas  aussi  vives  que  lorsque  je  les  ai  dans  les  jambes  ; 
du  reste,  ce  sont  aussi  de  grands  élancements. 

M.  Charcot  :  Ressentez-vous  habituellement  un  engourdissement  dans  les 
deux  derniers  doigts  des  mains? 

La  malade:  Oui,  monsieur,  mais  non  constamment,  je  les  ressens  seule- 
ment de  temps  à  autre. 

M.  r/mrco^;  J'ai  eu  bien  des  fois  l'occasion  d'appeler  votre  attention  sur 
ces  engourdissements,  sur  ces  douleurs  fulgurantes,  localisés  dans  le  domaine 
cubital,  occupant  le  plus  souvent  symétriquement  les  deux  mains,  mais  pou- 
vant, pendant  longtemps,  se  montrer  d'un  seul  côté,  sur  une  seule  main.  Cela 
peut  constituer,  en  somme,  un  incident  morbide  presque  caractérisque  et 
fort  important  à  relever,  dans  certains  cas  par  exemple,  où  les  douleurs  ful- 
gurantes ne  se  sont  pas  montrées  encore  dans  les  cuisses,  les  pieds  ni  les  jam- 
bes. Il  est  possible,  en  effet,  que  ces  douleurs  fulgurantes  du  domaine  cubi- 
tal précèdent  de  plusieurs  années  celles  qui,  dans  la  règle  ordinaire,  appa- 
raissent dès  le  début  dans  les  membres  inférieurs.  Vous  comprendrez  par  là 
que  l'existence  précoce  des  douleurs  cubitales  associées  à  quelques  autres 
symptômes  de  la  série,  tels  que  la  diplopie  par  exemple  ou  la  parésie  vésicale, 
puisse  permettre  de  fixer  le  diagnostic  à  une  époque  où  la  maladie  en  est 
encore  à  ses  premiers  commencements.  Il  y  a  bien  longtemps,  messieurs,  que 
je  me  suis  efforcé  d'appeler  l'attention  sur  cet  ordre  de  faits  ;  mes  premières 
études  à  cet  égard  remontent  en  effet  à  l'année  1872.  {Maladies  du  système  ner- 
veux, t.  11,1°  2°  3^  et  ¥  leçons.)  Mais  nous  allons  rencontrer  maintenant,  dans 
l'histoire  de  notre  malade,  un  autre  syndrome  souvent  précoce  et  également 
fort  caractérisque  que  j'ai  décrit  dans  ces  mêmes  leçons,  auxquelles  je  viens 
de  faire  allusion  et  que  j'avais  signalé  d'ailleurs,  dès  1868_,  dans  la  thèse  d'un 


—  156  — 

de  mes  élèves,  M.  Dubois.  Ce  syndrome  a  fait,  chez  notre  malade,  son  appari- 
tion en  1882,  il  y  a  six  ans  de  cela,  six  ans  après  celle  des  douleurs  fulgurantes. 

A  la  malade  :  Contez-nous  l'histoire  de  ces  vomissements  dont  vous  m'avez 
parlé  bien  des  fois. 

La  malade  :  Monsieur_,  je  vous  l'ai  dit,  ce  sont  les  douleurs  des  membres  qui 
déterminent  ces  vomissements.  Quand  j'ai  ces  douleurs,  je  vomis  ;  je  ne 
vomis  pas  quand  je  n'ai  pas  de  douleurs. 

M.  Çharcot:  Est-ce  des  douleurs  dans  le  dos  ou  dans  les  jambes  dont  vous 
parlez  ? 

La  malade  :  Je  n'ai  plus  souvent  de  douleurs  dans  le  dos,  bien  que  mon  dos 
soit  encore  souvent  sensible  au  moindre  attouchement  ;  mais  c'est  des  dou- 
leurs des  jambes  dont  je  parle  ;  ce  sont  ces  douleurs  qui  souvent  occasionnent 
mes  vomissements. 

M.  Chaixot  :  Elle  veut  dire  que  l'apparition  des  vomissements  coïncide  avec 
celle  des  crises  de  douleurs  fulgurantes  dans  les  membres. 

Je  ne  vous  ferai  pas  l'injure,  messieurs,  de  suspendre  plus  longtemps  le 
diagnostic  ;  tous  vous  avez  compris,  depuis  longtemps  déjà  certainement,  que 
c'est  Tataxie  locomotrice  progressive  qui  est  en  jeu  ici  ;  et  les  vomissements 
par  accès  dont,  en  ce  moment,  nous  parle  notre  malade  ne  sont  pas  autre 
chose  que  les  fameuses  «  crises  gastriques  »  qui,  ainsi  que  je  l'ai  fait  remar- 
quer, il  y  a  quinze  ou  seize  ans,  figurent  souvent,  dans  la  période  aujourd'hui 
dite  préataxique,  parmi  les  symptômes  les  plus  précoces. 

A  la  malade  :  Souffrez-vous  dans  l'estomac  quand  vous  vomissez  ?  qu'est-ce 
que  vous  vomissez  ? 

La  malade  :^e  vomis  de  l'eau  et  des  glaires  :  rien  ne  peut  arrêter  les  vomis- 
sements, cela  dure  de  une  heure  à  dix  ou  douze  heures.  Je  ne  peux  rien 
prendre  pendant  ce  temps-là:  je  vomis  tout.  Mais  quand  c'est  fini,  j'ai  pres- 
que aussitôt  après  l'idée  de  manger.  Dans  l'estomac,  je  ne  souffre  que  des 
efforts  que  je  fais  ;  c'est  dans  les  membres  que  j'ai  des  douleurs. 

M.  Charcot  :  Est-ce  que  vous  avez  souvent  ces  crises  de  vomissements  ? 

Lm  malade:  ie  les  ai  maintenant  beaucoup  plus  rarement  qu'autrefois  et 
elles  sont  beaucoup  moins  fortes  que  dans  le  temps.  Autrefois,  elles  me  reve- 
naient presque  régulièrement  tous  les  trois  ou  quatre  mois. 

M.  Charcot  :  Remarquez,  messieurs,  cette  sorte  de  périodicité  des  crises  gas- 
triques; elle  est  quelquefois  très  frappante  et  pourrait  déjà  par  elle-même, 
dans  certains  cas,  contribuer  au  diagnostic.  Mais  je  n'insisterai  pas  plus  lon- 
guement sur  l'histoire  de  ces  crises  gastriques  :  c  est  un  sujet  qui  mérite  une 
étude  toute  spéciale  et  sur  lequel  nous  aurons,  sans  doute,  l'occasion,  quelque 
jour,  de  nous  arrélei  avec  insistance. 

Je  continue  la  série  de  nos  investigations.  Nous  savons  désormais  dans 
quelledirection  celles-ci  doivent  être  dirigées.  Nous  en  avons  fini, sans  doute, 
avec  ceux  des  symptômes  initiaux  dont  la  malade,  en  évoquant  ses  souvenirs, 


—  157  — 

peut  nous  rendre  compte  actuellement,  ainsi  que  je  vous  le  ferai  reconnaître 
dans  un  instant.  La  période  préataxique  est  close.  L'incoordination  motrice 
est  devenue  manifesta  dans  les  membres  inférieurs  ;  peut-élni  nous  sera-t-il 
donné  de  déterminer,  approximativement,  répucpic  k  la(iuelle  elle  a  commencé 
à  se  manifester. 

A  la  maladfi  :  Daimia  quand  avez-vous  remarqué  qu'il  vous  était  devenu  diffi- 
cile de  niiircher  ? 

La  malade  :  il  y  a  quatre  ans  que  j'ai  commencé  à  m'apercevoir  que  je  ne 
pouvais  pas  bien  marcher  dans  l'obscurité  ;  même  le  jour,  dans  ce  temps-là 
il  m'était  difficile  de  descendre  un  escalier  ;  j'éprouvais  alors  comme  un  sen- 
timent de  vertige  qui  me  faisait  craindre  d'être  précipitée  dans  le  vide.  De 
temps  en  temps  mes  jambes  fléchissent  tout  à  coup,  même  sans  douleurs^  au 
niveau  du  jarret  et  je  suis  menacée  de  tomber  par  terre. 

M.Charcot  :  C'est  là  vous  le  savez,  ce  que  quelques  auteurs  anglais  appellent 
du  nom  de  «  giving  ivaij  of  tfie  legs  ».  Nous  l'appelons,  nous,  *  l'effondrement 
des  jambes  ». 

A  la  malade:  Voulez-vous  vous  lever,  s'il  vous  plaît^  et  vous  tenir  un  instant 
debout  ?  Fermez  les  yeux  tout  à  coup  :  vous  le  voyez,  les  yeux  fermés,la  malade 
oscille  et  menace  de  choir;  c'est  là  ce  qu'on  appelle  le  signe  de  Romberg. 

M.  Charcot  prie  la  malade  de  marcher  ;  elle  fait  quelques  pas  devant  l'au- 
ditoire. 

—  La  démarche,  remarquez-le  bien,  ne  répond  pas  au  type  classique  ;  la 
malade  ne  progresse  pas  en  lançant  ses  pieds  en  avant,  ceux-ci  retombant 
avec  bruit  sur  le  sol  à  chaque  pas,  elle  marche  au  contraire  à  petits  pas  et 
comme  en  titubant.  Il  reste  beaucoup  à  faire  sur  les  variétés  de  la  démarche  tabé- 
tique.  Les  infractions  à  la  règle  sont  chose  fréquente  en  pareil  cas  ;  elles  n'ont 
pas  encore  été  l'objet  d'une  analyse  minutieuse.  Vous  remarquerez,  en  outre 
qu'ici,  presque  à  chaque  pas,  il  y  a  une  esquisse  du  dérobement  des  jambes 
dont  je  parlais  tout  à  l'heure  (giving  way  of  the  legs),  de  telle  sorte  qu  il 
semble  à  chaque  instant  que  la  malade  va  s'affaisser  sur  elle-même  ;  cela 
imprime  à  la  démarche  une  allure  sautillante  qui  n'est  point  chose  vulgaire. 
La  malade  étant  assise  de  nouveau,  on  constate  que  les  réflexes  rotuliens 
sont  absents  et  que  la  forée  de  résistance  des  diverses  parties  des  membres 
inférieurs  aux  divers  mouvements  qu'on  veut  leur  imprimer,  n'est  pas  nota- 
blement diminuée. 

A  la  malade  :  Vous  urinez,  je  crois^  difficilement;  depuis  quand? 
La  malade  :  Depuis  trois  ou  quatre  ans  peut-être,  je  suis  forcée  de  pousser 
pour  uriner  et  l'urine  ne  sort  que  par  saccades.  J'ai  aussi  depuis  ce  temps-là 
une  grande  constipation.  Il  m'est  arrivé  quelquefois  d'uriner  dans  mon  lit. 

M.  Charcot:  11  me  reste,  pour  terminer  cette  énumération  des  symptômes 
tabétiques,  à  vous  faire  connaître  les  résultats  qu'a  donnés  chez  notre  malade 
l'examen  des  fonctions  oculaires.  En  premier  lieu,  on  relève  que  les  pupilles 


—  158  — 

sont  inégales  et  qu'elles  sont  à  peine  affectées  quand  on  les  soumet  à  une  vive 
lumière,  ainsi  que  quand  l'œil  est  placé  dans  l'obscurité.  Les  pupilles  se 
contractent  au  contraire  comme  dans  les  conditions  normales,  dans  l'acte 
d'accommodation  pour  une  courte  distance.  (Signe  d'Argyll  Robertson).  Voici 
donc,  de  ce  côté,  un  nouveau  symptôme  tabétiquc,  d'ailleurs  fort  vulgaire  «'ans 
l'espèce. 

Je  vais  maintenant  insister  sur  un  détail  dont  nous  a  fait  part  la  malade  et 
dont  il  était  fort  intéressant  de  vérifier  l'exactitude  :  elle  nous  assure  qu'il  y  a 
trois  ou  quatre  ans,  dans  un  hôpital  où  elle  a  été  admise  comme  ataxiquo, 
alors  qu'elle  s'était  plainte,  que,  depuis  plusieurs  mois,  la  vision  avait 
baissé  remarquablement  dans  l'œil  droit,  un  médecin  avait  déclaré  à  la  suite 
d'un  examen  ophthalmologique  attentif,  qu'elle  était  atteinte  d'une  atrophie 
du  nerf  optique  de  ce  côté.  Rien  de  plus  naturel,  rien  de  moins  imprévu, 
incontestablement^  que  l'existence  d'une  atrophie  progressive  du  nerf  optique 
dans  le  tabès.  Il  y  avait  lieu  de  s'étonner  seulement  qu'après  cinq  ans,  l'autre 
œil  ne  fût  pas  affecté  à  son  tour.  Car,  dans  l'immense  majorité  des  cas,  l'atro- 
phie progressive  des  nerfs  optiques  dans  le  tabès,  aboutissant  en  dernier 
terme  à  la  cécité,  marche  plus  rapidement  que  cela. 

Quoiqu'il  en  soit,  procédant  à  l'examen  ophtalrnoscopique  de  l'œil  incri- 
miné chez  notre  malade,  —  cet  examen  a  été  fait  par  M.  le  D'  Parinaud,  — 
nous  n'avons  pas  été  peu  étonnés  de  reconnaître  que  dans  cet  œil-là  comme 
dans  l'autre,  du  reste,  la  papille  était  parfaitement  normale.  Il  y  avait  donc 
eu,  dans  le  temps,  erreur  dans  le  diagnostic. 

Par  contre,  procédant  méthodiquement  et  sans  parti  pris  à  l'examen  des 
diverses  fonctions  visuelles,  voici  quel  a  été^  chez  notre  sujet,  le  résultat  de 
l'examen  : 

l**  Il  existe  une  diminution  réelle,  mais  assez  peu  prononcée  de  l'acuité 
visuelle  du  côté  droit.  Mais  celle-ci  n'est  pas  la  conséquence  d'une  lésion 
atrophique  du  nerf  optique  correspondant,  puisque,  ainsi  que  nous  l'avons  dit, 
Paspectde  la  papille  de  ce  côté  présente  les  caractères  de  l'état  normal. 

2°  Les  pupilles  sont  inégales,  le  réflexe  lumineux  y  fait  défaut  tandis  que  les 
réflexes  de  la  convergence  persistent  (Signe  d'Argyll  Robertson).  Voilà  cette 
fois  un  phénomène  tabétique  déjà  signalé  plus  haut  d'ailleurs. 

3°  Dyschromatopsie  dans  les  deux  yeux  pour  le  vert  et  pour  le  bleu,  la 
malade  au  contraire  perçoit  le  rouge  parfaitement. 

Ceci  n'est  pas,  remarquez-le  bien,  un  pliénoniène  tabétique  ;  les  malades 
atteints  d'amaurose  tabétique,  lorsqu'ils  deviennent  achromatopsiques,  per- 
dent la  notion  du  vert  et  celle  du  rouge  :  le  jaune  et  le  bleu  sont  perçus  en 
général  pendant  fort  longtemps  encore  alors  que  déjà  la  perception  des  doux 
premières  couleurs  a  cessé  d'exister.  D'après  les  nombreuses  observations  que 


—  159  — 


nous  avons  été  à  même  de  faire  à  la  Salpêtrière  sur  une  grande  échelle,  depuis 
[)lusieurs  années,  M.  Parinaud  et  moi,  ce  n'est  guère  (jue  dans  l'hystérie  qu'on 
voit  la  notion  du  rou,i'(!  persistei"  seule,  colle  des  autres  couleurs  îiyant  disparu. 

Y  aurait-il  donc,  chez  notre  malade,  complication  d'hystérie? 

4°  L'examen  campinnHiifiue  fournit  à  cet  (îgai-d  des  résultats  à  peu  près  dé- 
cisifs. 11  existe  chez  notre  malade  un  rétrécissement  du  champ  visuel  portant 
sur  les  deux  yeux,  régulièrement  concentri([ue,  plus  prononcé  à  droite  qu'à 
gauche  (Fig.  34.)  Ceci  encore  est  un  symptôme  liystériijue  presque  univoque 


D 


G 


?o   Nas  9oj 


Fiy.  34.-5  décembre  1888. 

pour  peu  qu'il  soit  bien  établi.  Nous  nous  sommes  plusieurs  fois  assuré  qu'il 
s'agit,  dans  notre  cas,  d'un  rétrécissement  permanent  ;  on  sait  que  dans  l'am- 
blyopie  tabétique  liée  à  l'atrophie  progressive  des  nerfs  optiques,  il  y  a  aussi 
rétrécissement  du  champ  visuel,  mais  c'est  d'un  rétrécissement  inégal,  à  bords 
dentelés  qu'il  s'agit  alors  etnond'unrétrécissementrégulièrement  concentrique. 

La  présence  d'un  élément  hystérique  chez  notre  malade  n'est  donc  guère 
douteuse. 

5°  Elle  est  encore  démontrée  par  le  fait  suivant  :  il  y  a  dans  les  deux  yeux 
diplopie  monoculaire,  en  môme  temps  que  macropsie.  Vous  connaissez  la  va- 
leur diagnostique  de  ces  faits-là  établie  parles  recherches  de  M.  Parinaud  (i). 

Le  résultat  de  ces  investigations  ophthalmologiques  nous  a  donc  conduit 


1.  11  exisLe  en  outre,  chez  celle  malade  une  paralysie  conjuguée  des  muscles  oculaires  dans 
les  mouvements  vers  la  droite,  avec  diplopie  homonyme.  C'est  encore  un  symptôme  qu'il  n'est 
pas  rare  de  rencontrer  dans  rhystéric. 

'2:\ 


~  160  —^ 

au  résultat  important  que  voici  : — Tout  n'est  pas  tabétique  chez  notre  malade; 
l'hystérie  est  là,  présente, il  s'agit  de  lui  accorder  dans  le  complexus  morbide, 
la  part  qui  lui  revient  légitimement. 

La  voie  des  investigations  cliniques  était  désormais  toute  tracée. 

L'examen  de  la  sensibilité  cutanée  a  fait  constater  la  présence  d'une  hémia- 
nalgésie droite  (Fig.3r)).Le  goût  du  côté  droit  de  la  langue  esta  peu  près  com- 


Fii 


})lètemcnt  aboli.  Ovarie  des  deux  côtés,  surtout  prononcée  à  droite. 

En  remontant  dans  le  passé,  on  apprend  que  M...guon  a  commencé  en 
18S^,  c'est-à-dire  cinq  ans  après  l'apparition  des  douleurs  fulgurantes  tabéti- 
tiques,  a  éprouver  ce  qu'elle  appelle  ses  crises  nerveuses.  Ces  crises  ont  persisté 
jusqu'à  ce  jour. 


—  161  — 

Voi(;i  lîi  description  qu'elle  on  donne  :  c'est  d'abord  un  certain  malaise  dont 
elle  ne  se  rend  pas  bien  com[)te,  mais  où  domine  un  sentiment  de  tristesse  ; 
puis  surviennent  des  battements  intenses  au  creux  épigastrique  d'où  part 
bientôt  la  sensation  de  «  quebiue  chose»  qui  monte  dans  la  gorge  et  «  l'étran- 
gle ».  Des  cris,  des  sanglots,  l'émission  de  larmes  abondantes  terminent  la 
scène.  Pas  de  perte  de  connaissance  ;  pas  de  mouvements  convulsifs  dans  les 
membres.  Ces  crises,  autrefois,  revenaient  tous  les  mois  environ.  Elles  se 
sont  dans  ces  derniers  temps  rapprochées  sans  changer  de  caractère. 

Lorsque,  en  dehors  des  crises,  on  exerce  une  pression  surla  région  ovarienne 
droite,  la  malade  ressent  ces  mêmes  battements  épigastriques,  cette  même 
sensation  d'un  corps  étranger  remontant  vers  la  gorge,  qu'elle  décrit  à  propos 
de  ses  crises  spontanées. 

Voilà  une  description  qui  certes  n'a  pas  besoin  de  commentaires  :  elle 
ne  permet  pas,  en  tout  cas,  de  confondre  les  crises  en  question  avec  les 
attaques  épileptiformes  qui  se  montrent  parfois  dans  le  tabès. 

«  Ataxie  locomotrice  et  hystérie  »  :  c'est  une  combinaison  qui  d'ailleurs 
n'est  pas  inattendue  pour  vous  ;  je  vous  l'ai  signalée  plusieurs  fois  déjà  Tan 
passé  dans  nos  Leçons  du  mardi  (  Voir  leçon  du  12  juin  1888).  Yulpian  l'avait 
relevée  d'ailleurs  d'une  façon  expresse  dans  ses  Leçons  de  1879.  «  L'hystérie, 
dit-il,  (p.  246)  me  paraît  exercer  une  influence  sur  la  production  de  l'ataxie 
locomotrice  progressive.  Il  n'est  pas  très  rare  effectivement,  de  constater  que 
des  femmes  atteintes  d'ataxie  ont  été  auparavant,  pendant  des  années,  tour- 
mentées par  tous  les  accidents  de  l'hystérie^  par  des  accidents  convulsifs  entre 
autres.  »  Il  faut  ajouter  que  dans  bien  des  cas  aussi,  c'est  l'ataxie  locomo- 
trice qui  prend  les  devants  et  précède  l'apparition  de  l'hystérie.  Est-ce  à  dire 
que,  dans  cette  complication  d'événements,  il  faut  admettre  que  la  maladie 
nerveuse,  ataxie  ou  hystérie,  qui  se  montre  la  première  en  date,  joue  vis-à- 
vis  de  l'autre  le  rôle  d'agent  provocateur  ?  (1). 

Evidemment,  il  est  possible  qu'il  en  soit  ainsi  dans  un  certain  nombre  de 
cas:  mais  il  ne  faut  pas  oublier  d'un  autre  côté  que  les  deux  affections,  ataxie 
et  hystérie,  représentent  deux  membres  de  la  même  famille  nosographi({ue, 
et  qu'il  est  tout  naturel  par  conséquent  qu'elles  se  montrent  coexistantes  sur 
un  terrain  particulièrement  favorable  à  l'éclosion  de  semences  de  ce  genre. 
Evidemment  il  y  aurait  en  pareille  circonstance  plus  qu'une  coïncidence  for- 
tuite ;  mais  les  deux  maladies,  bien  que  développées  en  raison  de  conditions 
communes,  n'en  évolueraient  pas  moins  individuellement,  chacune  pour  son 
compte,  sans  s'influencer  beaucoup  mutuellement. 

Avant  d'en  finir  avec  cette  malade,  il  me  reste  encore  à  relever  quelques 
pomts  (pii  ne  sauraient  passer  inaperçus.  Veuillez  remarquer,  tout  d'abord, 


1.  Voir  G. Gui  non  :  Les  agenls  provocateurs  de  l'hystérie.  Thèse  de  Paris, 188*.\  p.  219  et  suiv. 


—  162  — 


qu'il  s'agit  chez  elle  d'un  cas  d'hystérie  tardive,  sénile  même, pourrait-on  dire, 
car  on  ne  saurait  guère  invoquer  ici  l'influence  provocatrice  de  la  ménopause. 

Les  premiers  symptômes  d'hystérie,  en  effet,  ont  paru  àlage  de  cinquante- 
deux  ans  ei  déjà  à  cette  époque  les  règles  avaient  disparu  complètement 
depuis  quatre  ans.  Il  y  a  bien  eu,vers  cette  époque-là,  explosion  de  quelques 
accidents  nerveux,  tels  que,  étourdissements,  nausées,  bouffées  de  chaleur 
alternant  ave€  des  frissonnements  ;  mais  ce  sont  là  des  accidents  vulgaires  et 
qui  peuvent  se  manifester  sans  accompagnement  d'aucune  tendance  hystérique. 

L'hystérie,  faut-il  ajouter,  s'est  développée  chez  notre  malade  en  dehors  de 
toute  intervention  connue,  d'une  cause  provocatrice  quelconque  ;  les  symp- 
tômes tabétiques,  lorsqu'elle  s'est  produite,  continuant  leur  marche  progres- 
sive sans  exaspération  notable.  Pas  de  causes  morales,  pas  de  chagrins,  pas 
de  chutes,  pas  de  traumatismes.  A  la  vérité,  les  marques  d'une  prédisposition 
accentuée  ne  font  pas  défaut  dans  l'histoire  des  antécédents  personnels  de 
notre  malade  et  c'est  une  circonstance  à  faire  valoir  dans  l'étiologie  de 
l'ataxie  locomotrice  aussi  bien  que  dans  celle  de  l'hystérie.  M. ..gnon  a  été 
très  faible,  très  délicate  dans  son  enfance.  Elle  a  uriné  au  lit  jusqu'à  l'âge  de 
seize  ans;  elle  s'est  toute  sa  vie  montrée  émotive  à  l'excès,  elle  fond  en  larmes 
à  l'occasion  de  la  moindre  contrariété,  quand  elle  entend  un  morceau  de 
musique  funèbre  où  lorsqu'elle  voit  passer  un  enterrement  ou  encore  lors- 
qu'elle assiste  à  la  communion  d'une  jeune  fille,  etc.  Pour  ce  qui  est  des  anté- 
cédents héréditaires,  les  chemins  pour  la  recherche  sont  absolument  coupés 
de  ce  côté-là.  M. ..gnon,  en  effet,  est  un  enfant  de  l'hospice  de  Yalognes  ;  elle 
n'a  jamais  connu  ni  son  père  ni  sa  mère.  Il  est  vrai  que  cette  qualité  d'être 
issue  de  «  parents  inconnus  »  équivaut  presque  nécessairement  au  privilège 
de  l'hérédité  nerveuse. 


2«  Malade. 


La  seconde  malade  qui  va  nous  occuper  n'est  paè  sans  présenter  de  nom- 
breuses analogies  avec  la  précédente.  Il  s'agit  en  effet,  là  encore,  d'une  com- 
binaison de  l'hystérie  avec  une  affection  organique  bulbo-spinale,  à  savoir  la 
sclérose  en  placpies.  Seulement  ici,  c'est  l'hystérie  quiparaitau  premier  abord 
dominer  la  situation  et  masquer  l'autre  élément  nosographique.  Une  fois  de 
ldus,r;malyse  de  notre  cas  pourra  servir  à  mettre  en  évidence  le  rôle  éminent 


—  lorî 


I 


que  peut  jouer  l'examen  opiilhalmoscopique,  méthodiquement  conduit  dans 
Télucidation  de  problèmes  diaguosticiues  souvent  fort  complexes  et,  autrement, 
bien  difficiles  à  déljrouiller. 

Avant  d'entrer  en  inatière  je  crois  utile  de  vous  rappeler,  dans  un  aperçu 
sommaire,  en  les  comparant  les  uns  aux  autres,  ce  pie  sont  les  divers  symp- 
tômes oculaires  qui  contribuent  h  caractériser  nosographiquement  l'hystérie 
d'un  côté^  l'ataxie  locomotrice  et  la  sclérose  en  plaques,  de  l'autre  ;  notre 
tâche  se  trouvera,  je  pense,  singulièrement  facilitée  par  l'examen  du  tableau 
synopti(jue  que  j'ai  placé  sous  vos  yeux. 

TABLEAU  SYNOPTIQUE  DES  SYMPTOMES  OCULAIRES 

DANS    LE    TABES,    LA    SCLÉROSE    EN    PLAQUES    ET    l'hVSTÉRIR 


a.    Appareil    moteur     de 
œil. 


ï 


Troubles  pupillaires. 


Image    oplhalmoscopiquc 
de  la  papille. 


Troubles  fonctionnels 
consécutifs  à  l'affection  du 
nerf  optique  ou  à  celle  des 
centres  visuels. 


Tabès  (Ataxie  locomo- 
trice). —  Paralysie  par  lé- 
sion d'an  nerf  moteur  de 
l'œil  (noyau  bulbaire  ou 
nerf  périphérique).  Diplo- 
pie  consécutive. 


Signe  de  Vincent,  Coingt 
et  Argyll  Robertson:  Insen- 
sibilité à  la  lumière,  conser- 
vation du  réflexe  pour 
l'accommodation. 

Atrophie  nacrée  de  la 
papille  (Atrophie  tabétique). 


1»  Rétrécissement  con- 
centrique, inégal  du  champ 
visuel. 

2»  Achromatopsie  et  dys- 
chromatopsie  tabétiques. 

Elle  porte  sur  le  vert  et  le 
rouge  d'abord.  Le  jaune  et 
le  bleu  conservés  jusqu'au 
dernier  terme. 

3°  Cécité  fatalement  pro- 
gressive et  portant  sur  les 
ieux  yeux. 


Sclérose  en  plaques  : 
1°  Paralysies  dans  les 
mouvements  associés  des 
yeux,  néccssaii-ement  bino- 
culaires et  de  cause  cen- 
trale, —  diplopie  spéciale 
consécutive. 
2''  Nystaymus. 

—    Dans   quelques     cas 
Myosis  sthcnique. 


2*^  cas.  -4.  Simple  déco- 
loration de  la  papille. 

B.  Névrite  optique  et  atro- 
phie blanche  consécutive. 
(Cas  d'Eulenbourg,  de 
Gnauk). 

1°  Répondant  au  cas  A  : 
Amblyopie  ou  cécité  tem- 
poraires. 

2°  Répondant  au  cas  B  : 
Rétrécissement  inégal  et 
achromatc'psie  comme  dans 
l'ataxie. 

Amblyopie  et  cécité  du- 
rables, non  fatalement  pro- 
gressives. 


IlYSTÉriiE  : 

1°  Quelquefois  paralysies 
associées, 

2»  Spasmes  des  paupières. 

3"  Diplopie  monoculaire, 
micropsie  et  macropsie 
(Parinaud). 


0.  0. 


U.  0. 


1*  Rétrécissement  régu- 
lièrement concentrique  por- 
tant sur  un  seul  œil  ou  sur 
les  deux. 

2°  Dyshromatopsie  repré- 
sentée par  un  simple  rétré- 
cissement du  champ  '  isuel 
pour  les  couleurs. 

Assez  souvent  la  notion 
du  rouge  persiste  seule, 
colle  de  toutes  les  autres 
couleurs  ayant  disparu. 

3"  Amblyopie  ou  cécité 
transitoires. 


—  164  — 

Ce  sont,  vous  Tavez  compris,  les  symptômes  oculaires  de  la  sclérose  en  pla- 
ques qu'il  s'agit  particulièrement  de  mettre  en  relief  à  propos  de  notre  cas, 
en  les  comparant  à  ceux  qui  appartiennent  à  l'hystérie.  Mais  il  ne  sera  peut- 
être  pas  inutile,  pour  mieux  fixer  votre  attention,  d'accuser  des  contrastes  en 
faisant  figurer  dans  cette  comparaison  les  symptômes  oculaires  tabétiques.  11 
ne  saurait  être  question  ici,  remarquez-le  bien^  que  d'une  esquisse  à  traits 
rapides  et  non  d'une  étude  régulière.  Un  des  troubles  oculaires  classiques 
dans  la  sclérose  en  plaques,  en  tant  qu'il  s'agit  des  fonctions  musculaires  de 
l'œil,  c'est  le  nystagmus.  Or,  vous  savez  que  ce  symptôme  ne  se  voit  guère 
dans  le  tabès,  si  ce  n'est  dans  certains  cas  rares,  vraiment  exceptionnels,  étant 
mise  à  part,  bien  entendu,  l'ataxie  dite  héréditaire  (maladie  de  Friedreich) 
dans  laquelle,  au  contraire,  le  nystagmus  est  fréquent;  mais  vous  n'ignorez 
pas  que  cette  dernière  maladie  est,  nosographiquement,  nettement  séparée  de 
l'ataxie  locomotrice  progressive. 

La  diplopie,  dans  l'ataxie  est,  dans  la  règle,  la  conséquence  de  la  paralysie 
d'un  des  muscles  moteurs  de  l'œil;  dans  la  sclérose  en  plaques,  au  contraire, 
elle  est  surtout  liée  à  une  paralysie  des  mouvements  associés  des  deux  yeux. 
Une  diplopie  de  même  origine  se  voit  assez  souvent  dans  l'hystérie;  mais  dans 
celle-ci,  c'est  plus  particulièrement  la  diplopie  monoculaire  qu'on  observe  et 
il  importe  de  remarquer  que  ce  symptôme-là  n'appartient  ni  à  l'ataxie  ni  à  la 
sclérose  en  plaques. 

Le  signe  d'Argyll  Robertson  appartient  exclusivement  à  l'ataxie.  Rien  de 
semblable  dans  l'hystérie,  non  plus  que  dans  la  sclérose  en  plaques  où  l'on 
observe  par  contre  quelquefois  un  myosis  spasmodique,  myosis  qui  peut 
s'exagérer  encore^  quelque  prononcé  qu'il  soit  déjà,  sous  l'action  des  rayons 
lumineux  (Parinaud).  Les  symptômes  hystériques  ne  reconnaissent  pas,  vous 
le  savez,  de  lésions  organiques  appréciables:  c'est  une  loi  qui  s'applique  aussi 
bien,  dans  l'hystérie,  aux  symptômes  oculaires  qu'à  tous  les  autres.  De  fait,  il 
n'y  a  pas  de  lésion  du  fond  de  l'œil,  appréciable  à  l'examen  ophthalmosco- 
pique  dans  l'amblyopie  ou  dans  l'amaurose  hystériques. 

Il  est  est  tout  autrement  dans  l'amaurose  tabétique.  C'est  alors  qu'on  observe 
cette  image  ophthalmoscopique,  si  spéciale,  si  caractéristique  en  général, 
qu'on  désigne  quelquefois  sous  le  nom  de  papille  nacrée,  atrophie  nacrée  de 
la  papille,  papille  tabétique.  L'aspect  papillaire  est  différent  dans  la 
forme  vulgaire,  essentiellement  transitoire  de  l'amaurose  liée  à  la  sclérose  en 
pla([ues.  L'ophthalmoscope,  en  pareil  cas,  ne  montre  qu'une  légère  décolora- 
tion de  la  papille.  Il  n'en  est  plus  de  même  lorsque  par  exception,  —  cette 
exception  a  été  plusieurs  fois  signalée,  en  particulier  par  M.  Eulonbourg  et 
par  M.  Gnauck, —  il  n'en  est  pas  de  même,  dis-je,  lorsque  l'amaurose,  dans  la 
sclérose  en  placiues,  est  la  consé([uence  d'une  névrite  optique.  Alors,  même 
quand  la  lésion  du  nerf  en  est  arrivée  à  la  période  atrophique,il  est  générale- 
ment facile  encore  de  distinguer  la  papille  d'un  hiaiir  mat,  aux  bords  nébu- 


—  ic^:^  — 

leuxqui  marque  la  névrite  opti(iue,  de  la  papille  nacrée  aux  liunJs  nets  et  tran- 
chés qui  distingue  la  forme  tabétifjue.  N'oubliez  pas  le  i)ronostic  fatal  qui 
s'attache  à  la  constatation  de  l'existence  d'une  papille  tabétiqne;  l'amblyopie 
qui  en  est  Taccompagnement  symptomatique  marche,  quoiqu'on  fasse,  néces- 
sairement à  la  cécité  complète,  absolue,  et  de  cette  cécité-là,  on  ne  sort  jamais. 
11  n'en  est  pas  tout  à  fait  de  même  des  troubles  visuels  liés  à  la  névrite  r)ptir[ue 
dans  la  sclérose  en  plaques.  Sans  doute,  trop  souvent  ils  aboutissent  eux  aussi 
à  la  cécité  permanente,  irréparable,  mais  c'est  là  une  triste  conséquence  qui 
n'est  pas  aussi  fatalement  inévitable  que  dans  le  cas  du  tabès.  Il  peut  y  avoir, 
cette  fois,  des  atermoiements  ou  mieux  encore  des  retours  plus  ou  moins 
prononcés  vers  l'état  normal  et  peut-être  le  médecin  n'estil  pas  aussi  complè- 
tement désarmé. 

L'examen  campimétrique  et  la  recherche  de  l'état  de  la  vision  pour  les  cou- 
leurs peuvent  eux  aussi  fournir,  dans  la  catégorie  qui  vous  occupe,  de  pré- 
cieux éléments  de  diagnostic.  Le  rétrécissement  régulier  et  concentrique  du 
champ  visuel  de  l'hystérie  contraste  évidemment  d'une  manière  frappante 
avec  le  rétrécissement  inégal  qui  se  voit  dans  l'atrophie  tabétique  et  aussi 
dans  les  périodes  avancées  de  l'atrophie  par  névrite  optique.  Il  faut  ajouter 
que  l'achromatopsie  qui  se  lie  aux  deux  dernières  affections  du  nerf  optique 
n'est  pas  la  même,  si  l'on  peutainsi  parler,  que  colle  qui  se  voit  dans  l'hystérie. 
Dans  cette  dernière,  en  effet,  il  est  fréquent  de  voir  la  notion  du  rouge  survivre 
seule  alors  que  celle  des  autres  couleurs  est  complètement  effacée;  tandis  que 
dans  les  deux  premiers  cas  c'est  nécessairement  la  notion  du  rouge  et  celle  du 
bleu  qui  persistent^  après  que  la  notion  du  vert  et  ensuite  celle  du  rouge  ont 
successivement  disparu.  Tels  sont,  messieurs,  les  quelques  faits  que  je  tenais 
à  vous  rappeler  avant  d'entrer  dans  l'exposé  de  notre  cas.  Vous  êtes  ainsi,  je 
l'espèrC;,  placés  en  mesure  d'apprécier  comme  il  convient  l'intérêt  des  détails 
cliniques  qui  vont,  chemin  faisant,  se  dérouler  devant  vous. 

Il  s'agit  d'une  jeune  femme  de  vingt  et  un  ans,  grande,  élancée,  comme 
vous  le  voyez,  et  en  apparence  bien  constituée.  Les  antécédents  héréditaires 
signalent  plutôt  l'influence  arthritique;  son  père  est  atteint  de  la  gravelle  :  elle 
a  un  oncle  maternel  qui  souffre  de  la  goutte.  La  névropathie  toutefois  ne  fait 
pas  défaut  dans  son  arbre  généalogique,  car  sa  mère,  morte  de  phtisie  pul- 
monaire, était  sujette  à  des  crises  nerveuses,  sans  perte  de  connaissance. 
Les  antécédents  personnels  ne  sont  pas  sans  intérêt.  Les  tendances  névropa- 
thiques  de  notre  malade  se  manifestent  de  bonne  heure  :  étant  i)elite,elle  était 
sujette  à  de  violentes  crises  de  colère  ;  à  la  moindre  contrariété,  à  la  moindre 
réprimande,  elle  se  roulait  à  terre  en  criant,  en  agitant  ses  membres  d'une 
façon  désordonnée.  Souvent,  pour  la  calmer,  on  était  obligé  de  lui  projeter  de 
l'eau  sur  la  figure  ou  de  lui  faire  prendre  du  sirop  d'éther.  Ces  crises,  avec 
l'âge,  ont  disparu  pour  faire  place,  en  quelque   sorte,  à  de  véritables  crises 


—  166  ^- 

hystériques.  Elle  avait  aussi  autrefois  des  tics  nerveux  consistant  en  mouve- 
ments brusques  des  muscles  de  la  face  et  du  cou,  lesquels  tics  ont  également 
disparu. 

C'est  à  l'âge  de  dix-huit  ans  qu'ont  commencé  à  paraître  les  crises  hystéri- 
ques bien  formulées.  D'abord  relativement  légères  et  rares,  elles  ont  pris,  en 
septembre  1887,  une  plus  grande  intensité  et  se  sont  montrées  fréquentes.  La 
menstruation,  jusque-là  normale,  s'est  arrêtée,  à  cette  époque.  Après  avoir 
séjourné  à  l'Hôtel-Dieu  pendant  quelques  mois,  la  malade  a  été  admise  à  la 
Salpêlrière  en  mars  1888,  dans  le  service  de  la  Clinique.  Il  s'agit  chez  elle  d'at- 
taques de  grande  hystérie  avecles  phases  classiques  et  bien  marquées,  à  savoir  : 
aura  régulière  puis  arc  de  cercle  et  grands  mouvements,  —  la  phase  épilep- 
toïde  fait  défaut  —  et,  enfin,  attitudes  passionnelles.  La  durée  des  séries  de 
crises  ne  s'étend  pas  au  delà  d'une  demi-heure,  trois  quarts  d'heure.  Elles  se 
reproduisent  habituellement  trois  ou  quatre  fois  la  semaine. 

La  recherche  des  stigmates  a  fait  reconnaître  l'existence  d'une  double 
ovarie  et  d'une  hémianesthésie  cutanée  gauche  vulgaire  avec  anosmie  gauche 
(voir  le  schéman"3G)  (l).Mais  appliquée  à  l'étude  des  fonctions  oculaires,  elle 
devait  révéler  toute  une  série  de  faits  inattendus  et  conduire  ainsi  à  démasquer 
l'afTection  organique,  qui  jusque-là  s'était  tenue  dissimulée  derrière  les  mani- 
festations hystériques.  Et  d'abord,  dans  cet  examen,  s'offre  en  i)remier  lieu 
un  nystagmus  parfaitement  caractérisé  qui  suffit  pour  donner  l'éveil  et 
nous  engage  à  entreprendre  une  étude  approfondie  des  fonctions  oculaires. 

Le  regard  vague,  incertain  qui  frappe  lorsqu'on  examine  la  physionomie  de 
la  malade  avec  quelque  attention,  tient  à  l'existence  d'un  certain  degré  de 
parésie  des  mouvements  associés  de  l'œil,  laquelle  parésie  entraine  avec  elle 
de  la  diplopie.  La  diplopie  par  parésie  des  mouvements  associés  est  un 
symptôme  qui  peut  se  voir  dans  l'hystérie;  mais  lorsque  les  choses  vont 
jusqu'à  produire  le  «  vague  »,  l'incertitude  du  regard,  c'est  très  vraisem- 
blablement de  la  sclérose  en  plaques  qu'il  s'agit. 

Les  réflexes  pupillaires  sont  normaux  :  pas  de  myosis  spasmodique,  pas 
traces  du  signe  d'Argyll-Robertson.  Polyopie  monoculaire  :  c'est  là  incontesta- 
blement, dans  les  conditions  où  on  l'observe  chez  notre  malade,  un  symp- 
tôme hystérique. 

Décoloration  atrophique  de  la  pupille,  par  névrite  optique  dans  les  deux 
yeux  :  voilà  certes  qui  n'est  pas  hystérique. 

Nous  serions  donc  en  présence  d'un  de  ces  cas  de  sclérose  en  i)laques  peu 
nombreux  encore  (cas  d"Eulenbourg  et  de  Gnauk)  où  la  sclérose  multilocu- 
laire  des  centres  nerveux  s'accompagne  de  névrite  optique. 


1.  An  MUMiib-c  sii])t'noui' Kauche,  l'aneslhésio  cutanée  est  coinpliqiit'e  d*aiio>lhrisio  profonde. 
La  malade  a  perdu,  les  yeux  lernu^s,  la  notion  de  la  posLlon  imprimée  à  ce  membre  ou  à  ses 
divers  segmentsi. 


—  167  — 

A  cette  révélation  fournie  par  l'examen  ophthalmoscopique  correspondent 
les  faits  suivants:  a  Rétrécissement  très  prononcé  du  cliamp  visuel,  dans  les 
deux  yeux,  mais  rétrécissement  inégal,  limité  par  des  bords  dentelés,  rappe- 
lant ce  qu'on  voit  dans  Tataxie.  Il  ne  saurait  donc  être  question  ici^  vous  le 


Pig.  36. 


voyez,  de  ce  rétrécissement  concentrique  et  régulier  qui,  dans  l'hystérie  à 
stigmates,  constitue  en  quelque  sorte  un  symptôme  banal  ;  />,  Acuité  visuelle 
dans  l'œil  droit  1/4,  à  gauche  1/6  (voir  le  schéma  n°  37).  Les  résultats  précé- 
dents ont  été  obtenus  dans  un  examen  fait  le  28  mars  1888. 

Ces  jours-ci,  5   décembre  1888,  un  nouvel  examen    a  montré  ce   qui    suit 
(Voir  le  schéma  n°  38)  : 

24 


—  168 


Le  rétrécissement  du  champ  visuel  est  beaucoup  plus  prononcé,  surtout  à 
droite,  qu'il  ne  l'était  il  y  a  dix  mois.  L'acuité  visuelle,   elle   aussi,  a  faibli 

D  G 


90    Nai    soi 


Pig-.  37.  - 


D 


Le  champ  visuel  pour  le  rouj^e. 
—  pour  le  bleu. 


G 


Fig.  38.  —  mm  m,  m  ,  <m  =z  Lo  cliamp  visuel  pour  le  rouge. 

considérablement  puisqu'elle  n'est  plus  représentée  que  par  1/30"  à  droite, 
l/'iO"  à  gauche.  On  note  que  depuis  le  mois  de  mars  la  malade  a  eu,  à  plu- 
sieurs reprises,  des  phases  d'amaurose  plus  ou  moins  absolue  :  ainsi  le  ven- 


—   100   — 

(Ircdi  '.\0  novembre,  oll<;  a  été  prise  presque  su  hitenient  d'une  cécité  compléle 
f[ui  l'a  foreée  de  rester  aliter;  ce  jour- là  :  le  leude-nutin  matin,  elle  ne  distiri- 
guitit  (jue  diflicilemeiit  les  objets.  Ces  symptômes  avai<.'nt  é'té  accompagnés  (;t 
suivis  d'une  forte  céphalalgie.  Ces  phases  d'empirement  temporaire  de  i'am- 
blyopie  sont-elle's  le  fait  de  l'hystérie  ou  de  la  sclérose  multiloculaire  ?  cela 
me  parait  difficile  à  d(''cid(;r:  eu  tout  cns,  il  y  a  là  un  contraste  Happant  avec 
les  allures  fatalement  progressives  de  Taniaurose  tabétique. 

Il  me  reste  à  vous  parler  de  bi  dyschromatopsie  qui,  dans  ce  cas  particulier 
a  présenté  des  particularités  dignes  d'être  notées. 

No/e  du  2S  mars.  —  H  y  a  dans  les  deux  yeux  achromat(jj)sie  p(jur  tout(i> 
les  couleurs,  à  l'exception  du  bleu  et  du  rouge,  et,  chose  remarquable,  con- 
formément à  ce  qui  se  voit  très  vulgairement  dans  l'hystérie,  surtout  chez  la 
femme,  le  cercle  de  la  vision  pour  le  rouge  est  plus  étendu  que  celui  de  la 
vision  [)onr  le  bleu.  On  sent  là,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  l'influence  de 
l'hystérie  et  cette  influence,  on  peut  le  dire,  se  maintient  jusqu'à  la  dernière 
limite,  car  dans  l'examen  du  5  décembre,  rachromatoi)sie  étant  devenue 
complète  pour  l'œil  droit,  on  note  que  le  rouge  est  désormais  la  seule  couleur 
qui  soit  perçue  par  l'œil  gauche. 

Voici  donc  sur  un  même  sujet  un  nnUange,  une  intrication,  si  vous  vcjulez, 
évidemment  fort  remarquable,  de  symptômes  oculaires  dont  les  uns  appar- 
tiennent à  l'hystérie,  les  autres  à  la  sclérose  en  plaques. 

Mais  vous  venez  de  voir  que  si  ces  divers  symptômes  se  montrent  entrenuM^s 
ils  ne  sont  point  confondus  cependant  et  qu'il  est  permis  par  l'analyse  clinique 
de  faire  la  part  de  chacun  des  deux  groupes. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Messieurs,  il  importe  de  le  rappeler  encore  une  fois,  c'est 
la  découverte  des  symptômes  oculaires  que  vous  savez  qui  nous  a  amené  a 
reconnaître  que,  derrière  l'hystérie  se  cachait,  chez  P...et,  la  sclérose 
multiloculaire  des  centres  nerveux.  L'examen  de  revision  du  complexus  que 
nous  avons  dû  entreprendre,  à  la  suite  de  cette  révélation,  n'a  fait  qu'établir 
plus  solidement  encore  l'existence  de  l'afTection  organique  cérébro-spinale 
dont  il  s'agit. 

C'est  ainsi  que  nous  avons  été  conduit  à  mettre  en  valeur  dans  l'examen  de 
notre  malade  toute  une  série  de  phénomènes- qui  autrement  seraient  restés  dans 
l'ombre.  A  l'âge  de  18  ans,  c'est-à-dire  antérieurement  au  développement  des 
symptômes  hystériques,  P. . .  et  avait  constaté  déjà  que  sa  vue  faiblissait ,  et  (pie  la 
lecture  lui  devenait  difficile:  «  à  chaque  instant,  elle  perdait  la  ligne  >  ;  il  lui 
semblait  que  «  les  lettres  dansaient  »  par  moments  de  droite  à  gauche,  et  de 
gauche  à  droite.  —  De  temps  en  temps,  elle  était  prise  de  diplopie.  —  Peu  de 
temps  après, la  démarche  devient  titubante  ;  elbî  marche  t  comme  une  femme 
prise  de  boisson  ».  De  18  à  ^0  ans^,  la  difiîculté  de  la  marche  a  été  beaucoup 
plus  prononcée  qu'elle  ne  l'est  actuellement.  P...  et  était  alors  obligée  de  se 


—  170  — 

tenir  aux  meubles.  Plusieurs  fois  elle  a  eu  des  vertiges  et  une  fois,  elle  est 
tombée,  etc.,  elle  a  été  un  instant  inconsciente  (1).  Vers  la  même  époque,  elle 
a  éprouvé  dans  la  main  gauche  un  tremblement  qui  se  manifestait  lorsqu'elle 
voulait  porter  un  verre  ou  une  cuiller  à  sa  bouche. 

Quelques-uns  de  ces  symptômesqui  ré  vêlent  la  sclérose  multiloculairesesont 
notablement  amendés,  depuis  que  l'hystérie  s'est  développée  et  semble  avoir 
pris  le  dessus.  Cependant,  en  outre  du  nystagmus  et  des  divers  phénomènes 
oculaires  dont  il  a  été  question  plus  haut,  on  peut  relever  encore  aujour- 
d'hui une  démarche  titubante,  moins  accentuée  à  la  vérité  qu'autrefois,  et  le 
tremblement  intentionnel  très  manifeste  dans  le  membre  supérieur  gauche. 
Les  réflexes  tendineux  rotuliens  et  ceux  de  l'avant-bras  sont  exagérés;  il  n'y  a 
pas,  aux  membres  inférieurs,  de  trépidation  spinale  provoquée. 

Bien  qu'elle  soit  une  affection  organique,  ces  amendements  temporaires  de 
divers  symptômes  ne  sont  pas  rares,  tants'en  faut,  dans  la  sclérose  en  plaques, 
et  ils  constituent  même  jusqu'à  un  certain  point  un  des  caractères  cliniques 
de  la  maladie.  Ils  peuvent  se  produire,  vous  le  savez,  — car  c'est  un  point  sur 
lequel  j'ai,  dans  mes  leçons^  l'habitude  d'insister,  —  ils  peuvent  se  produire 
à  plusieurs  reprises  dans  le  cours  de  Taflection,  surtout  lorsqu'elle  est  encore 
de  date  récente:  j'ai  vu,  par  exemple,  en  pareil  cas,  la  paraplégie  spasmo- 
dique  s'amender  et  disparaître  même  complètement  deux  ou  trois  fois  avant 
de  s'établir  d'une  façon  définitive.  Combien  de  fois  ne  vous  ai-je  pas  fait  recon- 
naître que  le  tremblement  intentionnel  des  extrémités  supérieures,  après 
avoir  été  très  prononcé  pendant  de  longs  mois,  s'efTace  temporairement  quel- 
quefois pour  réapparaître  un  jour  ou  l'autre.  Ces  allures  singulières,  en  tant 
qu'il  s'agit  d'une  afléction  caractérisée  anatomiquement  par  des  lésions 
organiques  relativement  grossières,  la  rapprochent  en  quelque  sorte  clini- 
quement  de  l'hystérie,  maladie  mobile  par  excellence,  du  moins  dans  bon 
nombre  de  cas,  et  justement  l'analogie  que  nous  signalons  ici  a  pu  souvent 
rendre  le  diagnostic  fort  embarrassant.  Mais  ce  n'est  pas  tout:  ainsi  que  je 
l'ai  maintes  et  maintes  fois  fait  ressortir,  il  y  a  entre  les  deux  affections  une 
sorte  d'affinité  qui  fait  qu'on  les  rencontre  très  vulgairement  combinées  l'une 
avec  l'autre  dans  des  proportions  et  dans  des  relations  diverses  chez  un  même 
sujet.  Incontestablement,  d'après  ce  que  j'ai  vu  du  moins,  lasclérose  en  plaques 
est  de  toutes  les  affections  organiques  des  centres  nerveux  celle  qui  se  com- 
bine le  plus  souvent  à  l'hystérie  (2),  et  dans  cette  association,   c'est  tantôt  la 


1.  A  la  suite  de  cette  chute,  en  se  relevant,  elle  était  deveuue  tout  à  (ait  sourde  des  deux 
oreilles  ;  elle  percevait  seulement  un  bourdonnement  continu  et  un  sifflement  aigu  qui  s'est 
aiïaibli  en  môme  tcuips  que  l'ouïe  tendait  îi  se  r(''tablir.  LV-xamen  par  M.  le  U""  Gellé,  fait  il  y  a 
quelques  semaines,  a  donné  ce  qui  suit  :  Affection  purement  nerveuse.  Aucune  lésion  organi- 
que,conservation  du  réllexe  binauriculaire  et  de  la  motilité  normale  des  appareils  de  transmis- 
sion.Montre  h  45  à  droite,  à  20  h.  gauche  DV  =0  par  faiblesse.  Réflexes  intacts. 

2.  Yoiv  Lcçans  du  muxli  1888-89.  Leçon  du  1 1  décembre  \%^^, 


—  m  - 

première,  tantôt  la  seconde  qui  ouvre  la  marche.  Rien  souvent,  j'ai  vu  les 
symptômes  propres  à  la  scle'rose  nnitiloculaire  se  dé^a.i^er  en  (jueUpie  sorte  au 
milieu  de  symptômes  iiystéro-épileptiques  préalablement  établis  de  longue 
date,  et  vous  voyez  par  contre,  dans  le  cas  qui  nous  occupe,  la  sclérose  en 
pla([ues  ouvrirla  marche  et  céder  le  pas,  au  moins  pour  un  temps,  à  Tliystérie. 
Voilà  certes  une  association  morbide  dont  le  souvenir  mérite  d'être  gravé 
dans  votre  espiit  et  dont  la  connaissance  dans  la  pratique  vous  épargnera  bien 
des  mécomptes. 


3'    Malade, 


On  introduit  dans  la  salle  du  cours  un  petit  garçon  d'environ  douze  ans  ;  il 
est  accompagné  par  sa  mère  qui  le  tient  sur  ses  genoux  et  par  un  de  ses 
oncles. 

M.  Charcot.  —  On  me  signale  ce  cas  comme  un  exemple  de  chorée  molle. 
Nous  allons  voir.  —  En  effet,  il  s'agit  bien  de  chorée,  et  de  chorée  vul- 
gaire ;  mais  les  mouvements  choréiques  sont  remarquables  par  leur  lenteur. 
11  y  a  dans  les  membres,  au  tronc,  au  cou,  un  affaiblissement  musculaire  plus 
prononcé  que  de  coutume:  la  tête  est  tombante  sur  la  poitrine  ;  la  station  est 
fort  difficile  et  la  marche  impossible.  L'enfant  ne  peut  parler.  Il  éprouve  une 
grande  difficulté  à  tirer  la  langue. —  Je  vous  ferai  remarquer  que  les  rétlexes 
rotuliens  sont  abolis  ;  —  rien  à  l'auscultation  du  cœur. 

M.  CiiARCOT  {A  la  laère).  —  Quand  a-t-il  commencé  à  s'agiter? 

La  mère.  —  Monsieur,  il  y  a  trois  ou  quatre  mois  ;  il  y  a  trois  semaines  il  a 
failli  être  écrasé  par  une  voiture  et  c'est  depuis  cette  époque  qu'il  est  devenu 
comme  paralysé.  Avant  cela,  il  faisait  bien  plus  de  grimaces,  mais  aujour- 
d'hui, vous  le  voyez,  il  ne  peut  plus  se  tenir. 

M.  XMkV.ç.oi  [Aux  auditeur  s). — Je  vous  ai  bien  des  fois  parlé  deschoréesmolles 
et  je  vous  ai  fait  remarquer  que  la  paralysie  véritablement  choréique  ne  paraît 
pas  avoir  de  gravité. 

(A  la  mère)  :    Cet  enfant  dort-il  ? 

La  mère.  —  Très  peu,  monsieur;  —  ses  nuits  sont  fort  agitées  et  il  est 
devenu  triste,  indolent,  depuis  qu'il  a  ses  mouvements. 


—   17^2  — 

M.  Charcot.  —  A-t-il  eu  des  rhumatismes  articulaires;  a-t-il  souffert  dans 
les  jointures  ? 

Lamèhk.  —  Non,  monsieur,  il  n'a  jamais  été  malade  auparavant;  il  n'a 
jamais  souffert  dans  les  jointures. 

M.  CnARCOT  (A  la  mère).  —  Connaissez-vous  bien  votre  famille  et  celle  de  votre 
mari?  Connaissez-vous  quelqu'un  de  vos  parents  qui  ait  souffert  de  quelque 
affection  nerveuse,  de  la  goutte,  du  rhumatisme  ? 

La  mèke.  —  Ma  mère,  monsieur,  a  eu  la  chorée  à  l'âge  de  douze  ans;  elle  a 
été  toute  sa  vie  triste,  taciturne. 

M.  Cmarcot.  —  C'est  tout  ? 

La  mkrk.  —  Oui,  monsieur,  de  mon  côté.  —  Vous  connaissez  son  père.  —  Il 
a  été  atteint  à  ^7  ans  d'ataxie  locomotrice.  —  C'est  vous  qui  l'avez  soigné  : 
Voici  l'ordonnance  que  vous  lui  avez  donnée.  Il  est  mort  à  43  ans,  au 
mois  de  sepiombre  dernier,  des  suites  de  ce  que  Ton  a  appelé  une  méningite. 
Il  déraisonnait.  Il  ne  savait  plus  ce  qu'il  disait. 

M.  CriARcoï.  —  S'est-il  agi  là  d'une  combinaison  de  paralysie  générale  i)ro- 
grcssive  avec  l'ataxie?  C'est  on  ne  peut  plus  probable. 

(A  l'oncle  du  malade)  :  C'était  votre  frère.  Vous  devez  bien  connaître  sa 
famille  :  y  avez-vous  connu  des  malades  ? 

L'oncle. —  Un  autre  de  mes  frères  âgé  de  quarante-cinq  ans,  bien  portant,  a 
eu,  à  plusieurs  reprises,  des  douleurs  dans  diverses  jointures  sans  être  jamais 
obligé  de  garder  le  lit.  Notre  mère  était  l'humatisante  :  elle  avait  les  doigts 
tout  déformés,  tout  tordus. 

M.  Charcot.  —  Tout  cela,  Messieurs,  est  singulièrement  significatif.  Je  vous 
fais  remarquer, une  fois  de  plus  (1),  puisque  l'occasions'en  présente,  comment 
dans  l'arbre  généalogique  de  cet  enfant,  la  diathèse  nerveuse  occupe  une 
large  place  à  côté  de  l'arthritisme. 


1.  \o\r  Polirlini(/îie  ISS8~S9,  2*=  lefM3n,  p.  47, 


IMP.   NOIZICTIK.   8.  nVV.   CAMl'AtlNK-l'KKMlDUK,    PARIS. 


Policlinique  du  Mardi  18  Décembre  1888 


NEUVIEME  LEÇON 

1^^  Malade.  —  Femme  de  47  ans.  Autrefois  paraplégie  par 
mal  de  Pott;  la  guérison  date  de  vingt  ans. — A  Tépoque 
de  la  ménopause  apparition  d'accidents  hystériques^  simu- 
lant un  retour  du  mal  vertébral  et  de  la  paraplégie. 

2°  Malade.  —  Simulation  hystérique  du  mal  de  Pott  chez 
un  garçon  âgé  de  24  ans. 


1'"  Malade. 


Vous  avez  devant  les  yeux  une  vieille  connaissance  à  nous.  Il  y  a  plus  de 
vingt  ans,  en  effet,  que  j'ai  donné  des  soins,  pour  la  première  fois  à  cette 
malade,  dans  cet  hospice  même,  dont, depuis  lors, elle  n'estjamais sortie.  C'était 
en  1869  ;  elle  avait  été  admise  à  la  Salpêtrière  comme  atteinte  de  paraplégie 
consécutive  au  mal  de  Pott  et  son  cas  avait  été  considéré  comme  incura- 
ble. De  fait,  j'ai  connu  cette  malade  complètement  paralysée  des  mem- 
bres inférieurset,  en  conséquence,  rigoureusement  confinée  aulit  pendant  plus 
d'un  an.  L'issue  du  cas  a  montré  que  le  verdict  d'incurabilité  prononcé  con- 
tre elle  était  beaucoup  trop  sévère.  Elle  a  guéri  en  effet  dumal  de  Pott,  comme 
on  guérit  de  ce  mal,  c'est-à-dire  conservant  pour  toujours  la  gibbosité  carac- 
téristique ;  mais,  pour  ce  qui  est  de  la  paraplégie,  elle  a  disparu  sans  laisser 
de  traces,  du  moins  en  apparence.  Toujours  est-il  que,  depuis  1870,1a  malade 
se  tient  debout  sans  fatigue,  marche  aisément,  fait  même  de  longues  courses 
en  dehors  de  la  maison  ;  elle  est  occupée  chez  un  employé  de  l'hospice 
comme  domestique  et  nous  savons  qu'elle  n'a  cessé,  jusque  dans  ces  derniers 
temps,  de  remplir  avec  zèle  et  exactitude  ses  fonctions. 

Voici,  du  reste,  l'histoire  des  phénomènes  pathologiques  qui  ont  été  relevés 

25 


—  176  — 

chez  notre  malade,  dans  les  antécédents  d'abord,  puis  dans  le  temps  où  elle 
a  commencé  à  souffrir  du  mal  de  Pott, enfin  en  1869, époque  à  laquelle  elle  aété 
soumise,  pour  la  première  fois  à  notre  observation  dans  l'infirmerie  de  l'hos- 
pice. 

Rien  de  fort  remarquable  à  noter  dans  les  antécédents  héréditaires  :  père, 
mort  à  52  ans,  d'une  maladie  du  cœur  ;  mère  morte  «  hydropique  »  ;  deux 
sœurs  bien  portantes. 

Originaire  de  la  Manche, elle  est  venue  à  Paris  en  1864  et  elle  a  servi  comme 
domestique  ;  elle  avait  alors  23  ans.  Elle  n'avait,  dans  son  pays,  jamais  eu  de 
maladies  graves,  elle  n'était  point  nerveuse,  elle  n'avait  jamais  eu  d'attaques 
de  nerfs  ;  elle  se  plaignait  seulement  de  temps  en  temps  de  migraines. 

Quelques  semaines  après  son  arrivée  à  Paris,  elle  devint  souffrante^ 
au  point  d'être  obligée  d'entrer  à  l'hôpital  ;  elle  était  pâle  et  se  plaignait 
de  palpitations  de  cœur  intenses.  Il  y  avait  un  peu  d'œdème  aux  membres, 
inférieurs  ;  <^  chloro-anémie  très  accentuée  »,  tel  est  le  diagnostic  qu'elle  a 
alors  entendu  prononcer  autour  d'elle. 

Pendant  son  séjour  à  la  Charité,  elle  contracta  une  fièvre  typhoïde  qui  pa- 
rait avoir  été  assez  sérieuse  et  qui  l'a  tenue  au  lit  pendant  environ  deux  mois. 
A  partir  de  cette  époque,  elle  n'a  plus  cessé  pendant  longtemps  d'être  ma- 
lade ;  elle  put  reprendre  son  travail  cependant,  et  le  continuer  jusqu'en  1866 
mais  elle  se  sentait  toujours  fatiguée  et  était  devenue  très  sujette  aux  «  bron- 
chites. » 

C'est  en  1866  que  se  sont  montrés  les  premiers  symptômes  du  mal  de  Pott. 
Douleurs  vives  dans  le  dos,  dans  les  reins, autour  de  la  ceinture  puis,  incurva- 
tion lente  de  la  colonne  vertébrale  au  niveau  delà  région  dorso-lombaire, 
enfin  affaiblissement  des  membres  inférieurs,  augmentant  progressivement  et 
aboutissant,  au  dernier  terme,  à  une  impuissance  très  prononcée. 

La  malade  dut,  en  conséquence,  demander  de  nouveau  son  admission  à 
l'hôpital.  Elle  séjourna  d'abord  à  Saint-Antoine  dans  le  service  de  Lorrain  jus- 
qu'en 1867,  puis  de  nouveau  à  la  Charité,  en  1868,  dans  le  service  de  Pidoux  ; 
c'est  de  là  qu'elle  fut,  en  1869,  envoyée  à  la  Salpêtrière  comme  incurable. 

A  cette  époque,  la  paraplégie  était  complète,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  déjà: 
c'était,  suivantlarègle  enpareilcas,  d'une  paraplégie  spasmodique  qu'ils'agis- 
sait.  La  trépidation  par  redressement  de  la  pointe  du  pied  (ce  qu'on  appelle 
aujourd'hui  le  phénomène  du  piod)  était  entre  autres  très  marquée  (1)  ;  pas 
de  troubles  marqués  de  la  sensibilité  dans  les  membres  inférieurs.  De  temps 
en  temps,  il  s'était  produit  un  peu  de  rétention  d'urine.  Les  douleurs  en  cein- 


I 


i.  Il  n'est  |);is  question  dans  l'observa 'ion  du  iliènoinènc  du  i,''onou,  lequel,  dans  ce  temps 
là,  n'était  point  connu,  mais  il  n'est  g-uèi-o  douteux  que,  s'il  eùl  l'-lé  mis  eu  jeu,  le  réilexc  l'oîu- 
lien  se  fût  inonlrô  exagéré. 


—  177  — 

ture,bien  qu'arneiid(';es d'une  façon  g»inéralo  dans  lo?dernierstemps,  reparais- 
saient de  temps  à  autre. 

Le  traitement  mis  en  œuvrera  consisté  surtout  dans  l'application  répr-tôo  cinq 
ou  six  fois, à  des  intervalles  de  trois  semaines  on  un  mois,  de  petites  pointes  de 
feu,  sur  les  divers  points  del'incurvation  spinale. Soit  parle  fait  du  traitement, 
soit  par  toute  autre  influence,  les  symptômes  de  paraplé^'ie  commencèrent 
bientôt  à  s'amender  progressivement,  en  même  temps  du  reste  que  la  rétention 
d'urine  et  que  les  douleurs  thoraciques.  En  juillet  1870,  la  malade  était  sur 
pied, et, en  août, la  guérison  étant  considérée  comme  complète  ou  à  peu  près, 
elle  quittait  l'infirmerie  pour  aller  occuper  d'abord  une  place  dans  un  dor- 
toir de  femmes  valides,  puis  pour  entrer  un  peu  plus  tard  au  sersice  d'un 
employé  de  l'hospice.  Elle  en  était  quitte  pour  la  gibbosité  qu'elle  porte  encore 
aujourd'hui.  Elle  était,  comme  je  l'ai  dit  en  commençant,  restée  absolument 
confinée  au  lit  pendant  plus  d'un  an.  Les  premiers  débuts  de  la  paraplégie 
remontaient  alors  à  près  de  trois  années. 

Ici  commence,  messieurs,  la  seconde  partie  de  l'histoire  de  notre  sujet.  Elle 
s'étend  de  1870  à  l'époque  actuelle. 

Depuis  1870,  donc.  Rose  B...ot — c'estainsi  qu'elle  se  nomme —  marche  libre- 
ment dans  les  cours  de  la  maison,  qui  sont  fort  grandes  comme  vous  savez,  pour 
y  remplir  son  office  de  servante  ;  elle  sort  même  souvent  de  l'hospice  pour  faire 
dans  Paris  de  longues  courses.  Plusieurs  fois,  par  exemple,  elle  s'est  rendue  à 
pied  de  la  Salpetrière  aux  Ternes  ce  qui  représente  vous  l'avouerez  une  bonne 
course.  Et,  messieurs,  pendant  cette  longue  période  de  dix- neuf  années,  il  n'y 
acuà  observer  rien  d'anormal  dans  sa  démarche.  Je  puis  le  garantir,  ayantsaisi 
maintes  fois  pendant  cette  longue  période  de  temps,  presque  chaque  année  une 
fois,  l'occasion  de  présenter  B...otà  la  leçon  clinique  comme  un  exemple  de 
paraplégie  par  mal  de  Pott  suivi  de  guérison.  Point  de  raideur,  appréciable  à 
l'œil^  dans  les  membres  inférieurs  qui  se  séparent  aisément  l'un  de  l'autre  et 
ne  tendent  pas  à  rester  accolés  :  pas  de  frottements  des  pieds  sur  le  sol  à  cha- 
que pas  ;  pas  de  tendance  à  se  dresser  sur  la  pointe  des  pieds,  comme  cela  se 
voit  dans  un  grand  nombre  des  cas  de  paraplégie  spasmodique,  etc.,  etc. 

Comment  comprendre  qu'une  paraplégie  spasmodique  évidemment  causée 
parla  compression  lente  de  la  moelle  épinière,  compression  qui  nécessaire- 
ment, autant  qu'on  sache,  a  produit  dans  le  cordon  nerveux,  au  niveau  du  point 
comprimé,  les  lésions  de  la  myélite  transverse,  comment  comprendre,  dis-je, 
qu'une  paraplégie  de  ce  genre  datant  de  trois  ans,  et,  ayant  persisté  au  plus 
haut  degré  pendant  une  période  d'une  année  puisse  guérir  ainsi  sans  laisser  de 
traces  apparentes?  C'est  là  un  point  sur  lequel  je  me  réserve  de  revenir  dans 
un  instant.  Dans  le  moment,  je  m'empresse  de  relever  immédiatement, 
messieurs,  que  cette  intégrité,  qu'on  pourrait  croire  absolue,  des  membres  infé- 
rieurs n'est  en  somme  qu'une  apparence  trompeuse.  Oui,  la  paraplégie  spasmo- 
dique persiste  en  quelque  sorte  à  l'état  rudimentaire  chez  ces  malades  qui  parais- 


—  178  — 

sent  bien  complètement  guéries  de  la  compression  spinale  par  mal  de  Pott.  Cette 
paraplégie  latente^  si  l'on  peut  ainsi  parler,  peut  en  effet,  comme  cela  s'est 
vu  chez  B.  ..ot,ne  se  manifester,  par  aucune  anomalie  dans  la  démarche  et  se 
révéler  cependant  à  l'aide  de  certaines  explorations  propres  à  mettre  en  lu- 
mière des  indices  significatifs.  C'est  ainsi  que  constamment,  chez  B...ot,  toutes 
les  fois  que,  depuis  vingt  ans,  j'en  ai  fait  l'objet  d'u-ne  démonstration,  j'ai 
constaté  l'existence  dans  les  deux  membres  inférieurs  d'une  trépidation  par 
redressement  de  la  pointe  du  pied  (phénomène  du  pied)  assez  prononcée  et 
depuis  que  j'ai  appris  à  connaître  le  signe  de  Westphal,  une  exaltation  très 
manifeste  de  la  secousse  produite  dans  la  jambe  par  la  percussion  des  tendons 
rotuliens.  Cesphénomènes  persistent  d'ailleurs,  tels  que  je  les  ai  vus  jusqu'ici, 
aujourd'hui  encore.  Ainsi  vous  constatez  chez  notre  malade  la  trépidation 
assez  marquée  produite  par  le  redressement  de  la  pointe  du  pied,  mais  vous 
remarquez  surtout  comment  chaque  percussion  du  tendon  rotulien  est  suivie 
de  trois  ou  quatre  secousses  brusques  d'extension  de  la  jambe,  et  si  les  per- 
cussions sont  répétées  rapidement  un  certain  nombre  de  fois,  vous  voyez, 
à  un  moment  donnée  la  jambe  rester  étendue  sur  le  genou  qui  devient 
pour  un  temps  rigide,  le  membre  entrant  ainsi  en  état  de  contracture  spas- 
modique. 

Eh  bien,  messieurs,  je  dis  pour  l'avoir  maintes  fois  cliniquement  reconnu 
que  lorsque  les  choses  sont  ainsi,  quel  que  soit  du  reste  le  genre  de  l'affection 
spinale  dont  il  s'agisse  (1),  la  paraplégie  spasmodique  existe  réellement^  en 
puissance,  à  l'état  d'opportunité,  comme  l'a  dit  M.  Brissaud  et  qu'il  suffira 
souvent  d'une  cause  excitatrice,  en  apparence  fortuite,  pour  faire  que  la  rigidité 
permanente  se  réalise  définitivement  sous  une  forme  plus  ou  moins  accentuée. 
Combien  de  fois,  en  effet,  n'ai-je  pas  vu  «  la  contracture  latente  »  des  membres 
inférieurs  devenir  rapidement  contracture  «effective»,  à  la  suite  d'une  chute  sur 
le  membre  prédisposé,  sous  l'influence  d'une  irritation  cutanée  en  apparence 
banale  de  ce  membre  telle  que  l'application  d'un  vésicatoire,  ou  encore  en 
conséquence  d'une  faradisation  intempestive,  de  la  percussion  produite  par 
une  douche  lancée  à  jet  plein,  ou  enfin  par  le  fait  de  l'intervention  de  la  stry- 
chnine donnée  à  contretemps. 

Ainsi,  messieurs,  les  sujets  qui  paraissent  guéris  d'une  paraplégie  par 
compression  ne  sauraient  jouir  en  réalité  le  plus  souvent  peut-être,  malgré 
toute  l'apparence  contraire,  que  d'une  sécurité  précaire  :  mille  circonstances 
contingentes  les  menacent,  qui  peuvent,  à  un  moment  donné,  changer  le 
tableau  en  déterminant  le  retour  de  l'impuissance  motrice.  De  toutes  ces 
éventualités  il  est  bon,  je  pense,  que  le  malade  soit  prévenu,  afin  qu'il  ap- 
prenne à  les  éviter,  et  a  fortiori,  il   importe  que  le  médecin  ne  les   ignore 


\.  La  niê.iuî  reiuarquc  s'applique  aux  cas  d'héiniplégie  de  cause  ct'^rébralc. 


—  179  — 

point.  C'est  là,  du  reste,  un  sujet  sur  lequel  j'ai  plusieurs  fois  appelé  l'atten- 
tion dans  mes  Leçons  sur  Irs  localisalinns  dans  1rs  maUidics  du  cerveau  et  de  la 
moelle  rpinlère  (Varis,  1870,  1880;  voir  en  particulier  pp.  .'JiO  et  suivantes). 
Vous  consulterez  également  avec  fruit  sur  ce  même  sujet,  un  travail  de 
M.  Ch.  Féré  inséré  dans  le  quatrième  volume  des  Archives  de  I\eurologie 
(Paris  1882  p.  (il). 

Ce  n'est  pas  uniquement,  messieurs,  en  vue  de  relever  les  faits  qui  précèdent 
quelque  intéressants  qu'ils  soient,  que  je  vous  présente  aujourd'hui  notre 
malade. 

J'ai  voulu  surtout  appeler  votre  attention  sur  des  accidents  survenus  chez 
elle  récemment;  lesquels  accidents  ont  pu  faire  craindre  une  récidive  du  mal 
vertébral  et  consécutivement,  un  retour  de  la  compression  spinale.  Ainsi,  ce 
processus  morbide,  éteint  depuis  près  de  20  ans,  se  serait  réveillé  dans  ces 
derniers  temps,  et  rendu  manifeste  par  un  nouveau  retour  agressif.  Voici 

d'ailleurs,  ce  qui  s'est  passé.  B ot  qui,  je   le  répète,  pendant  de  longues 

années,  n'avait  dû  s'arrêter,  dans  son  service  de  domestique,  que  pour  des 
indispositions  tout  à  fait  indépendantes  de  la  maladie  spinale,  est  venu  nous 
trouver  ces  jours-ci  se  plaignant  de  douleurs  vives  dans  le  dos,  autour  de  la 
base  de  la  poitrine;  douleurs  comparables,  disait-elle,  à  celles  dont  elle  avait 
souffert  autrefois  ;  et,  en  même  temps,  elle  avait  senti  ses  jambos  s'affaiblir  et 
devenir  raides  comme  dans  l'ancien  temps,  au  point  que  la  marche  lui  était 
devenue  très  difficile.  J'avoue  qu'au  premier  abord,  à  entendre  ce  récit, 
notre  impression  avait  été  plutôt  défavorable  et  nous  nous  sentions  disposés 
à  partager  entièrement  les  craintes  de  la  malade.  Un  examen  plus  attentif 
devait  bientôt  nous  rendre  plus  réservés,  et  c'est  justement  l'exposé  des  motifs 
qui  ont  dissipé  en  grande  partie  nos  craintes,  que  je  tiens  à  vous  faire  con- 
naître à  présent. 

Mais  avant  d'en  arriver  à  ce  point,  je  crois  utile  de  vous  remettre  en  mé- 
moire quelques  détails  relatifs  à  la  physiologie  pathologique  et  à  la  sympto- 
matologie  de  la  compression  lente  de  la  moelle  épinière  dans  le  mal  de  Pott. 
Chose  remarquable,  bien  que  ce  soit  là  une  maladie  éminemment  vulgaire, 
on  est  resté  bien  longtemps  sans  s'entendre  sur  le  mécanisme  suivant  lequel 
la  moelle  est  affectée  dans  le  mal  de  Pott.  On  sait  comment  dans  une  disser- 
tation inaugurale  fort  remarquable,  un  de  mes  anciens  internes,  le  regretté 
Michaud,  a  puissamment  contribué  à  combler  ce  desideratum  (1). 

Avant  lui,  on  admettait  en  général  sommairement,  que  la  paraplégie  résulte 
en  pareil  cas  de  la  courbure  exagérée,,  souvent  anguleuse   que   présente  le 


1.  Voit'  Churcot.  Leçons  sur  les  malades  du  système  nerveux.  T.  II  p.  03.  Delà  compression 
lente  de  la  moelle  épiaii^re. 


—  180  — 

canal  rachidien  lorsqu'une  ou  plusieurs  vertèbres  se  sont  affaissées  sur  elles- 
mêmes.  Mais,  ainsi  que  Boyer  et  Louis  l'avaient  constaté,  la  paraplégie  peut 
disparaître,  alors  que  la  courbure  persiste  au  même  degré.  En  second  lieu,  la 
paraplégie  par  mal  de  Pott  s'observe  parfois  sans  qu'il  y  ait  la  moindre  trace 
de  déformation  de  la  colonne  vertébrale  ;  enfin,  et  ceci  constitue  un  troisième 
argument  contre  l'opinion  autrefois  courante,  on  sait  —  c'est  un  point  sur 
lequel  Cruvcilhier  a  insisté,  —  que  le  rachis  peut  offrir  les  déformations  les 
plus  extraordinaires,  sans  que  la  moelle  soit  intéressée. 

Il  paraît  établi,  actuellement,  que  dans  un  certain  nombre  de  casla  présence 
d'un  abcès  intrarachidien,  qui  déplace  d'avant  en  arrière  les  méninges  et  la 
moelle,  —  les  rapprochant  ainsi  de  la  partie  postérieure  du  canal  osseux,  — 
est  une  des  causes  de  la  compression  spinale  et  partant,  de  la  paraplégie. 
Ce  genre  de  refoulement  n'est  pas  une  simple  vue  de  l'esprit  fondée  sur  des 
considérations  purement  théoriques  ;  il  s'appuie,  dit  le  professeur  Lanne- 
longue  dans  un  livre  excellent  dont  je  vous  conseille  la  lecture  attentive,  il 
s'appuiC;,  dis-je,  sur  des  faits  cliniques  probants  (1).  La  plupart  des  chirur- 
giens, en  effet,  ont  observé  parfois  qu'après  l'ouverture  d'un  abcès  par  con- 
gestion dans  le  mal  de  Pott,  la  paralysie  des  membres  inférieurs  qui  existait 
auparavantdisparaissail.il  semble  bien  que,  dans  ces  cas,  la  seule  explica- 
tion qui  rende  compte  des  phénomènes  observés  est  celle  qui  vient  d'être 
donnée. 

Sans  doute,  c'est  ainsi  que  les  choses  se  passent  dans  un  certain  nombre  de 
cas.  Mais,  d'après  les  recherches  poursuivies  en  commun  avecMichaud,  voici 
quel  serait,  suivant  nous,  le  mécanisme  le  plus  habituel  de  la  compression 
spinale.  La  substance  caséeuse,  de  provenance  osseuse,  repousse  le  ligament 
vertébral  antérieur,  le  distend,  l'ulcère  sur  un  point,  et  vient  enfin  se  mettre  au 
contact  de  la  dure-mère;  de  telle  sorte  que  celle-ci,  par  le  fait  d'une  véritable 
contagion,  devient  à  son  tour  le  siège  d'une  végétation  tuberculeuse.  Il  se 
produit  là  une  sorte  de  pacliyméningite  spécifique  (Pachyméningite  externe 
tuberculeuse)  dont  le  mode  d'évolution  a  été  minutieusement  étudié  par 
Michaud.  Ce  sont  bien  les  lamelles  externes  de  la  dure-mère  qui,  ici,  sur  un 
point,  végètent  et  j)rolifèrent,  car  la  partie  moyenne  et  la  face  interne  restent 
souvent  tout  à  fait  indemnes. 

Les  produits  de  l'infiammation  spécifique  ainsi  provoquée  conservent  une 
certaine  cohésion  et  constituent  sur  la  face  externe  de  la  dure-mère  une  espèce 
de  champignon  plus  ou  moins  volumineux  à  base  plus  ou  moins  étendue 
qui  est,  en  réalité,  l'agent  de  la  compression.  Cette  végétation  caséo-tuber- 
culcupc  tend  à  s'étendre  de  proche  en  proche  à  la  surface  de  la  dure-mère, 
mais  rarement  le  champignon  qu'elle  constitue  forme  un  anneau  complet,  de 


1.  TuberculDsc  vertébrale.  Leçons  faites  ;\  la  Faculté  de  médecine.  Paris,  1888,  p.  iU). 


—  181  — 

telle  sorte  que  la  moelle  ne  paraît  en  général  comprimée  que  sur  une  partie 
de  la  face  antérieure. 


Fig.  39.  —  Pachyméning-ite  caséeusc    dans  le   mal  de  Pott.  —  a  face  cxteruo  de  la  diire-mèi-c 
b  la   dui'c-inèrc  étant   Incliée,  on  en  \olt  la  face  inlcrae  ;  c.  c.  c.  champignon  ca»éo-tiiber- 
rulcux. 


Il  y  a  lieu  de  remarquer  en  passant  que  les  racines  nerveuses,  dans  leur 
trajet  à  travers  des  parties  aussi  altérées  de  la  dure-mère,  deviennent  néces- 
sairement le  siège  de  lésions  plus  ou  moins  profondes.  Ces  lésions  se  tra- 
duisent pendant  la  vie  par  des  symptômes  que  nous  avons  proposé  d'appeler 
pspudo-ncvralgiqiies,  mais  qui  seraient  plus  convenablement   désignés   peut- 


^  182  — 

être  par  le  terme  plus  général  de  symptômes  radiculaires  proposé  par 
M.  Gowers  (1). 

Tel  est,  pensons-nous,  le  mode  le  plus  commun  de  compression  spinale 
dans  le  mal  de  Pott  (2).  Que  devient,  en  pareil  cas,  le  tissu  de  la  moelle  au 
niveau  du  point  comprimé  ?  Nos  observations  nous  ont  conduit  à  reconnaître 
qu'à  la  longue  se  produisaient  nécessairement  sur  ce  point  les  lésions  de  la 
myélite  transverse  (3)  avec  toutes  leurs  conséquences,  relatives  à  la  formation 
des  dégénérations  fasciculées  ascendantes  ei  descendantes. 

Il  est  remarquable,  messieurs,  que  des  lésions  aussi  profondes,  —  celles  de 
la  dure-mère  aussi  bien  que  celles  de  la  moelle  ne  sont  pas,  tant  s'en  faut, 
placées  au-dessus  des  ressources  de  la  nature  et  de  lart.  Le  champignon 
pachyméningé  peut  s'affaisser,  se  dessécher  en  quelque  sorte,  et  n'être  plus 
représenté  sur  la  dure-mère  que  par  une  surface  rugueuse,  et  pour  ce  qui  est 
de  la  moelle  au  point  comprimé,  elle  peut  retrouver  l'intégrité  de  ses  fonctions 
alors  même  qu'elle  n'a  récupéré  sa  structure  que  d'une  façon  fort  imparfaite. 
Cela  est  établi  par  un  certain  nombre  d'observations  dans  lesquelles,  après  avoir 
duré  une  ou  plusieurs  années,  la  paralysie  par  mal  de  Pott  a  guéri  cependant 
sans  laisser  d'autres  traces  que  cette  exagération  persistante  des  réflexes 
rotulicns  sur  laquelle  je  viens  d'appeler  votre  attention  à  propos  de  notre 
malade.  Dans  un  cas  de  ce  genre,  observé  avec  Michaud,  cas  relatif  à  une 
femme  de  la  Salpétrière  qui  avait  succombé  aux  suites  d'une  coxalgie,  alors 
que  la  paraplégie  par  mal  de  Pott  était  guérie  depuis  plus  de  deux  ans,  la 
moelle,  au  niveau  du  point  où  avait  eu  lieu  la  compression,  présentait  les 
altérations  suivantes  :  sur  la  hauteur  d'un  demi-centimètre  environ  elle  n'était 
pas  plus  grosse  que  le  tuyau  d'une  plume  d'oie  et  correspondait  sur  une  coupe 
durcie  au  tiers  environ  de  la  surface  de  section  d'une  moelle  normale  exa- 
minée dans  la  même  région  ;  sa  consistance  était  ferme,  sa  couleur  grisâtre  ; 
en  un  mot,  la  moelle  en  ce  point  offrait  toutes  les  apparences  de  la  sclérose 
la  plus  avancée. 

Au  sein  des  tractus  fibreux  denses  et  épais  qui  communiquaient  à  ce  tronçon 


i.  Dis.  of  l/ie  nervous  System.  T.  I,  p.  246.  Compression   of  the  spinal  Cord.  London,  1886. 

2,  Suivant  M. le  D''Lannelongue,le  refoulement  de  la  moelle  et  des  méninges  peut  être  produit 
par  le  développement  de  fongosités  dans  la  dii-ection  du  canal.  Un  certain  nomb''e  d  autopsies, 
dit-il,  fournissent  des  preuves  à  l'appui  de  cette  maniiM'c  de  voir;  on  trouve  des  fongosités  dans 
le  canal  vertébral,  la  dure-mère  étant  intacte,  la  moelle  l'étant  écralement,  et  n'accusant  que  des 
lésions  attribuables  à  une  compression  médiate  et  non  tuberculeuse.  11  ne  s'agit  plus  alors  de 
pachyméningite  engainante  et  compressive,  mais  d'une  compression  médullaire  produite  à  tra- 
vers la  dure-mére  par  une  masse  fongueuse.  (Loc.  cit.  p.  III.) 

3.  Suivant  MM.  Kahler  (Prag.  Med.  Woch.  1883,  n»"  47  iind  52),  Pick  {Real  Encyclopûdie, 
art.  Ruckeninark),  les  lésions  de  la  moelle  dans  la  paraplégie  par  compression,  suite  de 
mal  de  Pott,  resteraient  pondant  longtemps  passives  ;  la  participation  de  la  névroglie  n'aurait 
lieu  que  très  tardivement.  Voir  aussi  Striimpel.  {Lehrbiich  der  Sp.  Patli.  und.  Therap.  etc. 
2-'  Bd.  1  Tlieil.3.  Aufiage,  p.  167. 


—  183  — 

de  moelle  sa  coloration  grise  et  sa  consistance  ferme,  le  microscope  faisait  dé- 
couvrir un  certain  nombre  de  tubes  nerveux  munis  de  leur  cylindre  axile  et 
de  leur  enveloppe  de  myéline,  en  somme  très  normalement  constitués. 

Le  nombre  de  ces  tubes  nerveuxsains  était,  onlecomprend,  bien  au-dessous 
du  taux  normal.  J'ajoutei'ai  que  la  substance  grise  n'était  plusre[)résentée  sur 
les  coupes  que  par  une  des  cornes  de  la  substance  grise  où  l'on  ne  retrouvait 
qu'un  petit  nombre  de  cellules  intactes. .Gependantcesconditionsanatomiques, 
en  apparence  si  défavorables,  avaient  suffi  au  rétablissement  complet  de  la 
sensibilité  et  du  mouvement  dans  les  membres  inférieurs  (1). 

Tels  sont  les  faits  anatomo-patliologiques  que  j'ai  cru  devoir  vous 
remettre  en  mémoire.  Il  ne  me  reste  plus,  pour  en  finir  avec  la  digression  dans 
laquelle  je  viens  d'entrer,  qu'à  relever  dans  la  symptomatologie  régulière  de 
la  paraplégie  par  mal  de  Fott,  quelques-uns  des  principaux  troubles  fonc- 
tionnels qui  s'y  rattachent. 

Et  d'abord,jevous  rappellerai  que  dans  l'évolution  de  cette  affection,  les  pseu- 
do-névralgies (symptômes  radiculaires)dont  nous  parlions  tout  à  l'heure  ouvrent 
le  plus  souvent  la  scène  ;  elles  se  manifestent,  vous  le  savez,  suivant  le  siège 
qu'occupe  la  pachymôningite,   sous  forme  de   douleurs   en  ceinture   double 
ou  unilatérale,  sous  forme  de  névralgie  brachiale  ou  encore  sous   forme  de 
sciatique.  Elles  précèdent  souvent  de  longtemps  la  première    apparition    des 
symptômes  de   paraplégie   spasmodique.  Ce   que    ceux-ci   offrent  de  parti- 
culièrement remarquable,  c'est  la  prédominance  marquée  des  troubles  moteurs 
dans  la  plupart  des  cas,  sur  les  sensitifs  ;  à  part  les  quelques  engourdissements 
et  fourmillements  qui  marquent  le  début  et  disparaissent  souvent  ensuite,  la 
transmission  des  impressions  sensitives  s'effectue  longtemps  d'une   manière 
physiologique,  alors  que  les  mouvements  sont  déjà  profondémont  altérés,  et  il 
est  même  rare  qu'elle  soit  jamais  complètement  interrompue   ou  même  très 
sérieusement  intéressée.  C'est  là  une  particularité  reconnue  depuis  longtemps 
par  l'observation  clinique,  et  qui  établit  un  contraste  avec  ce  qui  a  lieu  dans 
les  cas  de  myélites  spontanées  ou  de  tumeurs  intra-spinales  dans  lesquels  les 
lésions  occupent  très  habituellement  dès  leur  apparition  les  parties  centrales 
de  la  moelle. 

C'en  est  assez  sur  ce  sujet  pour  le  but  que  je  me  suis  proposé  d'atteindre  et 
j'en  reviens  actuellement  à  l'examen  de  notre  malade.  Je  vous  rappellerai  en 
deux  mots  les  accidents  dont  la  malade  se  plaint  depuis  le  9  décembre 
dernier,  il  y  a  un  mois  environ,  et  pour  lesquels  elle  est  venue  nous  consulter. 
Douleurs  dans  le  dos  au  niveau  de  la  gibbosité  et  de  chaque  côté  de  la  poi- 
trine sous  forme  de  ceinture  ;  ces  douleurs  augmentent  par  la  flexion  de  la 


i.  Leçons  sur  les  maladies  du  sj/stème  nerveux.  ï.  II,  p.  104  et  suiv. 

et) 


—  184  - 

tête  et  du  tronc  en  avant  ;  les  jambes  sont  devenues  raides  ;  la  marche  est 
réellement  difficile  ;  dans  les  membres  supérieurs,  qu'elle  meut  cependant 
assez  librement,  elle  éprouve  au  moindre  mouvement  une  grande  fatigue,  un 
sentiment  de  faiblesse,  d'impuissance  motrice,  surtout  quand  il  faut  les  tenir 
élevés  comme  pour  se  peigner,  et  dans  ces  mouvements  les  douleurs  du  dos 
et  de  la  poitrine  augmentent.  Pas  de  troubles  vésicaux  d'ailleurs.  Pas  de 
fièvre. 

Toute  cette  symptomatologie,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  con- 
duisait tout  naturellement  à  penser  qu'une  nouvelle  poussée  de  la  maladie 
ancienne,  depuis  si  longtemps  en  apparence  éteinte,  s'était  produite  sous  une 
forme  congestive  ou  autre,  soit  sur  la  dure-mère^  soit  dans  la  moelle  elle- 
même,  et  en  réalité  il  est  difficile  de  ne  pas  penser  qu'il  en  ait  été  réellement 
ainsi,  dumoins  à  un  certain  degré.  On  pouvait  même  craindre  que  les  membres 
supérieurs,  épargnés  dans  la  maladie  première,  ne  participassent  cette  fois  dans 
une  certaine  mesure,  à  la  parésie,  en  conséquence  vraisemblablement  d'une 
diffusion  de  la  congestion  spinale  vers  le  renflement  cervico-brachial  ou 
encore  par  une  extension  de  proche  en  proche  de  la  pachyméningite  externe. 
Mais,  ainsi  que  vous  allez  le  voir,  un  examen  plus  attentif  des  phénomènes 
cliniques  devait  nous  conduire  à  reconnaître  que  la  part  des  lésions  organi- 
ques supposées  a  été  ici  vraiment  effacée.  Ces  lésions,  bien  certainement, 
n'ont  pas  joué  d'autre  rôle  que  celui  de  causes  occasionnelles  ou,  si  vous 
l'aimez  mieux,  d'agents  provocateurs  qui,  par  un  mécanisme  dont  nous 
aurons  à  parler  tout  à  l'heure  ont  mis  en  jeu  une  aff'ection  purement  dyna- 
mique, fonctionnelle  comme  on  dit  encore;  et  c'est  justement  cette  affection 
qui,  aujourd'hui,  sur  la  scène  morbide  occupe  le  premier  rang.  C'est  elle,  en 
d'autres  termes,  qui  actuellement  caractérise  vraiment  la  situation;  c'est  elle 
enfin  qu'il  faut  apprendre  à  connaître  pour  établir  le  diagnostic,  le  pronostic, 
et  instituer  convenablement  le  traitement.  Voilà  autant  d'assertions  quïl  s'agit 
maintenant  de  justifier. 

L'examen  des  membres  inférieurs  fait  constater  ce  qui  suit:  la  malade 
exagère  inconsciemment  la  faiblesse  des  membres  inférieurs  ;  ceux-ci  sont 
réellement  un  peu  raides,  mais  la  résistance  des  divers  segments  du  membre 
aux  mouvements  qu'on  veut  lui  imprimer^  alors  que  la  malade  s'y  oppose, 
n'est  pas  moindre  qu'elle  ne  Tétait  avant  le  9  décembre;  j'en  dirai  autant, 
des  réflexes  rotuliens  et  du  phénomène  du  pied.  Ils  sont  sensiblement  restés 
ce  qu'ils  étaient  autrefois.  Par  contre,  en  explorant  la  sensibilité,  nous  cons- 
tatons, à  notre  grand  étonnement,  l'existence  d'une  anesthésie  cutanée  com- 
plète, absolue,  totale,  qui  se  répand  sur  toute  l'étendue  des  deux  membres 
inférieurs  depuis  leur  extrémité  jusqu'à  leur  racine  où  elle  se  limite  en  avant 
par  une  ligne  qui  suit  exactement  le  pli  de  l'aine  et  en  arrière  par 
une  ligne  qui  suit  le  pli  fessier  inférieur.  Eh  bien,  messieurs,  voilà  un  fait  qui 
ne  concorde  guère  avec  l'idée  d'un  retour  chez  notre  malade  des  phénomènes 


—  185  — 

de  compression  spinale.  Nous  savons  en  effet  que,  dans  celle-ci,  les  troubles  de 
lascnsibititôun  pfMi  sérieux  se  manifestent  seulement  lorsque  l'impuissance  mo- 
trice est  portée  déjà  à  un  haut  degréet  justement,  vous  le  voyez,  c'est  dans  notre 


Fig.  40  et  41.  —  «a,  bb.  Anesthésic   pour   tous   les  modes  de  la  sensibilité. 

Perte  du  sens  musculaire. 


cas,  le  contraire  qui  existe.  Les  doutes  ne  font  que  s'accroître  si  l'on  examine 
l'état  de  la  sensibilité  profonde,  celle-ci  est  modifiée  au  plus  haut  degré  ;  c'est 
à  tel  point  que  Ton  peut  tordre  les  jointures  des  orteils,  du  cou-de-pied,  du 
genou  sans  que  la  malade  s'en  aperçoive,  et  en  outre,  les  yeux  fermés,  elle 
méconnaît  absolument  les  positions  qu'on  imprime  aux  divers  segments  du 
membre.  Vous  remarquerez,messieurs,qu'il  y  a  là  un  ensemble  de  symptômes 


^  186  ■«« 

qui,  dans  la  catégorie  des  affections  organiques  spinales  ne  pourraient  guère 
se  rencontrer  que  dans  le  cas  d'une  lésion  profonde  de  la  substance  grise  cen- 
trale et  dans  ce  cas-là,  nécessairement,  les  troubles  moteurs  seraient  pro- 
noncés à  l'avenant  ;  or  vous  savez  que  ce  n'est  point  de  cela  qu'il  est  question 
ici. 

D'ailleurs,  le  mode  de  limitation  de  l'insensibilité  vers  la  racine  du  mem- 
bre était  déjà  pour  nous  une  révélation  ;  vous  y  reconnaissez  en  effet  cette 
disposition  de  «  l'anesthésie  en  gigot  »  qui,  ainsi  que  je  vous  l'ai  bien  souvent 
fait  remarquer,  constitue  un  des  caractères  cliniques  les  plus  intéressants 
des  paralysies  hystéro-traumatiques  en  particulier,  et  en  général  des  paralysies 
hystériques  psychiques.  S'agit-ii  donc  chez  notre  malade  d'hystérie  ?  Oui,  et 
c'est  chez  elle  l'hystérie  qui  actuellement  domine  de  beaucoup.  Cette  assertion 
sera,  je  pense,  pleinement  justifiée  par  les  détails  qui  vont  suivre. 

On  trouve,  exactement  reproduites  dans  les  membres  supérieurs  toutes  les 
particularités  que  nous  venons  de  signaler  à  propos  des  membres  inférieurs  ; 
même  anesthésie  cutanée  complète,  limitée  «  en  gigot  »  vers  la  racine  du 
membre,  même  anesthésie  profonde,  même  perte  de  la  sensibilité  articulaire, 
même  ignorance  les  yeux  fermés  de  la  position  donnée  aux  diverses  parties  du 
membre;  j'ajouterai  enfin,  même  absence  de  troubles  sérieux  dans  le  domaine 
du  mouvement. Tel  n'eùtpasété,  bien  évidemment,  le  concours  des  symptômes 
dans  le  cas  supposé  d'une  extension  de  la  pachyméningite  externe  vers  le 
renflement  cervico-brachial  :  dans  ce  cas,  en  effet,  les  troubles  anesthésiques, 
—  expression  d'une  lésion  des  racines  du  ple.xus  brachial —  eussent  été  pré- 
cédés nécessairement  de  douleurs  pseudo-névralgiques  vives,  lesquelles  font 
absolument  défaut  dans  l'histoire  de  notre  cas;  en  même  temps  que  les  trou- 
bles du  mouvement  se  fussent  montrés  beaucoup  plus  accentués  qu'ils  ne  le 
sont  en  réalité.  C'est  donc  encore  l'hystérie  qui  est  en  jeu  dans  les  membres 
supérieurs. 

La  présence  de  l'élément  hystérique  est  encore  marquée  d'ailleurs,  chez 
notre  malade^  par  l'existence  d'un  rétrécissement  unilatéral  très  net  du  champ 
visuel  et  aussi  par  une  série  d'autres  phénomènes  dont  il  sera  question  dans 
un  instant. 

En  somme,  messieurs,  il  n'est  guère,  chez  elle^,  que  la  rachialgie  et  les  douleurs 
en  ceinture  qui  paraissent  devoir  être  rattachées  exclusivement  à  l'élément 
organique,  et  encore  faut-il  faire  remarquer  que  la  douleur  accusée  au 
niveau  de  la  gibbosité  n'est  point  exagérée  par  la  percussion  pratiquée  à 
l'aide  du  marteau  de  Skoda  et  que,  sur  certains  points,  les  douleurs  thora- 
ciques  sont  très  superficielles,  réveillées  par  un  léger  frôlement  exercé  à  la 
surface  du  tégument  externe. 

En  résumé,  l'élément  organique  est  représenté  peut-être,  symptomatique- 
ment,  chez  B...ot  par  la  rachialgie  et  Taffaiblissement  parétique  des  membres 
inférieurs  ;  tout  le  reste  appartient  à  l'hystérie. 


—  187  — 


C'est,  il  importe  de  le  relever,  à  Toccasion  de  la  ménopause  que  Tun  et 
l'autre  élément  se  sont  développés.  Depuis  six  mois,  les  régies  (jui  jusque-là 
avaient  été  régulières,  se  sont  supprimées  ;  à  partir  de  cette  époque.  B...ot  est 
sujette  à  des  malaises  variés  ;  elle  ressent  souvent  des  bouffées  de  chaleur  qui 

c 


s  ci  s     ne 


Fig.  42.  —  Champ  visuel  de  l'œil  gauche.  Le  champ  visuel  de  l'oeil  droit  est  normal. 

lui  montent  au  visage,  puis  tout  le  corps  se  couvre  de  sueur.  D'autres  fois,  ce 
sont  des  frissons  qui  «  la  glacent  »  ;  elle  souffre  fréquemment  de  palpitations 
du  cœur,  d'insomnie  ;elle  est  triste,  inquiète,  tourmentée  par  des  bourdonne- 
ments d'oreilles.  Elle  pleure  fréquemment  pour  le  plus  léger  motif^  et  même 
parfois  sans  motif.  Ce  sont  là,  sans  doute,  des  phénomènes  qui  se  montrent 
vulgairement  chez  les  femmes  à  l'occasion  de  l'âge  critique  et  qu'on  pourrait 
presque  dire  physiologiques  :  mais,  la  ménopause,  vous  ne  l'ignorez  pas, 
représente  une  période  de  la  vie  particulièrement  favorable  au  développe- 
ment ou  à  la  réapparition  de  diverses  affections,  soit  organiques  soit  pure- 
ment dynamiques  et  pour  ne  parler  que  de  celles-ci,  on  peut  rappeler  que,  à 
côté  de  la  chlorose  de  l'âge  critique,  il  y  a  lieu  de  placer  Thystérie  de  la  mé- 
nopause :  c'est  de  cela  qu'il  s'agit  simplement  chez  notre  malade.  La  nature 
hystérique  chez  elle  de  la  grande  majorité  des  symptômes  n'est  pas  dou- 
teuse ;  et,  si  les  accès  convulsifs  font  défaut,  les  stigmates  permanents  sont, 
vous  l'avez  constaté,  tellement  accentués,  tellement  classiques,  (jue  leur 
identité  ne  saurait  être  un  instant  méconnue. 

En  terminant,  il  me  reste  un  point  à  toucher.  Les  deux  éléments  pathologi- 
ques, dont  nous  venons  de  signaler  la  présence  simultanée  chez  notre  sujet, 
sont-ils  restés  absolument  isolés  l'un  de  l'autre,  ou  au  contraire  existe-t-il 
entre  eux  une  certaine  relation  ? 


-  188  " 

Je  crois,  messieurs,  que  la  relation  existe  en  effet,  et  voici,  je  pense, en  quoi 
elle  consiste.  La  diathèse  hystérique,  vraisemblablement,  a  été  mise  en  jeu  dès 
l'origine  des  accidents  liés  à  la  ménopause  :  les  phénomènes  de  compression 
spinale  ne  se  sont  manifestés  qu'ensuite. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  sont  ceux-ci  pensons-nous,  qui  ont  déterminé  la  forme 
particulière  et  aussi  la  localisation  spéciale  qu'ont  affecté  les  manifestations 
de  celle-là. 

Voici,  du  reste^  comment  je  comprends  les  choses  :  par  le  fait  de  la  repro- 
duction, dans  une  certaine  mesure  des  lésions  organiques  spinales,  la  malade 
a  éprouvé  des  douleurs  rachialgiques  et  en  ceinture,  en  même  temps  qu'elle 
sentait  les  membres  inférieurs  s'affaiblir.  Ces  douleurs,  cette  parésie  ampli- 
fiées par  l'imagination,  ont  fait  naître  dans  son  esprit  la  crainte  de  voir  se 
reproduire,  sous  une  forme  plus  grave  encore  peut-être,  toute  la  série  des 
accidents  paralytiques  d'autrefois.  Or,  messieurs,  vous  ne  l'ignorez  pas,  sou- 
vent l'état  mental  des  hystériques  se  rapproche  beaucoup  de  celui  qui  carac- 
térise le  somnambulisme  hypnotique,  en  ce  sens  que,  dans  les  deux  cas,  le 
phénomène  d'auto-suggestion  peut  se  produire  aisément,  prendre  des 
proportions  considérables  et  aboutir  finalement  à  la  réalisation  objective  des 
symptômes  imaginés.  C'est,  messieurs,  à  ce  que  je  crois,  par  ce  mécanisme 
psycho-somatique  qu'à  l'exemple  de  ce  qui  a  lieu  dans  les  cas  où  il  s'agit  de  la 
production  des  paralysies  hystéro-traumatiques  en  conséquence  d'un  choc 
local,  B...ot  a  «  localisé  »,  si  Ton  peut  ainsi  parler,  «  son  hystérie  »  dans  les 
membres  inférieurs  où  elle  éprouvait  le  sentiment  d'impuissance  motrice  qui 
a  été  le  point  de  départ  de  Fauto-suggestion.  En  même  temps,  comme  cela 
devait  être,  les  troubles  parétiques  ainsi  produits  se  sont  accompagnés  des 
troubles  particuliers  de  la  sensibilité  cutanée  et  profonde  caractéristiques  en 
pareil  cas,  de  façon  à  reproduire  le  type  univoque  des  paralysies  hystéro- 
psychiques. 

Pour  ce  qui  est  de  la  paralysie  des  membres  sunérieurs,  qui  se  présente 
comme  l'on  a  vu  en  tout  semblable  à  celle  des  membres  inférieurs,  on  pour- 
rait dire  qu'elle  est  le  produit  d'une  suggestion  par  contre-coup  ou  autrement 
parlé,  d'un  raisonnement  inconscient  par  analogie. 

On  pourrait  dire  encore  qu'elle  représente  l'interprétation  exagérée  du  sen- 
timent de  faiblesse,  de  fatigue  accusé  par  la  malade  dans  les  bras,  toutes  les 
fois  qu'elle  voulait  s'en  servir  en  les  élevant  au-dessus  de  sa  tète. 

Mais  je  ne  saurais  aujourd'hui  entrer  dans  de  plus  longs  développements 
concernant  la  question  de  théorie  et  je  reviens  au  côté  prati([ue.  Il  est  clair, 
d'après  ce  qui  précède,  que  le  pronostic  est  moins  grave  qu'il  ne  paraissait 
l'être  au  premier  abord,  car,  en  somme,  ainsi  que  je  Tai  déjà  proclamé,  c'est 
évidemment  l'hystérie  qui  domine  la  situation,  et  il  y  a  tout  lieu  d'espérer 
qu'elle  n'a  pas  jeté  encore  dans  Torganisme  de  racines  profondes.  Les  appli- 
cations de  pointes  de  feu  et  le  repos  au  lit  pourront  être  utiles  en  vue  do  com- 


—  189  — 

battre  le  travail  inflammatoire  supposé,  et  pour  ce  qui  est  des  phénomènes 
hystéric^ues,  il  importe  de  nissurer  la  malade  sur  Tissue  des  événements,  de 
relever  ses  forces  et  de  savoir  attendre. 


2^  Malade. 


Par  le  fait  d'une  coïncidence  assez  singulière,  nous  avons  encore  à  parler 
du  mal  de  Pott  à  propos  de  notre  second  malade.  J'aurai  à  vous  rappeler  com- 
bien il  est  difficile  parfois  de  reconnaître  l'existence  du  mal  vertébral  tuber- 
culeux dans  les  premières  périodes  de  son  évolution, alors  par  exemple  ({ue  la 
gibbosité  ne  s'est  pas  encore  produite  ;  et  aussi  comment  l'ensemble  des  signes 
classiques  sur  lesquels  reposent  le  diagnostic  de  la  maladie  peut  à  cette 
époque  être  quelquefois  simulé  de  la  façon  la  plus  frappante  dans  l'hys- 
térie. 

Bonneuil,  où  est  né  notre  malade,  Me...ier,  aujourd'hui  âgé  de  24  ans, 
est,  vous  ne  l'ignorez  peut-être  pas, un  bourg  situé  non  loin  de  Saint-Maur,sur 
les  bords  de  la  Marne.  Ce  n'est  pas  tout  à  fait  la  ville  sans  doute  mais  ce  n'est 
pas  non  plus  tout  à  fait  la  campagne,  car,  dans  le  lointain,  on  y  entend  en 
prêtant  bien  l'oreille  le  bourdonnement  de  la  capitale  ;  d'ailleurs  les  relations 
directes  entre  les  Parisiens  et  les  habitants  de  Bonneuil  sont  chose  fréquente 
surtout  le  dimanche,  où  elles  s'opèrent  sur  une  grande  échelle  par  la  voie  nau- 
tique. 

Ces  préliminaires  qui,  au  premier  abord,  paraissent  étrangers  à  la  cause, 
sont  destinés  cependant  à  en  faire  apprécier,  comme  il  convient,  certains 
détails  relatifs  au  côté  intellectuel  et  moral  de  notre  homme.  Nous  ne  vou- 
drions pas  vous  le  présenter  comme  un  citadin  accompli,  ce  serait  forcer  la 
note  ;  mais  très  certainement,  ce  n'est  pas  non  plus  un  paysan  vulgaire,  bien 
que  son  métier  soit  de  cultiver  la  terre.  En  somme,  il  a  bien  profité  de  sa  fré- 
quentation de  l'école  car  il  n'est  pas  sans  instruction;  il  écrit  fort  correcte- 
ment et  il  aime  la  lecture;  il  a  vraiment  d'assez  bonnes  façons  et  ses  goûts 
sont  plutôt  relevés.  Il  est  grand,  assez  bien  taillé,  d'une  figure  agréable,  mais 
pâle  et  d'apparence  délicate,  un  peu  féminine.  Dans  ses  antécédents  hérédi- 
taires il  faut  relever  que  son  père  a  été  atteint  d'une  tumeur  blanche  au  pied 


—  190  — 

pour  laquelle  il  a  subi  l'amputation  de  la  jambe.  Lui,  a  toujours  été  un  peu 
faible,  presque  malingre  et,  il  y  a  trois  ans,  il  a  souffert  d'une  grande  maladie 
dont  le  nom  sonne  mal  à  l'oreille  ;  c'était  paraît-il  une  pleurésie  double.  La 
durée  en  a  été  de  six  mois.  Ajoutons  qu'il  porte  dans  l'épididymedu  testicule 
droit  une  induration  qui  a  été  considérée  comme  étant  de  nature  tuberculeuse. 
Il  s'est  cru  pendant  longtemps  complètement  guéri  de  tout  cela;  cependant  il 
accuse  que,  depuis  cette  époque,  il  n'a  plus  jamais  retrouvé  sesforces  d'autre- 
fois; sa  santé  est  restée  chancelante,  le  moindre  travail  le  fatigue.  L'anémie 
profonde  sous  le  coup  de  laquelle  il  vit  actuellement  date  de  ce  temps-là.  La 
tuberculose  pulmonaire  est-elle  réellement  en  jeu  chez  lui?  cela  est  bien  pos- 
sible ;  cependant,  l'examen  attentif  des  voies  respiratoires  ne  nous  a  fourni 
aucun  signe  propre  à  justifier  positivement  ces  craintes. 

Dans  ces  derniers  temps,  il  y  a  trois  mois,  à  la  suite  d'émotions  morales 
qui  l'ont  fortement  remué,  et  dont  je  me  réserve  de  vous  entretenir  plus  loin, 
sa  santé  s'est  altérée  au  point  qu'il  a  dû  être  admis  dans  un  hôpital. 

Les  symptômes  nouveaux  qui  s'étaient  produits  alors  et  qui  ont  motivé  cette 
admission,  étaient  tels  qu'on  avait  émis  l'opinion  qu'il  était  atteint  d'un  mal 
de  Pott  ;  et  cette  opinion,  qui  fut  du  reste  bientôt  abandonnée,  vous  paraîtra 
incontestablement  fort  soutenable  pour  peu  que  vous  vouliez  considérer  un 
instant  les  choses  d'un  certain  point  de  vue,  à  la  vérité  trop  exclusif. 

Rappelez-vous  d'abord  les  antécédents  héréditaires  du  malade:  père  amputé 
pour  une  tumeur  blanche  ;  chez  le  malade  lui-même,  l'existence  passée  d'une 
pleurésie  double,  laprésence d'une  induration  testiculaire  peut  être  de  nature 
tuberculeuse;  l'anémie  profonde,  enfin  la  prostration  actuelle  des  forces,  et 
aussila  faiblesse  originelle  du  suj  et  ;  voilà  certes, des  circonstances  qui  ne  contre- 
disent nullement  à  l'idée  du  mal  de  Pott. 

Mais  c'est  surtout,  sans  doute,  un  certain  ensemble  de  symptômes,  encore 
présents  aujourd'hui, et  que  nous  pourrons  par  conséquent  étudier  avec  vous, 
qui  avait  frappé  l'attention.  Vous  avez  vu  notre  malade  faire  son  entrée 
dans  la  salle  de  cours  en  s'aidant  d'une  béquille  qu'il  porte  du  côté  droit 
le  tronc  tenu  raide  dans  la  verticale,  la  région  lombaire  présentant  une 
cambrure  assez  forte,  les  jambes  traînantes,  surtout  la  droite.  Ce  sont  les 
douleurs  dont  il  souffre  et  qu'il  localise  dans  l'épine,  à  la  partie  infé- 
rieure de  la  région  dorsale  et  dans  la  région  lombaire,  qui  semblent  com- 
mander cette  attitude.  Ces  douleurs  paraissent  très  vives;  elles  se  font  sentir 
spontanément,  et  sont  alors  comparées  à  la  sensation  que  produirait  une 
brûlure  ou  un  vésicatoire  à  vif;  mais  elles  sont  exaspérées  soit  par  la  pression, 
soit  par  les  moindres  mouvements  du  tronc,  et  dans  ces  cas-là,  elles  se  mon- 
trent bien  plus  vives  encore;  elles  rayonnent  des  deux  côtés  du  tronc,  le  long 
des  fausses  côtes,  et  s'étendent  en  avant  jusque  dans  les  deux  fosses  iliaques, 
surtout  dans  la  droite.  Lorsque  nous  avons  examiné  le  malade  au  lit.  nous 
avons  remarqué  qu'il  ne  peut  s'asseoir  complètement.  Lorsqu'il  veut  essayer 


—  191  — 

de  le  faire,  il  tire  de  toutes  ses  forces  sur  la  corde  du  lit  et  parvient  ainsi  à 
soulever  ses  épaules  ;  le  tronc  suit,  tenu  tout  d'une  pièce,  mais  ne  s'élevant 
guère  au  delà  d'un  angle  de  45  degrés. 

Bien  qu'il  n'y  ait  pas  trace  d'une  déformation  vertébrale,  voilà  certes  un 
ensemble  de  faits  qui  sont  bien  dénature  à  éveiller  l'idée  du  mal  de  Pott:  d'au- 
tant mieux  que  la  démarche  traînante  fait  songer  à  l'existence  d'une  parésie  des 
membres  inférieurs  et  qu'un  examen  antérieur  avait  révélé  déjà  un  certain 
degré  d'excitation  des  réflexes  rotuliens.  Mais  on  ne  saurait,  en  pareilbj 
matière, se  borner  à  un  aperçu  sommaire,  et,  avant  de  rien  décider,  il  est  in- 
dispensable d'examiner  les  choses  de  beaucouj)  plus  près.  Vous  n'ignorez  pas 
que  les  chirurgiens  relèvent  avec  insistance,  et  c'est  bien  à  juste  titre,  les 
difficultés  que  présente  le  diagnostic  du  mal  vertébral,  à  son  origine,  avant 
l'apparition  de  la  gibbosité.  Indiquons  d'abord  l'un  des  points  dont  ils  recom- 
mandent l'étude  attentive  comme  devant  fournir  les  renseignements  les  plus 
importants  :  l'examen  de  la  souplesse  du  rachis,  suivant  M.  le  professeur 
Lannelongue  (1),  de  la  mobilité  des  vertèbres  peut  donner  des  indications  de 
premier  ordre. 

On  sait  qu'à  l'état  normal  lorsque  le  tronc  s'infléchit  en  avant  et  se  redresse, 
lorsque  ces  mouvements  opposés  sont  portés  à  leur  maximum,  on  voit  les 
courbures  normales  du  rachis  se  modifier  régulièrement  surtout  au  cou  et  aux 
lombes  ;  les  concavités  s'effacent,  se  transforment  même  en  courbures  inverses 
et  si,  pendant  que  le  malade  effectue  ces  mouvements,  on  applique  les  doigts 
sur  les  apophyses  épineuses,  on  sent  facilement  un  certain  degré  de  mobilité 
entre  les  vertèbres  d'une  région.  De  plus  le  patient  n'en  éprouve  aucune  gène. 
Toutes  ces  particularités  vous  les  pouvez  constater  chez  cet  homme  sain  que 
j'ai,  pour  permettre  la  comparaison,  fait  placer  près  de  notre  sujet  et  qui,  le 
tronc  dépouillé  de  vêtements,  exécute  devant  nous  les  mouvements  signalés 
ci-dessus. 

Mais  il  n'en  est  plus  de  même  chez  notre  malade,  tant  s'en  faut  :  le  tronc, 
lorsqu'il  se  fléchit  en  avant,  ou  se  redresse,  ou  encore  lorsqu'il  tend  à  s'incliner 
sur  l'un  ou  l'autre  côté,  se  déplace  tout  d'une  pièce,  les  mouvements  manquent 
de  souplesse.  11  semble  que  les  apophyses  épineuses  soient  fixées  l'une  à 
l'autre;  ces  mouvements  sont  d'ailleurs  extrêmement  limités  en  raison  de  la 
douleur  intense  qu'ils  déterminent,  lorsqu'ils  sont  poussés  un  peu  loin.  Or, 
justement,  messieurs,  telle  est  la  rigidité  anormale  qui  dès  le  début,  avant 
toute  difformité,  constitue  suivant  les  auteurs  (2)  un  des  caractères  cliniques 
du  mal  de  Pott. 
D'après  la  description  donnée  par  le  malade,   du  siège,  de  l'étendue,  du 


1.  Liinnc\ons;n(i,Tube)X'ulose  vertébrale,  1888,  p.  i-l(3. 

2,  Lannelongue,  loc.  cit. 


■27 


—  192  — 

caractère  des  douleurs  qu'il  ressent,  de  leur  exacerbation  sous  l'influence  des 
moindres  mouvements  du  tronc,  on  pourrait  être  conduit  à  penser  que  l'étude 
méthodique  de  ces  troubles  de  la  sensibilité  fournirait  des  résultats  conformes 
à  ceux  obtenus  par  l'examen  de  la  souplesse  du  rachis,  c'est-à-dire  plaiderait 
dans  le  même  sens.  Eh  bien,  c'est  justement  ici  que  la  lumière  va  se  faire,  que 
la  véritable  nature  du  cas  va  commencer  à  se  dévoiler.  Il  n'est  pas  nécessaire 
en  effet  chez  notre  homme  pour  provoquer  la  douleur  rachidienne  d'exercer  à 
l'aide  du  doigt, avec  une  certaine  force, une  pression  profonde  sur  les  apophyses 
épineuses,  sur  les  apophyses  transverses,  sur  les  gouttières  vertébrales.  Une 
pression  des  plus  légères,  un  simple  attouchement^,  un  frôlement  suffisent, 
vous  le  voyez,  pour  éveiller  une  douleur  vive  et,  si  peu  qu'on  insiste,  pour  arra- 
cher des  cris  au  patient. 

En  réalité,  il  existe  là  non  seulement  sur  le  rachis,  mais  encore  partout  où 
s'étend  la  douleur  spontanée,  une  «  hyperesthésie  exquise  »  poussée  auplus  haut 
degré,  qui,  sans  doute,  occupe  pour  une  part  les  parties  profondes  mais  qui 
siège  surtout  dans  le  tégument  externe.  On  s'en  assure  très  exactement 
en  formant  sur  un  point  quelconque  des  parties  hyperesthésiées  un  pli  de 
la  peau  que  l'on  comprime  en  suite  entrele  pouce  et  l'index.  Une  pression  même 
très  légère  de  ce  repli  cutané  suffit  pour  produire  la  douleur  ;  une  pression  un 
peu  forte  la  porte  au  plus  haut  degré. 

La  pression  a  encore  un  autre  efl'et  sur  lequel  il  nous  faut  particulièrement 
insister,  car  il  constitue  dans  l'espèce  une  révélation  très  significative.  Lors- 
qu'on presse  sur  la  peau,  même  doucement,  qu'on  y  exerce  un  frôlement  su- 
perficiel ou  encore  lorsqu'on  comprime  légèrement  un  pli  cutané  compris 
entre  deux  doigts,  la  sensation  produite  chez  le  patient  n'est  pas  seulement 
une  douleur  locale  plus  ou  moins  vive,  qu'il  compare  généralement  à  une 
brûlure,  c'est  encore  un  sentiment  de  quelque  chose  qui  monte  du  bas  ventre, 
arrive  à  l'épigastre,  au  cœur  où  il  se  produit  des  palpitations,  à  la  gorge  où 
l'on  croit  sentir  une  boule  qui  vous  étouffe,  à  la  tête  enfin  où  les  oreilles 
sifflent  en  même  temps  que  l'on  ressent  de  forts  battements  dans  les  tempes. 
Evidemment,  cette  hyperesthésie  du  tégument  si  accentuée,  telle  qu'on  ne  la 
voit  guère  que  dans  de  certaines  conditions,  chez  les  tabétiques  ouïes  hysté- 
riques, et  surtout  cette  sensation  d' aura  consécutive  à  la  pression,  ne  sont  pas 
l'expression  d'une  névrite  intercostale  déterminée  par  la  compression  exercée 
sur  les  racines  nerveuses  à  leur  passage  dans  les  trous  de  conjugaison  ou  au 
travers  des  méninges  épaissies. 

C'est  certainement  d'autre  chose  qu'il  s'agit,  et  nous  voici  amenés  bien  loin 
de  l'idée  du  mal  de  Pott  ;  tout  ce  qu'il  nous  reste  à  relever  maintenant  dans 
l'histoire  du  malade  nous  en  éloignera  de  plus  en  plus. 

Examinons  d'abord  plus  attentivement  que  nous  ne  l'avons  fait  jusqu'ici  la 
distribution  de  l'hyperesthésie  cutanée  chez  notre  homme.  La  région  hyperes- 
thésiée  forme  comme  une  large  ceinture  qui,  en  arrière,  au  niveau  du  rachis. 


—  193 


s'étend  sur  quelques  vertèbres  de  la  région  dorsale  inférieure  et  sur  toute  lahau- 
teur  des  régions  lombaires  et  sacrées  ;  c'est  là  où  la  sensibilité  à  la  pression  est 
la  plus  vive  ;  de  chaque  c6té,  à  droite  et  à  gauche,  la  ceinture  s'étend  sur  les 


I 


Fig.  43.  —  a.  Plaque  hyperesthésique  ; 

b.  Hyperesthésie  scrolale  très  accen- 
tuée et  testicule  douloureux. 


Fig.  44.  —  a.  Ceinture  hyperesthésique  ; 

6.  Région  où    l'hyperesthésie  est 

portée  au  sumwum; 
ce.  Plaques  hyperesthésiques. 


lombes,  contourneleshanches,  envahit enavant  les hypocondres  etles  régions 
inguinales,  d'où  elle  se  répand  sur  le  scrotum  et  sur  la  verge,  laissant  i)i- 
demnes  les  régions  ombilicale  et  hypogastrique.  C'est  à  l'existence  de  cette 
ceinture  douleureuse  qu'est  due  la  rigidité  si  remarquable,  le  manque  de  sou- 


—  194 

plesse  que  nous  avons  signalés  expressément,  à  propos  des  mouvements  du 
tronc  soit  en  avant  soit  en  arrière  ;  c'est  à  elle  également  qu'il  faut  rapporter 
la  gêne  marquée  qu'éprouvent  les  membres  inférieurs  dans  l'accomplisse- 
ment de  la  marche  ;  il  est  facile  de  s'assurer,  en  effet,  que  les  moindres  tirail- 
lements exercés  sur  la  peau  des  cuisses,  surtout  à  droite  au  voisinage  de  la  zone 
hyperesthésiée,  éveillent  la  douleur  la  plus  vive,  et,  dans  la  marche,  ce  sont  en 
partie  des  tiraillements  de  ce  genre  qui  entravent  l'exécution  des  mouvements 
dumembre.  En  réalité,  il  n'existe  pas  de  paraplégie  proprement  dite  ;  la  résis- 
tance des  divers  segments  des  membres  inférieurs  aux  mouvements  qu'on  veut 
leur  imprimer,  est  énergique  et  si  les  réfiexes  rotuliens  sont  exagérés,  on  ne 
retrouve  pas,  par  contre,  la  moindre  trace  du  phénomène  du  pied_,  et  il  n'y 
a  aucun  trouble  à  noter  du  côté   des  fonctions  de  la  vessie. 

Sans  qu'il  soit  nécessaire  d'insister  plus,  vous  avez  sûrement  reconnu  que 
notre  sujet  ofïre  un  assez  bel  exemple  de  ces  «  simulations  hystériques  du 
mal  de  Pott,  »  sur  lesquelles  Brodie,  Skey,  Paget  et  plusieurs  autres  ont  avec 
beaucoup  de  raison  insisté,  et  à  propos  desquelles  tout  récemment  M.  Audry 
écrivait  pour  le  Lyon  médical  un  travail  intéressant  (1). 

Mais,  pour  tirer  parti  de  notre  cas  autant  que  possible,  il  nous  faut  encore 
actuellement  rechercher  dans  Tordre  étiologique  les  circonstances  qui  ont  pu 
présider  au  développement  de  la  diathèse  hystérique  et  provoquer  l'apparition 
des  manifestations  névropathiques  actuelles.  Il  conviendra  aussi  de  compléter 
le  tableau  clinique  par  l'exposé  de  quelques  nouveaux  traits. 


Je  vous  ai  présenté  déjà  M...ier  comme  un  sujet  plutôt  délicat,  quoiqu'il 
s'agisse  d'un  paysan  émotif,  impressionnable  et  justement  c'est  dans  une  idylle, 
qui  plus  tard  devait  tourner  presque  au  mélodrame,  que  se  sont  produites  les 
émotions  morales,  causes  vraisemblablesdudéveloppcment  des  accidents  ner- 
veux. Il  y  a  deux  ans,  en  septembre  1886,  lors  d'un  débordement  de  la  Marne, 
il  fut  assez  heureux  pour  sauver  près  de  Saint-Maur  une  jeune  fille  dont  la  vie 
était  mise  en  danger  par  l'inondation.  Une  liaison  s'ensuivit,  toute  platonique 
assure-t-il;  «.  c'était  pour  le  bon  motif.  »  On  se  rencontrait  dans  les  blés, 
dans  les  endroits  peu  fréquentes  des  bords  de  la  Marne,  sous  les  saules  ;  les 
choses  allaient  pour  le  mieux  depuis  plusieurs  mois  lorsque  suj'vint  la  maladie 
qui  le  retint  au  lit  pendant  près  de  six  mois. 

Les  relations,  si  longtemps  interrompues,  se  renouèrent  après  la  convales- 
cence plus  étroitement  encore  que  jamaiset  vers  le  commencement  d'août  1887 
M... er  rassemblant  tout  son  courage  se  décida  à  aller  faire  sa  demande  en 
mariage.  Ilclas,  il  n'avait  pas  un  sou  vaillant,  et  la  famille  de  la  jeune  lille 


1.  Du  pseudo-mal  de  Pott  liystc'rique.  Lyon  médical,  23  octobre  1S87. 


I 


—  195  — 

avait  quelque  argent.  Le  refus  fut  formel,  absolu,  brutal,  ne  laissant  dans  le 
cœur  du  jeune  garçon  que  le  désespoir. 

Immédiatement  après  cet  événement,  il  tomba  dans  une  prostration  pro- 
fonde ;  il  ne  mangeait  plus  ;  ses  nuits  étaient  sans  sommeil,  agitées  par  des 
rêves  affreux  et  quelques  jours  après,  lin  août,  il  commença  à  ressentir  les 
douleurs  lombaires  dont  il  soufîVe  encore  aujourd'hui  et  qui  à  cette  époque 
l'obligèrent  à  s'aliter.  Trois  semaines  environ  plus  tard,  il  fut  admis  à  l'hù- 
pital  Saint-Antoine  d'où  grâce  à  l'obligeance  de  notre  collègue  M.  Itaymond,  il 
fut  dirigé  surla  Salpétrière. 

Telles  sont  les  circonstances  émouvantes  au  milieu  desquelles  l'hystérie 
s'est  manifestée  chez  notre  homme.  Ce  sont  les  douleurs  rachialgiques  qui 
ont  paru  en  premier  lieu,  et  vous  savez  comment  elles  ont  pu  un  instant 
donner  le  change  et  faire  errer  le  diagnostic  ;  mais  bientôt  survinrent  des 
attaques  qui  devaient  dévoiler  immédiatement  la  véritable   nature  du  mal. 

Ces  attaques,  pendant  le  séjour  à  Saint-Antoine,  se  sont  montrées  durant  un 
mois,  presque  tous  les  jours  à  la  même  heure  ou  à  peu  près,  c'est-à-dire  entre 
six  heures  et  sept  heures, généralement  après  le  repas  du  soir.  Remarquez  bien 
cette  périodicité  vespérale  car  elle  est  déjà  un  indice;  elle  appartient  en  effet  à 
l'hystérie.  Lorsque  les  accès  épileptiques  se  règlent,  c'est  au  contraire,  je  vous 
l'ai  bien  souvent  fait  remarquer,  pendant  la  nuit  vers  deux  heures  après  minuit 
ouïe  matin  au  réveil,  qu'elles  éclatent.  Il  y  a  bien  aussi  chez  notre  jeune 
homme  des  attaques  qui  surviennent  dans  la  journée  le  plus  souvent  vers 
deux  heures  de  l'après-midi  mais  celles-là  sont  beaucoup  plus  rares  et  alors 
elles  sont  moins  prolongées.  Celles  du  soir  se  reproduisent  habituellement 
par  séries  presque  ininterrompues,  de  façon  à  occuper  une  bonne  partie  de  la 
nuit;  souvent  elles  ne  cessent  que  vers  4 heures  du  matin. 

Elles  présentent  les  particularités  suivantes  :  Au  début,  se  produit  une  aura 
prémonitoire;  nous  en  avons  déjà  parle'  à  propos  de  l'étude  des  douleurs 
rachidiennes  et  j'ai  montré  là  que  cette  aura  se  manifeste,  en  conséquence  d'une 
pression  exercée  sur  les  parties  douloureuses.  Lorsque  l'attaque  doit  se  déve- 
lopper spontanément^  le  malade  en  est  prévenu  par  une  sensation  particulière 
qui  part  du  scrotum,  remonte  à  l'épigastre,  à  la  gorge  où  se  produit  un  senti- 
ment de  constriction;  puis  surviennent  des  palpitations,  des  battements  dans 
les  tempes,  et  enfin  la  perte  de  connaissance  a  lieu  en  même  temps  que  les  con- 
vulsions se  déclarent. 

Celles-ci  sont  des  plus  violentes,  au  point  qu'il  a  plusieurs  fois  mis  son  lit 
en  pièces.  Toujours,  il  faut  plusieurs  personnes  pour  le  contenir  et  il  pousse 
des  cris  affreux.  Les  attaques  ayant  cessé  depuis  l'admission  à  la  Salpétrière, 
nous  ne  pouvons  dire  si  elles  sont  marquées  par  les  trois  phases  caracté- 
ristiques de  l'hystéro-épilepsie  typique  ;  mais  les  détails  qui  précèdent,  tout 
sommaires  qu'ils  soient,  suffisent  déjà  pour  établir  que  ce  n'est  pas  l'épilepsie 
qui  ici  est  enjeu.  L'accès  épilcptique,  quelque  intenses  d'ailleurs  que  soient  les 


—  196  — 

convulsions,  évolue  en  effet,  je  vous  le  rappelle,lorsque  le  malade  est  couché  ou 
à  terre,  sans  bruit,  sans  fracas,  sans  grand  déplacement  du  corps. 

En  voilà  assez  concernant  les  attaques  qui  sont,  vous  le  voyez,  suffisamment 
caractéristiques  et  j'en  viens  à  l'exposé  des  faits  révélés  par  la  recherche  et 
l'étude  des  stigmates.  L'hypéresthésie  cutanée  n'est  pas  limitée  aux  plaques 
hystérogènes  que  nous  avons  décrites  à  propos  de  la  rachialgie  simulant  les 
douleurs  du  mal  de  Pott.  D'autres  plaques  de  même  caractère  se  voient,  l'une 
au  niveau  du  creux  poplité  du  côté  droit,  l'autre  au  sommet  de  la  tête  vers  la 
bosse  pariétale  (voir  le  schéma  n"  44). 

Un  certain  degré  d'hypéresthésie  au  froid  et  à  la  piqûre  est  répandu  en 
outre  sur  toute  la  surface  du  corps,  principalement  sur  le  côté  droit.  Il  est 
remarquable  que  les  douleurs  qui,  sans  provocation,  existent  à  peu  près 
constamment  sur  la  plupart  des  plaques  d'hypéresthésie,  s'exaspèrent  spon- 
tanément vers  6  et  7  lieures  du  soir  ;  c'est  aussi,  remarquez-le  bien,  l'heure  à 
laquelle  se  manifestent  les  attaques. 

Il  y  a  un  double  rétrécissement  du  champ  visuel  extrêmement  accusé,  et 
aussi  prononcé  à  droite  qu'à  gauche. 


D 


£xt  "'0 


ao   Nas   ^i 


90  £xl 


I 


Le  réflexe  pharyngien  est  affaibli  à  gauche  ;  le  goût  est  très  émoussé  sur- 
tout à  gauche:  obnubilation  de  l'ouïe  et  de  l'odorat,  également  à  gauche. 
Vous  le  voyez^  le  tableau  est  complet  et  il  n'a  guère  besoin  de  légende. 


Depuis  quelques  jours,  il  se  manifeste  chez  noire  homme  une  certaine  ten- 
dance à  l'amélioration;  les  attaques,  ainsi  que  je   vous  l'ai  dit,  sont  devenues 


—  197  — 

plus  rares;  il  marche  un  peu  moins  mal  qu'autrefois,  ce  qui  semble  indiquer 
que  les  douleurs  rachidicnnes  se  sont  atténuées;  le  sommeil  n'ot  plus  agité 
comme  auparavant  par  des  rêves  terrifiants:  on  pourrait  même  dire  qu'il  est  de- 
venu pour  lui  le  «  doux  baume  des  âmes  blessées  »  «  bahnof  liuriminds  »  dont 
parle  Shakespeare.  En  effet  les  images  qui,  pendant  qu'il  dort,  se  présentent 
aux  yeux  de  son  esprit  sont  maintenant  toujours  consolatrices.  <-<  Il  voit  sa 
fiancée  parée  pour  la  fête  nuptiale  ;  il  la  promène  en  bateau,  puis  à  travers 
les  champs  ;  la  nuit  vient,  le  repas  de  noce  ci  lieu  chez  le  restaurant,  «  au 
Moulin  dcBonneuil  »,  dans  le  grand  salon  de  cinquante  couverts  éclairé  pour 
la  circonstance  d'une  vive  lumière  ;  il  y  a  delà  musique,  des  chants, des  con- 
versations animées  (etc.,  etc).  Au  moment  où,  la  fête  terminée,  il  s'agit  de 
conduire  la  mariée  à  son  nouveau  domicile^  le  rideau  tombe  soudain  et  tout  est 
fini  ;  les  choses  ne  vont  pas  plus  loin  ».  Hélas  !  dit-il  en  terminant  son  récit, 
tout  cela  n'est  qu'un  rêve. 

Messieurs,  dans  les  choses  qui  concernent  les  relations  entre  les  deux  sexes, 
même  alors  que  les  deux  intéressés  poursuivent  le  «bonmotil  »il  y  a  toujours 
deux  éléments  à  considérer,  lesquels  se  mélangent  en  proportions  diverses 
suivant  les  individus  :  uil  élément  plutôt  psychique,  quia  son  substratum 
dans  les  couches  cérébrales  supérieures,  l'autre  plutôt  physiologique  ou 
physique,  comme  vous  voudrez  l'appeler,  qui  siège  dans  les  régions  céré- 
brales inférieures  ou  dans  la  moelle.  Quelques-uns  d'entre  vous  pourraient 
supposer  que,  chez  notre  intéressant  malade,  ce  dernier  élément  sans  préju- 
dice de  l'autre  ayant  été  mis  très  fortement  en  jeu,  il  en  est  résulté  la  produc- 
tion de  cette  hypéresthésie  exquise  des  organes  génitaux  qui  paraît  jouer  un 
rôle  si  important  sur  la  scène  morbide  ;  les  partisans  des  «hystéries  multiples» 
pourraient  même,  peut-être,  se  voir  entraînés  à  considérer  cette  hypéresthésie, 
comme  l'étiquette  d'une  hystérie  spéciale  V  €  Hysteria  virilis  amatoria  ».  S'il 
en  était  ainsi,  messieurs,  je  chercherais  à  vous  détromper;  je  vous  ferais 
remarquer  tout  d'abord  que  les  organes  où  règne  l'élément  «  infime  », 
ne  sont  pas  chez  notre  sujet  aussi  fortement  excités  qu'où  pourrait  le  sup- 
poser; les  confidences  qu'il  nous  a  faites  ne  nous  laissent  aucun  doute  à  cet 
égard,  et  je  relèverais  en  particulier  à  l'appui  de  cette  assertion  que,  la  nuit 
dans  ses  rêves,  son  lit  n'est  jamais  souillé.  Je  ferais  valoir  en  outre  que  l'hype- 
resthésie  scrotale  et  testiculaire  se  rencontre  quelquefois  dans  l'hystérie, 
provoquée  par  des  causes  qui  n'ont  rien,  absolument  rien  à  faire  avec  la 
«  passion  amoureuse  ».  C'est  ainsi  par  exemple  que  les  choses  se  sont  passées 
chez  un  jeune  maçon  âgé  de  vingt-cinq  ans  que  j'ai  présenté  à  la  Clinique  il 
y  a  deux  ans  (1);  ce  jeune  homme  était  devenu  hystérique  en  conséquence 
d'une  chute  faite  du  haut  d  un  échafaudage  ;  l'hystérie  à  part,  il  en  avait  été 


1.  Des  paralysies  hystéro-lraianatiques  chez  /7iom?ne, Semaine  médicale,  7  décembre  18S7. 


-  198  -- 

quitte  pour  la  peur,  car  il  n'avait  souffert  d'aucune  lésion  traumatique  de 
quelque  importance.  Chez  lui,  i'hyperesthésie  des  testicules  et  du  scrotum 
était  aussi  prononcée  que  chez  notre  malade  d'aujourd'hui,  et  en  même 
temps,  par  un  singulier  rapprochement,  il  existait,  comme  chez  ce  dernier, 
une  rachialgie  et  des  douleurs  en  ceinture  qui  avaient  fait  croire  également  à 
la  présence  du  mal  de  Pott.  Cependant,  dans  ce  cas,  le  schock  nerveux 
déterminé  par  l'émotion  de  la  chute  est  bien  le  seul  agent  provocateur  de 
r.hystérie  qu'on  puisse  invoquer  ;  Tamour  contrarié  n'y  était  pour  rien, 
absolument  rien. 


ffS.  data  AM.  d*Typ.   >  Noizst-,  .,1,  r.  Campa;;n«-Preini4r«.  l'ani. 


Policlinique  du  Mardi  15  Janvier  1889 


DIXIÈME   LEÇON 

Du    traitement    de   Tataxie   locomotrice  par    la  suspension, 
suivant  la  méthode  du  D^  Motchoutkowskv. 


Messieurs, 

Je  me  propose  de  vous  entretenir  dans  la  conférence  d'aujourd'hui  de 
l'essai  que  nous  poursuivons  depuis  trois  mois  environ^  ici,  dans  le  service  de 
la  Clinique,  d'un  traitement,  nouveau  pour  nous,  de  l'ataxie  locomotrice  pro- 
gressive et  de  vous  faire  connaître  les  résultais  assez  encourageants  d'ail- 
leurs jusqu'à  ce  jour,  que  ce  traitement  nous  a  donnés. 

Il  parait  à  peine  utile  de  vous  rappeler  qu'en  matière  d'ataxie  locomotrice 
progressive,  nous  ne  sommes  pas,  tant  s'en  faut,  — pour  ce  qui  est  relatif  à  la 
thérapeutique  —  à  la  hauteur  de  nos  connaissances  anatomiques  et  cliniques 
et  c'est  à  juste  titre,  hélas  !  que  la  maladie  en  question  est  généralement  répu- 
tée pour  incurable,  du  moins  dans  l'immense  majorité  des  cas.  Tout  ce  que  le 
médecin  éclairé  peut  espérer  de  voir  survenir  en  cas  d'ataxie,  sous  l'influence 
des  agents  variés  qu'il  a  appris  à  mettre  en  œuvre,  ce  sont  des  amendements, 
des  atténuations  de  certains  symptômes  ou  encore  des  atermoiements,  des 
temps  d'arrêt  dans  l'évolution  fatale  du  mal;  à  la  vérité  ces  temps  d'arrêt 
lorsqu'ils  se  prolongent  presque  indétiniment,  comme  cela  arrive  quelquefois 
dans  ces /b^'me^'  bénicjnes  du  Tabès,  sur  lesquelles  j'ai  bien  des  fois  appelé 
votre  attention  (1),  ces  temps  d'arrêt, dis-je,  équivalent  presque  à  la  guérison; 
mais  cet  événement,  malheureusement  bien  rare,  est,  il  faut  le  reconnaître 
presque  toujours  un  fait  spontané  plutôt  qu'un  produit  de  l'art,  et  certes  il  n'y 
a  pas  là  de  quoi  modifier,  en  rien  d'essentiel,  le  sombre  verdict  prononcé  par 
l'opinion  générale  des  médecins. 

Je  ne  pense  pas  qu'à  cet  égard  la  nouvelle  méthode  soit  appelée  à  changer 


1.  Tabès  bénins,  par  le   D'"  Babinski.  Comptes  rendus  des  séances  de  la  Sociélé   de  Biologie 
(Séance  du  28  mai  1887). 


28 


—  200  — 

radicalement  Tétat  des  choses  •,mais,  pour  peu  qu'à  l'avenir  elle  se  montre  à  la 
fois  plus  efficace  que  la  plupart  des  moyens  d'action  dont  nous  disposions  jus- 
qu'ici, et  aussi  innocente  dans  son  application  que  les  meilleurs  d'entre  eux, 
elle  ne  manquera  pas  d'être  acceptée  avec  empressement. 

La  méthode  dont  il  s'agit  appartient  tout  entière  à  M.  le  D""  Motchoutkowsky 
d'Odessa.  Il  Ta  exposée  dans  un  Mémoire  publié  en  langue  russe  il  y  a  cinq 
ans  (1882),  et  resté  je  crois,  jusqu'à  ce  jour,  à  peu  près  complètement  dans 
l'ombre,  du  moins  en  France  (1).  Nous  devons  la  connaissance  de  ce  travail  à 
M. le  D^ Raymond,  agrégé  de  la  Faculté^  qui  a  eu  l'extrême  obligeance  de  nous 
en  communiquer  une  analyse  détaillée.  Nous  mettrons  celle-ci  à  profit  dans 
un  instant. 

C'est  le  hasard,  parait-il,  qui  a  fait  naître  chez  notre  confrère  d'Odessa 
l'idée  d'appliquer  la  suspension  au  traitement  de  Tataxie  locomotrice  ;  mais 
les  semences  que  le  hasard  disperse  à  tous  les  vents  ne  sont  pas,  on  le  sait,  tou- 
jours perdues:  elles  devaient  cette  fois,  entre  autres,  rencontrer  un  terrain 
propice  à  leur  germination  et  fructifier.  Donc,  notre  confrère  traitait  depuis 
quelque  temps  un  malade  souffrant  d'une  déviation  vertébrale  et  en  même 
temps  atteint  d'ataxie^  par  l'application  du  corset  de  Sayre.  Au  bout  de  quel- 
ques jours,  ce  malade  annonça  que  les  douleurs  fulgurantes  très  vives,  sié- 
geant dans  les  membres  inférieurs,  qui  depuis  longtemps  le  tourmentaient 
jour  et  nuit  d'une  façon  pres(pie  continue,  avaient  à  peu  près  complètement 
disparu  à  partir  du  jour  où  il  avait  commencé  à  porter  le  corset.  Le  con- 
traste entre  le  passé  et  le  présent  était  des  plus  frappants,  l'amélioration 
obtenue,  des  plus  saisissantes.  Or  quel  avait  été  l'agent  de  cet  amendement 
singulier  des  symptômes  tabétiques  :  le  corset  ou  la  suspension  elle-même  ? 
Poui'  éclairer  la  question  on  résolut  de  traiter  un  certain  nombre  d'ataxiques, 
les  uns  par  l'application  du  corset,  les  autres  par  la  seule  suspension,  et  après 
quelques  tâtonnements  on  reconnut  que,  pour  produire  les  effets  thérapeuti- 
ques recherchés,  celle-ci  suffisait.  Le  corset  était  inutile  ;  il  fut  par  conséquent 
rejeté. 

Je  tiens  cette  anecdote  de  M.  Raymond  qui,  durant  le  séjour  qu'il  lit  à 
Odessa  à  l'occasion  de  la  mission  scientifique  dont  il  a  été  chargé  l'an  passé, 
l'a  entendue  de  la  bouche  de  M.  Motchoutkowsky  lui-même.  Je  dois  encore  à 
M.  Raymond  ainsi  qu'à  M.  Onanoff,  élève  de  mon  service  qui  l'accompagninl 
dans  son  voyage,  la  connaissance  de  nombreux   dc'tails  prati([ucs  reçu  Mil. ^< 

i.  Applu^ation  de  la  suspension  des  mil'ides  au  Iraltemenl  de  <iuel jurs  af/'ecfions  de  la 
ninelle  épinière  par  Mololioutkowski. Extrait  du  Journal  Vrac/ia  (Le  môdorin)  P('lcrsl)ouri,'  1883. 
—  La  seule  revue  seienllfKiue  qui  ait  donné  une  analyse  délaill(''e  de  ce  travail  au  delà  des  fron- 
lif'res  russes  est  le  «  Pliysician  and  Surg'con  »  188,3.  Oclobcr,  n»  X.  —  M.  John  Marshall, 
professeur  à  University  collei-^e,  et  M.  le  D''  Raymond  y  ont  fait  allusion,  le  premier  dans  son 
mémoire  intitulé  Neuventasy  or  Nerve  Strelvhinq  for  (lie  relief  or  cure  of  pain,  London,  1887  ; 
le  s(>c()n(l  d.ins  Tiiiiele  Tfd)es  du  Diellonnaire  encyelopédiquc  des  sciences  médicales. 


i 


—  201    — 

aiipW's  de  noire  confrère  russe  concernant  l/application  de  la  nn'thode  qui  doit 
désormais  porter  son  nom.  Je  l<Mir  dois  également  d'avoir  bien  voulu  nous 
aider  mon  chef  de  clinique,  M.  Gilles  de  la  Tourrettc  et  moi,  de  leurs  conseils 
éclairés  par  une  compétence  spéciale  en  la  matière,  dans  nos  premiers  essais. 
Avant  de  procéder  h  l'exposé  des  résultats  obtenus  dans  nos  propres 
recherches,  il  sera  intéressantje  ci-ois,  de  faire  connaître,  sommairement  du 
moins, quelques-uns  des  faits  consif^nés  par  le  D""  Motchoutkowsky  dans  le  mé- 
moire auquel  nous  avons  fait  allusion  plus  haut.  Ce  travail  contient  plusieurs 
observations  détaillées  ;  nous  présenterons  un  abrégé  des  trois  principales 
d'entre  elles. 

La  première  est  relative  à  un  homme  âgé  de  49  ans.  Pas  de  syphilis  anté- 
rieure. Les  douleurs  fulgurantes  sont  dites  «  atroces  >.  Douleurs  en  ceinture 
permanentes  très  pénibles.  L'incoordination  motrice  est  portée  à  un  très  haut 
degré  et  le  signe  de  Homberg  est  très  prononcé.  Les  réflexes  rotuliens  sont 
absents  ;  il  y  a  une  diminution  très  nette  de  la  sensibilité  aux  membres  infé- 
rieurs. Difficulté  de  la  miction.  Impossibilité  d'accomplir  l'acte  sexuel. 
Myosis. 

Au  bout  de  29  suspensions, le  malade  marche  beaucoup  mieux;  sa  démarche, 
en  réalité,  est  redevenue  presque  normale.  Il  n'a  plus  besoin  de  s'aider  d'une 
canne  comme  il  le  faisait  auparavant  ;  il  lui  est  possible  de  se  tenir  sur  un 
seul  pied,  pendant  deux  minutes  environ.  Les  douleurs  fulgurantes  sont  de- 
venues beaucoup  plus  rares  et  elles  sont  très  supportables  maintenant,  par- 
fois cl  peine  perceptibles. 

Le  traitement,  après  ces  premiers  résultats  encourageants,  a  été  continué 
et  le  nombre  des  suspensions  a  été  de  97  en  tout. 

Lorsque  le  traitement  a  été  terminé,  les  résultats  obtenus  étaient  les  sui- 
vants :  1°  les  douleurs  fulgurantes  avaient  complètement  cessé  d'exister; 
2"  diminution  extrêmement  remarquable  de  l'incoordination  motrice  pendant 
la  marche.  Le  malade,  sans  canne,  peut  monter  facilement  un  deuxième  étage; 
3°  les  troubles  permanents  de  la  sensibilité  qui  existaient  aux  membres  infé- 
rieurs, et  en  particulier  les  sensations  de  froid  et  les  fourmillements  qui 
étaient  très  pénibles  ont  complètement  disparu.  Disparition  des  douleurs  en 
ceinture.  Retour  de  la  sensibilité  normale  ;  4"  le  signe  de  Romberg  n'existe 
plus  ;  5°  augmentation  légère  du  volume  des  muscles  des  membres  inférieurs 
qui  commençaient  à  s'atrophier. 

Le  traitement  n'a  pas  eu  d'effet  sur  le  poids  du  corps,  non  plus  que  sur 
l'état  des  réflexes  rotuliens  qui  restent  toujours  absents.  Aucune  modification 
n'est  survenue  dans  le  myosis.  Par  contre,  retour  des  fonctions  sexuelles 
autrefois  complètement  abolies. 

Dans  une  lettre  qu'il  a  bien  voulu  m'adresser  récemment, M. le  D'  Motchout- 
kowsky m'apprend  que  ce  malade  qui,  depuis  près  de  cinq  ans,  a  cessé  tout 


—  ^02  — 

traitement,  exerce  actuellement  à  Odessa  les  fonctions  de  chef  de  la  station 
des  voitures  publiques  ;  il  est  obligé  de  faire  tous  les  jours  des  courses  de  3  à 
5  kilomètres.  Les  douleurs  fulgurantes  n'ont  pas  reparu. 

Le  second  mo.lade  est  âgé  de  42  ans.  Il  a  été  atteint  autrefois  de  syphilis. 
Il  s'agit  d'un  cas  d'ataxie  très  avancée.  En  effet,  il  est  impossible  au  malade  de 
se  tenir  debout  sans  Taide  d'une  personne  étrangère.  Difficulté  dans  la  mic- 
tion, fréquents  besoins  dliriner  ;  ils  se  répètent  quarante  fois  dans  les  vingt- 
quatre  heures.  Douleurs  fulgurantes  intenses  à  retours  fréquents,  douleurs  en 
ceinture  ;  crises  gastriques  très  violentes.  Aux  membres  inférieurs,  le  malade 
souffre  de  fourmillements  et  d'une  sensation  de  froid.  Absence  des  réflexes 
rotuliens.  Signe  de  Romberg  ;  papilles  normales  :  myosis,  pupilles  pares- 
seuses. 

Au  bout  de  22  suspensions,  les  douleurs  .fulgurantes  avaient  déjà  perdu 
beaucoup  de  leur  intensité.  Après  80  suspensions,  elles  avaient  complètement 
disparu.  Le  malade  est  devenu  bien  plus  solide  sur  ses  jambes  :  c'est  au 
point  qu'il  peut  marcher  seul.  La  miction  est  redevenue  à  peu  près  normale  ; 
les  besoins  d'uriner  n'ont  lieu  que  quatre,  cinq  ou  six  fois  dans  les  vingt- 
quatre  heures.  Les  crises  gastriques  ne  se  sont  pas  reproduites  ;  constipation 
moindre.  Retour  des  fonctions  sexuelles. 

Le  myosis  est  beaucoup  moins  prononcé  et  les  pupilles  réagissent  beau- 
coup mieux  qu'autrefois  sous  l'influence  de  la  lumière.  Lorsque  les  yeux  sont 
fermés,  c'est  à  peine  si  le  malade  oscille. 

Par  contre,  le  traitement  parait  n'avoir  3u  aucune  influence  sur  les  réflexes 
rotuliens  qui  sont  toujours  abolis. 

Troisième  malade  âgé  de  55  ans  :  c'est  à  peu  près  le  même  cas  que  le  précé- 
dent, seulement  la  syphilis  n'existe  pas  dans  les  antécédents.  A  cause  de 
l'emphysème  et  de  i'artério-sclérose  avec  cœur  forcé  qui  existaient  chez  ce 
sujet,  on  a  essayé  de  remplacer  la  suspension  par  une  traction  exercée  sur  les 
membres  inférieurs  par  le  procédé  de  Volkmann.  Le  malade  étant  couché,  on 
exerça  pendant  quelques  jours  une  traction  progressivement  continue  à 
l'aide  de  poids  attachés  aux  pieds.  Les  résultats  obtenus  ont  été  satisfaisants. 
Disparition  des  douleurs  fulgurantes  ;  retour  très  prononcé  de  la  puissance 
motrice. 

M.  le  D""  Motchoutkowsky  fait  connaître  dans  ce  même  travail  qu'il  a  traité 
encore  douze  autres  ataxiques  par  la  suspension,  presque  tous  avec  le  même 
succès.  Les  résultats  sont  favorables  en  ce  qui  concerne  les  douleurs  fulgu- 
rantes et  aussi  Taffaildissement  des  fonctions  sexuelles.  C'est  contre  ces  deux 
symptômes  tabétiques  que  le  traitement  en  question  paraît  avoir  l'influence  la 
plus  marquée. 

La  ((uistatation  (le  ce  dernier  fait  a  tout  naturellement  conduit  notre  con- 


._  203  — 

frère  à  essayer  les  effets  de  la  suspension  dans  certains  cas  d'impuissance 
indépendants  de  la  maladie  tal)(''ti([iie,  chez  de  jeunes  sujets.  Les  résultats 
(obtenus  ont  été  généralement  unccjurageants.  M.  le  U""  Raymond  m'a  dit  avoir 
vu  à  Odessa  un  Israélite  de  vingt-trois  ans  qui,  devenu  à  un  moment  donné 
absolument  impuissant,  récupéra  peu  à  peu  sous  l'influence  de  la  suspension, 
sa  virilité.  Les  premiers  bons  effets  ont  commencé  à  se  faire  sentir  chez  ce 
malade  a[)rès  la  vingtième  séance. 

Quebjues  préceptes  formulés  par  M.lel)""  Motchoutkowsky  dans  son  mémoire 
relativement  au  procédé  opératoire  méritent  particulièrement  d'être  relevés. 
Il  conseille  de  procéder  graduellement  en  augmentant  progressivement  la 
durée  de  la  suspension.  Ainsi, le  premier  jour, la  séance  ne  dépassera  pas  une  mi- 
nute; le  deuxième  jour  elle  sera  peut-être  de  une  minute  et  demie;  on  la  portera 
à  deux  minutes  le  troisième^  à  deux  minutes  et  demie  le  quatrième  et  ainsi  de 
suite. En  tous  cas  ou  ne  devra  jamais  dépasser  huit  ou  dix  minutes  et  on  n'ou- 
bliera pas  que,  plus  le  poids  de  l'individu  est  grand,  moins  longue  devra 
être  la  durée  de  la  suspension. 

Il  ne  faut  pas  oublier  non  plus  qu'il  existe  un  chapitre  des  contre-indica- 
tions. L'auteur  insiste  particulièrement  sur  les  points  suivants:  ne  devront  pas 
être  soumis  à  la  suspension  les  sujets  qui  sont  atteints  de  maladies  du  cœur 
et  des  gros  vaisseaux,  ceux  qui  souffrent  d'une  maladie  chronique  des  pou- 
mons :  phtisie,  emphysème  ;  ceux  qui  ont  éprouvé  une  ou  plusieurs  atta- 
ques congestives  ou  apoplectiques,  ceux  enfin  qui  sont  sous  le  coup  d'une 
anémie  très  prononcée. 

Il  est  bon  de  ne  pas  omettre  que,  dans  les  cas  où  la  suspension  est  applica- 
ble, les  premiers  effets  favorables  ne  se  sont  souvent  pas  fait  sentir  avant  la 
vingtième  ou  trentième  séance  ;  quelquefois  il  a  fallu  aller  beaucoup  plus 
loin  pour  que  les  premiers  résultats  fussent  obtenus. 

Notre  confrère  devait  tout  naturellement  se  préoccuper  de  la  question  théo- 
rique ;  comment  agit  la  suspension?  C'est,  suivant  lui,  en  produisant  une  légère 
élongation  des  racinee  nerveuses  qu'il  compare  de  loin  à  l'élongation  du  scia- 
tique,  pratiquée  il  y  a  quelques  années  par  un  certain  nombre  de  chirurgiens. 
Il  s'agit  aussi  peut-être,  en  même  temps,  de  modifications  produites  dans  la 
circulation  sanguine  spinale  k  l'égard  desquelles  on  ne  s'explique  pas  très 
catégoriquement.  Quoi  qu'il  en  soit^  il  est  bon  de  rappeler  que  la  suspension 
a  pour  effet,  en  dehors  de  tout  état  morbide,  d'augmenter  le  nombre  des  res- 
pirations par  minute  en  même  temps  que  l'amplitude  et  la  force,  tant  des  ins- 
pirations que  des  expirations,  sont  diminuées.  Le  pouls  devient  plus  fréquent 
et  la  pression  artérielle  parait  plus  élevée  qu'à  l'état  normal. 

Nous  avons  laissé  pressentir  que  M.Motchoutkowsky  avait  appliqué  la  suspen- 
sion au  traitement  de  certains  cas  d'affection  spinale  ou  cérébro-spinale  autres 
que  le  tabès.  Déjà  nous  avons  parlé  de  «  l'impuissance  »  en  dehors  de  toute 
lésion  organique.  A  part  ces  cas-là,  les  essais  n'ont  pas  donné  de  résultats  bien 


—  204  — 

appréciables  ;  ainsi,  tandis  que  dans  les  seize  cas  de  tabès  qui  ont  été  traités  par 
la  suspension,  les  résultats  ont  été  à  peu  prés  constamment  favorables,  à  la 
vérité  à  des  degrés  très  divers,  ils  ont  été  à  peu  près  toujours  nuls  dans  trois 
cas  de  paraplégie  spasmodique,  dans  un  cas  de  myélite  diffuse  chronique, 
enfin  dans  un  cas  de  sclérose  en  plaques. 

A  propos  des  effets  physiologiques  de  la  suspension,  nous  devons  à  M.  Onanoff 
l'indication  des  résultats  de  quelques  expériences  qu'il  a  entreprises,  depuis 
son  retour  de  Russie,  chez  un  certain  nombre  de  sujets  sains,  jeunes  et  vigou- 
reux. En  outre  de  l'accélération  des  mouvements  respiratoires  et  de  l'augmen- 
tation de  la  tension  artérielle  déjà  signalées,  il  aurait  vu  se  produire  à  la  suite 
de  trois  suspensions  une  exagération  manifeste  des  réflexes  rotuliens,  et,  après 
quatre  ou  cinq  suspensions,  de  l'insomnie,  les  nuits  étant  tourmentées  par 
des  rêves  erotiques,  des  érections  fréquentes  ;  ces  divers  phénomènes  persis- 
tant durant  quelques  jours  après  la  dernière  opération.  Relativement  au 
dernier  point,  je  ne  crois  pas  que  les  expériences  soient  tout  à  fait  probantes 
puisqu'il  s'est  agi  de  sujets  «  sains,  jeunes  et  vigoureux  »  qui,  probablement 
n'ignoraient  pas  «  ce  qui  pouvait  arriver.  »  Quoi  qu'il  en  soit,  vous  n'êtes  sans 
doute  pas  sans  avoir  entendu  dire  qu'il  est  quelquefois  question  dans  les  écrits 
pornographiques  de  certaines  suspensions  pratiquées  dans  certains  lieux  peu 
avouables  chez  «  des  affaiblis  ou  des  anormaux».  Voilà  un  sujet  dont  le  médecin 
ne  saurait  certes  pas  se  désintéresser  complètement,  tout  scabreux  qu'il  soit.  Il 
ne  devrait  pas  perdre  de  vue,  à  ce  propos,  que  si  une  curiosité  vaine,  surtout  en 
ces  matières, est  souvent  chose  condamnable,  lascience,  par  contre,  peut  péné- 
trer partout,  même  dans  les  cloaques,  sans  y  recevoir  de  souillures  :  Racon 
a  dit  du  soleil  :  «  Palatias  et  cloacas  ingreditur,  neque  tamen  polluitur.  » 


Mais  en  voilà  assez  sur  ces  préliminaires  ;  il  est  temps  d'en  venir  au  but 
principal  de  la  conférence  d'aujourd'hui.  Il  s'agit  donc  maintenant  de  vous 
parler  de  nos  propres  recherches  dont  la  mise  en  œuvre  d'ailleurs,  ne  nous  pa- 
raît plus  avoir  besoin  de  justification  après  ce  que  vous  savez  des  résultats, 
incontestablement  fort  encourageants,  obtenus  par  M.  Motchoutkowsky. 

Nous  commencerons  par  l'exposé  du  procédé  opératoire  auquel,  après  quel- 
ques tâtonnements,  nous  nous  sommes  définitivement  attachés  depuis  le 
commencement  de  nos  essais. 

L'opération  en  elle-même  est  chose  des  plus  simples,  mais  encore  nécessite- 
t-elle  un  certain  modus  faclendi^îdiCile  à  acquérir  sans  doute,  mais  qui  ne  sau- 
rait s'inventer. 

La  suspension  se  fait  à  l'aide  de  l'appareil  imaginé  par  Sayre  (de  New-York) 
pour  placer  le  corset  qui  porte  son  nom  et  qui  est  appli(|ué  pour  le  redresse- 
ment des  diverses  déviations  de  la  colonne   vertébrale.  Rien  que  cet  appareil 


—  205  — 

soit  fort  connu,  il  mo  semble  qu'il  ne  sera  pas  inutile  d'en  donner  ici  une  des- 
cription sommaire. 


Fig.  46.  — Appareil  suspenseur. 


Il  se  compose  d'une  tige  de  fer  horizontale,  de  45  centimètres  de  longueur, 
portant  en  son  milieu  un  anneau  dans  lequel  passera  le  crochet  d'une  moutle 
par  l'intermédiaire  de  laquelle  s'effectueront  les  tractions. 

La  tige  porte  à  chacune  de  ses  extrémités  un  crochet,  auquel  s'adapteront 
par  une  boucle,  les  pièces  destinées  à  être  placées  sous  les  aisselles  du 
patient. 

Le  bord  supérieur  de  la  tige  présente  de  cliaque  coté,  trois  encoches  dont 
on  dira  bientôt  l'utilité.  En  outre  de  la  tige  de  fer,  l'appareil  comprend 
deux  pièces  latérales  pour  les  aisselles,  une  pièce  médiane  composée  de  doux 
pièces  secondaires  servant  de  soutien  à  la  tête  pendant  l'opération. 

Ces  deux  parties  de  la  pièce  médiane  sont  de  forme  triangulaire  allongée, 
et  sensiblement  pareilles  ;  l'antérieure  se  place  sous  le  menton,  la  postérieure 
au  niveau  de  la  nu([uo  sous  l'occiput.  On  reconnaîtra  la  pièce  anti'rjjMiro  à  ce 


^  206 


fait  qu'elle  porte  latéralement  une  petite  boucle  qui  sert,  lorsque  l'appareil  est 
en  place,  à  réunir  les  deux  pièces  entre  elles  à  l'aide  d'une  petite  courroie  qui 
empêchera  le  collier  de  glisser  lorsque  le  malade  sera  suspendu.  L'application 


Fig.  47.  —  Appareil  en  place  pour  la  tête. 


de  cette  petite  courroie  joue  d'ailleurs  un  rôle  assez  important;  il  importe  en 
effet  qu'elle  soit  assez  serrée  pour  empêcher  le  glissement  et  qu'elle  ne  le  soit 
pas  trop  cependant  parce  que  dans  ce  dernier  cas,  la  compression  des  jugulaires 
aurait  pour  effet  de  provoquer  une  stase  veineuse  susceptible  d'amener  des 
accidents. 

A  cet  effet,  la  courroie  est  percée  de  huit  à  dix  trous,  et  l'ardillon  de  la 
boucle  se  fixera  du  deuxième  au  cinquième  environ  suivant  la  grosseur  du 
cou  du  malade. 

Il  est  rare  qu  on  soit  obligé  d'interposer  entre  cette  courroie  et  la  peau  un 
corps  mou,  un  mouchoir,  de  l'ouate,  de  façon  à  amoindrir  TefTet  de  la  com- 
pression directe.  L'application  des  pièces  de  la  nuque  et  du  menton  est  assez 
délicate  et  exige  quelques  soins.  Elle  devra  varier  quelque  peu  suivant  la 
grosseur  de  la  tête  et  du  cou  du  sujet. 

En  ce  qui  regarde  la  grosseur  de  la  tête,  on  fera  varier  les  dimensions  du 


ï 


\ 


-  207  — 

collier  en  plaçant  la  boude  snpû-ieuic  de  la  piùcc  dans  ie  prennier,  le 
deuxième,  ou  ie  troisième  dos  erans  ou  encoches  ([ue  se  trouvent  sur  le  bord 
supérieur  de  la  tige  de  fer  ;  plus  la  tête  est  volumineuse  plus  la  boucle  doit 
être  placée  en  dehors. 

Il  est  parfois  m'-cessaire,  lors  des  premières  séances,  chez  les  individus  sen- 
sibles, trop  ij^ros  ou  tiop  maigres,  d'interposer  un  corps  mou  entre  le  menton 
et  la  pièce  qui  est  destinée  à  le  soutenir. 

Voici  donc  la  lête  en  place.  11  reste  encore  à  [)lacer  les  pièces  des  ais>elles  ; 
au  premier  abord  elles  pourraient  sembler  de  peu  d'importance  ;  cependant 
elles  doivent  en  réalité  être  considérées  comme  les  véritables  régulateurs  de 
la  suspension.  11  est  nécessaire  en  effet  que  pendant  l'élévation,  la  traction  ne 
porte  pas  uniquement  sur  la  tête  et  sur  le  cou,  car  en  paieil  cas  la  suspension 
ne  serait  pas  tolérée  ;  il  fiiut  donc  que  le  corps  trouve  quelque  part  un  appui, 
mais  d'un  autre  côté, il  ne  faut  pas  ([ue  cepoint  d'appui  soit  tellementeffectif  qu'il 
empêche  l'élongation  de  la  colonne  vertébrale  de  se  faire.  En  vue  de  oela,  les 
pièces  des  aisselles,  qui  présentent  la  forme  d'un  ovoïde  matelassé  à  son  extré- 
mité inférieure,  sont  munies  en  haut  d'une  courroie  qui  peut  s  allonger  ou  se 
raccourcir  à  volonté  suivant  la  taille  ou  le  poids  du  malade. 

Le  jeu  de  cette  courroie,  on  le  comprend,  est  très  important.  En  effet,  lors- 
que la  pièce  axillaire  est  trop  courte,  il  peut  se  produire  une  compression  des 
troncs  nerveux  susceptible  de  déterminer  des  fourmillements,  des  engourdis- 
sements, nécessitant  l'interruption  de  la  séance. Lorsque  la  pièce  est  trop  lon- 
gue, au  contraire,  le  tiraillement  des  muscles  de  la  nuque  devient  intoléra- 
ble, le  corps  ne  trouvant  pas  un  point  d'appui  suffisant. 

On  devra  donc,  chez  chaque  nouveau  sujet,  procéder  par  tâtonnements,  et, 
au  bout  de  deux  ou  trois  séances  en  général,  on  sera  fixé  sur  le  cran  où  s'ap- 
puiera par  en  haut  la  pièce  de  la  tête,  sur  la  longueur  qui  devra  être  donnée 
à  la  courroie  destinée  à  unir  les  pièces  du  menton  et  de  la  nuque,  et  à  celles 
qui  attachent  à  la  tige  de  fer  les  pièces  axillaires. 

L'appareil  étant  bien  disposé,  le  médecin  commande  à  un  aide  de  tirer  sur 
la  corde  qui  passe  sur  la  poulie  de  la  moufle^  doucement,  progressivement,  sans 
secousses,  évitant  une  élévation  trop  brusque  afin  d'habituer  peu  à  peu  en  quel- 
que sorte  les  muscles  du  cou  à  la  traction  qu'ils  vont  supporter.  On  doit  enga- 
ger le  malade  à  éviter  autant  que  possible  les  mouvements  qui  se  produisent 
instinctivement,  au  moment  où  il  sent  qu'il  quitte  le  sol  ;  on  devra  éviter 
aussi  les  déplacements  latéraux,  les  mouvements  de  torsion  qui  pourraient  se 
produire. 

Le  malade  ayant  quitté  le  sol,  de  telle  façon,  que  la  pointe  des  pieds  ne 
puisse  le  rencontrer,  l'opérateur  le  soutient  légèrement  afin  d'empêcher  les 
oscillations.  Dans  le  même  temps,  il  fixe  les  yeux  sur  une  montre  à  secondes 
pour  régler  minutieusement  la  durée  de  la  séance. 

Pendant  quç  le  patient  est  ainsi  suspendu,  on  lui  commande  de   temps  en 

29 


—  208  — 


temps  d'élever  les  bras  doucement  vers  l'horizontale   de   façon   à  rendre,  si 
cette  pratique  est  tolérée,  la  suspension  et  la  traction  plus  effectives. 


Yig.  48.  —  Le'maladc  suspendu  :  inouveinenls  latéraux  des  bras. 


—  209  — 

Nous  pensons  que  la  plus  longue  séance  ne  doit  pas  dépasser  trois  ou  qua- 
tre minutes  ;  ce  chifTre  de  trois  minutes  étant  pris  comme  moyen  terme.  On 
commence  le  traitement  par  des  séances  de  une  demi-minute  à  une  minute, 
et  progressivement, on  arrive  au  chiffre  supérieur  indiqué,  lequel  ne  doitiréné- 
ralement  pas  être  atteint  avant  la  sixième  ou  la  huitième  séance. 

A  cet  égard  encore,  il  faut  tenir  compte  de  certaines  susceptibilités  indivi- 
duelles et  de  particularités  inhérentes,  surtout  au  poids  du  malade.  Alors  [jar 
exemple  qu'on  n'éprouve  aucune  difficulté  à  faire  tolérer  d'eml)lée  deux  minu- 
tes de  suspension  h  des  malades  pesant  de  GO  à  70  kilog  ,  il  n'en  est  plus  de 
même  chez  des  sujets  qui  pèsent  80,  90  kilo??,  et  plus.  Chez  ces  derniers,  la 
traction  qui  s'exerce  sur  les  muscles  de  la  nuque  est  très  forte,  douloureuse 
même  parfois,  pendant  toute  la  journée  qui  suit  la  séance,  ce  qui  ne  doit  pas 
être  quand  l'opération  est  bien  conduite. 

Il  est  des  malades  chez  lesquels  le  désir  d'être  soulagés  est  si  impérieux 
qu'ils  se  croient  en  quelque  sorte  obligés  de  tout  supporter  sans  se  plaindre  : 
mais  en  réalité  l'opération  ne  doit  entraîner  ni  douleur,  ni  fatigue, sous  peine 
d'être  inefficace. 

Les  séances  ont  été  faites  tous  les  deux  jours,  Texpérience  ayant  démon- 
tré que  les  séances  quotidiennes  étaient  moins  favorables.  L'heure  paraît  im- 
porter peu.  Lorsque  le  nombre  des  minutes  fixé  à  l'avance  s'est  écoulé,  le 
médecin  commande  de  lâcher  peu  à  peu  la  corde  de  façon  à  ce  que  le  patient 
descende  lentement,  sans  secousses.  Lorsqu'il  atouché  le  sol,  on  le  soutient  un 
instant  pendantqu'on  enlève  les  diverses  pièces  de  l'appareil,  et  on  l'asseoit  en- 
suite, pendant  quelques  minutes,  dans  un  fauteuil  où  il  prend  du  repos. 

Quelques  détails  d'ordre  secondaire  méritent  d'être  signalés  encore.  Le 
malade  doit,  au  moment  d'être  suspendu,  quitter  son  vêtement  de  dessus,  de 
façon  à  avoir  les  bras  libres  ;  le  cou  doit  être  à  nu,  ou  du  moins  ne  pas  être 
serré  dans  un  col  étroit,  afin  d'éviter  une  compression  qui  pourrait  avoir  des 
effets  fâcheux. 

L'appareil  de  Sayre  comporte,  outre  les  pièces  indiquées  un  trépied  porta- 
tif à  branches  démontables  muni  à  sa  partie  supérieure  d'un  crochet  auquel 
se  fixe  la  moufie  sur  laquelle  passe  la  corde  de  traction.  L'usage  de  ce  trépied 
peut  être  excellent  pour  appliquer  un  corset  chez  les  personnes  dont  la 
station  debout  est  normale  ;  mais  il  n'en  est  plus  de  même  chez  les  ataxiques 
qui  souvent  oscillent  sur  leurs  jambes  et  qui,  menacés  de  perdre  ré(iuilibre, 
saisissent  parfois  convulsivement,  dans  le  but  d'y  trouver  un  appui,  les  bran- 
ches du  trépied  qu'ils  pourraient  renverser. 

Tels  sont  les  errements  que  nous  nous  sommes  attachés  à  suivre  dès  l'ori- 
gine de  nos  recherches.  Celles-ci  ont  été  inaugurées  le  8  octobre,  c'est-à-dire 
il  y  a  trois  mois  environ  et  elles  ont  été  depuis  lors  régulièrement  poursuivies. 
Elles  portent  sur  dix-huit  sujets    tabétiques  ;    (juatre    d'entre  eux,  (jui    n'ont 


.-^  210  -^ 

pas  été  suspendus  plus  de  trois  fois  et  qui,  pour  des  causes  variées,  ont  cessé 
ensuite  de  fréquenter  l'hospice,  doivent  être  naturellement  éliminés  du  groupe. 
Restent  donc  quatorze  malades  dontnous  avons  à  nous  occuper  aujourd'hui. 
Il  importe  de  relever  que  dans  tous  ces  cas,  il  s'agit  d'ataxie  locomotrice  par- 
faitement caractérisée,  avancée leplus  souvent  déjàdans  son  évolution,  et  que 
dans  aucun  d'euxparconséquent  le  diagnostic  n'a  laissé  subsister  l'ombre  d'un 
doute.  La  plupart  de  ces  malades  nous  étaient  d'ailleurs  antérieurement 
déjà  connus.  Ils  suivaient  depuis  plusieurs  mois  un  traitement  à  la  policlini- 
que et  recevaient  chaque  samedi,  suivant  nos  prescriptions  habituelles,  une 
application  de  pointes  de  feu  sur  la  région  spinale.  C'est  dire  que  nous  avions 
eu  l'occasion  fréquente  de  les  observer  avant  l'époque  où  ont  commencé  les 
essais  de  suspension.  Inutile  d'ajouter  qu'au  moment  même  où  celle-ci  a  été 
mise  en  œuvre  tout  autre  traitement  a  été  supprimé. 

Le  meilleur  moyen  de  vous  placer  en  mesure  d'apprécier  les  résultats  obte- 
nus sera,je  pense, de  faire  comparaître  quelques-uns  de  nos  quatorze  ataxiques 
et  de  les  interroger  devant  vous  ;  faute  de  temps,  nous  devons  nous  borner  à 
vous  faire  connaître,  dans  un  court  exposé,  ce  qui  est  advenu  chez  les  autres. 

Pi^enner  malade.— \oici  d'cibord  un  homme  vigoureux,  âgé  de  50  ans,  le 
nommé  D...  elay,  qui  exerce  dans  une  usine  des  fonctions  de  surveillance 
l'obligeant  à  se  tenir  debout  et  à  marcher  presque  toute  la  journée.  Il  est  fort 
empêché  dans  son  travail  depuis  deux  ans,  époque  à  laquelle  l'incoordination 
motrice  des  membres  inférieurs  a  commencé  à  s'accuser. 

L'observation  abrégée  qui  constate  l'état  du  malade  ar  moment  de  la  pre- 
mière suspension  est  ainsi  conçue  :  début  de  la  maladie  il  y  a  cinq  ans  par 
des  crises  de  douleurs  fulgurantes  très  vives.  II  y  a  deux  ans,  fracture  spon- 
tanée du  péroné  droit.  Depuis  deux  ans,  la  marche  est  devenue  difficile  ; 
l'incoordination  motrice  est  assez  prononcée.  Le  malade  ne  peut  marcher 
longtemps,  il  est  obligé  de  s'asseoir  à  chaque  instant  ;  fort  souvent,  quand  il 
est  debout  ou  qu'il  marche,  ses  jambes  se  dérobent  sous  lui  tout  à  coup.  Les 
douleurs  fulgurantes,  depuis  quelque  temps,  sont  devenues  presque  continuel- 
les,elles  empêchent  souvent  le  sommeil.  Miction  difficile  ;  la  vessie  se  vide  en 
cinq  ou  six  fois.  Signe  de  Romberg  nettement  prononcé.  Impuissance  com- 
plète depuis  un  an.  Absence  des  réflexes  rotuliens. 

La  première  suspension  a  eu  lieu  le  22  octobre  1888.  Le  nombre  des  séances 
jusqu'à  ce  jour  a  été  de  trente-trois,  chacune  d'elles  durant  de  une  à  trois 
minutes. 

Dans  la  note  relative  aux  efTets  produits  nous  relevons  ce  qui  suit  : 

Dès  la  deuxième  séance^  une  certaine  amélioration  s'est  manifestée  dans  la 
marche  et  dans  la  miction.  A  partir  de  cette  époque,  et  pendant  un  mois,  les 
douleurs  fulgurantes  n'ont  pas  reparu.  Elles  sont  revenues  depuis,  quelque- 
fois, mais  beaucoup  moins  intenses.  —  Douzième  séance  :  La  miction  s'est 


—  2H  — 

améliorée  encore.  Le  malade  a  pu  descendre  seul  du  tramway  en  marche,  ce  qui 
ne  lui  elait  pas  arrivé  do|)uis  doux  ans.  —  Quinzième  sf-ance  :  On  constate  la 
disparition  du  signe  de  Honiberg.  Le  <  déroix-ment  »  des  mendjres  infé- 
rieurs ne  s'est  pas  produit  depuis  longtemps.  —  Vingt-troisième  séance  :  Le 
malade  a  eu  pour  la  première  fois  depuis  un  an  une  érection.  Les  réflexes 
rotuliens  sont  toujours  absents.  Le  malade  fait  remarquer  qu'il  n'a  pas  res- 
senti ses  douleurs,  bien  ([ue  le  temps  S(jit  fort  humide. 

M.  Ctiarcot,  au  malade  :  Les  douleurs  dont  vous  souffriez  étaient-elles  très 
vives  ;  depuis  quand  les  aviez-vous  ? 

Le  m\lade  :  Je  les  ai  ressenties  pour  la  première  fois  il  y  a  cinq  ans;  elles 
étaient  très  aiguës,  c'étaient  des  coups  de  poignard.  Dans  ces  derniers  temps, 
je  les  avais  presque  constamment,  au  moins  tous  les  deux  ou  trois  jours; 
c'était  presque  impossible  à  endurer  :  souvent  il  m'était  impossible  de  dor- 
mir. 

M.  Charcot  :  Voulez-vous  me  dire  ce  qui  s'est  passé  à  l'égard  de  ces  douleurs 
depuis  que  vous  suivez  le  traitement? 

Le  MALADE  :  Les  douleurs  ont  disparu  après  trois  ou  quatre  suspensions. 
Elles  sont  revenues  depuis,  mais  pas  si  fortes  et  après  quelques  nouvelles 
séances,  elles  ont  disparu  de  nouveau.  Elles  ont  bien  voulu  reparaître  il  y  a 
trois  ou  quatre  jours  mais  elles  ont  été  très  faibles,  et  elles  n'ont  pas  duré. 
Maintenant,  je  dors  toutes  les  nuits. 

M.  CuARCOT  :  Voilà  certes  un  résultat  intéressant.  Vous  n'ignorez  pas  que 
lorsque  leurs  douleurs  sont  vives,  les  ataxiques  sont  exposés  à  contracter  la 
funeste  habitude  des  piqûres  de  morphine  :  si  l'on  pouvait  parvenir  à  les 
arrêter  dans  cette  voie  ou  à  les  empêcher  d'y  entrer  à  l'aide  de  la  suspension 
répétée,  ce  serait  déjà  de  la  part  de  celle-ci  un  bienfait  signalé. 

Au  malade:  Comment  s'est  produite  la  fracture  de  la  jambe  dont  il  est  ques- 
tion dans  votre  observation? 

Le  MALADE  :  J'étais  assis  devant  un  bureau  et  je  me  suis  baissé  pour  caresser 
mon  chien  qui  était  à  mes  pieds  :  la  fracture  s'est  faite  je  ne  sais  comment  ; 
je  ne  suis  pas  tombé,  je  n'ai  même  pas  fait  un  faux  mouvement. 

M.  Charcot  :  Voilà  bien  une  fracture  d'ataxique. 

Au  malade  :  Parlez-moi,  je  vous  prie,  de  votre  marche;  que  s'est-il  produit 
de  ce  côté? 

Le  MALADE  :  Je  marche  décidément  beaucoup  mieux.  Je  me  tiens  mieux 
debout.  Autrefois  j'étais  menacé  de  tomber  à  chaque  instant  parce  que  mes 
jambes  faiblissaient  tout  à  coup;  cela  ne  m'arrive  plus  actuellement  :  je  puis 
marcher  presque  toute  la  journée  dans  les  magasins  sans  être  forcé  de  m'asseoir 
à  chaque  pas. 

M.  Charcot  prie  le  malade  de  se  tenir  debout  les  pieds  rapprochés  l'un  de 
l'autre  et  de  fermer  les  yeux.  On  constate  dans  cette  épreuve  l'absence  du 
signede  Romberg;  puis,le  malade  étant  assis,on  peut  reconnaître  que  l'absence 


—  212  — 

des  réflexes  rotuliens  persiste.  —  S'adressant  au  malade  :  A^oulez-vous  dire 
maintenant  si  vous  avez  gagné  quelque  chose  pour  rémission  des  urines  ? 

Le  malade  :  Oh  1  de  ce  côté  là,  l'amélioration  est  bien  marquée  aussi.  x\utre- 
fois  pour  uriner  j'étais  obligé  de  m'y  reprendre  à  cinq  ou  six  fois,  maintenant 
j'urine  en  une  seule  fois.  C'est  comme  dans  le  temps,  alors  que  je  n'étais  pas 
malade. 

M.  Charcot:  Il  y  a  encore  un  autre  résultat  obtenu  dont  il  ne  parle  pas,  sans 
doute  par  discrétion,  mais  que  nous  ne  pouvons  pas  cependant  passer  sous 
silence  ;  c'est  que  les  érections  et  les  désirs  sexuels  ont  reparu  depuis  quel- 
ques semaines  ;  les  relations  ont  même  pu  avoir  lieu  dans  des  conditions  à 
peu  près  normales.  Seulement  «  les  sensations,  nous  a-t-il  dit,  ne  sont  plus  les 
mêmes  qu'autrefois.  » 

En  résumé,  messieurs,  vous  le  voyez,  l'amélioration  dans  les  symptômes 
s'est  prononcée  sur  toute  la  ligne,  et  l'on  ne  saurait  guère  invoquer  ici,  je 
pense, non  plus  que  dans  les  cas  qui  suivent, — pour  se  rendre  compte  des  effets 
produits  — ,  une  influence  de  «  suggestion»  caries  amendements  se  sont  mani- 
festés lentement,  progressivement,  successivement  durant  une  période  de  trois 
mois  et  ils  ne  se  sont  pas  démentis  un  seul  instant  depuis  Torigine. 

Deuxième  malade.  —  Le  second  malade  est  un  nommé  Des... mes, 
âgé  de  43  ans.  Il  remplit  les  fonctions  d'inspecteur  dans  un  commissariat. 
Hérédité  nerveuse  très  prononcée  ;  père  exalté,  instituteur,  s'occupant  active- 
ment de  politique  ;  mère  emportée  ;  un  frère  suicidé  ;  syphilis  à  l'âge  de  20  ans. 

Les  douleurs  fulgurantes  ont  commencé  à  se  produire  il  y  a  cinq  ou  six  ans. 
Démarche  tabétique  datant  d'un  an.  Réflexes  rotuliens  absents.  Signe  de 
Romberg.  Signe  d'Argyll  Robertson.  Miction  difficile.  Impuissance  depuis  le 
commencement  de  1888. 

Début  du  traitement  le  22  octobre  1888.  Il  y  a  eu  jusqu'à  ce  jour  trente- 
six  suspensions  de  une  demi-minute  à  trois  minutes  de  durée. 

Dès  la  deuxième  séance, diminution  d'un  sentiment  de  pesanteur  qui  exis- 
tait dans  les  membres  inférieurs;  la  marche  paraît  être  un  peu  plus  facile.  Après 
la  huitième  séance,  amélioration  très  notable  dans  la  marche  qui  est  moins 
afTectée  par  l'obscurité  ;  le  malade  descend  les  escaliers  plus  facilement.  La 
miction  est  moins  lente.  Après  la  vingtième  séance, on  note  le  retour  des  érec- 
tions.Après  la  trente-sixième  séance,  on  note  de  grands  progrès  dans  la  mar- 
che ;  le  malade  peut  faire  maintenant  de  longues  courses  à  pied  :  c'est  ainsi  que 
récemment, il  s'est  rendu  à  pied  de  la  place  d'Italie  à  Autcuil  sans  canne.  Les 
douleurs  fulgurantes  sont, après  quelques  oscillations,  devenues  beaucoup  plus 
rares  et  très  supportables.  Elles  n'empêchent  plus  le  sommeil.  Le  signe  de 
Romberg  a  on  îirande  partie  disparu.  Réflexes  rotuliens  toujours  absents. 

M.  CiiAHcoT,  s' adressant  an  innlade  :  Tout  ce  que  je  viens  de  dire  est-il  bien 
exact? 


—  213  — 

Le  malade  :  Oui, monsieur,  certainement  ;  je  n'ai  plus  de  douleurs  maintenant 
depuis  près  de  deux  mois.  Autrefois  j'en  avais  fréquemmentetbien  souvent  je 
ne  pouvais  dormir  ;  je  dors  bien  maintenant. 

M.  GuARCOT  :  Quand  avez-vous  commencé  à  mieux  marcher  ?  Comment  va 
maintenant  la  vessie? 

Le  malade:  Une  quinzaine  de  jours  après  le  début  du  traitement,  je  me  suis 
aperçu  que  je  marchais  mieux,  cela  ensuite  s'est  amélioré  encore  de  jour  en  jour. 
Aujourd'hui,  comme  on  l'a  dit,  je  puis  faire  de  longues  courses  sans  canne  ; 
j'urine  beaucoup  mieux,  presque  aussi  bien  qu'avant  ma  maladie.  J'ai  aussi  des 
érections  maintenant,  seulement  elles  ne  me  servent  à  rien.  Hier,  je  suis  très 
bien  descendu  du  tramway  en  marche. 

M.  CnARCOT^  au  malade  :  Ne  faites  pas  trop  de  ces  prouesses-là.  Les  os  des 
ataxiques  sont  fragiles  ;  demandez  ce  qu'il  en  est  au  malade  qui  vous  a  pré- 
cédé ici. 

Troisième  malade.  —  C'est  un  nommé  G... fin,  âgé  de  32  ans.  Il  a  été  atteint 
de  la  syphilis  à  l'âge  de  15  ans.  Début  il  y  a  deux  ans  par  des  difficultés  dans 
la  marche.  Dérobement  fréquent  des  membres  inférieurs.  Les  douleurs  ful- 
gurantes n'ont  commencé  à  s'accuser  qu'il  y  a  un  an.  Besoins  fréquents 
d'uriner  et  parfois  incontinence  d'urine.  Sensation  de  coton  dans  les  pieds  et 
les  jambes;  réflexes  rotuliens  absents,  pas  de  signe  de  Romberg.  Erections 
rares  et  imparfaites. 

Début  du  traitement  le  12  novembre  1888.  Le  nombre  des  séances  a  été  de 
vingt-quatre.  Une  certaine  amélioration  dans  la  marche  a  commencé  à  se  pro- 
duire après  la  quatrième  séance  ;  en  même  temps,moindre  fréquence  dans  le 
besoin  d'uriner.  Après  la  septième  séance  le  malade  affirme  qu'il  sent  mieux 
le  sol,  qu'il  n'a  plus  de  sensation  de  coton  dans  les  pieds  ;  qu'il  marche 
mieux.  Après  la  vingt-quatrième  séance,  les  résultats  acquis  sont  les  suivants: 
le  malade  peut  faire  d'assez  longues  courses  sans  se  servir  de  sa  canne,  ses 
jambes  ne  se  dérobent  plus  sous  lui.  Les  douleurs  vives  ont  disparu,  elles  ne 
sont  plus  représentées  que  par  de  simples  chatouillements  peu  incommodes. 
L'engourdissement  dans  les  membres  inférieurs  a  cessé.  Il  n'y  a  plus  d'incon- 
tinence d'urine.  Les  érections  sont  plus  fortes  et  plus  durables. 

M.  Charcot,  au  malade  :  Voulez-vous  bien  nous  dire  ce  que  vous  pensez  des 
eflets  du  traitement  que  vous  avez  suivi? 

Le  malade  :  Monsieur,  ce  qu'il  y  a  de  plus  clair  c'est  que  lorsque  j'ai  com- 
mencé le  traitement,  j'étais  obligé  de  me  faire  conduire  ici  par  ma  femme  qui 
me  soutenait  par  un  bras, tandis  que  de  l'autre  côté  je  m'appuyais  sur  une  canne. 
Je  venais  de  loin, car  je  demeure  à  peu  près  à  trois  quarts  d'heure  d'ici, rue  de 
la  Tombe-lssoire,  près  du  parc  Montsouris.  Aujourd'hui  je  fais  ce  même  trajet 
seul,  sans  être  soutenu  et  sans  canne.  Il  y  a  déjà  un  mois  que  je  viens  seul. 

M.  Charcot  :  Parlez-nous  de  vos  douleurs,  de  vos  urines. 


—  214  — 

Le  malade  :  Je  n'ai  plu?  la  sensation  de  coton  sous  les  pieds.  Je  n'ai  plus  de 
douleurs  mais  j'éprouve  quelquefois  encore  une  espèce  de  chatouillement  qui 
parait  les  remplacer.  J'urine  presque  comme  autrefois. 

Quatrième  malade.  -  Extrait  de  l'observation  :  B...geois  (Louis),  âgé  de 
41  ans.  Pas  de  syphilis.  Un  oncle  paterael  a  été  atteint  de  paralysie  géné- 
rale progressive.  Début  en  1887  par  de  l'impuissance  ;  absence  complète  d'é- 
rection. L'incoordination  motrice  des  membres  inférieurs  est  très  marquée. 
Douleurs  fulgurantes  peu  intenses,  mais  il  y  a  sensation  douloureuse  et  ob- 
tusion  delà  sensibilité  de  la  plante  des  pieds.  Réflexes  rotuliens  absents. 
Signe  de  Romberg  très  net.  Difficulté  de  la  miction  ;  un  peu  d'incontinence 
de  temps   à  autre.    Mal   perforant  du  pied.  Signe  d'ArgyJl  Robertson. 

Début  du  traitement,le  10  octobre  1889.  Trente-huit  séances  de  une  demi-mi- 
nute à  trois  minutes  chacune.  La  démarche  a  commencé  àdevenir  plus  sûre  dès  la 
troisième  séance,  la  miction  plus  facile,  et,  à  partir  de  cette  époque  il  a  cessé 
d'uriner  dans  son  pantalon  comme  il  le  faisait  souvent  autrefois.  Après  la  cin- 
quième séance,  la  sensibilité  est  redevenue  normale  à  la  plante  des  pieds.  A 
partir  de  la  seizième  séance,  la  miction  est  normale.  Après  la  vingtième  séance 
il  se  produit  pour  la  première  fois  depuis  longtemps  une  érection,  faible  à  la 
vérité. 

Après  la  trentième  séance,  les  résultats  acquis  sont:  un  état  très  satisfaisant 
de  la  marche, de  la  miction  et  des  sensations  pathologiques  qui  existaient  dans 
les  pieds.  Le  signe  de  Romberg  a  disparu  ou,  tout  au  moins,  il  est  devenu  fort 
peu  accusé.  Les  réflexes  rotuliens  sont  toujours  absents. 

Cinquième  malade.  —  Le  nommé  S... on_,  52  ans.  Syphilisil  y  aseptans.  Début 
du  tabès,  il  y  a  deux  ans  seulement,  par  un  sentiment  de  faiblesse  dans  les 
membres  inférieurs  et  une  difficulté  rapidement  prononcée  de  la  marche. 
Signe  de  Westphal,  signe  de  Romberg,  signe  d'Argyll  Robertson.  Les  douleurs 
fulgurantes  se  sont  manifestées,  pour  la  première  fois,  il  y  a  dix-huit  mois 
seulement. Elles  sont  peu  intenses.  Légère  incontinence  d'urine,  un  peu  d'anes- 
thésie  plantaire.  Érections  très  faibles. 

Début  du  traitement  le  14  novembre  1888.  Après  la  quatrième  séance,  il  se 
produit  une  amélioration  très  manifeste  dans  la  marche.  Le  malade 
peut  marcher  beaucoup  plus  longtemps  qu'il  ne  le  faisait  autrefois, 
il  se  fatigue  moins.  Après  la  sixième  séance,  les  douleurs  ont  cessé 
d'exister,les  pieds  sentent  mieux  le  sol;  le  signe  de  Romberg  est  moins  accusé. 
Après  la  douzième  séance,  la  miction  s'améliore  notablement.  Vers  la  vingt- 
deuxième  séance,  les  érections, au  grand  ctonnement  du  malade,  reparaissent 
plus  fréquentes  et  plus  soutenues.  Les  réflexes  rotuliens  font  toujours  défaut. 

Il  ne  me  paraît  pas  nécessaire  maintenant, messieurs, d'entrer  dansles  détails 


—    '2\:y   — 

à  propos  des  cinq  autres  cas  d'ataxie  locomotrice  qui  sont,  en  quelque  sorte, 
calqués  sur  les  précédents,  et  chez  lesquels  les  efFcts  produits  par  la  suspen- 
sion ont  été,  à  peu  do  chose  prés,  identiques.  Mais  je  tiens  àmentionner  parti- 
culièrement (|ue  dans  quatre  autres  cas,  sur  les  quatorze  du  groupe,  bien  que 
l'ataxic  fût  en  général  symptomatiquement  semblable  à  celle  des  dix  autres, 
les  résultats  produits  ont  été  presque  nuls  ou  tout  à  fait  nuls  :  dans  un  de  ces 
cas  même,  ils  pourraient  être  considères  peut-être  comme  ayant  été  plutôt 
défavorables. 

Il  s'agit  dans  ce  cas,d'un  nommé  C.rges,  âgé  de  32  ans.  Hérédité  nerveuse 
très  chargée,syphilis.Chez  ce  malade,  l'évolution  de  la  maladie  avait  été  extrê- 
mement rapide  car,  dans  l'espace  de  six  mois,  les  symptômes  les  plus  divers 
de  la  série  tabéticpio  avaient  presque  atteint  leur  apogée.  Au  moment  où  le 
traitement  a  été  commencé  on  note  ce  qui  suit  :  Ptosis  et  strabisme  à 
droite.  Incontinence  nocturne  depuis  trois  mois.  Marche  très  difflcile,  très 
incoordonnée  :  signe  de  Romborg  très  accentué,  absence  des  réflexes  rotu- 
liens,  anesthésie  plantaire. 

Début  du  traitement  le  22  octobre.  Le  nombre  des  séances  a  été  de  trente 
et  une, de  une  demi-minute  à  trois  minutes  chacune. Pendant  le  premier  mois, 
résultats  favorables  :  ainsi,  après  la  quatrième  séance,  l'incoordination  était 
devenue  moindre.  Yers  la  vingtième,  la  miction  s'était  améliorée,  Tanesthésie 
plantaire  avait  disparu,  le  signe  de  Romberg  était  devenu  moins  prononcé  ; 
mais  de  la  vingt-cinquième  à  la  vingt-huitième  séance,  on  voit  survenir,  sans 
qu'aucune  circonstance  individuelle  permette  de  l'expliquer,  un  empirement 
marqué  par  un  retour  de  l'incoordination  motrice,  un  accès  de  douleurs  ful- 
gurantes plus  intenses  que  jamais,  et  une  chute  de  la  paupière  supérieure 
gauche.  Le  traitement  a  été  suspendu,  du  moins  provisoirement.  Toute  mé- 
daille a  son  revers  ;  c'est  pi  ^  eque  un  axiome.  Le  traitement  par  la  suspension 
ne  devait  pas  se  soustraire  à  la  loi.. 

En  résumé,  messieurs,  sur  quatorze  casd'ataxie  locomotrice  traités  par  la 
suspension  pendant  une  période  moyenne  de  trois  mois, nous  notons,  dans  dix  cas 
une  amélioration  très  notableet,  dansplusieurs  casmême,uneatténuation  vrai- 
ment remarquable  de  la  plupart  des  symptômes  spinaux.  Dans  quatre  cas  seu- 
lement, les  effets  ontété  nulsou  peu  appréciables  et,  dansl'un  de  ces  derniers, 
aprèsune  période  d'amélioration  il  y  a  eu  empirement  de  tous  les  symptômes. 
Pas  d'au  très  incidents  à  signaler.  Dans  plusieurs  cas  il  y  a  eu  des  vertiges  résul- 
tant d'une  application  vicieuse,  bientôt  corrigée,  de  la  pièce  mentonnière. 
Dans  un  cas  seulement,  où  le  malade  était  atteint  de  crises  laryngées  —  ce 
cas  ne  fait  pas  bien  entendu  partie  du  présent  groupe  —  le  traitement  a  dû 
être  suspendu  dès  la  première  séance  à  cause  du  sentiment  de  strangulation 
déterminé  par  l'application  des  pièces  céphaliques. 

30 


—  216  — 

Quelques  remarques  générales,  relatives  aux  résultats  obtenus  dans  les  dix 
cas  favorables,  ne  seront  sans  doute  pas  déplacées  ici. 

Nous  rappelons  que  tous  ces  malades  étaient  des  tabétiquesavérés, déjà  avan- 
cés dans  le  mal,  et  chez  lesquels, par  conséquent,  le  diagnostic  avait  pu  être  net- 
tement établi. Chez  presque  tous,  l'amélioration  a  commencé  d'abord  à  porter 
sur  lamarche,surrincoordination.Elles'estfaitsentir  dès  les  premières  séances. 
Les  malades  nous  ont  dit  souvent  qu'aussitôt  après  la  séance  la  marche  est  plus 
facile,  plus  assurée.Cette  amélioration  ne  dure  d'abord  que  deux  ou  trois  heures; 
mais  après  un  certain  nombre  de  séances,  elle  se  prononce  et  devient  perma- 
nente. Les  malades  se  tiennent  beaucoup  plus  facilement  debout  ;  ils  peuvent 
marcher  sans  aides,  sans  canne,  faire  des  courses  assez  lo4n gués,  etc.,  etc.  La 
disparition  du  signe  de  Romberg,  lorsqu'elle  a  eu  lieu,  a  été  presque  toujours 
un  phénomène  tardif.  Dans  aucun  cas,  nous  n'avons  vu  reparaître  les  réflexes 
rotuliens. Les  troubles  vésicaux  ont  été  modifiés  heureusement  dans  la  plupart 
descas,ti  lavérité  souventd'une  façon  tardive.  La  miction  s'est  régularisée,  elle 
est  devenue  plus  facile.  L'incontinence  a  disparu, ou  s''est  pour  le  moins  consi- 
dérablement atténuée.  Chez  quelques  malades,  les  fonctions  vésicales  sont 
redevenues  normales.  Il  en  a  été  quelquefois  de  même  de  l'impuissance,  cette 
manifestation  si  fréquente  du  tabos  et  qui  impressionne  si  fâcheusement  les 
malades. 

Les  douleurs  fulgurantes  doivent  être  citées  parmi  les  symptômes  qui  ont 
semblé  le  plus  souvent  bénéficier  du  traitement  par  la  suspension  ;  ce  résul- 
tat a  été  souvent  obtenu  dès  les  premièrjps  séances.  Il  a  été  facile  à  apprécier 
dans  plusieurs  cas  où  les  douleurs  étaient  devenues  presque  continues  et 
empêchaient  le  sommeil.  Nous  ne  devons  pas  oublier  que,  plusieurs  fois,  la 
sensation  d'engourdissement  des  pieds  s'est  atténuée  ou  a  disparu  et  que,  chez 
deux  malades,  des  plaques  d'anesthésie  plantaire  sont  redevenucs  sensibles. 
Enfin  il  nous  a  semblé  que  l'état  général  lui  aussi  s'est  le  plus  souvent  amélioré 
et  que  le  sommeil,  fréquemment,  est  devenu  meilleur,  circonstance  qui  ne 
nous  a  pas  paru  devoir  être  uniquement  attribuée  à  la  disparition  des  douleurs 
fulgurantes. 

Après  tout  ce  qui  précède,  messieurs,  il  vous  paraîtra  sans  doute  évident 
comme  à  moi,  que  le  traitement  de  l'ataxie  locomotrice  progressive  par  la 
suspension  tel  qu'il  a  été  employé  par  M.  le  D""  Motchoutkowsky  méritait  bien 
d'être  tiré  de  l'ouldi  où  il  était  resté  plongé  jusqu'ici,  et  de  nouveau  mis  en 
lumière.  Les  résultats  obtenus  jusqu'à  ce  jour  sont,  à  mon  avis,  assez  frap- 
pants pour  qu'on  les  prône  et  qu'on  les  recommande  sérieusement  à  l'atten- 
tion de^  médecins  particulièrement  voués  aux  études  neuropathologiques  ;  et, 
en  ce  qui  me  concerne,  je  puis  témoigner  que  jamais  je  n'ai  observé,  dans 
l'ataxie,  sous  fintluence  des  divers  autres  modes  de  traitement  qu'on  lui 
oppose,  des  améliorations  aussi  prononcées,  produites  aussi  rapidement  sur 
un  aussi  grand  nombre  de  malades  à  la  fois.  Mais  après  cette   déclaration  je 


—  lM7  — 

serai  le  premier  à  relever  qu'en  cette  matière,  nous  en  sommes  encore,  sur 
plusieurs  points,  aux  préliminaires.  (Test  qu'en  effet,  faute  d'expériences 
suffisamment  prolongées  et  suldsamment  multipliées,  il  est  une  foule  de 
questions  qui  se  présentent  à  l'esprit  et  auxquelles  nous  ne  saurions  répondre. 
Ainsi,  pour  ne  citer  que  quelques  exemples,  nous  ne  pouv(jris  pas  affirmer,  si 
ce  n'est  d'après  une  observation  uni([ue  appartenant  à  M.  Molchoutkowsky, 
que  les  résultats  obtenus  puissent  être  vraiment  définitifs,  de  nature  à  persister 
plusieurs  années  après  la  cessation  du  traitement.  Nous  connaissons  bien  la 
plupart  des  contre-indications  relatives  à  la  santé  générale  du  sujet,  qui  doi- 
vent, dans  certains  cas,  mettre  en  garde  contre  la  pratirpie  de  la  suspension, 
telles  {)ar  exemple  que  les  maladies  organiques  du  cœur,  la  phtisie  pulmonaire, 
les  tendances  apoplectiques, etc.  ;  elles  ontété  parfaitement  signalées  par  notre 
confrère  d'Odessa,  mais  nous  ignorons  d'autre  part  si,  il  n'y  a  pas  à  redouter 
encore  chez  certains  sujets,  sains  en  apparence,  bien  entendu  en  dehors  du 
Ittbes,  certains  accidents  relevant  de  la  suspension  qu'il  est  impossible  de 
prévoir  quant  à  présent.  Nous  ne  savons  pas  non  plus  reconnaître  encore,  à 
certains  caractères  déterminés,  les  cas  où  la  suspension,  relativement  aux 
symptômes  tabétiques,  sera  certainement  ou  très  vraisemblablement  utile  et 
les  distinguer  de  ceux  où  son  application  serait  de  nul  effet, ou  peut-être  même 
nuisible.  Toutes  ces  questions  là  et  d'autres  encore,  qui  constituent  à  l'heure 
qu'il  est  autant  de  desiderata  ne  sauraient  être  éclairées, on  le  conçoit,  qu'à  la 
suite  d'études  suffisamment  prolongées  et  établies  sur  une  grande  échelle.  Pour 
ce  qui  est  de  nous,  nous  nous  proposons  de  continuer  celles  que  nous  avons 
entreprises  et  de  les  étendre  au  plus  grand  nombre  de  sujets  possible.  Nous 
espérons  pouvoir  dans  quelques  mois  vous  faire  connaître  les  résultats,  quels- 
qu'ils  soient,  que  nous  aurons  obtenus  dans  cette  nouvelle  série  de  recher- 
ches. 

Suivant  en  cela  l'exemple  de  M.  Motchoutkowsky,  nous  avons  essayé  l'em- 
ploi de  la  suspension  dans  le  traitement  de  quelques  autres  affections  orga- 
niques des  centres  nerveux,  autres  que  l'ataxie  locomotrice,  et  aussi  de  quelques 
maladies  purement  névropathiques.  M.  le  D""  Blocq,  notre  ancien  interne,  a 
traité  de  cette  façon, dans  le  service  une  jeune  fille  de  13  ans,  atteinte  delà  ma- 
ladie de  Friedreich.  Cette  malade,  après  un  traitement  de  trente  séances,  a 
obtenu  des  améliorations  très  remarquables  portant  sur  le  signe  de  liomberg 
et,  sur  la  titubation  qui  étaient  très  prononcée.  Malheureusement,  le  corset 
ayant  été  appliqué  dans  ce  cas, il  est  impossible  de  décider  ce  qui,  dans  le  suc- 
cès, revient  à  la  suspension. 

Les  effets  ont  été  favorables  dans  deux  cas  d'impuissance  liée  à  la  neuras- 
thénie. 

Par  contre,  un  malade  atteint  de  sclérose  en  plaques  avec  exagération  con- 
sidérable des  réflexes  rotuliens  étant  soumis  au  traitement,  il  survint  chez  lui 


218  — 


après  deux  séances  une  rigidité  spasmodique  des  membres  inférieurs  qui  dis- 
parut heureusement  au  bout  de  trois  jours. 

Nous  comptons,  dans  ce  second  groupe  des  malades  non  ataxiques,  multi- 
plier à  l'avenir  et  varier    les  essais. 


APPENDICE 


Après  la  leçon  qu'on  vient  délire,  un  grand  nombre  de  malades  se  sont 
présentés  à  la  Salpêtrière  pour  y  être  traités  par  la  suspension.  Naturelle- 
ment, parmi  ces  nouvelles  recrues,  les  ataxiques  ont  prédominé  ;  aujourd'hui 
15  mars  nous  en  comptons  114,  dont  3  femmes,  qui  ont  été  soumis  au  trai- 
tement. Il  y  a  lieu  de  les  diviser  en  plusieurs  groupes. 

Trente  malades  sont'venus  de  une  à  cinq  fois  seulement,  et  n'ont  plus  été 
revus  ensuite.  Beaucoup  de  malades  d'ailleurs  fréquentent  l'hùpiLal  dans  le 
but  d'apprendre  à  se  suspendre,  et  après  avoir  fait  emplette  d'un  appareil,  ils 
continuent  le  traitement  chez  eux.  C'est  là  une  circonstance  défavorable, on  le 
conçoit,  à  l'observation,  car  il  est  assez  rare  que  les  malades  qui  sont  en  pos- 
session d'un  appareil  reviennent  donner  de  leurs  nouvelles.  Toutefois,  à  ce 
propos,  nous  ne  devons  pas  manquer  de  relever  que  nous  avons  pu,  à  la  date 
du  8  mars,  réunir  tous  les  anciens  malades  présentés  comme  améliorés  à  la 
leçon  du  15  janvier,  etreconnaitre  à  cette  occasion  que  l'amélioration  obtenue 
avait  persisté  dans  tous  ces  cas  et  avait  même  notablement  progressé  chez 
quelques-uns  d'entre  eux.  A  la  vérité,  dans  aucun  de  ces  cas,  les  séances  de 
suspension  n'avaient  été  interrompues. 

20  ataxiques  sont  venus  de  une  à  cinq  fois  et  sont  encore  à  ITicuro  qu'il  est 
en  observation  sans  qu'il  soit  possible,  on  le  comprend,  de  rien  conclure  ù 
leur égard. 

14  ont  été  suspendus  de  six  à  dix  fois,  sans  avoir  présenté  rien  qui  soit 
digne  d'être  noté,  soit  dans  le  sens  de  l'amélioration,  soit  dans  le  sens  con- 
traire. 

7  ont  été  suspendus  de  quinze  à  vingt  fois  et  au-dessus,  sans  avoir  ressenti 
aucune  amélioration. 

38.  comprenant  3  femmes,  ont  été   suspendus  de  «pialrc  à  vingt  fois  et 


—  219  — 

au-dessus,  avec  une  moyenne  de  ([uinze  suspensions  et  ont  été  améliorés  très 
nettement  bien  qu'à  des  dej^rés  divers. 

5  enfin  ont  présenté  des  accidents  de  divers  ordres  qui  ont  motivé  l'inter- 
l'uption  des  séances, 

En  résumé,  en  éliminant  04  cas  pour  lesquels  il  n'existe  pas  d'éléments 
d'appréciation,  puisque  nous  ne  saurions  considérer  comme  infructueuses  les 
séances  avant  la  dixième,  nous  disons  que  sur  un  chiffre  de  50  tabéti- 
ques  ayant  subi  plus  de  dix  à  quinze  suspensions,  ou  ayant  été  améliorés 
avant  que  ce  chilîre  ait  été  atteint,  nous  avons  observé  38  améliorations, 
7  échecs,  5  accidents. 

L'analyse  des  38  cas, dans  lesquels  une  amélioration  est  survenue, nous  con- 
duit à  formuler  quelques  propositions  qui  pourront  contribuer  peut-être  à 
éclairer  le  chapitre  des  indications  de  la  suspension  dans  le  traitement  du 
tabès. 

11  nous  a  paru  que  les  ataxiques  frappés  par  la  maladie  lorsqu'ils  sont  très 
jeunes,  et  aussi, par  contraste,  ceux  qui  sont  arrivés  à  un  âge  avancé  ne  reti- 
rent que  peu  de  bénéfices  de  la  suspension  ;  les  premiers  sans  doute  parce 
que  chez  eux,  le  tabès  revêt  le  plus  souvent  une  forme  grave  et  évolue  très 
rapidement,  les  autres  pensons-nous  parce  qu'ils  se  présentent  souvent  dans 
un  état  de  débilité  qui  nous  a  semblé  peu  favorable.  Dans  tous  les  cas  on  pour- 
rait dire  que, meilleur  est  l'état  général, meilleur  sera  l'effet  de  la  suspensi(ui. 

Il  est  difficile  de  se  prononcer  avant  la  dixième  ou  quinzième  séance  sur  le 
bénéfice  qu'on  pourra  retirer  ultérieurement  de  la  suspension  ;  toutefois,  il 
paraît  certain  qu'une  amélioration  qui  se  prononce  rapidement  dès  les  pre- 
mières séances  est  d'un  bon  augure.  Nous  avons  vu, dans  certains  cas, des  amé- 
liorations obtenuesrester  stationnaires  vers  la  dixième  séance  et  ne  s'accentuer 
ensuite  que  vers  la  quinzième  ou  vingtième  séance. 

Il  est  difficile  de  se  prononcer  sur  la  question  de  savoir  si  les  ataxiciues 
entachés  de  syphilis  sont  plus  ou  moins  vite,  ou  plus  ou  moins  certainement 
améliorés  que  ceux  qui  n'ont  pas  eu  la  vérole.  Nous  n'avons  rien  observé  qui 
put  nous  permettre  de  ranger,  en  nous  basant  sur  l'existence  ou  la  non  exis- 
tence de  la  syphilis  chez  eux,  les  ataxiques  en  deux  catégories  au  point  de  vue 
des  bénéfices  qu'ils  sont  appelés  à  retirer  de  la  suspension. 

La  forme  des  accidents  tabétiques  est  plutôt  à  considérer  :  ainsi. les  symp- 
tômes céphaliques^  tels  que  paralysies  oculaires,  phénomènes  laryngés,  ou 
encore  les  crises  gastriques  semblent  résister  au  traitement.  En  ce  qui  regarde 
ces  derniers  toutefois,  il  est  impossible  de  rien  décider  encore,  le  nombre  des 
cas  de  ce  genre  ayant  été  assez  restreint. 

Au  contraire, l'incoordination  motrice,  les  douleurs  fulgurantes,  les  troubles 
vésicaux  divers,  la  faiblesse  générale,  le  signe  de  Romberg  enfin,  sont  surtout 
favorablement  influencés  dans  les  conditioi^s  indiquées  dans  la  leçon  du  15  jan- 
vier. 


—  220  — 

x\u  cours  des  nombreuses  suspensions  pratiquées  à  la  Salpêtrière,  pendant 
CCS  deux  derniers  mois,  nous  avons  vu  survenir  des  accidents  de  divers  ordres 
qui  ont  motivé  la  cessation  du  traitement  et  sur  lesquels  nous  tenons  à  insister 
particulièrement. 

Dans  un  cas,  chez  un  homme  de  55  ans,  athéromateux,  nous  avons  vu  sur- 
venir après  la  dix-septième  séance,  un  œdème  des  membres  inférieurs 
résultant  de  troubles  circulatoires  cardiaques  sans  lésion  orificielle  appréciable 
(cœur  forcé).  L'œdème  a  cessé  rapidement,  d'ailleurs, après  la  suspension  des 
séances. 

Chez  un  homme  âgé  de  51  ans,  tabctique  confirmé  ne  présentant  aucune 
lésion  cardiaque  et  n'étant  pas  sous  le  coup  de  crises  laryngées,  un  étal 
lypothimique  s'est  manifesté  à  la  suite  de  quelques  séances,  puis,  à  la  suite  de 
l'une  d'elles,  une  véritable  syncope  ce  qui  a  nécessité  l'interruption  du  trai- 
tement. 

Un  second  cas,  où  une  des  suspensio«is  a  été  suivie  d'une  syncope  que  rien 
ne  faisait  prévoir,  a  été  observé. 

Chez  un  quatrième  malade  âgé  de  43  ans,  suspendu  huit  fois,  les  symp- 
tômes parétiques,  déjà  très  prononcés  du  reste  avant  le  traitement,  se  sont 
aggravés  sous  son  influence.  Ce  malade  était  profondément  anémié. 

Enfin,  dans  un  cinquième  cas,  est  survenu  à  la  suite  d'une  séance  une  para- 
lysie radiale  évidemment  déterminée  parla  compression. Cette  paralysie  a  dis- 
paru très  rapidement. 

Nous  devons  noter  encore  un  fait  observé  en  dehors  du  service.  Il  s'agit 
d'un  cas  de  rupture  d'une  artériole  athéromateuse  déterminée  par  la  compres- 
sion exercée  sur  l'aisselle  pendant  l'application  de  la  suspension. 

Voilà  des  accidents  qu'il  importait  de  signaler  hautement  et  qui  sont  bien 
de  nature  à  montrer  que  la  pratique  des  suspensions  ne  saurait  être  faite, 
sans  critique,  sans  distinction  des  cas,  et  qu'il  peut  être  dangereux  dans  cer- 
tains cas  de  l'abandonner  au  malade  lui-même. 

Relevons, en  passant, que  trois  de  nos  tabétiques  améliorés  présentaient  avant 
le  traitement  une  proportion  plus  ou  moins  considérable  de  sucre  dans  les 
urines. 

En  dehors  du  tabès,  la  suspension  a  été  appliquée  à  huit  sujets  atteints  de 
paralysie  spasmodique,  à  trois  sujets  afTectés  de  la  maladie  de  Friedreich,  enfin 
à  quatre  cas  de  paralysie  agitante  (maladie  de  Parkinson). 

Aucun  des  malades  atteints  de  paraplégie  spasmodique  (huit  cas  dont  deux 
sont  relatifs  à  la  sclérose  en  plaques),  n'a  subi  quant  à  présent  plus  de  huit 
séances  ;  tous  ont  bien  supporté  la  suspension, plusieurs  aflirmcut  que, chez  eux, 
la  rigidité  des  membres  inférieurs  est  devenue  moindre.  Mais,  en  raison  du 
petit  nombre  des  séances,  il  est  difl'icilede  se  prononcer.  Tout  ce  que  l'on  peut 
dire  c'est  que,  à  l'inverse  de  ce  qui  s'était  produit  dans  un  cas  antérieur 
(sujet  atteint  de  sclérose  en  plaques  signalé  dans  la  leçon  du   15  janvier),  la 


—  n\  — 

suspension  a  été  parfaitement  tolérée,  sans  produire  jamais  une  aggravation 
des  symplôuHîS  paralyti([uos. 

Les  trois  malades  atteints  de  maladie  de  Friedreich.  traités  fHir  la  suspension 
sans  application  du  corset,  n'en  ont  tiré  aucun  bénéfice  api>récialile.  Il  est 
vrai  que  le  nombre  des  suspensions  n'a  pas  dépassé  encore  six  séances. 

Par  contre  dans  les  cas  de  paralysie  agitante,— nous  relevons  en  passant  «juil 
s'psi  agi  là  de  la  véritable  maladie  de  Parkinson  et  nullement  dun  tremlile- 
ment  quelconque,  —  les  résultats  de  la  suspension  ont  été  vraiment  favorables. 
Ainsi, chez  quatre  maladesde  ce  genre  ayant  subi  de  sept  àvingt-trois  suspen- 
sions,lesommeilest  devenu  meilleur,en  mêmetemps  quele  sentiment  de  chaleur 
(pii  se  produit  surtout  la  nuit  s'est  remarquablement  amendé;  la  rigidité  des 
membres  et  les  symptômes  pénibles,  parfois  douloureux,  que  les  malades  y 
éprouvent  ont  été  fortement  atténués;  chez  une  des  malades  (femme  de  43  ans) 
le  phénomène  d'antépulsion  a  disparu;  par  contre,  nous  n'avons  pas  remarqué 
que  le  tremblement  ait  jamais  subi  une  modification  appréciable. 

Nous  nous  trouvons  encouragés, par  ce  qui  précède, à  conseiller  le  traitement 
de  la  suspension  dans  la  maladie  de  Parkinson,  surtout  lorsque  la  raideur  des 
diverses  parties  du  corps  et  les  sensations  pénibles  diverses  qui  l'accompagnent 
si  souvent^  se  montrent  particulièrement  prononcées. 

20  mars  1889. 


ntr.  NOIZETIE,   8.  RUr.  CAMPAC.NF.-rUKMIl  r.r,   P.VKIS. 


Policlinique  du  Mardi  22  Janvier  1889 


ONZIEME  LEGON 

1^"^  Cas.  —  Goutte  articulaire,  puis  otite  goutteuse;  invasion 
soudaine  du  vertige  ab  aure  lœsa  :  diplopie,  paralysie 
faciale  transitoire.  Le  vertige  s'établit  à  l'état  permanent. 
—  Traitement  par  le  sulfate  de  quinine  à  hautes  doses  long- 
temps prolongées. 

2%  3%  4%  5®  et  6®  Cas.  —  Exemples  de  maladies  de  Basedovv 
présentant  certaines  particularités  intéressantes  :  tremble- 
ment, fièvre,  paraplégie  spéciale  dans  la  maladie  de 
Basedow.  Combinaison  de  la  maladie  de  Basedow  avec 
rhystérie^  l'ataxie  locomotrice  progressive. 


!•'  Malade 


M.  Gharcot.  —  Messieurs,  le  malade  dont  nous  allons  nous  occuper  en  pre- 
mier lieu  est  déjà  connu  de  plusieurs  d'entre  vous.  Je  vous  l'ai  présenté  en 
effet, une  fois  déjà,  cette  année  même,  à  la  clinique  (Leçon  du  mardi  13  novem- 
bre 1888)  ;  mais  alors,  nous  nous  sommes  bornés  à  tracer  de  son  histoire  une 
légère  esquisse;  le  cas  est  assez  intéressant  cependant,  je  crois,  pour  mériter 
d'être  l'objet  d'une  étude  plus  attentive  que  nous  allons  entreprendre  actuelle- 
ment. 

C'est  un  homme  fort  vigoureux,  âgé  de  55  ans  environ,  et  qui  exerce,  ou 
plutôt  exerçait  il  y  a  quelques  mois  encore,  la  profession  non  pas  de  forgeron, 
comme  on  Ta  dit  dans  la  leçon  citée  plus  haut, mais  bien  de  maréchal  ferrant, 
ce  qui  du  reste,  à  notre  point  de  vue,  revient  à  peu  près  au  même. 

Nous  n'avons  pu  recueillir  auprès  de  lui  aucun  renseignement  précis  con- 

31 


—  224  — •  '  ■ 

cernant  les  antécédents  héréditaires.  Il  a  servi  autrefois  comme  maréchal  dans 
un  régiment  de  cavalerie  et  il  a  fait  de  nombreuses  campagnes.  Jamais  il 
n'avait  été  malade  lorsque,  il  y  a  dix  ans,  il  a  commencé  à  souffrir  de  dou- 
leurs dans  les  jointures  dont  la  description  ne  laisse  subsister  aucun  doute  sur 
la  nature  de  l'affection. 

Ces  douleurs  articulaires  en  effet,  ont  eu  pour  caractère  de  se  reproduire  de 
temps  à  autre^sous  l'orme  d'accès^,  pendant  lesquels  une  oudeux  jointures  seule- 
ment à  la  fois  devenaient  douloureuses  etgonflées.  C'est  au  gros  orteil  du  côté 
gauche  que  la  douleur  s'est  localisée,  lors  du  premier  accès,  puis  ça  a  été  le 
tour  de  l'articulation  métatarso-phalangienne  du  gros  orteil  du  côté  droit  ;  les 
genoux,  les  articulations  des  mains,  des  poignets,  des  coudes  sont  devenus 
plus  tard  le  siège  du  mal.  Le  malade  insiste  sur  ce  fait,  que  les  douleurs, 
pendant  les  accès,  se  montraient  intenses  tout  particulièrement  la  nuit,  et 
s'apaisaient  notablement  le  jour.  Les  accès,  en  général,,  ne  le  retenaient  pas 
plus  de  huit  jours  au  lit.  Il  porte  au  niveau  du  coude  gauche  une  petite 
tumeur  dure,  paraissant  occuper  l'épaisseur  de  la  peau,  mobile^,  qui  nous 
paraît  être  constituée  par  un  tofus^  bien  que  Ton  ne  voie  pas  la  substance 
d'un  blanc  crayeux  transparaître  à  travers  le  tégument  externe.  Cette  tumeur 
s'est  développée  à  la  suite  des  accès  qui  siègent  dans  les  membres  supérieurs. 
Pas  de  sucre  dans  les  urines.  Il  a  eu,  à  plusieurs  reprises,  des  crises  doulou- 
reuses dans  la  région  lombaire  et  dans  l'abdomen,  lesquelles  répondent  cer- 
tainement à  la  description  de  la  colique  néphrétique, bien  qu'il  n'y  ait  jamais 
eu,  paraît-il,  expulsion  de  calculs. 

Quoi  qu'il  en  soit,  voilà  un  ensemble  de  phénomènes  suffisamment  caracté- 
risé pour  que  vous  ayez  compris,  à  les  entendre  énumérer^  que  c'est  la  goutte 
qui  est  ici  en  jeu.  Notre  malade  est  donc  un  sujet  arthritique  au  premier 
chef;  cela  étant,  nous  pouvons  nous  attendre  à  voir  survenir  chez  lui  un  cer- 
tain nombre  d'épisodes  qui  sont,  en  quelque  sorte,  dans  la  logique  de  la  dia- 
tlièse  en  question. 

C'est  dans  ce  sens^  et  non  pas  à  titre  d'événement  purement  accidentel,  qu'il 
faut  interpréter,  croyons-nous,  l'apparition,  il  y  a  deux  ans,  —  époque  depuis 
laquelle  les  iluxions  articulaires  n'ont  plus  reparu,  —  d'une  affection  de 
l'oreille  gauche,  peu  douloureuse  il  est  vrai, mais  accompagnée  de  bourdonne- 
ments d'oreille  et  de  surdité,  rapidement  survenue. 

Il  est  intéressant  de  relever  que  cette  otite  goutteuse,  —  car  c'est  bien  cer- 
tainement de  cela  qu'il  s'agit,  —  s'est  accompagnée  d'une  paralysie  du  nerf 
facial  gauche,  offrant  tous  les  caractères  de  la  paralysie  périphérique  classique 
dite  rhumatismale  ;  cette  paralysie  a  cédé  d'elle-même  au  bout  d'une  huitaine 
de  jours. 

Vous  n'avez  pas  oublié,  certainement,  comment  à  plusieurs  reprises,  dans 
ces  derniers  temps,  j'ai  insisté  sur  la  notion  nouvellement  introduite  dans 
la  science  par  M.  Ncumann,  notion  d'après  laquelle  la  paralysie  de  ce  genre 


—  225  — 

est  souvent  une  maladie  d'hérédité'  nerveuse,  Mais  je  n'ai  jamais  été  jusqu'à 
prétendre,  bien  entendu,  ni  M.  Neumann  non  plus  je  pense,  que  la  paralysie 
faciale  périphérique  n'est  jamais  une  affection  toute  locale,  ne  relevant  d'au- 
cune tare  nerveuse,  produite  de  toutes  pièces  en  un  mot  par  l'application 
plus  ou  moins  directe  du  froid  humide.  J'ai  émis  seulement  l'opinion  que 
ces  cas  sont  beaucoup  plus  rares  qu'on  ne  Tavait  cru  jusque  dans  ces  derniers 
temps  ;  en  tout  cas,  personne  n'ignore  que,  dans  un  groupe  de  faits  assez 
nombreux,  la  paralysie  faciale  périphérique  est,  purement  et  simplement, 
la  conséquence  d'une  otite,  non  pas  seulement  d'une  otite  grave  avec  lésions 
osseuses,  mais  encore  d'une  simple  otite  catarrhale  ;  c'est  à  un  point  que 
depuis  longtemps  Deleau,  Roche  {Académie  de  médecine  1857-1858],  Wilde, 
Trciltsch,  et  plus  récemment  Tilmann  {Facialislâhmung  bei  Ohrenkrankheiten , 
Diss.  Halle,  1869),  ont  bien  mis  en  lumière. 

Il  n'est  pas   difficile  de  comprendre  anatomiquement  la  production  d'une 
paralysie  faciale  en  conséquence  d'une  otite  moyenne  :  on  sait,  en  efTet,  que, 
dans  la  caisse,  immédiatement  çn  arrière  et  au-dessus  de  la  fenêtre  ovale  est 
un  relief  osseux,  l'aqueduc  de  Fallope,  dans   lequel  se  trouve  contenu  le  nerf 
facial.  Ce  nerf  n'est  séparé  de  la  cavité  de  la  caisse  que  par  une  mince  lamelle 
osseuse  parfois    criblée    de    trous,  et^  partiellement,  par   du  tissu   fibreux. 
Le  nerf  facial   envoie  d'ailleurs  dans  l'oreille  moyenne  deux  branches  et  il 
reçoit  la  même  artère  nourricière  que  celle-ci.  On  imagine  aisément,  d'après 
cela,  comment  une  inflammation  même  superficielle,  ayant  pris  origine  dans 
la  caisse,  peut  se  communiquer  au  contenu  du  canal  de  Fallope...  (Tiliaux, 
Analomie  topographique,  p.  120;  Erb,  Krank.   der  Nervensgstem,  t.  I,  p.  448). 
Inutile  de  dire  que  telle  a  été,  suivant  nous,  la  raison  de  l'apparition  d'une 
paralysie  faciale  transitoire  chez  notre  homme  dans  les  circonstances  que  nous 
venons  d'indiquer.  Cette  même  paryalsie  faciale  devait  reparaître,  une  fois 
de  plus,  dans  des  circonstances  au  moins  fort   analogues;  c'est  ce   que  nous 
allons  dire  dans  un  instant.  Un  certain  degré  de  surdité  de  l'oreille  gauche  et 
des  bourdonnements  presque  constants  ont  survécu  à  la  paralysie    faciale 
qui  du  reste,  ainsi  que  nous  l'avons  fait   remarquer,  avait  disparu  spontané- 
ment au  bout  de  quelques  jours  seulement.  Les  choses  en  étaient  là  et  F...  se 
considérait  comme  très  bien  portant,  lorsqu'il  y  a    quatre   mois  environ,  le 
1"  octobre  1888,  la  date  est  précise  vous  le  voyez,  se  trouvant  en  wagon  pour 
se  rendre  de  Dijon  à  Paris,  il  fut  pris  inopinément  des  accidents  que  voici: 
tout  à  coupse  produisent  dans  l'oreillegauche,  des  sifflements  épouvantables 
par  leur  acuité  et  leur  intensité  ;  en  même  temps  survient  un  vertige  carac- 
térisé surtout  par  une  tendance  à  être  projeté  vers  la  gauche,  côté  de  l'oreille 
malade. 

Cette  sensation  de  translation  violente  était  d'autant  plus  pénible  qu'elle 
était,  pour  ainsi  dire,  continue  et  qu'elle  s'accompagnait  de  nausées  ;  il 
y  eut  même  quelques  vomissements  glaireux.  Malgré  tout,  —cela  est  parfaite- 


—  2^26  — 

ment  établi  dans  le  souvenir  du  malade,  —  il  n'y  eut  pas  un  instant  perte  de 
connaissance;  il  a  assistée  tous  ces  phénomènes  parfaitement  conscient,  mais 
non  sans  en  éprouver_,  on  le  conçoit,  un  indicible  malaise.  Il  était  8  heures  du 
matin  lorsque  l'accès  a  été  inauguré  tout  à  coup  par  le  sifflement  d'oreille  ;  à 
dl  heures, époque  de  l'arrivée  du  train  à  Paris  il  n'était  pas,  tant  s'en  faut,  ter- 
miné. Il  fallut  porter  le  patient  pour  le  descendre  de  wagon  et  le  placer  sur 
une  civière  pour  le  transporter  de  la  gare  de  Lyon  à  la  rue  du  Faubourg- 
Saint-Antoine  où  il  habite. 

Là,  les  phénomènes  vertigineux  persistant  tels  quels  ;  on  dut  le  mettre  au 
lit.  Ils  durèrent  encore  du  reste^,  presque  sans  atténuation, pendant  une  quin- 
zaine de  jours.  Pendant  cette  longue  période,  le  pauvre  homme  n'a  pas  cessé, 
pour  ainsi  dire,  jour  et  nuit  de  sentir  à  chaque  instant  son  lit  verser  tout  à 
coup  vers  la  gauche  avec  la  crainte  d'être  entraîné  dans  sa  chute;  parfois  il 
lui  semblait  que  son  lit  se  soulevait  par  le  pied,  tandis  que  sa  tête  tombait  en 
arrière.  Les  sifflements  aigus  dans  l'oreille  gauche  les  nausées^non  suivies  ce- 
pendant de  vomissements,  pendant  cette  terrible  quinzaine  le  tourmentèrent 
en  quelque  sorte  sans  relâche  et  sans  trêve. 

Il  y  a  lieu  de  relever  encore,  pendant  cette  longue  période  de  vertige  per- 
manent, la  présence  d'une  diplopie  revenant  par  moments  laquelle  n'a  pas 
reparu  depuis,  et  aussi  l'existence  d'une  paralysie  faciale  en  tout  semblable  à 
celle  qui  s'était  produite  il  y  a  deux  ans,  lors  de  l'apparition  des  premiers 
sifflements  d'oreille  et  des  premiers  symptômes  d'obnubilation  auditive.  Cette 
fois  encore,  la  paralysie  a  été  absolument  transitoire;  sa  durée  n'a  pas  dépassé 
dix  jours,  bien  qu'aucune  thérapeutique  spéciale  n'ait  été  dirigée  contre  elle. 

Vous  avez  reconnu  facilement  dans  ce  qui  précède,  la  description  pour 
ainsi  dire  classique  du  syndrome  vertigo  ah  aiire  lœsn,  vertige  de  Ménière 
comme  on  dit  encore.  Rien  n'y  manque  :  sentiment  de  translation  soudaine 
entraînant  le  malade  dans  une  direction  toujours  à  peu  près  la  même  pour 
chaque  individu,  et  survenant  à  la  suite  d'un  sifflement  aigu  ressenti  dans  une 
oreille  où  l'ouïe  est  obnubilée;  nausées,  vomissements,  pas  de  perte  de  con-i 
naissance  même  dans  les  cas  où  le  vertige  est  le  plus  intense  :  tout  cela,  je  le 
répète  appartient  au  type. 

Bien  qu'elles  y  soient  exceptionnelles,  et  qu'elles  ne  lui  appartiennent  pas 
en  propre,  la  diplopie  à  répétition  et  la  paralysie  faciale  transitoire  signalées 
tout  à  l'heure,  ne  sont  cependant  pas  déplacées  dans  le  tableau.  La  première, 
en  efl'et,  s'y  observerait  peut-être  plus  souvent  qu'on  ne  l'a  fait  jusqu'ici, si  l'at- 
tention était  fixée  sur  la  possibilité  de  son  existence  en  pareil  cas. On  sait,  en 
effet,  que  quelques  auteurs,  en  particulier  Hughlings  Jackson  (Bra'in,  1879)  ; 
Ilobertson  (Mind  1878)  ;  Schwalbach  [Zeitsch.  fur  prakt  Medkin  1878)  ont 
signalé  des  oscillations  du  globe  oculaire  survenant  pendant  la  durée  du 
vertige  auriculaire.  J'ai  assisté,  pour  mon  compte,  à  plusieurs  accès  d'un 
vertige  de   ce    genre    marquées   chaque   fois    par    la   concomitance    d'un 


227  

strabisme  temporaire  accompagné  de  diplopie.  C'est  peut-être  ici  le  cas  de 
rappeler  que  Gyon  {Rechei'ches  expérimenlales  sm-  les  fonctions  des  canaux 
demi-circulaires.  Thèse  de  Paris  1878,  p.  03)  a  provoqué  expérimentalement, 
chez  l'animal,  des  oscillations  en  sens  variés  du  globe  oculaire  par  l'excita- 
tion des  divers  canaux  demi-circulaires.  Il  ne  serait  pas  impossible  d'ailleurs 
qu'un  certain  degré  d'oscillation  des  yeux  fût  dans  l'espèce  un  phénomène 
fréquent,  constant  peut-être,  non  encore  suffisamment  remarqué. 

Pour  ce  qui  est  de  la  paralysie  faciale,  nous  avons  dit  plus  haut  quel  a  dû 
être  le  mécanisme  de  son  développement  il  y  a  deux  ans,  et  nous  ne  voyons 
aucune  raison  d'en  invoquer  un  autre  pour  expliquer  la  récidive  d'aujourd'hui. 
Il  est  on  ne  peut  plus  vraisemblable  qu'une  recrudescence  survenue  peut-être 
sous  l'influence  d'un  courant  d'air,  de  l'otite  moyenne  déjà  existante,  avec 
extension  au  labyrinthe,  a  déterminé  la  brusque  apparition  du  vertige  et  de  la 
diplopie,  tandis  qu'en  se  propageant  au  canal  de  Fallope  l'inflammation  a 
déterminé  la  paralysie.  La  coexistence,  d'ailleurs,  d'une  paralysie  faciale 
périphérique  avec  une  otite  accompagnée  de  vertige  de  Ménière,  n'est  pas  un 
fait  inattendu.  Il  a  été  observé  plusieurs  fois_,  en  particulier  par  M.  Léo  qui, 
dans  sa  thèse  inaugurale  (Th.  de  Paris  1876,  obs.  III  et  IV,  v.  p.  26^  47  et  48), 
cite  deux  exemples  du  genre. 

C'est  ici  le  moment,  sans  doute,  de  faire  connaître  le  résultat  d'un  examen 
otoscopique  régulier  pratiqué  chez  notre  malade  par  M.  Gellé,  quelques 
semaines  après  l'accès  qui  vient  d'être  décrit.  <  Otites  périostiques  chroniques 
rhumatismales  ;  —  lisez  goutteuses. — L'oreillegaucheoflredeslésionstrèsnettes 
d'otite  chronique  sèche;  déformation  et  enfonçure  extrême  du  tympan  gauche. 
Obstruction  des  deux  trompes,  étriers  mobiles.  Réflexes  auriculaires  :  l'épreuve 
binauriculaire  réussit  par  les  pressions  sur  la  droite,  non  par  pression  àgauche. 
Le  diapason  au  vertex  est  perçu  comme  son  à  droite,  et  l'occlusion  du  méat 
gauche  ne  le  mobilise  pas.  Le  vertige  et  la  paralysie  faciale  reconnaissent  la 
même  cause,  à  savoir  l'otite  rhumatismale.  » 

Voici  donc  ce  grand  accès  vertigineux  de  quinze  jours  de  durée  enfin  ter- 
miné. Le  malade  pourra  désormais  quitter  le  lit,  se  tenir  debout  même,  s'ali- 
menter enfin;  pendant  toute  la  durée  de  l'accès,  il  était  resté,  à  cause  des  nau- 
sées permanentes, complètement  privé  de  nourriture.  11  dort  par  moments  une 
bonne  partie  de  la  nuit.  Tout  cela  pour  lui  est  un  grand  soulagement.  N'allez 
pas  croire,  cependant_,  que  la  sensation  vertigineuse  ait  disparu  ;  elle  s'est 
atténuée  sans  doute^  elle  laisse  du  répit  du  moins  en  tant  que  sensation  très 
pénible:  mais  désormais,  la  voilà  pour  de  longs  mois  établie  en  permanence 
pour  ainsi  dire,  à  poste  fixe_,  toujours  présente  à  un  certain  degré.  Elle  subit, de 
temps  à  autre,  la  nuit  comme  le  jour,  sous  l'influence  de  causes  banales, 
telles,  par  exemple, qu'un  mouvement  brusque  de  la  tête  ou  du  corps, un  bruit 
imprévu,  quelquefois  sans  cause  apparente,  une  exacerbation  soudaine,  dans 
laquelle  on  voit  se  reproduire,  à  part  la  diplopie  et  la  paralysie  faciale,  tous 


—  228  — 

les  phénomènes  signalés,  lors  du  grand  accès,  à  savoir:  sifflements  d'oreille, 
sentiment  de  chute  brusque  vers  la  gauche,  nausées  etc.,  etc.  C'est  ainsi  Mes- 
sieurs, que  dans  un  certain  nombre  de  cas  de  vertige  de  Ménière,  —  et  ces  cas 
sont  évidemment  les  plus  graves — ,  au  lieu  d'apparaître  sous  forme  de  crises 
distinctes,  de  courte  durée,  séparées  par  des  intervalles  de  calme  absolu,  pen- 
dant lesquels  les  symptômes  de  la  maladie  locale  d'où  ils  dérivent  persistant, 
les  accès  tendent  à  se  rapprocher,  à  se  confondre,  de  manière  à  consti- 
tuer un  état  vertigineux  pour  ainsi  dire  permanent  où  se  dessinent  des 
paroxysmes  plus  ou  moins  fréquents  reproduisant  tous  les  phénomènes  des 
crises  distinctes.  Il  y  a  longtemps  que  j'ai  appelé  l'attention  sur  la  nécessité 
de  bien  distinguer  en  clinique  le  vertige  ab  aure  lœsa,  à  crises  distinctes,  de 
celui  qui  se  montre  à  l'état  permanent  avec  exacerbation  survenant  de  temps 
à  autre  (1).  Evidemment,  ces  deux  ordres  de  faits  ne  sont  pas  foncièrement  de 
nature  différente  et  l'on  peut  dire  qu'ils  se  fondent  l'un  dans  l'autre  par  des 
cas  de  transition,  mais  très  certainement  il  n'est  pas  inutile  de  relever  que  le 
pronostic  est  fort  différent  suivant  qu'il  s'agit  de  l'un  ou  de  l'autre; 
c'est  un  point  sur  lequel  j'aurai  d'ailleurs  à  insister  particulièrement  dans  un 
instant. 

Vous  pouvez  reconnaître,  Messieurs,  qu'aujourd'hui  encore,  quatre  mois 
environ  après  le  début  solennel  que  nous  avons  signalé  tout  à  l'heure,  l'état 
vertigineux  habituel  persiste  à  un  assez  haut  degré. 

Voyez  comment  le  malade,  lorsqu'on  le  prie  de  faire  quelques  pas  dans  la 
salle,  procède  en  titubant,  supporté  par  deux  cannes,  s'efforçant  de  maintenir 
la  tête  et  le  tronc  tout  d'une  pièce  et  fixant  constamment  ses  pieds  du  regard. 

La  raison  de  cette  attitude  raide  et  de  ce  regard  toujours  dirigé  droit  vers 
la  terre,  le  malade  nous  la  donne  en  disant  «  qu'il  est  toujours  en  éveil  parce 
que  le  moindre  mouvement  imprévu  de  la  tête  sur  le  tronc,  pendant  la  marche, 
aurait  pour  effet  d'exaspérer  le  vertige,  et  d'un  autre  côté  il  lui  faut  incessam- 
ment tenir  ses  yeux  fixés  sur  le  sol  dans  le  but  de  s'adapter  aux  oscillations 
imaginaires  que  celui-ci  lui  paraît  subira  chaque  instant.  » 

Ainsi,  Tattitude  du  malade  en  marche  traduit  jusqu'à  un  certain  point  la 
lutte  à  laquelle  il  ne  cesse  de  se  livrer  contre  l'ennemi  toujours  présent.  Lors- 
qu'il est  assis,  il  se  sent  beaucoup  plus  calme,  et  les  vertiges  ne  survien- 
nent guère  alors  qu'à  la  suite  d'un  bruit  soudain,  imprévu,  ou  encore  d'un 
mouvement  qui  serait  imprimé,  à  l'improviste,  au  siège  qui  le  porte. 

L'état  actuel  est,  vous  le  voyez,  fort  pénible.  Si  cependant,  vous  le  com- 
parez à  ce  qui  existait  à  la  date  du  13  novembre  dernier,  époque  à  laquelle 
le  malade  vous  a  été  présenté  pour  la  première  fois,  vous  constaterez  qu'il 

1.  Leçons  sur  les  maladies  du  système  nerveux,  t.  II,  p.  348. 


—  2^  — 

s*est  produit  dans  sa  situation  un  amendement  très  notable.  Sans  doute,  le 
vertige  existe  en  quelque  sorte,  toujours  en  puissance:  il  est  imminent,  prêt  à 
paraître  sous  rinfluence  des  causes  occasionnelles;  mais  lorsque  le  malade  est 
bien  calme,  bien  tranquille,  assis  ou  couché  surtout,  la  vie  est  relativement 
supportable.  En  effet,  les  accès  provoqués  sont  devenus  beaucoup  moins  in- 
tenses, beaucoup  moins  pénibles  maintenant  qu'autrefois  et,  pour  ce  qui  est 
des  grands  vertiges  spontanés,  marqués  principalement  par  ces  terribles  sen- 
sations de  chute  soudaine  ou  de  tournoiement  autour  de  l'axe  vertical,  que 
le  malade  dépeignait  avec  des  couleurs  si  vives,  ils  ont  complètement  dis- 
paru. 

Cette  amélioration,  encore  fort  imparfaite,  sans  doute,  mais  qui  a  déjà  bien 
son  prix,  s'est  effectuée,  pensons-nous,  sous  Tinfluence  du  traitement  prescrit 
le  13  novembre  et  suivi  depuis  cette  époque  avec  persistance. 

Du  13  au  28  novembre,  le  malade  a  pris  chaque  jour,  0,75  centigrammes  de 
sulfate  de  quinine.  Au  bout  de  2  ou  3  jours,  ainsi  que  cela  était  prévu,  il  s'est 
produit,  sous  l'influence  du  médicament,  une  exaspération  très  marquée  des 
bruits  d'oreilles  et  des  vertiges  :  ceux-ci  se  sont  montrés  si  intenses  et  si  fré- 
quemment répétés  que  le  malade  a  dû  se  confiner  chez  lui  où  il  est  resté 
presque  constamment  couché  ou  assis.  Vous  devez  vous  attendre,  Messieurs,  à 
voir  survenir  de  semblables  aggravations  de  tous  les  symptômes  dans  les  pre- 
miers temps  du  traitement  du  syndrome  de  Ménière  par  le  sulfate  de  quinine 
à  dose  élevée;  il  est  pour  ainsi  dire  de  règle  que  les  choses  soient  ainsi,  et 
de  cela,  vous  le  comprenez,  il  est  absolument  nécessaire  que  le  malade 
soit  prévenu  dès  l'origine  ;  sans  quoi,  il  ne  manquerait  pas  de  se  soustraire  du 
premier  coup  à  toute  discipline.  Prévenez-le,  avec  autorité,  qu'il  ne  doit  pas 
céder  à  ses  premières  impressions,  et  qu'il  lui  faudra  passer  outre  ;  en  général, 
il  se  soumettra. 

La  cessation  de  l'administration  du  médicament,  au  bout  de  la  quinzaine, 
eut  pour  effet  d'amener  bientôt  un  répit;  les  symptômes,  pendant  les  deux 
semaines  de  repos  qui  furent  prescrites  au  malade,  revinrent  au  niveau  où  ils 
étaient,  antérieurement  à  l'époque  où  le  traitement  avait  été  commencé.  Il  ne 
s'était  produit  aucune  amélioration  sensible  pendant  cette  première  période. 

On  recommença  l'emploi  du  sulfate  de  quinine  à  la  même  dose  que  par  le 
passé  le  13  décembre,  avec  prescription  de  le  continuer  sans  arrêt  pendant 
toute  la  durée  de  la  quinzaine  suivante.  Les  premiers  jours  ont  été  marqués, 
cette  fois  encore,  par  une  exacerbation  des  bruits  d'oreilles  et  des  vertiges,  en 
tout  semblable  à  celle  qui  s'était  produite  lors  de  la  première  période  du 
traitement.  Mais  cela  ne  dura  point;  à  partir  du  20  décembre,  les  grands  ver- 
tiges par  accès,  après  s'être  considérablement  atténués  d'abord,  ont  ensuite 
cessé  de  se  produire.  Jusqu'à  aujourd'hui ^  22  janvier,  ils  n'ont  pas  reparu. 

Le  résultat  obtenu  nous  paraît  satisfaisant  et  conforme  à  nos  prévisions. 
Sans  doute,  nous  restons  bien  éloignés  de  ce  que  l'on  pourra  appeler  la  gué^ 


—  230  — 

rison.  Mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  nous  nous  trouvons  en  présence  d'un 
cas  de  vertige  de  Ménière  permanent,  et  que  ces  cas  se  montrent  bien  plus 
tenaces,  bien  plus  rebelles  à  la  médication  quinique  que  ne  le  sont  ceux  où 
les  crises,  quelque  intenses  qu'elles  puissent  être  d'ailleurs,  se  montrent  sépa- 
rées pas  des  intervalles  libres. 

Autant  il  est  aisé,  en  général,  pourrait-on  dire,  de  triompher  du  mal 
dans  les  cas  du  dernier  genre,  autant  cela  est  difficile,  au  contraire,  lorsqu'il 
s'agit  des  premiers.  Ainsi,  chez  notre  malade,  si  j'en  juge  par  une  expérience 
déjà  longue  dans  la  matière,  il  nous  faudra  pour  en  finir  avec  les  sensations 
vertigineuses  dont  il  souffre,  revenir  peut-être  à  trois  ou  quatre  reprises  en- 
core, à  l'administration  du  sulfate  de  quinine,  par  quinzaines  séparées  par  des 
intervalles  de  six  ou  quinze  jours;  peut-être  même  nous  faudra-t-il  élever 
les  doses  et  les  porter  à  un  gramme  et  plus  par  jour.  Mais  notre  malade  est 
confiant,  résolu,  et  je  compte  beaucoup  sur  lui  pour  arriver  au  résultat  dé- 
siré. 

Je  puis  affirmer  que  j'ai  à  peu  près  constamment  atteint  le  but  chez  les 
malades  auxquels  je  suis  parvenu  à  faire  partager  ma  confiance  dans  la  médi- 
cation et  qui,  en  conséquence,  loin  de  se  décourager  en  présence  de  la  durée 
nécessairement  longue  du  traitement,  quand  c'est  la  forme  permanente  du 
vertige  qui  est  en  cause,  ont  au  contraire  secondé  nos  efforts.  Dans  le  cas  où 
il  s'agirait  d'un  vertige  à  crises  distinctes,  la  tâche  serait,  d'ailleurs,  je  le  ré- 
pète, beaucoup  moins  ardue  :  trois  ou  quatre  quinzaines  de  médication  suffi- 
ront le  plus  souvent  pour  amener  la  cessation  des  accidentsvertigineux.il  est 
vrai  que  les  récidives  sont  à  prévoir,  mais  elles  sont,  en  général,  plus  facile- 
ment combattues  que  les  premières  atteintes,  et  d'ailleurs,  leur  apparition 
n'est  nullement  fatale.  La  guérison  peut, dès  la  première  action  thérapeutique, 
s'établir  d'une  façon  définitive  et  persister  à  tout  jamais. 

Je  saisirai,  en  terminant,  l'occasion  qui  se  présente  de  vous  faire  part  de 
certaines  critiques  dont  le  traitement  du  vertige  auriculaire  par  l'emploi  pro- 
longé du  sulfate  de  quinine  à  doses  élevées,  a  été  plusieurs  fois  l'objet.  On  a 
émis,  entre  autres, l'opinion  que  cette  pratique  ne  devait  pas  être  exempte  de 
dangers,  puisque  le  sulfate  de  quinine  —  il  en  est  de  même  du  salicylate  de 
soude  —  administré  à  haute  dose  chez  le  lapin,  a  pour  effet  de  déterminer 
un  état  congestif  hémorragique  dans  le  labyrinthe  et  dans  la  caisse  (1).  A 
cela,  je  puis  répondre  que  chez  l'homme,  je  n'ai  jamais  vu  se  produire  rien 
de  semblable,  bien  que  le  traitement  en  question  ait  été  inauguré  il  y  a  plus 
de  15  ans  et  que,  depuis  lors,  j'aie  eu  l'occasion  très  fréquente  de  l'appliquer, 
aussi  bien  dans  les  cas  de  vertige  permanent  que  dans  les  cas  de  crises  sépa- 
rées. J'ajouterai  pour  répondre  à  une  autre  critique  (2),  que  l'administration 


1.  Kirchner,  (Berl.  Klin.  Woch.  1881,  no  49.)  Orne   green.  (Boston.  II.  8  mars  1883.) 

2.  Lucae.  {Real  Encyclopédie  Bd.  13,  p .  30.) 


—  231  — 

prolongée  de  hautes  doses  de  sulfate  de  quinine,  suivant  ma  méthode,  n'en- 
traîne pas  nécessairement,  tant  s'en  faut,  avec  elle,  la  surdité  complète  de 
l'oreille  affectée.  Je  pourrais  riter  entre  îuitres,  à  titre  d'exemple,  un  cas  de 
vertige  permanent  d'une  persistance  rare,  qu'il  a  fallu  combattre  pendant  plus 
d'un  an,  j)ar  l'administration  répétée  par  quinzaine,  au  moins  six  ou  huit  fois 
de  sulfate  de  quinine  à  des  doses  qui  ont  dépassé  un  gramme  en  24  heures. 
Eh  bien,  après  la  guérison,  l'ouïe  est  restée  dans  l'oreille  malade  ce  qu'elle 
était  au  moment  où  le  traitement  a  été  institué. 


2e     3e     4e     5e     ^^    ge    MaLADES. 


Les  circonstances  nous  ont  permis  de  réunir,  pour  vous  être  présentés 
actuellement,  cinq  sujets  atteints  de  la  maladie  de  Basedow,  et  qui,  tous 
offrent  un  certain  intérêt.  Ils  nous  fourniront  l'occasion  d'appeler  votre  atten- 
tion sur  quelques  points,  peu  connus  ou  même  non  encore  signalés,  concer- 
nant la  maladie  dont  il  s'agit. 

I.  Voici  d'abord  un  homme  âgé  de  43  ans,  exerçant  la  profession  d'employé 
de  commerce,  chez  lequel  le  phénomène  le  plus  saillant  est  un  tremblement 
d'un  genre  particulier  dont  l'examen  attentif  fournirait  déjà  à  lui  seul  un  élé- 
ment fort  important  pour  le  diagnostic.  Ce  tremblement  occupe,  non  seule- 
ment les  membres  supérieurs,  les  mains  en  particulier,  mais  aussi  les  mem- 
bres inférieurs  dont  les  oscillations  se  communiquent  au  corps  tout  entier, 
ainsi  qu'on  peut  s'en  assurer  lorsque  le  sujet  étant  debout,  on  place  la  main 
sur  une  de  ses  épaules  ou  sur  le  sommet  de  sa  tête.  Vous  reconnaissez  même, 
le  malade  s'étant  dépouillé  de  ses  vêtements,  que  la  plupart  des  muscles  du 
tronc  sont,  chez  lui,  en  proie  à  des  secousses  rythmées.  En  même  temps 
il  existe  un  bruit  laryngé  saccadé,  pouvant  s'entendre  à  une  certaine  dis- 
tance^ et  prouvant  que  les  muscles  respiratoires,  eux  aussi,  participent  aux 
trépidations. 

Si  l'on  examine  les  choses  de  plus  près,  on  reconnaît  ce  qui  suit  : 
le  tremblement  en  question,  étudié  aux  mains,  avec  le  secours  de  la  méthode 
graphique_,paraît  constitué  par  une  série  d'oscillations, de  trépidations  menues, 
brèves,  se  succédant  l'une  l'autre   avec   une  grande  rapidité.  De  tous   les 

32 


—  232  — 

tremblements  méthodiquement  étudiés  jusqu'à  ce  jour,  c'est,  on  peut  le  dire, 
avec  le  tremblement  alcoolique  et  celui  de  la  paralysie  générale  progressive, 
un  de  ceux  dont  les  oscillations  sont  les  plus  nombreuses  dans  un  temps 
donné,  et  c'est  déjà  là  une  marque  qui  contribue  à  le  caractériser.  Ainsi, 
chez  notre  homme,  qui  représente  le  type  à  cet  égard,  ce  tremblement  donne 
de  huit  à  neuf  oscillations  par  seconde,  tandis  que  le  tremblement  mercuriel 
qui  s'en  rapproche  beaucoup  en  donne  seulement  5,  6  ou  7,  la  paralysie  agi- 
tante en  donnant,  elle,  de  3  à  6  seulement  dans  le  même  espace  de  temps. 

Ce  sont  là,  Messieurs,  des  données  aujourd'hui  devenues  vulgaires,,  depuis 
la  publication  de  la  thèse  de  M.  Marie  et  je  ne  m'y  arrêterais  pas  en  ce  mo- 
ment, si  tout  récemment,  dans  une  société  savante,  on  n'avait  entendu  un  des 
membres  de  cette  société  particulièrement  voué  aux  études  neuropathologiques, 
laisser  paraître,  à  l'égard  du  diagnostic  des  <  maladies  à  tremblement  »,  des 
hésitations  qui  certes  ne  sont  plus  démise  aujourd'hui  (1). 

J'ai  fait  placer  sous  vos  yeux  un  tableau  où  sont  inscrits  les  tracés  obtenus 
par  l'application  de  la  méthode  graphique,  d'abord  chez  un  sujet  atteint  de 
tremblement  mercuriel,  puis  chez  notre  homme, qui  représente  ici  le  type  par- 
fait du  tremblement  de  la  maladie  de  Basedow  :  c'est  bien  entendu  du  trem- 
blement des  mains  qu'il  s'agit.  Les  deux  ordres  de  tracés  ne  diffèrent  pas  seu- 
lement, vous  le  voyez,  par  le  nombre  des  oscillations  produites  dans  un  temps 
donné  ;  ils  diffèrent  encore  par  les  caractères  suivants.  Dans  le  temps  de 
repos,  les  secousses  du  tremblement  mercuriel  cessent  par  moments  de  se  pro- 
duire, pour  reparaître  ensuite  sans  cause  connue,  et  s'arrêter  à  nouveau.  Le 
tremblement  de  la  maladie  de  Basedow  au  contraire,  est  absolument  continu. 
En  outre  qu'il  reconnaît  un  rythme  beaucoup  plus  régulier  que  l'autre,  lors 
de  l'exécution  d'un  mouvement  voulu  la  différence  qui  existe  entre  les  deux 
espèces  de  tremblement  devient  plus  frappante  encore  ;  en  effet,  dans  le  cas 
de  tremblement  mercuriel,  l'acte  de  porter  à  la  bouche  un  verre,  une  cuiller, 
par  exemple,  est  modifié  par  de  grandes  oscillations  qui  rappellent  exacte- 
ment ce  qui  se  voit  dans  la  sclérose  en  plaques  et  qui  font  le  plus  souvent 
manquer  le  but  ;  tandis  que,  dans  le  même  acte,  les  oscillations  du  tremble- 
ment de  la  maladie  de  Basedow  n'augmentent  pas  notablement  d'étendue  et 
permettent  à  peu  près  toujours  l'accomplissement  à  peu  près  régulier  de 
l'acte. 

Ajoutons  que  vis-à-vis  du  tremblement  alcoolique  et  de  celui  de  la  para- 
lysie générale  progressive,  le  tremblement  de  la  maladie  de  Basedow  se  dis- 
tingue par  cette  circonstance  que  dans  ce  dernier  les  doigts  ne  tremblent  pas 
individuellement,  contrairement  à  ce  qui  a  lieu  pour  les  deux  autres  (2). 


1,  Société  médicale  des  hôpitaux,  mars  et  avril  1887. 

2.  Leçons  du  mardi,  iSSl-S8,  p.  378. 


—  233  — 

Ces  traits  cliniques  qui  caractérisent  le  tremblement  de  la  maladie  de  Base- 


5  secondes 


5  secondes 


5  se  -ondf.'.s 


5  secondes 


if*i^vV^i4W^''W^' 


'  ^^jVvZ-Aa/'V  /*Vvv^^/^/vv^v.^v^'^'^AA^/»'/V^y'*  -v-> 


1°  Tremblement  mcrcuriel  au  repus  (de  5  ii  0  oscillations  par  seconde}. 


2°  Treinbleineat  uiercuriel  pendant  rexéculioa  d'un  mouvement.  Le  mouvement  commence 
en  A.  Le  tremblement  devient  bien  plus  accusé  et  plus  inégulier  (de  5  à  7  oscUlalions 
par  seconde). 


■  'WV^^A^v/^/-^;^'.WW^-vV^^^Af '^'-^*A^AAJ^,^,U/^^A.>/^^A,^AAA^  ]/^^>.^f^/A^'A^J^^»^'/'>//\A'*',/^^/^^/\fJ\^^^-^*^''^^ 


3"  Tremblement  de  la  maladie  de  Basedow  (Marquât).  Oscillations  rapides,  brèves,  régu- 
lières (de  8  à  9  oscillations  par  seconde).  Leur  étendue  n'augmente  pas  pendant  l'accom- 
plissement  d'un  acte  intentionnel. 


dow  ont  été  parfaitement  mis  en  lumièreMans  le  travail  de  M.  Marie.  Associé 
à  la  tachycardie  et  à  quelque  autre  phénomène  de  la  série,  tel  que  «  les  crises 
diarrhéiques»,par  exemple,  un  tremblement  qui  présenterait, bien  accusés, ces 
caractères-là,  permettrait  d'affirmer  l'existence  de  la  maladie  en  question, 
alors  même  que  l'exophthalmie  et  le  goitre  y  feraient  absolument  défaut.  Je 
n'ignore  pas  que  cette  notion  des  formes  frustes  de  la  maladie  de  Basedow 


-    234    - 

que  nous  nous  sommes  depuis  longtemps  efforcé  de  vulgariser,  n'a  pas  encore 
pénétré  partout;  ainsi,  tout  récemment,  M.  Fraenkel  présentait  à  la  Société  de 
médecine  de  Berlin  un  cas  qu'il  considérait  comme  appartenant  à  la  maladie 
de  Basedow  en  l'absence  de  goitre  et  d'exophthalmie.La  communication  paraît 
avoir  été  accueillie  avec  quelque  scepticisme  et  M.  Virchow,  en  particulier, 
faisait  ressortir  à  ce  propos  que  sans  aucun  doute  Basedow  se  fût  refusé  à 
reconnaître  chez  ce  malade  TafTection  qu'il  a  le  premier  décrite.  L'argument 
ne  me  paraît  pas  d'une  valeur  absolue  :  il  est  fort  à  présumer,  en  effet,  que  si 
Basedow  eût  continué  à  vivre  il  n'aurait  pas  manqué  de  se  tenir  au  courant 
de  la  science  ;  certainement  il  aurait  appris  à  connaître  les  dégradations  que 
peut  subir  le  type  clinique  qu'il  a  découvert,et  il  se  serait  placé  en  mesure  de 
diagnostiquer  les  formes  frustes  à  l'aide  des  caractères  qui  sont  maintenant 
entre  nos  mains.  En  réalité,  l'histoire  clinique  de  la  maladie  de  Basedow  de- 
vait subir  la  même  évolution  que  celle  de  l'ataxie  locomotrice  et  de  la  sclé- 
rose en  plaques  par  exemple,  où  l'on  a  vu  les  types  primitivement  créés, 
s'effacer  en  quelque  sorte  dans  la  pratique  devant  le  nombre,  toujours  crois- 
sant—  à  mesure  que  Tœil  du  clinicien  apprend  aies  reconnaître  —  des  formes 
rudimentaires,  des  formes  frustes,  comme  vous  voudrez  les  appeler. 

Notre  cas  d'aujourd'hui  n'appartient  pas  aux  formes  frustes,  car  en  outre 
du  tremblement  spécial  et  de  la  tachycardie,  nous  constatons  chez  le  sujet  une 
exophthalmie  très  manifeste  et  une  tuméfaction  de  la  thyroïde  portant  à 
peu  près  exclusivement  sur  le  lobe  droit.  Il  s'agirait  donc  là,  en  somme,  d'un 
exemple  vulgaire  et  peu  digne  de  nous  arrêter  si  nous  ne  devions  pas  y  ren- 
contrer, en  l'examinant  d'un  peu  près,  quelques  faits  qui  mériteront  d'être 
signalés. 

En  ce  qui  concerne  les  circonstances  étiologiques,  rien  qui  sorte  du  cadre 
classique  :  on  ignore  s'il  y  a  des  antécédents  héréditaires,  une  partie  de  la 
famille  est  inconnue  ;  par  contre  les  causes  occasionnelles  ne  font  pas  défaut. 
Notre  malade  est  père  de  quatre  enfants;  il  a  récemment  fait,en  juin  et  en  juil- 
let 1888, des  pertes  d'argent  fort  graves  pour  lui,  et  il  a  dû,  en  outre,  abandon- 
ner la  place  qui  le  faisait  vivre.  C'est  sous  le  coup  des  émotions  pénibles  qui  se 
r sont  produites  en  conséquence  qu'ilacommencéàressentir  les  premiers  symp- 
tômes de  la  maladie.  Le  tremblement  s'est  montré,  le  premier;  tout  à  coup, 
un  jour  du  commencement  de  septembre,,  étant  à  son  bureau,  ses  mains  se 
sont  mises  à  trembler  si  fortement  qu'il  lui  est  devenu  impossible  de  conti- 
nuer à  écrire.  L*exophthalmie  n'a  été  remarquée  qu'en  novembre  et  c'est  vers 
la  même  époque  que  le  goitre  a  paru.  Les  palpitations  de  cœur,  revenant 
par  accès,  sont  de  date  plus  récente.  Pendant  le  cours  des  trois  derniers  mois, 
se  sont  produites  plusieurs  de  ces  crises  diarrhéiques  qui  appartiennent  au 
tableau  régulier  de  la  maladie  de  Basedow  et  dont  je  vous  ai^  du  reste,  entre- 
tenu plusieurs  fois. 

Après  le  tremblement  dont  nous  avons  indiqué  déjà  les  caractères,  l'exoph- 


I 


—  235  — 

Ihalmie,  le  goitre,  la  tachycardie  enfin,  marquée  par  un  chiffre  qui  varie  de 
95  à  H2  pulsations  par  seconde,  l'étudo  de  l'état  présent  fait  reconnaître  ce 
qui  suit  :  amaigrissement  très  prononcé  ;  le  malade  .issure  qu'il  aurait  perdu 
10  livres  depuis  trois  mois.  Il  présente  à  un  degré  très  marqué  le  phénomènf; 
de  la  «  thermophobie  »,  il  a  toujours  trop  chaud,  la  nuit  il  se  découvre  à  chaque 
instant  ;  souvent  le  tronc  est  couvert  de  sueurs  profuses.  Cependant,  la  tempéra- 
ture, notée  à  plusieurs  reprises  a  donné  les  chifï'res  suivants  :  le  soir  37,4,  37,2; 
le  matin  37,  36,8.  Donc,  ainsi  que  cela  est  la  règle,  —  nous  dirons  plus  loin  si 
elle  ne  comporte  pas  des  exceptions,  —  il  n'y  a  chez  notre  homme,  malgré 
l'accélération  à  peu  près  permanente  du  pouls,  la  thermophobie,  les  sueurs 
profuses,  ni  fièvre  ni  fébricule.  L'examen  des  mouvements  des  globes  ocu- 
laires, fait  reconnaître  l'existence  d'un  certain  degré  de  paralysie  de  la  con- 
vergence accompagné  de  diplopie,  symptôme  déjà  relevé  plusieurs  fois  en 
pareille  circonstance  par  M.  Mobius. 

Jusqu'ici,  vous  le  voyez,  il  n'y  a  rien  dans  notre  cas  qui  ne  soit  à  peu  près 
de  connaissance  vulgaire.  Mais  voici  une  série  de  phénomènes  qui,  si  je  ne 
me  trompe,  n'ont  pas  encore  été  signalés  dans  la  maladie  de  Basedow  et  qui 
ne  doivent  pas  cependant  y  être  tout  à  fait  exceptionnels,  car  nous  les  retrou- 
verons à  des  degrés  divers  dans  trois  des  cas  qui  vont  suivre.  Notre  malade 
nous  a  fait  remarquer  que  souvent,  pendant  la  station  debout  et  dans  la  mar- 
che, sans  qu'il  éprouve  la  moindre  sensation  vertigineuse,  les  jambes  fléchis- 
sent sous  lui  tout  à  coup.  Deux  fois  même,  de  ce  fait,  il  est  tombé  dans  la  rue, 
en  avant,  sur  les  genoux.  Cela  rappelle,  vous  le  voyez,  le  dérobement  des 
membres  inférieurs  dont  j'ai  eu  souvent  l'occasion  de  vous  parler  à  propos  de 
l'ataxie  locomotrice.  Mais  le  tabès  ataxique  n'est  chez  notre  malade  nullement 
en  jeu  :  à  la  vérité  les  réflexes  rotuliens  font  défaut  chez  lui,  mais  il  n'a 
jamais  rien  ressenti  qui  ressemble  à  des  douleurs  fulgurantes;  la  vessie  fonc- 
tionne normalement;  pas  de  signe  de  Romberg,  etc.  etc.  Enfin,  il  est  facile  de 
méconnaître  qu'il  existe  une  véritable  parésie  paraplégique  ;  les  divers  segments 
des  membres  inférieurs  en  efiet,  étendus  ou  fléchis  volontairement  par  le 
malade,  résistent  fort  peu  aux  mouvements  de  sens  contraire  qu'on  leur 
imprime.  S'agirait-il  là  d'un  symptôme  particulier  lié  à  la  maladie  de  Basedow  ? 
C'est  une  question  qui  se  présentera  de  nouveau  un  peu  plus  loin. 


IL  Le  second  suj  et  du  groupe  est  cette  femme  âgée  de  26  ans  nommée  Duf. .  .che 
que  je  viens  de  faire  placer  devant  vous,  et  dont  la  maigreur  extrême  n'a 
pas  manqué  de  frapper  vos  yeux  du  premier  coup.  Cette  maigreur,  jointe 
aux  quelques  autres  symptômes  que  nous  vous  dirons  tout  à  l'heure,  et  plus  par- 
ticulièrement à  une  petite  toux  sèche  qu'elle  vient  de  vous  faire  entendre, 
lui  donne  volontiers  l'apparence  d'un  sujet  atteint  de  tuberculose  pulmonaire 
à  évolution  rapide.  Nous  verrons  dans  un  instant  si   cette  première  impres- 


—  236  - 

sion  sera  justifiée  par  l'étude  du  cas.  Actuellement,  j'en  viens  à  l'exposé  des 
principaux  traits  de  Phistoire  de  notre  malade. 

Les  antécédents  de  famille  sont  ici  tout  à  fait  favorables  à  la  thèse  d'après 
laquelle  dans  l'histoire  de  la  maladie  de  Basedow, l'hérédité  nerveuse  tient  une 
large  place. La  grand'mère  maternelle  de  notre  malade  a  été  aliénée  ;  sa  mère 
a  des  hallucinations  de  l'ouïe  et  de  la  vue,  elle  se  croit  persécutée,  elle  est 
actuellement  enfermée  en  Suisse  dans  un  asile  du  canton  de  Vaux.  C'est  donc 
l'hérédité  de  transformation  qui  est  en  cause.  Son  père  a  été  à  deux  reprises 
frappé  d'hémiplégie,  mais  nous  n'insisterons  pas  sur  ce  dernier  point,  notre 
avis  étant  que  les  lésions  cérébrales  en  foyer,  hémorragie  ou  ramollissement, 
ne  doivent  pas,  sans  plus  ample  informé,  figurer  parmi  les  membres  de  la 
famille  neuropathologique.  Voilà  pour  la  prédisposition  héréditaire. 

Les  premières  palpitations  du  cœur  ont  paru  chez  Duf...che  quelques  semai- 
nes avant  la  célébration  de  son  mariage  qui  a  eu  lieu  le  28  avril  1888,  c'est- 
à-dire  il  y  a  environ  dix  mois.  Elle  avait  eu  quelques  raisons  de  craindre  que 
son  futur  mari  ne  fût  un  mauvais  sujet,  un  ivrogne,  et,  sous  l'influence  de  ces 
soupçons,  elle  était  déjà  devenue  agitée,  anxieuse.    Ses  prévisions  devaient 
malheureusement  se  réaliser  :  presque  immédiatement  après  la  consécration 
de  l'union,   son  mari  qui,    pendant   les   fiançailles,   s'était  contenu,  donna 
immédiatement  libre  cours  à  tous  ses  mauvais  instincts.    Il   se   montra  que- 
relleur, méchant;  il  buvait  parfois  jusqu'à  vingt  absinthes  par  jour;  c'étaient 
des  scènes  continuelles   dans  lesquelles   la  malheureuse  a  été   plusieurs  fois 
battue  et  même  menacée  du  couteau.  Elle  dut  quitter  la  place  et  s'enfuir  au 
bout  de  trois  mois  de  ménage.  Sous  l'influence  de  ces  violentes  émotions,  dont 
l'action  provocatrice  puissante  ne  saurait  être  méconnue,  les  divers  symptômes 
de  la  maladie  se  sont  accumulés  dans  un  court  espace  de  temps  ;  déjà  huit 
jours  aprèsle  mariage,les  palpitations  étaient  devenues  presque  incessantes, 
peu  après  se  sont  manifestés  successivement  :  le  gonflement  de  la  thyroïde,  une 
diarrhée  d'un  caractère  spécial  que  vous  connaissez  par  nos  leçons  de  l'an 
passé,  le  tremblement,  la  thermophobie,  l'amaigrissement  enfin.  L'exophthal- 
mie  a  été  remarquée  tardivement.  Quoi  qu'il  en  soit,  au  bout  de  trois  mois, 
la  maladie  était  définitivement  constituée^  telle  à  peu  près  que  nous  la  voyons 
aujourd'hui. 

Voici  l'indication  sommaire  des  phénomènes  de  l'état  actuel.  En  outre  de 
l'exophthalmie,  de  l'amaigrissement,  du  goitre,  de  la  toux  sèche  qu'il  suffira 
de  rappeler,  il  existe  un  tremblement  surtout  marqué  aux  mains,  où  l'on 
compte  à  l'aide  de  l'appareil  enregistreur  de  7  à  8  oscillations  par  seconde  ; 
ce  tremblement  est  beaucoup  moins  accentué  que  dans  le  cas  précédent.  La 
malade  est  presque  incessamment  sous  le  coup  d'une  diarrhée  particulière 
déjà  signalée  plus  haut  :  c'est  une  diarrhée  séreuse  qui  se  produit  à  peu  près 
régulièrement  tous  les  deux  jours  et  qui  survient  généralement  après  le 
déjeuner:  il  y  a  parfois  jusqu'à  15  ou  même  18  selles  en  24  heures.  L'appétit 


—  2o7  ^ 

cependant,  n*est  pas  notablement  troublé.  Sentiment  de  chaleur  pénible 
(thermophobie),  surtout  la  nuit,  où  il  y  a  souvent  des  sueurs  profuses  ré- 
pandues principalement  sur  le  tronc.  La  peau  paraît  chaude,  le  pouls  varie 
de  100  à  150. 

(La  malade  est  priée  de  se  retirer.) 

C'est  ici  le  lieu  d'en  revenir  à  l'impression  produite  par  la  coexistence  chez 
notre  sujet,  d'un  certain  nombre  de  symptômes  qui  viennent  dètre  énumérés  : 
amaigrissement  rapide  et  considérable,  toux  sèche,  diarrhée,  fréquence  du 
pouls,  peau  chaude,  sueurs  profuses,  etc.,  etc.,  voilà  certes  un  complexus 
symptomatique  d'une  fâcheuse  apparence  et  que  le  clinicien  n'aime  guère  à 
rencontrer.  Nous  ne  pouvons  pas  oublier  toutefois  que  tous  ces  symptômes 
peuvent  se  présenter  dans  la  maladie  de  Basedow  en  dehors  de  toute  compli- 
cation et  que  la  fièvre  entre  autres,  est  simulée  dans  l'ensemble  de  tous  ses 
caractères,  sauf  toutefois  l'élévation  de  la  chaleur  centrale  qui  fait  défaut,  du 
moins  dans  la  règle.  Néanmoins,  dans  le  but  de  dissiper  toute  inquiétude, 
nous  devions  nous  livrera  un  examen  attentif  de  l'état  des  viscères  et  à  une 
étude,  poui  suivie  pendant  quelques  jours,  de  la  température  centrale.  Sur  le 
premier  point  les  résultats  ont  été  rassurants  ;  il  n'existe  aucun  signe  d'une 
lésion  viscérale  quelconque  ;  les  poumons  en  particulier,  paraissent  parfaite- 
ment libres.  Il  n'en  a  pas  été  tout  à  fait  de  même  pour  ce  qui  concerne  le 
second  point.  Voici,  en  effet,  ce  qu'a  donné  l'exploration  thermométrique 
rectale  poursuivie  pendant  ces  neuf  derniers  jours. 

Température  rectale  Matin  Soir 

Le  12  janvier  38*  38', 6 

Le  13        »  38  38,  4 

Le  14        »  38 

Le  16        »  »  39,  2 

Le  17        »  39  * 

(Pouls  150) 

Le  18        >.  38,8»  39 

Le  19        V  38,6  .38,6 

Le  20        »  38,2  38,6 

Le  21        »  38,4 

Ainsi,  la  fièvre  existe  chez  notre  malade,  sans  qu'elle  puisse  être  expliquée 
par  l'intervention  de  quelque  cause  banale  ;  elle  existe  non  pas  en  apparence 
cette  fois,  mais  en  réalité,  conformément  à  la  définition  de  Galien  :  «  calor 
prœter  naluram  ».  Oublie  est  la  raison  de  cette  fièvre  ?  existe-t-il  quelque 
lésion  viscérale  qui  aurait  échappé  à  notre  examen  cependant  attentif?  La 
tuberculisation, malgré  tout,  n'est-elle  pas  en  jeu?  Telles  étaient  les  inquié- 
tudes qui  nous  hantaient  lorsque  nous  avons  rencontré  dans  un  travail  ré- 
cemment paru,  un  certain  nombre  d'observations  qui  nous  ont  semblé  propres 
à  les  dissiper,  du  moins  ou  grande   partie.    Il  s'agit  d'une    thèse   intitulée  : 


—  238  — 

«  Etude  Clinique  sur  le  goitre  exophtalmique  y^,  soutenue  à  la  Faculté  de  Lyon 
en  1888,  par  M.  Bertoye  et  inspirée  par  M.  le  Prof.  J.  Renault.  L'auteur  mon- 
tre qu'il  peut  se  présenter  dans  la  maladie  de  Basedowun  état  fébrile  plus  ou 
moins  intense,  plus  ou  moins  durable,  relevant  de  la  nrnTOse  elle-même  et 
non  d'une  complication  viscérale  accidentelle.  Une  des  observations  de 
M.  Bertoye^  celle  qui  porte  le  n**  1,  nous  a  paru  surtout  intéressante  :  elle  est 
relative  à  une  femme  de  36  ans,  atteinte  de  maladie  de  Basedow  à  la  suite 
d'émotions  pénibles  et  qui  a  été  tenue  en  observation  pendant  près  de 
22  mois.  Tout  a  été  classique  dans  ce  cas,  à  part  Texistence  de  la  fièvre; 
celle-ci  s'est  montrée  maintes  fois  pendant  cette  longue  période,  par  séries  de 
15,  20  jours  et  plus,  marquée  par  des  températures  de  38°5,  39*»  et  même, 
bien  que  rarement,  40".  Dans  les  intervalles  de  ces  accès,  qui  se  produisaient 
principalement  à  l'époque  menstruelle,  les  chiffres  étaient  ceux  de  l'état 
normal,  37^5,  37°2.  Lorsque  cette  malade  est  sortie  de  l'hôpital,  tous  les 
symptômes  de  la  maladie  de  Basedow  persistaient  à  un  certain  degré  ;  mais 
l'état  général  ne  laissait  pas  grand'chose  à  désirer.  Un  fait  signalé  par 
M.  Bertoye  dans  cette  observation  nous  paraît  mériter  d'être  relevé  parce  que 
nous  le  trouvons  reproduit  dans  notre  cas,  à  savoir  que,  malgré  l'élévation 
de  la  température  centrale,  la  proportion  des  déchets  urinaires  n'a  pas  subi 
d'augmentation.  Dans  notre  cas,  en  particulier,  six  analyses  d'urine  faites 
avec  soin  par  MM.  Cathelineau  et  G.  de  la  Tourette  ont  donné  les  résultats 
suivants:  urines  claires,  sans  dépôt.  Le  résidu  fixe,  l'urée,  les  phosphates, 
sont  au  taux  normal.  L'urobiline  n'est  pas  décelée  par  le  simple  examen 
chimique  ;  il  a  fallu  recourir  à  l'emploi  du  spectroscope  qui  a  donné,  mais 
très  faiblement,  la  bande  d'absorption  caractéristique  (1).  Ce  fait,  s'il  venait 
à  se  confirmer  dans  de  nouvelles  recherches,  donnerait  un  caractère  très 
singulier  à  l'état  fébrile  lié  à  la  maladie  de  Basedow.  Quoi  qu'il  en  soit,  nous 
pouvons  dès  à  présent  conclure  de  ce  qui  précède  que  la  fièvre,  indépendante 
de  toute  complication  viscérale,  peut,  dans  la  maladie  de  Basedow,  s'établir 
même  pendant  de  longues  périodes  sans  conduire  à  mal  et  nous  voilà  quelque 
peu  rassuré  sur  l'avenir  de  notre  malade. 

Nous  ne  devons  pas  négliger  de  faire  remarquer,  cependant,  que  toutes  les 
observations  de  maladie  de  Basedow  avec  fièvre,  sans  complication  viscérale, 
recueillies  pas  M.  Bertoye,  n'ont  pas  eu  une  issue  aussi  favorable  que  celle 
que  nous  avons  tout  à  l'heure  prise  pour  exemple.  Dans  quelques-unes  d'entre 
elles,  en  efiet,  on  voit  la  température  s'élever  tout  à  coup  à  39*'5,  40"  et  au- 
dessus,  en  même  temps  qu'apparaît  tout  un  cortège  de  symptômes  cérébraux 
graves  aboutissant  rapidement  à  la  terminaison  fatale.  L'autopsie,   dans  ces 


1.  Voici  le  tableau  des   moyennes  des  six   analyses    faites   du  13  au  19  janvier  : 
Volume  =  1.400  ce.  Résidu  rixe=  44  gr.  47  ;  urée=  18  j,m'.  73,  acide  pliospliorique,  1  gr.  98. 
Dans  le  cas  de  M.  Bertoye.  la  proportion  des  déchets  urinaires  aurait  même  été  diminuée. 


—  r.v,)  — 

cas-là,  a  été  négative  ;  ils  méritent  donc,  à  tous  égards,  d'être  rapprochés  de  ces 
faits  de  chorée  et  d'épilepsie  avec  état  de  mal  rapidement  terminés  par  la 
mort,  dont  je  vous  ai  entretenus  dans  une  précédente  leçon  (i). 

Mais  écartons  les  sombres  pronostics,  ils  ne  semblent  pas  applicables  au 
cas  présent  ;  nous  espérons  qu'ici  l'évolution  du  mal  pourra  être  entravée 
grâce  au  concours  des  divers  moyens  que  nous  comptons  mettre  en  œu- 
vre (2). 

Encore  un  mot,  avant  d'en  finir  avec  ce  cas.  Gomme  dans  celui  qui  précède, 
il  existe  aux  membres  inférieurs  un  certain  degré  de  parésie,  sans  troubles 
concomitants  de  la  sensibilité,  sans  parésie  vesicale,  etc,,  etc.,  et  les  réflexes 
rotuliens  sont  très  faibles.  Plusieurs  fois,  il  y  a  eu  dérobement  des  jambes  ; 
ces  mêmes  particularités,  nous  allons  les  retrouver  chez  la  malade  qui  va 
suivre. 


III.  Il  s'agit,  cette  fois,  d  une  jeune  fille  âgée  de  18  ans,  nommée  Mon...  rier 
que  je  vous  ai  présentée  déjà  l'an  passé(3),et  dont  je  me  bornerai,  par  consé- 
quent, à  vous  rappeler  l'histoire  en  abrégé. Les  antécédents  héréditaires  sont  ici 
très  instructifs  :  père  alcoolique  ;  il  a  bien  des  fois  rendu  les  enfants  témoins 
descènes  violentes;  une  tante  paternelle  a  les  doigts  des  mains  déformés  par 
le  rhumatisme  articulaire  chronique;  une  cousine  germaine,  toujours  du 
côté  paternel,  a  été  atteinte  de  chorée.  Plusieurs  frères  de  la  malade  sont 
morts  de  convulsions  en  bas  âge  ;  une  de  ses  sœurs  a  été  sujette  à  des  crises 
d'hystérie. 

Elle  a  été  somnambule  dans  l'enfance  et,  vers  quinze  ans,  elle  a  eu  des  atta- 
ques de  nerfs  qui,  pendant  un  an,  se  sont  reproduites  à  peu  près  tous  les  mois. 
La  maladie  de  Basedow  a  commencé  à  paraître  chez  elle,  ily  a  2  ans,  peu  de 
jours  après  une  scène  terrible  dans  laquelle  son  père,  sous  le  coup  d'un  accès 
de  delirium  tremens,  l'avait  menacée  de  la  jeter  par  la  fenêtre.  Le  trem- 
blement, l'exophthalmie,  le  goitre  se  sont  succédé  rapidement  et  en  même 
temps,  les  crises  hystériques  ont  cessé  de  paraître.  La  tachycardie  a  été  très 


1.  Leçons  du  mardi,  i88S,  1889,  6«  leçon,  27  novembre  1888. 

2.  Le  traitement  électrique  a  été  commencé  en  janvier  1889  et  poursuivi  à  pou  près  ré^uliè- 
ment  tous  les  deux  jours  depuis  cette  époque  (Méthode  de  M.  Vigouroux^  jusqu'à  ce^jour 
(3  mai).  L'amélioration  s'est  produite  peu  après  et  s'est  rapidement  accentuée.  La  toux,les  trans- 
pirations ont  disparu.—  La  diarrhée  est  devenue  rare.  La  chute  des  cheveux,  qui  avait  com- 
mencé à  se  produire,  s'est  arrêtée.  Les  forces  se  sont  relevées;  il  y  a  augmentation  de  poids  de 
4  kilog.  Les  yeux  sont  peut-être  un  peu  moins  gros, mais  le  goitre  est  stationnaire.  Le  tremble- 
ment a  beaucoup  diminué  et  les  membres  inlërieurs  ne  se  dérobent  plus.— La  température  rec- 
tale prise  tous  les  jours  depuis  la  fin  de  janvier  n'a  jamais  dépassé  38o.—  Le  pouls  varie  entre 
100  et  110. 

3.  Leçons  du  mardiiSSl,  1888,  p.  321. 

33 


—  240  — 

accentuée  ;  amaigrissement  rapide,  thermophobie  et  sueurs  profuses  avec  une 
température  de  37°  en  moyenne  ;  crises  diarrhéiques  typiques  à  propos  des- 
quelles, pour  les  détails,  je  vous  renvoie  à  la  leçon  du  10  avril  1888. 

Sous  rinfluence  du  traitement électrothérapique,  l'état  de  la  malade  s'est 
singuUèrement  amélioré,  sur  tous  les  points,  depuis  un  an.  Les  symptômes  de 
la  maladie  sont  toujours  présents,  sans  doute,  mais  ils  n'existent  plus  que 
sous  une  forme  atténuée,  et  il  ne  nous  paraît  pas  téméraire  d'espérer  qu'un 
jour  ou  l'autre,  par  la  continuation  de  l'emploi  des  moyens  appropriés,  la 
guérison  définitive  pourra  survenir. 

Le  point  sur  lequel  je  tiens  à  insister  aujourd'hui  à  propos  de  ce  troisième 
cas  de  maladie  de  Basedow  est  le  suivant.En  premier  lieu,  on  observe  chez  notre 
malade,  ainsi  que  nous  le  faisions  pressentir  tout  à  Tlieure,  cette  mêmeparésie 
des  membres  inférieurs  que  nous  avons  rencontrée  déjà  chez  nos  deux 
premiers  sujets  à  des  degrés  divers,  et  que  nous  retrouverons  encore  avecles 
mêmes  caractères,  mais  cette  fois  sous  une  forme  beaucoup  plus  accentuée 
dans  un  quatrième  cas  :  absence  ou  diminution  des  rétlexes  rotuliens  ;  pas  de 
troubles  de  la  sensibilité  quels  qu'ils  soient  ;  intégrité  parfaite  des  fonctions 
de  la  vessie  et  du  rectum,  effondrement  fréquent  des  membres  inférieurs,  etc. 
Tels  sont,  avec  des  variations  en  plus  ou  en  moins,  les  principaux  symptômes 
qui  constituent  cliniquement  cette  forme  paraplégique  spéciale  sur  laquelle 
nous  allons  revenir  dans  un  instant. 

Le  second  point  est  relatif  à  l'apparition  chez  la  malade  des  symptômes 
hystériques, dans  le  temps  même  où  ceux  delà  maladie  de  Basedow  tendent  à 
rétrocéder. La  combinaison  de  l'hystérie  avec  la  maladie  de  Basedow  chez  un 
même  sujet  n'est  certes  pas  chose  rare;  mais  ce  qu'il  y  a  d'intéressant  à  relever 
à  ce  propos  dans  le  cas  actuel,  c'est  que  les  attaques  hystériques  qu'on  a  vu  il 
y  a  deux  ans  s'effacer,  au  moment  même  où  se  développait  la  série  de  Base- 
dow, ont  repris  comme  de  plus  belle,  depuis  l'époque  où  celle-ci  tend  à  dis- 
paraître. 11  semble  donc  qu'il  y  ait  là  entre  les  deux  névroses  rivales,  comme 
une  lutte  pour  la  prééminence,  l'une  cédant  le  pas  lorsque  l'autre  paraît,  et 
inversement.  C'est  là  un  incident  de  notre  observation  qui  m'a  paru  mériter 
d'être  mis  en  relief.  L'hystérie  est  représentée  aujourd'hui  chez  Mon...rier, 
non  seulement  par  les  attaques  qui  sont  fréquentes,  mais  encore  par  un  cer- 
tain nombre  de  stigmates  permanents  à  savoir  :  ovarie, hémianalgésie  droite 
et  rétrécissement  double  du  champ  visuel. 

IV.  Le  quatrième  casde  maladie  de  Basedow,  sur  lequel  je  veux  appeler  votre 
attention  aujourd'hui  est  remarquable  surtout  par  l'existence  de  cette  para- 
plégie à  laquelle  j'ai  fait  allusion  plusieurs  fois  déjà  et  qu'on  voit  ici  atteindre 
un  haut  degré  d'intensité.  Grâce  à  elle,  en  effet,  la  malade  a  été,  pendant  plu- 
sieurs mois,  affectéo  d'une  impuissance  motrice  des  membres  inférieurs  à  peu 


—  2U  — 

près  complète,  et  elle  est  restée  dans  Timpossibilité  de  se  tenir  debout  et  de 
marcher  pendant  près  d'une  année. 

Ce  cas  est  relatif  à  une  noninu';e  Man...llon,  aujourd'hui  âgée  de  38  ans,  qui 
est  à  laSalpétrière  depuis  4  ans  environ.  La  maladie  de  Basedow  a  débuté 
chez  elle  il  y  a  environ  \)  années,  alors  qu'elle  était  âgée  de  23  ans.  Les  symp- 
tômes se  sont  très  notablement  amendés  dans  le  cours  des  deux  dernières 
années. 

Voici  l'indication  sommaire  des  principaux  faits  consignés  dans  l'observa- 
tion de  cette  malade.  L'étude  des  antécédents  a  appris  ce  qui  suit:  le  grand- 
père  paternel  a  eu  des  «  idées  noires  »  ;  la  grand'mère  maternelle  était  sujette 
à  des  attaques  de  nerfs.  Le  père  était  vif,  emporté,  chagrin.  Il  avait  été  autre- 
fois  dans  une  position  aisée,  mais  par  suite  de  mauvaises  affaires,  il  tomba 
tout  à  coup  dans  la  misère,  entraînant  dans  sa  ruine  toute  sa  famille.  Le  cha- 
grin profond  ressenti  par  Man...llon  à  la  suite  de  ce  triste  événement  a  été 
à,  n'en  pas  douter,  chez  elle,  la  cause  provocatrice  "de  la  'maladie  ;  celle-ci 
s'est  développée,  du  reste,  peu  de  temps  après,  à  peu  près  en  même  temps 
que  survenait  une  attaque  de  rhumatisme  articulaire  aigu  d'une  certaine 
gravité. 

Les  palpitations,  bientôt  suivies  d'exophtalmic;  ont  marqué  le  début  de  lu 
maladie  (en  1880);,  et,  peu  après,  le  tremblement  est  survenu.  Le  goitre  qui, 
à  un  moment  donné,  est  devenu  très  volumineux,  a  paru  dès  la  première 
année.  En  1883,  s'est  produite  une  aggravation  dans  tous  les  symptômes  déjà 
existants;  il  s'y  est  joint  en  plus  une  diarrhée  par  crises  à  retours  fréquents* 
de  la  polyurie,  une  toux  sèche  très  fatigante,  de  la  thermophobie  avec  sueurs 
profuses,  enfin  un  amaigrissement  notable.  C  est  vers  la  même  époque  qu'ont 
commencé  à  paraître  les  symptômes  paraplégiques,  s'accusant  d'abord  de 
temps  à  autre,  par  périodes  suivies  de  rémissions  durant  lesquelles  se  mon- 
trait fréquemment;,  pendant  la  station  ou  la  marche^  qui  parfois  exigeait 
l'emploi  des  béquilles,  le  phénomène  de  l'effondrement  des  membres  infé-^ 
rieurs. 

La  paraplégie  s'était  définitivement  établie  en  permanence,  et  était  depuis 
plusieurs  semaines  devenue  à  peu  près  complète  lorsque  la  malade  est  entrée 
à  la  Salpêtrière  en  juillet  1884.  Elle  a  persisté,  à  peu  de  chose  près,  telle  quelle, 
au  même  degré,  jusqu'en  septembre  1885,  époque  à  laquelle  la  malade  a  com- 
mencé à  pouvoir  se  tenir  debout  et  marcher.  Les  symptômes  ordinaires  de 
la  maladie  de  Basedow  ont,  pendant  ce  temps, continué  leur  train  :  goitre  volu- 
mineux, yeux  très  saillants,  sueurs,  chaleurs  avec  un  pouls  de  140  à  150  par- 
fois. Cependant,  la  température  centrale  moyenne  est  de  37"4  ;  elle   s'élève 


1»  Le  pouls  monte  ëno-ot-e  quelquefois  à  100.—  La  température  ne  dépasse  pas  37,  37,  2. 


—  242  — 

parfois  jusqu'à  37°7,  mais  elle  ne  dépasse  jamais  38°.  Anémie  profonde  ; 
tremblements  vibratoires  très  marqués,  etc.  Tous  ces  symptômes-là  ont 
commencé  à  décroître  dans  le  temps  même  où  les  phénomènes  paraplégiques 
se  sont  amendés  ;  ils  existent  tous  cependant  encore  aujourd'hui  à  l'état  rudi- 
mentaire,  9  ans  après  le  début  de  la  maladie,  bien  que  la  situation  depuis 
2  ou  3  ans  se  soit  très  notablement  améliorée  sur  toute  la  ligne. 

Nous  devons  insister  maintenant  sur  les  caractères  que  cette  paraplégie  a 
présentés.  Ils  sont  assez  particuliers,  comme  on  va  le  voir. Ainsi  qu'on  l'a  dit, 
lors  de  l'admission  à  la  Salpêtrière,  l'impuissance  motrice  des  membres  infé- 
rieurs était  à  peu  près  absolue.  La  malade  avait  dû  y  être  transportée  sur  une 
civière  ;  elle  était  depuis  plusieurs  semaines  déjà  confinée  au  lit.  Les  membres 
paralysés  sont  légèrement  amaigris ,  on  n'y  remarque  cependant  pas  d'atro- 
phie proprement  dite,  pas  de  secousses  fibrillaires  entre  autres  ;  la  température 
de  la  peau  et  sa  coloration  sont  normales.  La  malade  n'y  accuse  aucune 
douleur,  fulgurante  ou  autre,  aucune  sensation  de  constriction  ;  pas  d'engour- 
dissement, pas  d'hyperesthésie,  pas  d'anesthésie.  Toutes  les  excitations 
cutanées  sont  perçues  normalement;  pas  de  douleur  à  la  pression.  Le  sens 
musculaire  est  parfaitement  conservé  ;  lorsque  ses  yeux  sont  clos,  elle  sait 
très  bien  déterminer  l'attitude  qu'on  donne  à  ses  membres,  les  mouvements 
qu'on  leur  fait  exécuter.  L'impuissance  motrice  porte  principalement  sur 
le  membre  inférieur  gauche  oùla  malade  ne  peut  mouvoir  volontairement  que 
les  orteils,  et  encore  n'est-ce  qu'avec  peine. 

Elle  n'oppose  aucune  résistance  aux  mouvements  soit  de  flexion  soit  d'exten- 
sion, qu'on  veut  imprimer  à  ses  membres  qui,  au  niveau  des  jointures,  ne 
présentent  aucune  trace  de  rigidité,  mais  ne  sont  cependant  pas  absolument 
flasques  ;  absence  complète  des  réflexes  rotuliens  ;  réflexes  cutanés  nuls. 
L'examen  électrique  ne  donne  rien  qui  s'éloigne  de  l'état  normal  ;  aucun 
trouble  fonctionnel, soit  de  la  vessie,  soit  du  rectum  ;  pas  de  douleur  en  ceinture 
on  rachialgique.  Lorsqu'on  prend  la  malade  sous  les  aisselles  pour  l'aider  à 
se  tenir  debout  elle  s'afl*aisse  sur  elle-même. 

Au  moment  où  l'amélioration  est  survenue,  quand  la  malade  a  pu  commencer 
à  se  tenir  debout  et  à  marcher,  elle  a  dû  tout  d'abord  faire  usage  de  béquilles  ; 
plus  tard  elle  a  marché  seule,  sans  appui,  mais  sa  démarche  est,  pendant  fort 
longtemps,  restée  titubante,  fréquemment  interrompue  par  des  menaces 
d'eftondrement  en  conséquence  de  flexions  brusques  et  inopinées  s'opérant  dans 
les  genoux.  Ces  particularités  se  retrouvent  encore  aujourd'hui  à  un  certain 
degré  bien  que  fort  eftacées. 

Tel  est  l'ensemble  des  phénomènes, tant  positifs  ([ue  négatifs^sur  lesquels  j'ai 
voulu  appeler  votre  attention.  Il  est  assez  particulier,  je  crois,  pour  qu'il  soit 
permis  de  le  distinguer  des  complexus  symptomatiqr^es  qui  peuvent  s'en 
rapprocher  par  quelques  côtés  ;  sans  entrer  dans  une  discussion  en  règle  à  ce 
propos,  je  me  bornerai  à  faire  remarquer  que,  très  certainement,  il  ne  s'agit 


—  243  — 

pas  là  d'ataxie  locomotrice, non  plusquo  d'hystérie  dont  d'ailleurs  notre  mala- 
lade  ne  porte  aucun  des  stif^mates  connus  (1). 

Je  crois  pouvoir  émettre  l'opinion  que  le  syndrome  en  question  représente 
une  forme  particulière  de  paraplégie  qu'il  conviendra  peut-être  d'ajouter  à  la 
série  déjà  longue  de  ceux  qui  se  rattachent  plus  ou  moins  directement  à  la 
maladie  de  Basedow  et  en  font,  en  quelque  sorte,  partie  intégrante,  quoique 
placés  sur  le  second  plan  par  rapport  aux  symptômes  cardinaux.  H  paraîtrait 
même  ([ue,  dans  l'espèce,  ce  syndrome  n'est  pas  très  rare,  à  en  juger  du 
moins  par  cette  circonstance  qu'il  figure,  bien  qu'à  des  degrés  divers,  dans 
les  quatre  observations  ({ue  nous  venons  de  passer  en  revue  et  qui  par  con- 
séquent à  cet  égard  constituent  un  groupe  homogène. 

V.  Pour  établir  un  contraste  avec  ces  faits,  de  façon  à  mieux  faire  ressortir 
l'intérêt  qui  s'y  attache,  je  vous  présenterai  en  terminant  un  cinquième 
exemple  de  maladie  de  Basedow,  dans  lequel  les  membres  inférieurs  sont  éga- 
lement le  siège  de  troubles  du  mouvement  ;  mais^dans  ce  dernier  cas,  il  nous 
sera  facile  de  reconnaître  que  c'est  l'ataxie  tabétique  qui  est  en  jeu. 

Le  sujet  estun  homme  de  45  ans,  nommé  Mes...  manu  qui,  il  y  a  sept  ou 
huit  ans,  s'est  mis  à  trembler  des  mains  eu  même  temps  qu'il  ressentait  des 
palpitations  de  cœur  et  que  ses  yeux  devenaient  saillants.  Ces  symptômes  de 
la  maladie  de  Basedow  existent  encore  aujourd'hui  et  la  tachycardie,  en  par- 
ticulier, est  actuellement  très  pro^noncée. 

Il  y  a  trois  ans,  sont  survenus  dans  les  membres  inférieurs  des  douleurs 
fulgurantes  caractéristiques  assez  vives  et  revenant,  suivant  la  règle,  par  accès. 
Peu  après,  s'est  établie  l'incoordination  motrice  qui,  aujourd'hui,  est  fort  accen- 
tuée. Le  signe  de  Romberg  existe.  Parésie  vésicale,  fréquemment  avec 
incontinence  nocturne.  Par  exception,  —  et  cette  exception  d'ailleurs  n'est  pas 
tout  à  fait  rare  dans  l'espèce,  —les  réflexes  rotulicns  ont  persisté  ;  ils  se 
montrent  même  un  peu  exagérés. 

Evidemment,  il  s'agit  ici  d'une  combinaison  de  l'ataxie  locomotrice  et  de 
la  maladie  de  Basedow,  dans  laquelle  celle-ci  a  précédé  l'autre  de  quatre  ou 
cinq  années.  Actuellement  les  deux  maladies  coexistent  sans  toutefois  se 
confondre  ;  c'est  donc  un  cas  à  ajouter  à  ceux  déjà  nombreux  auxquels  mon 
collègue,  M.  Joflroy,  a  fait  allusion  dans  une  des  dernières  séances  de  la 
Société  médicale  des  hôpitaux  (2). 


1.  Le  cas  de  paraplégie  survenue  dans  une  maladie  chez  une  femme  atteinte  de  maladie  de 
Basedow  publié  par  M.  Ballet,  dans  le  n«  3  de  la  Revue  de  médecine,  p.  299,  me  paraitcomme 
à  ce  dernier,  relever  de  rhystéi'ie  ;  ce   cas  appartient  ^  M.  le  professeur  Tessier  tils,  de  Lyon. 

2.  Communication  de  MM.  Barrié  et  Joiïroy,  en  décembre  1888.  Voir  aussi  Ballet,  séance 
du  8  février  1889. 


ts. -leia  ïtoo.  <l»Typ.   •   Doiiit'.  .,  8,  r.  Campag;!!*- i'rsmilrt.  l'an*. 


Policlinique  du  Mardi  29  Janvier  1889 


DOUZIÈME  LEÇON 

l*^''  Cas.  —  Accidents  hystériques  graves  survenus  chez  une 
femme  à  la  suite  d'hypnotisalions  pratiquées  par  un  magné- 
tiseur dans  une  baraque  de  fête  publique. 

2^  3*^  et 4^  Cas.  —  Un  cas  de  Neurasthénie  et  deux  cas  d'Hys- 
léro-Neurasthénie  chez  Thomme. 


Messieurs, 

A  coté  des  bienfaits  de  l'hypnotisme  qui  ont  été  suffisamment  prônés  et 
même,  quelquefois,  peut-être  un  peu  trop  exaltés  dans  ces  derniers  temps,  il 
est  équitable  de  parler  des  méfaits  qu'on  peut,  à  juste  titre,  lui  im[)uter. 
Ceux-ci  arrivent  parfois  à  constituer  des  accidents  morbides  réellement 
sérieux  et  d'autant  plus  regrettables  qu'ils  sont, le  plus  souventja  conséquence 
plus  ou  moins  directe  de  manœuvres  prati(iuées  par  des  gens  qui,  sans  aucun 
mandat  soit  médical,  soit  scientifique, sont  animés  par  la  seule  poursuite  d'un 
but  lucratif.  La  malade  que  vous  avez  sous  les  yeux  offre  un  exemple  du 
genre  parfaitement  typique,  car  on  peut  dire  sans  amplification  qu'elle  est  la 
victime  d'un  magnétiseur  pratiquant  dans  les  baraques  de  foire. 

n  s'agit  d'une  femme  âgée  de  38  ans  qui  est  venue  nous  consulter  avant- 
hier  et  que,  ce  jour-là,  nous  avons  admise  dans  nos  salles.  Son  histoire,  par 
conséquent,  ne  m'est  encore  connue  que  très  sommairement. 

Je  vais  essayer  de  la  compléter  séance  tenante  eu  procédant  devant  vous  à 
un  interrogatoire.  Mais,  je  dois  vous  en  prévenir,  nous  allons  rencontrer  dans 
l'accomplissement  de  cette  tâche  des  difficultés  sérieuses  ;  la  pauvre  victime, 
en  effet,  a  été,  depuis  cinq  jours,  placée  sous  le  coup  d'un  mutisme  complet, 
absolu.  Non  seulement  il  lui  est  devenu  impossible  d'articuler  un  mot  soit  à 
voix  haute  soit  à  voix  basse,  mais  elle  est  incapable  encore  d'émettre,  malgré 
tous  ses  efforts,  un  son,  un  bruit  laryngé  quelconque.  A  la  vérité  elle  aura 
encore  comme  moyen  de  communiquer  avec  nous,  la  mimique  qui  est  restée 


—  248  — 

fort  intelligente,  et  aussi,  ce  qui  vaut  mieux,  l'écriture  ;  car,  si  l'aphasie 
motrice  «  silencieuse  »^  règne  ici  d'une  façon  absolue,  la  faculté  de  s'exprimer 
à  Taide  de  l'écriture  est,  par  un  contraste  frappant,  demeurée,  ainsi  que  vous 
allez  le  reconnaître  dans  un  instant,  parfaitement  indemne.  Après  cela  nous 
aurons  encore,  pour  y  puiser  des  enseignements  utiles  à  consulter,  l'obser- 
vation fort  intéressante  concernant  cette  mêmemalade,  communiquée  par 
M.  le  D""  Séglas  à  la  Société  médico-psychologique,  dans  sa  séance  du 
29  octobre  1888(1). 

Messieurs,  rien  qu'à  entendre  la  rapide  énumération  des  quelques  traits 
cliniques  que  je  viens  de  relever  à  l'instant,  ceux  d'entre  vous  qui  sont  au  cou- 
rant de  notre  enseignement  des  trois  dernières  années,  ont  immédiatement 
compris  que  c'est  le  mutisme  hystérique  qui  est  ici  en  jeu.  Nulle  part  ailleurs, 
en  effet,  vous  ne  rencontrerez  réuni  cet  ensemble  de  symptômes  caractéris- 
tiques. Mais  je  ne  veux  pas  m'arrêter  pour  le  moment  à  établir  cette  asser- 
tion sur  une  discussion  en  règle,  elle  sera  suffisamment  justifiée  par  tout  ce 
qui  suivra.  Je  tiens  d'ailleurs  à  procéder  rapidement  dans  la  démonstration 
des  faits  ;  car  nous  ne  devons  pas  oublier  que  l'hystérie  est  dans  ses  allures 
parfois  mobile  au  plus  haut  degré:  «bien  fol  est  qui  s'y  fie».  Il  pourrait  bien 
arriver  en  somme  que,  sous  l'influence  de  l'émotion  éprouvée  par  la  malade, 
en  présence  de  l'auditoire,  l'ensemble  symptomatique  que  nous  avons  sous 
les  yeux  s'évanouît  tout  à  coup,  et  ainsi,  à  notre  grand  regret,  l'occasion 
nous  échapperait  de  vous  montrer  des  phénomènes  dont  il  importe  que  vous 
soyez  rendus  témoins. 

M.  Charcot,  s'adressani  à  la  malade:  A'euillez,  je  vous  prie,  vous  approcher 
de  cette  table  qui  est  là,  près  de  moi.  (La  malade  comprend  immédiatement  ce 
qui  lui  est  dit  et  elle  s'approche  delà  table  devant  laquelle  elle  s'assied.)  Com- 
bien y  a-t-il  de  jours  que  vous  ne  pouvez  plus  parler?  Expliquez-moi  votre 
cas...  Répondez  î 

^.  Ç,UK^Q.OT,  s' adressant  aux  auditeurs  :  Y^xdiiïiïnQz  avec  soin  tous  les  détails 
de  la  pantomime  à  laquelle  se  livre  notre  malade  ;  vous  voyez,  elle  fait 
signe  d'abord  qu'elle  ne  peut  rien  dire  :  mais  la  voilà  qui,  jetant  les  yeux 
sur  la  table,  saisit  avec  empressement  une  plume  qui  y  a  été  placée  à  dessein 
près  d'un  morceau  de  papier  et  elle  se  met  à  écrire  avec  une  rapidité  remar- 
quable. Il  y  a  là  déjà,  —  je  tiens  à  vous  le  faire  remarquer  une  fois  de  plus,  — 
un  trait  bien  significatif.  Vous  n'ignorez  pas,  en  efi'et,  que  les  sujets  chez  les- 
quels l'aphasie  motrice  reconnaît  pour  cause  une  lésion  organique,  alors 
même  qu'ils  ont  conservé  les  mouvements  des  doigts  de  la  main  droite,  sont, 
dans  l'immense  majorité  des  cas,  placés  dans  l'absolue  impossibilité  d'écrire. 
A  peine  quelques-uns  d'entre  eux  ont-ils  gardé  le  pouvoir  de  tracer  queh]ues 


1.  Les  dangers  de  rhypnoUsme,  Annales  lyiédico-psychologiques^  7^  série,  tome  9,  Paris,  1889 
p.  103. 


—  249  — 

caractères  informes  ;  ou  si,  par  exception  rarissime,  il  en  est  qui  sont  restés 
capables  d'écrire  (pielquos  phrases  plus  ou  moins  correctes,  plus  ou  moins 
intelligibles,  ce  n'est  qu'à  la  suite  de  grands  efforts  et  avec  une  extrême 
lenteur  qu'ils  y  parviennent. 

Ici,  vous  le  voyez,  c'est  tout  le  contraire  qui  arrive  ;  il  semblerait  même,  le 
plus  souvent, que  les  sujets  sont  rendus  plus  habiles  et  plus  prompts  à  «-xprimer 
leur  pensée  par  l'écriture,  «n  raison  du  besoin  impérieux  qu'ils  en  éprouvent. 
Voici  du  reste,  pour  répondre  à  nos  questions^  ce  qu'elle  a  écrit  très  vite  en 
caractères  parfaitement  lisibles  et  avec  une  rédaction  qui  ne  laisse  pas  grand 
chose  à  désirer  non  plus  que  l'orthographe  :  «  Depuis  jeudi,  à  la  suite  d'une 
crise  de  nerfs  et  d'une  attaque.  Je  voudrais  parler,  mais  on  dirait  qu'il  y  a 
quelque  chose  qui  m'en  empêche.  » 

Notre  malade  est  donc,l  vous  le  voyez,  atteinte  d'aphasie  motrice,  puisqu'il 
lui  est  absolument  impossible  de  proférer  un  mot,  une  syllabe,  bien  qu'elle 
ait  conservé  dans  les  lèvres  et  dans  la  langue^  des  mouvements  qui,  bien 
qu'entravés  quelque  peu  par  un  certain  degré  de  raideur,  suffiraient  cepen- 
dant, et  amplement,  pour  produire  une  articulation  distincte.  A  la  vérité,  la 
malade  est  aphone  ;  elle  ne  peut  pas  émettre  un  son,  un  bruit  laryngé  quel- 
conque. Mais  le  larynx  n'a  rien  à  voir  dans  l'articulation  des  mots  et  si  notre 
sujet  n'était  qu'aphone  elle  aurait  tout  au  moins  conservé  la  faculté  de  par- 
ler à  voix  basse,  ce  qui  n'est  pas,  ainsi  que  je  vous  le  fais  constater. 

Ainsi,  c'est  bien  la  faculté  d'articulation  qui  fait  défaut  ici  ;  celle  d'expri- 
mer la  pensée  par  l'écriture  est  au  contraire  parfaitement  conservée. 

Pour  compléter  maintenant  l'étude  du  syndrome  ([ni  nous  occupe,  il  nous 
reste  à  rechercher  encore  ce  qui  est  advenu  relativement  aux  deux  autres  élé- 
ments du  langage.  Notre  malade  peut-elle  lire  mentalement  et  comprendre  ce 
qu'elle  lit  ?  A-t-elle  conservé  la  faculté  de  comprendre  le  sens  des  paroles  ({ui 
viennent  frapper  ses  oreilles  ?  Voici  une  petite  expérience  qui  nous  permettra 
de  répondre  à  la  première  question.  Je  place  sous  ses  yeux  une  feuille  admi- 
nistrative sur  laquelle  sont  écrits  les  mots:  «  Admission  d'urgence.  » 

M.  Charcot,  s' adressant  à  la  malade  :  Lisez,  je  vous  prie,  et  dites-moi  ce  que 
cela  veut  dire  ?  —  (La  malade  examine  le  papier,  lit  et  se  met  immédiatement 
à  écrire.) 

M.  CiiARcoT,  aux  auditeurs.  —  Je  vois  qu'elle  a  écrit  les  mots  :  «  Admission 
d'urgence  »  en  les  copiant  textuellement  sur  la  feuille  qui  lui  a  été  remise  ; 
ce  n'est  pas  cela  qu'il  nous  faut.  Il  y  a  des  aphasiques  par  lésion  organique 
qui  sont  capables  de  copier  exactement  les  mots  qui  sont  placés  sous  leurs 
yeux  sans  toutefois  y  rien  comprendre. 

S'adressanl  à  la  malade  :  Je  vous  demande  ce    que   c'est  qu'une    admission 
d'urgence  ? —  La  malade  reprend  le  papier  et  écrit  :  «  Admission  d'urgence  à 
l'hôpital,  comme  malade.  » 
M.  Gharcot,  aux  auditeurs  :  Allons,  cette  fois-ci  c'est    parfait  :  vous  voyez 


—  250  — 

que  notre  malade  peut  lire   et  qu'elle  comprend  fort  bien  ce  qu'elle  lit  ;  elle 
n'est  donc  point  atteinte  de  cécité  verbale. 

Examinons  ce  qui  est  relatif  au  second  point:  Y  a-t-il  chez  notre  sujet  surdité 
verbale  ?  Ceux  qui  en  sont  atteints  vous  le  savez, ne  sont  pas  sourds,  dans  le  sens  gé- 
néral du  terme. Ils  entendent  parfaitement  et  distinguenttous  les  bruits  qui  vien- 
nent frapper  leurs  oreilles,  même  si  ce  sont  des  paroles  articulées  ;  seulement 
ils  les  entendent  «  comme  bruits  »  et  ils  sont  incapables  de  comprendre  ce 
que  ces  paroles  signifient.  En  est-il  ainsi  chez  notre  malade  ?  C'est  ce  que 
nous  allons  voir  :  déjà  vous  avez  pu  remarquer  qu'elle  a  très  bien  compris 
tout  ce  que  nous  lui  avons  dit,  dès  le  commencement  de  l'interrogatoire,  et 
qu'elle  a  agi  en  conséquence  ;  mais  regardons-y  encore  de  plus  près. 

M.  GnARCOTi  s'adressant  à  la  malade:  Youlez-vous regarder  les  objets  qui  sont 
sur  la  table  et  me  désigner  du  doigt  ceux  dont  je  vais  prononcer  le  nom  ;  mon- 
trez-moi le  crayon  !..  la  feuille  de  papier,  l'écritoire,  la  pelotte... 

Aux  auditeurs  :  Vous  voyez  qu'elle  a  indiqué  les  divers  objets  qu'elle 
a  entendu  nommer  successivement,  avec  une  grande  précision,  sans  le  moin- 
dre embarras  ;  elle  n'est  donc  pas  atteinte  de  surdité  verbale. 

Je  vous  ferai  remarquer  en  passant  que  nous  trouvons  chez  notre  malade 
les  conditions  d'une  analyse  psycho-physiologique  délicate  :  vous  n'ignorez 
pas  que,  d'après  nos  études,  le  matériel  de  la  faculté  du  langage  se  rapporte  à 
quatre  modes  spéciaux  de  la  mémoire  du  mot,  à  savoir  :  la  mémoire  motrice 
d'articulation,  la  mémoire  motrice  graphique,  la  mémoire  visuelle  et  enfin  la 
mémoire  auditive  du  mot.  La  suppression  isolée  de  chacune  de  ces  mémoires 
est  représentée  en  clinique  par  autant  de  formes  de  l'aphasie,  à  savoir  : 
l'aphasie  motrice  d'articulation,  l'agraphie,  la  cécité  et  enfin  la  surdité  ver- 
bales. Eh  bien  !  le  caractère  fondamental  du  mutisme  hystérique,  c'est  que  la 
faculté  motrice  d'articulation,  par  une  sorte  de  sélection  fort  remarquable, 
y  est  seule  affectée,  les  autres  demeurant  parfaitement  intactes  ;  tandis  que 
lorsqu'il  s'agit  d'aphasie  liée  aune  lésion  organique,  il  est  de  règle  que  toutes 
les  mémoires  dumot  soient  touchées  simultanément,  bien  qu'à  des  degrés  très 
divers  (1).  L'aphasie  motrice,  en  d'autres  termes,  est  alors  àpeu  près  toujours 
compliquée  en  proportions  diverses  d'un  certain  degré  d'agraphie,de  cécité  et 
de  surdité  verbales. Ces  trois  dernières,au  contraire, font  régulièrement  défaut 
dans  le  mutisme  hystérique  ;  c'est  du  moins  ce  qu'enseigne  l'histoire  natu- 
relle de  ce  singulier  syndrome,  telle  que  nous  la  connaissons  aujourd'hui. 
Le  mutisme  n'est  pas,  tant  s'en  faut,  le  seul  accident  hystérique  que  nous 
ayions  à  relever  chez  notre  malade  ;  il  ne  constitue  mémo  (ju'un  épisode 
récent  survenu  à  la  suite  d'une  des  nombreuses  attaciucs  convulsives  dont  elle 
n'a  pas  cessé  d'être  tourmentée  depuis  le  jour  où  elle  a  été  hypnotisée,  voici 
dans  quelles  circonstances  (2)  : 

i.  De  l'apliasic  en    ^«'-néral  et  de  Tagraplnc  eu  parflculicr.  Prof/ri-s   médical,  4  février  1S8S. 
2.  Nous  l'opi'oduisons  ici   ù  peu  prôs   Icxluellemeiil  le  récit  de  M.  Séglas,  loc.  cit.,  p.    103. 


—  251  — 

Le  7  août  1888,  se  trouvant  à  la  fête  d'Aubervilliers,  M°"  P...  est  entrée 
dans  la  bara([ue  d'un  magnr'tiseur  :  elle  a  assisté  ce  jour  même  à  des  hypno- 
tisations  faites  sur  un  certain  nombre  de  personnes  et  elle  a  «Hé  fort  impres- 
sionnée, dit-elle,  d'en  voir  quelques-unes  placées  dans  ^<  l'état  de  cata- 
lepsie ». 

Iillle  éprouva  néanmoins  le  vif  désir  de  se  faire  endormir  elle-même,  mais 
elle  n'osa  pas,  son  mari  étant  i)résent.  Le  lendemain  elle  revint  à  la  baraque 
sans  son  mari  et  cette  fois  elle  demanda  à  être  hypnotisée. 

Le  magnétiseur  essaya  à  plusieurs  reprises  de  l'endormir  par  la  fixation 
du  regard.  Elle  affirme  que  jamais  elle  n'a  perdu  un  instant  le  souvenir  de  ce 
qui  se  passait  autour  d'elle.  Mais,  par  contre,  à  chaque  tentative,  elle  sentait 
son  corps  et  ses  membres  se  raidir  au  point  de  ne  pouvoir  plus  faire  un 
mouvement  :  deux  fois  ses  yeux  ont  tourné  et  une  fois  elle  est  tombée  à  la 
renverse.  On  la  tirait  assez  facilement  de  cet  état  en  lui  souffiant  sur  les  yeux. 
Bien  qu'elle  n'eût  reçu  d'autres  «  suggestions  »  que  celles  qui  peuvent  être 
communiquées  à  l'état  de  veille,  elle  est  retourné  chez  ce  même  magnétiseur 
cinq  fois  en  trois  semaines  ;  elle  ne  pouvait  pas  s'en  empêcher,  dit-elle,  c'était 
une  obsession,  un  désir  irrésistible. 

Toujours  les  choses  se  sont  passées  comme  ci-dessus  ;  chaque  fois  qu  on  à 
voulu  l'hynoptiser^,  elle  a  été  prise  de  ses  attaques  de  raideur;  jamais  elle 
n'a  dormi. 

Plusieurs  fois,  le  magnétiseur  ayant  eu  grand'peine  à  la  tirer  de  l'état  où  il 
l'avait  plongée,  elle  l'a  entendu  prononcer  ces  paroles:  «Elle  est  plus  forte 
que  moi  !  » 

Il  a  essayé  plusieurs  fois  de  la  suggestion  hypnotique  sans  jamais  y  par- 
venir :  ainsi  lui  ayant  affirmé  un  jour  qu'il  allait  la  brûler  avec  une  lame  de 
couteau  rougie  au  feu,  elle  n'a  pas  senti  de  brûlure  mais  elle  a  eu  très  peur, 
néanmoins,  et  aussitôt  elle  est  devenue  raide,  comme  les  autres  fois. 

A  partir  des  premières  tentatives  d'hynoptisation,P...  était  devenue  triste; 
elle  n'avait  plus  de  goût  à  rien  et  elle  négligeait  les  travaux  de  son  ménage, 
elle  ne  pouvait  plus  ni  penser  ni  compter,  ses  idées  s'embrouillaient  à  chaque 
instant  :  elle  se  figurait  constamment  être  placée  sous  la  domination  du 
magnétiseur  auquel  elle  avait  entendu  dire  «  que,  de  loin  comme  de  près, 
elle  ne  ferait  que  ce  qu'il  voudrait,  quand  même   elle  ne  le  voudrait  pas  ». 

Plusieurs  crises  de  convulsions  toniques  s'étaient  produites  sur  ces 
entrefaites,  semblables  aux  précédentes,  mais  cette  fois  sans  provocation.  Elle 
ne  mangeait  pour  ainsi  dire  plus  ;  elle  était  tourmentée  du  désir  de  quitter 
son  domicile  et  d'aller  retrouver  celui  qu'elle  considérait  comme  son  maître  : 
enfin  un  beau  jour,  n'y  tenant  plus,  elle  partit  subitement  de  chez  elle  et  alla 
le  rejoindre,  en  ellet,  à  la  foire  de  Vincennes. 

Elle  resta  avec  lui  deux  jours  au  bout  desquels,  ayant  appris  que  son  mari 
avait  déposé  une  plainte  chez  le  commissaire  de  poiice,  il  la  pressa  de  rentrer 


—  âo2  — 

chez  elle  .  Pendant  toute  la  durée  de  la  nuit  qui  suivit  la  réintégration  au 
domicile  conjugal,  les  crises  de  raideur  furent  presque  incessantes  ;  elle  se 
reproduisirent  en  grand  nombre  encore  les  jours  suivants  et  la  malade  futen 
conséquence  admise  à  Thôpital  de  Saint-Denis  où  elle  resta  une  huitaine  de 
jours. 

Elle  en  sortit  non  guérie;  depuis  lors^,  en  effets  les  attaques  continuent  à 
paraître  fréquemment  et  l'état  mental  est  resté  à  peu  de  chose  près  ce  qu'il  était 
à  l'origine.  Les  choses  ont  empiré  récemment  et  le  mutisme  est  survenu  il  y  a 
cinq  ou  six  jours,  à  la  suite  d'une  forte  attaque.  C'est  à  cette  occasion  que  le 
mari  de  la  malade  est  venu  nous  prier  d'admettre  sa  femme  dans  notre 
service. 

Vous  avez  compris,  Messieurs,  que  les  attaques  dont  il  a  été  si  souvent 
question  dans  le  cours  de  notre  récit  ne  sont  autres  que  des  attaques  hysté- 
riques: elles  répondent  à  un  type  particulier  dont  vous  trouverez  la  descrip- 
tions dans  les  «  Études  »  de  Paul  Richer,  auxquelles  je  vous  renvoie  pour  les 
détails,  sous  le  nom  d'attaques  de  contracture  (1  )  ;  je  me  bornerai  à  vous  eu 
donner  ici  une  description  sommaire, faite  surtout  d'après  l'étude  de  celles  dont 
nous  avons  été  témoin  hier  chez  notre  malade.  Il  y  a  une  aura;  battements  de 
cœur,  constriction  épigastrique  ;  puis  la  malade,  qui  quelquefois  reste  debout, 
redresse  la  tête  et  se  courbe  légèrement  en  arrière  îles  bras,  les  jambes,  le  tronc 
se  raidissent  alors  dans  l'extension.  La  contracture  est  quelque  fois  assez  forte 
pour  que  la  rigidité  des  membres  ne  puisse  être  vaincue,  même  en  déployant 
une  grande  force.  Les  paupières  sont  closes  et  animées  d'un  mouvement  vi- 
bratoire. Il  n'y  a  pas  de  perte  de  connaissance,  pas  de  secousse,  pas  de  grands 
mouvements^  rien  qui  rappelle  la  phase  épileptique,  les  contorsions  ou  les 
attitudes  passionnelles  des  grandes  attaques  vulgaires.  Les  choses  restent 
telles  quelles  pendant  une  période  de  temps  variable  qui,  chez  notre  sujet, 
ne  dépasse  pas  quelques  minutes:  on  peut  d'ailleurs,  en  lui  soufflant  sur  la 
ligure  ou  en  la  rappelant  à  elle  d'une  voix  impérieuse,  abréger  quelquefois  la 
durée  de  la  crise. 

Mais  il  s'agit  ici,  veuillez  le  remarquer,  d'un  petit  cas.  Nous  avons  vu  eu 
effet  chez  d'autres  sujets  les  attaques  présentant  ces  mêmes  caractères  per- 
sister quelquefois  durant  des  heures  entières,  ne  pouvant  être  modifiées  par 
aucune  de  ces  manœuvres,  —  pression  ovarienne  ou  de  divers  points  hystéro- 
gènes  —  qui,  dans  les  attaques  classiques,  se  montrent  si  frécpiemment 
efficaces. 

Le  type  d'attaque  dont  il  est  ici  question  et  que  nous  avons  pris  l'habitude 
de  désigner  sous  le  nom  «  d'attaque  de  contracture  »^  se  rencontre  assez  rare- 
ment dans  la  pratique.  Il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  l'attitude  dite  «  en  arc 
de  cercle  »  partie  intégrante  de  la  grande  attaque  hystéro-épileptique,  non 

1.  Hiclicr.    lUules  cUn'Kjues  sur  La  f/rande  Hystérie,    2«  édilion,  ISSl,  p.  245. 


—  ^^iS  — 

plus  qu'avec  la  catalepsie,    dénomination  dont  on  abuse   tant  et   que  l'on 
emploie  si  souvent  à  tort  et  à  travers  (1). 


Fig.  52.  —  Attaque  de  contracture 


Fig.  53.  —  Arc  de  cercle. 

J'ai  vu  ce  genre  d'attaque  se  produire  plus  souvent  que  le  type  classique 
dans  les  cas  observés  par  moi,  où  les  tentatives  d'hypnotisation  ont  déterminé 
sur  le  coup,  ou  à  courte  échéance,  l'apparition  d'une  crise  hystérique.  C'est  là 
une  remarque  qu'il  n'est  pas  sans  intérêt  de  relever. 

Il  nous  a  été  impossible  de  décider  si-notre  malade  porte  quelques  stigmates 
permanents  de  la  névrose  dont  elle  est  atteinte,  toutes  les  tentatives  d'ex- 
ploration soit  de  la  sensibilité  cutanée,  par  exemple,  soit  du  champ  visuel 
ayant  abouti  constamment  à  la  production  d'une  attaque. 

En  résumé  nous  avons  sous  les  yeux   un   exemple,  si   je  ne   me  trompe, 


1.  A  propos  de  catalepsie, voir  également  Richer,/oc.ci7.,  chap.  Catalepsie  et  états  cataleptoïde: 


—  254  — 

bien  propre  à  montrer,  ane  fois  de  plus,  que  les  pratiques  d'hypnotisation  ne 
sont  pas  pour  le  sujet  mis  en  jeu,  toujours  innocentes.  Sans  doute  elles  n'ont 
pas  créé  ici  la  maladie  de  toutes  pièces,  car  Thistoire  des  antécédents  de 
M""*?...  signale  dans  son  passé  deux  attaques  d'hystérie,  Tune  à  l'âge  de 
19  ans,  l'autre  à  l'âge  de  20  ans  ;  mais  le  mal  sommeillait  depuis  dix-huit  ans, 
remarquez-le  bien,  lors  de  la  mauvaise  rencontre  faite  à  la  foire  d'Aubervil- 
liers. 

Incontestablement  les  hypnotisations  du  mois  d'août  1888  ont  ou  les  con- 
séquences les  plus  fâcheuses,  puisqu'elles  ont  provoqué  la  réapparition  des 
accidents  nerveux  qui  cette  fois  se  sont  produits  sous  une  forme  grave. 
Depuis  cette  époque  en  effet,  c'est-à-dire  durant  une  période  de  six  mois, 
les  crises  nerveuses,  avec  les  troubles  psychiques  que  vous  savez,  n'ont  pas 
cessé  en  quelque  sorte  de  sévir  un  seul  instant  et  rien  n'annonce  qu'ils  doi- 
vent bientôt  s'atténuer  et  disparaître. 

On  pourrait  aisément  multiplier  les  exemples  de  ce  genre  car  ils  sont 
presque  devenus  chose  banale  pour  s'être  fréquemment  reproduits  dans  ces 
derniers  temps. 

D'un  autre  côté,  nombre  de  faits  ont  établi  parallèlement  que  les  accidents 
que  nous  signalons  ne  concernent  pas  seulement  le  sujet  hypnotisé,  mais 
qu'ils  peuvent,  dans  les  représentations  publiques  par  exemple,  en  consé- 
quence d'une  sorte  de  contagion,  se  propager  soit  immédiatament  soit  à 
longue  échéance  aux  assistants  eux-mêmes.  Comme  conséquence  fâcheuse 
des  représentations  théâtrales,  on  pourrait  signaler  entre  autres  le  dévelop- 
pement dans  une  population,  dans  une  école,  de  ce  qu'on  pourrait  appeler 
du  nom  de  manie  hf/pnotisantc  active. 

J'ai  cité  un  exemple  du  genre  qui  me  paraît  bien  frappant  et  que  je  vous 
demanderai  la  permission  de  reproduire  ici  en  quelques  mots  (1). 

11  y  a  deux  ans,  un  magnétiseur  de  profession  donna  sur  le  théâtre  de 
Ghaumont-en-Bassigny,  des  représentations  de  «  fascination  »  qui  émurent 
profondément  toute  la  population,  l'affolèrent,  et  déterminèrent  par-ci  par- 
là,  quelques  accidents  plus  ou  moins  sérieux.  La  manie  d'hypnotiser  pénétra 
jusque  dansle  collège  de  la  ville.  Plusieurs  élèves  pratiquèrent  l'hypnotisme 
sur  leurs  camarades  et  quelques  accidents  nerveux  s'en  suivirent. 

Le  principal  du  Lycée  mit  bon  ordre  à  la  chose  pour  ce  qui  concernait  les 
internes  ;  mais  quelques  externes  surveillés  n'en  continuèrent  pas  moins  leurs 
pratiques.  C'est  ainsi  que  les  nommés  Blan...  et  Thom...  se  sont  plusieurs  fois 
amusés  sous  un  porche  voisin  de  l'hôtel  de  l'Ecu  à  hypnotiser  parla  fixation 
des  yeux  un  jeune  garçon  âgé  de  12  ans  que  j'ai  dans  le  temps  présenté  à  la 
clinique.  C'est  le  petit  hypnotisme  sans  doute  qu'ils  obtenaient  ainsi. 

En  tout  cas  ils  réussirent  à  faire  commettre  au  petit  Blan...,  en  le  sugges- 

i.  Revue  de  l hypnotisme ^  17  mai  1887,  p.  326. 


—  zoo  

tionnant,  des  actions  qui  les  réjouissaient  énorm«jmcnt.  Ainsi  Blan...  fut,  dit-on, 
promené  presque  nu  sur  la  place  de  la  Banque-de-France;  il  est  allé  demander 
à  acheter  un  cheval  chez  un  marchand  de  nouveautés,  et  autres  facéties  [iro- 
vinciales  du  même  genre. 

Jusque-là,  il  n'y  a  pas  encore  grand  mal  sans  doute  ;  mais  voici  le  côté 
fâcheux.  Le  jeune  Blan...  sans  antécédents  nerveux  remarqués,  n'avait  jamais 
eu  d'atta([ues  jusqu'au  moment  où  les  premières  tentatives  d'hypnotisme  ont 
eu  lieu  :  mais,  au  bout  de  quinze  jours,,  surviennent  des  crises  se  répétant 
presque  tous  les  jours  et  qui  effrayent  considérablement  les  parents,  d'au- 
tant plus  que  le  jeune  frère  de  notre  petit  malade,  âgé  de  4  ans  seulement 
commençait  lui  aussi  à  présenter  des  symptômes  du  même  genre.  C'est  pour 
mettre  fni,  si  possible,  à  tout  cela, que  le  père  nous  l'a  amené^  et  d'après  notre 
conseil  l'a  remis  entre  nos  mains.  Les  accès  à  l'hôpital  se  sont  répétés  pendant 
quelque  temps  tous  les  deux  ou  trois  jours.  C'étaient  des  attaques  hystéri- 
ques assez  bien  formulées,  précédées  d'une  aura  :  douleur  de  tête  et  balte- 
ments  dans  les  tempes,  sifflements  dans  les  oreilles  ;  puis  survenaient  des 
contorsions  et  l'arc  de  cercle.  Enfin  l'enfant  prononçait  quelques  paroles 
relatives  aux  préoccupations  de  la  veille.  Il  n'existait  pas  de  stigmates  hystéri- 
ques. L'enfant  est  sorti,  après  cinq  ou  six  mois  de  traitement,  à  peu  près 
guéri. 

Ce  n'est  pas  la  première  fois  que  Ton  voit  des  enfants  jouant  à  Ihypnotisme 
produire  sur  eux-mêmes, ou  sur  leurs  camarades,  des  accidents  plus  ou  moins 
graves.  Ainsi  à  Brcslau,  lors  du  passage  du  fameux  Ilansen,  un  enfant  hyp- 
notisé par  un  de  ses  camarades  a  été  pris  d'attaques  de  contracture  qui  durè- 
rent plusieurs  heures  et  qui  se  renouvelèrent  par  la  suite.  Un  cas  du  même 
genre  est  cité  par  M.  Mercati  dans  les  Archives  italiennes  de  psychiatrie. 

Ces  faits,  ces  considérations  rendent  évidente  la  nécessité  d'une  réglemen- 
tation des  pratiques  d'hypnotisme,  et  il  y  a  lieu  de  s'étonner  qu'elles  n'aient 
pas  encore  paru  assez  convaincantes  pour  faire  adopter  en  France  les  sages 
mesures  restrictives  prises  depuis  longtemps  déjà,  dans  la  plupart  des  autres 
pays  d'Europe  à  l'égard  des  représentations  publiques  des  magnétiseurs. 

L'hypnotisme  peut  être  utile  en  thérapeutique,  dira-t-on,  et  s'il  peut  nuire 
parfois,  n'en  est-il  pas  de  même  des  plus  précieux  médicaments  :  l'opium^ 
la  digitale,  par  exemple,  qui,  dans  de  certaines  circonstances  et  chez  cer- 
tains sujets,  peuvent  produire  des  effets  fâcheux,  songe- t-on  à  les  condamner 
pour  cela?  A  cela,  certes,  nous  ne  contredisons  pas  ;  mais  d'un  autre  cùté, 
n'est-il  pas  clair  qu'une  étude  clinique  approfondie,  et  par  conséquent  nulle- 
ment à  la  portée  des  amateurs,  pourra  seule  en  matière  d'hypnotisation. 
comme  loi'squ'il  s'agit  d'opium  ou  de  digitalo,  établir  les  indications  et  les 
contre-indications,  ou,  en  d'autres  termes,  délerniiner  les  conditions  où  l'on 
peut  agir,  et  celles  où,  au  contraire,  il  faut  s'abstenir? 

Puisque  la  médecine,  au  nom  de  la  science  et  de  l'art,  a,  dans  ces  derniers 

35 


—  2oG  — 

temps,  idHs  possession  de  l'hypnotisme,  qu'elle  seule  peut  savoir  appliquer 
convenablement  soit  au  traitement  des  malades,  soit  aux  recherches  physiolo- 
giques et  psychologiques,  n'est-il  pas  légitime  que,  dans  ce  domaine  récem- 
ment conquis, elle  veuille  désormais  régner  en  maîtresse  absolue  et  repousser 
toute  intrusion? 


2^  3'  ET  4'  Malades. 


Lorsque  l'onparle  de  neurasthénie  oud'hystérie  mâles,  il  semble  qu'aujour- 
d'hui encore  on  ait  presque  exclusivement  en  vue  l'homme  des  classes  privi- 
légiées, amolli  par  la  culture,  épuisé  par  l'abus  des  plaisirs,  par  les  préoccu- 
pations d'affaires  ou  l'excès  des  travaux  intellectuels.  C'est  là  un  préjugé  que 
je  me  suis  bien  des  fois  déjà  efforcé  de  combattre  mais  contre  lequel  il  faudra 
lutter  encore,  sans  doute,  pendant  longtemps,  car  il  parait  loin  d'être  déraciné. 
Il  est  parfaitement  avéré,  cependant,  que  ces  mêmes  affections, du  moins  dans 
les  villes,  s'observent  sur  une  grande  échelle  chez  les  prolétaires,  les  artisans 
le  moins  favorisés  par  le  sort,  ceux  qui  ne  connaissent  guère  que  le  labeur 
physique.  On  ne  saurait  oublier  d'ailleurs,  qu'en  somme,  leur  constitution  psy- 
chique est  foncièrement  la  même  que  la  nôtre  et  que,  comme  d'autres,  plus 
même  peut-être,  ils  sont  soumis  aux  conséquences  perturbatrices  des  émotions 
morales  pénibles,  de  l'anxiété  qui  s'attache  aux  difficultés  de  la  vie,  à  l'influence 
dépressive  de  la  mise  en  jeu  exagérée  des  forces  physiques,  etc.  ;  sans  parler 
du  shock  nerveux  produit  dans  les  grands  accidents  auxquels  ils  sont  parti- 
culièrement exposés,  non  plus  que  des  intoxications  professionnelles  dont  le 
rôle pathogénique  commence, depuis  quelque  temps  seulement,  a  être  convena- 
blement apprécié.  Il  ne  faut  pas  oublier,  d'autre  part,  (pie  l'hérédité  nerveuse 
n'est  pas  l'exclusif  privilège  des  grands  de  la  terre;  elle  exerce  son  empire  sur 
la  classe  ouvrière  comme  partout  ailleurs. 

J'ai  reçu  ces  jours-ci  dans  le  service  de  la  clinique  un  groupe  de  cinq  cas 
bien  propres  à  justifier  les  assertions  que  je  viens  d'émettre:  trois  d'entre  eux 
nous  occuperont  aujourd'hui  ;  lesdeux  autres,  faute  de  temps,  seront  renvoyés 
à  la  leçon  prochaine.  L'un  de  nos  sujets  représentera  la  maladie  neurasthé- 
nique à  l'état  de  pureté  nosograpbique,  c'est-à-dire  régnant  sans  partage.  Les 
quatre  autres  sont  des  exemples  de  ce  que  je  vous  proposerai  d'appeler  «  l'hys- 


—  257  — 

téro-neiirasthénie>>,coml)inaisonfré(iuontedans  la  population  ouvrière,  et  que 
vous  mirez  par  conséquent  bion  souvent  Toccasion  d'oliscrvcr  dans  la  pratique 
d'hôpital.  Il  est  curieux  de  r(Mnarquer,  en  eflet,  Messieurs,  comment,  depuis 
cinq  ou  six  ans, les  cas  de  ce  genre  semblent  se  montrer  chaque  jour  plus  nom- 
breux dans  les  services  de  médecine  générale.  Je  ne  suis  pas  en  mesure  pour  le 
moment  de  vous  offrir  à  ce  sujet  une  statistique  en  règle.  Elle  sera  bien  inté- 
ressante à  relever  quelque  jour  ;  mais  je  puis  parler  d'après  ce  qui  m'a  été  dit 
par  plusieurs  de  mes  collègues  des  hôpitaux,  autrefois  mes  élèves;  et  cette 
remarque  s'applique  non  seulement  aux  services  hospitaliers  ordinaires 
mais  encore  à  celui  du  bureau  central  où  se  présentent  pour  Tadmission  dans 
les  hôpitaux  des  malades  atteints  des  affections  les  plus  diverses,  sans  sélec- 
tion aucune.  Est-ce  donc  qu'il  s'agirait  là  d'une  maladie  nouvelle  développée 
sous  l'influence  de  nouvelles  conditions  d'existence?  Je  n'en  crois  rien.  Mes- 
sieurs, pour  ma  part;  la  maladie  date  de  loin  je  pense,  et  rien  n'est  changé  à 
son  égard;  c'est  nous  qui  avons  changé  en  apprenant  à  reconnaître  ce  qui  pour 
nous,  autrefois,  passait  inaperçu.  «  C'est  l'esprit  en  efi'et  qui  oit  et  qui  voit  », 
et  il  ne  voit  guère  sans  éducation  préalable;  on  le  sait  bien  par  l'histoire  de 
l'ataxie  locomotrice, maladie  ancienne  par  excellence,  sans  aucun  doute, et  qui 
figure  cependant  en  neuropathologie  parmi  les  acquisitions  les  plus  récentes 
à  la  fois  et  les  plus  envahissantes  de  la  clinique  (1). 

I.  Mais  ce  sont  là  des  questions  sur  lesquelles  j'aurai  Toccasion  de  revenir  : 
j'en  viens  actuellement  à  l'examen  de  notre  premier  malade.  Il  offre,  vous 
disais-je,  un  exemple  de  neurasthénie  sans  mélange  d'élément  étranger.  Il  est 

âgé  de  38  ans  et  se  nomme   Le er  —  il  exerce  la  profession  de  maçon.  — 

Dans  son  métier,  il  n'est  pas  tout  à  fait  le  premier  venu  :  c'est  ce  qu'on  appelle 
un  «  tâcheron  ».  Il  travaille  de  ses  mains  sans  doute  mais  il  prend  à  sa  charge 
des  travaux  qu'il  répartit  entre  plusieurs  ouvriers.  Pas  d'antécédents  hérédi- 
taires. Il  y  avait  un  mois  et  demi  qu'il  était  engagé  dans  une  entreprise  dont 
il  espérait  tirer  des  bénéfices  importants  pour  lui,  lorsque  le  30  août,  c'est-à- 
dire  il  y  a  cinq  mois,  en  se  rendant  le  matin  à  son  travail^  il  fut  mordu  assez 
fortement  à  l'avant-bras  droit  par  un  gros  chien  de  garde;  l'émotion,  tout 
d'abord,  parait  n'avoir  pas  été  très  vive,  la  plaie  avait  été  cautérisée  et  bien- 
tôt l'on  avait  appris,  que^,  conduit  à  Alfort  le  chien  avait  été  déclaré  non 
enragé.  Malgré  des  douleurs  assez  vives  qu'il  ressentait  dans  le  bras  droit, 
notre  homme  prenait  patience;  il  espérait  que  la  morsure  serait  promptement 


i .  A  la  Salpêtrière  où,  à  la  vérité,  il  y  a  «  sélection  »,  on  a  compté, soit  à  la  policlinique  soit 
dans  les  salles,  pendant  le  cours  de  l'année  1888,  un  total  de  "Q  hystériques  dont  les  yeux  ont 
été  examinés.  Sur  ce  nombre,  il  y  a  eu  49  femmes  et  30  hommes.  (Compte  rendu  du  service 
ophthalmoscopique  de  M.  le  D'  Parinaud,  pour  l'année  1888,  par  Morax,  externe  du  service  de 
la  clinique).  înArrhlves  de  Neurologie,  1889,  p.  430. 


—  258  — 

cicatrisée  et  qu'il  lui  serait  permis  sous  peu  de  reprendre  ses  occupations. 
Cependant,  dès  cette  époque  voisine  de  l'accident,  ses  nuits  étaient  troublées 
par  des  cauchemars.  Quinze  jours  se  passent  et  voici  que,  contrairement  à  ce 
qu'il  avait  espéré,  sa  plaie  n'est  nullement  cicatrisée,  les  douleurs  sont  encore 
fort  intenses  et  il  s'est  produit  du  gonflement  et  des  abcès.  Tout  espoir  de 
pouvoir  travailler  manuellement  devait  être  écarté  pourlongtemps,  peut-être. 
C'est  alors  que  commencent  à  sévir  les  vives  inquiétudes,  les  impressions 
pénibles. 

Le  malade  perd  l'appétit.  Il  ne  dort  plus  que  d'un  sommeil  agité  par  des 
rêves  pénibles.  Il  voit  en  songe  des  chiens,  des  chats  furieux  qui  font  mine 
de  vouloir  le  mordre;  des  échafaudages  mal  ajustés  sur  lesquels  il  monte  et 
qui  menacent  de  s'écrouler  sous  lui,  etc.,  etc. 

Lui,  autrefois  vit,  courageux,  entreprenant,  il  se  sent  devenu  faible,  mou, 
triste,  sans  énergie;  «  il  se  laisse  aller  »,  comme  il  dit,  etn'aplus  de  volonté. 

Il  ne  peut  même  pas  penser  à  ses  afîaires  sans  que  sa  tête  se  trouble. Enfin, 
au  bout  d'un  mois  la  plaie  et  les  abcès  sont  guéris,  les  douleurs  ont  cessé  et  il 
essaie  de  retourner  à  sa  besogne;  mais  une  grande  faiblesse,  une  lassitude 
extrême  l'obligent  après  quelques  efforts  à  renoncer  à  tout  travail. 

Le  voilà  naturellement  tout  à  fait  désolé,  d'autant  plus  que  le  propriétaire 
du  chien  qui  l'a  mordu  refuse  de  lui  payer  l'indemnité  qui  Jui  est  due  ;  aussi 
tous  les  symptômes  nerveux  qui,  jusque-là,  n'étaient  encore  qu'esquissés, 
empirent-ils  rapidement,  s'attachaat  à  lui  étroitement  et  pour  longtemps. 

Nous  les  retrouvons  en  effet  aujourd'hui,  après  quatre  mois,  tels  qu'ils 
n'ont  pas  cessé  d'exister  depuis  cette  époque  : 

Céphalée  toujours  présente,  ne  s'élevant  jamais  au  taux  d'une  douleur  vive; 
elle  siège  sur  la  région  frontale  et  à  l'occiput  surtout,  mais  s'étend  parfois  au 
crâne  tout  entier  oii  elle  donne  une  sensation  pénible  de  compression  et  de 
poids,  comparable  à  celle  que  produirait  un  casque  lourd  et  trop  étroit  ;  elle 
s'étend  également  à  la  nuque  où  le  malade  a  des  craquements  lorsqu'il 
tourne  la  tête  à  droite  ou  à  gauche.  —  État  vertigineux  habituel,  principale- 
ment dans  la  station  verticale  et  surtout  la  marche  ;  il  lui  semble  que  le  sol 
s'élève  par  moments  puis  s'abaisse  et,  en  marchant,  il  se  dit  obligé  de  regar- 
der ses  pieds  ;  —  affaiblissement  de  la  mémoire  ou,  pour  mieux  dire,  mémoire 
lente  et  difficile  à  mettre  en  œuvre  :  «  ma  tête  est  comme  vide,  dit  le  malade, 
mes  idées  sont  confuses  »,  d'ailleurs  les  moindres  opérations  de  l'esprit  sont 
pénibles,  même  la  lecture,  et  bientôt  suivies  d'une  exaspération  de  la  cépha- 
lée. Il  est  à  remarquer  qu'en  général  la  douleur  de  tête  s'atténue  temporaire- 
ment ainsi  que  les  autres  symptômes  qui  l'accompagnent  pendant  la  période 
qui  suit  immédiatement  les  repas.  —  Idées  sombres,  seutinienl  d'impuissance, 
absence  de  volonté,  émotlvité  excessive,  sommeil  troublé  par  les  rêves  dont  nous 
avons  parlé  déjà  :  tantôt  il  est  poursuivi  par  des  animaux  menaçants,  chiens 
ou  chats,  qui  veulent  le  mordre  ;  tantôt  il  se  voit  poursuivant  l'accomplisse- 


—  259  — 

ment  do  la  U\che  qu'il  a  entreprise,  mais  mille  obstacles  imprévus  se  dressent 
devant  lui  ,les  éclialaudagos  s'écroulent,  les  c'cli  elles  se  brisent;  le  temps  passe  et 
jamais,  à  son  grand  désespoir,  il  n'atteindra  le  but  tant  désiré.  Voilà  pour  les 
symptômes  cépliali(|ues,  les  symptômes  spinaux  ne  sont  pas  moins  accentués. 
Il  y  a  un  affaibliasemenl  remarquable  de  la  force  dijnamoinélrique  :  la   main 
droite  donne  45  seulement  et  la  main  gauche  55  ;  le  malade,  cependant,  n'est 
pas  gaucher.  Il  se  plaint  d'être  tout  de  suite  fatig^ié  lorsqu'il  se  tient  debout 
ou  qu'il  marche;  ses  jambes  sont  très  faibles,  dit-il,  et  il  y  éprouve  des  sensa- 
tions singulières  ;  il  assure  qu'il  ne  sait  pas  nettement   où  posent  ses  pieds. 
Cependant, pasd'analgésie  ou  d'anesthésie  sous  une  forme  quelconque;  pas  de 
douleurs  autres  que  celles  que  provoquent  des  crampes  qui  se  produisent  de 
temps  à  autres  dans  les  cuisses  et  dans  les  mollets  ;  pas  de  troubles  vésicaux. 
Les  réilexes  rotuliens  sont  normaux  et   la   station   debout   n'est   nullement 
affectée  par  l'occlusion  des  yeux.  Je  ne  voudrais  pas  omettre  de  vous  parler 
d'une  sensation  de  pression,  de  constriction  pénible  que  le  malade  éprouve 
d'une  façon  habituelle  sur  toute  l'étendue   de  la  région  du  sacrum  et   qui 
s'exaspère  remarquablement  lorsqu'il  s'est   tenu  debout  quelque  temps  ou 
qu'il  a  fait  quelques  pas.  J'appelle  votre  attention  sur  cette  «  plaque  sacrée  », 
comme  je  l'appelle,   parce  qu'elle  constitue  un  des  caractères  de  la  neuras- 
thésie  spinale  et  qu'elle  peut  contribuer  à  distinguer  celle-ci  des  parésies  ou 
paraplégies  par  lésions  organiques  de  la  moelle   épinière,  qu'elle   pourrait 
simuler.  La  «  plaque  sacrée  »  est,  en  quelque  sorte,  le  pendant  de  la  «  plaque 
occipitale  »  ou  «  cérébelleuse»  ainsi  que  la  désignent  quelquefois  les  malades, 
l'un  des  éléments   les   plus   constants  de   la  céphalée   neurasthénique.   — 
Affaiblissement  des  fonctions  sexuelles,  peu  ou  pas  de  désirs, érections  faibles, 
imparfaites,  aboutissant  à  des  émissions  séminales  prématurées.  Ici,   chez 
notre  sujet,  contrairement  à  ce  qui  a  lieu  dans  la  majorité  des    cas  du  même 
genre,  les  troubles  digestifs  font  à  peu  près  complètement  défaut  :  pas  de  dys- 
pepsie flatulente  avec  rougeur  de  la  face;  pas  de  sentiment  de  malaise  et  de 
brisement  des  membres  ;  pas  de  somnolence  survenant  après  les  repas,  ce  qui 
montre  bien,  soit  dit  en  passant,  que  ces  troubles  gastriques  ne  sont  pas  né- 
cessaires à  la  constitution  du  syndrome  neurasthénique.   D'ailleurs,  aucune 
association  de  symptômes  hystériques  ;  rien  qui  rappelle  les  attaques  ou  leurs 
équivalents  ;  pas  de   troubles  permanents  de  la  sensibilité  générale  ou  spé- 
ciale, pas  de  rétrécissement  du  champ  visuel  en  particulier.  Notre  cas  d'au- 
jourd'hui est  donc  en  réalité,  ainsi  ({ue  nous  l'avons  dit  en  commençant,  un 
exemple  de  neurasthénie  cérébro-spinale  pure, exempte  de  toute  complication. 
Il  reproduit  exactement  en  effet,  dans  ses  traits  fondamentaux  du  moins,  le 
tableau  classique  que  le  regretté  Beard  de  New-York  a  eu  le  grand  mérite  de 
dégager  du  chaos  de  l'ancien  «  nervosisme»   et  qu'il  a  fait  pénétrer  dans  le 
cadre  de  la  clinique  neuropathologique  où  il  occupe  actuellement  une   large 
place  légitimement  conquise. 


—  260  — 

Le  complexus  symptomatique  en  question  répond  assurément  à  une  espèce 
morbide  dont  la  fixité  nosographique  ne  saurait  être  sérieusement  contestée, 
puisqu'on  la  voit  conserver  son  individualité  dans  les  circonstances  très  va- 
riées où  elle  peut  se  développer.  Ainsi,  ce  même  état  neurasthénique  que  nous 
avons  vu  s'installer  chez  notre  homme  sans  culture,  à  la  suite  des  événe- 
ments que  vous  savez,  vous  le  retrouverez  revêtu  de  ses  caractères  essentiels, 
dans  les  conditions  bien  différentes,  en  apparence, du  surmenage  intellectuel, 
chez  les  écoliers,  par  exemple  à  partir  de  l'âge  de  15  à  16  ans,  époque  à 
laquelle  l'élève  commence  à  pouvoir,  par  un  effort  de  volonté,  contraindre 
son  cerveau  à  un  excès  de  travail  (1)  ;  chez  les  étudiants  qui  affrontent  les 
concours,  chez  les  savants,  les  gens  de  lettres  au  labeur  acharné,  chez  les  poli- 
ticiens, les  hommes  d'affaires  qu'écrasent  de  lourdes  responsabilités  et  qui 
vivent  incessamment  bourrelés  d'inquiétudes. 

Dans  les  cas  qui  viennent  d'être  cités  les  facteurs  étiologiques  appartien- 
nent à  la  catégorie  des  actions  lentes  ;  mais  il  importe  de  remarquer  que  les 
causes  à  action  brusque,  telles  qu'on  les  rencontre  dans  les  grands  accidents, 
chute  d'un  lieu  élevé;,  collisions  de  trains,  avec  ou  sans  traumatisme  (2),  en 
tint  qu'elles  sont  de  nature  à  provoquer  ce  que  l'on  est  convenu  d'appeler  le 
shock  nerveux,  pourront,  à  courte  échéance,  produire  les  mêmes  résultats. 
Eh  bien,  je  le  répète  encore  une  fois,  malgré  ces  diversités  d'origine,  malgré 
ces  différences  relatives  au  sujet,  le  type  morbide,  à  part  quelques  modifica- 
tions d'ordre  secondaire, reste  à  peu  près  immuable:  c'est  ce  que  nous  aurons 


1.  M.  Charcot  a  fait  remarquer,  depuis  longtemps  déjà,  que  l'écolier  au-dessous  de  cet  âge, 
se  soustrait  généralement,  en  restant  passif,  h  toute  tentative  de  surmenage  intellectuel. 
M.  Galton  dans  ses  Recherches  sur  la  fat'u/ue  mentale  (Revue  scientifique  n°.  4.  26  janvier 
1889)  est  arrivé  au  même  résultat. 

2.  M.  Charcot  a  recueilli  ces  jours-ci  un  assez  bel  exemple  de  neurasthénie  cérébro-spinale 
sans  mélange  d'hystérie,  survenu  chez  une  dame  américaine  à  la  suite  d'un  accident  de  voi- 
ture; voici  l'abrégé  de  cette  observation  :  Madame  X...  habitant  Washington,  a  été,  il  y  a  deux 
ans,  renversée  du  haut  dun  «  mail  coach  ».  Elle  est  tombée  à  terre  sur  le  gazon,  sans  se  faire 
grand  mal  :  elle  n'a  pas  perdu  connaissance  un  seul  instant  et  elle  n"a  eu  d'autre  blessure 
qu'une  bosse  sanguine,  siégeant  à  la  région  lombaire  ;  la  doulem"  produite  par  cette  contusion 
a  nécessité  le  séjour  au  lit  seulement  pendant  quelques  jours;  mais,  lorsqu'il  s'est  agi  de  se 
lever,  les  symptômes  de  la  neurasthénie  cérébro-spinale  étaient  déjà  fort  accentués  :  céphalée 
neurasthénique,  à  savoir  plaque  cérébelleuse  et  plaque  frontale.  —  Tôle  vide,  mémoire  lente, 
impossibilité  de  fixer  l'attention  d'une  faron  un  peu  soutenue,  —  vertiges.  La  malade  ne 
peut  fréquenter  le  monde;  le  moindre  bruit,  la  lumière  un  peu  vive  ramènent  les  vertiges  et 
exaspèrent  la  céphalée.  —  Dyspepsie  atonique,  gonflement  de  l'estomac  après  les  repas  avec  rou- 
geur de  la  face  et  sentiment  de  torpeur.  —  Neurasthénie  spinale  marquée  par  un  sentiment  de 
faiblesse  dans  les  membres  inférieurs  et  l'existence  de  la  «  plaque  sacrée  »  ;  à  peine  la  malade 
peut-elle  faire  quelque  pas  sans  voir  s'exaspérer  le  sentiment  pénible  de  pression  qui  occupe 
la  région  du  sacrum  —  Aucun  phénomène  hystérique.  Sa  santé,  a\anl  l'accident,  était  parfaite 
à  tous  égards  ;  pas  d'antécédents  nerveux  personnels.  On  n'a  pu  recueillir  de  renseignements 
concernant  les  antécédents  de  famille. 


—  261  — 

l'occasion  de  relever  plus  d'une  fois  en  étudiant  les  faits  cliniques  qu'il  nous 
reste  à  examiner. 

Que  dire  dp.  notre  malade  au  pcjint  de  vue  du  pronostic  ? 

Certainement  le  cas  est  sérieux.  Il  y  a  cinq  mois  déjà  que  cela  dure  et  rien 
ne  fait  prévoir  encore  que  nous  soyions  près  de  la  fin.  Il  est  remarquable  que 
chez  les  sujets  rustiques  des  classes  ouvrières,  les  afflictions  nerveuses  sans 
«substratum»  organique,  la  neurasthénie,  l'hystérie  par  exemple,  se  montrent 
généralement,  toutes  choses  égales  d'ailleurs,  plus  graves  et  plus  tenaces  que 
chez  les  sujets  plus  délicats,  plus  impressionnables  des  classes  lettrées;  toute- 
fois, dans  le  cas  actuel,  il  ne  faut  désespérer  de  rien.  Sous  l'influence  du  trai- 
tement mis  en  œuvre,  depuis  l'entrée  du  malade  à  la  Salpêtrière,  et  qui  a  con- 
sisté principalement  dans  l'administration  des  douches  et  l'emploi  des 
toniques,  il  s'est  produit  un  peu  d'amélioration  sur  toute  la  ligne.  Ces  résultats 
sont  encourageants;  mais  nous  sommes  encore  bien  loin  du  but  qu'il  nous 
faudrait  atteindre  pour  que  notre  pauvre  «  tâcheron  >^  pût  aller  reprendre  ses 
travaux. 


II. —  Le  second  cas  du  groupe  est  relatif  à  un  nommé  Grefr...,àgé  de  31  ans, 
exerçant  la  profession  de  boulanger  ;  c'est  un  homme  d'apparence  vigoureuse. 
Il  gagne  environ  7  francs  par  jour.  Il  a  été  soldat  et  a  fait  la  campagne  de 
Tunisie  où  il  a  été  blessé.  Peut-être  y  a-t-il  ou  autrefois,  chez  lui  un  peu 
d'abus  alcooliques  ;  mais  ce  vice  n'existe  plus  depuis  longtemps. 

Contrairement  à  ce  qui  avait  lieu  chez  le  malade  précédent,  l'hérédité  ner- 
veuse ne  fait  pas  défaut  chez  celui-ci  : 


COTE  PATERNEL 


COTÉ  MATERNEL 


TANTE 

Aliénée  ;  dipso- 
mane;  s'est  suicidée 
en  se  jetant  par  la 
fenêtre. 


AUTRE  TANTK  PÈRE  MÈRE  TANTE 

Dipsomatie.  Aucune  maladie      Aucune  maladie      Aliénée    mélan- 

nerveuse.  nerveuse.  colique 


Le  FRÈRE  du  malade  est  sujet  à 
des  attaques  qualifiées  d'hystériques  ; 
il  avait,  jusqu'à  l'âge  do  14  ans,  été 
sujet  à  de  violentes  colères. 


On  voit  que  le  tableau  d'hérédité  nerveuse  est  ici  passablement  chargé.  Lui 
n'avait  jamais  été  malade,  lorsqu'il  fut  atteint,  en  novembre  1887,  d'une  pleu- 
résie gauche  qui  nécessita  trois  ponctions. 

Il  est  sorti  de  là  pas   mal  affaibli  ;  cependant  il  avait  pu  depuis  plusieurs 
mois,  reprendre  son  travail,  et  tout  allait  bien,  lorsqu'il  lui   vint  à  l'idée,  le 


—  262  — 

16  octobre  1888,  c'est-à-dire  il  y  a  quatre  mois,  d'aller  avec  des  amis,  faire  sur 
la  Marne,  aux  environs  deMeaux,une  partie  de  pêche  «àl'épérvier».  L'épervier 
est,  vous  le  savez  peut-être,  un  grand  filet  en  forme  d'entonnoir  dont  Torifice 
très  large  est  garni  de  balles  de  plomb.  C'est,  on  le  conçoit,  un  engin  fort 
lourd,  fort  difficile  à  manier  ;  le  pêcheur  le  porte  replié  sur  son  épaule  gauche 
et  il  doit  le  lancer  à  l'eau  de  la  main  droite  en  le  déployant  en  éventail.  Or, 
au  moment  où,  placé  à  l'extrémité  du  bateau,  Greff...  se  préparait  à  exécuter  le 
programme,  il  fut,  en  conséquence  d'une  fausse  manœuvre,  jeté  à  feau.  Por- 
tant toujours  son  lourd  fardeau,  et  le  membre  inférieur  embarrassé  dans  la 
longue  corde  qui  sert  à  tirer  le  filet  de  l'eau,  il  était  gravement  menacé  de  se 
noyer,  bien  qu'il  soit  bon  nageur,  lorsqu'enfin,  après  quelques  minutes 
d'angoisses,  il  fut  repêché  et  ramené  sur  le  bateau.  A  ce  moment-là,  il  perdit 
connaissance  et  lorsqu'il  reprit  ses  sens,  il  se  trouva  couché  à  Meaux  chez  un 
ami.  Il  s'était  passé  environ  trois  quarts  d'heures,  il  resta  là^  au  lit,  pendant 
une  huitaine  de  jours,  et  durant  cette  période,  une  conjonctivite  de  l'œil 
gauche  et  une  certaine  douleur  siégeant  à  la  face  interne  de  la  cuisse  du 
même  côté  ont  été  les  seuls  symptômes  dont  il  ait  souffert. 

Au  bout  de  ce  temps,  il  a  repris  son  travail,  mais  trois  jours  à  peine 
s'étaient  passés  lorsque  la  conjonctivite  gauche  qui  s'était  amendée  reprit 
comme  de  plus  belle  et  en  même  temps  la  paupière  de  ce  même  côté  se  ferma: 
le  malade  ne  pouvait  plus  F  ouvrir  sans  f  aide  d'un  de  ses  doigts  et  il  remarqua 
qu'elle  était  animée  de  mouvements  vibratoires.  Il  s'agissait  donc  là  dun 
blépharospasme.  Peu  après,  la  bouche  s'était  fortement  déviée  vers  la  droite, 
et  lorsque  la  langue  était  tirée,  elle  se  portait  de  ce  même  côté  droit  (spasme 
glosso-labié).  Enfin,  dix-sept  jours  environ  après  l'accident,  se  manifesta  une 
parésie  du  membre  supérieur  gauche  ainsi  qu'une  faiblesse  avec  crampes 
douloureuses  du  membre  inférieur  correspondant.  Tels  furent  les  premiers 
accidents  nerveux  qui  ouvrirent  la  scène.  Quelques  jours  plus  tard,  le  tableau 
clinique  était  constaté  tel  que  nous  pouvons  l'étudier  aujourd'hui,  trois  mois 
environ  après  le  début  de  la  période  d'état. 

Ainsi  que  nous  f  avons  annoncé,  les  symptômes  observés  chez  notre  malade 
peuvent  être  ramenés,  les  uns  à  l'hystérie,  les  autres  à  la  neurasthénie. 

Nous  commencerons  par  les  premiers  c'est-à-dire  par  les  symptômes  rele- 
vant de  V hystérie. 

Le  blépharospasme  et  le  spasme  glosso-labié  de  la  période  préparatoire  ont 
actuellement  complètement  disparu  ;  Il  n'existe  plus  aucune  anomalie  du  côté 
de  la  face.  Par  contre,  l'hémiplégie  gauche  s'est  accentuée  au  membre  supé- 
rieur où  elle  était  restée  fort  incomplète;  la  pression  dynamométrique  de  la 
main  gauche  donne  en  effet  21.  Le  malade  se  plaint  plutôt  de  douleurs  que  de 
faiblesses  dans  son  membre  inférieur  gauche.  En  le  déplaçant  pour  marcher, 
il  ne  le  traîne  pas  après  lui  comme  cela  a  lieu  si  habituellement  dans  l'hémi- 
plégie hystérique,  il  le  porte  au  contraire   tout  d'une   pièce  en  avant   et  en 


—  ^0:}  — 


dehors,  de  façon  à  éviter  autant  que  [)ossiblo  le  tiraillement  des  parties 
molles  de  la  face  interne  de  la  cuisse  où  existe  une  large  plaque  d'hyperes- 
thésie  cutanée  et  profonde  (Voir  le  schéma).  Au  niveau  de  <:ette  plaque,  une 


(X- 


^      /---_..] 


/ 


Fig.  54.  —  a.  Anesthésic. 

h.  Hyperesthésie. 


Fig.  55.  —  a.  Anesthésic. 

b.  Hyperesthésie. 


pression  exercée  sur  la  partie  inférieure  des  muscles  demi-membraneux, 
de-mitendineux, couturier  et  droit  interne  est  douloureuse.  Vous  remarquerez 
que  cette  plaque  hypéresthésique  paraît  répondre  i\  la  partie  du  membre  qui 
a  été,  pendant  la  submersion,  comprimée  par  la  corde  de  l'épervicr. 

Hémianesthésie gauche  sensitive  absolue,  interrompue  seulement  sur  la  face 
antérieure  et  interne  de  la  cuisse,  sur  la  face  interne  et  antérieure  de  la 
jambe,  sur  toute  l'étendue  du  pied. 

36 


—  264  — 

Sur  ces  deux  dernières  régions,  la  sensibilité  est  normale;  sur  la  première, 
il  y  a,  comme  on  Ta  dit^  hyperesthésie  cutanée  et  profonde.  En  arrière,  une 


Fig.  56.  —  Champ  visuel  normal. 

Examen  du  8  janvier  1889. 

G 


Amaupose. 


Examen  du  22  janvier  1889. 
Fig.  57.  —  Champ  visuel  de  l'œil  gauche.  Celui  do  l'œil  droit  est  normal. 


plaque  hyperesthésique  occupe  la  partie  inférieure  de  la  cuisse  gauche,  au- 
dessus  du  creux  du  jarret. 
Goût  aboli  sur  toute  l'étendue  de  la  langue  ;   odorat  aboli  à  gauche.  Un 


—  265  — 

examen  du  champ  visuel  pratiqué  le  8  janvier  1880  fait  reconnaître  l'existence 
d'une  amaurose  complète  sans  It-sion  oi'ganifpie  à  gauche,  le  champ  visuel  du 
côté  droit  étant  normal.  Quatorze  jours  a[)rès^  un  second  examen  donne  ce 
qui  suit  :  rétrécissement  très  prononcé  à  gauche  ;  à  droite,  champ  visuel 
normal.  Dyschromatopsie  complète  à  gauche  etpolyopie  monoculaire. 

Ni  attaciues  nic'(jnivalents  d'attaques.  Il  n'existe  pas  de  points  hystérogènes. 

Les  révcs  dont  le  malade  est  tourmenté  la  nuit  pendant  son  someil  méri- 
tent une  mention  spéciale.  Il  assiste  à  des  scènes  funèbres,  un  corbillard 
passe  devant  lui  ;  il  porte  en  terre  une  de  ses  tantes  qu'il  avu  mourir.  D'autres 
fois,  ce  sont  des  animaux  étranges  qui  marchent  en  séries.  Interrogé  à 
l'improviste  sur  la  question  de  savoir  si  les  images  qui  passent  devant  ses 
yeux  afïectent  de  procéder  toujours  dans  la  même  direction,  il  a  répondu 
sans  hésiter  :  «  Oui  :  le  corbillard  et  les  animaux  viennent  toujours  du  côté 
gauche,  se  dirigeant  de  gauche  à  droite.  >  Or,  le  côté  gauche  est  celui  où 
siègent  l'anesthésie  cutanée  ainsi  que  le  rétrécissement  du  champ  visuel. 
Nous  aurons  l'occasion  de  revenir  bientôt  sur  cette  circonstance  et  de  la 
mettre  en  valeur. 

Symptômes  relevant  de  Vétat  neurasthénique.  —  Ils  sont  tout  aussi  accentués 
que  les  précédents  et  ont,  en  quelque  sorte,  procédé  du  même  pas.  Cependant 
la  céphalée  remonte  peut-être  aux  premiers  jours  qui  ont  suivi  l'accident, 
seulement  elle  s'est  fort  aggravée  par  la  suite.  Elle  se  présente  d'ailleurs  avec 
les  caractères  classiques  que  vous  lui  connaissez  et  consiste  surtout  en  un 
sentiment  de  compression  s'exerçant  à  la  fois  sur  l'occiput  et  sur  la  région 
frontale  ;  elle  est  constante^  permanente,  et  s'exaspère  sous  l'influence  des 
moindres  efforts  que  fait  le  malade  pour  mettre  son  intelligence  en  jeu. 
Grande  torpeur  cérébrale  :  sa  mémoire  s'est  affaiblie,  surtout  pour  les  choses 
récentes,  mais^  même  pour  se  souvenir  des  choses  anciennes,  il  est  obligé 
de  faire  un  grand  effort  ;  manque  de  courage  absolu  ;  idées  tristes,  impos- 
sibilité de  concentrer  ses  idées.  Il  se  sent  toujours  fatigué,  il  se  couche  tou- 
jours vers  8  heures  du  soir  et  se  lève  très  tard.  Tandis  que  la  main  gauche 
paralysée  donne  au  dynamomètre  21  la  droite  donne  55.  Dyspepsie  flatulenle. 

Il  est  intéressant  dans  ce  cas  de  voir  un  homme  vigoureux,  mais  à  la  vérité 
prédisposé  par  hérédité  aux  affections  nerveuses,  et,  en  outre,  affaibli  par  une 
maladie  antérieure,  devenir,  quelques  jours  après  un  accident  qui  l'a,  on  le 
conçoit,  profondément  ébranlé,  à  la  fois  neurasthénique  et  hystérique. 

m. — Le  dernier  malade  que  nous  examinerons  aujourd'hui  est  un  homme  âgé 
de  48  ans,  nommé  L«?.f...cque^  exerçant  depuis  l'âge  de  17 ans  la  profession 
de  plombier.  11  est  né  en  Bretagne  et  jamais  il  n'a  appris  à  lire. 

Pas  d'antécédents  héréditaires  à  noter,  bien  que  ses  parents  lui  soient  connus. 

Il  a  servi  comme  soldat  au  Mexique,  puis  en  Algérie  ;  en  1870  il  a  été  blessé 
àGravelotte. 


—  266   - 

De  dix-huit  à  quarante-cinq  ans  il  a  eu  cinq  fois  des  coliques  de  plomb. 

Depuis  trois  ans  il  n'a  éprouvé  aucun  accident  de  ce  genre.  Pas  de  liseré 
saturnin. 

En  1884  il  aurait  eu  des  vomissements  noirs  et  aurait  été  traité  pendant 
quelques  mois  pour  un  «  ulcère  de  Testomac». 

La  maladie  actuelle  a  débuté  il  y  a  deux  mois  sans  cause  occasionnelle 
appréciable. 

Rien  n'avait  été  changé  dans  l'existence  de  Laf...cquc.  11  n'est  pas  marié  ;  il 
gagne  sept  francs  par  jour  et  se  nourrit  bien  ;  il  n'a  pas  eu,  dans  ces  derniers 
temps,  de  chagrins,  d'émotions  ;  il  n'a  pas  fait  la  noce,  et  il  n'a  été  victime 
d'aucun  accident.  Il  paraît  d'ailleurs  qu'il  est  plutôt  impassible,  apathique  si 
vous  voulez,  et  il  ne  sait  pas  trop  ce  qui  pourrait  l'émouvoir. 

En  un  mot,  à  part  l'intoxication  saturnine  passée,  dont  il  ne  porte  actuelle- 
ment aucune  trace,  nous  ne  trouvons  rien  dans  son  histoire  qu'on  puisse 
invoquer  pour  expliquer  l'apparition  des  symptômes  que  nous  allons  étudier. 

Le  début  s'est  opéré  progressivement,  d'une  façon  fort  singulière  et  bien 
propre, dans  les  })remiers  temps,  à  dépister  le  clinicien  en  lui  faisant  redouter 
le  développement  d'une  lésion  organique  cérébrale  : 

C'était  à  la  fin  de  novembre  dernier.  Pendant  la  matinée  Laf...cque  était 
obsédé  par  la  vision  d'une  lumière  de  la  grosseur  du  poing  (  ?)  dit-il,  qui  se 
plaçait  devant  l'œil  gauche.  Il  avait  de  la  diplopie  ;  les  barreaux  de  son 
échelle  lui  paraissaient  doubles.  Était-ce  déjà  la  diplopie  monuculaire  qu'il 
présente  actuellement?  L'après-midi,  la  vision  des  lumières  disparaissait, 
mais  alors  survenait  un  nuage  noir  qui  se  plaçait  devant  l'œil  gauche. 
C'est  de  cette  époque  que  date  la  céphalée  dont  il  se  plaint  continuellement. 
Les  troubles  oculaires  ont  diminué  ou  du  moins  la  gêne  qu'ils  produisaient 
a  disparu  au  bout  d'une  huitaine.  Mais  alors  des  troubles  du  côté  de  la  langue 
se  sont  manifestés. 

Il  y  avait  une  certaine  difficulté  à  articuler  les  mots  ;  en  même  temps  le 
malade  s'aperçoit  qu'il  a  perdu  le  goût.  «  Les  aliments  ne  sentent  plus  rien  ; 
il  lui  semble  qu'il  mange  de  la  terre.  » 

Les  troubles  de  l'articulation  ont  disparu  au  bout  d'une  huitaine,  mais  de 
cette  époque  date  une  grande  difficulté  qu'il  a  de  tirer  la  langue  en  dehors  de 
la  bouche,  difficulté  qui  existe  encore  actuellement.  11  parait  que  cet  organe 
n'a  pas  été  dévié  soit  à  droite  soit  à  gauche. 

Au  commencement  de  décembre,  L commence  à  éprouver  un  certain 

degré  de  faiblesse  dans  le  membre  supérieur  gauche  ;  la  main  de  ce  côté  ne 
pouvait  plus  tenir  les  outils  ;  en  même  temps,  il  y  avait  par  instants  des  four- 
millements dans  ce  membre  ;  un  jour,  il  s'est  aperçu  qu'il  était  insensible,  en 
voyant  sa  main  couverte  du  sang  d'une  blessure  qu'il  s'était  faite  à  un  clou 
sîuis  en  rien  sentir. 

Quelques  jours  après,  la  faiblesse  s'est  étendue  au  membre  inférieur  gauche 


—  267  — 

([iii  l)iontôt   ne  le  porte   qu'avec  difficulté.    L'hémipb'gie  a  été  progressive, 
connue  on  voit;  (;lie  a  mis  six  semaines  environ  à  se  développer. 

Le  malade  entre  à  la  Salpêtrière  le  19  décembre  1888,  deux  mois  environ 


Fis.  58  et  59. 


après  le  début  des  accidents.  Voici  l'indication  des  principaux  faits  relatifs  à 
Tétat  actuel  :  hémiplégie  gauche  hystérique  avec  flaccidité  typi([ue  ;  aucune 
participation  de  la  face,  le  membre  supérieur  gauche  pend  inerte  ;  la  main  de 
ce  côté  donne  à  peine  3  ou  4  kilog.  au  dynamomètre;  insensibilité  superficielle 
et  profonde  de  ce  membre,  perte  des  notions  du  sens  musculaire.  Même  par- 
ticularité pour  le  membre  inférieur,  en  ce  qui  concerne  l'insensibilité. 


—  268  — 

Le  malade  peut  se  tenir  debout  et  marcher,  mais  il  traine  après  lui,  en 
marchant,  son  pied  sur  le  soàl  la  manière  d'un  corps  inerte  (signe  de  Todd)  ; 
réflexe  rotulien  très  faible  de  ce  côté,  normal  à  droite. 

Hémianesthésie  gauche  totale  (douleur,  température,  contact). Hémianes- 
thésie  sensorielle.  Ouïe:  surdité  complète  à  gauche  (?)  ;  odorat  aff'aibli  à 
gauche,    goût    aboli    des   deux    côtés  ;    rétrécissement    du    champ    visuel 


ao  Exl 


Fig.  60.  —  Champ  visuel  de  l'œil  gauche. 


beaucoup  plus  marqué  à  gauche  ;  dyschromatopsie  pour  le  violet  ;  aneslhésie 
de  lacornée  etdiplopie  monoculaire  à  gauche.  Il  ouvre  facilementla  bouche  ; 
mais  il  tire  très  difficilement  et  incomplètement  la  langue  qui  paraît  contrac- 
turée  ;  celle-ci  n'est  déviée  nia  droite  ni  à  gauche,  mais  la  pointe  dépasse 
les  arcades  dentaires  à  peine  de  un  centimètre  et  demi.  La  déglutition,  de 
ce  fait,  est  aussi  un  peu  gênée. 

Pas  de  points  hystérogènes  :  anesthésie  testiculaire  gauche  tandis  qu'à  droite 
la  sensibilité  de  cet  organe  est  normale. 

Depuis  le  début  de  la  maladie  actuelle,  le  sommeil  est  fort  écourté  ;  il  dure 
à  peine  trois  ou  quatre  heures  par  nuit  et  il  est  entrecoupé  de  rêves  et  de 
cauchemars. 

Les  rêves  sont  surtout  professionnels  ;  il  se  voit  sur  un  (oit  occupé  à  placer 
des  corniches  et  des  gouttières  et  parfois,  croyant  tomber,  il  se  réveille  en 
sursaut  ou  bien  il  croit  travailler  dans  un  puits  et  il  lai  semble  tomber  au 
fond. 

Il  rêve  aussi  fort  souvent  d'animaux  :  il  voit  surtout  des  couleuvres,  des  cra- 


_  269  — 

pauds  ;  ces  animaux  lui  paraissent  avoir  leur  couleur  et  leur  grosseur  natu- 
relle. Quelquefois,  il  les  voit  encore  un  instant  après  être  réveillé.  Il  affirme 
que  ces  images,  soit  pendant  le  sommeil,  soit  après  le  réveil,  sont  toujours 
placées^  par  rapport  à  lui,  du  c6té  gauche,  et  qu'elles  se  meuvent  de  gauche  à 
droite,  reproduisant  ainsi  le  phénomène  que  nous  avons  signalé  à  propos  de 
la  précédente  observation. 

Il  n'y  a  pas  à  proprement  parler  d'attaques,  mais  bien  des  équivalents  d'at- 
taques :  la  nuit,  dans  son  sommeil^,  souvent  il  étoufïe,  c'est  comme  un  poids 
qu'il  aurait  sur  le  ventre  et  qui  remonterait  vers  le  creux  épigastrique.  Pen- 
dant le  jour,  il  a,  par  moments,  une  sensation  de  boule  remontant  de  la  fosse 
iliaque  gauche  vers  le  creux  épigastrique. 

Les  phénomènes  neurasthéniques  se  sont  manifestés  dès  l'origine  et  ont 
marché  parallèlement  aux  symptômes  hystériques  :  céphalée  spéciale  ; 
craquement  dans  le  cou  ;  confusion  des  idées  ;  mémoire  affaiblie  ;  abattement, 
découragement  ;  la  physionomie  exprime  la  prostration. 

Rien  n'est  plus  frappant  que  l'aspect  et  Tallure  de  cet  homme.  Il  parait, 
passez-moi  le  terme,  «  complètement  ahuri  et  abruti»  ;  le  dynamomètre  donne 
de  58  à  60  k.  seulement. 

Nous  aurons  l'occasion  de  revenir  sur  les  cas  qui  viennent  d'être  exposés, 
dans  la  prochaine  leçon. 


IMl'.  NCIZETlli,   8,  BUI-:  CAMl'ACiNE-rREMIl  KK,   PARIS. 


I 


Policlinique  du  Mardi  5  Février  1889 


TREIZIEME  LEÇON 

l^*"  Malade.  —  Encore  une  dormeuse.  —  Réveil  produit 
par  la  compression  exercée  sur   la    région  ovarienne. 

2°  Malade.  —  Contracture  hystéro-traumatique  chez  une 
tabétique. 

3®  et  4*^  Malades.  —  Deux  cas  d'hystéro-neurasthénie  chaz 
rhomme  faisant  suite  aux  cas  3^  et  V  de  la  précédente 
leçon.  —  A  ce  propos  considérations  générales  sur 
rhystéro-neurasthénie  développée  chez  les  individus  de 
la  classe  ouvrière. 


1'^  Malade 


Une  jeune  fille  paraissant  plongée  dans  un  profond  sommeil  est  amenée 
dans  la  salle  du  cours  sur  un  brancard, 

Messieurs^ 

Je  vous  ai  présenté  dans  la  leçon  du  13  novembre  dernier^  vous  ne  l'avez 
peut-être  pas  oublié,  la  nommée  Hel...n,  bien  connue  dans  l'hospice  comme 
«  dormeuse  »  et  qui  offrait,  justement  au  moment  où  je  vous  lai  montrée, 
un  bel  exemple  d'attaque  de  sommeil  hystérique.  Je  viens  de  faire  placer 
sous  vos  yeux  un  nouvel  exemple  du  genre.  Notre  malade  d'aujourd'hui  est 
beaucoup  plus  jeune  que  ne  l'était  l'autre  ;  elle  a  16  ans  à  peine  et  c'est  pour 
la  seconde  fois  seulement  qu'elle  dort.  Le  sujet  du  mois  de  novembre  est  au 
contraire  âgée  de  53  ans,  et  elle  est  fort  coutumière  du  fait  de  «  dormir  >  car 
depuistreizeans,elle n'a guèremanqué d'être  atteinte  au  moins  une  fois  chaque 

37 


272 


année,  de  son  attaque  de  sommeil.  A  part  ces  circonstances,  les  deux  cas  sont 
vous  allez  le  reconnaître,  parfaitement  assimilables,  superposables  même  si 
vous  l'aimez  mieux  ;  aussi,  dans  l'exposé  qui  va  suivre  trouverons-nous  l'occa- 
sion de  relever  une  fois  de  plus,  que  le  déterminisme  règne  dans  les  choses 
de  l'hystérie  comme  partout  ailleurs  en  pathologie. 

Je  vous  dirai  tout  d'abord  quelques  mots  concernant  les  antécédants  de 
notre  jeune  «  dormeuse  ».  La  famille  de  son  père  n'est  pas  connue  ;  son  père 
est  mort  «  de  la  poitrine  ».  Sa  mère  n'a  jamais  été  malade  mais  il  y  a  eu  un 
oncle  maternel,  exerçant  la  profession  de  marchand  de  vins  qui  était  «  épilep- 
tique  », —  sa  sœur  actuellement  bien  portante  a  été  atteinte  de  chorée  vul- 


gaii'e 


à  l'âge    de  10  ans.  L'élément  névropathique,  vous  le  voyez,  ne  fait  pas 


défaut  dans  la  famille. 

Chez  notre  malade  les  premiers  accidents  nerveux  de  quelque  importance  se 
sont  montrés  il  y  a  environ  trois  mois.  Elle  avait  grandi  considérablement 
dans  l'espace  de  quelques  mois  et  s'était  énormément  amaigrie  ;  les  règles  en 
même  temps  étaient  devenues  fort  irrégulières.  Vers  le  milieu  de  novembre 
dernier  surviennent  des  vomissements  très  souvent  répétés  et  se  montrant, 
tantôt  spontanément,  c'est-à-dire  sans  causes  appréciables,  tantôt  à  l'occasion 


D 


G 


i-Xl.  91 


0   Nas   901 


Fig.  61 


des  tentatives  d'alimentation.  Dans  ce  dernier  cas,  ils  se  manifestent  presque 
aussitôt  après  l'ingestion  des  aliments.  Il  semble  que  l'arrivée  de  ceux-ci  dans 
l'estomac  provoque  immédiatement  un  réflexe  qui  aboutit  à  une  régurgitation 
alimentaire  ;  et  il  esta  remarquer,  car  c'est  là  un  caractère  clinique  important 
que  cette  régurgitation  se  fait  sans  nausées,  sans  douleurs,  à  peu  près  sans 


—  57:i  — 

malaises.  Pendant  les  deux  mois  environ  que  ces  vomissements  ont  été 
observés  dans  le  service  de  la  clinique  (du  15  décembre  au  17  janvier)  on  a 
plusieurs  fois  trouvé  de  l'urée  dans  les  matières  vomies  et  l'on  a  noté  que  la 
(quantité  d'urine  rendue  en  vingt-quatre  heures  restait  généralement  au  dessus 
de  500  grammes. 

A  partir  du  17  janvier,  les  vomissements  diminuent  de  fréquence  et  d'inten- 
sité :  la  malade  mange  avec  un  certain  appétit,  mais  par  contre  on  voit  ap- 
paraître une  série  d'attaques  hystéro-épileptiques  jiarfaitement  caractérisées 
qui  semblent  en  tenir  la  place.  La  recherche  des  stigmates  avait  déjà  fait 
reconnaître  d'ailleurs  l'existence  d'une  hémianalgésie  sensitive  et  sensorielle 
gauche,  avec  rétrécissement  double  du  champ  visuel  à  50  et  ovarie  à  gau- 
che. 

Le  23  janvier,  dans  la  matinée,  survient  la  première  attaque  de  sommeil  ;  le 
réveil  a  eu  lieu  le  25  au  soir,  c'est-à-dire  presque  trois  jours  après.  Il  a  été 
marqué  par  le  développement  d'une  attaque  classique  de  grande  hystérie.  Une 
pesée  faite  le  23  même,  précisément  quelques  instant  avant  que  la  malade  ne 
s'endormit  avait  donné  37  k.  700;  une  autre  pesée  faite  après  le  réveil  a 
donné  36  k.650;  différence  :  650  grammes,  ce  qui  donne  en  moyenne  une 
diminution  de  poids  du  corps  de  220  grammes  par  jour.  Pendant  ces  trois  jours 
la  température  rectale  moyenne  a  été  de  37,4. 

Antérieurement,  durantla  période  des  vomissements  incoercibles  les  pesées 
avaient  donné  les  résultats  suivants  :  le  17  décembre  1888,  41  k.  200,  le  30  dé- 
cembre 38,100,  le  17  janvier  1889,  36,550.  On  sait  qu'à  partir  de  cette  der- 
nière date  les  vomissements  sont  devenus  moins  intenses  et  plus  rares,  en 
même  temps  que  la  malade  a  commencé  à  manger  avec  appétit  ;  cela  expli- 
que le  chiflre  37,700  observé  le  23  janvier  jour  où  commença  l'attaque  de 
sommeil. 

Les  jours  qui  suivent  l'attaque,  la  malade  ne  vomit  presque  plus  et  elle  con- 
tinue à  bien  manger  ;  le  31  janvier  son  poids  avait  atteint  le  chiffre 
de  38  kilos. 

C'est  ce  jour  là  même,  le  matin  à  9  heures,  c'est-à-dire  il  y  a  juste 
cinq  jours  que  s'est  déclarée  la  seconde  attaque,  celle  dont  j'ai  tenu  à  vous  ren- 
dre témoins  aujourd'hui.  J'aurais  pu  naturellement,  dès  le  début  de  la  crise, 
craindre  à  chaque  instant  de  voir  la  malade  se  réveiller,  et  de  me  trouver  par 
là  privé  du  plaisir  de  vous  démontrer  sur  nature  les  détails  d'un  cas  assez 
rare  en  somme  et  toujours  intéressant,  si  je  n'avais  été  rassuré  par  la  circons- 
tance que  voici  :  MM.  Gilles  de  la  Tourette  et  Cathelinau  ont  démontré,  vous 
ne  l'ignorez  pas,  par  l'étude  de  six  cas  de  sommeil  hystérique  que,  pendant 
la  durée  de  l'attaque,  le  poids  du  corps  diminue  rapidement,  en  même  temps 
que  l'on  constate  par  l'analyse  des  urines  une  constante  diminution  qualita- 
tive et  quantitative  de  tous  les  éléments  :  volume,  urée,  phosphates,  etc.  Mais 
ces  observateurs  ont  établi  en  outre  que  régulièrement,  deux  ou  trois  jours  avant 


—  274  — 

le  réveil,  on  voit  le  volume  de  l'urine,  le  poids  de  l'urée,  le  chiffre  des  phos- 
phastes  se  relever  progressivement  et  alier  toujours  en  augmentant  ;  de  telle 
sorte  que  l'on  peut,  en  tenant  compte  de  ces  données^  prévoir  jusqu'à  un  cer- 
tain point,  quelques  jours  à  l'avance,  l'époque  à  laquelle  le  malade  se  réveil- 
lera. Or,  chez  notre  dormeuse,  une  analyse  faite  le  3  ayant  montré  que  ce 
relèvement  prémonitoire  du  volume  de  l'urine  et  du  taux  de  l'urée  ne  s'était 
pas  encore  prononcé,  nous  pouvons  compter,  que  si  on  laisse  aller  les  choses, 
le  réveil  se  fera  attendre  quelques  jours  encore. 

Donc,  le  31  janvier  vers  9  heures  du  matin,  la  malade  se  sent  indisposée, 
inquiète,  elle  s'était  levée  de  bonne  heure  ;  elle  se  remet  au  lit  et,  à  peine  cou- 
chée, elle  s'endort  du  sommeil  pathologique,  avec  frémissement  vibratoire  des 
paupières,  cette  fois  sans  crise  convulsive  préalable.  On  note  que  toutes  les  vingt 
minutes  environ  la  malade  ouvre  les  yeux  tout  grands,  s'assied  sur  son  séant 
et  fait,  en  fléchissant  son  tronc  en  avant,  trois  mouvements  de  salutation  pro- 
fonde, après  quoi  elle  s'endort  de  nouveau.  La  température  est  à  37,8  au 
rectum. 

Le  lendemain  l^""  février.  L'état  est  le  même  absolument  :  apparence  d'un 
sommeil  profond,  avec  résolution  complète  des  membres,  trépidation  des 
paupières,  etc.  Il  y  a  trois  grandes  salutations  environ  tous  les  quarts  d'heure. 
Température  rectale,  le  matin  37,8,  le  soir  87,6. 

Le  2  février.  Trois  fois  dans  la  journée,  elle  ouvre  les  yeux,  se  dresse  tout 
à  coup  sur  son  lit  et  fait  mine  d'en  sortir  ;  mais  à  peine  l'a-t-on  saisie  pour  la 
contenir,  qu'elle  retombe  et  s'endort. 

Les  grandes  salutations  continuent  d'ailleurs  comme  les  jours  précédents 
au  nombre  de  trois,  environ,  toutes  les  vingt  minutes.  Il  y  a  un  peu  de  raideur 
dans  le  membre  inférieur  gauche  ;toutes  les  autres  parties  du  corps  sont  molles 
dans  la  résolution  absolue.  Cependant  il  y  a  un  peu  de  trismus  ;  mais  on  peut 
le  vaincre  assez  facilement.  De  fait  l'alimentation  est  facile.  La  malade  a  pu 
avaler  aujourd'hui  un  peu  de  viande  hachée,  des  haricots  verts,  du  lait.  Les 
jours  précédents  elle  avait  pris  2  litres  de  lait  dans   les  vingt-quatre    heures. 

3  février.  Rien  de  changé  dans  la  situation  ;  quatre  fois  elle  se  lève  tout  à 
coup  et  fait  effort  pour  sortir  du  lit;  vingt-sept  grandes  salutations,  par  groupes 
de  trois,  en  neuf  fois 

4  février.  Mêmes  salutations  ;  mêmes  efforts  de  temps  i\  autre  pour  sortir 
du  lit. 

Aujourd'hui  5  février  les  choses  sont  exactement,  vous  allez  le  reconnaître, 
ce  qu'elles  étaient  les  jours  passés.  La  température  est  à  37,5.  Même  appa- 
rence d'un  profond  sommeil  ,  sans  ronflement  toutefois.  Bien  que  tous  les 
membres  soient  en  résolution  parfaite,  les  vibrations  rapides  qui  se  font 
aux  paupières  montrent  bien  que  ce  n'est  pas  d'un  sommeil  naturel  qu'il  s'agit 
ici.  D'ailleurs  voici  venir  un  événement  bien  significatif  :  Vous  le  voyez,  la 
malade  ouvre  les  yeux  ;   elle  se  dresse  sur    son   séant  et  la  voilà   qui,  sans 


—  275  — 

reprendre  ses  sens,  exécute  devant  nous  à  trois  reprises  un  profond  salut. 
Puis  elle  retombe  sur  son  lit  et  rentre  dans  le  sommeil.  11  est  vraisemblable  que 
les  salutations  vont  recommencer  tout  à  l'heure,  dans  un  quart  d'heure  envi- 
ron et  chose  bien  remarquable  on  peut  prévoir  qu'elles  se  reproduiront  cette 
fois  encore  comme  par  le  passé,  au  nombre  de  trois.  Nous  retrouvons  donc  la 
cette  tendance  au  rhvthme  et  à  la  cadence,  qu'adectent  souvent,  ain^i  rjue  j'ai 
eu  maintes  fois  l'occasion  de  le  signaler,  les  accidents  hystériques  convulsifs. 
Vous  reconnaîtrez  d'ailleurs  dans  ces  grands  mouvements  de  salutations  un  des 
épisodes  les  plus  vulgaires  de  la  seconde  phase  de  la  grande  attaque  hystéro- 
épileptique  ;  tandis  que,  d'un  autre  côté,  les  tentatives  que  fait  parfois  lamalade 
pour  sortir  de  son  lit  et  s'enfuir,  en  prononçant  des  paroles  dont  on  ne  peut 
pas  toujours  saisir  le  sens,  reproduisent  le  tableau  des  attitudes  passionnelles  ; 
et  ces  diverses  circonstances  si  bien  dessinées  chez  notre  sujet,  sont  de  nature 
à  justifier  l'opinion  que  je  soutiens  à  propos  du  sommeil  hystérique,  à 
savoir  :  qu'il  n'y  faut  pas  voir  autre  chose  qu'une  grande  attaque,  ou  mieux 
qu'une  série  de  grandes  attaques  modifiées  dans  leur  forme  extérieure. 

Les  intéressantes  recherches  de  MM.  Gilles  de  la  Tourette  et  Cathelineau. 
sont  venues  d'ailleurs  donner  à  cette  hypothèse  un  solide  appui  en  montrant 
que,  en  ce  qui  concerne  la  perte  de  poids  du  corps,  la  diminution  du 
volume  de  l'urine  et  l'abaissement  du  taux  de  l'urée,  l'attaque  de  sommeil  re- 
produit en  tous  points  ce  qui  a  lieu  dans  les  séries  d'attaques  hystéro-épilepti- 
ques(l). 

Mais  c'en  est  assez  sur  ce  point.  Je  voudrais  vous  montrer  maintenant  que 
notre  «  dormeuse  »,  comme  toutes  ses  pareilles,  restera  insensible  à  tous  les 
moyens  vulgaires  d'excitation,  même  les  plus  puissants,  que  nous  voudrions 
mettre  en  œuvre  et  qui  ne  manqueraient  certes  pas  de  produire  le  réveil  s'il 
s'agissait  d'un  sommeil  naturel  quelque  profond  qu'il  fût.  Ainsi  j'ouvre,  non 
sans  éprouver  une  certaine  résistance,  les  paupières  de  la  malade  et  je  main- 
tiens un  instant  ses  yeux  exposés  au  grand  jour  ;  elles  se  referment  aussitôt, 
convulsivement^  et  les  vibrations  palpébrales  recommencent.  Je  la  prends  par 
l'un  des  poignets  et  je  la  secoue  tout  entière,  violemment,  à  deux  ou  trois  reprises: 
elle  ne  sourcille  pas.  La  faradisation,  vous  le  voyez,  reste  également  sans  effet  ; 
on  fait  résonner  le  tam-tam  tout  près  de  son  oreille.  Il  se  produit  en  consé- 
quence une  certaine  accélération  dans  les  mouvements  de  palpitation  des 
paupières  et  c'est  tout;  toujours  pas  de  réveil. 

Nous  savons  que  notre  malade  est  ovarienne  gauche,  c'est  dire,  eu  d'autres 
termes  qu'elle  souffre  d'une  ovarie  ou  ovaralgie  du  côté  gauche,  comme  vous 
voudrez  l'appeler  ;  c'est,  du  reste,  la  seule  partie  hyperesthésiée  que  nous  avions 
constatée  chez  elle.  Nous  nous  proposons  de  rechercher  séance  tenante  quel 


1.  Voir  le  Pror/rès  médical,  11°  du  4  mai  1881)  et  suivants. 


—  570  — 

sera  l'effet,  par  rapport  au  sommeil,  d'une  pression  exercée  sur  ce  point  dou- 
loureux. Vous  n'ignorez  pas  que  chez  les  hystériques  dites  ovariennes,  pen- 
dant révolution  de  l'attaque  convulsive,  une  compression  un  peu  forte  agissant 
sur  la  région  où  siège  l'ovarie  a  souvent  pour  effet  de  couper  court  à  tous  les 
accidents,  alors  même  qu'ils  se  montrent  doués  d'un  haut  degré  d'intensité  et 
quelle  que  soit  d'ailleurs  la  phase  de  l'attaque  qui  est  en  jeu.  Si,  par  l'applica- 
tion de  ce  procédé,  nous  parvenons  chez  notre  malade  à  produire  le  réveil, 
ce  sera  une  analogie  de  plus  à  relever  entre  l'attaque  de  sommeil  et  l'attaque 
convulsive.  D'ailleurs  je  ne  suis  pas  fâché  de  saisir  l'occasion  de  vous  rendre 
témoins,  une  fois  de  plus,  d'une  manœuvre  fort  simple  et  qui  est  appelée  peut 
être  à  vous  rendre  dans  la  pratique  quelques  bons  offices. 

M.  Gharcot  s'approche  du  lit  où  est  couchée  la  malade  ;  il  applique  sur  le 
flanc  gauche  de  celle-ci,  mis  à  nu,  un  peu  au-dessus  du  pli  de  l'aine,  l'extré- 
mité des  quatre  doigts  étendus  de  sa  main  droite  qu'il  dirige  vers  le  petit 
bassin,  en  exerçant  une  compression  progressivement  croissante  delà  paroi 
abdominale.  Bientôt  la  malade  pousse  un  cri  perçant,  ouvre  les  yeux,  et 
aussitôt  commence  une  attaque  convulsive  :  ce  sont  d'abord  plusieurs  grands 
mouvements  de  salutation  semblables  à  ceux  qui  se  montraient  tout  à  l'heure 
spontanément  pendant  la  durée  du  sommeil,  puis  se  produit  l'attitude  en  arc 
de  cercle  à  deux  ou  trois  reprises. 

M.  Charcot  qui  n'a  pas  cessé  pendant  ce  temps  de  maintenir  la  main  sur 
la  région  ovarienne  gauche,  s'adressan*  à  l'auditoire  : 

Ce  n'est  pas  là,  messieurs,  tout  à  fait,  ce  que  je  voulais  produire.  Mais  vous 
n'ignorez  pas  que,  si  une  compression  ovarienne  énergique  détermine  l'arrêt 
des  attaques,  une  pression  moins  forte  peut  avoir  pour  effet  au  contraire  d'en 
provoquer  le  développement.  C'est  vous  le  voyez  le  dernier  cas  qui  s'est  pro- 
duit ici.  Si  nous  voulons  maintenant  mettre  fin  à  l'attaque  convulsive  que  nous 
avons  ainsi  provoquée,  il  nous  faut  insister  sur  la  compression  et  la  rendre 
plus  énergique.  Cette  fois  j'y  mets  toute  ma  force,  aussi  le  résultat  désiré  est-il 
bientôt  obtenu  :  les  grands  mouvements  ont  cessé  complètement.  La  malade 
se  dresse  sur  son  séant  et  jette  un  regard  étonné  autour  d'elle. 

La  malade  ;  Où  suis-je,  qu'est-ce  qu'il  y  a  ? 

M.  Charcot,  à  la  malade  :  Eh  bien  vous  êtes  dans  la  salle  du  cours;  vous  en 
avez  entendu  parler  ?  Vous  avez  dormi.  Quel  jour  sommes-nous? 

La  malade,  avec  un  air  de  conviction  :  Eh  bien,  jeudi  ! 

M.  Charcot,  aux  audifeurs  :  Jeudi  est  justement  le  jour  où  elle  s'est  endor- 
mie; la  voilà  donc  en  retard  de  cinq  jours.  (S'adi^essant  à  la  malade.)  Qu'est-ce 
que  vous  avez  rêvé  ? 

La  malade  :  Rien,  je  ne  me  rappelle  rien. 

M.  Charcot  :  Allons  I  je  la  crois  bien  éveillée  maintenant.  Peut-être  pour- 
rons-nous essayer  de  cesser  la  compression  ovarienne  sans  crainte  de  voir  re- 


—  277  — 

paraître  soit  le  sommeil,  soit  les  crises  convulsives.  Vous  le  voyez,  c'est  ainsi 
que  vont  les  choses,  j'ai  cessé  toute  compression  et  la  malade  reste  partaitemcnt 
éveilli'C.  On  peut  la  ramener  maintenant  dans  la  salle  ;  la  crise  est  terminée, 
pour  l'instant  du  moins,  car  je  ne  prétends  pas  que  ce  réveil  sera  déliniti/. 
Cela  peut  être,  mais  cela  n'est  pas  certein  (1). 


2«  Malade. 


Le  cas  dont  nous  allons  nous  occuper  en  second  lieu  est  relatif  à  une  femme 
de  40  ans  qui,  à  la  suite  d'une  chute  sur  le  genou  gauche,  a  été  prise  dans  le 
membre  correspondant  d'une  contracture  spasmodique  portant  à  la  fois  sur 
les  extenseurs  et  sur  les  fléchisseurs  de  la  jambe  et  de  la  cuisse.  La  chute  a 
été  la  conséquence  d'un  dérobement  des  membres  inférieurs  déterminé  lui- 
même  par  l'action  d'une  douleur  vive  et  soudaine  ressentie  dans  l'un  des 
genoux.  La  malade  est  coutumière  du  reste  de  ces  douleurs  brusques  et  vio- 
lentes et,  à  plusieurs  reprises  déjà,  elle  a  été  menacée,  sans  chute  toutefois 
jusqu'ici,  de  l'effondrement  de  ses  membres  inférieurs. 

Nous  rechercherons  tout  d'abord  ce  que  sont  ces  douleurs  que  la  malade 
connaît  depuis  longtemps  pour  les  avoir  maintes  et  maintes   fois  éprouvées. 

M.  CnARCOï,  à  la  malade.  —  Quand  avez-vous  ressenti  pour  la  première  fois 
vos  douleurs  dans  les  jambes? 

La  malade.  —  Monsieur,  il  y  a  à  peu  près  trois  ans. 

M.  CuARCOT.  —  Dites-moi,  je  vous  prie,  où  vous  les  ressentez  le  plus  sou- 
vent. 

La  Malade.  —  Au  voisinage  du  genou,  tantôt  dans  la  jambe  droite,  tantôt 
dans  la  gauche  ;  je  les  sens  aussi  aux  chevilles,  aux  cuisses... 

M.  Charcot.  —  Vous  viennent-elles  souvent  ? 


1.  Voir  à  ce  propos  ;  Gharcot.  De  Vhyiiéreslhésie  de  l'ovaire  dans  certaines  formes  de  rhys- 
térie.  Leçons  laites  à  la  Salpcirière  en  1872.  —  Mouvement  médical  1872  n"  3  et  4  et  the 
Lancet  1872,  —  Leçons  sur  les  maladies  du  système  nerveux,  t.  I  p.  320  —  La  douleur  iliaque 
dite  ovarienne  des  hystériques  a  réellement  son  sitge  dans  rovaire,  (»bservations  de 
M.  Gharcot  développées  dans  une  note  communiquée  à  la  société  de  Biologie  décembre  1881 
par  M.  Feré. 


—  278  — 

La  MALADE.  —  Très  souvent  maintenant.  Mais  quelquefois  je  suis  cinq  ou 
six  jours  sans  les  ressentir. 

M.  Gharcot.  —  Dites-moi  à  quoi  elles  ressemblent  ;  si  elles  sont  bien  vives; 
si  elles  vous  empêchent  de  dormir  ? 

La  malade.  —  Elles  ressemblent  à  des  coups  de  couteau  qu'on  me  donnerait 
rapidement;  d'autres  fois,  on  dirait  qu'on  me  ronge  les  os  ;  quelquefois,  quand 
je  les  ai  la  nuit,  je  ne  puis  pas  dormir,  elles  me  font  crier.  Souvent  la  peau 
devient  extrêmement  sensible  au  moindre  toucher  sur  le  point  où  j  e  les  ressens  ; 
là,  on  dirait  que  la  peau  est  à  vif. 

M.  Gharcot.  —  Yoilà  qui  rappelle  la  description  classique  des  douleurs  ful- 
gurantes tabétiques.  Procédons,  et  voyons  si  cette  première  impression  se 
trouve  justifiée  par  le  concours  d'autres  circonstances.  (A  la  malade)  Avez- 
vous  quelquefois  de  semblables  douleurs  dans  les  mains,  dans  les  bras  ? 

La  malade.  —  Oui  monsieur,  fort  souvent  au  bout  de  ces  doigts-là  qui  sont 
engourdis.  (Elle  désigne,  en  disant  cela,  les  deux  derniers  doigts  de  chacune 

des  mains.) 

M.  Gharcot.  —  Vous  voyez  qu'il  s'agit  du  domaine  cubital  ;  c'est  la  vous  le 
savez,  un  siège  presque  classique  des  douleurs  fulgurantes  dans  le  tabès. 
(A  la  malade)  Est-ce  que  vos  jambes  fléchissent  quelquefois  quand  vous  avez 

vos  douleurs? 

La  malade.  —  Oui,  quand  les  élancements  sont  forts  dans  les  genoux  et 
qu'ils  me  surprennent  je  suis  menacée  de  tomber;  mais  quelquefois  aussi 
mes  jambes  fléchissent  sans  douleurs.  J'ai  aussi  parfois  de  grands  élancements 
très  vifs  dans  le  côté  de  la  tête  et  de  la  face  à  gauche,  à  la  nuque. 

M.  Gharcot.  — Voilà  qui  est  assez  significatif.  D'autres  renseignements  que  je 
puise  dans  l'observation  détaillée  que  j'ai  entre  les  mains  viennent  d'ailleurs 
déposer  encore  en  faveur  de  l'idée  que  c'est  bien  le  tabès  ataxique  qui  est 
en  jeu  chez  notre  malade.  En  effet,  il  y  est  dit  qu'il  y  a  3  ans,  il  a  existé  pen- 
dant 10  mois  une  diplopie  par  paralysie  des  droits  externes  pour  laquelle 
elle  a  été  traitée  aux  Quinze-Vingts.  Aujourd'hui,  si  le  signe  d'Argyll 
Roberston  fait  défaut,  il  existe  par  contre  encore  de  la  diplopie  homonyme 
due  à  une  paralysie  incomplète  de  la  6«  paire  à  droite.  Enfin  depuis  six  mois 
environ  sont  survenus  des  troubles  de  la  miction  consistant  en  ce  que  la 
malade  est  obligée  parfois  de  faire  effort  pour  expulser  les  urines.  A  la  vérité^ 
sur  le  membre  inférieur  droit,  non  contracture,  le  seul  qu'on  ne  puisse  en  ce 
moment  explorer  à  ce  point  de  vue,  on  constate  par  la  percussion  du  tendon 
rotulien  que  le  réflexe,  non  seulement  n'est  pas  absent,  mais  encore  est  plutôt 
exagéré.  Mais  l'on  sait  que  dans  le  tabès,  même  le  plus  légitimera  persistance 
du  réflexe  rotulien  n'est  pas,  tant  s'en  faut,  chose  rarissime. 

Notre  malade  est  donc,  à  n'en  pas  douter,  une  tabétique.  11  convient  de  déter- 
miner maintenant  quelle  est  la  signification  de  cette  contracture  spasmodique 
qui, chez  elle,  s'est  produite  à  la  suite  d'une  chute  provoquée  par  felfondrement 


-     279  - 

tabétique  des  membres  inférieurs.  Mais  il  importe  pour  en  venir  à  ce  point,  de 
bien  établir  au  préalabb3  les  caractères  cliniques  de  cette  contracture  et  de 
préciser  les  circonstances  dans  lesquelles  elle  s'est  produite. 

C'était  un  matin  vers  8  heures,  il  y  a  de  cela  trois  semaines  ;  la  malade 
descendait  son  escalier  lorsqu'elle  ressentit  tout  à  coup  dans  les  genoux,  sur- 
tout dans  le  gauche,  de  très  vives  douleurs  fulgurantes  ;  aussitôt  elle  pousse 
un  cri,  ses  jambes  se  dérobent  et  elle  tombe  sur  les  genoux,  le  gauche  portant 
sur  une  marche.  Elle  peut  se  relever  aussitôt  et  reconnaître  que  ce  genou  ne 
présentait  ni  plaie,  ni  éraillures,  ni  ecchymoses.  Il  n'était  pas  douloureux;  il 
était  à  peine  un  peu  engourdi  ainsi  que,  dans  toute  son  étendue,  le  membre 
correspondant.  Seulement  les  douleurs  fulgurantes  y  reparaissaient  de  temps  à 
autre.  D'ailleurs, la  malade  put,  ce  jour-là,  remonter  son  escalier  sans  trop  de 
gêne  et  le  redescendre  plusieurs  fois.  La  rigidité  a  commencé  à  paraître  seule- 
ment vers  le  soir  et  elle  s'est  installée  progressivement  ;  assez  vite  cependant 
pour  que,  dans  la  nuit,  elle  ait  acquis  son  plus  haut  degré  de  développement 
et  se  soit  montrée  telle  que,  après  trois  mois,  nous  la  retrouvons  au- 
jourd'hui. 

Yoici  maintenant  la  description  du  membre  contracture.  La  rigidité  est  aussi 
prononcée  que  possible  dans  le  genou  ;  l'extension  y  est  portée  au  plus  haut 
degré,  et,  pour  ce  qui  est  de  la  flexion,  elle  est  impossible  à  produire  même 
lorsqu'on  y  met  beaucoup  de  force.  Il  s'agit  d'ailleurs  là  d'une  résistance 
élastique  et  telle  qu'on  doit  s'attendre  à  la  recontrer  quand  c'est  une  contrac- 
ture musculaire  spasmodique  qui  est  en  jeu.  Le  pied  est  libre  dans  l'articula- 
tion tibio-tarsienne.  Il  n'a  pas  pris  d'attitude  spéciale,  et  l'on  peut  le  mouvoir 
dans  tous  les  sens  :  il  n'en  est  pas  même  de  la  hanche  où  les  mouvements 
sont  un  peu  limités  dans  toutes  les  directions.  Les  mouvements  volontairement 
exécutés  de  cette  articulation  sont  gênés,  lents,  mais  il  ne  sont  pas  abolis  car 
la  malade  peut  élever  le  membre  au-dessus  du  plan  du  lit  et  le  porter  en 
abduction  et  en  adduction.  Mais  tous  ces  mouvements,  je  le  répète,  sont  diffi- 
ciles, exigent  des  efforts  et  leur  amplitude  reste  toujours  inférieure  à  celle  des 
mouvements  volontaires  exécutés  par  le  membre  inférieur  droit.  On  peut  en 
dire  autant  des  mouvements  volontaires  du  pied  ;  tous  sont  possibles  mais  no- 
tablement limités,  surtout  le  mouvement  dorsal. 

Toujours  est-il  que  c'est  dans  les  muscles  extenseurs  et  fléchisseurs  du 
genou  que  la  rigidité  spasmodique  est  le  plus  accentuée  et  là,  ainsi  que  nous 
l'avons  dit,  les  mouvements  volontaires,  comme  les  mouvements  passifs,  sont 
littéralement  impossibles. 

Dans  toutes  les  manœuvres  que  nécessite  l'examen  des  jointures,  on  constate 
que  tous  les  mouvements  qu'on  leur  imprime  ou  qu'on  essaye  de  leur  impri- 
ser ne  provoquent  aucune  douleur.  Ou  reconnaît,  du  même  coup,  dans  cette 
exploration  que,  pour  la  majeure  partie,  le  membre  contracture  est  complè- 
tement privé  de  sensibilité,  aussi  bien   la  peau  que  les  parties  profondes. 

38 


—  280 


L'anesthésie  cutanée  qui  porte  à  le  fois  sur  le  tact,  la  douleur  et  les  autres 
modes  de  la  sensibilité,  est  limitée  tant  du  côté  du  pied,  que  du  côté  de 
l'abdomen,  d'une  façon  fort  originale  qu'on  peut  reconnaître  sur  le  schéma  ci- 


I 


Fig.  62 


Fig.63 


contre  ;  ainsi  du  côté  du  pied  la  limite  est  marquée  par  une  ligne  circulaire 
déterminant  un  plan  perpendiculaire  à  l'axe  du  membre,  et  passant  à  quelque 
centimètres  au-dessus  du  pli  de  l'articulation  du  cou-de-pied  ;  du  côté  de  la 
hanche  la  ligne  limitante  suit  en  avant  le  pli  de  l'aine,  empiétant  un  peu  sur 
l'adomen,  tandis  qu'en  arrière  elle  forme  une  courbe  à  convexité  supérieure  qui 
de  l'extrémité  interne  du  pli  fessier  remonte  vers  la  crête  iliaque. 


—  -281   — 

Ce  sont  là  des  particularités  que  j'ai  eu  maintes  fois  roccasiori  de  relever, 
vous  ne  l'avez  pas  oublié,  dans  notre  étude  sur  les  paralysies  psychiques  et 
qui  ici  contribueront  à  fixer  le  diagnostic.  D'ailleurs  l'insensibilité,  ainsi  que 
je  le  (lisais  tout  à  rhoure,  n'est  pas  linnitée  à  la  peau:  elle  s'étend  aux  parties 
profondes  ;  on  peut  tordre,  distendre  les  jointures  restées  libres  sans  produire 
aucune  douleur  ;  l'on  peut  constater  en  même  temps  que  lorsque  ses  yeux 
sont  clos,  la  malade  n'a  aucune  notion  des  mouvements  qu'on  imprime 
aux  divers  segments  du  membre,  non  plus  que  des  attitudes  qu'on  leur 
donne  :  cela  est  ainsi,  chose  remarquable,  même  pour  l'articulation  du  cou- 
de-pied, où  cependant,  comme  on  l'a  fait  remarquer,  la  sensibilité  cutanée 
n'est  pas  sérieusement  affectée. 

Après  l'exposé  ([ui  précède,  il  ne  me  paraît  pas  nécessaire  d'entrer  dans 
des  développements,  pour  affirmer  que  l'affection  du  membre  inférieur  gauche 
n'est  autre  qu'une  contracture  hystérique,  ou  plus  précisément  une  contrac- 
ture hystéro-traumatique.  Son  début,  rapide  à  la  suite  d'un  traumatisme 
insignifiant,  précédé  cependant  par  une  période  d'incubation  ;  le  caractère^ 
au  moins  dans  le  genou,  pour  ainsi  dire  absolu  de  la  rigidité  spasmodique  : 
l'absence  d'une  lésion  quelconque  des  jointures  ;  les  troubles  de  la  sensibilité 
cutanée  et  leur  mode  de  limitation  du  côté  des  parties  sensibles;  l'insensi- 
bilité des  parties  profondes  et  la  perte  de  notion  du  sens  musculaire,  tout  cela 
le  démontre  surabondamment. 

Notre  malade  est  donc  hystérique?  Cela  certes  n'est  pas  douteux  :  les 
caractères  cliniques  de  la  contracture,  survenue  épisodiquement  parle  fait  de 
la  chute, suffit  déjà  pour  l'établir  •  mais  cela  apparaît  bien  plus  manifestement 
encore,  lorsque  l'on  remonte  dans  les  antécédents  de  la  malade,  ou  encore 
lorsqu'on  étudie  à  ce  nouveau  point  de  vue  les  divers  incidents  neuropa- 
thiques  qui  ont  précédé  ceux  qui  relèvent  du  tabès  ou  s'entremêlent  avec  eux 
aujourd'hui  encore  : 

Il  n'y  a  pas  d'ante'cédents  héréditaires  connus.  Sa  mère  était  une  enfant 
trouvée. 

A  l'âge  de  23  ans,  étant  enceinte  et  ayant  atteint  le  7*=  mois  de  sa  grossesse, 
elle  fut  renversée  par  un  bœuf.  Il  s'ensuivit  une  perte  de  connaissance  qui 
dura,  paraît-il,  à  peu  près  huit  heures,  sans  convulsions. 

A  28  ans,  tracas,  chagrins  de  ménage  ;  la  misère  arrive.  —  Elle  devient 
alors  habituellement  morose,  triste  ;  mais  de  temps  en  temps  elle  est  prise 
d'un  fou  rire  que  rien  ne  justifie. 

En  ce  temps-là,  s'établit  une  douleur  dans  le  coté  gauche  du  ventre  (ovarie) 
qu'elle  n'a  guère  cessé  de  ressentir  depuis.  Peu  après  elle  devient  sujette  à 
des  accès  de  raideur,  «  accès  de  contracture  »  pendant  lesquels  elle  ne  per- 
dait connaissance  qu'incomplètement:  L'une  de  ces  attaques  s'étant  un  jour 
prolongée  beaucoup  plus  que  d'habitude,  —  près  de  48  heures,  — son  mari 
envoya  chercher  un  médecin  qui,  après  avoir  examiné  le  cas,  aurait  prononcé 


—  282  — 

assure-t-elle,  les  paroles  suivantes  qu'elle  dit  avoir  entendu  parfaitement  : 
«  Pupilles  dilatées,  pas  de  pouls,  pour  moi  elle  est  morte  !  »  Qu'y  a-t-il  de 
vrai,  dans  ce  récit  confirmé  d'ailleurs  parle  mari?  Quoi  qu'il  en  soit, il  s'agit, 
vous  le  voyez,  d'un  cas  d'hystérie  tardive  et  certes  ce  cas-là  n'est  pas  le 
meilleur. 

A  l'âge  de  31  ans  se  manifestent  des  signes  de  tuberculisation  pulmonaire 
dont  on  reconnaît  encore  aujourd'hui  les  traces.  Dans  ce  temps-là,  il  y  a  eu 
des  hémoptysies. 

Les  attaques  de  raideur  continuent  à  apparaître  de  temps  à  autre,  alter- 
nant avec  des  attaques  de  sommeil. 

A  l'âge  de  37ans,apparaissent^les  premiers  symptômes  tabétiques;  douleurs 
fulgurantes,  diplopie,  etc.,  et  depuis  cette  époque,  c'est-à-dire  depuis  3  ans, 
les  phénomènes  tabétiques  n'ont  pas  cessé  de  s'entremêler,  marchant  paral- 
lèlement et  sans  s'influencer  les  uns  les  autres  d'une  façon  marquée. 

La  recherche  des  stigmates,  faite  ces  jours-ci,  a  permis  de  compléter  le 
tableau  déjà  cependant  fort  chargé  (voir  les fig.  62  et  63).  Léger  rétrécissement 
double  du  champ  visuel,  polyopie  monoculaire  à  gauche  avec  micropsie  ; 
dyschromatopsie,  pas  de  lésion  papillaire  ni  pupillaire.  —  Abolition  du  goût 
et  de  l'odorat  à  gauche,  acuité  auditive  très  diminuée,  également  à  gauche. 

En  outre  de  Fanesthésie  du  membre  inférieur  gauche,  signalée  à  propos 
de  la  description  de  la  contracture,  il  y  a  à  noter  une  analgésie  portant  sur 
la  moitié  gauche  de  la  face,  la  moitié  supérieure  du  tronc  jusqu'à  la  ligne 
médiane,  l'épaule  enfin  et  le  membre  supérieur  tout  entier  ;  ovarie  gauche  ; 
pas  d'autres  points  hystérogènes.  Dynamomètre  main  droite  :  28  ;  main 
gauche  :  12  ; 

Voilà  donc  un  nouvel  exemple  de  la  combinaison,  plusieurs  fois  déjà 
signalée  par  nous,  de  l'hystérie  et  de  l'ataxie  locomotrice  progressive.  A  pro- 
pos d'un  détail,  le  cas  actuel  ofTre  un  intérêt  particulier  :  la  contracture  hj^s- 
téro-traumatique  développée  chez  notre  malade,  sur  un  membre  où  le 
réflexe  rotulien  n'était  pas  aboli  aurait-elle  pu  se  produire  également  si,  sur 
ce  même  membre,  conformément  à  la  règle  ordinaire,  le  réflexe  rotulien  par 
le  fait  de  la  lésion  spinale  tabétique,  eût  fait  complètement  défaut  ?  11  y  a  là 
un  point  de  physiologie  pathologique  qui  mériterait  bien  à  l'avenir  d'être 
étudié. 

Il  ne  nous  reste  plus  pour  en  finir  qu'à  parler  de  thérapeutique.  Que  faire 
pour  combattre  la  contracture,  et  remettre  les  choses  dans  l'ordre  premier  ? 
Certes,  les  moyens  proposés  ne  manquent  pas  :  aimant,  électrisation  statique, 
suggestion  impérative  à  l'état  de  veille  ou  suggestion  hypnotique  si  toutefois 
l'hypnotisme  est  praticable^  applications  métalliques,  massage  par  frôlement, 
pèlerinage  à  la  grotte  de  Lourdes,  etc.,  etc.  Le  cas  échéant  aucun  de  ces 
moyens  n'est  à  dédaigner  et  nous  n'avons  par  conséquent  que  l'embarras  du 
choix.  Aucun  d'eux  toutefois  ne  porte  avec  soi,  tant  s'en  faut,  l'absolue  certitude 


b 


—  283  — 

de  la  réussite  et  en  somme,  il  importe  de  le  reconnaître,  la  doctrine,  relative- 
ment au  traitement  des  contractures  hystériques,  reste  à  l'heure  qu'il  est  tou- 
jours un  peu  flottante. — Un  certain  nombre  de  points  sont  cependant  désor- 
mais, si  je  ne  me  trompe,  parfaitement  établis.  C'est  à  savoir,  par  exemple, 
que  toute  intervention  mécanique,  chirurgicale,  est  dans  ces  cas-là,  tant 
que  persiste  l'élément  spasmodique  non  seulement  inutile,  mais  encore 
fâcheuse,  pernicieuse  même  quelquefois  au  premier  chef,  comme  pouvant 
aggraver  la  situation  et  prolonger  le  mal  indéfiniment  ;  c'est  encore  que,  autant 
les  contractures  sont  faciles  à  résoudre  au  moment  même  de  leur  formation, 
ou  autrement  dit,  lorsqu'elles  sont  encore  à  l'état  naissant,  autant  elles 
résistent  au  contraire,  opiniâtrement,  à  tous  les  moyens  autrement  efficaces, 
lorsqu'on  les  a  laissé  durer  et  si  l'on  peut  ainsi  dire,  prendre  pied  dans  l'orga- 
nisme. Enfin  les  contractures  hystériques,  cela  n'est  pas  douteux,  sont,  toutes 
choses  égales  d'ailleurs,  moins  persistantes  chez  les  sujets  qui  ont  des  attaques 
convulsives  que  chez  ceux  qui  n'en  ont  pas.  Il  y  a  en  effet,  ainsi  que  je  vous 
l'ai  dit  maintes  fois,  une  sorte  d'antagonisme  entre  les  accidents  dit  locaux  de 
l'hystérie  (hystérie  locale),  tels  que  bruits  laryngés,  contractures  etc.,  et  les 
attaques  convulsives.  Celles-ci  d'ailleurs  peuvent  déterminer  la  résolution 
d'une  contracture  établie  déjà  depuis  longtemps  à  l'état  permanent  et,  ainsi 
que  l'a  bien  montré  M.  le  D'"  Pitres  il  peut  être  utile  parfois,  pour  atteindre  ce 
but,  d'en  provoquer  le  développement  en  mettant  à  profit  la  connaissance  des 
points  hystérogènes.  —  Notre  malade  est  une  hystérique  à  attaque,  et  la 
contracture  d'origine  traumatique  qu'elle  présente  n'est  pas  de  date  très 
ancienne  ;  on  peut  donc  espérer  d'après  tout  cela  que  la  guérison  de  cette 
contracture  ne  sera  pas  très  difficile  à  obtenir  (1). 


3^  ET  4'  Malade. 


J'en  reviens  actuellement  au  sujet  dont  nous  nous  sommes  occupés  dans  la 
seconde  partie  de  la  dernière  leçon  :  il  s'agissait,  vous  ne  l'avez  pas  oublié,  de 
la  forme  clinique  complexe  que  je  vous  proposais  de  désigner  par  le  vocable 
hystéro-neurasthénie,  et  à  ce  propos,  je  vous  ai  présenté  deux  exemples  du 
genre,  auxquels  nous  pouvons,  ainsi  que  je  l'ai  annoncé,  ajouter  aujourd'hui 

1.  Le  lendemain  de  la  leçon,  à  la  suite  de  la  mise  enjeu  du  «  Transfert  »  suivant  la  méthode 
de  M.  Babinski,  la  contracture  a  disparu. 


—  ^284  — 

deux  cas  nouveaux  ;  nous  aurons  à  comparer  ces  malades  les  uns  aux  autres 
et  à  faire  ressortir  comment  ils  constituent  un  groupe  des  plus  homogènes, 
bien  que  sous  le  rapport  des  agents  provocateurs  de  l'affection,  il  y  ait  lieu  de 
relever  entre  les  divers  caS;,  des  différences  en  apparence  capitales.  L'espèce 
morbide,  en  d'autres  termes, conserve  sa  fixité,  son  originalité,  son  autonomie, 
en  présence  de  la  variété  des  causes  occasionnelles  ;  tel  est  l'enseignement  prin- 
cipal qui  se  dégagera  surtout,  si  je  ne  me  trompe,  de  l'étude  comparée  de  nos 
quatre  malades. 

Tous  nos  sujets  appartiennent  à  la  classe  des  travailleurs  manuels;  et  en 
dehors  de  cet  hospice  où  les  besoins  d'un  enseignement  spécial  ainsi  que  les 
nécessités  d'un  traitement  particulier  les  appellent,  vous  devez  vous  attendre 
à  rencontrer  fréquemment  les  malades  de  ce  genre  et  de  cette  classe  dans  la 
population  qui,  à  Paris,  fréquente  les  hôpitaux  généraux.  Ou  les  y  rencontre 
vulgairement  et  en  proportion  beaucoup  plus  considérable  qu'on  n'aurait  pu 
rimaginer,surtout,  bien  entendu,  lorsque, il  y  a  trois  ou  quatre  années  à  peine, 
ils  étaient  encore  presque  généralement  peu  connus  ou  même  tout  à  fait  mé- 
connus; c'est  là  un  fait  que  j'ai  maintes  fois  déjà  proclamé  devant  vous.  A  cet 
égard, j'ai  ces  jours-ci, ouvert  une  enquête  que  je  me  propose  de  poursuivre  sur 
une  plus  grande  échelle, et  qui  bien  qu'à  peine  ébauchée  encore, m'a  déjà  fourni 
cependant  quelques  résultats  intéressants  ;  ainsi  dans  le  seul  service  de 
M.  Ballet,  à  l'hôpital  Necker,  il  s'est  à  un  moment  donné,  trouvé  sur  un  total 
de  40  malades  mâles,  une  réunion  de  8  cas  d'hystéro-neurasthénie.  Il  est  vrai 
que  M.  Ballet,  agrégé  de  la  Faculté  et  ancien  élève  de  cethospice,  s'occupe  beau- 
coup et  avec  succès  de  pathologie  nerveuse  et  qu'il  a  pu  par  conséquent,  dans 
un  but  d'étude,  attirer  à  lui  quelques-uns  de  ces  sujets.  Mais  àThôpital  Saint- 
Antoine,  les  conditions  n'étant  plus  les  mêmes,  je  sais  qu'on  a  compté  cinq 
hystériques  mâles,  dans  un  seul  service  de  40  lits  d'hommes.  La  proportion  a 
été  à  peu  près  la  même  dans  la  plupart  des  autres  services  du  même  hôpital. 

L'hôpital  en  question  est,  vous  le  savez,  situe'  dans  un  faubourg  très  popu- 
leux où  les  ouvriers  habitent  en  grand  nombre  :  mais  tous  les  hystériques  ou 
les  hystéro-neurasthéniques  qui  y  sont  admis  ne  sont  pas  des  travailleurs 
manuels  réguliers  ;  on  compte  parmi  eux  une  assez  forte  proportion  de  gens 
sans  profession  avouée,  sans  domicile  fixe,  des  vagabonds  en  un  mot,  qui  cou- 
chent souvent  sous  les  ponts,  dans  les  carrières  ou  les  fours  à  plâtre,  et  qui 
sont  exposés  à  chaque  instant  à  tomber  sous  le  coup  de  la  police.  Serait-ce 
que  le  vagabondage  conduit  à  l'hystéro-neurasthénie,  ou  que  celle-ci,  inver- 
sement, conduit  au  vagabondage?  Question  délicate,  intéressante  au  premier 
chef,  au  point  de  vue  social,  et  qui  méritera  certainement  quelque  jour  d'être 
l'objet  d'une  étude  approfondie.  Pour  le  moment,  je  me  bornerai  à  vous  faire 
part  d'une  impression  qui  m'est  venue  à  la  suite  de  quelques  observations  que 
j'ai  faites  dans  cet  hospice,  où  la  consultation  externe  en  de  certains  jours  res- 
semble quelque  peu  à  une  «  cour  des  miracles  »  :  c'est  que  l'hystéro-neuras- 


thénie  serait  chose  vraiment  fréquente,  parmi  les  misérables,  les  loqueteux, 
les  gens  sans  aveu  qui  Iréquentent  tour  à  tour  les  prisons,  les  asiles  de  nuit 
et  les  dépAts  de  mendicité.  Je  n'oublierai  jamais  un  malheureux  aux  souliers 
éculés  et  troués,  sale,  émanant  une  odeur  spéciale  très  repoussante,  couvert 
de  haillons  tels  que  je  n'en  ai  jamais  vu  de  semblables,  si  ce  n'est  à  Burgos,  où 
il  semble  à  la  vérité  exister  un  «art  de  porter  les  loques  »,  en  Irlande  enfin,  et 
dans  quelques  villes  manufacturières  d'Ecosse  et  d'Angleterre.  Vraiment  il  était 
navrant  à  voir.  Il  sortait  du  dépôt  de  Yillers-Gotteretset  demandait  à  être  reçu 
dans  les  salles  ;  je  constatai  séance  tenante  qu'il  était  atteint  d'une  anesthésie  cu- 
tanée généralisée  absolue,  et  qu'il  présentait  quelques  autres  signes  qui  le  dési- 
gnaient comme  un  hystérique.  Je  ne  demandais  pas  mieux  que  de  l'admettre, 
soupçonnant  que  son  cas  était  pour  nous  fort  intéressant. 

Malljeureusement,je  commis  l'imprudence  delui  adresser  quelques  questions 
qui  lui  parurent  sans  doute  indiscrètes  :  il  fit  mine  d'accepter  le  billet  d'entrée 
que  je  lui  offrais,  mais  il  s'esquiva  en  prononçant  ces  paroles  significatives  : 
«  En  voilà  un  qui  veut  en  savoir  trop  long,  il  ne  m'y  prendra  pas.  »  lime  pre- 
nait peut-être  pour  un  magistrat  ;  il  oubliait  tout  au  moins  que  pour  le  méde- 
cin tous  les  hommes,  quels  qu'ils  soient,  sont  égaux  devant  l'art  et  ont  droit  indis- 
tinctement aux  mêmes  soins.  J'ai  eu  plusieurs  fois  l'occasion  de  rencontrer 
d'autres  cas  du  même  ordre  ;  mais,  quoi  qu'il  en  soit,  la  fréquence  de  l'hystérie 
dans  les  prisons,  les  asiles  et  les  dépôts  de  mendicité,  n'existe  encore  dans  mon 
esprit  qu'à  l'état  de  conjecture  vraisemblable.  Je  serais  heureux  de  voir  la  ques- 
tion soumise  à  une  vérification  en  règle;  il  y  a  là  pour  ceux  de  nos  confrères 
qui  ont  accès  dans  les  maisons  de  refuge  ou  de  réclusion,  un  sujet  d'étude  qui 
me  paraît  digne  d'exciter  leur  zèle,  et  qui  promet,  si  je  ne  me  trompe,  une 
ample  moisson  de  faits  intéressants. 

N'allez  pas  croire  que  «  Saint-Antoine  »,  comme  on  l'appelle  dans  le  Fau- 
bourg, soit,  à  Paris,  le  seul  hôpital  où  Ton  rencontre  beaucoup  d'hystériques 
mâles.  Je  tiens  de  source  certaine  que  dans  la  seule  année  1888,  il  a  été  admis 
15  cas  d'hystérie  mâle  relevant  pour  la  plupart  d'une  influence  traumati([ue, 
dans  un  des  services  de  THôtel-Dieu  (1). 

C'en  est  assez  sur  ce  point  pour  le  moment  :  il  est  temps  d'en  venir  à  Texamen 
de  nos  deux  malades  d'aujourd'hui.  Eux  ne  sont  pas  des  vagabonds,  ils  ont 
été  au  contraire  des  ouvriers  actifs,  gagnant  bien  leur  vie,  jusqu'au  moment  où 
la  maladie  dont  ils  souffrent  les  a  désemparés  et  réduits  à  l'état  misérable  où 
vous  allez  les  voir. 

I.  Le  premier  que  nous  allons  étudier  est  un  homme  âgé  de  32  ans,  d'ap- 
parence vigoureuse,  nommé  ïr...lay  et  exerçant  la  profession  de  maçon.  Sa 

1.  Voir  11  ce  propos,  rétude  statistique  publiée  récemment  par  M.  le  D*"  Marie  :  l'hystérie  à 
la  consultation  du  bureau  central  des  Hôpitaux  de  Paris.  V.  progrés  médical,  p.  (58,  27  juillet 
1889, 


—  286  — 

physionomie,  ainsi  que  son  allure,  ne  sont  plus  aujourd'hui  ce  qu'elles  étaient 
il  y  a  quelque  semaines,  à  une  époque  plus  voisine  du  début  de  la  maladie  :  il 
présentait  vraiment  alors  l'image  vivante  de  la  désespérance  et  de  l'abandon 
de  soi-même. 11  s'est  repris,  depuis,  à  cet  égarden  même  temps  que  tous  les  autres 
symptômes  se  sont  amendés,  et  bien  qu'actuellement  encore  il  paraisse  pas 
mal  abruti,  on  ne  retrouve  plus  chez  lui  cette  apparence  de  dépression  men- 
tale profonde  qu'il  présentait  à  l'origine. 

L'histoire  de  ses  antécédents  héréditaires,  dont  vous  pourrez  reconnaître  l'in- 
térêt en  parcourant  le  tableau  ci-joint,  est  fort  significative  ;  vous  allez  le  voir. 


COTE  PATERNEL 


Un   frère   du   père,  Père,  cousin   de  la 

mort  en  1886,  à65ans.  mère,  âgé   de  77  ans, 

Il    était  sujet    à    des  cultivateur,  bien  por- 

étourdissements. Movi  tant,  mais  ivrogne. 
en   tombant  du    haut 
d'une  voiture. 


COTE  MATERNEL 

Grand'mère  maternelle,  morte  à  82  ans.  Trem- 
blement sentie  depuis  l'âge  de  61  ans,  a  été 
folle  pendant  quelque  temps, 

MÈRE,  76  ans,  ner-  Cousin   germain  de 

veuse    irritable,    vio-  la  mère,  50  ans  mar- 

lentes  colères,  épilep-  chand  de  vins,  tyro^ne, 

tique  ou    hystérique,  a  été  enfermé  plusieurs 


sujette  à  des  étour- 
dissements.  Le  malade 
Ta  vue  sans  connais- 
sance pendant  plu- 
sieurs minutes. 


fois  à  Sainte- Anne. 


8  enfants   dont  2  seuls  restent  ;  l»  un  frère  du  malade,  bien   portant,  migraineux.  —  2"  Le 
malade  lui-même. 


Lui,  notre  malade  est  un  pauvre  hère,  sans  intelligence. 

Bien  qu'il  ait  fréquenté  l'école  de  6  à  13  ans,  il  n'a  rien  pu  rien  apprendre  : 
de  fait,  il  ne  sait  ni  lire,  ni  écrire.  Mais,  par  contre  il  a  bon  cœur  :  il  s'est  jeté 
à  l'eau  un  jour  d'hiver  pour  sauver  une  femme  qui  se  noyait  ;  il  s'en  est  suivi 
une  attaque  de  rhumatisme  articulaire  aigu  qui  l'a  tenu  au  lit  pendant  six 
semaines  ;  d'ailleurs  pas  de  convulsions  dans  l'enfance,  pas  d'alcoolisme,  pas 
de  maladies  dignes  d'être  notées,  en  un  mot,  jusqu'à  l'époque  où  est  survenu  l'ac- 
cident^ cause  occasionnelle  de  la  maladie  dont  il  soufïre  actuellement. 

C'était  à  la  fin  de  mai  1888.  Un  échafaudage  sur  lequel  il  était  monté  pour 
travailler  de  son  métier  de  maçon  fut  heurté  violemment  par  une  grosse  voi- 
ture qui  passait  dans  la  rue  et  s'écroula.  Il  fut  précipité  sur  le  sol  d'une  hau- 
teur de  10  mètres  environ.  Il  perdit  connaissance  au  moment  même  de  l'acci- 
dent et  ne  reprit  ses  sens  que  deux  heures  après  ;  il  se  trouva  couché  à 
l'hôpital  Tenon.  Il  ne  se  rappelle  rien  de  ce  qui  s'est  passé  lors  de  sa  chute 
qui  a  eu  lieu  vers  5  heures  du  soir,  et  même  il  a  oublié  une  bonne  partie  de 


—  287  — 

ce  qui  s'est  passé  ce  jour-hi.  Tous  les  renseignements  qu'il  nous  donne  à  cet 
égard  il  les  tiont  de  ses  camarades  témoins  de  l'événement  II  serait  tombé  sur 
les  reins  et  le  côté  droit.  Pas  de  grandes  blessures,  seulement  une  petite  plaie 
à  la  face  externe  de  la  cuisse  droito,  une  autre  au  cuir  chevelu  dans  la  région 
pariétale  droite,  enfin  quelques  contusions  sur  le  coté  droit  du  tronc.  Tout 
cela  était  fort  léger,  car,  au  bout  de  11  jours,  le  malade  demandait  à  sortir  de 
l'hôpital,  se  croyant  complètement  guéri. 

Ici  commence  une  période  qu'il  serait  fort  intéressant  de  pouvoir  étudier 
avec  soin  mais  sur  laquelle  malheureusement  nous  ne  possédons  que  peu  de 
renseignements.  Recueilli  par  des  parents  qu'il  a  près  de  Fontainebleau,  il 
passe  chez  eux  environ  trois  mois.  Là  il  se  sent  faible,  soufï'rant  aux  moindres 
efforts,  lorsqu'il  essaye  de  se  livrer  à  un  travail  manuel^,  de  douleurs  dans  la 
région  sacrée  et  d'une  grande  fatigue  dans  les  jambes  ;  pas  de  douleurs  de  tête 
cependant;  mais  le  sommeil  est  souvent  agité  par  des  rêves  effrayants  et 
d'autrefois  il  y  a  de  l'insomnie:  de  temps  à  autres  des  vertiges. En  août,  se  sen- 
tant un  peu  mieux,  il  se  croit  assez  fort  pour  reprendre  son  travail;  mais  à 
chaque  instant  il  se  voit  obligé  de  l'interrompre  à  cause  des  vertiges,  des  fai- 
blesses survenant  dans  les  membres  inrériours  et  des  douleurs  sacro-lombaires 
(plaque  sacrée)  qui  se  montrent  à  la  moindre  fatigue.  Il  continue  néanmoins 
son  métier  de  maçon  tant  bien  que  mal,  jusque  vers  le  milieu  de  décembre, 
époque  à  laquelle  sans  l'intervention  d'une  cause  nouvelle,  on  voit  les  accidents 
nerveux  se  multiplier  en  même  temps  qu'ils  s'accroissent  rapidement  et  attei- 
gnent le  haut  degré  d'intensité  où  ils  se  montrent  encore  aujourd'hui 

Ainsi  des  accidents  neurasthéniques  appartenant  surto'.ità la  variété  spinale, 
relativement  légers  puisqu'ils  n'empêchent  pas  absolument  Texercice  d'une 
profession  manuelle,  occupent  seuls  la  scène  pendant  une  période  de  près  de  six 
mois,  et  tout  à  coup,  sans  incident  nouveau  qu'on  puisse  incriminer,  voilà  que 
la  maladie  s'aggrave  et  prend  un  caractère  nouveau.  Ce  qui  s'est  passé  là  doit 
être  rapproché  de  ce  que  l'on  voit  assez  fréquemment  dans  les  collisions  de 
chemin  de  fer,  chez  des  individus  qui,  n'ayant  pas  été  blessés  ou  contusionnés 
sérieusement  semblent  n'avoir  été  en  somme  que  fort  légèrement  touchés  et 
devoir,  par  conséquent,  en  être  quittes  pour  la  peur.  On  voit  quelquefois  ces 
gens-là  au  moment  de  l'accident  porter  secours  aux  autres  blessés,  puis  rega- 
gner leur  destination  soit  en  montant  dans  un  autre  train  soit  même  quel- 
quefois à  pied,  ainsi  que  le  fait  a  été  constaté  lors  de  la  terrible  collision  de 
Charenton  en  1881  sur  la  ligne  du  chemin  de  fer  de  Paris-Lyon-Méditer- 
ranée (1).  Quelques  troubles  nerveux  plus  ou  moins  vagues,  surtout  des  insom- 
nies, sont  tout  d'abord  seuls  observés;  puis  tout  à  coup,  après  plusieurs  jours, 
plusieurs  semaines  ou  même  plusieurs  mois,  les  symptômes  de  la  maladie  ner- 

1.  Vibert.  Elude  médico-légale  sur  les  blessures  produites  par  les  accidents  de  chemiu  de  ftr 
Paris,  18^8.  —  Guiaon.  Les  agents  provocateurs  de  l'hystérie.  Paris,  i889. 

39 


—  288  — 

veuse  se  démasquent  dans  toute  leur  intensité.  Nous  trouvons  les  cas  de  cet 
ordre  signalés  par  tous  les  auteurs  qui  se  sont  occupés  particulièrement  des 
affections  du  système  nerveux  déterminées  par  les  accidents  de  chemins  de 
fer;  Erichsen,  Page  entre  autres  (2)  et  aussi  Oppenheim(3).  Il  existe  d'ailleurs, 
incontestablement,  en  dehors  du  traumatisme  proprement  dit,  ou  chirurgical 
si  vous  voulez,  au  point  de  vue  des  effets  déterminés  sur  l'organisme,  la  plus 
grande  analogie  entre  un  effondrement  d'échaffaudage  de  maçon  et  un  choc 
de  trains:  même  ébranlement  physique  — shake  andjar  — ,  même  ébranle- 
ment psychique  —  nervous  schock  —  de  part  et  d'autre,  et  c'en  est  assez  sans 
doute  pour  faire  comprendre  l'analogie  des  résultats  produits. 

Donc,  vers  le  milieu  de  décembre,  sans  cause  connue,  l'on  voit  chez  notre 
homme  la  situation  empirer  tout  à  coup. 

Aux  phénomènes  neurasthéniques  déjà  indiqués,  viennent  se  surajouter  des 
symptômes  nouveaux  d'ordre  hystérique,  en  même  temps  que  les  premiers 
s'aggravent. 

Voici  ce  qui  est  arrivé  alors  :  il  a  commencé  à  moins  bien  dormir  encore 
qu'avant.  Il  se  réveillait  en  sursaut,  rêvant  qu'il  tombait  du  haut  d'un  échaC- 
faudage  ;  puis  il  a  rêvé  d'animaux  terribles  :  il  voyait  des  lions,  des  tigres,  des 
éléphants  venir  vers  lui  d'un  air  menaçant,  sans  sentir  toutefois  leur  contact  ; 
plusieurs  fois  ces  images  ont  persisté  durant  quelques  minutes  après  le  réveil. 
Ces  rêves,  presque  constamment,  sont  suivis  d'une  sensation  d'oppression 
du  creux  épigastrique,  avec  serrement  le  long  du  sternum  remontant  jusqu'à 
la  gorge.  Le  malade  se  réveille  alors  tout  ému,  respirant  difficilement  et  ayant 
grand  mal  à  avaler  sa  salive.  Nous  avons  depuis  bien  longtemps,  M.  Richer  et 
moi,  signalé  chez  les  hystériques  hommes  ou  femmes,  ces  «  rêves  d'ani- 
maux »  qui  rappellent,  vous  le  voyez,  à  un  haut  degré,  les  rêves  des  alcooli- 
ques. 

Interrogé  à  l'improviste  sur  la  question  de  savoir  de  quel  côté  par  rapport  à 
lui  se  présentent  les  animaux  qu'il  voit  dans  ses  rêves  et  dont  l'image  persiste 
quelquefois  après  leréveil,ila  répondu  invariablement  que  c'étaitdu  côté  droit, 
c'est-à-dire  du  côté  où  siège  l'anesthésie  qu'ils  apparaissaient  :  c'est  là  une  par- 
ticularité déjà  signalée  dans  les  deux  cas  d'hystéro-neurasthénie  étudiés  dans 
la  précédente  leçon  et  que  nous  retrouverons  encore  dans  celui  qui  suivra. 
Je  ne  fais  que  l'indiquer  en  passant,  devant  y  revenir  par  la  suite. 

Il  n'y  a  pas  d'attaques  convulsives  ;  mais  il  y  a  des  représentants  ou  équiva- 
lents d'attaque  ;  il  les  appelle  «  ses  étourdissemcnts  »  ou  encore  «  ses 
vertiges  ».  Il  y  est  sujet  depuis  deux  mois  environ, et  ils  se  manifestent  prin- 
cipalement pendant  le  jour.  Si  vous  examinez  les  choses  d'un  peu  près,  vous 
reconnaîtrez  bien  vite  qu'il  ne  s'agit  pas  là  d'étourdissements  vulgaires.  Il 


2.  i^agc.  Injuries  of  Llie  Spine.  I.'uuloii,  ISSr),  p.  1(55. 

3.  Oppenlicim.  Real.  Encycloi-ddie,  art.  I^mi.way  Simnk 


—  280  — 

ressent  (l'abord  des  battements  de  eœur,  un  serrement  qui  monte  de  Tépigastre 
à  la  gorge  ;  des  cercles  lumineux  se  présentent  à  ses  yeux  (scotome  scintil- 
lant ?)  ;  puis,  ce  sont  des  sifflements  dans  les  oreilles,  des  battements  dans 
les  tempes:  c'est  alors  que  la  vue  s'obnubile,  et  que  survient  ce  qu'il  appelle 
son  vertige.  Quelquefois  il  perd  connaissance  et  plusieurs  fois  il  est  tombé  à 
terre,  sans  présenter  de  convulsions;  parfois  cependant  la  chute  a  été  accom- 
pagn(''e  de  secousses  musculaires. 

Dans  les  descriptions  qui  précèdent  nous  retrouvons  la  plupart  des  phéno- 
mènes classiques  de  Taura  qui  précède  les  attaques  hystéro-épileptiques.  Il  y 
a,  vous  ne  l'avez  pas  oublié,  des  hystéro-épileptiques  à  crises  typiques,  qui 
parfois  ressentent  les  phénomènes  de  l'aura  pendant  un  temps  sans  ([ue 
l'attaque  proprement  dite  s'ensuive  (1).  Il  y  a  d'autres  cas,  et  ceci  se  voit 
surtout  chez  l'homme,  où  la  crise  est  constamment  représentée  par  l'aura  telle 
qu'elle  vient  d'être  décrite  plus  haut,  sans  jamais  êtes  suivie  d'attaques  con- 
vulsives.  Enfin,  sans  sortir  de  l'hystérie,  Richer,  sous  le  nom  d'accès  épilepti- 
ques  incomplets,  a  donné  la  description  d'une  variété  d'attaque  qui  ressemble 
beaucoup  au  vertige  comitial  quand  il  s'accompagne  de  quelques  contrac- 
tions musculaires  rapides  et  localisées  à  certains  groupes  de  muscles  (accès 
épileptiques  incomplets  de  Herpin).  Voilà  autant  de  faits  qu'il  faut  avoir  pré- 
sents à  l'esprit,  lorsque  chez  les  hystériques,  surtout  chez  les  mâles,  on  se 
trouve  en  présence  de  certains  «  étourdisscments  ou  vertiges  ».  de  certaines 
«  syncopes  »  comme  on  les  appelle  encore,  dont  l'interprétation  peut  paraître 
difficile.  Ce  ne  sont  là  le  plus,  souvent,  suivant  la  terminologie  que  je  propo- 
sais tout  à  l'heure  d'adopter,  que  des  équivalents  ou  représentants  d'attaques 
hystéro-épileptiques  ou  si  vous  faimez  mieux  des  «  attaques  avortées  ». 

Les  rêves  et  les  «  étourdisscments  »  malgré  l'amélioration  qui  s'est  produite, 
récemment,  dans  tous  les  symptômes,  persistent  encore  actuellement  à  un 
certain  degré,  et  si  vous  y  joignez  les  résultats  obtenus  chez  notre  homme  par 
la  recherche  des  stigmates,  toujours  présents,  vous  aurez  complété,  en  ce  qui  le 
concerne,  le  tableau  des  symptômes  hystériques  tel  qu'il  s'offre  à  nous  au  jour 
d'hui. 

Voici  fénumération  des  stigmates  en  question.  —  Diminution  de  la  sensi- 
bilité cutanée  dans  tous  ses  modes  sur  toute  l'étendue  du  corps.  —  Véritable 
hémianesthésie  à  droite  :  léger  rétrécissement  du  champ  visuel  pour  les  deux 
yeux.  Voy.  les  fig.  64,  65,  66,  67  p.  290,  291.  Pas  de  polyopie  monoculaire;  pas 
de  dyschromatopsie  —  peut  être  un  peu  de  nystagmus.  Diminution  très  pro- 
noncée du  goût  des  deux  côtés  de  la  langue.  Abolition  du  réflexe  pharyngien. 
Odorat  très  diminué  surtout  à  gauche.  Au  repos  léger  tremblement  vibratoire 
des  mains,  lequel  disparait  si  on  fait  étendre  la  main  et  écarter  les  doigts. 


i,  Paul  Richer.  De  l'attaque  hystéro-épileptigue,  2«  édition,  p.  22. 


290  — 


Ainsi  que  nous  l'avons  fait  remarquer,  les  symptômes  de  neurasthénie  spi- 
nale ont  été  les  premiers  en  date,  et  ils  ont  seuls  tenu  la  scène  pendant  une 


Fig.  64.  —  12:décembre  :1888. 


l-xl.  »i 


90  Exl 


Fig.  65.  —  23  janvier  1889. 


période  de  plusieurs  mois  avant  l'apparition  des  symptômes  hystériques  ;  mais 
ils  se  sont  notoirement  aggravés  nu  moment  même  où^ceux-ci  se  sont  mani- 
festés. Voici  en  quoi  ils  consistent  aujourd'hui: 


—  291  - 


Tr...lay  a  la  tête  lourde,  comme  serrée  dans  un  cercle  de  fer.  Il  ne  peut  pas 
entendre  un  bruit  sans  tressauter.  11  lui  semble  qu'il  n'a  plus  de  mémoire  ;  il  ne 
peut  plus  penser  à  rien  sans  que  la  céphalée  s'aggrave.  Eu  somme,  à  cet  égard, 


¥ 


Fig.  66, 


Fie-   67. 


il  se  trouve  dans  les  conditions  auxquelles  conduit  le  surmenage  intellectuel, 
bien  que  chez  lui  Tintelligence  n'ait  pas  été  en  cause;  et  à  ce  propos  il  n'est 
pas  sans  intérêt  de  relever  en  passant  comment  la  lente  influence  du  surme- 
nage de  l'esprit,  et  la  brusque  action  d'un  ébranlement  psychique  soudain, 
bien  qu'il  s'agisse  là  de  causes  en  apparence  fort  diflférentes,  peuvent  aboutir 
cependant  au  même  résultat. 


9;)0    .'- 

La  neurasthénie  spinale  du  début  s'est  accentuée  :  la  «  plaque  sacrée  »  est 
plus  prononcée  que  jamais;  les  membres  inférieurs  sont  faibles  et  facilement 
fatigués.  Le  dynanomètre  donne  pour  la  main  droite  18  et  pour  la  gauche  25, 
Pas  de  troubles  gastriques  bien  prononcés. 

Ainsi  étaient  les  choses  il  y  a  un  mois  à  peine  ;  comme  nous  l'avons  dit,  elles 
se  sont  amendées  depuis  sous  l'influence  du  traitement  (bromure  de  po- 
tassium, toniques,  bains  sulfureux.)  Les  cauchemars  et  les  vertiges  sont  plus 
rares  le  malade  a  Tair  moins  découragé,  moins  prostré.  Le  dynamomètre  donne 
actuellement  43  pour  la  main  droite  et  65  pour  la  main  gauche  ;  mais  les  stig- 
mates persistent  tels  quels  ou  à  peu  près  et  pour  arriver  à  la  guérison  il  reste 
encore  beaucoup  à  faire.  L'homme,  —  et  l'on  peut  dire  Fhomme  vigoureux  sur- 
tout —  lorsqu'il  est  tombé  dans  l'hystéro-neurasthénie,  n'en  sort  pas  si  facile- 
ment... quand  il  en  sort!  Notre  malade  très  certainement  sera  pour  longtemps 
encore  incapable  de  se  livrer  à  un  travail  manuel  suivi,,  et  en  particulier  de 
remonter  sur  son  échafaudage. 

IL  Ce  même  ensemble  symptomatique  que  nous  venons  de  relèvera  Tinstant 
chez  notre  maçon  tombé  du  haut  d'un  échafaudage^  nous  allons  le  retrouver 
plus  accentué  encore  peut-être,  si  cela  est  possible,  chez  le  dernier  sujet  qu'il 
nous  reste  à  examiner,  bien  que  chez  lui  il  n'y  ait  pas  à  invoquer  le  moindre 
traumatisme,  le  moindre  ébranlement  physique.  Il  est  vrai  que  cette  fois 
Véhranlemeni  psychique  B,  été  aussi  profond,  aussi  terrible,  ajouterai-je,  qu'on 
le  puisse  imaginer.  Vous  allez  en  juger. 

Voici  ce  qui  s'est  passé:  C'était  le  27  septembre  1887,  c'est-à-dire  il  y  a 
quinze  mois,  Con...ns,  âgé  de  53  ans,  ouvrier  laborieux,  gagnant  7  francs  par 
jour,  exerçait  son  métier  de  menuisier  en  bâtiment,  dans  une  maison  en 
construction  où  son  fils,  âgé  de  18  ans,  travaillait  justement,  lui  aussi,  comme 
couvreur.  Or,  il  arriva  que  l'infortuné  jeune  homme  fut  précipité  du  toit  où  il 
travaillait,  c'est-à-dire  de  la  hauteur  d'un  sixième  étage  environ,  sur  le  pavé 
de  la  rue  où  il  fut  tué  raide. 

Con...ns,  aux  clameurs  poussées  par  les  assistants,  accourut  sur  le  lieu  du 
drame  et  se  trouva  face  à  face  avec  le  cadavre  de  son  malheureux  fils,  horri- 
blement défiguré.  Certes  il  dut,  en  ce  moment-là,  ressentir  une  des  impressions 
morales  les  plus  cruelles  qu'on  se  puisse  figurer,  d'autant  plus  que  ce  lils  était 
de  sa  part,  paraît-il,  l'objet  d'une  affection  profonde.  Aussitôt  il  s'évanouit 
et  resta  inconscient  pendant  quelques  minutes. 

A  partir  de  ce  moment-là,  tout  est  changé  en  lui.  Il  ne  se  sent  plus  le  même 
qu'auparavant.  Lui,  autrefois  gai  et  remuant,  il  est  devenu  triste,  maussade. 
Il  évite  la  société  qu'il  fréquentait  dans  le  temps  avec  plaisir.  Il  dort  mal  ou 
quand  ildort,son  sommeil  est  agité  par  des  rêves  très  fatiguants  et  très  pénibles. 
Ils  se  rapportent  à  son  fils  qu'il  revoit  enfant  et  heureux,  ou  par  un  contraste 
sinistre,  pâle,  défiguré,  ensanglanté  tel  qu'il  était  au  moment  de  l'accident.  Il 


sent  sa  mémoire  alïaihlie,  il  est  disirait,  ne  se  souvient  pas  de  ce  qu'il  a  fait 
quelque  temps  auparavant.  Il  soulfre  de  la  tête  d'une  far^on  à  peu  près  cons- 
tante. 11  a,  dit-il,  sur  la  tête  comme  un  casque  lourd  qui  lui  comprime  le  front 
sur  chaque  tempe  et  l'occiput,  et  il  ressent  au  moindre  mouvement  du  cou  des 
craquements.  Les  fonctions  génitales  sont  très  afïaiblies  ;  après  avoir  mangé 
il  se  sent  tout  gonflé,  il  a  des  éructations,  le  sang  lui  monte  à  la  figure  et  il 
est  tout  somnolent.  Il  est  faible,  facilement  fatigué,  pas  assez  cependant  pour 
ne  pas  continuer  son  travail. 

Tels  sont  les  accidents  nerveux  d'ordre  neurasthénicpje  qui  seuls  ont  régné 
chez  notre  homme  pendant  une  période  de  plus  de  douze  mois.  Il  semble  que 
chez  ces  natures  rustiques,  non  amollies  par  la  culture,  où  l'hystéro-neurasthé- 
nie  se  développe  sous  l'influence  d'une  cause  brusque, à  action  violente  et  non- 
comme  conséquence  des  applications  lentes  d'une  cause  déprimante,  il  semble^ 
dis-je,  que  ce  soit  la  neurasthénie  qui  constamment  précède  l'hystérie  et  lui 
prépare  en  quelque  sorte  le  terrain.  Il  paraît,  en  d'autres  termes,  qu'en  pareil 
cas  pour  devenir  hystérique  il  faille  passer  par  la  neurasthénie.  De  fait,  les 
choses  ont  été  ainsi  chez  le  dernier  malade  dont  nous  nous  sommes  occupés  ; 
elles  se  sont  produites  absolument  de  la  même  façon  chez  celui  que  nous 
étudions  en  ce  moment.  Les  manifestations  hystériques  ont  éclaté  tout  à 
coup,  bruyamment,  sur  le  fond  neurasthénique,  sans  1'  intervention  d'une 
provocation  nouvelle. 

Le  7  octobre  dernier,  il  y  a  près  de  cinq  mois^  étant  monté  sur  une  échelle, 
occupé  à  poser  une  planche,  il  se  sent  tout  à  coup  comme  ébloui  par  des 
étincelles  qui  brillent  un  instant  devant  ses  yeux  (scotome  scintillant  ?)  ;  les 
oreilles  lui  tintent,  sa  vue  s'obnubile,  il  se  sent  comme  étourdi,  perd  con- 
naissance et  tombe  à  terre  Au  bout  d'un  quart  d'heure,  il  est  revenu  à  lui  un 
instant,  paraît-il,  puis  il  est  redevenu  inconscient,  cette  fois  pour  huit  heures 
environ.  Quand  il  est  sorti  de  cet  état  il  était  atteint  d'hémiplégie  gauche  ; 
les  gens  qui  l'ont  secouru  au  moment  de  l'accident  assurent  que  cette  hémi- 
plégie existait  dès  l'origine. 

Quoi  qu'il  en  soit,  elle  persiste  aujourd'hui  encore,  à  peu  près  telle  qu'elle 
était  au  début,  un  peu  amendée  toutefois,  et  il  nous  est  possible  d'en  étudier 
les  caractères  cliniques  qui  sont  fort  accentués  et  fort  significatifs. 

Nous  rappellerons  d'abord  quelques  symptômes  qui  ont  existé  durant  les 
premiers  jours  de  l'hémiplégie  et  qui,  aujourd'hui,  se  sont  eflacés  :  langue 
tirée  vers  la  droite,  quoique,  remarquez-le  bien,  l'hémiplégie  soit  à  gauche. 
La  commissure  labiale  est  fortement  déviée  en  haut  et  à  gauche  ;  spasme  des 
paupières  de  ce  même  côté.  Tous  les  phénomènes  ci-dessus  se  rapportent  au 
spasme  glosso-labié  des  hystériques.  —  Il  y  a  eu  du  mutisme  pendant  quel- 
ques jours  (mutisme  hystérique).  •«  J'entendais  et  je  comprenais  bien,  dit  le 
malade,  tout  ce  que  les  autres  disaient,  et  les  mots  me  venaient  pour  répondre. 
Mais  c'était  ma  langue  qui  ne  voulait  pas  tourner.  ^ 


—  294  — 

L'hémiplégie  des  membres  persiste  seule  actuellement.  Elle  a  été  à  peu  près 
complète  au  début,  et,  à  cette  époque-là,  les  membres  supérieurs  et  inférieurs 
gauches  étaient  flasques,  absolument  inertes.  Il  lui  fallut  rester  au  lit  pendant 
huit  jours.  Puis,  quand  il  a  pu  marcher,  le  membre  inférieur  était  traîné 
sur  lesol  comme  un  corps  inerte,  suivantla  description  bien  connue  de  Todd. 

Hémianesthésie  gauche  complète^  cutanée  et  profonde,  portant  sur  tous 
les  modes  de  la  sensibilité,  occupant  la  face,  le  tronc,  les  membres.  Voyez 
fig.  69  et  70.  Perte  du  sens  musculaire,  de  la  notion  de  position,  etc.  Les 
troubles  de  la  sensibilité  sont  tels  qu'on  ne  les  observe  jamais  à  ce  degré-là, 
vous  le  savez,  que  dans  l'hémiplégie  hystérique. 


» 


-G 


Fig.  68. 


L'anesthésie  en  eftet,  est  non  seulement  sensitive  mais  encore  sensorielle  ; 
rétrécissement  double  du  champ  visuel,  plus  prononcé  à  gauche,  pas  de 
polyopie  monoculaire  mais  micropsie,  macropsie.  Dyschromatopsie,  ouïe 
affaiblie  à  gauche,  goût  aboli  sur  toute  Tétendue  de  la  langue.  Insensibilité  du 
pharynx  (Fig.  68). 

Le  dynamomètre  a  donné  il  y  a  un  mois  60  à  droite,  10  à  gauche.  Aujour- 
d'hui qu'il  y  a  eu  de  l'amélioration,  il  donne  60  à  droite  et  25  à  gauche. 

Les  rêves  depuis  l'appariiion  des  symptômes  hystériques  ont  un  peu 
changé  de  caractère.  Ils  ne  sont  plus  relatifs  à  la  mort  de  son  fils.  Il  voit,  main- 
tenant surtout,  des  animaux  féroces,  un  chat  gris  qui  lo  mord  et  avec  lequel 
il  lutte.  Il  assure  que  ces  animaux  s'avancent  vers  lui  venant  du  côté  gauche. 

Il  est  vraisemblable  que   la  grande  attaque    qui  a  inauguré  le  début  des 


—  295  — 

phénomènes  hystériques  a  été  une  attaque  de  sommeil,  ou  apoplectiforme 
comme  \rous  voudrez  l'appeler  ;  aujourd'hui  il  n'y  a  pas  de  grandes  attaques 
convulsives    mais  celles-ci   sont  suffisamment   représentées  par  les  phéoo- 


Fig.  69.  Fig.  70. 

Le  scrotum  est  sensible  ;  la  moitié  gauche  de  la  verge  est  insensible. 


mènes  suivants.  De  temps  à  autre  Con...ns  ressent  dans  les  membres  paralysés 
quelque  chose  qui  lui  monte  vers  le  cou  et  qui  Fétrangle.  11  entend  alors  un 
bruit  dans  son  oreille  gauche  ;  sa  vue  s'obscurcit  et  bientôt  il  perd  con- 
naissance. En  ce  moment-là  les  membres  sont  rai  des  ;  peu  après  ils  sont  pris 
de  trépidation,  puis  son  cou  gonfle   de  nouveau  ;   il  étoufle,   il  crie,  «  saute 

40 


-296  — 


comme  une  hystérique  »  suivant  la  relation  de  la  veilleuse  de  nuit,  et  fait  de 
tels  mouvements  que  son  lit  en  est  ébranlé.  Les  convulsions,  d'une  façon  géné- 
rale, prédominent  du  côté  gauche,  c'est-à-dire  du  côté  où  les  membres  sont 
paralysés,  (attaque  hystéro-épileptique  à  forme  d'épilepsie  partielle.) 

Voilà  certes  un  tableau  fort  complet  et  parfaitement  classique.  Personne 
ne  doutera  que  c'est  bien  ici  d'hystéro-neurasthénie  qu'il  s'agit. 

Il  ne  me  reste  plus,  pour  en  finir  avec  ce  cas,  qu'à  vous  parler  des  antécédents 
tant  héréditaires  que  personnels  qui  le  concerne.  Il  est  établi  que  Gon. .  .ns  était 
un  homme  vigoureux,  robuste,  d'un  bon  moral,  avant  l'époque  de  la  mort  ter- 
rible de  son  fils.  Il  a  eu  autrefois  la  fièvre  typhoïde  et  la  syphilis;  mais  de  tout 
cela  il  n'était  point  resté  de  traces.  lia  servi  et  a  fait  la  campagne  de  Grimée. 

Ci-joint  un  tableau  qui  fait  connaître  ses  antécédents  héréditaires. 


Deux  Oncles 
Très     emportés 
buveurs. 


COTÉ  PATERNEL 

Père 
et       Alcoolique,   empor- 
té,   il   tombait    raidc 
quand  il  avait  bu.  — 
Mort  d'apoplexie  ? 


COTE  MATERNEL 


MÈRE 

Très  emportée,  mais 
pas  d'attaques  de  nerfs. 
Mort  par  cancer  de 
l'utérus. 


Oncle  maternel 
Très  colère. 


Un  Frère  Frère  mort  Une  Sœur 

Épilep tique  Apoplectique  avait  eu  souvent  des  convul- 

sions étant  jeune. 
Notre  malade  —  Hystéro-neurasthénique. 

On  voit  que  les  tares  nerveuses  ne  font  pas  défaut  dans  la  famille 

Je  crois  utile  en  manière  de  conclusion  de  grouper  dans  un  tableau  synop- 
tique les  principaux  faits  de  l'histoire  des  quatre  hommes  hystéro-neurasté- 
nique  étudiés  dans  la  séance  d'aujourd'hui  et  dans  celle  qui  Ta  précédée.  Voir 
le  tableau  pages  "298,  299. 

Il  suffira,  je  pense,  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  le  tableau  pour  être  frappé  des 
faits  suivants  : 

Il  s'agit  dans  tous  les  cas  d'artisans  âgés  de  31  à  53  ans,  pleins  de  vigueur 
et  d'activité  avant  le  développement  des  symptômes  hystéro-neurasthéniques. 
En  général,  ce  sont  les  phénomènes  neurasthéniques  qui  ouvrent  la  scène, 
et,  si  l'on  peut  ainsi  dire, préparent  le  terrain  sur  lequel  se  développent, un  peu 
plus  tard,  les  symptômes  hystériques. 

Sous  le  rapport  des  symptômes,  les  quatre  observations  sont  en  quelque 
sorte  identiques  :  on  pourrait  dire  qu'elles  se  superposent  à  peu  près  sur  tous 
les  points  ;  d'un  côté  mêmes  phénomènes  psychiques,  même  dépression  men- 
tale, même  céphalée  neurasthénique,  même  affaiblissement  des  forces  physi- 
ques; de  l'autre  côté  même  stigmates  sensitifs  et  sensoriels,  mêmes  hémiplégies 
motrices  avec  spasmes  glosso-labiés  etc,  etc.  L'attaque  est  représentée 
trois  fois  sur  quatre. 


—  207  — 

Sous  tous  ces  rapport?,  on  le  voit,  l'uniformité  est  parfaite.  Il  n'en  est  plus 
de  même  lorsque  l'on  cor  suite  les  colonnes  du  tableau  relatives  aux  circons- 
tances étiologiqucs.  11  est  vrai  que    dans  la  majorité   des    cas,  trois  fois  sur 
quatre,   nous   trouvons    les     antécédents   héréditaires    névropatliirpies  fort 
chargés  :  mais  par  contre,  lorsqu'il  s'agit  des  causes  occasionnelles,  provoca- 
trices auxquelles  on  est  conduit  à  rattacher  l'apparition   plus  ou    moins  im- 
médiate dos   accidents  nerveux  jusque-là  nuls,  inconnus  ou    pour   le   moins 
restés  latents,  nous  avons  à  relever  dos  différences  vraiment  capitales.  Ainsi 
chez  l'un  do  nos  sujets,  le  n°  1,  la  maladie  se  développe  en  apparence  sponta- 
nément, sans    l'intervention  d'une  cause  appréciable  quelconque  ;  le  satur- 
nisme est  la  seule  influence  qu'on  puisse  invoquer  et  encore  ;  chez  le  second 
au  contraire  elle  apparaît    en  conséquence    d'une  chute    dans     l'eau,   par 
suite  de  laquelle  le  pauvre  garçon  a  failli  se  noyer;  chez  le  troisième  il  s'agit 
de  la  chute  d'un  échafaudage.   On  peut  entre  ces  deux  derniers  cas  recon- 
naître à  la  rigueur  des  tra^s  communs  :  il  y  a  eu  en  effet  à  la  fois   ébranle- 
ment physique    et   ébranlement  psychique  soudainement  produits,   comme 
cela  se  voit  dans  les  collisions  de  train  ;  mais  que  dire  alors  du  quatrième 
sujet  chez  lequel  tous  les  symptômes  se  manifestent  sans  le  concours  d'aucun 
ébranlement  physique  par  le  seul  fait  de  l'épouvantable   saisissement   qu'il 
éprouve  à  la  vue  du  cadavre  de  son  fils,  tué  en  tombant  du   haut   d'un  toit? 
Tout  cela  certes  vient  à  l'appui  de  la  proposition  que   je  formulais  en  com- 
mençant.   En  matière  d'hystéro-neurasthénie  survenant  chez  l'homme  vigou- 
reux,  voué  aux   travaux   manuels,  la  forme   nosographique   reste   fixe    en 
présence  de  la  variété  des  causes  occasionnelles.  Il  ne  parait  pas,  en  d'autres 
termes,  que  la  cause  occasionnelle  détermine  sur  les  symptômes  dont  elle 
provoque  l'apparition    une  empreinte   particulière,  suffisamment    originale 
pour  permettre  de  deviner  quelle  a  été  cette  cause  ou  même  de  le  conjecturer. 
En  manière  d'épreuve,  on  pourrait  formuler  le  problème  suivant,  dont  la  so- 
lution je  pense,  ne  saurait  être  donnée  dans  l'état  actuel  des  choses.  Nos  qua- 
tre malades  seront  mis  à   la  disposition  d'un   clinicien  expert   en  pareilles 
matières  ;  il  pourra  les  examiner  tout  à  loisir  :  il  lui  sera  interdit  seulement, 
bien  entendu,  de  s'enquérir  de  la  cause  occasionnelle.  Pourra-t-il,  d'après  la 
seule  considération  des  symptômes, de  leur  évolution,  etc.,  arrivera  la  détermi- 
ner même  approximativement  ;  pourra-t-il  déclarer  que  chez  celui-ci  la  ma- 
ladie est  survenue  spontanément^  que  cet  autre  a  failli  se  noyer,  que  celui-là 
est  tombé   du  haut  d'un  échafaudage,  que  le  dernier  enfin  a  été  à   la   fois 
saisi  de  douleur  et  d'effroi  à  la  vue  du  cadavre  de  son  fils  ?  Evidemment  non  ;  et 
ce  que  je  dis  là,  relativement  aux  cas  précédents,  je  pourrais  le  répéter  à  propos 
des    hystéro-neurasthénies    produites    par  les  collisions    de   train  {nathrntj 
spme),  dont  je  vous  montrais  un  bel  exemple,  dans  la  leçon  du  4  décembre 
dernier.  Avec  toute  la  bonne  volonté  possible  je  m'efforce  d'apprendre  à  recon- 
naître les  grands  caractères  qui,  suivant  quelques  auteurs,  distingueraient  la 


—  298  — 

névrose  traumatique  des  autres  formes  de  Vhystéro  neurasthénie  mâle  traumaii 
que  ou  non  traumatique^  en  vérité,  je  ne  les  vois  pas. 

Un  mot  en  terminant  sur  cette  circonstance  notée  dans  nos  quatre  observa- 
tions que  les  images  visuelles  d'animaux,  d'enterrements,  ou  de  toute  autre 
nature,  vues  en  rêve  et  persistant  quelquefois  un  instant  après  le  réveil, 
apparaissent  constamment  du  côté  correspondant  à  l'hémianesthésie,  côté  où 
le  rétrécissement  du  champ  viusel  est  dans  la  règle,  le  plus  prononcé.  Ce  fait 
est  en  quelque  sorte  le  pendant  de  celui  que  nous  avons  mis  en  lumière,  il  y  a 
longtemps  déjà  {Progrès  médical  n°  3,  janvier  1878  (1)  chez  les  femmes  hysté- 
riques hémianesthésiques.  Il  est  très  commun  que  ces  malades,  même  dans 
leurspériodesd'accalmie,soienttourmentéesparlavision  imaginaire  d'animaux, 


ANTECEDENTS     HERE- 
NOMS  ET  PROFESSIONS       DITAIRES    NERVEUX 
AGE  OU 

ARTHRITIQUES 


T 

Laf.-.cque,     plom-    Inconnus. 
bier,  48  ans.  V.  12«  le- 
çon III..,  p.  265. 


ANTECEDENTS 
PERSONNELS 


CAUSE 
PROVOCATRICE 

(occasionnelle) 


SYMPTOMES 
NEURASTHÉNIQUES 


Coliques  de  plomb.       Aucune  cause  appa-        Céphalée  ;    dëpres' 
rente.  sion  rsy chique  ;   mé- 

moire affaiblie;  dyna- 
momètre, 58,55. 


II 
Gre.  fe,  boulanger.    Très  chargés. 
31  ans,  12---  leçon.   II., 
p.  261. 


0 


Chute  dans  Veau  en  Céphalée,      dépres- 

pén/tant  à    Vépervier.  sion   psychique,    mé- 

Menacé  d'être  noyé  il  rnoire    affaiblie,  dys- 

y  a  A  mois.  pepsie.  Dynam.bb,  21. 


111 
Trem.-.ay,   32  ans, 
maçon,    13«   leçon,   p. 
2Sd,  sq. 


Très  chargi-s. 


Rhumatisme  articu-       Chute  d'un  échafau- 
laire  aigu.  —  Esprit   dage  {hauteur  10  v/.), 


faible. 


IV 

GoNST.s  .menuisier    Très  chargés. 
en  bâtiment,    53   ans, 
13«  leçon,  p.  292,  sq. 


0 


il  y  a  1  mois. 


Saisissement  enpré- 
sence  du  cadavre  de 


Céphalée,  dépres- 
sion mentale  extrême, 
air  sombre,  7tiémoire 
confuse,  dyspepsie, 
affaiblissement  seruel, 
Dynam.,  18,  25  puis 
45,  65. 

Céphalée,  dépres- 
sion   me 'taie,    tend. 


son  fils  lue  par  acci-  mélancolique,  mémoi- 
dent,  il  y  a  quinze  re  confuse,  dyspepsie, 
^ois.  affaiblissement  sexuel, 

dynam.  10,  60  puis  25, 

60. 


1.  Leçons  sur  les  maladies  du  système  nerveux.  A*  édition,  page  424. 


I 


—  299  — 

de  chats,  de  nxts,  de  bêtos  fantastiques  qui  semblent  courir  sur  le  parquet  ou 
sur  le  mur  voisin.  Ces  animaux,  généralement  de  couleur  noire  ou  grise,  plus 
rarement  d'un  rouge  vif,  se  présentent  pour  chaque  malade  du  même  c6té,  et 
ce  côté  où  l'hallucination  se  dessine  est  toujours  celui  qui  correspond  à 
l'hémianesthésie  et  par  conséquent  à  l'amblyopie. Habituellement, les  animaux 
passent  en  série  et  courent  rapidement  venant  de  derrière  la  malade  et  se 
dirigeant  d'arrière  en  avant.  Ils  disparaissent  aussitôt  qu'elle  tourne  les  yeux 
de  leur  côté. 

On  voit  que  ces  phénomènes,  intéressants  aussi  bien  au  point  de  vue  de  la 
psychologie  pathologique  qu'au  point  de  vue  de  la  clinique,  sont  exactement 
les  mêmes  chez  l'homme  hystérique. 


STIGMATES 
HYSTÉRIQUES 
SENSITIFS    ET    SENSO- 
RIELS 


PARALYSIES 
HYSTÉRIQUES 


ATTAQUES 

OU 

ÉQUrVALENTKS 

d'attaques 


REVES 


ÉPOQUE  DU  DÉBUT 

DES 

ACCIDENTS     NERVEUX 


Rétrécissement  double 
du  champ  visuel, Pha- 
rynx insensible,  ob- 
nub.  du  goût,  hemia- 
nesthésie  gauche. 

Rétrécissement  du 
champ  visuel.  Pha- 
rynx insensible,  goût 
affecté,  hémianesthé- 
sie  gai  che. 

Rétrécissement  du 
champ  vi'iufl,  pha- 
rynx Insen'sible^obnub. 
du  goût,  hémianes- 
thésie  droite. 


Hémiplégie  gauche, 
contracture  de  la  lan- 
gue. 


Hémip'égie  gauche 
avec  douleur  à  la 
cuisse,  blepharospas- 
me  il  gauche,  langue 
tirée  adroite. 


Aura  montant  de  la 
fosse  iliaque  gauche, 
boule. 


0 


Hémiparésie  droite.       Aura,  vertiges,  per- 
les  de  cmnuissance. 


Vipères,  couleuvres, 
il  les  voit  qu'lquefois 
à  Vétat  de  veille,  ils 
se  préssnlent  à  gau- 
che. 


Il  y  a  deux  mois. 


Rêve    de  son  a^^ci-       Début  quinze  ours 

dent,  voit  des  enterre-   après  V accident .     La 

ments qui  viennent  de   neuras'hénie  et  Ihys- 

la  gauche.  térie  se  montrent   si- 

mulianément. 


Rêve  de    son     acci-      La  neurasthénie  d'à- 
dent.rêves d'animaux,    bord,    l'hystérie   trois 
éléphaîits,  lions  qui  se    ynois  après, 
présentent     du     côté 
droit. 


Rétrécissement  du  Hémiplégie  gauche.  Attaques  apoplec^  Rêve  de  V  accident,  Les  phénomènes  neu- 
champ  visuel,  perte  langue  déviée  à  droite,  ti formes  {de  sommeil),  rêves  d'animaux  qui  raslhénigues  appa- 
du    goût,    anesthésie    bouche  tirée  à  gauche    aura  et  vertiges.  se  présentent  du  côté    raissent aussitôt  après 

pharyngée,  hémianes-    et    en    haut,    spasme  gauche.  l'accident.   Les  symp- 

thesie  gauche.  de  l'œil  gauche.  tomes  hystériques  un 

an  après. 


t». 


.o*o.d*Typ.    -    .'^'oistT.    ,8,  r.C«iU(.a^iio   i'r«miir«.  V'ari*. 


Policlinique  du  Mardi  21  Février  1889 


QUATORZIEME    LEÇON 


Cas  d'automatisme  comitial  ambulatoire. 


Messieurs, 

Vous  avez  devant  vous  un  malade  nommé  Men...s,  que  quelques-uns 
connaissent  fort  bien  déjà.  Je  vous  l'ai  présenté  ici  même,  il  y  a  un  an 
environ,  à  l'occasion  d'accidents  nerveux  analogues  à  celui  qui  nous  le  ramène 
aujourd'hui.  Il  est  sujet  à  des  accès  consistant  en  ce  que  tout  à  coup  (i),  au 
milieu  de  ses  occupations  habituelles,  sans  prodromes  bien  marqués,  il  perd  la 
conscience  de  ses  actes,  se  met  en  marche  résolument  sans  savoir  cependant 
où  il  va,  à  la  manière  d'un  automate  et  ne  reprend  sa  lucidité  qu'au  bout  d'une 
période  de  temps  dont  la  durée  peut  varier  de  quelques  heures  à  quelques 
jours.  Le  dernier  accès  qu'il  a  éprouvé,  et  à  propos  duquel  il  vient  nous 
consulter  à  nouveau,  n'a  pas  duré  moins  de  dix  jours. 


I 

Men...  s,  va  tout  à  l'heure  nous  raconter  lui-même  ce  qu'il  sait  de  ses 
fugues  ;  au  préalable,  je  crois  utile  de  vous  rappeler  qu'il  est  âgé  de  37  ans, 
marié,  père  de  deux  enfants  bien  portants  et  qu'il  est  fort  rangé,  de  mœurs 
douces,  absolument  étranger  aux  excès  alcooliques  ou  autres;  que  jamais  il 
n'avait  été  malade  jusqu'à  l'époque  où,  il  y  a  deux  ans,  commencèrent  à 
paraître,  sans  cause  appréciable,  les  crises  nerveuses  dont  la  description  va 
nous  occuper,  et  qu'enfin,  l'étude  de  ses  antécédents  de  famille  poussée  aussi 
loin  que  possible  ne  nous  a  rien  appris  qui  mérite  d'être  signalé.  D'ailleurs  sa 


1.  Voir  Levons  du  mardi  lSb7,    1888.  —  Le(;oii  du  31  janvier,  p.  165. 

41 


—  304  — 

physionomie  est, comme  vous  le  voyez,  parfaitement  calme,  absolument  dénuée 
de  traits  accentués,  neutre  si  vous  voulez,  exprimant  toutefois  plutôt  l'in- 
telligence. 

Il  exerce  la  profession  de  Livreur  de  marchandises  à  domicile,  pour  le  compte 
d'une  des  grandes  maisons  de  fabrication  de  bronze  d'art  de  la  rue  Amelot,  à 
Paris.  Pendant  dix-neuf  ans,  il  est  resté  chez  le  même  patron,  M.  X...  qui,  retiré 
des  affaires  depuis  peu  de  temps  seulement,  accompagne  aujourd'hui  son 
ancien  employé  auquel  il  porte  le  plus  vif  intérêt,  pour  témoigner,  au  besoin, 
à  la  fois  de  sa  moralité  et  de  sa  véracité. 

S'adressant  au  malade:  —  Voulez-vous  me  dire,  je  vous  prie,  comment  vous 
avez  employé  votre  journée  du  vendredi  18  janvier  ?  Ses  occupations,  je  le 
répète,  messieurs,  consistent  essentiellement  à  porter,  dans  la  voiture  de  la 
maison  où  il  est  employé,  des  commandes  telles  que  :  objets  de  bronze  d'art, 
candélabres,  etc.,  qu'il  livre  aux  clients  et  dont  il  touche  les  factures. 

Le  malade:  Ce  jour-là,  je  suis  parti  de  bonne  heure  de  la  maison,  ayant  à 
faire  de  nombreuses  courses  :  il  me  fallait  aller  d'abord  boulevard  Saint- 
Germain,  puis  faubourg  Saint-Honoré  ;  de  là  rue  des  Abbesses  à  Montmartre, 
après  cela  rue  de  Ghàteaudun,  et  en  dernier  lieu  rue  de  Mazagran.  Je  suis 
monté  chez  le  client  de  la  rue  de  Mazagran  et  j'avais  reçu  son  argent.  Il 
devait  être  à  peu  près  sept  heures  du  soir  lorsque  je  redescendis  dans  la  rue  ; 
à  partir  de  ce  moment-là  je  ne  me  rappelle  plus  rien,  absolument  rien. 

Toujours  est-il  que  je  ne  suis  pas  remonté  dans  la  voiture  qui  m'attendit 
longtemps  ;  le  cocher,  ne  me  voyant  pas  ^evenir,  prit  le  parti  de  rentrer  à  la 
maison,  où  il  fit  connaître   qu'il   ne   savait  pas  ce   que  j'étais  devenu. 

M.  GiiARCOT  :  Ainsi,  à  partir  du  18  janvier,  8  heures  du  soir^,  la  nuit  com- 
plète se  fait  dans  son  esprit.  — Au  malade  :  Quand  vous  êtes- vous  réveillé  ? 

Le  MALADE  :  Le  26  janvier  ;  il  était  deux  heures  de  l'après-midi. 

M.  GiiARCOT  :  Gela  fait  donc  huit  jours  moins  cinq  heures,  soit  cent  quatre- 
vingt-neuf  heures.  Où  étiez-vous  quand  vous  avez  repris  connaissance  ?  Gontez- 
nous  cela,  je  vous  prie,  dans  tous  les  détails. 

Le  malade  :  Je  me  suis  trouvé  sur  un  pont  suspendu,  au  milieu  d'une  ville 
que  je  ne  connaissais  pas  ;  en  ce  moment-là,  passait  un  régiment  avec  la 
musique  militaire  en  tête  ;  c'est  peut-être  cela  qui  m'a  réveillé.  Alors  je  me 
dis  :  que  vais- je  faire  ?  Si  je  demande  le  nom  de  la  ville  où  je  suis  on  va  me 
prendre  pour  un  fou  ;  alors  il  me  vint  à  l'esprit  de  demander  le  chemin  de 
la  gare  ;  on  me  répondit  :  prenez  la  rue  de  Siam,  passez  le  pont-levis  et  allez 
toujours  tout  droit.  J'arrive  à  la  gare  et  j'apprends  là  que  j'étais  à  Brest. 

M.  GiiARCOT  :  Ainsi,  messieurs,  parti  de  la  rue  Mazagran  à  Paris,  vers  7  heures 
du  soir,  le  18  janvier,  le  voilà  huit  jours  après,  au  milieu  d'une  ville,  qu'il  ne 
connaît  pas.  où  il  n'a  pas  de  relations,  et  dont  il  n'a  jamais  beaucoup  entendu 
parler,  sans  savoir  comment  il  y  est  venu.  —  Au  malade.  Étiez-vous  sale,  vos 
souliers  étaient-ils  usés  ? 


-  305  — 

Lemaladi;  :  Non,  monsieur,  mes  Jiabits  étaient  propres,  et  mes  souliers  aussi. 
Ils  n'étaient  pas  usés  comme  dans  quelques-unes  de  mes  autres  crises. 

M.  Chahcot  :  Remarquez  bien  ce  détail:  ses  habits  sont  propres,  ses  sou- 
liers ne  sont  pas  usés  ;  cela  ne  démontre-t-il  pas  qu'il  n'a  pas  fait  la  route  à 
pied  ;  qu'il  a  dû  prendre  par  conséquent  un  billet  de  chemin  de  fer  à 
destination  de  Brest,  l'exhiber  plusieurs  fois  pendant  le  trajet  et  le  remettre 
enfin  ;\  l'employé,  lors  de  l'arrivée  ;  qu'il  n'a  pas  couché  k  la  belle  étoile  et 
qu'il  a  (lu,  vraisemblablement^,  entrer  dans  un  bùtel  où  il  a  OU'  logé  et  nourri 
pour  son  argent...  Je  ne  vois  guère  qu'on  puisse,  si  l'on  considère  les  choses 
d'un  peu  près,e'chapper  à  la  nécessité  d'admettre,  comme  parfaitement  fondées, 
les  suppositions  que  je  viens  d'émettre,  et  j'ajouterai  que.  dans  l'accomplisse- 
ment de  tous  ces  actes  si  complexes,  il  a  dû  fatalement,  quoique  inconscient 
ou  pour  le  moins  subconscient,  se  conduire  à  la  manière  d'un  homme  éveillé, 
tranquille,  sain  d'esprit,  agissant  de  propos  délibéré  et  en  un  mot  ne  com- 
moltrc  aucune  action  et  ne  présenter  rien  dans  ses  allures  ou  dans  sa  physio- 
nomie qui  pût  le  faire  considérer  comme  un  malade,- comme  un  aliéné. 

Au  malade  :  Vous  aviez,  m'avez-vous  dit,  de  l'argent  dans  votre  poche  ? 

Le  malade  :  Oui,  monsieur  ;  c'est  la  première  chose  à  laquelle  j'ai  pensé  quand 
je  me  suis  réveillé.  Arrivé  à  la  gare,  j'ai  compté  mon  argent.  J'avais  touché 
900  francs  dans  la  journée  du  18  pour  le  compte  de  mon  patron.  Il  me  res- 
tait 700  francs  dans  mon  portefeuille  ;  j'avais  donc  dépensé  :200  francs,  je  ne 
sais  comment.  Je  n'étais  pas  très  étonné  de  tout  cela  parce  que  pareille  chose 
m'était  déjà  arrivée,  plusieurs  fois,  comme  vous  savez,  en  petit.  Mais  je  crai- 
gnais que  ma  maladie  ne  me  reprit,  et  ne  m'obligeât  à  recommencer  les 
voyages  involontaires  et  à  dépenser  ce  qui  me  restait  de  l'argent  du  patron. 
J'aurais  bien  désiré  retourner  immédiatement  à  Paris  et  me  mettre  ainsi  à 
l'abri,  mais  le  train  était  parti  depuis  doux  heures.  J'étais  donc  forcé  de  rester  ; 
j'avais  une  faim  atroce  et  une  soif  terrible  :  je  me  rendis  dans  un  restaurant 
du  voisinage  où  je  déjeunai  de  grand  appétit... 

M.  CiiARCOT  :  La  soif  ardente  est  un  symptôme  qu'il  a  remarqué  à  la  fin  de 
presque  toutes  ses  crises  . 

Au  malade  :  Allons,  continuez;  racontez-moi  bien  toutes  vos  mésaventures. 

Le  malade:  Pendant  que  je  déjeunais  je  me  demandai  ce  qu'il  y  avait  à 
faire  pour  me  tirer  d'embarras.  Je  pensai  que  mon  nouveau  patron  devait  être 
bien  inquiet  et  qu'il  fallait  lui  envoyer  une  dépêche  ;  mais  j'étais  surtout  tour- 
menté par  l'idée  que  je  pouvais  repartir  malgré  moi,  aller  je  ne  sais  où  et 
dépenser  encore  de  l'argent.  En  me  rendant  à  la  gare  pour  écrire  la  dépêche, 
je  rencontrai  un  gendarme  qui  se  promenait  de  long  en  large  ;  alors  l'idée 
me  vint  de  lui  raconter  mon  allaire  et  de  me  mettre  sous  sa  protection. 

M.  Cuarcot  :  Mal  lui  en  prit,  messieurs,  vous  allez  le  voir.  Que  lui  avez-vous 
dit,  au  gendarme  ? 

Le  malade  :  Je  lui  ai  conté  tout  ce  qui  m'était  arrivé  ;  je  lui  ai  montn''  mes 


—  306  — 

papiers,  ma  carte  d'électeur.  Je  lui  ai  expliqué  que  j'avais  de  l'argent  sur  moi, 
et  je  lui  en  ai  dit  le  chiffre  en  même  temps  que  la  provenance  ;  je  lui  ai  pré- 
senté aussi  l'ordonnance  que  voici  et  que  vous  m'avez  dit  de  porter  toujours 
avec  moi  pour  la  montrer  en  cas  de  besoin... 

M.  Charcot  :  Ah  oui  !  L'ordonnance  que  je  vous  ai  donnée  le  27  août  de  l'an 
dernier  ;  veuillez  me  la  remettre.  Elle  porte  en  tête  le  diagnostic:  «  Crises 
comitiates  ambulatoires  »,  puis  vierît  la  prescription  de  bromure  ;  et,  en  bas, 
ma  signature  ;  tout  cela  écrit  en  grosses  et  lisibles  lettres.  Qu'a  dit  le  gen- 
darme après  l'avoir  lue  ?  j'imagine  que  pour  lui  c'était  un  grimoire.  Mais  il 
aurait  pu  comprendre,  pour  le  moins,  qu'il  s'agissait  là  de  médecine  et  un 
médecin  consulté  lui  aurait  expliqué  ce  que  tout  cela  voulait  dire. 

Le  malade  :  Monsieur,  après  avoir  lu  le  papier,  il  me  l'a  rendu  en  me 
disant  :  «  C'est  bien,  je  connais  ça  »  et  il  m'a  conduit  au  poste.  Là  il  m'a  pris 
mon  portefeuille  et  il  l'a  déchiré  pour  voir  s'il  ne  contenait  pas  quelque  com- 
partiment secret;  puis  il  a  fouillé  toutes  mes  poches  assez  brutalement.  Alors 
je  lui  ai  dit  :  «  Je  vois  que  vous  me  prenez  pour  un  voleur,  vous  avez  tort; 
c'est  moi  qui  ai  été  vous  trouver  et  qui  vous  ai  dit  que  j'avais  de  l'argent  sur 
moi  ;  envoyez  une  dépêche  à  mon  patron,  il  vous  renseignera  et  vous  revien- 
drez de  votre  erreur... —  «G'estbien,je  connais  tout  ça,répondit-il  ;  nous  verrons 
bien  !  »  et  il  s'en  alla  me  laissant  dans  une  espèce  de  casemate  percée  de  meur- 
trières sans  vitres  et  où  il  n'y  avait  pas  même  de  paille  pour  se  coucher;  c'est  là 
que  j'ai  passé  la  nuit. 

M.  Charcot  :  Une  dépêche  avait  été  envoyée  au  patron  par  le  gendarme  ; 
hélas!  la  réponse  qui  arriva  le  lendemain  matin  vers  9  heures  n'était  pas  faite 
pour  améliorer  la  situation  de  notre  pauvre  client  :  elle  était  conçue  à  peu 
près  comme  il  suit  :  «  Maintenez  l'arrestation  ;  l'argent  qu'il  porte  est  à 
moi.  » 

Le  malade  :  Oui,  monsieur,  c'est  cela.  Le  patron  est  nouveau,  il  ne  me  con- 
naît pas  depuis  longtemps.  11  n'a  pas  de  raison  de  s'intéresser  à  moi,  comme 
monsieur  (jui  m'accompagne,  chez  qui  j'ai  été  employé  pendant  près  de 
vingt  ans;  je  ne  lui  en  veux  pas,  mais  il  aurait  dû  se  renseigner  avant  de 
répondre,  cela  m'eût  évité  bien  des  désagréments.  Quand  le  gendarme  m'a 
montré  la  dépêche  il  était  tout  fier  :  «Vous  voyez  bien,  m'a-t-il  dit;  je  connais 
ces  afïaires-là.  »  Alors  il  m'a  mis  les  menottes  et  m'a  conduit,  à  pied,  à  travers 
la  ville,  au  Palais  de  Justice.  Mais  le  procureur  n'était  pas  là,  alors  on  m'a 
conduit  au  fort  de  X...  Là  on  a  pris  mon  signalement,  puis  on  m'a  fait  désha- 
biller pour  s'assurer  que  je  n'avais  rien  gardé  sur  moi;  après  quoi  on  m'a 
fait  entrer  dans  un  quartier  où  il  y  avait  des  prévenus  de  bien  mauvaise 
mine.  Le  lendemain  j'ai  été  conduit,  en  voiture  cellulaire,  devant  le  procureur 
qui,  cette  fois,  était  là.  Je  lui  ai  expliqué  que  je  n'avais  pas  été  arrêté  par  le 
gendarme,  mais  que  j'étais  allé  vers  lui  en  lui  racontant  mon  affaire  et  en  lui 
déclarant  la  somme  d'argent  que  j'avais  sur  moi;  que  tout  cela  s'était  passé 


—  307  — 

parce  que  je  suis  malade  et  j'ai  montré  de  nouveau  votre  ordonnance.  Le 
magistrat  Ta  à  peine  regardée, et  il  me  l'a  rendue  en  disant  :  «  C'est  bien,  c'est 
bien  ;  nous  verrons.  » 

M.  CiiARCoT  :  Absolument  comme  le  gendarme!  vous  le  voyez,  ces  messieurs, 
c'est  ti'istc  à  avouer,  ne  sont  pas  fort  impressionnés  par  l'appréciation  des 
médecins;  c'était,  cependant,  si  je  ne  me  trompe,  le  cas,  oujamais^,  de  réclamer 
l'avis  d'un  expert.  Certes,  il  n'en  eût  pas  manqué  à  Brest  où  existe  une  école 
bien  connue  dans  laquelle  enseignent  des  professeurs  fort  distingués.  Mais 
bah!  on  préfère,  sans  doute,  juger  les  choses  en  s'éclairant  des  seules  lumières 
de  la  «  raison  pure  ».  —  Au  malade  :  Combien  de  temps^  en  somme,  étes-vous 
resté  en  prison,  comment  en  êtes- vous  sorti?  —  Laissons-lui  conter,  mes- 
sieurs, tous  les  détails  de  sa  triste  aventure  ;  ils  ne  sont  pas  étrangers  à  la 
cause,  tant  s'en  faut.  Ils  serviront,  pour  le  moins,  à  mettre  bien  en  relief 
qu'en  un  cas  du  môme  genre,  une  procédure  plus  équitable  et  mieux  éclairée 
épargnerait  à  l'infortuné  prévenu  mille  tribulations  imméritées. 

Le  malade  :  Monsieur,  je  suis  resté  en  prison  six  jours  pleins.  On  m'a  mis 
enliberté  le  septième  jour,  après  avoir  reçu  une  nouvelle  dépêche  de  mon  patron 
qui  disait  :  «  J'apprends  que  mon  employé  est  malade,  ayez  pour  lui  des 
égards.  »  Alors  on  m'a  donné  41  fr.  55  pour  prendre  le  train  et  c'est  ainsi  que 
je  suis  revenu  à  Paris. 

M.  CuARCoT  :  Telle  est  la  fin  de  l'histoire  ;  mais  ce  n'est  pas  le  cas  de  dire  : 
«  Toutestbien  qui  finit  bien.  »  Il  serait  plus  approprié  à  la  situation  de  rappeler 
l'adage  :  «  Un  malheur  ne  vient  jamais  seul.  »  En  eflfet,  dès  son  retour,  notre 
pauvre  homme  a  été  «  remercié  »  par  son  nouveau  patron,  qui  ne  veut  pas, 
cela  se  comprend  du  reste,  courir  par  son  fait  de  nouveaux  risques;  et,  de  plus, 
s'adressant  à  une  Société  de  secours  mutuels  dont  il  est  membre  pour  obtenir 
un  subside,  il  lui  a  été  répondu  par  un  refus  formel,  sous  le  prétexte  que  la 
maladie  dont  il  souffre  aurait  été  causée  par  «  l'intempérance».  Nous,  qui  savons 
péremptoirement  ce  qu'il  en  est  à  cet  égard,  nous  ne  pouvons  accepter  cette 
fin  de  non  recevoir,  et  nous  délivrerons  à  notre  client  un  certificat  en  règle 
constatant  que  «  l'intempérance  »  n'est  pour  rien  dans  le  développement  de 
la  maladie  en  question.  Nous  lui  délivrerons  en  outre  un  deuxième  certificat, 
qu'il  devra  toujours  porter  sur  lui,  expliquant  dans  tous  ses  détails  les  carac- 
tères de  l'afTection,  et  cette  fois  ce  certificat  portera  le  cachet  de  l'administra- 
tion de  l'Assistance  publique  de  Paris. 

Ce  nouveau  document  aux  allures  officielles  lui  sera-t-il  plus  utile,  le  cas 
échéant,  que  ne  l'a  été  le  précédent  ?...  peut-être  ! 

Vous  savez,  messieurs,  quel  est  le  diagnostic  auquel  nous  nous  sommes 
arrêtés  à  propos  de  ce  cas  ;  nous  l'avons  formulé  il  y  a  un  an  déjà  :  Il  s'agit 
\ii, suivant  nous, cf  automatisme  comitial  ambulatoire  ;  c'est-à-dire  d  une  «  forme  » 
ou, comme  on  dit  encore, d'un  «  équivalent  épileptique>  marqué  par  faccom- 


—  308  — 

plissement  inconscient  d'actes  de  la  vie  ordinaire,  plus  ou  moins  compliqués, 
avec  impulsion  à  marcher,  à  se  déplacer,  à  voyager. 

Ce  diagnostic,  je  voudrais,  chemin  faisant,  essayer  de  le  justifier  une  fois  de 
plus  devant  vous  ;  mais,  pour  ce  faire,  il  est  nécessaire  de  vous  remettre  en 
mémoire  les  principales  circonstances  du  cas.  Je  pourrais,  à  ce  propos,  me  con- 
tenter de  vous  renvoyer  à  ce  qui  en  a  été  dit  dans  le  recueil  des  leçons  du 
mardi  de  Tan  passé  (p.  155), mais  je  crois  indispensable,  cependant,  d'insister 
ici  même,  une  fois  de  plus,  sur  les  épisodes  les  plus  caractéristiques  de  l'ob- 
servation. La  tâche  nous  sera  du  reste  singulièrement  facilitée  si  vous  voulez 
bien  jeter  les  yeux  sur  le  tableau  synoptique  que  j'ai  fait  placer  sous  vos  yeux  ; 
il  résume  sous  une  forme  facile  à  saisir,  les  grands  faits  de  l'histoire  pa- 
thologique de  notre  homme. 


ANNÉE  1887 

ANNÉE   1888 

MARS 

AVRIL 
MAI 

JUIN 

JUILLET 

AOUT 

SEPTEMB. 

OCTOBRE 

NOVEMBRE 
DÉCEMBRE 

JANVIER 
FÉVRIER 

^IARS       .< 

Le  15 

Le  30 

Le  23 

Le  18 

Le  10     ■ 

l^f   accès. 

2*^  accès. 

3«  accès. 

■i''-  accès. 

5«  accès.  , 

Durée  : 

Durée   : 

Durée  : 

Durée  ; 

Durée  : 

44  heures. 

42  heures. 

53  heures. 

3  heures. 
Accès 
avorté. 

3  heures. 
Mal    de 

lêlede3h. 

de  durée. 
Accès 
avorté. 

Le  27. 

On  commence  remploi  du 
Bromure  à  la  dose  par  jour  de 
4  grammes  la  l*"^  semaine  de 
chaque  mois,  5  la  2^,  6  la  3^, 
7  la  4«  et  ainsi  de  suite  sans 
interruption  les  mois  suivants. 


La  première  fois  qu'il  a  été  atteint  de  l'un  de  ces  accès  dont  le  dernier  l'a, 
dans  les  circonstances  que  vous  savez,  conduit  à  Brest,  c'était  le  15  mars  1887. 
Il  était  alors  âgé  de  34  ans  1/2;  c'est  déjà,  dans  l'espèce,  une    anomalie  ; 


—  309  — 

répilepsifj  en  eiïet  éclate  plus  tôt  dans  la  vie,  du  moins  dans  la  règle,  mais  il 
y  a  le  chapitre  des  cas  exceptionnels,  etles«  épilepsies  tardives  »,  comme  nous 
les  appelons  volontiers,  ne  sont  pas,  en  somme,  tellement  rares.  Une  autre 
anomalie  est  (pie  fautomatisme  ambulatoire  ne  paraît  être  chez  notre  homme 
précédé  par  aucun  des  phénomènes  qui  signalent  habituellement  le  petit  mal 
soit  vertigineux,  soit  convulsif,  soit  encore  les  grandes  absences.  Quand  il  est 
sous  le  coup  do  ses  crises,  nous  le  savons  par  la  déposition  de  témoins  ocu- 
laires parfaitement  dignes  de  foi,  ses  allures,  sa  physionomie,  son  regard 
ne  présentent  rien  de  particulier  qui  le  distingue  d'un  homme  parfaitement 
éveillé  et  à  Tétat  normal.  Il  est  seulement,  a-t-on  dit  une  fois,  «un  peu  pâle» 
—  c'est  tout  ;  —  d'ailleurs  pas  d'accidents  épileptiques  vulgaires  dans  l'inter- 
valle des  accès  ambulatoires,  pas  de  morsure  de  la  langue, pas  d'urinationinvo- 


ANNEE  1888 


JUIN 

JUILLET 

AOUT 


SEPTEMB. 


OCTOBRE 
NOVEMBRE 
DECEMBRE 


JANVIER 


Le  18 
6*  accès. 
Durée  : 
8  jours. 


Le  2. 

Le  Bromure  est  di- 
minué de  1  gramme 
chaque  semaine,  donc 
3,  4,  5,  6  grammes. 


Le  27. 

On  cesse  le  Bromure 
qui  sans  interruption 
a  été  pris  pendant  un 
an. 


ANNÉE  1889 


FEVRIER 
MARS 


Le  30. 

On  reprend  le  Bro- 
mure, dose  4,  5,  6,  7 
grammes. 


AVRIL 


7e  accès. 
Durée  : 

2  heures. 
Accès 
avorté. 


MAI 


lontaire,  etc.,  etc.,  cela  n'existe  pas  actuellement  et  cela,  dans  le  passé,  n'a 
jamais  existé  chez  notre  malade,  qui,  je  crois  devoir  le  répéter,  n'a  jamais 
souffert  autrefois  d'une   maladie  nerveuse    quelconque   et  ne  compte   pas. 


—  310  — 

autant  .qu'on  puisse  le  savoir,  de  tares  héréditaires  dans  sa  famille.  Ainsi,  le 
accès  automatiques  sont  chez  lui  parfaitement  isolés  ;  j'ajouterai  qu'ils  sont, 
si  l'on  peut  ainsi  parler, tout  à  fait  silencieux,  tranquilles,  exempts, en  d'autres 
termes,  de  ces  manifestations  émotives  violentes  et  bruyantes  qui  sont  un  des 
caractères  habituels,  presque  classiques,  des  crises  comitiales  psychiques, 
et  il  y  a  encore  là,  vous  l'avez  compris,  une  anomalie   de  plus  à  signaler. 

Mais,  me  direz-vous,  je  ne  vois  que  des  anomalies  dans  votre  cas  ;  sur  quels 
fondements  faites-vous  donc  reposer  votre  diagnostic?  Je  vousrépondrai,  mes- 
sieurs, que  je  n'ai  nullement  la  prétention  de  vous  présenter  ici  un  exemple 
régulier, vulgaire, facile  à  déchiffrer;  oui,  le  cas  est  exceptionnel,  anormal  par 
plus  d'un  côté  ;  mais  je  ne  vois  là  qu'une  raison  de  plus  pour  le  considérer  de 
très  près;  car,  vous  le  savez,  l'étude  des  cas  rares  ou  parodoxaux,  aussi  bien  en 
nosographie  qu'en  zoologie  et  en  botanique, projette  souvent  sur  les  questions 
les  plus  ardues  une  vive  lumière.  En  somme,  messieurs,  le  principal  argu- 
ment que  je  puisse  faire  valoir  en  faveur  de  mon  diagnostic  est  plutôt  d'ordre 
pratique.  L'emploi  du  bromure  de  potassium,  à  doses  suffisamment  élevées  et 
suffisamment  prolongées,  a  eu  sur  le  retour  des  crises,  les  détails  de  l'obser- 
vation le  démontrent,  une  influence  d'arrêt  très  marquée  en  même  temps 
qu'il  lésa  atténuées  ;  et  certes,  cet  argument-là  n'est  pas  sans  valeur.  Mais  je 
me  réserve  de  revenir  là  dessus  tout  à  l'heure  et  pour  le  moment,  j'en  reviens, 
à  l'exposé  des  faits  cliniques. 

Donc  l'accès  du  15  mars  1887,  le  premier  de  tous,  a  éclaté  chez  Men..  s  au 
milieu  d'un  état  de  santé  parfait.  La  durée  en  a  été  de  quatorze  heures  seu- 
lement. S'ad7'essant  au  malade  :  Voulez-vous  nous  répéter  une  fois  de  plus 
ce  que  vous  savez  relativement  à  cet  accès  ? 

Le  malade  :  J'étais  parti  ce  jour-là  de  la  rue  Amelot  à  8  heures  pour  me 
rendre  avenue  de  Villiers  faire  un  recouvrement.  Je  me  rappelle  très  bien 
être  allé  jusqu'à  la  porte  de  la  maison  où  j'avais  affaire.  Il  paraît  que  je  n'y 
suis  pas  entré.  J'ai  oublié  tout  ce  que  j'ai  fait  depuis  lors.  Je  crois  seulement 
que  j'ai  vu  le  Mont-Valérien  et  peut-être  le  pont  de  Saint-Cloud.  Lorsque  je 
suis  revenu  à  moi,  il  était  10  heures  du  soir  et  je  me  trouvais  au  beau  milieu 
de  la  place  de  la  Concorde. 

M.  GiiAHCOT  :  Croyez-vous  avoir  marché  tout  le  t'^mps  ? 

Le  MALADE  :  Monsieur,  je  le  suppose  :  mes  souliers  étaient  tout  usés. 

M.  CiiARCOT  :  Aviez-vous  de  l'argent  dans  votre  poche?  avez-vous  mangé 
en  route  ? 

Le  MALADE  :  Je  ne  crois  pas  avoir  mangé.  En  tout  cas  je  n'ai  rien  dépensé  ; 
j'avais  en  partant  quelques  sous  dans  ma  poche  ;  je  les  ai  retrouvés  tels  quels 
lorsque  je  suis  rentré  chez  moi. 

M.  Charcot  :  Ainsi,  vous  le  voyez,  messieurs,  c'est  tout  comme  dans  Taflaire 
de  Brest  ;  inconscient  ou  subconscient,  il  se  conduit  à  peu  près  comme  s'il 
était  conscient.  Il  n'est  agressif  envers  personne,  et  sa   conduite,  ses   allures 


—  :ni  — 

sont  telles  qu'il  passe  au  milieu  de  tous  sans  être  remarqué  (1).  —  Au  malade  -' 
Vous  deviez  être  bien  iaii^iw,  après  tout  cela. 

Lk  MALADK  :  Oui,  monsieurjo  n'ai  pu  travailler  que  le  surlendemain  ;  mais 
le  troisième  jour  j'étais  parfaitement  bien,  puis  je  ne  me  suis  [jIiis  senti  de 
rien  absolument,  pendant  trois  mois  et  demi. 

M.  CiiAHCOT  :  Vous  avez  eu  votre  second  accès  le  30  juin.  Il  a  été,  je  crois, 
plus  long  que  le  précédent  ?  Contez-nous  ce  que  vous  en  savez. 

Lp:  maladk  :  Oui,  monsieur, il  a  duré  quarante-deux  heures.  Donc,  le 30  juin, 
à  3  heures  de  l'après-midi,  je  suis  parti  pour  Passy  où  je  devais  porter  des 
candélabres.  J'étais  allé  par  l'omnibus.  Après  ma  livraison,  j'ai  pris  le  tram 
way  et,  arrivé  au  Trocadéro,il  m'a  pris  l'envie  d'aller  voir  de  près  où  en  était 
la  construction  de  la  Tour  Eiffel  ;  je  me  rappelle  fort  bien  avoir  vu  les  pre- 
mières assises  de  la  tour  ;  après  cela  je  ne  me  souviens  plus  de  rien  du  tout. 
Je  me  suis  révcilb'  seulement,  comme  je  vous  l'ai  dit  l'autre  fois,  le  surlen- 
demain à  9  h.  1/2,  nageant  dans  la  Seine. 

M.  CuARCOT  :  Ah  !oui,  je  me  souviens  de  l'aventure,  c'est  la  seule  fois  qu'il 
ait,  dans  ses  fugues,  commis  une  action  dramatique,  à  grand  fracas. Il  avait, 
si  je  ne  me  trompe, pris  à  la  station  de  Courcelles  un  billet  pour  Bercy  où  il  a 
oublié  de  descendre.  Le  train  continue  sa  marche  et  voici  qu'en  passant  sur 
le  pont  National  notre  homme,  qui  occupait  une  place  à  l'impériale,  se  préci- 
pite tout  à  coup  dans  la  rivière.  Il  faisait  très  chaud,  il  aura  été  attiré  par  la 
vue  de  l'eau. Heureusement  il  est  bon  nageur  .  il  gagne  rapidement  la  berge  où 
il  rencontre  des  sergents  de  ville  qui  étaient  accourus  pour  lui  porter  aide  et 
qui  le  conduisent  au  poste  de  secours.  —  Au  malade  :  Est-ce  bien  cela?  Dites- 
nous  le  reste. 

Le  malade  :  Oui,  monsieur,  c'est  exactement  cela  ;  au  poste  de  secours  j'ai 
rencontré  l'employé  du  chemin  de  fer  qui  m'a  réclamé  mon  billet  ;  je  l'avais 
dans  ma  poche  et  je  le  lui  ai  donné  ;  mais  il  m'a  fallu  payer  un  supplément 
parce  que  j'avais  dépassé  la  gare  de  Bercy.  Je  sais  exactement  l'heure  à 
laquelle  tout  cela  s'est  passé,   car^  sans  le  savoir,  j'avais  remonté  ma  montre. 

M.  CiiARCOT  :  Ainsi,  messieurs,  automatiquement  et  sans  qu'il  lui  en  reste 
le  moindre  souvenir,  il  prend  à  la  gare  de  Courcelles  un  billet  pour  Bercy, 
qu'il  paye  bien  entendu  ;  également  sans  le  savoir  il  a  remonté  sa  montre 
et, dans  le  train, sa  conduite  est  celle  d'une  personne  normale  jusqu'au  moment 
où,  sans  qu'il  en  connaisse  le  motif,  il  se  précipite  dans  la  Seine.  —  S\idres- 
sant  au  malade  :  On  vous  a  reconduit  chez  vous  ? 

Le  MALADE  :  Non,  monsieur.  Le  secrétaire  du  commissaire,  auprès  duquel 
on  m'a  conduit,   me  connaissait  justement,  il  m'a  laissé  partir  seul. 

M.  CiiARcoT  :  Vous  ne  pouvez  pas  dire  ce  que  vous  avez  fait  pendant  la  nuil 


\.  Voir  pour  plus  de  détails,  relativement  aux  premières  crises,  la  Leçon  du  31  janvici-  18SS, 
p.  156  et  suivantes. 

42 


—  312  — 

du  30,  la  journée  et  la  nuit  du  1°'  juillet  ?  Où  avez-vous  couché?  Avez-vous 
mangé  ? 

Le  malade  :  Monsieurje  n'en  sais  absolument  rien.  Je  n'ai  pas  dû  manger. 
J'avais ,  en  partant  de  chez  moi,  le  30,  à  peine  1  fr.  50  dans  ma  poche, et  lors- 
que je  suis  sorti  de  l'eau  j'avais  encore  quelques  sous. 

M.  Ciiarcot:  Remarquez  bien  ceci,  messieurs,  le  premier  accès  a  duré  qua- 
torze heures,  et  le  second  quarante- deux.  C'est-à-dire  vingt-huit  heures  de 
plus.  Nous  voici  arrivés  au  troisième  accès,  dont  la  durée  sera  plus  longue 
encore.  Ce  dernier,d'un  autre  côté,  s'est  produit  le  23  août,  c'est-à-dire  moins 
de  deux  mois  après  le  deuxième,  de  telle  sorte  que  l'on  peut  dire  qu'à  mesure 
qu'ils  se  reproduisent,  les  accès  offrent  une  tendance  marquée  à  s'allonger  et 
à  se  rapprocher. 

Au  malade  :  Yous  étiez,  je  crois,  le  23  août,  vers  11  heures,  rue  Ober- 
kampf.  De  là  vous  êtes  allé  on  ne  sait  où  et  vous  vous  êtes  retrouvé  le  sur- 
lendemain, à  5  heures  du  soir,  couché  près  de  la  Seine  non  loin  du  pont 
d'Asnières. 

Le  malade  :  C'est  exactement  cela, c'est  cette  fois-là  que  j'ai  été  à  Claye... 

M.  Charcot  :  Ah  oui.  c'est  juste  :  vous  avez  dû  remarquer  que  dans  sa  pre- 
mière crise,  il  lui  a  semblé  que  pendant  sa  fugue,  il  avait  vu  le  Mont-Valé- 
rien  et  le  pont  de  Saint-Cloud.  Cette  fois-ci  encore  il  a  conservé  un  lambeau 
de  souvenir^,  et  ce  souvenir  paraît  très  précis.  Il  affirme  avoir  passé  par  un 
bourg,  nommé  Claye,  à  sept  lieues  environ  de  Paris,  et  être  entré  dans 
un    restaurant  où  il  a  commandé  un  bifteck  qu'il  n'a  pas  mangé... 

Le  malade  :  Oui,  monsieur,  je  suis  parfaitement  sûr  de  tout  cela.  Je  suis  sûr 
d'avoir  lu  sur  une  des  dernières  maisons  de  la  ville  une  inscription  portant 
ces  mots  :  Claye  ;  14  kilomètres.  Gela  m'a  frappé  je  ne  sais  pourquoi.  J'ai  dû 
commander  aussi  du  café,  car  j'avais  du  sucre  dans  ma  poche,  mais  je  ne 
sais  pas  si  je  l'ai  bu.  Après  cela,  je  ne  sais  plus  rien.  Je  me  suis  réveillé, 
comme  vous  dites,  au  bord  de  la  Seine  sous  le  pont  d'Asnières  auprès  d'un 
pêcheur  qui  a  paru  fort  étonné  de  me  voir  là.  J'étais  fort  sale,  il  est  vrai,  et 
mes  chaussures  étaient  dans  un  état  déplorable. 

M.  Ciiarcot  :  Messieurs  ces  épisodes,  détachés  d'une  histoire  perdue,  qui  sur- 
vivent au  milieu  de  l'oubli  profond  de  tout  le  reste,  sont  un  fait  bien  digne  d'être 
relevé,  tant  au  point  de  vue  psychologique  qu'au  point  de  vue  clinique.  Il  se 
retrouve, si  j'en  juge  d'après  quelques  observations  personnelles,  bien  plus  fré- 
quemment qu'on  ne  le  pense,  dans  l'automatisme  comitial  accompagné,  tel 
qu'il  l'est  ordinairement,  d'actes  violents,  désordonnés,  agressifs.  Je  pourrais 
citer,  à  ce  propos, le  cas  d'un  épileptique  qui  est  venu  me  consulter  il  y  a  deux 
ou  trois  ans  de  cela  ;  il  me  raconta  qu'à  la  suite  d'un  de  ses  accès  il  était  entré 
dans  un  état  de  fureur  maniaque  qui  l'avait  mené  à  tout  briser  chez  lui; 
après  quoi,  jetant  partout  l'épouvante,  il  s'était  enfui  dans  les  champs.  Là,  il 
revint  à  lui  quelques  heures  après  l'événement,    et  reprit  le   chemin   de   sa 


maison,  ru;  sachant  absolument  rien  de  ce  qui  s'était  passé.  A  la  vue  des 
meubles  bouleversés,  brisés,  saccagés,  il  fut  d'abord  frappé  d'étonnement  et 
d'cllroi  ;  mais  un  souvenir  d'abord  confus,  puis  peu  à  [)eu  plus  précis,  plus 
arrêté,  se  produisit  en  lui  :  et  il  se  dit  tristement,  à  lui-même  :  «Je  comprends 
maintenant  ce  qui  est  arrivé  ;  j'iii  cru  rêver  tout  cela  :  mais  je  vois  bien 
qu'il  ne  s'agit  pas  d'un  rêve,  c'est  moi,  hélas  !  qui  ai  tout  fait  î  v 

Onpourraitaisément  multiplierles  exemples  dugenre.  Trousseau,  d'ailleurs, 
a  insisté  déjà  sur  cet  ordre  de  faits.  Je  tiens  seulement,  pour  le  moment,  à  éta- 
blir sur  ce  point  spécial  un  rapprochement  entre  notre  cas  et  les  cas  vul- 
gaires, et  vous  voyez  qu'à  cet  égard  il  n'y  a  pas  d'opposition  entre  les  deux 
ordres  de  faits. 

C'est  à  la  suite  de  ce  troisième  accès^  le  ^21  août  1887,  c'est-à-dire  4  jours 
après,  que  Men...s,  sur  le  conseil  de  notre  honoré  collègue  le  D'  Delasiauve, 
est  venu  nous  consulter.  Nous  vous  avons  dit,  messieurs,  plus  haut,  comment 
il  nous  a  paru  que  le  cas  devait  être  considéré,  et  la  thérapeuticpuj  a  été  ins- 
tituée en  conséquence.  Nous  avons  prescrit  au  malade  de  faire  usage  jour- 
nellement d'un  mélange  contenant  à  la  fois  du  bromure  de  potassium,  du 
bromure  de  sodium,  du  bromure  d'ammonium.  La  dose,  par  jour,  devait  être 
pendant  la  première  semaine  de  4  grammes  de  principe  actif,  de  5  grammes  la 
deuxième  semaine,  de  6  la  troisième,  de  7  grammes  enfin  la  quatrième  ;  après 
quoi,  le  mois  suivant,  on  devait  recommencer  par  4  grammes  la  première  se- 
maine, 5  la  deuxième,  6  la  troisième,  7  la  quatrième  et  ainsi  de  suite  sans  inter- 
ruption même  d'un  jour,  pendant  une  longue  période  de  temps,  6  mois  pour 
commencer.  Cette  prescription,  messieurs,  a  été  suivie  par  le  malade  très 
régulièrement,  au  pied  de  la  lettre,  et  vous  allez  être  menés  à  reconnaître 
jusqu'à  quel  point  les  événements  sont  venus  justifier  notre  hypothèse 
relative  'au  diagnostic.  Voici,  en  efTet,  ce  qui  s'est  passé  à  partir  du  com- 
mencement du  traitement  jusqu'à  ce  jour. 

La  fin  d'août,  le  mois  de  septembre,  une  partie  du  mois  d'octobre  se 
passent  sans  nouvelles  manifestations  du  mal.  Le  18  de  ce  dernier  mois, 
éclate  un  petit  accès  dont  je  tiens  à  vous  faire  connaître  les  principauxdétails. 
Le  malade  va  lui-même  nous  dire  ce  qu'il  en  sait,  ou  mieux  ce  qui  lui  en  a 
été  dit  par  les  personnes  qui  l'ont  vu  en  ce  moment-là. 

Le  malade:  Ce  jour-là,  je  suis  parti  comme  d'habitude  pourfaire  des  livrai- 
sons ;  j'étais  dans  la  voiture  de  la  maison,  assis  à  côté  du  cocher  qui  ne  s'est 
absolument  aperçu  de  rien  d'extraordinaire. 

M.  Charcot  :  Je  ne  veux  pas  oublier,  à  ce  propos,  de  relever  en  passant 
l'absence  constatée  au  moins  une  fois,  de  cri,  de  manifestations  convulsives, 
ou  encore  de  grands  vertiges  avec  grimaces,  face  livide,  chute,  etc.,  etc.,  au 
début  de  l'accès  ambulatoire.  En  a-t-il  été  de  même  pour  les  autres  accès  ? 
Cela,  d'après  tout  ce  que  nous  en  savons,  est  au  moins  fort  vraisemblable.  ' 
Le  malade  :  Je  suis  allé  d'abord  rue  de  Clignancourt  chez  un  premier  client 


—  314  — 

et  je  me  rappelle  très  bien  ce  que  j'y  ai  fait  ;  puis  rue  de  Clichy,  mais  de 
cette  seconde  course  je  n'ai  qu'un  vague  souvenir  ;  enfin  rue  de  Yilliers,  jus- 
tement chez  monsieur  qui  m'accompagne.  J'avais  à  y  démonter  une  suspen- 
sion très  lourde.  Je  ne  me  rappelle  pas  du  tout  être  entré  chez  lui  ;  j'ai 
démonté  la  suspension,  je  l'ai  emportée  dans  la  voiture  qui  m'attendait  en 
bas.  Je  ne  me  souviens  absolument  pas  de  tout  cela,  mon  patron  m'a  dit  qu'il 
n'avait  rien  remarqué  enmoi  rien  d'extraordinaire. 

M.  X...  :  Non,  monsieur,  c'est  vrai,  je  n'ai  rien  remarqué  chez  Men...s 
si  ce  n'est  qu'il  était  un  peu  pâle  ;  ma  femme,  qui  le  connaît  depuis  long- 
temps, m'a  dit  après  coup  qu'elle  lui  avait  trouvé  l'air  un  peu  drôle  ;  mais 
je  ne  crois  pas  qu'une  personne  étrangère  eût  pu  voir  chez  lui  quelque 
chose  de  particulier. 

Le  MALADE  :  Une  fois  dans  la  voiture,  je  me  suis  réveillé  peut-être  un 
quart  d'heure  après  être  descendu  de  chez  M.  X.  Mon  oubli  avait  duré  cette 
fois  à  peu  près  trois  heures,  pas  plus,  et  j'ai  fait  bien  des  choses  pendant  ce 
temps-là. 

Quand  je  me  suis  remis,  j'ai  senti  une  grande  fatigue,  comme  si  j'avais  été 
roué  de  coups,  et  j'avais  une  soif  atroce.  En  rentrant  chez  moi,  j'ai  bu 
plusieurs  verres  d'eau. 

M.Charcot  :  A  mon  avis,  messieurs,  il  s'est  agi  d'un  accès  cette  fois  avorté, 
atténué  pour  le  moins,  sousTinfluencede  l'action  dubromure.Lepremieraccès 
avait  duré  quatorze  heures,  le  2*^  quarante-deux  heures,  le  3°  cinquante-trois 
heures  tandis  que  le  4%  lui,  ne  dure  que  trois  heures.  C'est  ainsi  que, dans  l'épi- 
lepsieconvulsive,  onvoitparle  fait  de  l'administration  du  bromure  se  produire 
des  accès  atténués,  souvent  représentés  seulement  par  des  vertiges  sans  accom- 
pagnement convulsif  et  dont  les  malades  ont  quelquefois  conscience  ;  ces 
accès,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  «  ie  petit  mal  »  spontanément  déve- 
loppé, eussent  pris,  très  vraisemblablement,  si  le  bromure  n'avait  pas  été  admi- 
nistré, les  proportions  d'un  grand  accès  convulsif. 

Quoiqu'il  en  soit,  à  partir  de  ce  quatrième  accès,  la  maladie  pendant  une 
longue  période  de  quatorze  mois  n'est  plus  représentée  désormais  que  par  une 
crise  de  mal  de  tête  semblable  à  celui  qu'il  a  ressenti  plusieurs  fois  au  début 
de  ces  accès  ;  ce  mal  de  tête  a  siégé, cette  fois  comme  les  autres,  au  niveau  de 
la  tempe  gauche.  Il  s'est  montré  un  an,  presque  jour  pour  jour,  après  le  pre- 
mier accès. 

Il  a  duré  environ  quatre  heures.  Il  n'y  a  pas  eu  de  perte  de  conscience  ; 
mais  le  malade  prétend  avoir  senti  que,  s'il  eut  été  à  pied  «  il  aurait  fait 
une  fugue  comme  les  autres  fois  »,  c'est  encore  là  à  n'en  pas  douter  un  accès 
avorté  par  le  fait  de  l'action  du  bromure. 

Les  mois  de  mai,  juin,  juillet,  aoiU  et  septembre  se  passent  sans  qu'on  ait 
pu  i'emarquer  chez  notre  homme  aucun  accident  nerveux .  Il  avait  repris 
toutes  ses  habitudes,  son  travail,  ses  visites  en  ville,    et  sa  santé  générale  ne 


—  315  — 

laissait  rien  à  désirer.  Il  avait  depuis  longtemps  repris  confiance  en  lui- 
même  :  de  fait  il  se  croyait  guéri.  Déjà  le  ^  mai  IHHH,  nous  l'avions  autorisé  à 
dnniiiuer  d'un  gramuie  clia(|ue  jour  les  doses  du  médicament  qui  le  fatiguait 
un  peu,  disait-il.  En  septembre  (fin  de  septembre),  c'est-à-dire  un  an  après  le 
commencement  du  traitement,  il  prit  sur  lui  d'en  suspendre  complètement 
l'emploi. 

Mal  lui  en  prit,  vous  allez  le  voir.  A  lavérité,  les  mois  d'octobre,  novembre, 
décembre  et  une  partie  de  janvier,  se  succédèrent  sans  incident  ;  mais  le 
18  janvier,  trois  mois  et  demi  après  la  cessation  du  bromure,  éclate  tout  à 
coup,  sans  causes  provocatrices  apparentes, et  dans  les  circonstances  que  vous 
savez,  le  grand  accès  de  huit  jours  de  durée  qui  l'a  conduit  à  Brest,  et  qui  a 
été  pour  luiFoccasion  de  tant  de  tribulations  imméritées  et  de  tant  de  misères. 

Vous  pourrez  suivre  d'un  coup  d'anl  rapide  toutes  les  péripéties  de  cette 
longue  histoire,  si  vous  voulez  bien  parcourir  le  tableau  chronologique  que 
j'ai  fait  préparer  pour  la  circonstance  [V.  p.  308).  L'ensemble  des  faits  établit 
ici^  si  je  ne  me  trompe,  l'influence  décisive,et  en  quelque  sorte  caractéristique 
du  bromure  sur  le  retour  et  l'intensité  des  accès.  Après  que  le  médicament  est 
administré,  et  tant  qu'on  persiste  dans  son  emploi,  les  accès,  après  s'être 
atténués  d'abord  et  éloignéS;,disparaissent  ensuite  complètement  pendant  une 
longue  période  de  temps;  on  cesse  d'administrer  le  bromure  et  voilà, 
qu'au  bout  de  trois  mois,  le  mal  reparaît  sous  la  forme  d'un  accès  excep- 
tionnellement intense.  Ces  résultats  thérapeutiques  suffisent  je  crois,  en 
grande  partie  pour  révéler  la  nature  du  mal.  C'est  dans  l'épilepsie  seule,  tant 
convulsive  que  vertigineuse  ou  psychique,  qu'on  voit  le  bromure  produire 
des  effets  aussi  nettement,accusés  ;  certes  il  ne  les  produit  pas,  je  m'en  porte 
garant,  dans  les  attaques  délirantes  ou  convulsives  de  l'hystérie. 

La  morale  de  tout  ceci, c'est  qu'il  va  falloir  reprendre  le  médicament  immt»- 
diatement  et  en  continuer  désormais  l'emploi  pendant  une  période  de  temps 
indéterminée.  Les  doses  seront  ce  qu'elles  ont  été  lors  de  la  première  prescrip- 
tion, c'est-à-dire  4  grammes  par  jour  la  première  semaine  du  mois,  3  la 
seconde,  6  la  troisième  et  7  la  quatrième  et  ainsi  de  suite  les  mois  suivants. 
Nous  espérons  pouvoir  ainsi,  à  la  longue,  vaincre  le  mal  ou  pour  le  moins  en 
atténuer  considérablement  les  effets.  Y  réussirons- nous?  c'est  ce  que  l'avenir 
nous  apprendra  (1). 

Men..s   et  la  personne  qui  l'accompagne  se  retirent. 

1.  La  médication  a  donc  été  l'cpinso  le  12  févi-iei*  1889;  rien  de  nouveau  jusqu'au  14  avril.  Ce 
,jour-lîi,est  survenu  nu  accès  qui  n'a  pas  duré  plus  de  deux  heures  Le  malade  !e  décrit, ainsi  qu'il 
suit  :  «.  Je  suis  sorti  de  chez  M.  R...,  marchand  de  meubles  et  de  bronzes,  rue  Saint-Lazare, 
pour  le  compte  duquel  je  travaille  maintenant,  à  2  heures  de  ra;)rès-midi.  Je  devais  aller  rue 
des  Bons-Enfants  d'abord  pour  y  chercher  du  drap,  puis  passage  Saulnier  pour  y  prendre  des 
patères.  J'étais  à  pied.  Dix  minutes  peut-être  après  mon  départ,  étant  dans  la  rue,  j'ai  perdu 
conscience.  Avant,  j'étais  parfaitement  bien  portant  et,  celte  fois,  je  n'ai  pas   senti  de  mal    de 


—  316  — 


II 


Je  pourrais  en  rester  là  et  passer  outre  ;  mais  rien  ne  nous  presse  en  ce 
moment,  et  pour  mieux  relever  encore  l'intérêt  du  cas  que  nous  venons 
d'étudier  ensemble,  je  crois  utile  d'en  rapprocher  un  certain  nombre  de 
faits  analogues  en  ce  sens  que,  comme  dans  le  nôtre,  le  sujet  exécute  sans  le 
savoir  et  sans  le  vouloir,  c'est-à-dire  automatiquement,  des  actes  souvent  fort 
complexes.  Nous  choisirons  surtout,  naturellement,  ceux  dans  lesquels  on  le 
voit  marcher,  se  promener  en  public,  voyager  même  et,  avec  une  apparence 
d'intelligence  et  de  lucidité  souvent  parfaites,  résoudre  toutes  les  difficultés 
que  l'on  rencontre  nécessairement  dans  l'accomplissement  régulier  de  tels 
actes.  Ces  faits  existent  dans  la  science  en  certain  nombre;  ils  peuvent  être 
ramenés  à  plusieurs  groupes  que  iiousnous  proposons  de  passer  en  revue  suc- 
cessivement. Dans  cet  exposé  qui  ne  saurait  être  d'ailleurs  que  très  sommaire, 
nous  chercherons  surtout  l'occasion,  en  faisant  valoir  les  analogies  et  les 
différences,  de  déterminer  la  place  que  le  cas  de  Men...  s  doit  occuper  dans 
la  série  de  V automalisme  ambulatoire,  et  nous  serons  conduit  par  là, 
si  je  ne  me  trompe,  à  reconnaître  encore  une  fois  que  c'est  au  groupe  comitial 
qu'il  appartient. 

On  raconte  que  John  Stuart  Mill  a  composé  la  plus  grande  partie  de  son 
«  Système  de  logique  »  pendant  les  promenades  qu'il  avait  l'habitude  de  faire 
chaque  jour  dans  les  rues  de  Londres,  entre  Kensington  et  India  house.  Plu- 
sieurs fois  on  l'a  rencontré  l'après  midi  dans  Cheapside,  avec  l'air  d'un  homme 
fort  préoccupé,  se  frayant  cependant  la  voie  avec  beaucoup  d'aisance  parmi 
les  passants,  très  nombreux  à  cette  heure  du  jour,  sans  les  heurter  le  moins 
du  monde  et  sans  se  cogner  contre  les  colonnes  à  gaz  (1).  Sans  être  un  Stuart 
Mill,  combien  de  fois  ne  nous  est-il  pas  arrivé  dans  certains  moments  de  grande 
préoccupation,  de  gravir  un  escalier  sans  le  savoir  et  d'arriver  devant  la 
porte  fort  étonnés  de  ce  que  nous  avions  fait  inconsciemment. 

Ce  sont  là  des  exemples  d'automatisme  physiologique  en  quelque  sorte  ;  mais 
c'est,  si  l'on  peut  ainsi  dire,  du  petit  automatisme,  qu'il  s'agit  ici  car  s'il  a  perdu, 
en  tout  ou  en  partie,  le  souvenir  des  actes  moteurs  qu'il  a  accomplis,  en  se  pro- 

Icte  ;  je  me  suis  réveillé  seulement  à  4  heures  en  rentrant  rue  Saint-Lazare,  fort  étonné  de  voir 
que  j'avais  fait  mes  commissions  puisque  je  rapportais  avec  moi  mon  drap  et  mes  palères. 
Les  personnes  chez  lesquelles  j'ai  éié  rue  des  Bons-Enfants  et  passap^e  Saulnier  ne  se  sont 
aperçues  de  rien.  Elles  ont  dit  seulement  que  j'avais  la  figure  «  ))àle  et  tirée  ».  En  rentrant,  je 
me  suis  senti  très  fatif?ué,  comme  d'habitude  après  mes  fugues,  ot  j'avais  besoin  d'étendre  les 
bras  et  de  m'étirer  comme  on  le  fait  quand  on  se  réveille. 

Aujourd'hui,  15  juillet,  nous  apprenons  de  Men..  s  qu'il  n'a  pas  eu  d'autres  crises;,  le  bromure 
a  été  continué  conformément  à  la  prescription,  sans  interruption. 

1.  Carpenter,  Mental  Phijsiolofji/.  5«  édition,  p.  131. 


—  'Ml  — 

menant  on  en  montant  un  escalier,  le  sujet  conserve  pour  le  moins  celui  des 
actes  psychiques  qui,  pendant  ce  temps-là,  ont  occupé  son  esprit. 

La  Pathologie  nous  fournira  ais(';ment  des  cas  beaucoup  plus  accentu«'*s.  Le 
groupe^  en  [)articulier,  des  awî«<^s/^v /7"flM»?fl//^i/eA-,  sur  lequel  j'ai  eu  l'occasion 
déjà  d'appeler  votre  attention,  fournit  de  nombreux  exemples  du  genre  (l).Il 
n'est  pas  rare,  en  effet,  à  la  suite  d'un  choc  sur  la  tète,  ayant  déterminé,  une 
commotion  cérébrale,de  voir  sun^enir  un  état  d'amnésie  plus  ou  moins  profonde 
et  plus  ou  moins  prolongée,  accompagnée  d'automatisme  ambulatoire.  Un  des 
casjles  plus  remarquables  dans  cette  catégorie,  est  incontestablement  celui 
qui  a  été  rapporté  à  la  Société]  médico-psychologique  de  Paris,  séance 
des  23-26  0(!tobre  1885,  par  M.le  D""  Rouillard  (2). 

Ils'agit  d'une  sage-femme, M"""  T...,  âgée  de  54  ans,  vétéran  dans  son  métier 
qu'elle  exerce  depuis  plus  de  vingt-cinq  ans  et  où  elle  a  acquis  une  grande 
réputation  d'habileté.  Pas  de  maladies  nerveuses  antérieures  à  l'affection 
dont  il  va  être  question,  pas  d'épilepsie  en  particulier,  pas  d'hystérie.  Dans 
la  nuit  du  8  au  9  août,  on  sonne  chez  elle  ;  elle  ouvre  une  des  fenêtres  de 
l'entresol  où  elle  demeure, et  demande  ce  qu'on  lui  veut.  On  vient  la  chercher 
pour  aller  assister  à  la  Chapelle,  une  de  ses  clientes,  qu'elle  a  accouchée  deux 
fois  déjà,  et  qui  est  près  d'accoucher  une  fois  de  plus.  Le  mari  est  là,  en  bas, 
qui  attend  dans  la  rue.  M™'T...  descend  son  escalier  qui  est  très  raide,  très 
étroit,  tortueux,  et,  arrivée  aux  dernières  marches,  elle  fait  une  chute  et  perd 
connaissance.  11  était  environ  3  heures  du  matin.  On  la  trouve  étendue  sur  le 
côté  droit  ;  pas  d'écoulement  sanguin,  ni  par  le  nez  ni  par  les  oreilles,  pas  de 
vomissements,  pas  de  relâchements  des  sphincters.  Ses  traits  n'étaient  pas 
convulsés,  la  langue  ne  sortait  pas  de  la  bouche  ;  comme  elle  est  fort  lourde 
on  parvint  non  sans  peine  à  l'asseoir  sur  une  chaise.  L'état  d'inconscience 
dura  un  quart  d'heure  environ. 

Lorsque  M™*  T...  revint  à  elle,  elle  demanda  un  peu  d'eau  sucrée  avec 
douze  gouttes  d'arnica.  Sa  voix  était  faible,  mais  les  mots  étaient  bien  arti- 
cules. M.  C...  qui  était  venu  la  chercher  lui  demanda  si, malgré  l'accident,  elle 
pouvait  venir  faire  l'accouchement  ;  elle  se  leva  et  dit  :  «  Allons.  »  Dans  la 
rue  elle  dit  à  M.  C...  qui  lui  donnait  le  bras  :  «  Où  me  menez-vous  ?  —  Mais 
chez  moi,  à  la  Chapelle,  ma  femme  est  en  douleurs.  —  Votre  femme  ?  Je  ne 
la  connais  pas  !  Comment  s'appelle-t-elle  ?  —  M™*^  C...  vous  le  savez  bien  !  — 
Elle  est  donc  enceinte  ?  —  Mais  vous  l'avez  vue  avant-hier.  —  Allons  !  —  Et 
votre  sac,  vous  l'avez  oublié.  (En  eflet  le  sac  a  été  retrouvé  plus  tard  dans 
l'escalier.)  —  Je  n'ai  pas  besoin  de  sac.  Vous  avez  bien  du  fil  et  des  ciseaux 
chez  vous  !  Vous  m'ennuyez  !  Allons  !  »M.  C...  trouve  que  M"**^  T...  n'est  pas 
de   bonne  humeur  et  n'insiste  pas. 

1.  Leçons  du  mardi,  1888-89  p.  134. 

2.  Annales  médico-  psychologiques,  p.  39  et  p.  127,  l.  III,  49*  année,  Paris. 


—  318  — 

On  arrive  à  la  Chapelle  après  une  course  d'un  kilomètre  environ.  M*"®  T... 
touche  la  femme  et  dit  :  «  Vous  en  avez  encore  pour  deux  bonnes  heures. 
Tenez,  marchez  dans  la  chambre,  moi,  je  suis  plus  malade  que  vous,  je 
vais  m'étendre  sur  votre  lit.  Donnez-moi  auparavant  un  peu  d'eau  fraîche 
et  de  l'arnica.  »  Elle  se  met  un  bandeau  elle-même  :  elle  a  une  énorme 
contusion  ecchymotique  du  front  et  de  la  joue  et  peut  à  peine  ouvrir  l'œil 
droit. 

Elle  s'étend  sur  le  lit  et  paraît  s'assoupir.  Au  bout  d'une  heure,  elle  se 
lève.  La  femme  en  couches  souffre  beaucoup  et  pousse  des  cris  épouvantables. 
M™^  T...  la  fait  coucher,  prépare  tout,  dispose  elle-même  la  layette  sur  un 
meuble.  L'accouchement  se  fait  normalement  vers  cinq  heure  s  et  demie  comme 
M""^  T...  l'avait  prédit.  Elle  donne  d'ailleurs  ses  soins  avec  intelligence,,  pra- 
tique le  toucher  vaginal  à  plusieurs  reprises,  soutient  le  périnée  pendant  l'ex- 
pulsion du  fœtus,  pose  deux  ligatures  au  cordon  et  le  coupe,  lave  l'enfant  et 
l'essuie,  lui  oint  légèrement  la  tête  d'huile,  lui  panse  le  nombril  et  entoure 
le  pansement  de  quelques  tours  de  bande,  auxquels  elle  fait  quelques  points 
de  couture,  l'habille  et  l'emmaillotte,  puis  délivre  la  mère.  Elle  examine  le 
placenta,  le  tourne,  le  retourne,  déplie  les  membranes  et  dit  au  père  :  «  Vous 
pouvez  jeter  cela.  »  Puis  elle  lave  la  mère,  l'essuie,  lui  passe  du  linge  propre 
sous  elle  et  dit  :  «  Maintenant  donnez-moi  quelque  chose  à  boire...  »  Elle  s'as- 
seoit, prend  du  thé  avec  quelques  gâteaux  secs, et  cause  avec  les  personnes  pré- 
sentes de  choses  et  d'autres,  mais  avec  peu  d'entrain  et  répétant  toujours  la 
même  chose. 

Vers  8  heures  1/4,  l'accouchée  se  plaint  et  réclame  l'assistance  de  la  sage- 
femme.  «  Allons,  dit  M"^  T...,  voyons  !  »  et  elle  soulève  le  drap.  A  ce  moment, 
M™®  T...  est,  prise  d'un  violent  frisson,  elle  ferme  les  yeux,  son  corps  tremble, 
elle  a  froid.  Puis  elle  rouvre  les  yeux, et  volt  alors  la  scène.  Elle  regarde  autour 
d'elle  d'un  air  ahuri,  ne  comprend  pas  où  elle  est,  reconnaît  mal  les  assis- 
tants qu'elle  connaît  presque  tous  de  longue  date.  Rêve-t-elle  ?  Comment  est- 
elle  venue?  Et  se  tournant  vers  les  assistants  :  «  Est-ce  qu'elle  accouche,  cette 
femme-là?  »  Le  mari  est  tellement  étonné  qu'il  n'y  peut  répondre.  «  Vite  une 
cuvette,  de  l'eau,  de  quoi  écrire.  »  Puis  elle  pratique  le  toucher  et  dit  :  «  Mais 
elle  est  délivrée  ;  où  est  le  délivre  ?  —  Mais  il  est  jeté.  — Tant  pis  j'aurais  désiré 
le  voir.  Où  est  l'enfant?  Tiens  il  est  emmailloté  et  bien  emmailloté  mafoi  !  — 
Mais  c'est  vous  qui  l'avez  habillé  !  —  Allons  donc,  dit-elle,  vous  voulez  rire...  » 
Elle  se  fait  raconter  ce  qui  s'est  passé,  est  très  étonnée  de  se  voir  une  forte  bosse 
à  la  tempe  et  d'éprouver  une  grande  gêne  dans  les  mouvements  du  côté  droit. 
Craignant  d'avoir  fait  ({uelque  bévue  pendant  cette  période  d'inconscience,  elle 
déshabille  l'enfant  qu'elle  trouve  fort  bien  arrangé.  Elle  constate  aussi  que  la 
délivrance  a  été  bien  faite  et  qu'aucun  débris  de  placenta  ne  se  trouve  dans 
la  cavité  utérine. 

Malgré  tous   ses   efforts,  elle  n'a  pu  jusqu'ici  se  rappeler  rien  de  ce  qu'elle 


—  ;uo  — 

a  fait  pendant  cette  période  qui   a  été  de  cinq  heures  et  demie    environ,  de 
2  heures  3/4 du  matin  à  8  heures  i/4  (1). 

J'ai  tenu  à  rapporter  cette  importante  observation  dans  le  détail,  parce 
qu'elle  montre  bien  quelle  peut  être  la  durée  de  l'état  automatique  dans  ces 
circonstances  de  l'amnésie  traumatique,  et  quelle  peut  être  la  complication 
vraiment  étonnante,    ainsi  que  l'admirable  adaptation  des  actes  accomplis 
durant  cet  état.  «  Faire  une  course  d'un  kilomètre,  dit  à  ce  propos  l'auteur 
de  l'observation,  boire,  manger,  échanger  quelques  paroles  sans  en  garder  le 
souvenir,  c'est  déjà  chose  curieuse.  Mais  faire  un  accouchement  et  le  bien 
faire,  lier  et  couper  le  cordon,  délivrer  la  mère,  lui  donner,  ainsi  qu'à  l'enfant, 
des  soins  minutieux,  le  tout  pendant  cinq  heures  et  demie  et  sans  pouvoir  se 
le  rappeler,  voilà  qui  paraît  extraordinaire.  >>  Oui,  sans  doute,  cela  paraît  être 
extraordinaire,  quand  on  n'est  pas  familiarisé  encore  avec  les  faits  de  cet 
ordre,  mais  ces  faits-là  ne  sont  pas,  tant  s'en  faut,  sans  exemples;  ils  tendent 
à  se  multiplier  parce  qu'on  y  prête  plus  d'attention  chaque  jour,  et,  au  fur  et  à 
mesure  qu'ils  s'accumulent,  on  s'habitue  à  les  trouver  moins  singuliers.  Tou- 
jours est-il  que,  dès  à  présent,  au  point  de  vue  qui  vient  d'être  signalé,  il  y  a 
lieu  d'établir,  vous  l'avez  compris,  messieurs,  en  ce  qui  concerne  bien  entendu 
le  côté  psychologique,  non  le  côté  nosographique,  un  rapprochement  entre 
l'observation  de  M""  T...  et  celle  de  notre  malade   Men..  s  qui,  par  suite  de  ce 
rapprochement  même,  vous  paraîtra,  en  quelque  sortC;,  moins  étrange,  moins 
inattendue.  Dans  les  deux  cas,  même  inconscience  profonde,  en  effet,  con- 
trastant avec  des  actes  automatiques  remarquablement  compliqués,  rappelant 
absolument  par  leur  aisance  et  leur  précision  ceux  de  la  vie  consciente,  tant 
ils  semblent  parfaitement  adaptés  à  un  but.  11  est  vrai  que  la  durée  de  la 
période  automatique  n'a  pas  dépassé  cinq  heures  dans  le  cas  de  M"**  T...,  la 
sage-femme,  tandis  qu'elle  a  pu,  lors  du  dernier  accès,  dans  le  cas  de  Men..  s 
atteindre  jusqu'à  huit  jours.  Mais  on  ne  saurait  trouver  là,  en  somme,  le  motif 
d'une  séparation  fondamentale.  L'état  mental,  considéré  comme  syndrome, 
comme  épisode,  paraît  être  essentiellement  le  même  chez  les  deux  sujets  ; 
l'accès  ne  dure  que  cinq  heures  dans  un  cas  ;  dans  l'autre,  il  dure   quatorze 
heures,  quarante-deux  heures,  cinquante-trois  heures,  huit  jours  enfin  dans 
la  crise  de  Brest  ;  mais,  pour  se  prolonger,  la  modification  psychique  qui  pré- 
side à  l'accès  ne  change  pas  pour  cela  de  caractère.  Il  n'y  a  donc  là  en  défini- 
tive qu'une  question  de  degré. 

Voici  l'indication  de  quelques  autres  exemples  d'amnésie  traumatique  avec 
automatisme  que,  dans  lebut  d'éclairer  mieux  encore  la  situation,  je  crois  utile 
de  signaler  à  votre  attention.  On  cite  volontiers  le  cas  de  Kaempfen  qui  fait 
partie  des  mémoires  de  l'Académie  de  médecine  pour  1835  (2).  Il  s'agit  d'un 


1.  Rouillard,  loc.  cil.  p. 39. 

2.  Mémoires  de  l'Académie  de  médecine,  t.  IV,  p.  489, 1835. 

43 


—  320  — 

officier  de  vingt-huit  ans  qui  fait  une  chute  de  cheval  dans  un  manège  et 
tombe  sur  le  côté  droit  du  corps,  principalement  sur  le  pariétal  droit.  Cette 
commotion  est  suivie  d'une  légère  syncope  (?)  Revenu  à  lui,  il  remonte  à  cheval 
et  continue  sa  leçon  d'équitation  pendant  trois  quarts  d'heure  avec  une  grande 
régularité.  Au  sortir  de  là,  il  ne  se  rappelait  ni  sa  chute,  ni  ce  qui  a  suivi.  Six 
heures  après  Faccident,  il  commence  à  retenir  la  phrase  qu'il  s'est  entendu 
adresser  tant  de  fois  depuis  :  «  Vous  êtes  tombé  de  cheval  ».  Yingt-quatre 
heures  après  la  chute,  il  ignore  encore  qu'il  Ta  faite,  et  il  ne  connaît  ce  qui  s'est 
passé  ce  jour-là  que  par  ce  que  lui  a  appris  le  récit  des  témoins. 

M.  Ferré  a  observé  un  fait  fort  semblable  au  précédent  qu'il  a  consigné  dans 
sa  thèse  inaugurale  sur  l'amnésie  traumatique  publiée  en  1881  (1).  M.  M..., 
élève  de  Saint-Cyr,  tombe  de  cheval  au  manège  ;  après  une  perte  de  connais- 
sance de  quelques  minutes,  il  se  rend  avec  ses  camarades  au  dortoir,  par- 
court cinq  cents  mètres  et  monte  deux  étages,  dépose  sa  cravache,  passe  ses 
fausses  manches  de  travail  et  les  attache,  descend  en  récréation,  mange  du 
pain  et  boit  du  vin.  Il  va  ensuite  chercher  sa  planche  à  dessin,  sans  la  con- 
fondre avec  celle  d'un  voisin,  se  rend  à  l'étude  et  se  met  à  tourner  de  l'encre 
de  Chine.  A  ce  moment,  le  professeur  lui  parle  et  c'est  alors  seulement  qu'il 
reprend  possession  de  lui-même,  après  quelques  minutes  d'ahurissement.  Ses 
souvenirs  personnels  ne  datent  que  de  cet  instant. 

Une  jeune  femme,  dont  l'histoire  a  été  rapportée  par  M.  Motet,  tombe, en  des- 
cendant de  wagon,  sur  les  fesses  sans  se  blesser  et  ne  perd  pas  connaissance. 
On  peut  se  demander  si,  dans  ce  cas,  c'est  l'ébranlement  physique  ou  l'ébranle- 
ment psychique  qui  a  été  en  cause  ;  toujours  est-il  qu'à  la  suite  de  cet  accident, 
quoique  devenue  amnésique,  elle  a  marché  et  causé  même^  pendant  quelque 
temps,  sans  savoir  oii  elle  allait  ni  pourquoi  elle  était  venue. 

Une  autre  observation  citée  par  M.  Motet,  à  propos  dufaitprécédent,  est  fort 
intéressante  pour  nous  en  ce  sens  que,  par  certains  côtés,  elle  rappelle  jusque 
dans  les  moindres  détails  le  cas  de  Men..s;  mais  cette  observation  doit,  sui- 
vant nous,  trouver  sa  place  dans  le  groupe  épilept'ique  où  nous  allons  avoir  à 
relever  maintenant  quelques  exemples  topiques. 

L'automatisme,  avec  ou  sans  impulsion  à  la  déambulation.se  rencontre,  pour 
ainsi  dire,  à  chaque  pas  dans  l'histoire  du  mal  comilial\  mais  le  plus  souvent, 
on  le  sait,  et  cela  est  pour  ainsi  dire  dans  la  règle  lorsqu'il  s'agit  du  délire 
épileptique  post-convulsif,  les  malheureux  malades  s'ils  se  sont  échappés  et 
ont  parcouru  les  voies  publiques  se  retrouvent,  lorsqu'ils  sortent  de  leur  crise, 
soit  au  poste  de  police,  soit  dans  un  asile.  C'est  que  sous  l'influence  d'halluci- 
nations terrifiantes,  d'émotions  dramatiques,   ils  ont   répandu   l'épouvante 


1.  Cité  d'après  Ronillard,  loc.  cit. 


—  321  — 

autour  d'eux^  brisant  tout  sur  leur  passage,  et  commettant  même  trop  souvent 
des  actes  homicides. 

D'autres  fois,  principalement  peut-être,  mais  non  exclusivement,  tant  s'eii 
faut,  quand  il  s'est  agi  du  petit  mal,  la  scène  est  moins  bruyante,  plus  calme; 
mais  le  résultatpratique,  en  somme,  est  analogue  car  lemalade  commet  incons- 
ciemment des  actes  repréhensibles,  délictueux,  et,  pris  en  flagrant délii,  onl'ar- 
rête.  M.  Gowers,  dans  son  Traité  de  l'épilepsie,  cite  le  cas  d'un  maitre  de 
musique  qui,  pris  de  vertige  comitial  au  milieu  de  sa  leçon,  s'est  mis  à  se 
déshabiller  comme  s'il  allait  se  mettre  au  lit.  J'ai  revu,  ces  jours-ci,  un 
pauvre  diable  de  professeur  attaché  à  une  école  professionnelle  qui  m'a  con- 
sulté bien  souvent  depuis  quelques  années,  et  qui  est  sujet  à  des  accès  de 
petit  mal  à  la  suite  desquels,  souvent,  comme  le  malade  de  M.  Gowers,  il  se 
déshabille  sans  le  savoir  et  va  se  coucher  en  plein  jour.  Tout  récemment,  il 
s'est  déshabillé  en  pleine  classe,  pendant  son  cours,  et  cet  acte  coupable,  dont 
il  n'est  pas  responsable  cependant,  l'a  conduit  devant  les  tribunaux. 

Certes,  ces  cas-là  ne  sont  point  rares.  Ce  n'est  pas  ainsi,  vous  le  savez,  que  les 
choses  se  sont  passées  dans  l'observation  que  nous  avons  en  vue  d'éclairer.  Notre 
homme  dans  ses  fugues  inconscientes,  et  c'est  là  un  caractère  vraiment  parti- 
culier de  son  cas,  s'est  toujours  conduit  en  public,  vous  ne  l'avez  pas  oublié  — 
à  part  toutefois  le  jour  où  il  s'est  précipité  dans  la  Seine  —  sans  se  faire  remar- 
quer de  personne,  et  il  n'eût  peut-être  jamais  connu  la  prison  si,  à  la  suite 
de  la  grande  crise  de  Brest,  il  n'avait  pas  eu  la  malencontreuse  idée  de  se  con- 
fier à  un  gendarme  dans  les  circonstances  que  vous  savez.  Ce  sont  donc  les 
faits  d'automatisme  tranquille,  pondéré,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  c'est-à-dire 
sans  accompagnement  d'actes  tragiques  ou  simplement  repréhensibles,  qu'il 
nous  faut  relever  surtout  pour  les  rapprocher  du  cas  de  Men..s.  Ces  faits-là  ne 
sont  point  très  vulgaires.  Le  cas  de  ce  magistrat  cité  par  Trousseau  qui,  siégeant 
à  l'Hôtel  de  Ville,  comme  membre  d'une  société  savante,  sortait  nu  tète,  allait 
jusqu'au  quai  et  revenait  à  sa  place  prendre  part  aux  discussions  sans  aucun 
souvenir  de  ce  qu'il  avait  fait,  est  bien  connu.  Un  employé  de  bureau  se 
retrouve  à  son  pupitre,  les  idées  un  peu  confuses  sans  autre  malaise.  Use  sou- 
vient d'avoir  commandé  son  dîner  au  restaurant  ;  il  apprend  qu'il  a  mangé, 
qu'il  a  payé,  qu'il  n'a  pas  paru  indisposé  et  qu'il  s'est  remis  en  marche  vers 
son  bureau.  Cette  absence  avait  duré  environ  trois  quarts  d'heure  (1). 

Mais  ce  n'est  là  encore,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  que  du  petit  automatisyneei 
d'ailleursle  caractère  ambulatoire,  dans  les  observations  jusqu'ici  citées,  n'est 
pas  très  accentué.  Il  n'en  est  pas  de  même  dans  celles  qui  vont  suivre.  Elles 
vont  nous  faire  connaître  des  cas  dans  lesquels  les  accès  d'inconscience  ou  de 


1.  Voir  sur  ce  sujet  Hughlings  Jackson,  West  Riding  Asylum  Reports,  TraducHon  dans  la 
Revue  scientifique  du  19  lévrier  1876.  — •  Falret,  Arch.  générales  de  Médecine,  1860,  avril  et 
octobre  1861.  —  Ribot,  Maladies  de  la  mémoirey  1881,  p.  54. 


—  322  — 

subconscience  marqués  par  une  impulsion  morbide  à  la  déambulation,  ont, 
comme  chez  Men..s,  embrassé  une  période  de  plusieurs  jours,  huit  jours  dans 
quelques  cas.  Tardieu,  dans  son  étude  médico-légale  sur  la  folie  cite,  on  le  sait, 
l'exemple  d'un  menuisier  qui  tout  à  coup  pose  ses  outils,  abandonne  son  établi 
et  marche  sans  s'arrêter  pendant  huit  jours;  il  était  allé  à  soixante  lieues  de 
son  domicile  et  y  était  revenu  sans  savoir  pourquoi.  C'est  ici  que  doit  être  placée» 
suivant  nous,  le  cas  de  M.  Motet  auquel  nous  avons  fait  allusion  plus  haut  et  que 
cet  auteur  croit  devoir  classer  dans  la  catégorie  des  amnésies  traumatiques 
transitoires.  Celles-ci,  autant  qu'on  sache,  ne  survivent  pas  longtemps  au  choc 
physique  qui  leur  a  donné  naissance  et  surtout,  après  avoir  paru  immédiatement 
après  Taccident,  elle  ne  se  reproduisent  pas  par  la  suite,  sous  forme  d'accès  plus 
ou  moins  souvent  répétés  et  séparés  par  des  intervalles  libres.  D'un  autre  côté, 
il  n'est  point  rare,  on  le  sait,  de  voir  un  choc  sur  la  tête,  agissant  à  la  manière 
d'une  cause  provocatrice  et  non  pas  créatrice,  déterminer  l'apparition  d'atta- 
ques d'hystéro-épilepsie  qui,  jusque-là,  n'avaient  point  paru  et  qui  se  perpé- 
tueront par  la  suite  :  on  peut  affirmer  qu'il  en  est  quelquefois  de  même  de 
l'épilepsie  considérée  dans  ses  formes  les  plus  variées  et  telle  est  l'interpréta- 
tion que  nous  croyons  devoir  donner  du  cas  de  M.  Motet  dont  nous  allons  rap- 
peler les  faits  les  plus  importants  (1). 

«  Un  jeune  homme  qui,  après  avoir  fini  son  temps  de  service  militaire  dans 
les  meilleures  conditions  physiques  et  morales,  gagnait  sa  vie  en  servant  les 
maçons  tomba  un  jour  de  la  hauteur  du  deuxième  étage  d'une  maison  en 
construction,  dans  les  circonstances  que  voici.  Il  portait  sur  la  tête  une  auge 
de  plâtre  et  montait  à  l'échelle,  lorsqu'un  échelon  se  brise  sous  son  pied  ;  il 
est  précipité  et  tombe  à  travers  l'ouverture  béante  de  la  cave.  Il  se  fracture  la 
jambe  droite  et  la  cuisse  gauche.  Il  reste  huit  jours  dans  un  état  comateux, 
près  d'un  an  paraplégique  et  enfin  il  se  rétablit.  Mais  l'amnésie  est  restée  com- 
plète pendant  des  mois.  La  réparation  s'est  faite  progressivement,  et  chose 
assez  curieuse,  la  mémoire  s'est  rétablie  jusqu'à  la  minute  même  de  l'acci- 
dent; il  se  souvient  maintenant  du  bruit  que  l'échelon  a  produit  en  se  brisant. 
Mais  cet  homme  qui,  jusque-là,  n'avait  jamais  été  un  épileptique  est  resté  de- 
puis sujet  à  de  véritables  accès  de  vagabondage;  il  part,  marche  devant  lui, 
sans  conscience  de  ses  actes,  automatiquement,  et  ne  s'arrête  au  bout  de 
quatre  heures,  dix  heures  et  plus,  qu'exténué  de  fatigue  et  mourant  de  faim. 
Il  se  demande  alors  où  il  est,  ce  qu'il  est  venu  faire  dans  un  endroit  inconnu 
de  lui.  Il  rentre  chez  sa  mère  sans  pouvoir  donner  aucune  explication  de  son 
absence. 

«  Il  s'est  marié,  et  depuis  il  a  encore  été  sujet  à  des  fugues  du  même  genre. 
L'une  d'elles  entre  autres  a  été  remarquable  à  la  fois  par  son  intensité  et  par 


1.  Voir  Motet,  Annales  médico-psychologiques,  1883,  p.  i'J.-'. 


—  323  — 

sa  durée.  Il  avait  obtenu  une  place  de  concierge  qu'il  cumulait  avecla  fonction 
de  distributeur  de  prospectus.  Il  s'est  toujours  acquitté  très  honnêtement  de 
sa  besogne.  Un  jour  il  a  dans  sa  poche  l'argent  d'un  trimestre  de  loyers  ; 
il  part  en  pantoufles,  se  rend  à  la  gare  de  Lyon,  prend  un  billet  pour 
Marseille  ;  de  Marseille  il  se  rend  à  Toulon,  de  Toulon  à  Nice,  de  Nice  à 
Marseille,  retourne  de  Marseille  à  Toulon,  puis  il  revient  à  Paris,  et  réveillé, 
c'est  lemot  propre,  ilapprend  quil  a  disparu  depuis  huit  jours,  qu'il  a  emporté 
environ  1.500  francs  appartenant  à  son  propriétaire.  Il  se  rend  de  lui-même 
chez  le  commissaire  de  police  qui  le  met  en  état  d'arrestation.  L'affaire  vient 
en  cour  d'assises  et  le  président,  sur  la  demande  du  défenseur,  renvoie  à  une 
autre  session  et  nous  commet,  dit  M.  Motet,  pour  examiner  cet  homme 
dont  nous  n'avons  pas  eu  grand'peine  à  démontrer  l'irresponsabilité.  » 

Nous  voyons  là  pour  notre  compte  un  cas  d'épilepsie  tardive,  sous  forme 
d'accès  d'automatisme  ambulatoire,  développée  à  la  suite  d'une  lésion  trau- 
matique  et  les  analogies  qui  existent  entre  ce  cas  et  le  nôtre,  sauf  en  ce  qui 
concerne  la  cause  traumatique  absente  dans  le  dernier,  est  véritablement  des 
plus  frappantes;  on  pourrait  même  aller  jusqu'à  dire,  qu'à  part  la  circonstance 
étiologique,  il  y  a  identité  entre  eux,  tant  la  fugue  de  Marseille  chez  le  sujet 
de  M.  Motet,  ressemble  pour  la  durée  comme  pour  les  menus  détails,  à  la 
fameuse  fugue  de  Brest  chez  le  nôtre. 

Voici  donc  l'observation  de  Men....s  qui  cesse  de  sembler  prodigieuse, 
étonnante,  comme  elle  pouvait  vous  le  paraître  lorsque  je  vous  la  pré- 
sentais à  l'état  d'isolement.  A  l'avenir,  elle  pourra  être  citée  sans  crainte  de 
provoquer  l'incrédulité.  Elle  rentre  en  effet  désormais  dans  une  règle  com- 
mune à  tout  un  groupe,  puisqu'elle  a  son  pendant  aussi  bien  dans  l'observation 
de  Tardieu  citée  plus  haut,  que  dans  celle  de  M.  Motet,  et  j'ajouterai  que 
quelques  recherches  ad  hoc  rendraient  bientôt,  à  n'en  pas  douter,  le  groupe 
auquel  elle  appartient  plus  compact  et  plus  dense.  Il  me  suffira  de  vous 
renvoyer  à  ce  propos  aux  remarquables  mémoires  de  M.  J.  Falret  sur  l'état 
mental  des  épileptiques  publié  dans  les  Archives  de  médecine  pour  1861  (1)  ; 
vous  trouverez  là  l'histoire  de  deux  épileptiques  avec  accès  automatiques 
ambulatoires  dont  les  uns  sont  accompagnés  d'actes  violents,  tandis  que 
d'autres  s'accomplissent  tranquillement,  silencieusement.  L'un  d'eux  qui,  dans 
plusieurs  de  ses  accès,  avait  tenté  de  se  suicider,  sans  le  savoir,  se  promenait 
d'autres  fois,  inconsciemment  mais  fort  tranquillement,  pendant  plusieurs 
jours.  L'autre  est  resté,  une  fois,  deux  jouis  hors  de  chez  lui.  Tranquillement 
et  sans  avoir  été  remarqué  par  personne,  il  avait  fait  à  pied,  sans  boire  ni 
manger,  le  trajet  de  Paris  à  Amiens.  On  pourrait  assez  facilement  accumuler 
les  cas  du  même  genre. 


1.  Page  431, 


—  324  — 

C'est  ainsi  que,  caractérisée  déjà  comme  appartenant  au  mal  comitial,  par 
les  résultats  si  nets  de  l'emploi  du  bromure  contre  les  accès,  l'observation  de 
Men. .s  l'est  encore,  une  fois  de  plus,  vous  le  voyez,  par  l'ensemble  des 
phénomènes  cliniques. 

Il  ne  me  reste  plus,  pour  terminer  la  tâche  que  je  me  suis  proposée  aujour- 
d'hui de  remplir,  qu'à  faire  figurer  dans  le  tableau  afin  d'y  mieux  mettre  en 
relief  l'objet  sur  lequel  je  veux  appeler  toute  votre  attention,  quelques 
exemples  d'automatisme  ambulatoire  relevant  d'affections  autres  que 
l'épilepsie. 

Plusieurs  d'entre  vous  en  entendant  raconter  les  détails  du  cas  de  Men... s, 
ont  sans  doute  pensé  au  somnambulisme.  En  effet,  lorsqu'on  entend  dire 
qu'un  homme  se  promène  dans  les  rues  inconsciemment,  se  conduisant  cepen- 
dant comme  s'il  était  éveillé  et  conscient,  cela  rappelle  tout  naturellement  la 
description  répandue  dans  le  vulgaire  du  somnambule  ;  mais  nous  n'ignorons  pas 
que  dans  la  catégorie  du  somnambulisme  il  y  a  plus  d'une  distinction  à  faire. 

Pour  ce  qui  est  relatif,  en  premier  lieu,  au  somnambulisme  dit  naturel  et, 
quelquefois  aussi,  physiologique  (noctambulisme,  sleep  walking,  etc.),  il 
importe  de  remarquer  tout  d'abord  que,  à  son  sujet,  nous  en  sommes  encore 
à  la  période  des  informations  (1),  les  observations  régulières  étant  vérita- 
blement très  rares.  En  ce  qui  me  concerne,  en  dehors  du  cas  auquel  j'ai 
fait  allusion  dans  la  9"  leçon  du  mardi  de  l'an  passé  (2),  je  ne  crois  pas 
qu'il  ait  été  observé  de  près  une  seule  fois  dans  ce  service  auquel  je 
suis  attaché  depuis  une  trentaine  d'années,  et  qui  contient  une  division  de 
près  de  200  femmes  hystériques  ou  hystéro-épileptiques.  Il  n'est  pas  inutile, 
sans  doute,  de  relever  encore  à  propos  de  la  rareté  des  cas  de  ce  genre,  que 
suivant  la  remarque  fort  juste  d'Echeverria,  la  plupart  des  faits  rapportés 
au  noctambulisme  dans  lesquels  les  actes  commis  ont  eu  un  caractère  agres- 
sif appartiennent,  le  plus  souvent,  suivant  toute  vraisemblance,  à  l'épilepsie. 

\'ous  voyez  que,  d'après  cela,  le  somnambulisme  naturel  ne  peut  pas  être 
considéré  encore,  à  l'heure  qu'il  est,  cmome  un  type  parfaitement  étudié  et 
pouvant  servir  de  paradigme  dans  l'étude  des  états  analogues.  Certes,  ce  n'est 
pas  de  ce  côté-là  qu'il  faut,  pour  le  moment,  chercher  la  lumière.  Nous  ne  pou- 
vons guère,  par  conséquent,  que  répéter  à  cet  égard  ce  que  l'on  trouve  dans 
les  auteurs.  Nous  rappellerons  seulement,  parmi  les  faits  qui,  dans  l'espèce, 
paraissent  le  mieux  étabiis^que  le  somnambulisme  naturel  s'observe  beaucoup 
plus  fréquemment  chez  la  femme  que  chez  l'homme,  beaucoup  plus  rarement 
chez  l'adulte  que  chez  les  enfants  et  les  adolescents;    que  le   somnambule 


\.  Ilack  'VuVc.Sleop  vmlk'my  and  Ivjpnolism.  —  London  1884.  Voir  aussi  Echeverna:  On  noc- 
turnal  Epilepsy.  Journal  of  mental  Science,  January  1879. 
2.  hoc.  cit.  p.  111. 


--  325  — 

marche  presque  toujours  les  yeux  grands  ouverts  avec  un  regard  d'amauro- 
tique,  se  dirigeant  de  propos  délibéré  ou,  plus  exactement,  avec  les  apparences 
d'une  volonté  ferme  vers  les  lieux  où  semblent  l'entraîner  les  circonstances 
d'un  rêve  qu'il  met  en  action  ;  suivant,  sans  hésiter,  pour  parvenirà  son  bat, 
des  sentiers  périlleux;  sautant,  comme  on  l'a  vu,  dans  le  cas  de  la  Salpêtrière, 
par-dessus  les  murs  avec  une  dextérité  et  une  souplesse  qu'on  ne  lui  connaît 
pas  à  l'état  de  veille  ;  évitant,  dans  la  poursuite  de  l'accomplissement  de  ce 
que  l'on  pourrait  appeler  son  programme,  les  personnes  qui  se  placent  devant 
lui  pour  lui  faire  obstacle.  Il  les  tâte  quelquefois  sans  chercher  toutefois  h  les 
reconnaître  et  passe  à  côté  d'elles  pour  continuer  son  chemin  sans  en  tenir 
autrement  compte  ;  il  semble  en  d'autres  termes  en  faire  abstraction,  parce 
qu'elles  ne  font  pas  partie  de  son  rêve.  Inutile  d'insister,  je  pense  ;  vous 
voyez  suffisamment,  par  ce  qui  précède,  qu'entre  le  noctambulisme  et  l'état 
comitial  ambulatoire  tel  que  nous  l'avons  observé  chezMen..s,  les  différences 
l'emportent  sur  les  analogies,  bien  que  celles-ci,  à  certain  égard,  soient 
cependant  en  somme  assez  étroites. 

Dans  le  somnambulisme  provoqué  par  des  manœuvres  d'hypnotisation,  serait- 
il  possible  de  provoquer  par  suggestion  des  fugues  aussi  longues,  aussi  acci- 
dentées que  celles  qu'il  nous  a  été  donné  d'observer  chez  Men..s.  D'après  les 
études  récentes,  qui  tendent  à  établir  que  des  résultats  de  ce  genre  peuvent 
se  produire  «  en  petit  »,  il  ne  paraît  pas  invraisemblable  que,  dans  certaines 
circonstances  particulières,  probablement  fort .  rarement  rencontre'es,  ils 
pourront  s'obtenir  «  en  grand  >.  Mais  pour  le  moment,  à  ma  connaissance  du 
moins,  pareille  chose  ne  s'est  pas  encore  vue.  Le  sujet  suggestionné  en  pareil 
cas,  marcherait,  sans  doute,  droit  devant  lui,  parfaitement  conscient  de  tous 
les  actes  qu'il  accomplit,  mais  aussi  parfaitement  ignorant  du  motif  qui  les 
lui  fait  accomplir,  comme  sous  l'impulsion  d'une  force  étrangère,  irrésistible. 
Ce  sujet  là  serait  vraisemblablement  un  hystérique  à  stigmates. 

Il  existe  dans  la  science  un  certain  nombre  d'exemples  de  ce  qu'on  a  appelé 
quelquefois  le  somnambulisme  spontané  pathologique  ;  c'est  une  forme  qui 
appartient  à  l'hystérie  :  les  accès  ambulants  sont  en  général,  dans  ces  cas 
là,  précédés  et  suivis  par  une  attaque  d'hystérie  convulsive.  Cela  n'est  point 
nécessaire  cependant,  et  l'automatisme  de  ce  genre  peut  se  manifester  quel- 
quefois primitivement.  Il  ne  s'agit  pas  ici,  du  moins  dans  la  règle,  d'automa- 
tisme silencieux,  tranquille,  comparable  en  un  mot  à  ce  que  nous  avons 
observé  dans  la  plupart  des  accès  de  Men..s  (i).  La  scène  au  contraire  est  géné- 
ralement des  plus  bruyantes  rappelant,  en   somme,  ce  qui  a  lieu  dans  le 


i.  Dans  ces  derniers  temps,  mon  collègue  J.  Voisin  a  cité  plusieurs  exemples  de  «  fugues  * 
d'hystériques,  dans  lesquelles  les  actes  étaient  coordonnés,  méthodiques,  de  telle  sorte  que  les 
sujets,  bien  qu'inconscients  présentaient  l'apparence  extérieure  de  personnes  normales  (Semaine 
Médicales,  10  août  1889,  p.  291). 


—  326  — 

délire  post-épileptique  vulgaire.  Ainsi,  dans  une  observation  bien  connue  de 
mon  collègue  et  ami  le  D""  Mesnet,  on  voit  une  femme  de  trente  ans,  après  avoir 
éprouvé  pendant  la  nuit  une  attaque  hystérique  convulsive,  se  lever,  s'ha- 
biller, faire  sa  toilette  et  descendre  dans  le  jardin  ;  là  elle  marche  les  yeux 
ouverts,  ne  répondant  pas  aux  questions  qu'on  lui  adresse^  sautant  par-dessus 
les  bancs  quand  elle  en  rencontre,  se  détournant  des  obstacles  qu'on  lui  oppose 
en  se  plaçant  devant  elle  ;  au  bout  d'un  certain  temps  de  promenade  plus  ou 
moins  accidentée,  elle  remonte  tranquillement  se  coucher:  à  peine  au  lit 
survient  une  nouvelle  attaque  d'hystérie.  Au  réveil  aucun  souvenir  de  ce  qui 
s'est  passé.  La  crise  d'automatisme  avait  duré  environ  deux  heures.  Une  autre 
fois  cette  même  malade,  après  avoir  éprouvé  encore  une  attaque  d'hystérie 
cette  fois  suivie  d'extase,  se  lève,  s'habille  comme  la  nuit  précédente.  Bientôt, 
elle  croit  voir  des  bêtes  qui  menacent  ses  enfants  ;  elle  ouvre  la  fenêtre  et 
veut  se  précipiter  dans  la  rue.  Un  instant  après,  elle  court  àtravers  sa  chambre, 
saute  par-dessus  les  meubles  et,  après  deux  heures  d'agitation,  elle  se  couche 
et  est  prise  bientôt^  comme  lors  de  l'accès  précédent,  d'une  crise  convulsive. 

Les  cas  de  ce  genre  ne  sont  point  très  rares  dans  l'histoire  de  l'hystérie.  Nous 
pourrions  les  multiplier  aisément.  On  parvient  quelquefois,  dans  ces  cas-là,  à 
l'exemple  de  ce  qui  a  lieu  dans  le  somnambulisme  provoqué  des  sujets  hypno- 
tisables,  à  imprimer  aux  membres  des  malades  des  attitudes  cataleptiques, 
ainsi  que  l'a  signalé  M.  Pitres  et  aussi  à  provoquer,  par  suggestion,  des  hal- 
lucinations. Ce  fait  semble,  vous  le  voyez,  tracer  un  trait  d'union  entre  le 
somnambulisme  provoqué  par  hypnotisation  et  le  somnambulisme  spontané 
des  hystériques.  Ce  dernier,  d'un  autre  côté,  me  paraîtavoir  la  plus  grande  ana- 
logie avec  ce  que,  dans  la  description  delà  grande  attaque  hystero-épileptique, 
nous  avons  appelé  «  la  période  des  attitudes  passionnelles  »  (troisième  phase 
de  l'attaque  régulière).  Et  même,  la  ressemblance  sur  les  points  essentiels  est, 
entre  les  deux  cas,  tellement  étroite  que  nous  sommes  portés  à  les  considérer 
comme  étant  foncièrement  identiques  ;  nous  croyons  en  d'autres  termes  que 
le  prétendu  somnambulisme  spontané  des  hystériques  n'est  autre  chose  que 
«  la  période  des  attitudes  passionnelles  »  prolongée  au  delà  de  la  durée  que 
celle-ci  présente  dans  les  conditions  ordinaires;  mêmes  hallucinations,  en 
somme,  tantôt  tristes  ou  terrifiantes,  tantôt  gaies  au  contraire  ;  mêmes  attitudes 
et  mêmes  actes  en  rapport  avec  la  nature  des  représentations  mentales,  et,  ce 
qui  est  fort  remarquable  également,  c'est  que,  dans  la  série  classique  des 
phases  de  l'attaque,  le  somnambulisme  hystérique,  quand  il  ne  se  montre  pas 
à  l'état  d'isolement,  occupe  la  même  place  que  la  phase  passionnelle  à  la- 
quelle il  se  substitue.  C'en  est  assez  sur  ce  point  pour  le  moment;  c'est  un 
sujet  qui  demanderait  à  être  étudié  à  part. 

Ce  serait  ici  le  lieu  de  vous  dire  un  mot  de  cette  forme  de  somnambulisme 
spontané  à  accès  considérablement  prolongés,  dans  laquelle,  à  propos  d'une 
observation  devenue  célèbre,  M.  Azam  est  parvenu  à  d(*montrer  l'existence 


—  327  — 

aujourd'hui  reconnue  de  tous,  de  ce  qu'il  a  appelé   la  double  personnalitp  ; 
mais  le  temps  nous  presse  actuellement,  et  je  dois  conclure. 

Je  ne  ferai  donc  que  signaler  en  passant  comme  devant  figurer  sur  l'ar- 
rière-plan  dansle  tableau  clinique  que  j'ai  voulu  placer  sous  vos  yeux  toute 
une  collection  de  cas  divers  que  M.  le  D-"  Tissié  a  ingénieusement  réunis,  pour 
en  montrer  les  analogies  et  en  signaler  les  diiïe'roncos^  dans  sa  thèse  inaugu- 
rale intitulée  :  Les  Aliénés  voyageurs  (1).  Dans  un  premier  groupe  de  cas,  les 
sujets  ne  sont  pas  inconscients  ;  ils  ne  le  sont  pas  du  moins  pendant  toute  la 
durée  de  leur  entreprise  vagabonde  :  ils  savent,  ou  à  peu  près,  ce  qu'ils  font 
et  les  responsabilités  qu'ils  encourent,  mais  pour  eux,  il  n'y  a  pas  d'hésita- 
tions, pas  d'obstacles  :  ils  marchent  comme  dominés  par  un  désir  impérieux, 
une  volonté  toute  puissante  qui  se  substitue  à  la  leur  et  la  maîtrise.  M.  Tissié 
les  appelle  assez  justement  des  captivés.  «X...,  avant  de  s'échapper,  songe  à 
une  ville  dont  le  nom  a  frappé  ses  oreilks  ;  il  se  figure  y  rencontrer  des  mo- 
numents superbes.  Le  désir  de  la  visiter  s'empare  de  son  esprit  et,  un  beau 
jour,il  part  abandonnant  tout...  mais,  cruelle  déception,  la  réalité  ne  répond 
pas  à  la  splendeur  du  rêve.  »  Gela  ne  rempechc  pas,  quelque  temps  après, 
de  visiter  une  nouvelle  localité  :  il  repart  sans  autre  raison  que  celle  de 
satisfaire  son  besoin.  Ce  sont  là, en  somme,  dit  M.  le  D""  Duponchel,  dans  une 
intéressante  étude  sur  ce  qu'il  appelle  le  déterminisme  ambulatoire  (2),  des 
suggestionnés  ;  la  suggestion  pouvant  venir  soit  de  l'intérieur,  soit  encore  de 
leur  propre  fonds, ou  du  moins  paraître  telle,  car  il  est  impossible  souvent  de 
saisir  l'événement  qui  l'a  provoquée. 

A  une  autre  catégorie  appartiennent  les  délirants  qui, convaincus  qu'ils  sont 
des  réformateurs  de  l'humanité,"  des  prophètes,  parcourent  le  monde  pour  ré- 
pandre leurs  doctrines  ;  ceux  qui  avertis  par  une  voix  qui  leur  crie  ^<  tu  es 
roi  »  vont  à  la  recherche  de  leur  royaume,  etc.  Mais  je  m'arrête  dans  cette 
énumération,  ne  pouvant  avoir  la  prétention  de  tout  indiquer  même  sommai- 
rement. 

Je  crois,  d'ailleurs,  en  avoir  dit  assez  pour  légitimer  les  développements 
dans  lesquels  je  suis  entré  à  propos  du  cas  de  Men..s,  et  pour  justifier  la 
dénomination  à' automatisme  comitial  ambulatoire,  que  je  vous  ai  proposé 
d'adopter  pour  le  caractériser. 


1.  Paris.  Doin  1887. 

2.  Etude  clinique  et  médico-légale.  Des  impiilsiois  morbides  à  la  déambulationobservées  chez 
des  militaires^  par  le  D«"  Emile  IDuporchcl,  professeur  agrégé  au  Vai-de-gràce.  Paris,  1688. 


1 1).  as  la  r>oe.  da  Typ.    ■    .Noiibt       8,  r.  r»inpii^i<«-Hreœiir<i.  l'ar» 

44 


Policlinique  du  Mardi  19  Février  1889 


QUINZIÈME  LEÇON 

1''"  Cas.  —  Ca'ises  gastriques  tabétiques  avec  vomissements 
noirs. 

2^  Cas.  —  Chez  un  israélite:  paralysie  et  contracture  hysté- 
riques développées  à  la  suite  d'un  repos  (sommeil)  de 
plusieurs  heures  sur  la  terre  humide. 


1^^'  Malade 


Voici  un  homme  dans  la  force  de  Tâge  —  il  est  âgé  d'environ  37  ans,  —  qui,  ù 
la  suite  de  prodromes  dyspeptiques  vulgaires,  sans  caractères  bien  déterminés, 
a  commencé  à  ressentir  tout  à  coup,  il  y  a  cin([  ans  de  cela,  des  accidents  gas- 
triques en  apparence  des  plus  graves  :  douleurs  cardialgicjues  très  vives  ; 
vomissements  incessants  présentant  souvent  une  couleur  noire,  marc  de  calé  ; 
inappétence  absolue,  grande  prostration  des  forces, etc.  Ces  accidents  ont  con- 
tinué tels  quels  pendant  une  dizaine  de  jours,  après  quoi  ils  se  sont  remar- 
quablement atténués.  Mais  ensuite,  persistant  toujours  à  un  certain  degré,  ils 
se  sont  établis  pour  ainsi  dire  en  permanence  pendant  une  longue  période  de 
cinq  années,  s'exaspérant  seulement  de  temps  à  autre,  sous  forme  de  crises 
violentes,  semblables  à  la  première,  tant  par  l'intensité  que  par  la  durée;  ces 
crises  se  reproduisaient,  d'une  façon  assez  régulière  tous  les  nu)is  d'abord,  puis 
plus  tard  tous  les  trois  ou  quatre  mois.  Durant  les  trois  premières  années,  les 
médecins  consultés  se  sont  invariablement,  paraît-il,  crus  en  présence  tan- 
tôt du  cancer  gastrique,  tantôt  de  l'ulcère  rond.  Ce  diagnostic  était  erroné 
cependant  :  la  véritable  nature  du  mal  s'est  révélée,  vers  la  lin  de  ia  troi- 
sième année,  au  moment  où  sont  apparus  des  symptômes  spinaux  formels 
tels,  entre  autres,  que  l'incoordination  motrice  des  membres  inférieurs,  et  le 

45 


—  332  — 

signe  de  Romberg,  no  laissant  planer  aucun  doute  sur  l'existence  de  l'ataxie 
locomotrice  progressive. 

C'est  alors  seulement,  et  fort  tardivement,  vous  le  voyez,  qu'on  a  reconnu 
qu'il  ne  s'était  pas  agi  là  d'une  maladie  j^rimitive  de  l'estomac,  mais  bien  de 
troubles  gastriques  subordonnés  à  l'affection  spinale. 

L'erreur  commise  et  entretenue  pendant  si  longtemps  pouvait-elle  être 
évitée?  Je  le  crois,  Messieurs;  je  crois  qu'à  de  certains  indices  que  j'aurai  à 
cœur  de  relever  tout  à  l'heure  et  de  bien  mettre  en  lumière,  on  eût  pu,  si  je  ne 
me  trompe,  même  dès  l'origine,  soupçonner  pour  le  moins,  affirmer  peut-être, 
la  présence  de  la  maladie  tabétique  et  se  trouver  conduit  à  y  rattacher  les 
troubles  gastriques.  Mais  pour  en  arriver  là,  il  eût  fallu,  de  toute  nécessité, 
avoir  présente  à  l'esprit  l'histoire  naturelle  de  ce  que  nous  avons  appelé  «  les 
crises  gastriques  »  tabétiques  et  avoir  appris  à  les  considérer  non  seulement 
dans  leur  type  vulgaire,  classique,  mais  encore  dans  les  formes  très  variées, 
souvent  paradoxales  en  apparence  et  presque  m.éconnaissables,  qui  en  déri- 
vent. Il  eût  fallu  savoir  également  comment,  par  leur  association  avec  un  ou 
plusieurs  des  autres  syndromes  de  la  série  tabétique,  ces  troubles  gastriques 
si  particuliers  peuvent  permettre  d'établir  le  diagnostic  pendant  la  période 
souvent  fort  longue,  qui,  dans  la  règle,  précèdeTincoordinationou,  autrement 
dit^  l'ataxie  motrice  :  dix,  douze,  quinze  ans  même  peut-être  avant  que  celle-ci 
se  soit  constituée,  à  supposer  qu'elle  se  constitue  jamais. 

Je  viens  de  signaler,  Messieurs,  des  questions  qui  me  paraissent  dignes  de 
tout  votre  intérêt  ;  je  me  propose  de  m'y  arrêter  un  instant,  en  manière  de 
préambule;  après  cela,  nous  pourrons  entreprendre  avec  plus  de  profit  l'étude 
clinique  du  cas  de  notre  malade. 


L'existence  possible  dans  le  tabesde  troubles  gastriques  particuliers  se  trouve 
mentionnée  dans  un  assez  grand  nombre  d'observations  recueillies,  il  y  a 
fort  longtemps  déjà,  par  divers  auteurs  et  en  particulier  dans  le  cas  n°  176  de  l'ou- 
vrage de  M.  Top  inard  ;  mais  le  mérite  d'avoir  affirmé  qu'il  y  a  une  véritable  con- 
nexité  entre  ces troublesviscérauxetlalésionspinale,  appartient  àM.  Delamarre, 
auteur  d'une  thèse  qui  date  de  18G6  et  qui,  si  je  ne  me  trompe,  a  été  inspirée 
par  le  regretté  Raynaud  (1).  Cepcndantla  description  caractéristique,  répon- 


\.  Des  /roubles  ()aslri(/ues  dans  tataxie  locomotrice  progressive.  Paris  1866.  —  L'une  des 
observations  piihlitîcs  par  l'auleur  a  iHc  rccncillic,  en  1805,  à  l"llùlel-I)ieii,  dans  le  service 
de  M.  Bartli,  suppl«''é  par  M.  ilaynaud. 


darit  en  d'autres  termes  au  type  prédominant,  etpermettantdeséparerclinique- 
ment  les  troubles  gastriques  réellement  subor-donné'S  au  tabès,  de  ceux  qui 
ne  s'y  trouvent  adjoints  que  par  le  fait  d'une  coïncidence  plus  ou  moins  for- 
tuite, cette  description,,  dis-je^  ne  se  trouve  pas  dans  le  travail  de  M.  le 
D*"  Delamarre,  non  plus  que  dans  ceux,  sur  le  même  sujet,  qui  ont  été  publiés 
dans  le  cours  des  cinq  ou  six  années  suivantes.  Elle  a  été  formulée,  je  le  crois 
du  moins,  pour  lapremière  fois,  dans  lesleçonsque  j'ai  faites  à  la  Salpétrière, 
en  1872,  et  qui  ont  été  publiées  cette  année-là  dans  le  journal  le  Mouvement 
médical  (1).  Je  crois  utile  de  la  rappeler  telle,  ou  à  peu  près  telle  qu'elle  a 
été  présentée  alors,  en  y  ajoutant  toutefois  quelques  traits  intéressants  qui 
n'avaient  pas  été  remarqués  encore  dans  ce  temps-là. 

1°  En  premier  lieu^  il  convient  de  relever  particulièrement  que  les  €  crises 
gastriques  »  bien  que  leur  apparition  puisse  être  tardive  dans  l'évolution  du 
tabès,  appartiennent  fort  souvent,  le  plus  souvent  peut-être,  à  la  période  de 
la  maladie  où  l'ataxie  motrice  n'a  pas  encore  paru  et  que  j'appelais,  à  l'époque, 
la  «  période  des  douleurs  fulgurantes  ».  On  a  proposé  tout  récemment  pour 
désigner  cette  phase  de  la  maladie  dont  j'ai  indiqué  le  premier  les  grands  carac- 
tères, et  qui  quelquefois,  comme  vous  savez,  se  perpétue  indéfiniment  sans 
jamais  aboutir  aux  troubles  locomoteurs,  la  dénomination  beaucoup  plus  appro- 
priée àa  période  préataxique  à  laquelle  je  souscris  bien  volontiers  (2). 

Là,  dans  ma  description,  les  crises  gastriques  figurent  au  premier  rang  àcôté 
d'autres  troubles  viscéraux  du  même  ordre  tels  que  les  crises  vésicales  et  les  crises 
rectales.  Elles  se  rencontrent  souvent  presque  isolées,  seuls  représentants,  en 
quelque  sorte,  pendant  fort  longtemps,  de  la  maladie  tabétique.  «Maintes  fois, 
disais-je  en  1872,  j'ai  vu  ce  syndrome  détourner  l'attention  du  médecin  et 
lui  faire  méconnaître  lavéritable  nature  du  mal  ;  je  m'y  suis  laissé  prendre  aussi 
plusieurs  fois  dans  le  temps.  Un  notaire  de  province  vint  me  consulter,  il  y  a  dix 
ans,  pour  des  accès  cardialgiques,  présentant  les  caractères  que  je  vais  indi- 
quer ;  ilsoulFrait  en  même  temps  de  douleurs  paroxystiques,  peu  accentuées 
d'ailleurs.  Je  ne  connaissais  pas  alors  le  lien  qui  rattache  ces  divers  accidents. 
Les  crises  gastriques  ont  disparu  ;  mais  le  malade  a  présenté  par  la  suite 
tous  les  symptômes  de  l'ataxie  locomotrice  la  mieux  caractérisée.  La  première 
fois  qu'il  m'a  été  donné  de  reconnaître  la  véritable  signification  des  crises 
gastriques,  il  s'agissait  d'un  jeune  médecin  qui,  en  outre  de  ces  crises,  pré- 
sentait des  douleurs  fulgurantes  et  une  hydartlirose  de  l'un  des  genoux,  déve- 
loppée spontanément  (arthropathie  des  ataxiques);  l'incoordination  motrice 
ne  s'est  manifestée  chez  lui  que  quelques  mois  plus  tard.  Tout  cet  ensemble  de 


\.  y o'xY  \qs  Leçons  sur  les  anomalies  du  Vataxie  locomotrice,  publii'cs  dans  le  Mouvement 
médical  de  4872  (21,  28  sept.,  et  19,  26  octobre  ;  1  et  30  iiov.  ;  14  déc.  et  8  janv.  1S73).  Voir 
aussi  les  Leçons  sur  les  maladies  du  système  nerveux  faites  à  la  Salpétrière,  t.  II,  1"    partie. 

2.  A.  Fournier,  Leçons  sur  la  période  préataxique  du  Tabès,  1885. 


—  334  — 

symptômes  —  crises  gastriques,  douleurs  fulgurantes,  arthropathies  qui,  en 
apparence,  n'ont  aucune  connexité  —  revêtuncachetpresque  spécifique  aussi- 
tôt que  Ton  considère  les  choses  sousleur  véritable  jour.  J'ai  encore  vu  les  crises 
gastriques  coexister  avec  les  douleurs  fulgurantes,  pendant  plus  de  cinq  ans ,  sans 
accompagnement  de  désordres  moteurs  chez  M.  T. ..  Le  diagnostic  était  rendu 
facile  dans  ce  cas,  par  l'existence  d'une  atrophie  commençante  d'un  des  nerfs 
optiques.  L'opinion  que  j'émis,  presque  dès  l'origine,  sur  la  nature  du  cas,  fut 
néanmoins  vivement  contestée  par  plusieurs  médecins  qui  visitèrent  le  malade. 
Plus  tard  mes  prévisions  ne  se  sont  que  trop  justifiées  ».  Ce  que  je  disais  à  cet 
égard  en  1872,  est,  aujourd'hui  encore,  parfaitement  exact.  Je  ne  vois  vraiment 
rien  d'essentiel  à  y  ajouter  (i). 

2°  Les  crises  ou  attaques  typiques,  —  nous  ne  nous  occupons  que  de  celles- 
làpour  le  moment,  —  sont  essentiellement  constituées  ainsi  qu'il  suit  :  a  dou- 
leurs cardialgiques  violentes  souvent  atroces,  s'irradiant  parfois  dans  le  dos 
et  dans  l'abdomen;  h  vomissements  iacoercibles,  dans  l'acception  rigoureuse 
du  mot,  car  rien  ne  les  peut  calmer  ;  les  matières  vomies  sont  des  aliments 
d'abord,  puis  unliquide,  glaireux  muqueux,  quelquefois  bilieux,  sanguinolent. 
Les  vomissements  noirs,  couleur  de  marc  de  café  sont  véritablement,  paraît-il 
chose  fort  rare.  Après  le  cas  de  notre  malade  d'aujourd'hui,  je  n'en  ai  rencon- 
tré qu'un  du  même  genre  :  il  appartient  à  Vulpian  ;  j'aurai  l'occasion  de  le 
signaler  en  temps  opportun. 

Dans  ces  derniers  temps,  le  liquide  rendu  par  vomissement  dans  les  crises 
gastriques  a  été  examiné  chimiquement,  et  l'on  a  reconnu  plusieurs  fois  qu'il 
contenait  un  excès  d'acide  chlorhydriquelil3re,  sans  traces,  soit  d'acide  butyri- 
que,soit  d'acide  lactique.  Cette  circonstance  d'une  hypersécrétion  d'acide  chlo- 
rhydrique,  en  pareil  cas,  explique  suftisamment  pourquoi  les  malades  soufTrant 
de  crises  gastriques  se  plaignent  parfois  très  vivement  d'une  sensation  de  brû- 
lure, siégeant  soit  à  la  région  de  l'estomac,  soit  le  long  de  l'œsophage  (2). 

3°  Les  troubles  gastriques  apparaissent  tout  à  coup,  le  plus  souvent  sans 
signes  prémonitoires,  et  ils  se  terminent  également  tout  à  coup.  Ainsi,  nuit  et 
jour,  pendant  une  période  de  temps  qui  peut  s'étendre  à  trois,  cinq,  huit,  ou 
quinze  jours,  rarement  plus,  les  douleurs  et  les  vomissements  sévissent  sans 
cesse, et  sans  trêve  ;  la  moindre  tentative  d'alimentation,  l'ingestion  d'un 
liquide  quelconque,  exaspèrent  les  vomissements  et  les  douleurs,  et  voici 
qu'un  beau  jour,  sans  que  rien  l'ait  pu  faire  prévoir,  tous  les  accidents 
disparaissent  soudain  «  comme  par  enchantement  ».  Poutre  l'état  souvent 
effrayant  de  tout  à  l'heure  et  le  retour  à  l'état  normal  il  n'y  a,  en  quelque 


\.  Leçons  sur  les  maladies  du   sydème  nerveux,  t.  II,  2*  édit.,  p.  3';. 

2.  Voir  sur  ce  sujet,  après  Sahli  18S5,  Simouin,  llièsc  de  Lyon,  inspirée  par  le  professeur 
Lépi:ie,  18S3,  —  J.  Jloir.nain  sur  Sipnptomatologie d"r  Tabès,  im  Archiv  fur  Psychiatrie  XIX 
Bd,  2«  liefl.  —  Lamiois,  Revue  de  médecine,    1887,  n'  5,  p.  433. 


—  335  — 

sorte,  pas  do  transition;  délivré  de  son  mal  le  sujet  qui,  il  n'y  a  quun 
instant,  ne  pouvait  sui)[)ortor  aucun  aliment,  aucun  médicament,  peut  immé- 
diatement sentir  le  licsoin  de  manger,  et  mani(er  souvent  rnéme  avec  un 
appétit  exagéré,  sans  crainte  de  voii-  l'estomac  se  révolter.  Le  contraste  est 
des  plus  frappants,  et  voilà  incontestablenumt  une  forme  de  cardialgie  bien 
singulière, Ijien  remar([Uijl>l<' dans  ses  allures.  A  cet  égard,  lescrises  gastriques 
tabéti({ues  peuvent  être  légitimement  rapprochées  des  crises  diarrhéiques 
de  la  maladie  de  Basedow  où  le  début  biiis([ue  et  la  brusque  cessation  des 
accidents  constituent  également  un  caractère  clinique  prédominant. 

C'est  ici  le  lieu  de  relever  que,  pendant  la  durée  de  la  crise  gastrique,  en 
outre  de  la  prostration  déterminée  par  l'intensité  des  douleurs,  la  répétition 
incessante  des  vomissements,  et  la  suppression  totale  de  ralimentation,  on 
peut  voir  se  produire  diverses  modifications  deFétat  général  dont  il  faut  bien 
être  informé;  tantôt  c'est  une  sorte  d'indolence,  d'indifïérence,  voire  même 
de  stupeur  qui  fait  que  le  malade,  presque  inconscient  d'ailleurs,  ne  répond 
pas  aux  questions  qu'on  lui  adresse:  tantôt  il  est  froid,  algide,  présentant 
une  teinte  violacée,  de  façon  à  reproduire  l'image  d'un  cholérique.  Ce  sont  là 
des  circonstances  intéressantes  principalement  pour  le  diagnostic  et  sur 
lesquelles  nous  aurons  à  revenir. 

4°  Un  autre  caractère  à  noter,  c'est  que  la  crise  gastrique  ne  constitue 
jamais  un  épisode  unique;  l'apparition  première  d'une  de  ces  crises 
doit  toujours  faire  prévoir  celle  de  crises  semblables  qui  se  reproduiront 
ensuite,  à  des  intervalles  de  durée  variable,  mais  souvent  à  peu  près  la  même 
pour  chaque  cas  particulier,  pendant  une  période  de  temps  qui  peut  s'étendre 
à  trois,  quatre,  cinq,  six  années  et  même  plus.  Cette  régularité  du  retour 
périodique  des  crises  gastriques  que  je  signalais  tout  à  l'heure  n'est  pas,  bien 
entendu,  chose  mathématique  ;  elle  n'est  pas  non  plus  un  fait  absolument 
général.  Il  est  bien  remarquable  cependant  de  voir,  dans  nombre  de  cas,  les 
crises  gastriques  séparées  à  peu  près  régulièrement  par  des  intervalles  libres 
d'un,  deux  ou  trois  mois  et  quelquefois  plus.  Rarement  les  crises  sont 
beaucoup  plus  rapprochées,  mais  c'est  un  point  dont  il  y  aura  lieu  de 
s'occuper  dans  le  chapitre  des  anomalies. 

5°  Lorsqu'elles  se  montrent  dans  le  cours  de  la  période  préataxique,  les 
crises  gastriques  du  tabès  se  trouvent  nécessairement  associées  aux  autres 
syndromes  de  la  série  tabétique  qui  remplissent  cette  période,  et  cette  cir- 
constance contribue,  avec  les  caractères  cliniques  si  originaux ([ue  présentent 
ces  crises  considérées  en  elles-mêmes  lorsqu'elle  se  montrent  dans  leur  type 
de  parfait  développement,  à  les  faire  reconnaître  pour  ce  qu'elles  sont. 
C'est  ainsi  que  les  crises  de  douleurs  fulgurantes,  les  crises  vésicales,  tantôt 
coexistent  et  tantôt  alternent  avec  elles.  Mais  il  est  particulièrement  remar- 
quable devoir  les  crises  gastriques  s'associer  avec  une  sorte  de  prédilection 
a  des  syndromes  tabétiques  ([ui  ne  comptent  pas  parmi    les  plus  vulgaires; 


—  336  — 

tels  sont  par  exemple  les  arthropathies  ainsi  que  l'a  relevé  M.  Buzzard  (i),  et 
principalement  les  crises  laryngées.  Cette  dernière  association  n'a  rien 
qui  doive  surprendre  lorsqu'on  sait  que,  d'après  les  observations  de 
MM.  Pierret,  Jean,  Démange  et  Oppenheim,  les  troubles  laryngés  tabétiques 
aussi  bien  que  les  troubles  gastriques,  relèvent  d'une  lésion  plusieurs  fois 
constatée  des  noyaux  bulbaires  du  spinal  et  du  pneumogastrique  (2);  l'as- 
sociation fréquente  des  arthropathies  et  des  crises  gastriques  est  certainement 
beaucoup  moins  facile  à  comprendre,  A  ce  propos,  puisqu'il  vient  d'être 
question  d'anatomie  pathologique  je  rappellerai  que,  depuis  fort  longtemps, 
déjà,  nous  avons  reconnu,  Vulpian  et  moi,  chez  des  tabétiques  qui  avaient  souf- 
fert pendant  longtemps  de  crises  gastriques,  l'absence  de  toute  altération 
appréciable  soit  de  la  membrane  muqueuse  de  l'estomac,  soit  des  nerfs  ou 
des  ganglions  du  plexus  solaire  (3). 

6°  On  peut  guérir  des  crises  gastriques;  je  pourrais  citer  plusieurs  cas  dans 
lesquels,  après  avoir  souffert  de  ces  crises  pendant  plusieurs  années,  le 
malade  en  a  été  enfin  délivré,  les  autres  symptômes  tabétiques  continuant,  à 
la  vérité,  leur  évolution  progressive  ;  et  justement,  le  sujet  que  nous  avons 
devant  les  yeux  offre  un  exemple  de  ce  genre.  Mais  on  peut  aussi  en  mourir, 
et  alors  la  terminaison  fatale  a  lieu  pendant  la  crise,  tantôt  au  milieu  de 
symptômes  de  collapsus,  avec  traits  tirés,  algidité,  crampes,  ainsi  que  l'a 
signalé  Yulpian  ;  tantôt  à  la  suite  de  symptômes  comateux  ainsi  que  je  l'ai  vu 
plusieurs  fois. 

Tel  est.  Messieurs,  suivant  moi,  ce  qu'on  pourrait  appeler  le  paradigme  des 
crises  gastriques  tabétiques.  Il  ne  sera  pas  sans  intérêt  maintenant,  je  pense, 
de  relever  les  principaux  traits  d'une  observation  relativement  ancienne  où 
l'on  voit  l'auteur  mettre  en  relief  avec  une  admirable  sagacité  les  grands 
caractères  cliniques  de  ces  crises. 

C'était  en  1842,  c'est-à-dire  à  une  époque  où  l'on  ne  connaissait  rien  de 
l'ataxie  locomotrice  progressive  ;  —  il  est  vrai  que  l'observateur  était  un  maître, 
un  grand  maître:  il  s'appelait  Graves.  — 11  s'agissait, dans  ce  cas  dont  j'emprunte 
les  détails  aux  intéressantes  leçons  de  M.  Buzzard  (i),  d'un  gentleman  âgé  de 
23  ans, — nous  avons  là  un  exemple  de  tabès  précoce, —  qui,  pendant  le  cours  des 
années  1829,  1830,  1831  et  1832  a  été  sujet  à  des  crises  douloureuses  accom- 
pagnées de  vomissements  dont  la  durée  était  de  cinq  ou  six  jours  environ,  et 
qui  répondaient  pour  les  points  essentiels  à  la  description  qui  vient  d'être 
donnée.  Les  symptômes  spinaux  ne  parurent  qu'en  1832,  c'est-à-dire  quatre 

1.  T.  Buzzard,   Clinical  Lectures   on    the  Diseuses  of  the  nervous  System.    London    1882, 
p.  165,  235,  etc. 

2.  Dcmnnye,  Revue  de  médecine,  n"  3.  Paris  1882.  —    Oppenheim,  Archiv    fiir  Psychiatrie, 
XX,  heft  I. 

3.  Paul  Dul3ois,  thCïse  de  Paris.  1868,  p.  70-71. 

4.  Loc.  cit,,  p.  195. 


—  337  — 

ans  après  le  début  des  accidents  gastriques,  sous  la  forme  d'incoordination 
motrice  et  c'est  alors  seulement  que  les  douleurs  de  caractère  fulgurant 
furent  pour  la  première  fois  remarque'es.  Il  est  expressément  relevé  dans 
l'observation  que,  après  avoir  vomi  nuit  et  jour,  pendant  une  période  de  cinq 
ou  six  jours,  le  mabide  s'écriait  tout  à  coup,  à  la  fin  de  la  crise  qui  se  termi- 
nait comme  par  enchantement:  «  Maintenant  cela  va  bien  :  Nom  I am  tcell.  » 
«  Le  passage  d'un  état  mortel  de  nausées  et  de  vomissements  incessants,  à  un 
sentiment  de  faim  impérieuse  était  soudain...  Tout  à  l'iieure  c'était  un  pauvre 
diable  rejetant  tout  ce  qu'il  prenait,  et  souffrant  horriblement  des  constrictions 
gastriques  des  plus  douloureuses  ;  une  heure  après  on  le  trouve  mangeant 
n'importe  quoi,  avec  un  appétit  vorace,  et  digérant  tout,  avec  la  plus  grande 
facilité  (1).  » 

J'ai  voulu,  par  cette  citation,  vous  faire  reconnaître  la  puissance  de  résis- 
tance qu'offrent,  à  l'égard  des  injures  du  temps,  les  observations  recueillies 
par  un  maître  attentif  et  sagace,  et  du  même  coup  graver  plus  profondément 
dans  votre  esprit  les  traits  qui  caractérisent  cliniquemciit  les  crises  gastriques 
tabétiques,  lorsqu'elles  se  présentent  sous  leur  forme  typique. 

Il  semble  que  lorsqu'on  est  en  présence  de  cette  forme  clinique  si  accen- 
tuée, si  originale,  on  ne  puisse  en  aucun  cas,  se  méprendre  et  qu'on  soit 
autorisé,  sans  plus  attendre,  à  conclure  à  l'existence  de  la  maladie  tabétique. 
Cependant,  il  y  a  six  ou  sept  ans,  M.  le  professeur  Leyden,  de  Berlin  (2),  a 
proposé  d'introduire  dans  les  cadres  nosologiques,  des  crises  gastriques  pos- 
sédant cliniquement  tous  les  grands  caractères  signalés  plus  haut,  mais  ne  se 
rattachant  cependant  pas  au  tabès,  et  devant  constituer  par  conséquent,  une 
espèce  autonome.  J'ai  pris  beaucoup  de  soin  à  étudier  les  faits  allégués  par 
M.  Leyden  en  faveur  de  l'opinion  qu'il  soutient,  et  j'y  ai  vu  signalées  «  des  dou- 
leurs rapides  dans  les  membres  »,  accompagnant  ou  suivant  les  troubles  gastri- 
ques; d'autres  fois,  les  malades  ont  présenté  du  strabisme;  d'autres  fois  enfin, la 
maladie  au  bout  de  trois  ans  a  abouti  à  une  «  paralysie  (?)  des  membres  infé- 
rieurs »y  etc.,  etc., de  telle  sorte  que^  malgré  la  confiance  absolue  que  j'ai  dans 
la  sévérité  clinique  de  M.  Leyden,  mon  impression  est,  après  la  lecture  de  son 
travail,  que  l'existence  de  crises  gastriques  en  tout  semblables  cliniquement 
à  celles  du  tabès,  mais  totalement  indépendantes,  cependant,  du  tabès,  n'est 
pas  encore  chose  démontrée. 

Tout  récemment,  mon  ami,  M.  le  D'"  Debove,  dans  une  communication  faite  à 
la  Société  médicale  des  hôpitaux  (le  23  janvier  1889)  est  revenu  sur  ce  sujet 
à  propos  du  cas  d'un  forgeron  âgé  de  56  ans,  qui  depuis  six  ans  souffrait  de 
crises  gastriques  typiques  d'une  intensité  extrême,  durant  cinq  ou  six  jours  et 

4.  Loc .  cit.,  idem. 

2.  Uebei'  penodisches  Erbrechen  ;  Gastrischcrisen.  —  Zcitsch  fur  klin.  Medicin.  Berlin  1S82. 


—  338  — 

reparaissant  tous  les  trois  ou  quatre  mois.  La  quantité  des  matières  vomies 
dans  chaque  crise  est  considérable.  Etat  général  grave  :  cyanose,  crampes 
dans  les  mollets,  algidité,  pouls  concentré  ;  le  malade  ressemble  à  un  cholé- 
rique. Plusieurs  fois  on  l'a  cru  sur  le  point  de  mourir.  Amaigrissement 
rapide.  Les  crises  cessent  tout  à  coup  «  comme  par  enchantement  »  et  elles  sont 
séparées  par  des  intervalles  parfaitement  libres  de  tout  accident  nerveux  ;  pas  de 
douleurs  fulgurantes.  Les  réflexes  rotuliens  ont  persisté  :  en  un  mot,  aucun  symp- 
tôme de  la  série  tabétique  n'accompagne  les  crises.  M.  Debove  conclut,  d'après 
ce  cas,  comme  M.  Leyden,  à  l'existence  de  crises  gastriques  indépendantes  du 
tabès.  Je  ne  puis  méconnaître  le  grand  intérêt  qui  s'attache  à  cette  observation: 
néanmoins,  en  supposant  même  que  quelques-uns  des  signes  tabétiques  qui 
se  dissimulent  le  plus  facilement,  tels  par  exemple  que  le  phénomène  d"Ar- 
gyll  Robertson,  n'aient  pas  échappé  à  l'observation,  je  demanderai  à  rester 
sceptique  et  à  attendre  de  nouvelles  observations.  Les  cas  de  crises  gastri- 
ques, et  l'on  peut  en  dire  autant  des  crises  laryngées,  marchant  pour  ainsi 
dire  à  l'avant-garde,  dans  l'évolution  du  tabès,  et  précédant,  presque  isolées, 
pendant  une  période  de  trois,  quatre,  cinq  ans,  l'apparition  de  î'ataxie,  ne 
sont  pas  chose  rare.  Une  période  de  six  ans  ne  dépasse  donc  pas  la  mesure 
du  possible  ;  qui  nous  dit  que  d'un  jour  à  l'autre,  la  nature  des  crises  gas- 
triques déjà  vraisemblablement  accentuée  dans  le  sens  de  I'ataxie  locomotrice, 
chez  le  malade  de  M.  Debove,  ne  se  révélera  pas  définitivement,  dans  tout  son 
jour,  par  l'adjonction  de  quelque  symptôme  tabétique  ostensible  et  d'une 
portée  décisive. 

Messieurs,  ainsi  que  je  vous  l'ai  fait  remarquer  bien  des  fois,  il  faut  s'at- 
tendre en  clinique  à  voir  les  descriptions  toujours  un  peu  artificielles  du 
nosographe  s'altérer  parfois,  dans  la  réalité  concrète,  au  point  même,  peut- 
être,  de  devenir  méconnaissables  et,  justement,  un  des  labeurs  du  clini- 
cien est  d'apprendre  à  dépister  ces  formes  frustes,  défigurées  et  à  les 
ramener  aux  types  d'où  elles  dérivent.  Les  crises  gastriques  tabétiques  n'échap- 
pent pas,  tant  s'en  faut,  à  cette  règle  et,  en  ce  qui  les  concerae,  après  avoir 
cherché  tout  à  l'heure  à  dégager  les  caractères  typiques,  il  nous  faut  ouvrir 
maintenant  le  chapitre,  fort  riche  encore,  vous  allez  le  reconnaître;,  des  for- 
mes anomales.  Il  me  semble  que,  dans  ces  derniers temps^  la  théorie  des  acci- 
dents gastriques  tabétiques  a  été  un  peu  embrouillée  par  lainulti[)lication  inu- 
tile des  espèces  et  le  morcellement  porté  à  l'excès  ;  je  crois  qu'il  est  possible 
de  la  ramener,  ainsi  qu'il  va  suivre,  à  une  formule  très  simple. 

1°  Dans  un  premier  groupe  de  cas  la  crise  gastri(iue  conserve  tous  les 
caractères  fondamentaux  du  type  ;  elle  s'écarte  de  celui-ci  seulement  par  l'in- 


1.  Je  ne  suis  pas  coiivci'Li  encore  à  la  docli'idc  des  crises  qaslriqiiea  essentielles,  bien  que 
j'aie  lu  avec  soin  les  observations  rapportées  par  M,  le  D«"  Reniond  de  Metz,  dans  les  Archives 
de  Médecine  (juillet  1889,  p.  38). 


—  330  — 

tensité  insolite  des  divers  symptômes  :  ainsi  les  douleurs  gastriques  ou  d'autre 
siège  peuvent  se  montrer  véritablement  atroces;  c'est  alors  qu'on  voit  le 
mal;ide  pousser  des  cris  aOreux,  se  rouler  dans  son  lit  et  prendre  les  altitudes 
les  plus  bizarres  de  façon  à  ce  que  l'accès  simule,  non  plus  les  accidents  de 
l'ulcère  rond  ou  la  simple  gastralgie,  mais  bien  les  coliques  hépatiques  ou 
néphrétriquesles  plus  intenses,  voire  encore  un  empoisonnement.  D'autres  fois 
l'anomalie  consiste  dans  la  prédominance  de  ces  symptômes  de  collapsusdont 
il  a  été  question  plus  haut.  Le  sujet  est  algide,  cyanose,  ses  traits  sont  tirés, 
il  est  dans  un  état  de  prostration  profonde  et  incapable  de  rendre  compte  de 
sa  situation.  Chez  un  malade  de  ce  genre,  auquel  j'ai  pendant  longtemps  donné 
des  soins,  et  dont  les  occupations  Tobligeaient  à  voyager  sans  cesse,  les  crises 
gastriques,  toujours  accompagnées  de  collapsus  à  symptômes  graves,  étaient 
l'objet  d'interprétationsdiflerentes,suivantle  pays  où  elles  se  déclaraient.  Ainsi 
en  Angleterre  c'était,  croyait-on, de  la  «  goutte  remontée  à  l'estomac  »  :  Goût 
in  the  Stomach  >  qu'il  s'agissait,  tandis  qu'en  Italie  c'était  d'une  '<  fièvre  perni- 
cieuse algide  »  etc.,  etc.  Je  Tavaisengagé  à  porter  toujours  avec  lui  une  pan- 
carte où  se  trouvait  écrit  le  vrai  diagnostic,  destinée  à  être  placée  sous  les 
yeux  des  médecins  au  moment  de  l'attaque  afin  de  leur  épargner  les  tâton- 
nements. Je  ne  sais  s'il  a  suivi  mon  conseil. 

Enfin  d'autres  fois  encore,  rindifférence  et  la  stupeur  signalées  ailleurs  pren- 
dront les  proportions  de  l'état  soporeux  ou  même  du  coma,  et  l'idée  pourra 
naître,  en  conséquence,  dans  l'esprit  du  clinicien,  que  c'est  une  affection  céré- 
brale organique,  une  néoplasie  intracranienne,  par  exemple,  qui  est  en  jeu; 
cela  est  arrivé  dans  un  cas  qui  m'a  été  communiqué  par  mon  interne  M.  Dutil. 

2°  Chez  quelques  tabétiques,  les  crises  gastriques,  bien  que  conservant  tou- 
jours leur  caractère  de  périodicité,  ne  sont  plus  représentées  que  par  la  dou- 
leur, ou,  pour  le  moins,  les  vomissements  font  défaut  :  alors  les  accès  «  sont 
constitués,  dit  M.  A.  Fournier,  qui  a  bien  décrit  les  cas  de  ce  genre,  par  la 
«  succession  d'une  série  de  douleurs  véritablement  crampoî'des,c'esi-k-(\\re  par 
des  sensations  douloureuses  semblant  dues  à  un  état  de  contracture  stoma- 
cale, de  crampe  d'estomac  suivant  l'expression  habituelle.  Ces  douleurs  sont 
des  plus  pénibles,  aiguës,  atroces  même  en  quelques  cas.  Mais  elles  se  produi- 
sent à  sec  si  je  puis  ainsi  parler,  sans  déterminer,  au  moins  dans  la  plupart 
des  cas,  de  vomissements  alimentaires  ou  muqueux.  Cette  sorte  de  gastralgie 
tabétique  est  de  forme  essentiellement  intermittente.  Elle  se  manifeste  par 
accès  (1).  » 

Je  dois  à  mon  ancien  interne,  M.  le  D'"  Blocq,  la  communication  d'une  obser- 
vation qu'il  a  recueillie,  dans  le  temps,  au  Val-de- Grâce,  dans  le  service  de 
M.  le  D'"  Kelsch  et  qui  rentre  dans  cette  catégorie.  Il  s'agit  d'un   capitaine 


i.  A.  Fournier,  loc.  cit.,  p.  207.  • 

46 


—  340  — 

âgé  de  40  ans  qui,  depuis  quinze  ans  était  sujet  à  des  douleurs  fulgurantes.  Il 
présentait,  depuis  quatre  ans,  des  crises  gastriques  revenant  à  de  longs 
intervalles,  trois  ou  quatre  fois  seulement  par  année.  Celles-ci  consistaient 
dans  la  présence  de  douleurs  épigastriques  très  vives  avec  inappétence,  le 
tout  accompagné  d'un  accablement  général  très  accentué.  11  n'y  avait  pas  de 
vomissements.  La  crise  durait  environ  quinze  jours.  Elle  apparaissait  tout  à 
coup;,  sans  prodromes  et  se  terminait  brusquement  «  comme  par  enchante- 
ment », 

3°  Dans  un  troisième  groupe  l'anomalie  est,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  de 
sens  inverse,  c'est-à-dire  que  les  vomissements  et  autres  accidents  de  la 
crise  persistant,  ce  sont  les  douleurs  qui  font  défaut.  Vulpian  a  fait  allusion 
aux  cas  de  ce  genre  (1).  Un  malade  de  M.  le  professeur  Fournier  était  sujet  à 
des  crises  durant  environ  six  jours^  qui  se  caractérisaient  par  des  vomis- 
sements répétés  avec  intolérance  absolue  de  l'estomac  pour  toute  espèce  d'ali- 
ments, deboissons  ou  de  remèdes. Tout  ce  qui  étaitingéré,  sous  quelqueforme 
que  ce  fut,  était  expulsé  séance  tenante.  Une  observation  du  professeur  Pitres  pu- 
bliée dans  le  Journal  de  médecine  de  Bordeaux  appartient  à  la  même  série  (2). 
Le  sujet  est  unhomme  de  50  ans  chez  lequel  les  crises  gastriques^  représentées 
uniquement  par  des  vomissements  accompagnés  du  malaise  qu'ils  entraînent 
nécessairement  ont,  pendant  près  de  trois  ans,  constitué  l'unique  manifesta- 
tion de  la  maladie  tabétique. 

4°  Quelquefois  les  crises  se  rapprochent  au  point  qu'elles  deviennent  jour- 
nalières ;  mais  en  même  temps  leur  durée  se  raccourcit.  Ces  cas  sont,  je  crois- 
fort  rares.  Je  dois  à  M.  Blocq  l'histoire  d'un  ataxique  âgé  de  54  ans,  autrefois 
employé  au  ministère  de  la  guerre.  L'observation  a  été  recueillie  comme 
l'une  de  celles  citées  plus  haut,  à  l'hôpital  du  Val-de-Grâce,  service  de 
M.  Kelsch.  Le  début  de  la  maladie  avait  eu  lieu  il  y  a  onze  ans,  inauguré 
par  les  crises  gastriques  en  question  qui  ont  persisté,  â  l'état  d'isolement, 
pendant  sept  ans.  Ce  n'est  que  depuis  quatre  ans  que  les  douleurs  fulgurantes 
sont  venues  s'y  adjoindre.  Les  crises  débutent  brusquement,  vers  4  heures 
du  matin  à  peu  près  tous  les  jours,  par  un  sentiment  de  pesanteur  à  la  région 
épigastrique  bientôt  suivi  d'une  douleur  vive  que  le  malade  compare  à 
celle  que  produirait  la  morsure  d'un  chien  furieux.  Puis  surviennent  les 
vomissements  alimentaires  d'abord,  après  cela  bilieux  et  muqueux.  La  ces- 
sation a  lieu  brusquement  vers  9  heures  du  matin.  La  durée  est  donc,  vous  le 
voyez,  de  quatre  à  cinq  heures  seulement. 

5"  Cela  nous  conduit  à  vous  parler  de  faits  qui  ne  sont  pas  fort  rares, 
dans  lesquels  la  longueur  de  la  crise,  au  lieu  d'être  de  trois,  quatre,  cinq 
jours  comme   dans  les  conditions  du  type,  s'allonge  extraordinairement  de 

1.  Maladies  du  système  nerveux,  loc.  cit.,  p.  322. 

2.  27  janvier  1884. 


—  :ui  — 


façon  à  ce  qu'elle  dure  quinze,  vingl  jours,  un  mois  et  même  plus,  en  même 
temps  que  les  intervalles  se  raccourcissent.  Ces  faits,  par  une  transition 
ménagée,  nous  conduisent  à  ceux  où  les  accidents  vulgaires  de  la  crise  à 
savoir, les  douleurs,  les  vomissements,  l'inappétence,,  etc., etc.,  s'établissent  en 
quelque  sorte  en  permanence  de  façon  à  sévir  pour  ainsi  dire,  sans  cesse  et 
sans  trêve,  pendant  une  période  de  plusieurs  mois,  neuf  mois  dans  un  cas 
de  M.  Buzzard  (1).  Dans  les  cas  heureusement  tout  à  fait  exceptionnels  où 
pareille  chose  a  lieu,  le  caractère  de  périodicité  qui  appartient  aux  crises 
gastriques  est  encore,  malgré  la  tendance  à  la  continuité,  représenté  le 
plus  souvent  par  des  exacerbations  de  tous  les  symptômes  qui  surviennent 
de  temps  et  autre,  et  contrastent  avec  des  périodes  d'apaisement. 


II 

En  ce  qui  concerne  les  crises  gastriques,  le  cas  du  malade  [que]  nous  som- 
mes préparés  maintenant^  par  tout  ce  qui  précède,  à  étudier  avec 'profit  se 
rapproche  justement  des  faits  de  la  dernière  catégorie.  La  périodicité  des 
crises  est  bien  marquée  en  effet  chez  lui,  vous  allez  le  voir,  par  l'apparition 
brusque  et  la  cessation  également  brusque  des  principaux  accidents;  mais  les 
intervalles  libres  ne  sont  pas  parfaitement  accusés.  On  y  voit  persister,  pou»- 
ainsi  dire,  en  permanence,  pendant  un  certain  temps  du  moins,  des  troubles  des 
fonctions  de  l'estomac  qui  rendent  l'alimentation  à  peu  près  impossible  •  de 
plus,  les  crises,  chez  notre  homme,  s'éloignent  encore  du  type  par  la  présence 
fréquente  dans  les  matières  rendues  par  les  vomissements,  d'un  liquide  noir 
rappelant  la  couleur  marc  de  café  ;  mais  nous  reviendrons  Jà-dessus  tout  à 
l'heure.  En  dehors  de  ces  particularités  les  crises  gastriques,  chez  notre 
homme, rentrent  nettement  dans  la  règle  en  particulier  par  ce  fait  que,  durant 
plus  de  trois  ans,  elles  se  sont  montrées  à  peu  près  isolées,  indépendantes  en 
tout  cas  de  l'incoordination  motrice,  laquelle  ne  s'est  manifestée  qu'au  bout 
de  la  troisième  année. 

Nous  allons  maintenant  adresser  au  malade  quelques  questions  ;  ses  répon- 
ses nous  mettront^  je  pense  mieux  à  même  d'apprécier  la  réalité  objective  des 
faits  sur  lesquels  je  veux  appeler  votre  attention.  Vous  voyez  qu'il  s'agit  d'un 
homme  bien  constitué,  solide  d'apparence,  fatigué  seulement  par  la  maladie 
dont  il  souffre  depuis  bien  longtemps. 

S'adressanl  au  malade  :  C'est  bien  le  3  décembre  1883,  que  votre  maladie 
d'estomac  a  commencé  ;  avant  ce  jour-là  vous  étiez  bien  portant  ? 

Le  malade  :  Oui  monsieur.  Je  me  rappelle  la  date  exactement.  Je  n'avais 


i.Loc,  cit.,  p.  255. 


—  342  — 

jamais  été  malade  auparavant.  Cependant,  depuis  cinq  ou  six  mois,  avant 
que  le  mal  ait  éclaté, mes  digestions  étaient  pénibles.  Le  mois  qui  a  précédé  la 
première  crise,  j'avais  du  dégoût  pour  la  nourriture  ;  quelquefois  j'avais  des 
hoquets. 

M.  GiiARCOT  :  Il  y  a  donc  eu  dans  ce  cas  des  prodromes  :  quoi^qu'il  en  soit,  le 
3  décembre  1883,  le  matin,  en  se  réveillant,  il  a  ressenti  tout  à  coup  dans  le 
ventre  des  douleurs  vives  qui  ont  remonté  vers  l'estomac  et  s'y  sont  fixées. 
Bientôt,  ces  douleurs  ont  été  accompajinées  de  vomissements  noirs,  couleur  de 
suie.  Les  douleurs  étaient  à  peu  près  incessantes  ;  les  vomissements  noirs  se 
reproduisaient  environ  toutes  les  trois  heures.  Tout  cela  a  persisté  pendant  dix 
ou  douze  jours.  Après  quoi,  les  douleurs  ont  cessée  ainsi  que  les  vomissements; 
mais  il  est  resté  de  l'inappétence,  un  dégoût  profond  pour  les  aliments  ;  le 
lait,  le  Champagne  le  koumis  pouvaient  seuls  être  supportés  et  telle  a  été  pen- 
dant fort  longtemps  la  seule  alimentation  du  malade.  C'est  ainsi  qu'il  nous  a 
raconté  les  choses. 

Le  malade:  Oui,  monsieur,  c'est  bien  ainsi  que  les  choses  se  sont  passées. 
J'étais  tellement  faible  au  sortir  de  la  crise  que,  pendant  plus  de  quatre  mois, 
je  n'ai  pas  pu  sortir'du  lit  :  d'ailleurs  je  ne  pouvais  pas  manger  et  les  crises 
revenaient  de  temps  en  temps. 

M.  CiiARCOT  :  Nous  verrons  cela  tout  à  l'heure  ;  parlons  seulement  pour  le 
moment  de  la  première  crise.  Ne  m'avez  vous  pas  dit  que,  dans  ce  moment-là, 
vous  avez  été  presque  inconscient. 

Le  MALADE  :  Inconscient,  pas  tout  à  fait,  mais  fort  engourdi  ;  je  ne  voyais 
rien,  je  ne  pensais  à  rien,  je  ne  reconnaissais  personne.  Cela  a  duré  deux 
jours.  Le  premier  jour  je  n'ai  pas  reconnu  mes  parents. 

M.  Gharcot;  A  partir  de  cette  époque^,  les  crises  ont  reparu,  à  peu  près  régu- 
lièrement tous  les  mois... 

Le  malade  :  Pas  précisément  tous  les  mois,  monsieur,  mais  tous  les  trente- 
huit  jours. 

M.  Ciiarcoï:  Cela  revient  à  peu  près  au  même,  Messieurs,  vous  le  reconnaî- 
trez. Ce  qui  importe,  vous  l'avez  compris  c'estla  presque  régularité  qu'ont  affectée 
les  crises  dans  leur  réapparition  périodique.  —  S'adressant  au  malade  :  C'est 
seulement  pendant  la  durée  des  crises^  et  non  dans  les  intervalles  que  les 
vomissements  noirs  ont  paru? 

Le  malade  :  Oui,  monsieur,  c'est  bien  cela.  Les  crises  parties,  je  ne  souffrais 
l)lus,  je  ne  vomissais  plus  ;  j'étais  presque  bien.  Seulement,  je  ne  pouvais  pas 
manger,  j'étais  dégoûté  de  tout,  et  j'étais  extrêmement  faible.  Les  vomisse- 
ments noirs,  dans  la  crise,  ne  venaient  pas  toujours  tout  de  suite.  J'avais 
d'abord  des  douleurs  de  ventre  remontant  à  l'estomac,  puis  survenaient  des 
nausées  ;  après  cela  je  rendais  ce  que  j'avais  avalé  ;  les  vomissements  glai- 
reux, jaunes,  puis  noirâtres  se  montraient  ensuite.  Les  douleurs  et  les  vomis- 
sements sévissaient   dans   toute  leur  force  pendant   quatre   ou   cinq  jours. 


—  343  — 


Alors,  c'était  un  martyre:  cela  durait  nuit  et  jour,  je  ne  savais  où  me  mettre, 
après  cela  il  y  avait  un  apaisement  ;  mais,  pendant  dix  jours,  j'avais  encore 

de  temps  en  temps  dos  douleurs  et  dos  vomissements  de  toile  sorte  que  je 
n'éliiis  tout  à  fait  tran(piillc  (juc  pendant  une  période  de  quinze  à  vingt  jours 
chaque  mois  puisque,,  comme  je  vous  l'ai  dit,  les  crises  revenaient  tous  les 
trente-huit  jours. 

M.  CiiAHcoT  :  Je  vous  remercie.  Malgré  plus  dune  anomalie  qui  en  modifie 
plus  ou  uioins  profondément,  à  certains  égards,  la  physionomie  classique, 
vous  reconnaîtrez  ici,  Messieurs,  aisément  les  caractères  fondamentaux  de 
la  crise  gastrique  tabétique.  La  périodicité  typique,  entre  autres,  est  parfaite- 
ment accusée,  malgré  la  persistance  de  troubles  digestifs  dans  l'intervalle 
des  accès.  Pour  ce  qui  est  des  vomissement  noirs,  ils  sont,  à  la  vérité,  chose 
rare  en  pareille  circonstance,  puisque  nous  ne  trouvons  à  cet  égard,  dans 
les  annales  du  tabès,  qu'une  seule  observation  comparable  à  la  nôtre,  celle 
déjà  citée  de  Yulpian  (1).  Mais  leur  présence  dans  les  crises  tabétiques  n'est 
pas  faite,  je  pense,  pour  dérouter  le  médecin  et  il  n'est  pas  nécessaire  pour 
s'en  rendre  compte  d'imaginer  la  complication  de  quelque  lésion  organique 
de  l'estomac,  étrangère  au  tabès.  Il  est  à  remarquer,  en  effet,  que  dans  notre 
observation,  comme  dans  celle  de  Yulpian,  le  vomissement  noir  n'apparait  ja- 
mais que  dans  la  période  des  crises  ;  cela  n'est-il  pas  de  nature  à  faire  penser 
que  le  processus  qui  dans  la  muqueuse  gastrique  prépare  son  développement 
est  semblable  à  celui  qui,  suivant  les  observations  de  M.  le  professeur  Straus, 
produit  chez  certains  ataxiques^,  de?  ecchymoses  cutanées,  en  conséquence  des 
accès  de  douleurs  fulgurantes  (2)  ?...  S' adressant  au  malade  :  Voulez-vous  me 
dire  ce  qui  vous  est  arrivé  à  partir  de  la  quatrième  ou  cinquième  crise, 
c'est-à-dire  cinq  ou  six  mois  après  le  commencement  de  tout. 

Le  malade  :  Je  vous  ai  dit  que  j'ai  commencé  à  me  lever  à  la  fin  seulement 
du  quatrième  mois.  J'étais  extrêmement  faible  ;  d'une  maigreur  extrême.  Je 
n'avais  toujours  pas  faim  ;  je  me  nourrissais  à  peine.  On  m'a  cru  atteint 
d'abord  d'un  cancer  de  l'estomac,  et  plus  tard  d'un  ulcère  simple.  On  me 
traitait  en  conséquence  :  j'étais  à  la  diète  lactée  ;  d'ailleurs  je  ne  pouvais 
pas  prendre  autre  chose  que  du  lait  ;  cela  a  duré  trois  ans.  D'autres  disaient 
ne  pas  savoir  ce  que  j'avais.  On  m'a  envoyé  plusieurs  fois  à  Vichy,  puisa 
Chatel-Guyon.  C'est  là,  en  188G,  c'est-à-dire  trois  ans  après  le  débuta  qu'on  a 
commencé  à  dire  que  je  pourrais  bien  être  un  ataxique.  En  efTet,  dans  ce 
temps-là,  j'ai  commencé  à  marcher  difficilement  en  lançant  les  jambes  comme 
je  le  fais  aujourd'hui. 

M.  CuARCOT  :  C'est  bien,  mais  parlez-nous  de  vos  crises  gastriques. 


l.Loc.  cil.  Muladie  du  syslème  nerveux,  1S7'J,  p.  271. 

2.  J.  Straus.  Des  ecciiymoses  tabétiques  à  la  suite  des  crises  de  douleurs  fulgurantes.  Archive 
de  neurologie  1880 -8i,  N"  4,  p.  536. 


es 


—  su  — 

Le  malade:  Monsieur,  elles  ont  continué  jusque  dans  ces  derniers  temps. 
A  partir  du  sixième  mois,  elle  ont  commencé  à  s'éloigner  ;  elles  ne  revenaient 
plus  que  tous  les  trois  ou  quatre  mois,  au  lieu  de  revenir  comme  auparavant 
tous  les  trente-huit  jours.  Elles  ont  continué  ainsi  jusqu'en  octobre  dernier. 
Elles  ont  donc  duré  cinq  ans  en  tout.  Je  ne  les  ai  pas  eues  depuis  cette  époque 
et  j'espère  qu'elles  ne  viendront  plus.  La  dernière  a  été  atroce:  j'étais  à 
Chatel-Guyon  :  elle  a  peut-être  été  provoquée  par  des  lavages  de  l'estomac 
qu'on  me  faisait  à  cette  époque.  Les  douleurs  ont  été  terrible  s;  j'ai  eu  des 
vomissements  noirs  très  abondants  ;  après  cela  je  suis  tombé, m'a-t-on  dit,  dans 
un  état  très  grave.  Il  paraît  que  je  suis  resté  sans  connaissance  pendant  près 
de  trois  jours. 

M.  Charcot  :  Cependant  vous  m'avez  dit  qu'avant  cette  époque  déjà  l'état  de 
votre  estomac  s'était  amélioré. 

Le  malade  :  C'est  vrai,  monsieur.  Les  crises^  à  la  vérité,,  bien  que  moins 
fréquentes,  duraient  toujours  trois  ou  quatre  jours  et  elles  étaient  souvent  très 
intenses, mais  la  quantité  des  matières  vomies  était  moins  grande  ;  cela  ne 
dépassait  pas  deux  litres  par  jour.  Dans  les  intervalles  j'étais  moins  faible, 
moins  dégoûté  des  aliments.  Cependant,  ce  n'est  que  depuis  ma  dernière  crise^ 
c'est-à-dire  depuis  quatre  mois,  que  mon  estomac  s'est  remis  à  peu  près  com- 
plètement; depuis  ce  temps-là,  je  m'alimente  à  peu  près  comme  tout  le  monde, 
je  mange  de  la  viande  saignante,  des  pommes  de  terre,  je  bois  du  vin 
sucré,  etc.,  etc.  Je  me  crois  guéri  de  ce  côté-là. 

M.  CiiARCOT  :  Je  l'espère.  Je  vous  rappelle  à  ce  propos, Messieurs, que  les  crises 
gastriques  de  Tataxie  sont  chose  curable  ;  il  en  est  de  même  des  crises  laryn- 
gées, des  paralysies  des  muscles  moteurs  de  l'œil,  des  crises  vésicales  et  de 
bien  d'autres  symptômes  de  la  série  qui  peuvent  n'exister  que  passagèrement, 
bien  que  la  maladie  persiste  d'ailleurs  foncièrement  et  continue  progressive- 
ment sa  marche  vers  le  but  fatal.  Il  n'est  guère  en  somme  que  l'atrophie  ta- 
bétique  des  nerfs  optiques,  qui,  une  fois  constituée,  ne  rétrocède  jamais,  même 
temporairement  et  aboutisse  irrévocablement  à  la  cécité  absolue. 

Messieurs  Je  vous  ai  dit  au  début  de  cette  leçon  que,  suivant  moi,  on  eût  pu 
chez  notre  patient,  même  dès  l'origine  de  la  maladie,  reconnaître  les  troubles 
gastriques  pour  ce  qu'ils  sont,  et  éviter  de  tomber  dans  l'erreur  qui  semble 
avoir  été  entretenue  avec  persistance  pendant  une  longue  période  de  trois 
années.  Il  me  paraît,  que  cette  assertion  est  déjà  en  grande  partie  ratifiée  par 
la  description  même  que  vous  venez  d'entendre  de  ces  accidents  gastriques, 
puisque,  au  milieu  de  tant  d'anomalies,  les  caractères  essentiels  du  type, 
peuvent  être  cependant  facilement  retrouvés  ;  elle  sera  justifiée  plus 
encore,  et  pleinement  légitimée,  par  l'exposé  qui  va  suivre.  Vous  allez 
voir,  en  effet,  que,  dès  le  commencement  de  la  maladie,  les  crises  gastri- 
ques se  sont  trouvées  associées  à  quelques  symptômes  univoques  de  la  série 


—  345  — 

tabétiqiie,  de  manière  à  constituer  un  complexus  parfaitement  significatif, 
du  moins  pour  un  observateur  expert  en  pareilles  matières. 

S'ndressant  au  malade  :  A  quelle  époque  vous  a-t-on  coupé  la  luette  ?  pour- 
quoi l'a-t-on  l'ait  ? 

Le  malade  :  Monsieur,  c'est  un  peu  après  la  première  crise  d'estomac. 
J'avais  une  toux  sèche,  incessante,  fort  bizarre  et  qui  étonnait  les  médecins. 
Dans  ce  temps-là  je  n'avais  pas  à  la  suite  des  quintes,  des  suffocations  comme 
j'en  ai  eu  depuis.  Du  reste,  l'opération  ne  m'a  absolument  pas  soulagé. 

M.  CnARCOT  :  A  quelle  époque  avez  vous  commencé  à  avoir  la  voix  rauque, 
délonnante  comme  vous  l'avez  aujourd'hui?  Veuillez  prêter.  Messieurs, atten- 
tion à  la  voix  qu'émet  notre  malade  quand  il  parle.  11  détonne  à  chaque  ins- 
tant ;  de  plus,  de  temps  en  temps,  quand  la  respiration  se  précipite,  vous 
entendez,  à  chaque  inspiration,  un  léger  cornage. 

Le  malade  :  Je  me  suis  aperçu,  monsieur,  que  j'avaisla  voix  rauque  et  basse 
lors  de  ma  première  crise,  c'est-à-dire  à  la  fin  de  1883. 

M.  CuARCOT  :  Vous  le  voyez,  tout  cela  date  de  l'origine  du  mal.  Je  vous  dirai 
immédiatement  que  l'examen  l'ait  ces  jours-ci,  par  M.  Cartaz,  du  larynx  chez 
notre  malade,  donne  la  raison  de  cette  dysphonie,  de  la  raucité  de  la  voix  et 
aussi  du  cornage.  Il  existe  en  effet  une  paralysie  incomplète  de  la  corde 
vocale  gauche,  ou  autrement  dit,  du  muscle  crico-arythénoidien  postérieur 
Tout  cela,  remarquez-le  bien,  Messieurs,  eût  pu  être  reconnu  il  y  a  cinq  ans. 
Le  même  examen  donne,  en  partie  du  moins,  la  raison  des  crises  laryngées 
qui,  vous  allez  le  voir,  ont,  dès  le  commencement,  joué  un  rôle  important 
dans  l'histoire  clinique  de  notre  sujet. 

Je  fais  allusion  ici  à  une  hyperesthésie  très  accentuée  de  la  muqueuse  la- 
ryngée, reconnue  également  par  M.  Cartaz.  Elle  occupe  surtout  à  droite  la  ré- 
gion des  cordes  vocales  supérieures  et  inférieures  ;  on  serait  en  mesure  très 
certainement  de  provoquer  des  crises  laryngées  artificielles  si  l'on  insistait 
quelque  peu  sur  la  titillation  de  ces  régions... 

S'adressant  au  malade  :  A  quelle  époque  avez-vous  eu  la  première  de  ces 
grandes  crises  de  larynx  qui  quelquefois  vous  jettent  à  terre  sans  connais- 
sance ? 

Le  malade  :  C'était  à  Vichy,  monsieur,  en  1884,  après  ma  septième  ou  hui- 
tième crise  d'estomac.  J'étais  près  de  la  source  où  j'allais  boire.  J'ai  senti  un 
chatouillement  à  la  gorge,  je  me  suis  ensuite  mis  à  tousser  de  ma  toux  quin- 
teuse  et  rauque  plus  fortement  que  d'habitude  et,  tout  à  coup,  je  suis  tombé 
à  terre  absolument  privé  de  connaissance.  J'ai  été  fort  étonné  quand  je  me 
suis  réveillé,  couché  par  terre  et  qu'on  m'a  dit  ce  qui  était  arrivé. 

M.  CiiARCOT  :  La  même  chose  vous  est  arrivée  plusieurs  fois  depuis,  je 
crois  ? 

Le  malade  :  Oui,  monsieur,  quatre  ou  cinq  fois.  La  dernière  fois  il  y  a  un 
mois.  Mais  habituellement  les  choses  ne  vont  pas  si  loin.  Je  sens  un  chatouil- 


—  346  — 

lement  vers  le  côté  droit  du  larynx,  comme  si  on  me  passait  à  l'intérieur,  de 
ce  côté-là,  une  barbe  de  plume  ;  puis  je  me  mets  à  tousser  d'une  toux  sifflante 
comme  si  j'avais  la  coqueluche.  Je  suis  menacé  de  suffoquer.  Mais  alors  je  ne 
tombe  pas  et  je  ne  perds  pas  connaissance. 

M.  Cjiarcot,  aux  auditenrs  :  Vous  venez  d'entendre  un  récit  fort  intéres- 
sant, dans  lequel  figurent  en  quelque  sorte  tous  les  accidents  laryngés 
possibles  du  tabès, accidents  permanents  à  savoir:  voix  rauque,  dysphonique, 
cornage  ;  accidents  transitoires  et  paroxystiques,  à  savoir  :  accès  de  toux  «  co- 
queluchoïde»  comme  on  les  a  quelquefois  appelées;  crises  laryngées  spasmo- 
diques  avec  tendance  à  la  sufl'ocation  ;  crises  laryngées  enfin  sous  forme  d'ictus. 
La  description  de  ces  dernières  surtout  est  fort  remarquable^,  parce  qu'il  s'agit 
là  ensomme  d'un  accident  plutôt  rare  dans  le  tabcs.Yous  n'oublierez  pasque, 
ainsi  que  je  l'ai  montré  depuis  longtemps  déjà^  Tictus  laryngé,  ou,  autrement 
dit,  le  vertige  laryngé  comme  je  l'appelle,  n'appartient  pas, tants'en  faut, exclu- 
sivement au  tabès. On  le  trouve  en  effet, plus  fiéquemment  peut-être, chez  cer- 
tains sujets  goutteux,  atteints  de  laryngite  chronique  et  aussi  chez  quelques 
asthmatiques.  L'arthritis  en  somme  paraît  être  en  jeu  dans  la  plupart  de  ces 
cas  (1). 

Mais  j'en  reviens,  Messieurs,  à  notre  malade.  N'est -il  pas  clair  que  tous  ces 
symptômes  laryngés  si  accentués,  si  caractéristiques,  pour  peu  qu'on  y  eût  pris 
garde  et  si  on  les  eût  considérés  soit  en  eux-mêmes,  soit  dans  leur  relation 
avec  les  crises  gastriques,  eussent  suffi  pour  révéler  la  véritable  nature  du  mal, 
et  pour  empêcher,  en  ce  qui  concerae  ces  dernières,  de  tomber  dans  le  dia- 
gnostic erroné  d'une  affection  organique  de  l'estomac.  La  chose  vous  parait 
évidente  maintenant  et  il  n'est  guère  utile  d'insister.  Je  ferai  remarquer  seule- 
ment que  l'existence  de  douleurs  fulgurantes  parfaitement  accentuées,  remar- 
quée pour  la  première  fois  dès  1885,  eût  pu  dès  cette  époque  contribuer  puis- 
samment à  éclairer  la  situation. 

Il  ne  me  reste  plus,  pour  en  finir  avec  ce  cas,  qu'à  compléter  l'observation 
par  quelques  nouveaux  détails.  L'incoordination  motrice,  ainsi  que  je  vous  l'ai 
dit,  a  paru  seulement  au  commencement  de  1880,  c'est-à-dire  il  y  a  trois  ans. 

Voici  maintenant  l'énumération  sommaire  des  symptômes  révélés  par 
l'étude  de  fétat  actuel.  La  démarche  tabétique  est,  chez  le  malade,  tout  à  fait 
conforme  à  la  description  typique  :  les  membres  inférieurs  sont  à  chaque  pas 
comme  projetés  et  retombent  lourdement  sur  le  sol  en  frappant  du  talon.  Le 
signe  de  Romberg  est  très  accentué.  Les  douleurs  fulgurantes  occupent  non 
seulement  les  membres  inférieurs  mais  encore  les  trajets  nerveux  du  domaine 


^ 


1.  Voir  sur  les  accidents  laryngés  labctiques,  les  Lettons  du  t/iardi  1887-1888,  p.  85,  209,  277 
et,  sur  Yictus  laryngd  en  particulier  :  Progrès  médical,  1879,  p.  317. 


I 


—  347  — 

cubital,  symétriquement  des  deux  côtés.  Les  réflexes  rotulicns  sont  absents. 
Atrophie,  également  prononcée  des  deux  côtés,  des  muscles  qui  remplissent  le 
premier  espace  interosseux.  Troubles  urinaires  consistant  dans  la  nécessitéde 
faire  ellort,  de  pousser  quand  on  veut  rendre  les  urines.  Celles-ci  s'écoulent 
quelquefois  involontairement  à  la  moindre  émotion.  Anaphrodisie  complète, 
depuis  trois  ans.  Jamais  il  n'y  a  eu  de  diplopie,  mais  le  signe  d'Argyll 
Robertson  est  bien  dessiné.  Les  crises  gastriques  ont,  comme  on  l'a  dit,  cessé 
d'exister  depuis  plusieurs  mois  et  nous  pouvons  espérer  qu'elles  ne  se  repro- 
duiront pas. 

Certes,  voilà  un  pauvre  homme  chez  lequel  la  terrible  maladie  tabétique, 
semble  avoir  voulu  exercer  toutes  ses  cruautés;  j'ajouterai  qu'il  a  été  frappé 
de  très  bonne  heure,  c'est-à-dire  vers  Tàge  de  3(J  ans.  D'après  mon  expé- 
rience, dans  ces  cas  de  tabès  précoce,  on  doit  s'attendre  à  rencontrer  presque 
toujours  dans  les  antécédents  héréditaires  des  tares  nerveuses  plus  ou  moins 
accentuées.  Il  n'en  est  rien  chez  notre  homme;  l'étude  de  sa  famille  ne  nous 
a  rien  appris.  Il  est  vrai  que  nous  n'avons  pas  pu  être  renseignés  dans  toutes 
les  directions.  Nous  avons  appris  seulement  qu'un  de  ses  frères,  fort  intelli- 
gent du  reste  paraît-il,  est  un  original  fieffé.  Il  a  changé  deux  ou  trois  fois 
de  religion  :  c'est  beaucoup  ! 

Il  n'y  a  jamais  eu  traces  de  syphilis,  et  les  fatigues  corporelles,  non  plus 
que  les  émotions  morales,  ne  sauraient  être  incriminées  comme  causes  occa- 
sionnelles provocatrices.  Notre  malade  a  de  l'instruction.  Il  a  exercé  tour  à 
tour  la  profession  d'employé  de  commerce  et  d'entrepreneur.  Jamais  il  n'a 
travaillé  de  ses  mains  et  jamais  il  n'a  eu  de  véritables  chagrins. 

C'est  un  de  ces  cas,  vous  le  voyez,  et  ils  sont  fort  nombreux  encore,  où 
l'ataxie  procède  on  ne  sait  d'où,  et  vient  on  ne  sait  comment. 


2^  Malade. 


Le  second  malade  que  nous  avons  à  étudier  aujourd'hui  est  un  nomme 
Klein,  israélite  hongrois,  âgé  de  23  ans.  Nous  aurons  le  regret  de  ne  pouvoir 
pas  l'interroger  devant  vous  ;  nous  ne   pouvons  communiquer  avec   lui  qu'à 

47 


—  348  — 

l'aide  des  quelques  mots   d'allemand   qu'il  possède  ;  et  c'est  ainsi  que   nous 
avons  recueilli,  près  de  lui,  les  renseignements  dont  je  vais  vous  faire  part, 

Je  vous  le  présente  comme  un  véritable  descendant  d'Ahasvérus  ou  Carta- 
philus  comme  vous  voudrez  dire.  Le  fait  est  qu'à  l'exemple  de  ces  névropathes 
voyageurs  dont  je  parlais  l'autre  jour,  il  est  mû,  constamment,  par  un  besoin 
irrésistible  de  se  déplacer,  de  voyager,  sans  pouvoir  se  fixer  nulle  part.  C'est 
ainsi  que^,  depuis  troisans,  il  ne  cesse  de  parcourir  l'Europe,  à  la  recherche  de 
la  fortune  qu'il  n'a  pas  encore  rencontrée. 

lia  d'abord  traversé  l'Allemagne,  s'arrêtant  à  Dresde,  à  Leipsick,  à  Breslau^ 
àBerlm  ;  exerçant  un  instant,  dans  chacune  de  ces  villes,  son  métier  de  tailleur, 
dans  le  but  de  ramasser  quelque  argent  lui  permettant  de  continuer  son 
voyage.  De  Berlin  il  passe  en  Angleterre  qu'il  trouve  «  triste  »  et  où  il  ne  reste 
que  deux  mois.  Delà,  riche  de  70  schellings,  il  se  rend  à  Anvers  où  il  s'installe 
pendant  quatre  mois  ;  mais, l'ouvrage  venant  à  manquer,  il  part  pour  Bruxelles 
où,  à  son  grand  désappointement^  il  ne  trouve  pas  de  travail. 

Bientôt  son  trésor  s'épuise  et  n'ayant  plus  que  4  troncs  en  poche,  il  prend  le 
parti  de  se  rendre  à  Liège,  à  pied.  Mille  misères  l'attendaient  dans  ce  voyage 
pédestre  qui  n'a  pas  duré  moins  de  cinq  jours.  Les  deux  premiers  jours  il  a 
dû  marcher  sous  une  pluie  battante,  à  travers  des  chemins  défoncés.  Le  matin 
dutroisième  jour,  c'était  le  2  août  1888,  la  pluie  ayant  cessé  un  instant  il  se 
couche,  vers  9  heures^,  tombant  de  fatigue  et  trempé  jusqu'aux  os,  le  long  de  la 
route,  sur  la  terre  humide.  Là  il  s'endort  lourdement,  reposant  sur  le  sol  par 
le  côté  droit  du  corps.  Il  a  dormi  jusqu'à  ?  heures  de  l'après  midi. 

Il  est  certain  que,  pendant  toute  la  durée  de  son  sommeil,  il  n'a  pas  changé 
uninstvint  de  position,  car  c'est  seulement  sur  le  côté  droit  que  ses  vêtements 
ont  été  couverts  de   boue.  Au  réveil   il  ressentait,  dans   toute   l'étendue   du 
membre  supérieur  droit  et  dans  la  cuisse  ainsi  que  le  genou  du  m«3me  côté, 
des  douleurs  vives  accompagnées  d'un  sentiment  d'engourdissement  fort  péni- 
ble. Illuifallait  cependantmalgrétoutse  remettre  en  marche,  il  n'était  qu'à  mi- 
chemin   et,    ses  ressources    pécuniaires    étant    complètement    épuisées,  il 
ne  devait  plus  compter  que  sur  la  charité  publique.  Il  rassembla  toutes  ses  forces 
et  continua  sa  route  clopin-clopant,  traînant  sa  jambe  gauche  dont    il  souf- 
frait beaucoup.  Enfin  il  arriva  à  Liège  le  cinquième  jour,  dans  un  état  déplo- 
rable et  fut  reçu  à  l'hôpital  anglais  où  il  resta  traité, paraît-il,  pour  un  «  rhuma- 
tisme »  à  l'aide  de  l'électricité.  Sa  famille  lui  ayant,  sur  ces  entrefaites,  envoyé 
quelque  argent,    il   se  rend  à  Spa,    toujours  à  pied,  et  de  là  à  Verviers   où  il 
entre  encore  à  l'hôpital.  Il  y  éprouva  quelque  soulagement  de  sa  douleur  sous 
l'intluence  de  bains  de  vapeur  locaux  qui  lui  furent  administrés.  Il  quitte  Ver- 
viers pour  Metz  où  il  arrive  boitant  plus  que  jamais.  L'association  Israélite  de 
cette  ville  lui   donne  quelque  secours  d'argent  qui  lui  permettent  de  prendre 
le  train  pour  Châlons-sur-Marne. 

De  Châlons,  toujours  souffrant  et  boitant,  il  se  met  en  route  à  pied   pour 


—  340  — 

Paris,  marchant  environ  quatre  heures  par  jour,  et  vivant  des  quelques 
aumônes  qui  lui  sont  faites  par  ceux  de  ses  coreligionnaires  qu'il  rencontre 
dans  les  villes  où  il  s'arrr-to  chemin  faisant. 

Je  n'ai  pas  cru,  Messieurs,  devoir  vous  épargner  les  détails  relatifs  à 
toutes  ces  pérégrinations  singulières  parce  qu'elles  révèlent  chez  notre 
homme,  si  je  ne  me  trompe,  un  état  psychique  particulier  qui  nous  conduit  à 
le  considérer  comme  un  anomal,  un  déséquilibré.  Il  était  important  égale- 
ment de  bien  mettre  en  relief  les  misères,  les  privations,  les  fatigues  exces- 
sives dont  il  a  souffert  pendant  ses  voyages,  et  d'insister  aussi  sur  celte  malen- 
contreuse matinée  du  3  août  où  il  est  resté  couché,  dormant,  pendant  plusieurs 
heures  sur  la  terre  humide,  reposant  par  le  côté  droit  du  corps  :  ce  sont  là, 
en  efïet,  des  circonstances  qui  nous  paraissent  avoir  joué  un  rôle  important 
dans  le  développement  de  la  maladie  que  nous  devons  étudier  maintenant. 

Klein  a  fait  son  entrée  à  Paris  le  11  décembre  1888;  le  lendemain  il  se  pré- 
sentait à  la  Salpêtrière  où  il  a  été  admis  dans  le  service  de  la  clinique. 

Il  faisait  vraiment  peine  à  voir;  déguenillé,  sale,  pâle,  amaigri,  tombant  de 
fatigue  et  tout  ahuri,  il  présentait  vraiment  l'image  poignante  du  complet 
dénûment.  Il  avait  les  pieds  meurtris  et,  pendant  plusieurs  jours,  il  ne  se  sentit 
pas  le  courage  de  sortir  un  instant  du  lit.  Enfin,  lorsque  sous  l'influence  du 
repos  et  d'une  ahmentation  à  discrétion  il  se  fut  un  peu  remis,  l'examen  que 
nous  fîmes  de  son  état  nous  apprit  ce  qui  suit. 

Aucun  signe  d'une  lésion  viscérale  organique  quelconque.  En  dehors  de 
l'émaciation,  de  la  prostration  et  de  l'anémie  profondes  dont  il  a  été  question 
plus  haut,  tous  les  symptômes  à  relever  sont  relatifs  au  système  nerveux.  Il 
existe  dans  toutes  les  articulations  du  membre  supérieur  droit  un  certain 
degré  de  rigidité  qui  dépend  d'un  spasme  musculaire.  Le  bras  est  appuyé  et 
immobilisé  sur  le  côté  droit  du  thorax  ;  l'avant-bras  est  fléchi  à  angle  obtus 
sur  le  bras  et  en  même  temps  fixé  dans  la  pronation  forcée.  Le  poignet  est 
légèrement  fléchi  sur  l'avant-bras  et  entraîné  dans  l'abduction.  Les  doigts 
rigides  dans  l'extension,  sont  fléchis  en  masse^  à  angle  droit  vers  la  paume  de 
la  main  et  en  même  temps  fortement  déviés  vers  le  bord  cubital.  (Fig.  71). 

Veuillez  prendre  note,  Messieurs,  de  cette  déformation  particulière  de  la 
main  et  des  doigts  que  je  vous  ai  fait  remarquer  déjà  dans  des  circonstances 
analogues  à  celles  que  nous  rencontrons  ici  (1).  Cette  contracture  spasmodique 
du  membre  supérieur  droit  date,  paraît-il,  des  premiers  jours  qui  ont  suivi  la 
journée  du  2  août.  A  cette  époque,  ce  membre  était,  comme  on  Ta  dit,  le  siège 
de  douleurs  et  d'engourdissements  qui  ont  disparu  depuis.  La  peau  du  membre 
contracture  est  dans  toute  son  étendue,  épaules,  bras,  avant-bras,  main  frappée 


1.  13e  Leçon  du  mardi^  1887,  1888,  1889,  passim. 


—  350  — 

d'anesthésie  complète  et  relative  à  tous  les  modes  de  la  sensibilité.  La  limi- 
tation de  Tanesthésie  du  côté  des  parties  restées  sensibles  se  fait  par  une  ligne 
courbe  de  façon  à  déterminer  la  disposition  aujourd'hui  bien  connue  dite  en 
manche  de  gigot.  L'insensibilité  s'étend  aux  parties  profondes.  Les  déplace- 
ments imprimés  aux  divers  segments  du  membre,  les  tractions,  les  tensions, 
exercées  sur  les  diverses  jointures  ne  sont  pas  perçus. 

Tous  ces  caractères  sont  tellement  accentués,  tellement  nets,  qu'on  ne  sau- 
rait douter  qu'il  s'agit  là  d'une  contracture  hystérique.  C'est  dans  l'Hystérie, 
dans  l'hystérie  seule  en  efTet,  autant  qu'on  sache,  que  l'on  rencontre  des  trou- 
bles de  la  sensibilité  de  ce  genre  aussi  accentués  et  ainsi  disposés.  Cette  pre- 
mière impression  sera  confirmée  d'ailleurs  par  tout  ce  qui  nous  reste  à  dire. 


Fig.  71, 


Le  membre  inférieur  droit  présente,  au  niveau  de  la  hanche  et  du  genou,  une 
rigidité  comparable  à  celle  que  nous  venons  de  relever  à  propos  du  membre 
supérieur  correspondant;  c'est  là  encore  la  contracture  spasmodique  qui  est  en 
jeu.  Les  troubles  de  la  sensibilité  sont,  également  sur  ce  membre,  très  nette- 
ment accentués  et  disposés  d'une  façon  caractéristique:  Anesthésie  cutanée  en 
manchon  se  limitant  par  en  haut  suivant  une  ligne  parallèle  au  pli  de  l'aine  et 
par  en  bas  suivant  une  ligne  circulaire,  perpendiculaire  au  grand  axe  du  mem- 
bre, passant  à  quelques  centimètres  au-dessous  du  genou.  (Fig.  72,  73).  Les 
mouvementspassifsimprimésàl'articulationcoxo-fémorale  ne  sont  pas  perçus. 
Il  n'en  est  pas  de  même  en  ce  qui  concerne  le  genou  Celui-ci  est  doulou- 
reux lorsqu'on  le  meut  ou  qu'on  y  exerce  une  pression  profonde  et  la  boiterie 
qui,  aujourd'hui  encore,  malgré  ramélioration  survenue  de  ce  côté  dans  ces 
derniers  temps,  est  fort  prononcée,  dépend  non  seulement  de  la  rigidité  des 
articulations,  mais  encore  de  la  douleur  ipii,  à  chaque  pas,  se  fait  sentir  dans 


351  — 


le  genou.  Cependant  pas  de  tuméfaction,  pas  d'empâtement,  pas  de  chaleur 
révélant  l'existence  d'un  travail  inflammatoire.  On  sait  que  la  boiterie  date 
des  premiers  jours  de  la  maladie  ;  dans  ce  temps- là  les  douleurs  occupaient. 


semble-t-il,  toute  l'étendue  delà  cuisse  ;  aujourd'hui  elles  se  sont^si  l'on  peut 
ainsi  parler,  concentrées  sur  le  genou. 

La  recherche  des  stigmates  sensoriels  est  restée  généralement  infructueuse. 
Pas  de  rétrécissement  du  champ  visuel.  Pas  detroubles  de  l'odoral,  de  l'ouïe. 
Seul  l'examen  de  la  langue  a  fait  reconnaître  que  la  sensibilité  générale   ainsi 


—  352  — 

que  le  goût  avaient  disparu  complètement  sur  la  moitié  droite  de  l'organe. 
La  perte  partielle  ou  totale  du  goût,  soit  dit  en  passant,  constitue  un  stig- 
mate qui,  d'après  ce  que  j'ai  vu,  se  rencontrerait  assez  fréquemment  chez  des 
hystériques  mâles  qui  n'en  portent  pas  d'autres.  Sa  constatation,  ne  l'oubliez 
pas,  pourrait  par  conséquent  vous  être,  le  caséchéant,  d'un  précieux  secours, 
dans  une  circonstance  difficile. 

Pas  d'attaques,  pas  de  représentants  d'attaques, pas  de  poinlshystérogènes. 

Pour  ce  qui  est  de  l'état  psychique  nous  n'avons  guère  à  signaler  que  les 
rêves  généralement  pénibles  qui,  depuis  qu'il  est  tombé  malade,  troublent 
ses  nuits.  Tantôt  il  revoit  les  scènes  de  grèves  auxquelles  il  a  assisté  en  Bel- 
gique, et  il  se  croit  poursuivi  par  des  gendarmes  ;  tantôt  ce  sont  des  chiens 
énormes  qui  se  précipitent  sur  lui,  «  toujours  de  droite  à  gauche  (1)  »  et  au 
moment  où  il  va  être  mordu,  il  se  réveille,  etc.,  etc. 

On  a  déjà  fait  allusion  à  son  instabilité,  à  sa  manie  des  voyages.  Ses  ré- 
cents malheurs  ne  l'ont,  paraît-il,  nullement  guéri,  car  il  se  propose  aussitôt 
qu'il  sera  remis  sur  pied  de  partir  pour  le  Brésil.  Il  est  remarquable  que,  chez 
notre  homme,  on  ne  rencontre  pas  de  symptômes  neurasthéniques  bien 
accentués  ;  pas  de  céphalée,  pas  de  plaque  sacrée,  pas  de  confusion  de  l'es- 
prit, pas  de  vertiges,  etc.  L'hystérie  paraît  être  chez  lui  primitive  ;  pour  le 
moins  c'est  elle  qui,  de  beaucoup,  domine  la  situation. 

Après  nos  études  de  l'an  passé  et  de  cette  année,  je  ne  crois  pas  nécessaire 
de  nous  arrêter,  Messieurs,  à  discuter  le  diagnostic  que  nous  avons  formulé 
tout  à  l'heure  et  dans  lequel  nous  sommes  entrés  en  quelque  sorte  de  plain 
pied.  Je  me  bornerai  donc  à  faire  ressortir  les  analogies,  qui,  suivant  moi, 
rapprochent  étroitement  notre  cas,  des  exemples  nombreux  de  paralysies 
hystéro-traumatiques,  avec  ou  sans  accompagnement  de  contracture,  sur  les- 
quels j'ai  eu  l'occasion  d'appeler  votre  attention.  Évidemment,  c'est  d'un  fait 
rentrant  dans  cotte  catégorie  qu'il  s'agit  chez  notre  homme.  J'imagine  que  le 
contact  prolongé  des  membres  droits  avec  la  terre  humide  en  même  temps 
que  la  pression  à  laquelle  ils  ont  été  soumis  par  l'action  du  poids  du  corps 
doivent  être  considérés  ici  comme  les  équivalents  d'un  agent  traumatique 
localement  appliqué.  La  pression  a  été  dans  ces  membres  la  cause  d'un  engour- 
dissement paréti(iue,  tandis  que  l'action  du  froid  humide  y  a  occasionné  des 
douleurs  «  rhumatoïdes  ».  Celle-ci  et  celui-là,  conformément  à  ce  processus 
d'autosuggestion  dont  je  me  suis  efforcé  plusieurs  fois  de  vous  enseignerlemé- 
canismc,  ont  abouti,  en  conséquence  d'une  sorte  d'action  réllexe  psychique,  à 
la  production  dans  les  membres  intéressés,  de  la  paralysie  et  de  la  contrac- 
ture, et  celles-ci  ont  revêtu,  ainsi  que  cela  est  de  règle  en  pareille  circons- 
tance,   tous  les  caractères  des  contractures  et  des  paralysies  hystériques. 


i.  11  nst  à  remarquer  que  dans  ce  cas  il  n'y  a  pas  de  rétrécissement  du  champ   visuel. 


—  353  - 

L'état  mental  particulier  qui  a  rendu  possible  cette  évolution,  je  Tassimile, 
vous  le  savez,  à  celui  qu'on  observe  dans  le  somnambulisme  provoqué  par  hypv- 
notisation.Chcz  notre  homme  il  se  sera  développé  en  conséquence  de  la  débi- 
litation  physique  et  de  la  démoralisation  profonde  qu'il  a  subies  pendant  le 
cours  de  ses  malheureux  voyages. 

Il  était  d'ailleurs,  antérieurement  peut-être,  déjà  spécialement  prédisposé  à  la 
névrose  hystérifiue.  Il  est  israélite,  remarquez-le  bien,  et  le  fait  seul  de  ses 
pérégrinations  bizarres  nous  le  présente  comme  mentalement  soumis  au 
régime  des  impulsions  ;  à  la  vérité,  la  recherche  des  antécédents  héréditaires 
n'a  pas  fourni  de  résultats  précis,  mais  il  nous  a  raconté  l'histoire  d'un  de  ses 
grands-pères  mort  en  1848  en  Russie,  «  sous  le  knout  (?)  »  et  cette  circons- 
tance est  bien  de  nature  à  faire  supposer,  pour  le  moins,  que  sa  famille  a  dû 
vivre  plus  d'une  fois  sous  le  coup  d'émotions  dramatiques. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Messieurs,  je  ne  crois  pas  que  son  cas  soit  grave  au  pre- 
mier chef.  Déjà,  en  eflfet,  sous  la  seule  influence  de  l'amélioration  survenue 
dans  l'état  physique  et  moral  de  notre  malade,  en  conséquence  des  soins 
hygiéniques  qui  lui  ont  été  prodigués,  nous  avons  vu  les  accidents  d'ordre 
nerveux  se  modifier  rapidement  d'eux-mêmes  de  la  façon  la  plus  favorable. 
Si  les  choses  continuent  à  aller  de  ce  train  il  pourra,  comme  il  l'espère,  re- 
prendre dans  quelques  semaines  le  cours  de  ses  singulières  pérégrinations  (1). 


1.  A  la  date  du  10  août,  on  note  que  le  malade  peut  être  considéré  comme  à  peu  près  com- 
plètement guéri.  Les  troubles  sensitifs  et  sensoriels  ont  disparu  ainsi  que  les  troubles  moteurs. 
La  santé  générale  est  excellente. 


M  i;-.M  .  1.,  ...  1.; 


AM;AGM:-l'KhMl..Ki:,    l'AUlS. 


Policlinique  du  Mardi  5  Mars  1889 


SEIZIEME   LEÇON 

Un    cas    d'abasie    trépidante    survenue    à    la    suite    d'une 
intoxication    par   la  vapeur   de   charbon. 


Messieurs, 

Nous  allons  étudier  ensemble  un  cas  qui  très  certainement  excitera  votre 
intérêt.  Il  est  relatif  à  un  syndrome  rare,  encore  peu  connu,  ^t  qui.  mal  inter- 
prété, pourrait  devenir  Toccasion  d'erreurs  fort  regrettables.  Le  complexus 
symptomatique  dont  il  s'agit  s'est  développé  à  la  suite  d'une  asphyxie  par  la 
vapeur  de  charbon  et, très  certainement, en  conséquence  de  cette  intoxication. 
Mais  il  y  aura  à  rechercher  si  les  troubles  fonctionnels  que  nous  allons 
décrire  appartiennent  réellement  à  la  nosographie  de  l'intoxication  oxy- 
carbonée,  ou  si,  au  contraire,  cette  intoxication  a  joué  seulement  dans  le 
développement  des  accidents  pathologiques,  le  rôle  d'une  cause  occasion- 
nelle, en  provoquant  l'apparition  d'un  mal  auquel  le  sujet  était  antérieure- 
ment disposé.  C'est,  Messieurs,  je  puis  vous  le  dire  à  l'avance,  à  cette  dernière 
opinion  que  nous  serons  conduits  à  nous  attacher,  après  discussion. 


I 

11  s'agit  d'un  homme  âgé  de  41  ans,  nommé  Ro...el,  employé  dans  une 
imprimerie.  Il  paraît  bien  constitué  et  d'apparence  assez  vigoureuse,  un  peu 
pâle  seulement  et  déprimé  mentalement.  Je  me  réservée  de  vous  parler  en 
temps  et  lieu  de  ses  antécédents  héréditaires,  et  aussi  de  ses  antécédents  per- 
sonnels qui  sont  les  uns  et  les  autres,  vous  le  verrez,  fort  intéressants  à  con- 
naître. Pour  le  moment,  j'en  viens  de  suite  à  la  description  des  phénomènes 
morbides  au  sujet  desquels  il  est  venu  nous  consulter. 

Je  vous  le  présente  couché  sur  un  lit;  ce  n'est  pas,  Messieurs,  qu'il  ne  puisse 

48 


—  350  — 

pas  se  tenir  debout;  mais  je  tiens  à  vous  bien  montrer  qu'au  lit,  il  a  dans  les 
membres  inférieurs  la  liberté  de  tous  ses  mouvements  et  ne  présente  aucun 
des  signes  révélant  une  affection  spinale  connue,  soit  de  l'ordre  organique, 
soit  de  Tordre  dynamique.  Ainsi,  si  je  lui  dis  de  mouvoir  ses  membres  dans 
diverses  directions,  il  exécute  tous  les  mouvements  prescrits  avec  force  et 
précision,  aussi  bien  lorsque  ses  yeux  sont  fermés  que  lorsqu'ils  sont  ouverts. 
A  tous  les  efforts  que  je  fais  pour  plier  ses  membres  ou  pour  les  fléchir,  il 
résiste  admirablement.  Donc,  tout  ce  qui  est  relatif  aux  mouvements  dans 
cette  exploration  paraît  être  absolument  normal.  Pas  de  rigidité,  pas  de  con- 
tracture, pas  traces  de  troubles  quelconques  de  la  sensibilité  cutanée  ou  pro- 
fonde. Les  réflexes  rotuliens  sont  normaux;  peut-être  y  a-t-il  une  légère 
tendance  à  la  trépidation  par  redressement  de  la  pointe  des  pieds,  surtout  du 
côté  droit,  mais  cela  est, en  somme, peu  accentué  ;  remarquez  une  fois  de  plus 
qu'il  se  retourne  dans  son  lit_,  se  plaçant  à  volonté  sur  le  dos,  sur  le  ventre, 
avec  la  plus  grande  aisance.  Et  pendant  qu'il  est  encore  couché,  je  vais  vous 
rendre  témoin  du  fait  suivant:  c'est  un  nageur  ;  eh  bien^  vous  voyez  que  sur 
mon  invitation,  il  exécute  parfaitement  les  mouvements  assez  compliqués  de 
la  natation  ;  vous  serez  amenés  tout  à  l'heure  à  comprendre  l'intérêt  qui 
s'attache  à  cette  constatation. 

Maintenant  le  malade,  soulevé  par  des  aides,  va  être  transporté  du  lit  sur  une 
chaise;  le  voilà  assis  :  je  vous  fais  remarquer  que  dans  cette  nouvelle  situa- 
tion^ il  n'existe  non  plus  aucune  anomalie  motrice  dans  ses  membres  inférieurs. 

Enfin,  je  prescris  au  malade  de  se  lever  et  de  se  tenir  debout.  V'ous  le  voyez, 
la  station  est  ferme,  absolument  normale  ;  les  yeux  fermés,  il  n'oscille  pas 
le  moins  du  monde.  Il  peut  se  tenir  sur  un  seul  pied.  Je  lui  dis  d'écarter  ses 
jambes,  de  se  fendre  comme  dans  l'escrime,  il  exécute  sans  hésitation  et  avec 
prestesse  tous  les  mouvements  prescrits. 

Ainsi,  Messieurs,  voici  un  homme  qui  couché,  assis,  est  tout  à  fait  libre 
d'exécuter  avec  force  et  coordination  parfaite  tous  les  mouvements  possibles 
des  membres  inférieurs  ;  la  station  debout  est  absolument  normale.  Nous 
avons  suffisamment  constaté,  d'ailleurs,  qu'il  n'offre  aucun  signe  d'une  para- 
plégie soit  molle,  soit  spasmodique,  qu'il  n'est  pas  non  plus  ataxique...  En 
quoi  consistent  donc,  me  direz-vous,  ces  troubles  fonctionnels  si  particu- 
liers dont  vous  dites  le  malade  atteint  ?  Ils  vont  se  révéler  immédiatement, 
Messieurs,  lorsqu'il  voudra  exécuter  les  mouvements  de  la  marche. 

Renuirquez  que  je  l'ai  prié  de  marcher  d'un  pas  ordinaire,  seulement  un 
peu  précipita,  et  le  voilà  qui  part,  le  corps  incliné  en  avant,  les  membres 
inférieurs  raidcs,  dans  Textension,  pour  ainsi  dire  collés  l'un  contre  l'autre, 
portant  sur  la  pointe  des  pieds  ;  ceux-ci  glissent  en  quelque  sorte  sur  le  sol 
et  la  progression  se  fait  par  une  sorte  de  lréi»idation  rapide  rappelant  ce  que 
l'on  voit  dans  certains  cas  de  paraplégie  spasmodique  lorsque  le  phénomène 
de  l'épilepsie  spinale  y  est  très  accentué.  Mais  nous  savons  déjà  que  ce  n'est  point 


—  3r)7  — 

de  cela  qu'il  s'agit  ici.  Lorsque  le  sujet  est  ainsi  lancé,  il  semble  qu'il  soit 
à  chaque  instant  menacé  de  tomber  en  avant  ;  en  tout  cas  il  lui  est  à  peu  près 
impossible  de  s'arrêter  de  lui-même.  H  lui  faut  le  plus  souvent  s'accrocher  à 
un  corps  voisin.  On  dirait  un  automate  mû  par  un  ressort  et,  dans  ces  mouve- 
ments de  progression  raides,  saccadés,  comme  convulsifs,  il  n'y  a  rien  qui 
rappelle  la  souplesse  des  actes  de  la  marche  normale...  Se  détourner^  pour 
lui,  pendant  qu'il  marche,  ou  plutôt  court  ïi  petits  pas,  c'est  une  affaire 
d'état;  reculer  c'est  chose  absolument  impossible. 

Si  nous  voulons  arriver  à  comprendre  le  mécanisme  de  cette  marche  trépi- 
dante, comme  je  vous  proposerai  de  la  désigner,  Messieurs,  il  nous  faudra 
l'étudier  dans  les  conditions  plus  simples  de  ce  que  j'appellerai  <-<  la  mise  en 
train  ».  Le  malade  étant  debout,  tranquille,  immobile,  je  le  prie  de  se  mettre 
de  nouveau  en  marche.  Il  se  montre  d'abord  tout  hésitant,  on  dirait  qu'il 
s'essaye  et  se  prépare  à  accomplir  un  acte  pour  lui  d'une  exécution  fort  difli- 
cile;  à  chaque  pas  qu'il  veut  faire,  au  moment  où  le  genou  se  fléchit  pour 
élever  le  pied  et  le  porter  ensuite  en  avant,  comme  c'est  la  règle  dans  les  con- 
ditions normales,  il  se  produit  tout  à  coup  un  mouvement  contradictoire  et 
brusque  d'extension  du  membre  inférieur  tout  entier,  mouvement  qui 
redresse  le  genou  et  a  pour  effet  consécutif  de  fixer,  en  quelque  sorte,  le  pied 
sur  le  sol,  l'empêchant  de  s'en  détacher.  Ce  qui  vient  de  se  produire  sur  un 
des  membres,  se  produit  maintenant  de  la  même  façon  sur  l'autre;  il  semble  à 
ce  moment  que  le  sujet  serait  condamné  à  l'immobilité,  les  membres  infé- 
rieurs placés  dans  l'extension  et  appliqués  l'un  contre  l'autre,  si,  pour  pro- 
gresser il  n'usait  pas  d'un  artifice  consistant  à  se  dresser  sur  la  pointe  des 
pieds,  en  même  temps  qu'il  penche  son  corps  en  avant,  comme  pour  s'en- 
traîner... Enfin,  après  quelques  essais,  le  voilà  parti  et,  conformément  au 
mécanisme  que  je  viens  d'indiquer,  il  glisse  sur  le  sol,  plutôt  qu'il  ne  marche, 
les  jambes  raides,  ou  pour  le  moins  se  fléchissant  à  peine,  les  pas  étant 
en  quelque  sorte  remplacés  par  autant  de  brusques  trépidations. 

Cette  progression  par  petits  pas  précipités  rappelle  assez  bien  les  mouve- 
ments rapides  et  cadencés  de  certaines  chorées  rythmées  dont  je  vous  ai 
présenté  l'an  passé  plusieurs  exemples  ;  mais  la  comparaison,  remarquez-le 
bien,  n'a  guère  de  valeur  qu'au  point  de  vue  pittoresque.  Il  ne  faut  pas  s'y 
laisser  prendre.  Il  y  a,  en  effet,  entre  les  deux  ordres  de  phénomènes  une  diffé- 
rence foncière,  capitale  :  c'est  que  les  mouvements  de  la  chorée  rythmée^ 
et  c'est  là  d'ailleurs  un  trait  commun  à  toutes  les  chorées  méritant  ce  nom,  se 
manifestent  en  dehors  de  tout  acte  volontaire,  alors  que  le  sujet  voudrait 
garder  le  repos,  tandis  que,  chez  notre  homme,  c'est  exclusivement  lorsqu'il 
veut  se  déplacer  en  marchant  que  les  trépidations  apparaissent.  Jamais  elles 
ne  se  produisent  involontairement,  dans  les  temps  de  repos,  soit  que  le  malade 
se  tienne  couché  ou  assis,  soit  qu'il  se  tienne  dans  la  station  debout.  Kn 
somme,  les  mouvements  en  question  ne  sont  autres  que  ceux  de  la  marche 


—  358  — 

elle-même,  à  la  vérité  plus  ou  moins  profondément  altérés,  mais  conservant 
néanmoins  sur  un  mode  précipité,  le  caractère  rythmé  qui  est  propre  à  cet 
acte  physiologique. 

Ainsi,  Messieurs,  voilà  un  homme  qui  ne  sait  plus  marcher,  du  moins, 
comme  on  marche  dans  Tétat  normal  ;  il  a  désappris  la  pratique  des  actes 
moteurs  de  la  marche  ordinaire.  Ils  sont  remplacés  chez  lui  par  les  mouve- 
ments anormaux,  pathologiques  que  nous  avons  essayé  de  décrire.  Et,  cepen- 
dant, contraste  frappant,  les  mousements  vulgaires,  non  étroitement  spécia- 
lisés des  membres  inférieurs,  tant  élémentaires  que  complexes,  —  comme 
lorsqu'il  s'agit  de  les  fléchir,  de  les  étendre,  de  les  diriger  vers  un  point 
déterminé,  de  se  tenir  debout  ou  encore  de  se  «  fendre  »,  comme  dans 
l'escrime, —  ces  mouvements-là,  dis-je,  ne  sont  nullement  aftectés,  ils  ont  con- 
servé toute  leur  force  et  toute  leur  précision. 

Il  y  a  plus,  et  c'est  ici  surtout,  que  la  singularité  du  syndrome  se  révèle 
dans  son  vrai  jour.  De  tous  les  modes  possibles  de  progression,  la  marche 
ordinaire,  normale,  vulgaire,  comme  vous  voudrez  l'appeler,  est  pour  ainsi 
dire  le  seul  qui  soit  intéressé  chez  notre  malade:  ainsi  je  lui  prescris  de  se 
déplacer  pour  se  rendre  d'un  point  à  un  autre  de  la  salle  du  cours  en  sautant 
à  pieds  joints,  ovi  encore  k  cloche-pied  et  \ous  voyez  qu'il  exécute  ces  actes 
complexes  prestement,  délibérément,  sans  que  ceux-cisoientlemoins  du  monde 
troublés,  à  aucun  moment,  par  l'intervention  intempestive  de  mouvements 
contradictoires.  Il  en  est  absolument  de  même  lorsqu'il  s'agit  de  marche?^  à 
quatre  pattes.  A  ce  propos,  notez  en  passant  que  lorsqu'il  est  debout,  il  peut 
fléchir  ses  genoux  pour  se  baisser  et  s'accroupir,  puis  inversement  les  étendre 
pour  se  redresser,  avec  la  plus  grande  aisance.  C'est  ici  le  lieu  de  vous  rappeler 
que,  tout  à  l'heure,  étant  couché  sur  le  ventre  il  a  exécuté  régulièrement  les 
mouvements  de -natation,  et  en  même  temps  nous  relèverons  par  contre,  que 
prié  par  nous  de  se  livrer  à  une  danse  qu'il  connaissait  fort  bien  autrefois,  la 
polka,  il  lui  est  impossible  comme  vous  voyez,  malgré  toute  la  bonne  volonté 
qu'il  y  met,  de  répondre  à  notre  désir. 

Mais  voici  maintenant  un  dernier  trait  bien  remarquable.  Notre  homme,  je 
le  répète  encore  une  fois,  ne  peut  pas  marcher  tranquillement,  posément, 
comme  tout  le  monde^,  c  est  bien  entendu,  vous  en  avez  été  témoins.  Eh  bien, 
depuis  hier,  à  la  suite  de  leçons  ad  hoc  qui  lui  ont  été  données  par  un  des 
élèves  du  service,  il  est  devenu  capable  de  marcher  à  grands  pas,  emphati- 
quement, à  la  manière  d'un  acteur  jouant  un  rôle  tragique.  C'est  ainsi  désor- 
mais qu'il  procède  dans  les  cours  de  l'hospice,  pour  se  rendre  d'un  bâtiment 
à  l'autre,  excitant,  chemin  faisant,  conformément  à  une  loi  bien  connue, 
l'hilarité  de  tous  ceux  qu'il  rencontre  (1). 


\.  Il  n'est  pas  hors  de  propos  d'indiquer  sommaire. iicnt  cerlaincs   anomalies  qui  s'observent 
chez  Ro..el,  dans  rcxéculion  de  certains  mouvements  des  membres  supérieurs  et  en  particulier 


—  350  — 

Qui  eût  pu  deviner,  Messieurs,  que  les  divers  mécanismes  relatifs  aux  mou- 
vements de  progression,  tel  f[uela  marche,  le  saut,  la  danse,  la  nage,  etc.,  etc., 
fussentaussiind(3pendantslcs  uns  des  autres  qu'ils  paraissent  l'ètred'après  ce 
qui  précède,  et  aussi  indépendants  d'un  autre  côté  de  ceux  qui  président  aux 
mouvements  vulgaires,  non  spécialisés  des  membres  inférieurs?  Un  pareil 
isolement,  une  seniblahle  autonomie  do  fonctionnements  en  apparence  aussi 
connexes  pouvait-il  être  prévu  à /3?7o?'i?  lividemment  non.  Que  les  choses 
sont  réellement  ainsi,  telle  est  cependant  la  conclusion  qui  s'impose  en  pré- 
sence des  faits  que  nous  venons  d'exposer  et  c'est  un  exemple  de  plus  à  citer 
parmi  ceux  qui  montrent  qu'une  analyse  clini([ue  délicate  a  souvent  le  pou- 
voir de  dégager  des  faits  physiologiques,  autrement  condamnés  à  rester  dans 
le  chaos.  Lorsque  la  démonstration  en  est  faite,  il  n'est  plus  aussi  difficile, 
sans  doute,  de  comprendre  comment  l'une  de  ces  fonctions  pourra  être 
dérangée  ou  même  complètement  supprimée,  alors  que  les  autres,  en  tout  ou 
en  partie,  continueront  à  s'effectuer  suivant  les  conditions  normales.  On  ne 
saurait  oublier  que  l'enfant  n'apporte  en  naissant  que,  la  prédisposition  à 
exécuter  les  mouvements  de  la  marche,,  et  que,  pour  arriver  à  opérer  régu- 
lièrement cet  acte,  il  lui  faut  un  long  apprentissage.  11  lui  faudra  ensuite  par 
une  éducation  nouvelle,  apprendre  à  sauter,  à  danser,  à  nager,  etc.,  etc., 
comme  il  lui  faudra  apprendre  à  écrire,  à  articuler  les  mots.  Tout  cela  ne 
s'acquerra  pas,  tant  sans  faut,  sans  travail  et  sans  efforts  ;  c'est  dire  anatomi- 
quement  et  pliysiblogiquement  qu'il  devra  organiser  dans  les  centres  nerveux 
pourchacunde  ces  groupesde  mouvemcntsspécifiés, systématisés,  différenciés, 

de  la  inain.  Le  inulaJe  exi'cule  pai'Iailcment  à  l'aide  de  ces  membres  et  spécialement  des  doifjls 
de  la  main  les  mouvements  prénéraux  qui  lui  sont  prescrits.  Pas  d'incoordination,  pas  de  tremble- 
ment dans  Taccomplissement  de  ces  actes.  Mais,  au  contraire,  lorsque  tenant  la  plume  il  veut 
écrire,  on  voit  qu'après  avoir  tracé  quelquesmots,  quelques  lignes  même,  parfaitement  lisibles  et 
régulières,  il  se  met  à  ne  plus  tracer  que  des  jambages  informes,  très  courts,  de  plus  en  plus 
rapprochés  et  qui  finissent  par  se  fusionner  en  une  ligne  tremblée.  11  est  à  remarquer  que  les 
premières  lignes  de  la  page  d'écriture,  et  les  premiers  mots  de  chaque  ligne,  ainsi  que  les  pre- 
mières lettres  de  chaque  mot  sont  d'une  manière  générale  les  mieux  tracés,  comme  si  chaque 
ligne,  chaque  mot,  étaient  pour  lui  un  nouveau  départ,  une  reprise.  Il  en  est  des  chiffres  et  des 
nombres  comme  de  récriture,  et  si  on  lui  fait,  sur  une  page,  dessiner  une  série  de  cercles  en 
lui  disant  do  s'efforcer  de  les  faire  tous  de  même  dimension,  on  s'aperçoit  qu'à  mesure  qu'ils 
se  multiplient,  ils  deviennent  malgi'é  lui  de  plus  en  plus  irréguliers  et  de  plus  en  plus  petits. 
Ce  désordre  moteur  relatif  à  récriture  nous  parait  différer  complètement  de  l'agraphie  apha- 
sique :  dans  celle-ci  il  y  a  perle  des  images  motrices  graphiques,  des  lettres  et  des  mots.  Le  sujet 
qui  d'ailleurs  a  conservé  dans  les  doigts  de  la  main  l'exécution  normale  de  tous  les  mouvements 
vulgaires,  a  perdu  précisément  et  exclusivement  la  mémoire  des  mouvements  qu'il  faut  faire 
pour  donner  leur  forme  aux  lettres  et  pour  les  assembler  sous  forme  de  mots.  Chez  notre 
malade,  au  contrait-e,  les  images  motrices  graphiques  subsistent  dans  toute  leur  intégrité,  ainsi 
que  cela  est  démontré  par  cette  circonstance  qu'il  est  capable  d'écrire  correctement  des  lignes 
entières, et  que,^  toujours,  le  commencement  des  lignes  est  parfait.  11  ne  s'agit  pas  non  plus  de 
la  crampe  des  écrivains  où,  après  qu'on  a  tracé  quelques  mots,  il  survient  dans  certains 
muscles  de  la  main  des  crampes  pénibles,  qui  font  qu'on  est  obligé  d'abandonner  la  plume. 


—  360  — 

autant  de  groupes  cellulaires  distincts,  où  résideront  désormais  les  «mémoires 
partielles  »  qui  présideront  à  l'accomplissement  de  chacun  de  ces  actes.  Que 
ces  groupes  cellulaires  dont  les  éléments  histologiques  doivent  être  agencés^ 
coordonnés,  en  vue  de  la  mise  enjeu  d'un  mécanisme  spécial,  constituent  véri- 
tablement autant  de  centres  fonctionnellementautonomes,  c'est  ce  que  démon- 
trent justement  les  cas  du  genre  de  celui  que  nous  avons  sous  les  yeux, 
puisqu'on  y  voit  un  de  ces  groupes  plus  ou  moins  profondément  atteint  sans 
qu'il  y  ait  participation  aucune  des  autres. 


II 

La  première  fois  que  j'ai  remarqué  ce  singulier  syndrome  que  nous  dési- 
gnerons, si  vous  le  voulez  bien,  sous  la  nom  à'abasie  —  incoordination  ou 
impuissance  motrice  relative  au  mécanisme  de  la  marche,  —  il  se  montrait 
combiné  à  Vastasie  —  incoordination  ou  impuissance  motrice  relative  à  la 
station  debout  —  qui  pendant  un  certain  temps  en  a  masqué  la  présence  (1). 
Vous  ne  devrez  pas  vous  attendre,  soit  dit  en  passant,  à  rencontrer  toujours 
dans  ce  domaine-là,  pas  plus  qu'ailleurs  du  reste,  des  formes  absolument 
pures,  des  types  parfaits. 

C'était,  je  crois,  en  1877.  11  s'agissait  d'un  jeune  garçon  jusque-là  parfaite- 
ment bien  portant  ;  il  était  tombé  malade  tout  à  coup,  en  conséquence  de 
l'émotion  qu'il  ressentit  un  jour  que,  dans  la  maison  d'éducation  où  il  faisait 
ses  études,  il  dut,  devant  Mgr  l'évéque  qui  la  visitait  à  l'occasion  de  je  ne  sais 
quelle  solennité,  réciter  quelques  vers  latins.  Au  sortir  de  la  cérémonie,  il  se 
coucha  avec  un  grand  mal  de  tête  et  éprouvant  un  grand  affaiblissement  dans 
les  membres  inférieurs.  Le  lendemain  matin, le  médecin  qui  fut  appelé  trouva 
l'enfant  sans  fièvre,  mais  dans  l'impossibilité  absolue  de  marcher  et  même  de 
se  tenir  debout  ;  cependant,  la  remarque  en  a  été  faite  expressément,  il  pou- 
vait,étant  au  lit, imprimer  à  ses  membres  tous  les  mouvements  possibles, avec 
la  même  force  et  la  même  précision  que  dans  l'état  normal.  Lorsque  le  jeune 
malade  me  fut  amené  je  constatai  également  que,  couché  au  lit  ou  assis,  la 
force  musculaire  et  la  coordination  des  mouvements  était  parfaitement  con- 
servées dans  les  membres  inférieurs  ;  d'ailleurs  pas  d'exagération  ni  d'aboli- 
tion des  réflexes,  aucun  des  symptômes  pouvant  révéler  une  h'sion  organique 
spinale.  Cependant  soulevé  hors  du  lit,  et  soutenu  par  deux  aides  dans  le 
but  de  l'aider  à  se  tenir  debout,  il  ne  savait  imprimer  à  ses  membres  que  des 


1.  Le3  termes  ahasie  et  aslasie  ont  été  pour  la  p^erT^i^l•e  fois  omployôs  dans  le  sens  où  nous 
les  prenons  ici  par  M.  Blocq,/4/'c/i.  de  îieurologie,n°*  43  et  44,  1888.  Us  lui  ont  été  suggérés  par 
M.  Girard,  membre  de  l'Institut. 


—  301  — 

mouvements  bizarres,  incoordonnés,  contradictoires  ;  il  se  laissait  «  traîner  » 
et  ne  pouvait  pas  marcher  :  la  station  debout,  lorsqu'on  l'abandonnait  à  lui- 
même,  était  d'ailleurs  impossible.  Je  le  fis  placer  dans  un  établissement  hydro- 
thérapi(pie  des  environs  de  Paris,  où  il  vécut  dans  l'isolement,,  séparé  de  sa 
famille.  Au  bout  d'un  mois  un  grand  changement  s'opérait  ;  l'enfant  ne  mar- 
chait pas  encore,  mais  il  pouvait  se  tenir  debout  et  progresser  en  sautant 
comme  nnn  pic,  à  cloche-pied,  tantôt  sur  une  jambe  tantôt  sur  l'autre  et  c'est 
ainsi  que, pendant  quinze  jours,  il  parcourait  toute  la  maison.  Il  pouvait  éga- 
lement marcher  à  quatre  pattes  et  grimper  même  sur  les  arbres.  A  la  fin  du 
deuxième  mois,  la  guérison  survint  tout  à  coup.  La  marche  redevint  soudain 
tout  à  fait  normale.  Ce  fut  comme  une  révélation.  Ce  fonctionnement  compli- 
qué qu'il  avait  désappris  depuis  deux  mois,  il  l'avait  réappris,  en  un  instant. 
Une  rechute  survint  quatre  ou  cinq  mois  après,  sans  cause  connue  ; 
l'impossibilité  de  se  tenir  debout  et  de  marcher  reparut  exactement  comme  la 
première  fois.  Cette  fois  la  maladie  n'a  duré  qu'un  mois.  La  guérison  depuis 
s'est  maintenue  définitivement. 

Ajoutés  à  cette  observation,  quelques  autres  faits  du  même  genre  que  j'ai 
observés  depuis,  sont  devenus  le  point  de  départ  d'une  étude  que  j'ai  publiée 
en  1883,  en  collaboration  avec  mon  élève  M.  Richer,  dans  le  premier  numéro 
de  la  Medlctnacontemporanea{n'^  1,  p.  6),  journal  dirigé  par  le  professeur  Sem- 
mola.  Ce  travail  a  pour  titre  :  Sur  une  forme  spéciale  d'impuissance  motrice 
des  membres  inférieurs,  par  défaut  de  coordination  relative  à  la  station  et 
la  marche.  C'est  le  premier  essai, si  je  ne  me  trompe,  d'une  description  régu- 
lière de  l'astasie  et  de  l'abasie,  fondée  sur  la  comparaison  d'un  certain  nom- 
bre d'observations  ;  mais  je  tiens  à  ne  pas  vous  laisser  ignorer  que  la  première 
mention  du  syndrome  se  trouve  dans  un  ouvrage  déjà  ancien  de  M.  le  profes- 
seur Jaccoud  intitulé  :  Pcrap  lé  g  ic  et  ataxie  du  mouvement  (1).  Là,  sous  la 
rubrique  :  Ataxie  par  défaut  de  coordination  automatique,  l'auteur  décrit  un 
trouble  moteur  consistant  en  ce  que  «  les  mouvements  sont  normaux  lors- 
«  qu'ils  sont  exécutés  dans  la  station  couchée  et  assise  ;  ils  ne  deviennent 
«  ataxiques  que  dans  la  station  debout  et  pendant  la  marche  ;  on  voit  alors 
«  des  contractions  involontaires  troubler  l'équilibre  ou  interrompre  l'harmonie 
«  de  l'acte  fonctionnel,  toutes  les  fois  que  la  plante  du  pied  touche  sur  le 
«  sol».  M. Jaccoud  semble  penser  qu'il  s'agit  ici  delà  mise  en  jeu  d'une  hyper- 
kinésie  morbide  de  la  moelle  par  le  contact  de  la  plante  du  pied  sur  le 
sol.  Cette  interprétation  ne  me  paraît  pas  tout  à  lait  fondée  et  je  crois 
même  que  les  cas  d'abasie  pure,  c'est-à-dire  ceux  dans  lesquels  la  station 
reste  normale,  la  plante  des  pieds  reposant  cependant  sur  le  sol,  suffisent 
pour  la  contredire  absolument.  Toutefois, si  la  théorie   n'est  pas  acceptable, 


1.  Paris  1864,  p.  G53. 


—  362  — 

la  description  du  complexus  symptomatique,toute  sommaire  qu'elle  soit, n'eu 
est  pas  moins  parfaitement  exacte  et  vraiment  saisissante. 

Après  cela,  j'ai  trouvé  dans  un  ouvrage  du  professeur  Weir-Mitchell,  de 
Philadelphie,  sur  les  maladies  du  système  nerveux  chez  la  femme,  publié 
en  1885  (1),  le  passage  suivant  :  «  La  malade  conserve  le  libre  usage  de 
«  ses  membres  quand  elle  est  couchée.  Mais, debout  ou  à  genoux,  l'absence  de 
«  coordination  se  manifeste  immédiatement.  La  malade  tombe  alors  d'un  côté, 
«  cherche  à  se  redresser,  tombe  en  conséquence  de  l'autre  côté...  Les  efforts 
«  dirigés  dans  le  but  de  rétablir  l'équilibre  dépassant  la  mesure,  il  semble  y 
«  avoir  défaut  dans  l'action  antagoniste  normale  des  muscles...  Cette  form.e 
«  d'incoordination  est  relative  seulement  aux  mouvements  complexes,  elle 
«  n'apparaît  pas  dans  les  cas  de  mouvements  vulgaires  des  membres  ;  la 
«  faiblesse  n'y  est  pour  rien,  car  la  malade,  assise,  montre  une  force  consi- 
«  dérable.  »  Evidemment  c'est  bien  de  notre  abasie  qu'il  s'agit  ici  et  l'auteur 
ne  manque  pas,  du  reste  ,de  différencier  le  syndrome  des  autres  formes  d'in- 
coordination motrice  avec  lesquelles  on  pourrait  le  confondre  et  en  particulier 
de  Tataxie  hystérique  décrite  par  Briquet  (2)  et  par  Lasègue  (3),  dans  laquelle 
le  trouble  moteur  est  sous  la  dépendance  immédiate  de  Tanesthésie  et  de  la 
perte  du  sens  musculaire  et  ne  s'observe  qu'alors  que  les  malades  sont  privés 
du  contrôle  de  la  vue. 

Je  suis  revenu  sur  cette  question  de  l'abasie  dans  mon  enseignement  de 
1883-84  à  propos  d'une  observation  intéressante  dont  je  reparlerai,  et  que 
vous  trouverez  exposée  et  discutée  dans  le  compte  rendu  de  mes  leçons 
cliniques  de  cette  année-là,  publiées  en  langue  italienne  par  le  regretté 
D""  Miliotti  (4).  Vous  lirez  également  avec  intérêt  quelques  faits  relatés  par 
le  D""  Erlenmeyer  dans  son  travail  sur  les  convulsions  statiques  réflexes,  lesquelles 
paraissent  se  rapporter  au  sujet  qui  nous  occupe  (5),  et  aussi  un  cas  fort 
intéressantquitrèscertainement  s'y  rapporte,  consigné  par  le  D'"  Romei  dans  la 
Gazettadegli  ospitali  en  1885  sous  le  nom  de  «  paraplégie  infantile  du  seul  acte 
de  la  marche  (6).  » 

Mais  le  travail  où  vous  trouverez  les  renseignements  les  plus  complets  sur 
la  matière  est  celui  que  mon  ancien  interne,  M.  le  D"*  Blocq,  a  écrit  pour  les 
archives  de  neurologie  de  l'an  passé.  Nous  y  trouvons,  en  outre  de  quelques 
observations    personnelles  à  l'auteur,  une    discussion    approfondie   et   une 


1.  Diseasesof  nei'v.  Si/st.  in  Women,  Philadelphie,  1885,  p.  39. 

2.  Traité  de  l'hystérie,  p.  477. 

3.  Etudes.  1. 11, p.  25. 

4.  Gharcol,  —  Lezioni  cliniche  dell  anno  scolastico  i883-i?4,  rcdallc  dal  Doit.   Dom.  Mlliolli 
Miliino,  188^j. 

5.  Erlenmeyer.  —  Ubrr  stulische  reflex  Krampf,  Loipsick,  iS8y.  p.  808. 

6.  S.  Roinol  Parapler/ia  infantile  net  solo  dlfo  dctla  ambulatione  {Gazetla  degli  ospitoli.  - 
1885,  no  70,  p.  005.) 


—  363  — 

excellente    mise  au    point  de   tous   les  documents   qui   se  rapportent  à  la 
question  (1). 

Tout  récomment,  ces  jours-ci  même,  M.  le  i)rofcsseur  Grasset  a  commencé 
à  faire  paraître  dans  le  MontpcUler  médical,  sur  un  cas  d'hystérie  mâle  avec 
astane-abasie,  une  série  de  leçons  qui  exciteront  certainement  un  vif  intérêt  (2). 


III 


Actuellement,  il  ne  sera  pas  hors  de  propos^  je  pense,  d'esquisser  à  gi*ands 
traits  quelques-uns  des  faits  principaux  de  l'histoire  de  Vastasie  et  de  l'abastp 
telle  qu'elle  peut  être  constituée  aujourd'hui  d'après  les  documents,  à  la  vérité 
peu  nombreux  encore,  qui  sont  en  notre  possession  :  soit  une  quinzaine 
d'observations  tout  au  plus. 

Je  rappellerai  en  premier  lieu,  l'absence  cheztousles  sujets  où  l'aflection  se 
présente  dégagée  de  complications,  d'une  altération  quelconque  dans  les 
membres  inférieurs,  des  divers  modes  de  la  sensibilité,  y  compris  le  sens  mus- 
culaire, des  réflexes  tendineux,  de  la  nutrition  des  muscles,  etc.,  etc.,  et 
surtout  l'absence  d'un  trouble  quelconque  dans  l'exécution  des  mouvements  de 
ces  membres,  tant  que  le  malade  est  couché  ou  assis.  C'est  seulement,  je  le 
répète,  loi'squ'il  se  lève,  ou  lorsqu'il  veut  se  mettre  en  marche  que  le  désordre 
se  manifeste;  souvent^  le  plus  souvent  peut-être,  la  station  et  la  marche  sont 
aflectées  simultanément  et  il  peut  arriver  par  conséquent,  lorsque  l'astasie  se 
montre  complète,  absolue,  que  Tabasie,  comme  je  le  faisais  remarquer  tout  à 
l'heure,  à  propos  d'une  observation  particulière,  reste  pendant  longtemps 
masquée,  dans  l'impossibilité  où  l'on  est  de  la  mettre  en  relief;  car,  cela  est 
clair,  l'impuissance  absolue  à  se  tenir  debout  entraîne  nécessairement  celle 
de  marcher.Mais  rabasie,au  contraire, peut  se  montrer  parfaitement  dans  son 
jour,  quand  J'astasie,  ce  qui  se  voit  fréquemment,  reste  incomplète.  Je  ne  crois 
pas  qu'il  existe  encore  une  seule  observation  dans  laquelle  les  mouvements 
spécifiés  pour  la  station  aient  été  seuls  affectés,  ceux  de  la  marche  restant 
parfaitement  indemnes.  Mais,  par  contre,  les  faits  d'abasie  isolée,  indépen- 
dante de  l'astasie^  ne  font  pas  défaut, bien  qu'ils  paraissent  rares,  et  justement 
notre  cas  d'aujourd'hui  peut  être  cité  comme  un  exemple  du  genre.  Après 
cela,  il  importe,  en  manière  de  contraste,  de  faire  figurer  au  premier  rang, 
dans  la  caractéristique  du  syndrome,  la  conservation  souvent  parfaite  du  sou- 
venir des  actes  moteurs  coordonnés  pour  le  saut,  la  danse,  la  nage_,  et  autres 

1.  De  l'astasie  et  de  1  abasie,  Arch.  de  neurologie  n»*  43-44,  \%S6, 

2.  Montpellier  médical  du  17  mars  1889,  n»  5. 

4<.f 


—  364  — 

groupes  de  mouvements  complexes  associés  en  vue  d'un  but  spécial  pouvant 
permettre  au  malade  de  se  déplacer,  de  se  transporter  comme  il  l'entend  d'un 
point  à  un  autre. 

Un  autre  fait  à  relever  maintenant,  c'est  que  malgré  l'unité  foncière  du  syn- 
drome, les  phénomènes  de  l'abasie  ou  de  l'astasie  ne  se  manifestent  pas  tou- 
jours dans  la  clinique  sous  le  même  aspect;  à  cet  égard  il  y  a  à  considérer 
un  certain  nombre  de  groupes  répondant  à  autant  de  types  symptomatiques 
distincts  les  uns  des  autres. 

a. .Je  signalerai  d'abord  les  cas  dans  lesquels  le  malade  qui,  couché,  exécute 
cela  est  bien  entendu,  avec  les  membres  inférieurs,  tous  les  mouvements  de 
Tétat  normal,  se  trouve,  lorsqu'il  veut  quitter  le  lit,  dans  l'absolue  impossi- 
bilité de  se  tenir  debout^  ne  fût-ce  qu'un  instant,  et  s'afïaisse  aussitôt  sur 
lui-même  ;  puis  immédiatement  après,  ceux  où,  soutenu  par  deux  aides,  il 
pourra  se  tenir  debout,  mais  dans  lesquels,  aussitôt  qu'il  s'agira  de  marcher, 
les  membres  resteront  accolés  l'un  à  l'autre,  sans  raideur  toutefois,  les  pieds 
ne  se  détachant  du  sol  qu'avec  peine.  On  dirait  alors  un  très  jeune  enfant  com- 
plètement inexpérimenté  encore  dans  l'exécution  du  mécanisme  de  la  marche 
qui,  soutenu  par  sa  nourrice,  s'exerce  gauchement  à  esquisser  ses  premiers  pas. 
Ces  faits-là  constitueront  ce  que  j'appellerai,  si  vous  le  voulez  bien,  le  groupe 
paralytique  ou  paré  tique,  suivant  le  cas  (astasie,  abasie  paralytique). 

Dans  les  cas  ci-dessus  mentionnés,  il  semble  que  la  fonction  spéciale,  mar- 
che ou  station  debout,  soit  purement  et  simplement  supprimée  ou  affaiblie, 
vraisemblablement  en  conséquence  d'une  action  d'inhibition  sommaire  ;  il  n'y 
a  pas,  à  proprement  parler,  perversion  des  actes  moteurs,  incoordination  mo- 
trice :  on  ne  voit  pas,  en  d'autres  termes,  les  actes  moteurs  complexes  mis  en 
cause, troublés  dans  leur  fonctionnement  par  l'intervention  de  mouvements  con- 
tradictoires. Il  n'en  sera  plus  de  même  dans  les  deux  groupes  qui  vont  suivre. 

6.  Chez  une  malade  à  la  fois  astasique  et  abasique  que  j'ai  observée  en 
1886  (1),  — les  mômes  faits  se  sont  reproduits  chez  plusieurs  autres  sujets  du 
même  ordre  que  j'ai  rencontrés  depuis  lors, —  la  station  debout  était  à  chaque 
instant  troublée  par  de  brusques  flexions  du  bassin  sur  les  cuisses  et  des  cuisses 
sur  les  jambes,  assez  analogues  à  ce  que  Ton  voit  se  produire  lorsqu'une  per- 
sonne se  tenant  raide  sur  ses  jambes  reçoit  à  l'improviste  un  coup  sec  sur  le 
creux  du  jarret  ;  cela  rappelait  fort  bien  aussi  ces  effondrements  {giving  way 
ofthe  legs)  qu'on  observe  si  fréquemment  chez  les  tabétiques  dans  la  période 
préataxique. 

Dans  la  marche  ces  troubles  atteignaient  leur  maximum.  En  efîet,  à  chaque 
pas  que  fait  la  malade,  dit  l'observation,  elle  se  baisse  et  se  redresse  alterna- 
tivement par  des  mouvements  brusques  et  rapides,  et  à  mesure  qu'elle  avance 


i.  M.  Blocq.  toc.  cif,,  observation  IX. 


—  365  — 

ces  secousses  se  montrent  de  plus  en  plus  violentes,  de  plus  en  plus  précipitées. 
Par  moments  il  semble  que,  en  raison  de  l'intensité  de  ces  mouvements,  elle 
soit  menacée  de  tomber  à  terre  ;  on  la  voit  alors  faire  quelques  pas  en 
arrière^  présentant  l'apparence  d'une  personne  qui  s'étant  butée  à  un  obstacle, 
chercheà  reprendre  son  équilibre.  Lessecousses  dont  il  est  question,  rythmées 
comme  restellc-mcme  la  marche  normale  dont  elles  ne  sunt,  si  l'on  peut  ainsi 
parler,  que  la  caricature  ne  consistent  pas  seulement  en  des  mouvements  suc- 
cessifs d'abaissement  et  de  redressement  du  tronc.  Si  on  cherche  à  les  ana- 
lyser, on  reconnaît  bientôt  ce  qui  suit  :  on  voit,  au  moment  même  où  la  malade 
se  baisse^  les  cuisses  se  fléchir  sur  les  jambes  et  le  tronc  se  fléchir  sur  le 
bassin,  la  tête  éprouvant  par  rapport  au  tronc,  un  mouvement  de  flexion  et  de 
rotation,  et  les-avant  bras  se  fléchissent  à  leur  tour  sur  les  bras.  Il  paraît  clair 
que  ce  sont  ces  mouvements  de  flexion  exagérés  et  brusques  des  membres 
inférieurs;,  substitués  à  ceux  de  la  marche  normale,  qui  menacent  à  chaque 
pas  l'équilibre,  occasionnent  les  mouvements  du  tronc,  de  la  tête,  des  membres 
supérieurs,  et  aussi  ces  mouvements  de  recul  qui  peuvent  être  considérés  jus- 
qu'à un  certain  point  comme  des  actes  de  compensation.  La  malade  en  ques- 
tion, comme  les  autres  du  même  groupe,  pouvait  sans  la  moindre  difficulté 
sauter  à  pieds  joints,  à  cloche-pied,  marcher  à  quatre  pattes,  etc.,,  etc. 

Sous  cette  forme  les  mouvements  anormaux  des  membres  inférieurs,  dans 
la  station  et  dans  la  marche, rappelleraient  assez  bien, en  raison  de  leur  ampli- 
tude, les  grandes  gesticulations  de  certaines  chorées  ;  mais  ils  s'en  distingue- 
raient immédiatement,  vous  l'avez  compris,  par  cette  circonstance  qu'on  les  ver- 
rait disparaître  aussitôt  que  la  malade  cesserait  de  se  tenir  debout  ou  de  mar- 
cher. Jamais  ils  n'apparaîtront  lorsque  la  malade  est  assise  ou  couchée.  Ils 
sont,  en  réalité,  exclusivement  liés  en  pareil  cas  au  mécanisme  de  la  station 
et  de  la  marche,  conformément  à  la  définition  de  l'astasie   et   l'abasie. 

Pour  distinguer  les  faits  de  ce  groupe,  je  proposerai  d'adopter  la  déno- 
mination d'abasie  choréiforme  (type  de  flexion). 

c.  Enfin  je  désignerai  souslenom  (Vahasie  Irépidante  la  forme  dans  laquelle 
la  marche  est  gênée  par  des  mouvements  d'exécution  contraditoire  qui  rai- 
dissent les  membres  inférieurs,  et  consiste  en  une  sorte  de  piétinement,  de 
trépidation  rappelant,  mais  avec  exagération,  ce  que  l'on  voit  dans  certaines 
paraplégies  spasmodiques.  Le  cas  qui  fait  l'objet  de  la  présente  leçon,  ainsi 
que  celui  qui  vient  d'être  publié  par  M.  le  professeur  Grasset,  peuvent  être 
cités  comme  des  types  du  genre. 

Je  ne  prétends  pas,  remarquez-le  bien,  que  la  classification  que  je  vous 
propose  d'adopter  en  ce  moment  épuise  tous  les  modes  possibles  de  l'abasie 
et  de  l'astasie  et  doive  être  considérée  comme  délinitivement  arrêtée.  Loin  de 
là,  je  ne  la  considère  que  comme  un  premier  essai,  un  plan  provisoire;  je 
n'ignore  pas  en  effet  que  sur  ces  matières  nous  n'en  sommes  encore,  à  beau- 
coup d'égards,  qu'à  la  période  des  études  préparatoires.  Mais  je  crois  avoir 


—  366  — 

indiqué  cependant  les  principaux  points  de  repère,  ou,  si  vous  voulez,  les 
grands  jalons  autour  desquels  viendront  se  grouper  naturellement  les  variétés 
sans  doute  fort  nombreuses  qui  pourront  se  piésenter  dans  la  clinique. 

!«.  Paralytique  ou  Parétique. 
(    4«>  Choréiforme. 
(b.  Ataxique  (avec  incoordination  \ 
motrice.)  (    ^°  Trépidante. 

Je  ne  crois  pas  qu'il  soit  nécessaire  d'insister  sur  les  caractères  qui  permet- 
tront de  distinguer  cliniquement  les  troubles  moteurs  abasiques  de  ceux  qui 
se  voient  dans  Tataxie  locomotrice,  la  paraplégie  spasmodique,  diverses  affec- 
tions choréiformes,  la  paraplégie  hystérique,  etc.,  etc.  Ce  sont  des  points 
que  nous  avons  d'ailleurs  touchés  un  instant,  chemin  faisant  ;  on  ne  saurait 
d'un  autre  côté,  confondre  l'abasie,  avec  les  diverses  formes  de  spasmes  fonc- 
tionnels ouprofessionnels,  comme  vous  voudrez  les  appeler,  qui  peuvent  occuper 
les  membres  inférieurs,  tels  que  spasmes  des  gens  qui  travaillent  à  la  machine 
à  coudre,  des  rémouleurs,  des  chorégraphes,  par  exemple.  On  ne  saurait  mécon- 
naître cependant  l'analogie  assez  étroite  qui  existe  entre  ces  deux  ordres  de 
faits  dans  lesquels  on  voit  des  mouvements  anormaux  apparaître  exclusive- 
ment à  l'occasion  de  l'exécution  d'un  fonctionnement  spécial.  Mais  il  suffira, 
pour  la  pratique,  de  remarquer  que  dans  l'abasie  il  n'y  a  pas  à  proprement 
parler  de  spasme  et  que  dans  certains  cas  même  c'est  un  état  paralytique  ou 
parétique  qui  est  en  jeu. 

Le  syndrome  abasie  s'observe  surtout  dans  le  jeune  âge,  entre  10  et  15  ans  ; 
mais  il  peut  se  présenter  aussi  chez  des  sujets  âgés  de  22  à  25  ans,  ou  beau- 
coup plus  tard,  à  l'âge  de  41  ans,  comme  chez  notre  malade  d'aujourd'hui  ; 
plus  tardivement  même  encore  à  l'âge  de  52  ans,  ainsi  que  cela  a  eu  lieu  dans 
une  des  observations  recueillies  par  M.  Blocq.  Le  sexe  mâle  paraît  être  affecté 
presque  aussi  fréquemment  que  le  sexe  féminin.  La  plupart  des  sujets  atteints, 
qu'ils  soient  jeunes  ou  vieux,  comptent  parmi  les  prédisposés  par  hérédité  à 
contracter  des  maladies  nerveuses.  Les  troubles  moteurs  abasiques  se  mani- 
festent d'ailleurs  chez  eux,  quelquefois  tout  à  coup,  en  conséquence  d'une 
cause  provocatrice  telle  qu'un  traumatisme  souvent  fort  léger,  dans  lequel 
l'ébranlement  psychique  l'emporte  de  beaucoup  sur  l'ébranlement  physique  ; 
ou  encore  dans  la  convalescence  d'une  maladie  aiguë  (}ui  a  profondément 
débilité  l'organisme,  d'une  fièvre  typhoïde  par  exemple,  des  suites  de  couches 
difficiles,  ou  encore  de  l'intoxication  par  l'oxyde  de  carbone  comme  cela  s'est 
fait  justement,  nous  le  dirons  tout  à  l'heure,  chez  le  malude  ici  présent. 

Quelquefois  l'abasie  s'associe  chez  le  malade  à  divers  stigmates  :  hémianes- 
thésie,  rétrécissement  du  champ  visuel,  etc.,  qui  révèlent  manifestement  l'exis- 


—  307  — 

tence  chez  lui  de  la  nr'îvrose  hystérique.  Mais  telle  n'est  pas  la  règle  et  bien 
qu'il  s'agisse  encore,  flans  ces  cas-hi,  fort  souvent  du  moins,  d'hystérie,  l'ataxie 
abasi(|ue  peut  se  montrer  isolée, àtitre  demanifostationmonosymptomatiquede 
la  névrose,  au  même  titre  que  les  divers  bruits  laryngés,  certaines  contractures 
et  tant  d'autres  phénomènes  du  même  genre.  Quoi  qu'il  en  soit  il  n'est  guère 
douteux  que  dans  la  grande  majorité  des  circonstances  l'abasie  relève  d'une 
lésion  purement  dynami(]ue.  Mais  il  faut  compter  sur  les  anomalies  possibles. 
S'il  est  vrai,  en  efTet,  comme  tout  porte  à  le  croire,  que  les  groupes  cellulaires 
divers  qui  président  aux  mouvements  spécifiés  pour  la  marche,  la  station,  le 
saut,  etc.,  constituent  dans  l'axe  cérébro-spinal  autant  de  centres  distincts  les 
uns  des  autres,  on  peut  concevoir  que  chacun  de  ces  groupes  puisse  être  plus 
ou  moins  gravement  intéressé  par  une  lésion  organique.  Mais,  comme  il  est 
vraisemidable  qu'en  pareil  cas,  la  lésion  ne  sera  pas  étroitement  localisée 
dans  tel  ou  tel  des  centres  en  question^  et  s'étendra  aux  parties  voisines,  on 
devra  s'attendre  à  la  voir  se  traduire  pendant  la  vie,  i)ar  un  ensemble  de 
phénomènes  complexes  parmi  lesquels  l'abasie  ne  jouant  peut-être  qu'un  rôle 
effacé,  pourra  être  difficile  à  reconnaître. 

Après  cet  exposé  sommaire  des  faits,  faut-il  vous  parler  de   théorie  ?  A  cet 
égard,  Messieurs,  nous   n'aurions  à   vous  offrir   que  des  vues  hypothétiques 
plus  ou  moins  vraisemblables  ;  rien  de   parfaitement   établi  ;  vous   trouverez 
d'ailleurs  les  considérations  que  j'ai  présentées  à  plusieurs  reprises  dans  mon 
enseignement  sur  cette  question-là,  développées  avec  talent  dans  le  travail 
de  M.  Blocq  (1).  Je  me  bornerai  ici  à  relever  que,   suivant  toute  probabilité, 
les  divers  appareils  relatifs  à  l'exécution  des  mouvements  de  la  station,  de  la 
marche,  du  saut,  etc.,  comportent  chacun  deux  centres  ou  groupes  cellulaires 
différenciés   dont  l'un  siège    dans    l'écorce    cérébrale,    tandis    que  l'autre 
réside  dans  la  moelle   épinière  ;  ces   deux  centres  étant  reliés  l'un  à  l'autre , 
bien    entendu,     par  des  libres  commissurales.   Le   groupe    spinal,   le  plus 
compliqué  des  deux,  sans  aucun  doute,  est   chargé   de  l'exécution  automa- 
tique, inconsciente  des  actes   coordonnés  pour  l'accomplissement  de  chaque 
fonction;  tandis  que  le  rôle   relativement  beaucoup   plus  simple  du  groupe 
cortical  consiste  dans  l'émission  volontaire  des  ordres  prescrivant   tantôt   la 
mise  en  jeu,  tantôt  l'accélération  ou  le  ralentissement,    tantôt  enfin   l'arrêt 
définitif  des  actes  exécutés  par  le  groupe  spinal  correspondant.  Dans  celui-ci, 
en  d'autres  termes,  réside  Isunthnob^e  psychologiquf'  des  actes  sommaires  qu'il 
faut  prescrire  soit   pour  mettre   en  jeu   l'appareil,    soit  pour  en   arrêter  le 
fonctionnement,  tandis   ([ue  la   mémoire  organiqui',  qui  préside  à  l'exécution, 
dans  tous  leurs  détails,  des  mouvements  prescrits  réside,  dans  celui-là.  Vous 
voyez  par  là  que,  dans  chaque   cas  particulier,  il  y   aura  à   se  demander  si 

1.  Bloeq,  loc  cit. 


—  368  — 

raffection  qui  vient  troubler  raccomplissement  du   fonctionnement  normal 
doit  être    cherchée   dans  l'encéphale  ou,   au  contraire,  dans  la  moelle. 

Je  compare  quelquefois  les  groupes  cellulaires  spinaux  relatifs  à  la  marche 
au  saut,  à  la  danse,  etc. ,  aux  rouleaux  hérissés  de  pointes  des  orgues  de  Barbarie  ; 
à  la  disposition  variable,  pour  chaque  rouleau,  ou,  pour  chaque  partie  d'un 
rouleau,  de  ces  pointes  qui  actionnent  les  flûtes,  correspondent  des  airs  diffé- 
rents ;  les  groupes  cérébraux,  corticaux,  seraient,  dans  cette  comparaison, 
représentés  par  les  ressorts  qu'il  suffit  dans  l'orgue  de  déplacer  d'une  certaine 
façon  pour  mettre  en  action  tel  ou  tel  rouleau  ou,  au  contraire,  pour  en 
suspendre  le  mouvement.  C'est  ainsi  que,  dans  la  marche  par  exemple,  le 
centre  spinal,  correspondant  au  jeu  de  ce  mécanisme  complexe,  une  fois 
activé  par  le  centre  cortical,  continuera  à  agir  «  automatiquement  »  jusqu'à 
ce  que  survienne  l'ordre  d'arrêt.  On  comprend  que,  dans  un  appareil  de  ce 
genre,  le  fonctionnement  vicieux  puisse  provenir  d'un  changement  survenu 
soit  dans  l'organe  de  la  mise  en  jeu,  soit  dans  l'organe  d'exécution.  Mais  je  ne 
veux  pas  insister  sur  cette  comparaison  qui  ne  saurait  avoir  d'autre  prétention 
que  de  vous  présenter  dans  une  image  aisée  à  concevoir  un  agencement 
de  faits  complexes  autrement  difficile  à  se  représenter  mentalement. 


IV 

Il  est  temps  d'en  revenir  maintenant  à  l'étude  du  cas  particulier  qui  fait 
l'objet  de  la  leçon  d'aujourd'hui.  Nous  avons  décrit  le  syndrome  à  propos 
duquel  le  malade  est  venu  nous  consulter  et  nous  avons  cherché  à  le  classer,  à 
le  catégoriser.  Il  convient  maintenant  de  vous  faire  connaître  les  circonstances 
au  milieu  desquelles  il  s'est  manifesté,  quel  a  été,  en  particulier,  dans  son 
développement,  le  rôle  de  l'intoxication  oxy-carbonée  qui,  ainsi  que  je 
vous  l'ai  (lit  en  commençant,  s'est  produit  antérieurement.  C'est  ce  que  nous 
rechercherons  tout  d'abord. 

Ro...el,  pour  le  moment  employé  à  l'imprimerie  Chaix,  gagne  environ 
6  francs  par  jour.  Il  occupe,  au  dernier  étage  de  la  maison  qu'il  habite,  une 
petite  chambre  placée  immédiatement  sous  les  toits,  sans  cheminée  et  qui  ne 
reçoit  l'air  ainsi  que  le  jour  que  par  une  croisée  à  tabatière.  Le  15  novembre 
dernier,  se  sentant  fatigué,  malade,  enrhumé,  il  rentra  chez  lui  de  bonne 
heure,  et  sur  un  réchaud  de  charbon  qu'il  alluma,  il  prépara  de  la  tisane. 
Après  l'avoir  bue,  comme  il  faisait  très  froid,  il  ferma  le  châssis  de  sa  fenêtre 
sans  avoir  pris  la  précaution  d'éteindre  le  réchaud,  puis  il  se  coucha  et  s'en- 
dormit... Trois  jours  après,  il  se  réveillait  dans  un  des  lits  de  l'Hôtel-Dieu, 
fort  étonné  de  s'y  voir. 

Vous  comprenez,  sans  qu'il  soit  nécessaire  d'insister,  ce  qui  s'est  produit  là; 


-  300  — 

il  y  a  eu  intoxication  oxy-carbonée  poussée  à  un  haut  degré.  Cependont, cette 
perte  de  conscience  prolongée  pendant  une  période  de  trois  jours,  peut-elle 
être  considérée  comme  a[)partenant  entièrement  au  coma  qui  relève  de 
l'asphyxie  par  la  vapeur  de  charbon  ?  Je  ne  le  crois  pas  :  cet  état  comateux 
autant  qu'on  sache,  ne  persiste  pas,  en  général,  pendant  plus  de  huit,  dix, 
douze  heures  après  lesquelles  on  en  guérit  ou  on^'en  meurt  ;  mais  il  peut  être 
suivi  par  un  état  d'amnésie  relevant, lui  aussi, de  l'intoxication  et  qui  a  été  dans 
ces  derniers  temps  étudié  avec  soin  par  quelques  auteurs,  en  particulier,  par 
MM.  de  Beauvais,  Bouchereau,  Briand  et  quelques  autres.  Cette  amnésie  qui, 
dans  certains  cas,  peut  avoir  le  caractère  rétrograde,  c'est-à-dire  faire  oublier 
au  malade  les  circonstances  qui  ont  préparé  l'asphyxie,  et  qui  peut  aussi  entraî- 
ner avec  elle  une  sorte  de  démence  temporaire,  s'étend  quelquefois  à  plusieurs 
semaines. 

Évidemment,  quelque  chose  de  ce  genre  s'est  produit  chez  notre  homme; 
nous  possédons  d'ailleurs  à  cet  égard  des  renseignements  significatifs.  Ainsi, 
un  jeune  garçon  de  sa  connaissance  ayant  été  le  troisième  jour  de  son 
séjour  à  l'hôpital,  le  voir  pour  prendre  de  ses  nouvelles,  il  lui  a  parlé  sans  le 
reconnaître,  et  a,  d'ailleurs,  complètement  oublié,  depuis,  la  visite  qui  lui 
avait  été  faite.  Il  n'a  conservé,  du  reste,  qu'un  souvenir  assez  vague  de  tout  ce 
qui  s'est  passé  les  quelques  jours  qui  ont  suivi.  C'est  donc  assurément  de 
l'amnésie  oxy-carbonée  qu'il  s'est  agi  ici  et  cette  amnésie  appartient  bien  et 
dûment  à  la  nosographie  de  ce  genre  d'intoxication.  Peut-on  en  dire  autant 
des  autres  accidents  nerveux,  et  en  particulier  de  l'abasie  qui  se  sont,  par  la 
suite,  produits  chez  notre  malade?  Il  n'en  est  rien,  pensons-nous,  mais  pour 
légitimer  cette  assertion  il  nous  faut  passer  rapidement  en  revue  les  diverses 
afïections  du  système  nerveux  qui  peuvent  être  considérées  comme  relevant 
directement  de  l'agent  toxique  oxy-carboné,  comme  créées  de  toutes  pièces 
par  son  action  délétère  sur  l'organisme. 

A  la  vérité,  nous  ne  sommes  pas  encore  parfaitement  renseignés  sur  tous 
les  points  qui  concernent  cette  question-là.  On  peut  tenir  cependant  pour  défi- 
nitivement acquis  les  faits  qui  suivent  :  dans  l'intoxication  par  l'oxyde  de 
carbone,  il  y  a  à  relever  des  accidents  immédiats  parmi  lesquels  figurent  le 
coma,  puis  l'amnésie  dont  il  a  été  question  tout  à  l'heure  ;  certaines  ancsthésies 
absolues  occupant  les  mains  et  les  pieds  dont  M.  le  D""  Brissaud  a  fait  une  inté- 
ressante étude  dans  sa  thèse  d'agrégation,  et  enfin  des  paralysies  périphériques 
dont  nous  devons  la  dopcription  aux  importants  travaux  de  MM.  Bourdon,  l'ini- 
tiateur  dans  la  matière  (l),Leudet  (2),  Rendu  (3),Lanrereaux  (4)  et  quelques 


1.  Bourdon.  Thèso  inaugurale  1843. 

2.  Leudet.    Arch.  gén.    de  médecine  1865,  puis,  travail  lu    à   l'Académie  de  médecine   1883 

3.  Rendu,  Société  médicale  des  Hôpitaux  13  janvier  1882. 

4.  Lancereaux,  Union  médicale  16  et  19  février  1889. 


—  370  — 

autres.  L'observation  communiquée  à  la  Société  médicale  des  hôpitaux  par 
M.  Rendu  est,  au  point  de  vue  clinique,  particulièrement  intéressante  à  con- 
sulter. Les  paralysies  en  question  sont,  tantôt  des  monoplégies,  comme  cela  s'est 
vu  dans  le  cas  de  M.  Litten,  récemment  publié  par  leProgrès  médical  (i)  ou  des 
hémiplégies  dans  lesquelles  il  peuty  avoir  participation  de  laface,  ainsi  que  cela 
avait  lieu  dans  l'observation  de  M.  Rendu.  Ce  sont,  en  tout  cas,  des  paralysies 
avec  flaccidité,  accompagnées  de  gonflement,  d'empâtement  des  parties 
molles,  de  coloration  rouge  ou  violacée  du  tégument,  des  altérations  décrites 
sous  le  nom  de  peau  lisse,  de  la  formation  de  bulles  pemphigoïdes,  de  vési- 
cules d'herpès  ou  d'autres  troubles  tiophiques  encore.  On  s'accorde  assez 
généralement  à  faire  dépendre  ces  paralysies  et  les  troubles  trophiques  con- 
comitants de  l'existence  de  névrites  périphériques.  Elles  paraissent  se  terminer 
à  peu  près  toujours  par  la  guérison  dans  un  court  espace  de  temps. 

Un  second  groupe  comprend  des  troubles  cérébraux  apparaissant  tardive- 
ment, à  longue  échéance^  un  mois  peut-être  après  l'accident  qui  a  déterminé 
l'asphyxie,  à  une  époque  où  le  sujet  paraissait  avoir  complètement  récupéré 
sa  santé.  On  voit  alors  à  celte  époque  survenir  inopinément  de  l'apathie,  de 
l'embarras  de  la  parole,  des  paralysies  motrices  des  membres  avec  ou  sans 
contracture;  plus  tard  de  la  stupeur  et  enfin  le  coma  précédant  la  termi- 
naison fatale.  Ces  accidents-là  ont  été  surtout  étudiés  en  Allemagne  (2).  Ils 
sont  la  conséquence  de  ramollissements  partiels  souvent  symétriques  de  la 
substance  cérébrale,  siégeant  plus  particulièrement  dans  les  noyaux  lenticu- 
laires et  dont  un  des  caractères  est  de  ne  pas  être  subordonné  à  une  lésion 
des  parois  artérielles. 

A  cela  se  bornent,  pour  le  moment,  nos  connaissances  précises  relative- 
ment aux  afïections  du  système  nerveux  qui  peuvent  survenir  en  conséquence 
de  l'intoxication  par  l'oxyde  de  carbone.  11  est  toutefois  une  maladie  nerveuse 
dont  on  pouvait  s'attendre  qu'elle  viendrait  un  jour  ou  l'autre  prendre  sa 
place  ici.  On  sait  aujourd'hui,,  par  de  nombreuses  observations,  comment  les 
intoxications, alcoolique  saturnine,  sulfo-carbonée,etc  peuvent  occasionner  le 
développement  de  la  névrose  en  question.  Il  était  à  prévoir  qu'il  en  serait  de 
même  de  l'intoxication  oxy-carbonée,  et  justement  notre  observation  pourra, 
si  je  ne  me  trompe,  être  citée  désormais  comme  un  exemple  du  genre.  Seule- 
ment, vous  avez  compris  que  l'hystérie  développée  en  pareille  cii'constance, 
ne  saurait  appartenir  à  la  nosographie  de  l'intoxication  par  l'oxyde  de  car- 
bone au  même  titre  que  les  amnésies,  les  paralysies  par  névrite  périphérique, 
ou  les  ramollissements  cérébraux  dont  nous  parlions  tout  à  l'heure  ;  de  ces 
dernières  affections,  on  peut  dire  qu'elles  relèvent  immédiatement  de  l'action 

i .  P.  130,  1889. 

2.  Voir  les  Iravaiix   de  Simon,  Arch.   fur  Psychiatrie,  t.  I;  Klebs.  Yirch.  Arch.  Bd.  32.  18C8; 
Volchen,  Berliner  Klein.  Woch. 


—  371    - 

exerc(3C  sur  l'organisme  par  l'agent  toxique  et  qu'elles  ont  véritablement  été 
créées  par  lui,  tandis  que  celui  ci,  dans  le  cas  de  l'hystérie,  ne  saurait  être 
considéré  que  comme  une  cause  occasionnelle  qui  [»rovoque  accidentellement, 
en  quelque  sorte  comme  le  ferait  par  exemple  un  traumatisme,  la  manifes- 
tation de  la  névrose  chez  un  sujet  prédisposé.  Les  amnésies,  les  paralysies 
en  question,  méritent  véritablement,  [>ar  conséquent,  d'être  qualifiées  du  nom 
d'oxy-carbonécs  pour  bien  marquer  la  dépendance  étroite  où  elles  sont  vis-à- 
vis  de  l'action  toxique,  tandis  que  l'hystérie,  pour  s'être  développée  à  la  suite 
et  en  conséquence  de  lintoxication,  n'en  conserve  pas  moins  son  individualité 
propre  et  son  indépendance:  elle  n'est  pas  pour  cela  modifiée  en  rien  d'essen- 
tiel ;  elle  reste  après  l'application  de  la  cause  toxique  ce  qu'elle  eût  été,  si  elle 
se  fut  développée  spontanément,  variable  dans  ses  formes,  mais  toujours  la 
même  au  fond. 


C'est  ici  le  lieu,  je  pense,  de  vous  faire  connaître  les  antécédents  tant  héré- 
ditaires que  personnels  de  notre  malade.  Ils  sont  les  uns  et  les  autres  parfaite- 
ment significatifs  ainsi  que  vous  allez  le  voir. 

Son  père  s'est  suicidé  par  pendaison.  Cela  a  été,  paraît-il,  un  suicide  par 
amour.  Il  était  adonné  aux  boissons  alcooliques  qu'il  prenait  fréquemment  en 
grand  excès.  Il  rentrait  souvent  ivre  à  la  maison  et  alors,  se  livrant  à  de  vio- 
lentes colères,  il  cassait  tout  chez  lui.  Devenu  veuf  il  s'amouracha  d'une 
femme  qui  l'abandonna  bientôt,  et  c'est  le  désespoir  que  lui  causa  cet  abandon 
qui  le  conduisit  au  suicide. 

Le  malade  connaît  mal  ses  parents  du  côté  paternel  ;  sur  leur  compte  il  ne 
peut  rien  dire  de  précis. 

Sa  mère  n'était  pas  nerveuse  ;  elle  est  morte  à  60  ans,  hydropique. 

Une  sœur  de  sa  mère  a  été  internée  à  l'asile  d'aliénés  de  Saint- Yon,  près 
Rouen.  Les  autres  oncles  ou  tantes  du  côté  maternel  ne  sont  pas  connus. 

Ro...el  a  eu  neuf  frères  et  deux  sœurs,  la  plupart  morts  en  bas-âge.  Il  ne 
lui  reste  plus  qu'un  frère.  Ce  frère  s'est  fracturé  plusieurs  fois  l'une  des  cuisses 
sous  l'influence  de  causes  banales,  insuffisantes  à  produire  de  tels  résultats 
dans  les  conditions  de  l'état  normal.  Il  éprouve  depuis  quelques  années  dans 
les  membres  inférieurs,  des  douleurs  très  violentes,  apparaissant  brusquement 
et  revenant  sous  forme  d'accès  :  parfois  si  ces  douleurs  le  prennent  pendant 
qu'il  marche,  les  jambes  fléchissent  tout  à  coup,  involontairement  et  il  est 
menacé  de  tomber  à  terre.  Il  n'est  guère  douteux  qu'il  s'agisse  là  d'une  afl'ec- 
tion  tabétique. 

Ce  frère  a  eu  six  enfants   dont   quatre  sont   morts  en  bas-àge.   L'une  des 

50 


—  372  — 

fillettes  qui  ont  survécu,  âgée  aujourd'hui  de  onze  ans  et  demi,  est  sujette  à 
des  crises  de  nerfs,  pendant  lesquelles  elle  se  débat  très  fort.  On"  dit  que  la 
première  crise  se  serait  produite  à  la  suite  d'une  peur  ? 

Il  ne  sera  peut-être  pas  hors  de  propos  en  manière  de  résumé  de  placer 
devant  vous  un  tableau  synoptique  où  vous  pourrez  embrasser  d'un  seul  coup 
d'œil  les  principaux  faits  de  l'histoire  pathologique  de  cette  famille,  où  la 
mort  prématurée  a  sévi  tant  de  fois,  et  dont  les  membres  qui  ont  survécu 
portent  avec  eux  pour  la  plupart  une  tare  nerveuse  plus  ou  moins  accentuée  : 


PÈRE 

Alcoolisme  —  Suicide  par  amour  (?) 
Pendaison. 

H  enfants  morts  en  bas  âge. 


MÈRE  Tante 

0  Aliénée  —  Internée  dans 

un  asile. 

Frère  Notre  malade 

Ataxique.  hystérique  abasique. 


6  enfants 
4  morts  en  bas  âge. 


1  fille 
hystérique. 


Les  antécédents  personnels  ne  sont  pas  moins  riches  de  faits  intéressants. 

Etant  enfant,  vers  l'âge  de  5  ans  Ro...el  eut  une  nuit,  pendant  son  sommeil 
—  j'expose  ici  son  propre  récit  —  «  une  grande  peur  ».  Il  se  vit  en  rêve,  cou- 
ché au  pied  d'un  mur  élevé  qui  se  présentait  à  sa  gauche.  Il  était  étendu  sur 
le  dos  et  regardait  avec  étonnement  cette  muraille  qui  lui  paraissait  énorme, 
lorsque  tout  à  coup  par-dessus  la  crête  il  aperçut  l'extrémité  d'une  échelle 
dressée  de  Tautre  côté.  Sur  l'échelle  se  présenta  un  homme,  au  visage  ensan- 
glanté, portant  dans  ses  mains  un  pavé  énorme  qu'il  lui  laissa  lomber  sur  la 
tête...  Le  malheureux  enfant  se  réveilla  en  sursaut,  tout  épouvanté.  A  partir 
de  cette  époque,  pendant  une  longue  période  de  huit  ou  dix  ans,  presque  toutes 
les  nuits,  ce  même  cauchemar  se  reproduisit  toujours  à  peu  près  à  la  même 
heure,  avec  une  régularité  presque  mathématique.  A  peine  Ro...el  s'était-il 
endormi  que  la  muraille  se  dressait  sur  sa  gauche,  puis  apparaissait  l'échelle, 
puis  l'homme  à  la  face  couverte  de  sang,  et  enfin  le  pavé  venant  frapper  sa 
tête  :  à  ce  moment  là,  il  se  réveillait  poussant  des  cris  affreux,  et  sa  mère 
accourait  pour  le  tranquilliser.  J'appelle  votre  attention  sur  ces  rêves  terri- 
fiants, reproduisant  toujours  la  même  scène,  stéréotypés  en  quelque  sorte, 
qui  viennent  parfois  avec  une  régularité  implacable  troubler  le  sommeil.  On 
les  voit  figurer  souvent  chez  les  enfants  issus  de  nerveux  cl  qui  ont  été  eux- 
mêmes,  plus  tard,  victimes  de  maladies  nerveuses  diverses. 

A  partir  de  l'âge  de  14  ans,  il  est  devenu  sujet  à  des  migraines  qui  le  font 
beaucoup  souffrir  et  qui  reviennent  à  peu  près  tous  les  dix  ou  quinze  jours. 
Elles  ne  durent  pas  plus  de  vingt-quatre  heures. 


—  'M'A  — 

C'est  un  homme  intelligent;  bien  qu'il  n'ait  fréquenté  l'école  que  jusqu'à 
l'âge  de  15  ans,  il  s'est  acquis  une  certaine  instruction.  Il  a  même  des  goûts 
littéraires  assez  élevés,  et  certaines  tendances  poétiques,  surtout  dans  le  genre 
élégiaque.  Dans  sa  petite  bibliotli(';que,  figurent  les  œuvres  de  Chateau- 
briand, de  Molière,  de  Lamartine,  et  surtout  d'ilégésippe  Moreau,  dont  il 
aime  à  apprendre  par  cœur  certaines  tirades. 

Il  est  timide,  impressionnable,  craintif  ;  d'une  complexion  délicate.  Il  a  dû 
quitter  presque  aussitôt,  après  l'avoir  embrassée,  la  profession  de  serrurier  en 
bâtiments,  parce  que  le  métier  était  trop  dur  pour  lui  et  que,  d'ailleurs,  il 
était  sujet  à  éprouver  de  terribles  vertiges  lorsque  travaillant,  à  une  certaine 
hauteur,  il  devait  passer  sur  une  planche  étroite.  C'est  à  partir  de  ce  moment- 
là  qu'il  a  commencé  à  travailler  dans  une  imprimerie 

C'est  un  original,  vivant  assez  retiré.  11  est  célibataire  et  paraît  n'avoir 
jamais  eu  l'envie  de  se  marier. 

Malgré  tous  ces  indices  qui  accusent  suffisamment  ses  tendances  neuropa- 
thiques,  il  n'avait  jamais  été  véritablement  malade,  lorsqu'il  y  a  trois  ans  il 
éprouva  un  profond  chagrin  qui  «  remua  tout  son  être  ».  Son  meilleur  ami, 
celui  chez  lequel  il  avait  placé  toute  son  afîection,  toute  sa  confiance  et  qu'il  con- 
sidérait comme  le  plus  honnête  homme  du  monde, fut  surpris  en  flagrant  délit 
de  vol  et  condamné  à  deux  ans  de  prison.  A  la  suite  du  choc  moral  qu'il  res- 
sentit ^ans  cette  circonstance,  sa  santé  fut  complètement  bouleversée  ;  depuis 
lors,  dit-il  «je  ne  suis  plus  le  même  homme  qu'autrefois  ».  De  fait  il  est  devenu 
morose  et  cherche  la  solitude.  Souvent  le  soir,  lorsqu'il  rentre  chez  lui  après 
son  travail,  il  sesentenvahi  par  une  grande  tristesse  et  éprouve  un  malaise  indé- 
finissable. «  Je  sens  alors  mon  cœur  qui  se  serre^  dit-il,  je  me  sens  suffoqué, 
puis  tout  à  coup  je  pleure  abondamment,  après  quoi  je  me  sens  soulagé.  »  Ces 
espèces  de  crises  le  prennent  fort  souvent  ;  il  lui  arrive  journellement  de 
pleurer,  à  la  moindre  émotion.  «  Quand  j'entends  lire  un  passage  pathétique, 
je  me  mets  à  sangloter  ». 

A  ces  troubles  divers,  il  faut  ajouter  un  sentiment  de  grande  faiblesse  ;  il  est 
devenu  apathique^,  sans  entrain,  sans  courage  et  travaille  lentement. 

Il  y  a  quelques  mois,  un  jour  qu'il  traversait  une  place,  il  fut  pris  du 
malaise  dont  il  a  été  question  tout  à  l'heure^  puis  de  sufTocation.  Bientôt  sa 
vue  se  troublaetil  s'affaissa  sans  connaissance.  On  dut  le  transporter  chez  lui. 
Lorsqu'il  reprit  ses  sens,  il  pleura  abondamment  et  la  crise  cessa.  Ces  atta- 
ques avec  perte  de  connaissance  n^ont  pas  reparu  depuis  cette  époque.  Mais 
il  est  toujours  resté  fort  sujet  à  ces  accès  de  tristesse  et  à  ces  «  petites  crises 
de  nerfs  »  pendant  lesquelles  il  suffoque  et  verse  des  torrents  de  larmes. 

Telle  était  la  situation,  lorsque  survint  l'asphyxie  du  15  novembre.  Nous  en 
sommes  restés,  vous  ne  l'avez  pas  oublié,  dans  l'exposé  des  suites  de  cet  acci- 
dent, au  moment  où  le  malade,  après  une  période  amnésique  que  nous  avons 


—  374  — 

considérée  comme  relevant  de  l'intoxication  par  l'oxyde  de  carbone,  revient 
définitivement  à  lui. 

Il  s'aperçoit  alors  qu'il  portait  sur  chacune  des  jambes,  à  la  partie  externe 
des  mollets,  une  brûlure  profonde,  produite  par  l'action  de  sinapismes  quilui 
avaient  été  appliqués  pendant  la  période  comateuse.  Ces  brûlures  avaient 
été  recouvertes  d'un  pansement  fixé  à  l'aide  d'un  certain  nombre  de  tours  de 
bande.  Or  il  raconte,  remarquez  bien  cela,  qu'à  la  vue  de  ces  plaies  larges  et 
profondes,  qui  guérissaient  difficilement  et  des  pansements  qui  les  recou- 
vraient, il  lui  vint  dans  l'esprit  que  peut-être  il  en  avait  pour  toute  sa  vie,  et 
qu'il  était  fortement  menacé  de  ne  plus  pouvoir  marcher.  «  J'avais  la  tête 
très  faible^  dit-il,  en  ce  moment  et  nuit  et  jour  j'étais  obsédé  par  cette  idée 
que  je  ne  pourrais  plus  marcher.  C'était  devenu  une  idée  fixe.  » 

Cependant  il  commença  à  se  lever  le  deuxième  jour  après  l'accident,  et  il 
put  se  promener  un  peu  dans  les  salles  de  Thùpital.  Mais  il  se  sentait  très 
faible  des  jambes  et  il  y  éprouvait  une  certaine  raideur.  Néanmoins,  cinq 
jours  après,  il  put  quitter  l'hôpital  et,  les  jours  qui  suivirent,  bien  que  ses 
«  mauvaises  idées  »  lui  revinssent  de  temps  en  temps,  il  se  sentait  un  peu  ras- 
suré sur  les  suites  de  son  asphyxie,  en  voyant  qu'il  était  capable  de  faire,  sans 
trop   de  peine,  d'assez  longues  courses. 

Mais  voilà  qu'un  certain  jour, le  10  décembre  1888  —  l'asphyxie  avait  eu  lieu 
vingt-cinq  jours  auparavant  —  il  se  rencontre  dans  la  rue,  sur  un  trottoir,  face 
à  face,  avec  un  homme  qui  marchait  en  sens  inverse.  Il  s'arrêta  tout  à  coup 
et  se  détourna  pour  lui  livrer  passage  *  mais  quand  il  voulut  reprendre  sa 
route,  il  s'aperçut,  non  sans  en  éprouver  une  grande  émotion,  qu'il  lui  était 
devenu  impossible  de  marcher  «comme  tout  le  monde  ».  Il  piétinait  sur  place 
absolument  comme  il  le  fait  aujourd'hui.  Gela  ne  dura  cette  fois  que  quelques 
secondes  ;  mais  les  jours  suivants  le  même  phénomène  se  reproduisit  de  temps 
à  autre,  d'abord  seulement  à  Toccasion  de  la  rencontre  d'un  obstacle,  puis 
spontanément,  sans  cause  apparente.  Cette  difficulté  à  marcher,  ces  tressau- 
tements  sur  place,  ces  trépidations  se  répétèrent  de  plus  en  plus  fréquemment 
et_,  en  fin  de  compte,  Ro...el  devint  absolument  incapable,  à  un  moment  donné, 
de  sortir  dans  la  rue  sans  le  secours  d'un  aide.  Bientôt,  l'abasie  trépidante 
telle  que  nous  l'avons  décrite  en  commençant  était  définitivement  constituée  ; 
elle  s'était  établie  en  quelque  sorte  en  permanence  et  c'est  alors  (jue  le  malade 
s'est  présenté  à  la  Salpêtrière  pour  im[)lorer  notre  secours. 

Je  n'ai  pas  voulu  omettre,  Messieurs,  dans  ce  récit,  un  seul  des  incidents, 
quel([ue  insignifiants  qu'ils  aient  pu  vous  paraître,  qui  se  sont  produits  chez 
notre  homme  à  partir  du  jour  où  a  eu  lieu  l'asphyxie.  Par  là  j'ai  voulu  vous 
mettre  à  môme  d'apprécier  par  vous-même  le  rôle  éminent  ([u'adû  jouerchez 
lui  l'élément  «  psychi([ue  »,  dans  le  développement  des  symptômes  abasiques. 

N'oubliez  pas  les  précédents  :  à  l'origine  des  choses,  tares  héréditaires  névro- 


-  Mo  ^ 

pathiques  foii  accentuées  ;  les  dispositions  nerveuses  du  sujet  se  révèlent  en 
conséquence  dès  l'enfance,  par  des  [>hénornènes  d'ordre  pathologique  à  savoir 
les  terreurs  nocturnes,  les  cauchemars  persistant  durant  plusieurs  années 
et  par  ces  tristesses  sans  motifs,  ces  attendrissements  faciles,  ces  tendances 
poétiques  même  qui,  sans  dépasser  les  limites  de  l'état  physiologique,  mar- 
quent cependant  un  acheminement  vers  les  frontières  de  la  maladie.  Ces  fron- 
tières sont  décidément  franchies  à  la  suite  du '<  chagrin  de  cœur  >>  qu'il  a 
ressenti  si  vivement  il  y  a  trois  ans  et  qui  Ta  si  profondément  ébranlé  à  la 
fois  physiquement  et  moralement.  Alors  l'état  morbide  s'est  décidément  cons- 
titué et  la  forme  névropathique  qu'il  a  revêtue  n'est  point  difficile  à  caracté- 
riser :  crises  de  sutTocation  suivies  de  larmes,  revenant  presque  tous  les  jours 
et  éclatant  au  milieu  d'accès  de  tristesse  profonde  qui  le  portent  à  recher- 
cher la  solitude,  et  pendant  lesquels,  fréquemment,  il  éclate  en  sanglots.  Une 
fois  se  produit  une  véritable  attaque  de  nerfs  précédée  d'aura  et  accompa- 
gnée de  perte  de  connaissance. 

Il  n'est  pas  nécessaire  d'insister  ;  évidemment,  bien  qu'il  n'y  ait  point  là  de 
stigmates,  pas  d'anesthésies  sensorielles  ou  sensitives,  pas  de  plaques  hypé- 
resthésiques,  c'est  la  névrose  hystérique  qui  est  en  jeu. 

C'est  au  milieu  de  ces  circonstances,  en  quelque  sorte  préparatoires,  que 
l'intoxication  oxy-carbonée,  en  produisant  dans  cet  organisme  déjà  si  forte- 
ment ébranlé  une  perturbation  plus  profonde  encore  des  centres  nerveux,  est 
venue  fournir  en  quelque  sorte  le  dernier  appoint  ;  c'est  alors,  dans  la  conva- 
lescence de  la  maladie  toxique,  que  sont  apparus  les  symptômes  abasiques 
qu'il  faut  considérer  maintenant  comme  relevant  non  pas  de  l'intoxication 
mais  bien  de  la  diathèse  hystérique  dont  ils  sont,  cela  est  vrai,  une  manifes- 
tation rare,  peu  connue  encore,  mais  parfaitement  caractérisée,  cependant, 
nosograp  hiquement . 

On  peut  aller  plus  loin,  pensons-nous,  et  chercher  à  pénétrer,  jusqu'à  un 
certain  point  du  moins,  le  mécanisme  suivant  lequel  ce  singulier  syndrome 
s'est  produit,  et  pourquoi  c'est  celui-là  qui  est  apparu  de  préférence  à  toute 
autre  détermination  hystérique. 

N'oubliez  pas  que  notre  malade  était  déjà,  avant  l'asphyxie,  sous  le  coup  de 
la  diathèse  hystérique  et  remettez-vous  en  mémoire  les  caractères  que  pré- 
sentait son  état  mental  au  moment  où  sortant  du  coma  d'abord,  puis  après 
cela  de  l'amnésie  toxiques,  il  a  repris,  à  peu  près  mais  bien  imparfaitement 
encore  sans  doute,  la  possession  de  lui-même.  X'était-il  pas  psychiquement 
dans  des  conditions  particulièrement  favorables  soit  aux  «suggestions» venant 
du  dehors,  soit  aux  «  autosuggestions  »,  au  même  titre  que  les  prédisposés 
à  la  suite  d'un  ébranlement  traumatique,  collision  de  chemin  de  fer,  ou  tout 
autre.  «  J'avais  la  tête  très  faible  »,  dit-il  en  rappelant  les  souvenirs  de  cette 
époque;  j'ai  cru  en  me  sentant  si  déprimé  et  en  voyant  les  grandes  plaies  qui 
couvraient  mes  jambes  et  ne  guérissaient  point  que,  désormais,  je  ne  pouvais 


—  370  — 

plus  marcher  ;  c'était  chez  moi  comme  une  ide'e  fixej'y  pensais  nuit  et  jour.» 
D'ailleurs  la  douleur  produite  par  les  plaies,  la  gêne  et  le  sentiment  de  cons- 
triction,  occasionnés  par  les  appareils  de  pansements,  semblaient  à  chaque 
instant,  avec  la  faiblesse  réelle  des  membres  inférieurs,  venir  corroborer  cette 
idée  qui,  au  moment  où  le  hasard  lui  a  fait  dans  la  rue  rencontrer  un  obstacle, 
a  pris  chez  le  malade  le  caractère  d'une  image  «  forte  »  et  s'est  objectivée  sous 
la  forme  de  l'abasie.  C'est  là  en  somme,  vous  le  reconnaissez,  le  mécanisme 
que  nous  avons  bien  des  fois  invoqué  pour  expliquer  le  développement  de 
ces  «paralysies  i^sy  chiques  »  ^«  dépendent  on  Idea»  comme  les  appelle  Reynolds, 
qui,  chez  les  sujets  doués  des  aptitudes  morbides  que  confère  la  diathèse 
hystérique,  se  produisent  en  conséquence  d'un  ébranlement  traumatique,  d'une 
émotion  vive  ou  encore  d'une  préoccupation  obsédante. 

Mais,  me  direz-vous,  pourquoi,  dans  un  cas,  est-ce  l'abasie  qui  se  manifeste, 
tandis  que  dans  un  autre  ce  sera  la  paraplégie  avec  le  concours  des  troubles 
plus  ou  moins  accentués  de  la  sensibilité  qui  en  général  l'accompagne?  A  cela, 
je  suis  obligé  de  l'avouer,  je  me  vois  fort  embarrassé  de  répondre  catégori- 
quement. Peut-être,  veuillez  le  remarquer,  n'y  a-t-il  pas  si  loin  de  la  para- 
plégie hystérique  totale,  qui  embrasse,  et  annihile  pour  un  temps  tous  les 
modes  d'activité .  motrice  et  sensitive  des  membres  inférieurs,  à  l'abasie  qui 
par  une  sorte  d'analyse  ou  de  dissection,  comme  vous  voudrez  dire,  n'attaque 
et  ne  compromet  que  ceux  des  mouvements  de  ces  membres,  qui  sont  spécia- 
lisés pour  un  genre  particulier  de  fonctionnement  :  la  marche.  Je  relèverai 
d'ailleurs,  et  c'est  par  là  que  je  terminerai,  que,  chez  les  sujets  capables 
d'entrer  dans  le  grand  hypnotisme,  on  peut,  ainsi  que  Fa  rappelé  M.  Blocq 
dans  son  intéressant  travail,  produire  expérimentalement,  pour  ainsi  dire  à 
volonté,  suivant  la  nature  de  l'injonction,  tantôt  l'abasie  et  tantôt,  au  con- 
traire,, la  paraplégie  complète.  D'après  les  résultats  obtenus  dans  ces  expé- 
riences, il  y  a  lieu  de  penser,  dit  M.  Blocq  —  et,  à  cet  égard,  je  suis  complè- 
tement de  son  avis  — qu'en  pareil  cas  l'injonction  «  tu  ne  peux  plus  marcher» 
suggère,  chez  le  sujet,  l'idée  d'une  impuissance  motrice  complète,  portant  sur 
l'ensemble  des  mouvements  des  membres  inférieurs,  et  de  fait  se  manifestant 
])ar  une  paraplégie  plus  ou  moins  absolue  ;  tandis  que  la  sentence  «  tu  ne  sais 
plus  marcher»  suggérera  seulement  l'idée  d'une  impuissance  relative,  limitée 
aux  mouvements  de  la  marche  et  dont  l'incoordination  abasique  sera  en 
quelque  sorte  la  traduction  clinique.  C'est  ainsi  que  dans  ce  domaine  où  l'élé- 
ment psychique  d'idéation  joue  évidemment  un  rôle  considérable,  à  des  varia- 
tions à  peine  accentuées  qui  nous  paraissent  représenter  des  nuances  fort 
délicates,  répondront  peut-être,  dans  la  réalisation  objective,  des  phénomènes 
en  apparence  séparés  par  des  différences  radicales. 

J'en  viens  maintenant  à  ce  qui  concerne  le  pronostic  :  à  en  juger  par  ceque 
nous  savons  de  l'histoire  naturelle  de  l'incoordination  motrice  abasique,  notre 


-  377  — 

homme  doit  guérir  et  pout-<Hre  guérira-t-il  promptomont:  je  craignais  même, 
je  vous  l'avoue,  ces  jours-(ù,  que  cette  heureuse  solution  ne  se  manifestât  trop 
rapidement,  avant  la  leçon,  de  telle  sorte  que  j'aurais  été  ainsi  privé  du  plaisir 
de  vous  rendre  témoins,  de  visu^  d'un  syndrome  fort  original  et  qui  du  reste 
paraît  être  assez  rare.  C'est  qu'en  effet,  il  s'agit  ici  d'une  lésion  purement 
dynami([ue,  car  rien  ne  permet  de  supposer  que,  par  exception,  l'ahasie  relève 
chez  lui  d'une  lésion  organique.  Il  bénéficiera  donc  du  caractère  purement 
hystérique  de  l'affection,  et,  laissant  de  côté  les  réserves  qu'il  convient  tou- 
jours de  faire,  en  pareille  matière,  surtout  quand  il  s'agit  de  l'homme  —  je 
le  répète  une  fois  de  plus  devant  lui,  dans  l'espoir  qu'il  appréciera  l'impor- 
tance de  ce  verdict  favorable  :  il  guérira. 

Il  guérira,  vous  l'entendez  bien, de  l'accident  local,  du  syndrome;  je  ne 
parle  pas  ici  pour  le  moment  de  la  maladie  tout  entière. 

Qu'allons-nous  faire  pour  l'y  aider?  Les  toniques  et  l'hydrothérapie  con- 
tribuerontà  relever  lesforccs  prostrées. Simultanément,  contre  l'accident  déter- 
miné par  «  auto-suggestion  »  nous  emploierons  «  la  suggestion  »  de  sens  con- 
traire, soit  à  la  faveur  de  l'hypnotisation  si  celle-ci  est  praticable,  soit,  s'il  en 
est  autrement,  tout  simplement  à  l'état  de  veille,  et,  dans  ce  dernier  cas, 
après  que  le  malade  aura  été  pleinement  rassuré  sur  l'issue  des  événements, 
il  s'agira  surtout,  vous  l'avez  compris,  de  le  rééduquer,  de  lui  apprendre  à 
nouveau  ce  qu'il  a  désappris.  Et,  pour  en  venir  là,  nous  ferons  tous  nos  efforts 
pour  réveiller  chez  lui,  par  tous  les  moyens  possibles,  la  représentation 
mentale, à  la  fois  visuelle  et  motrice,  des  mouvements  de  la  marche  normale. 


•oco.  deiaSoo.  daTyo.    -   T^oiiet.      8.  r.  Camya^i-.e  Prainiira.  l'an*. 


Policlinique  du  Mardi  12  Mars  1889 


DIX-SEPTIÈME  LEÇON 

l^'^    Malade.   —    Nouvel    examen    du    malade   atteint   d'abasie 

trépidante  présenté  dans  la  dernière  leçon. 
2^   Malade.  —  Chez   une  femme  :  paraplégie  alcoolique  avec 

rétractions  fibro -tendineuses. 
3'  et  4^  Malades.  —  Hystérie  et  dégénérescence  chez  Thomme. 


Messieurs, 

Je  vous  présente  de  nouveau  le  sujet  atteint  d'abasie  trépidante,  qui  a  fait 
l'objet  de  la  leçon  de  mardi  dernier.  Cet  homme  guérira,  vous  disais-je. 
ou,  pour  parler  plus  exactement,  les  troul)les  abasiques  qui  font  son  tour- 
ment disparaîtront  rapidement,  très  rapidement  peut-être  et  même  j'expri- 
mais devant  vous  la  crainte  qu'ils  ne  disparussent  un  peu  trop  tôt,  de  façon 
à  vous  priver  de  l'avantage  de  les  étudier  à  loisii',  de  visu.  Eh  bien,  Messieurs, 
nos  prévisions  se  sont  on  grande  partie  réalisées,  car  aujourd  hui,  ainsi  que 
vous  pouvez  le  constater,  et  cela  date  de  quelques  jours  déjà,  notre  homme 
peut  marcher  normalement  ou  peu  s'en  faut  ;  la  propulsion  trépidante 
ayant  à  peu  près  complètement  disparu. 

Veuillez  remarquer  toutefois  que  lorsqu'il  se  met  à  marcher,  il  y  a  au  départ 
encore  pas  mal  d'hésitation  et  que  lorsqu'il  veut  tourner  sur  lui-même  on 
voit  reparaître  à  un  certain  degré  cette  trépidation  qui  autrefois  s'étendait 
à  tous  les  mouvements  de  la  marche.  Elle  se  manifeste  encore  lorsque,  pen- 
dant qu'il  marche,  on  vient  inopinément  le  pousser  par  derrière.  En  somme, 
le  résultat  observé  n'est  pas  encore  absolument  parfait  puisque  le  trouble 
moteur  se  retrouve,  à  un  certain  degré,  dans  certains  actes  relatifs  à  la 
marche  ;  mais  ce  qui  est  obtenu  déjà  se  perfectionnera  rapidement,  je  l'espère, 
et  peut-être  pourrai-je  dans   quelques  jours  vous  montrer  le  malade  compté- 


—  380  — 

tement  débarrassé  de  ces  troubles  de  la  marche  qui,  jusqu'à  aujourd'hui, 
n'avaient  pas  cessé  même  un  instant  d'exister  durant  une  période  d'environ 
trois  mois. 

Vous  me  demanderez  maintenant  de  vous  dire  comment  ce  résultat  important 
a  pu  être  obtenu?  Je  vous  rappellerai  qu'en  terminant  la  dernière  leçon  j'ins- 
sistais  sur  ce  fait  que,  du  moment  où  î'abasie  chez  notre  sujet  reconnaissait 
pour  point  de  départ  une  cause  psychique  ayant  agi  suivant  le  mécanisme  de 
l'auto-suggestion,  c'était  particulièrement  sur  des  procédés  visant  cette 
origine  qu'il  fallait  compter,  sans  négliger  toutefois  bien  entendu  la  médication 
indirecte  s'adressant  au  relèvement  des  forces  physiques.  Ce  que  la  suggestion 
a  fait,  la  suggestion  devra  le  défaire;  voilà  certes  une  formule  fort  encoura- 
geante :  mais  il  ne  faut  pas  la  prendre  au  pied  de  la  lettre  et  maintes  fois  vous 
aurez  l'occasion  de  reconnaître  qu'en  ces  matières  les  résultats  ne  sont  pas  aussi 
faciles  à  obtenir  que  le  pensent  certains  simplistes. 

Quoi  qu'il  en  soit,  voici  comment  nous  avons  procédé  :  le  malade  soumis  à 
l'emploi  du  fer  et  des  toniques  a  reçu  tous  les  jours  une  douche  froide.  Mer- 
credi dernier,  le  lendemain  de  la  leçon,  on  Fa  soumis  à  une  tentative  d'hyp- 
notisation  par  la  fixation  du  regard,  les  autres  procédés   ayant  échoué.  La 
séance  n'a  pas  duré  moins  d'une  demi-heure.  Le  seul  résultat  obtenu  a  été 
de  provoquer  chez  le  malade  une  grande  fatigue,  des  lourdeurs  de  tête,  des 
douleurs  dans  les  orbites.  J'avoue  que  ces  essais  ont  été  faits  un  peu  par  acquit 
de  conscience  ;  nous  ne  comptions  pas  beaucoup  sur  leur   efficacité.  Nous 
avons  appris  en  effet  depuis  longtemps  que,  chez  les  hystériques  mâles,  —  je  ne 
parle  que  de  ceux  qui  fréquentent  les  hôpitaux  de  Paris,  —  l'hypnotisation 
qui,  ailleurs,  assure-t-on,  produit  de  si  merveilleux  eiïets,  ne  réussit  guère. 
Mais  si  la  suggestion  hypnotique  nous  échappe  le  plus  souvent  en  pareil 
cas,  il  n'en  est  pas  toujours  tout  à  fait  de  même  de  la  suggestion  à  l'état  de 
veille.  Le  malade  avait  été  déjà  fort  influencé  sans  doute  par  ce  qu'il  avait 
entendu  dire  durant  la  leçon.   Vous  savez  que  tout  ce  que  nous    y  avons  dit 
était  fait  pour  le  persuader  qu'il  guérirait,  et  qu'il  guérirait  rapidement.  Les 
élèves  du  service  lui  avaient  prodigué  à  leur  tour  leurs  encouragements,  et  ils 
s'étaient  attachés  en  ou  ire  à  lui  persuader  qu'en  regardant  bien  attentivement 
les  autres  marcher  devant  lui  il  réapprendrait  bientôt  à  marcher  lui-même. 
Cette  rééducation  s'est  faite,  en  effet,  en  quelques  leçons;  déjà  le  jeudi,  la  marche 
était  devenue  plus  délibérée  et  plus  correcte,  la  trépidation  plus   rare.  De 
nouveaux  progrès,   les  leçons  de  marche  continuant  toujours,   se  sont  effec- 
tués les  jours  suivants,  et  aujourd'hui  vous  savez  comment  sont  les  choses. 

En  présence  de  ce   résultat,  nous   n'allons   pas  imj)rudemment  entonne 
le  chant  de   victoire  ;  nous   n'ignorons   pas  en  effet  combien  dans   la  caté- 
gorie des   accidents  hystériques  les  résultats  sont  incertains,  les  récidives 
faciles;  il  pourrait  bien  se  faire  qu'à  la  moindre  émotion,  le  désordre  reparût 
et  je  vous  in  fait  i-ciiiaïqucr  tout  a  Thouie  i)lusieurs  fois  que  si,  pondant  qu'il 


—  381  — 

marche,  on  vient  inopinf''ment  pousser  le  malade  par  le  dos,  les  trépidations 
rej)ai;iissoiit  pour  un  tornps.  Nous  pouvons  ospf'Tci- toutefois  qu'à  la  longue 
IV^motivité  et  la  su^gestibilili'!  s'atténueront  à  uicsurc  que  les  forces  repa- 
raîtront, et  qu'alors  notre  malade  sera  suflisaminent  fçuéri  pour  pouvoir,  sans 
danger,  rentrer  dans  la  vie  commune. 


2«  Malade. 


Voici  une  femme  nommée  Be...  eut,  âgée  de  quarante  ans,  que  nous  avons 
admise  à  la  Salpétrière,  dans  le  service  de  la  clinique  le  20  février  dernier, 
c'est-à-dire  il  y  a  une  vingtaine  de  jours.  Elle  avait  été  d'abord, il  y  a  trois  mois 
envoyée  de  son  domicile  à  l'hôpital  Bichat,  où  bientôt  elle  fut  prised'un  délire 
violent.  Ce  délire  —  remarquez  bien  tous  les  détails  qui  vont  suivre,  ils  ne  sont 
pas  étrangers  à  la  cause  —  ce  délire^  dis-je,  a  motivé  son  évacuation  sur 
Sainte-Anne  avec  un  certificat  portant  :  <<  atteinte  de  manie  aiguë,  elle 
trouble  lé  repos  des  autres  malades.  » 

Elle  ne  resta  à  Sainte-Anne  que  quelques  jours  pendant  lesquels  le  délire 
initial  s'était  calmé.  Ou  la  fit  alors  passer  à  Villejuif  ;  les  renseignements 
fournis  sur  son  compte  par  le  médecin  de  Sainte-Anne,  dans  une  note  ad  hoc, 
faisaient  connaître  qu'elles  était  atteinte  d'un  léger  afïaiblissement  intellectuel 
avec  excitation  passagère,  loquacité,  insomnie,  faiblesse  musculaire.  »  Peu 
après  l'admission  à  Villejuif,  les  dernières  traces  de  l'excitation  disparurent  ; 
ce  fut  désormais  cette  faiblesse  musculaire  déjà  remarquée  à  l'asile  Sainte- 
Anne  qui  devait  occuper  le  premier  plan  et  cette  faiblesse,  Messieurs,  s'éleva 
très  rapidement  à  la  hauteur  d'une  véritable  paraplégie  d'un  genre  spécial 
dont  les  premiers  débuts,  ainsi  que  nous  l'apprendront  les  renseignements 
fournis  ultérieurement,  remontent  à  quatre  ou  cinq  mois. 

C'est  en  raison  de  l'existence  de  cette  paralysie,  dont  je  veux  vous 
laisser  le  soin  de  faire  vous-mêmes  le  diagnostic  à  mesure  que  l'exposé  des 
symptômesvasedérouler,  que  la  malade  nous  a  été  bienveillamment  adressée  par 
notre  collègue  M.  le  docteur  Briand,  pour  en  faire  le  sujet  d'une  démonstration 
clinique. 

Donc,  l'étude  de  la  paraplégie  en  question  va  nous  occuper  principalement 
ici,  mais  nous   ne  négligerons  pas  cependant,   et  pour  cause,    les  troubles 


—  382  — 

cérébraux, aujourd'hui  atténués  et  relégués  en  quelque  sortesur  le  second  plan. 
Ils  sont,  vous  le  remarquerez  bientôt,  fort  intéressants  à  connaître  car  ils 
pourront  contribuer  dans  une  certaine  mesure  àaccuser  la  caractéristique  du  cas. 

Cette  paraplégie  porte  à  la  fois  sur  les  membres  inférieurs  et  les  supérieurs, 
prédominant  toutefois  de  beaucoup  dans  ceux-là  ;  il  est  intéressant  de  reniar- 
quer  même,  dès  à  présent,  qu'aux  membres  supérieurs,  aux  mains  surtout  où 
elle  était  assez  accentuée  lors  de  l'admission  de  la  malade  à  l'hôpital,  elle 
tend  chaque  jour  à  s'atténuer.  Il  n'est  pas  difficile  toutefois,  aujourd'hui 
encore,  de  la  mettre  en  évidence  ainsi  que  nous  le  ferons  tout  à  l'heure. 

Occupons-nous  tout  d'abord  de  ce  qui  est  relatif  aux  membres  inférieurs. 
Les  lésions  à  relever  portent  à  la  fois  sur  le  mouvement  et  sur  la  sensibilité.  Il 
y  aura  lieu  aussi  d'accuser  l'existence  concomitante  de  troubles  trophiques.  Vous 
étesfrappés  tout  d'abord,  en  examinant  la  malade, de  voir  que  les  jambes  sont 
en  permanence  et  symétriquement  fléchies  sur  les  cuisses  et  celles-ci  sur  le 
bassin.  Cette  attitude,ellenepeutd'elle-mêmelamodirier  que  très  légèrement,  à 
l'aide  de  quelques  mouvements  obscurs  et  très  limités  qui  se  passent  dans  les 
jointures  de  la  hanche  et  du  genou.  Elle  n'est  certainement  pas  le  fait, 
remarquez-le  bien,  d'une  contracture  spasmodique  des  muscles,  d'origine 
spinale.  L'observateur  n'éprouve  pas,  en  eff'et,  lorsqu'il  cherche  soit  à  produire 
l'extension,  soit  à  exagérer  la  flexion,  cette  résistance  élastique,  à  peu  près 
égale  dans  lesdeuxsens,  qui  est  la  caractéristique  de  ce  genre  de  contracture 
de  plus  les  réflexes  rotuliens  sont  complètement  supprimés,  contrairement 
à  ce  qui  aurait  lieu, nécessairement, s'il  s'agissait  d'uneparaplégie  spasmodique, 
et  il  n'y  a  pas  non  plus  de  trépidation  par  redressement  brusque  de  la  pointe 
des  pieds.  On  constate,  au  contraire,  lorsqu'on  cherche  à  produire  l'extension 
des  membres  fléchis,  une  résistance  brusquement  et  sans  transition  portée 
à  son  maximum,  toute  mécanique  si  l'on  peut  ainsi  parler,  et  qui  très  évidem- 
mentdépend  dece  que  les  tendonsdes  muscles  fléchisseurs  se  sontraccourcls  en 
même  temps  que , peut-être,  s'est  faite  une  production  péri  -articulaire  de  tissu  cel- 
lulo-fibreux.  Le  fait  de  cette  formation  de  nouveau  tissu  fibro- cellulaire  autour 
de  la  jointure  et  du  raccourcissement  des  tendons  fléchisseurs,  cause  pour  la 
majeure  partie  de  l'attitude  spéciale  que  présentent  les  membres  inférieurs,  doit 
être  noté  parvous  soigneusement  ;  nous  aurons  à  y   revenir  dans  un  instant. 

Remarquez  maintenant,je  vous  prie,  l'attitude  des  pieds.  Ils  sont  tombants, 
dansl'équinisme,  avec  une  tendance  très  marquée  à  l'adduction,  surtout  pro- 
noncée lorsque  la  malade  fait  effort  pour  les  redresser;  ce  qui  tient  à  cette  cir- 
constance anomale,  dans  l'espèce,  que  le  jambier  antérieur  n'est  pasafl'ecté  au 
même  degré,  tant  s'en  faut,  que  le  sont  les  péronicrs.  Quoiqu'il  en  soit,  dans 
l'ensemble,  l'action  des  muscles  extenseurs  est  généralement  très  faible  et  le 
sujetrésiste  mal  quand  on  veut  malgré  lui  produire  la  flexion  i>lantaire  dupied. 

Cette  même  faiî)lesse  d'action  des  muscles  extenseurs  se  retrouve  aux  mem- 
bres supérieurs,  en  ce  qui  concerne  les  mouvements  du  poignet.  La  main  est 


—  383  — 

tombante,  beaucoup  moins  à  proportion  que  les  pieds  cependant,  et  la  résis- 
tance que  la  malade  peut  opposer  à  la  flexion  qu'on  lui  imprime  est  facile- 
ment vaincue. 

C'est  ici  le  lieu  de  noter  l'amaigrissement  énorme  et  rapidement  développé, 
qu'ont  subi  les  masses  musculaires,  aux  jambes  particulièrement,  mais  aussi 
aux  cuisses.  Il  ne  s'agit  pas  là  d'une  simple  émaciation,  mais  d'une  diminu- 
tion de  volume  des  masses  musculaires  correspondant  à  certains  troubles 
trophiques  révélés  par  l'électro-diagnostic.  Il  existe,  en  effet,  une  réaction  de 
dégénération  bien  nette  sur  les  muscles  antérieurs  de  la  cuisse  et  sur  les 
muscles  péronniers  et  même, sur  certains  d'entre  eux,  les  choses  sont  poussées 
assez  loin  pour  qu'il  y  ait  abolition  complète  de  l'excitabilité  électrique  dans 
tous  ses  modes  (i). 

Messieurs,  j'espère  que,  dans  votre  esprit,  vous  avez  convenablement 
groupé  déjà  les  faits  qui  viennent  d'être  successivement  exposés,  à  savoir 


1.  Examen  électrique  pratiqué  par  le  D^"  Vigouroux. 

.  Nerfsciatique  poplité  externe. 
Droit.  20  él.  46  degr.  KSZ. 
Gauche.  19  él.  50  degr.  KSZ. 
Muscle  vaste  interne. 

Dr.  fai'adiquement  et  galvaniquement  :  néant. 
G.  Farad.  100  millim.  Galv.  19  él.  150  deg.  KS  =  AS. 

Jambier  antérieur. 

Dr.  Farad.  80  millim.  Galv.  18  él.  70  degr.  KS  >  AS. 

G.  Farad.  95  millim.  Galv.  18  él.  80  degr.  KS. 

Extenseur  commun  des  orteils. 

Dr.  Farad,  néant.  Galv,  18  cl.  80  degr.  KS  <  AS.  conlnction  lente 

G.  Farad,  néant.  Galv.  19  él    39  degr.  KS  <  AS. 

Long  péronier  latéral. 

Dr.  Farad,  néant.  Galv.  18  él.  70  degr.  néant. 

G.  Farad,  néant.  Galv.  20  él.  120  degr.  néant. 

Court  péro7iier  latéral. 
Dr.  et  g.  néant. 

l'êdieux. 

Dr.  Farad,  et  galv.  néant. 

G.  Farad.  70  millim.  Galv.  26  él.  70  degr.  KS.  <  AS. 

Jumeau  externe. 

Dr.  Farad.  70  millim.  Galv.  27  él.  130  degr.  K  S  seul. 

G.       id.  id.        Galv.  30  él.       id.  id. 

Jumeau  interne. 

Dr.  Farad.  85  millim. 

Gauche  Farad.  70  millim.. 

Aux  membres  supérieurs,  pas  d'anomalie  évidente. 

Résumé:  Diminution  ou  abolition  deTexcitabilité  (Longpéronnieriat.)  et  altération  qualitaUve 
(Extenseur  comm-un  des  orteil»  et  pédieux). 


—  384  — 

surtout  la  non-existence  de  la  contracture  spasmodique,  l'absence  de  réflexes 
rotuliens  et  du  phénomène  du  pied  ;  la  paralysie  affectant  d'une  façon  pré- 
dominante les  extenseurs  des  pieds  et  des  mains  symétriquement;  la  réaction 
de  dégénération  très  accentuée  dans  la  plupart  des  muscles  paralysés,  etc.; 
si  cela  est,  vous  avez  bien  vite  reconnu  que  ces  faits,  considérés  dans  leur 
ensemble  suffisent,  en  grande  partie,  pour  caractériser  une  classe  de  parah^sies, 
relevant,  ainsi  que  certaines  études  récentes  tendraient  à  l'établir,  non 
pas  d'une  lésion  spinale,  mais  bien  d'une  lésion  des  nerfs  périphériques, 
classe  dans  laquelle,  en  tout  caS;,  le  premier  rang  est  occupé  par  les  paraly- 
sies toxiques. 

Mais  examinons  les  choses  plus  attentivement  encore, et  peut-être  retrouverons- 
nous  dans  l'étude  plus  minutieuse  des  phénomènes  cliniques  présentés  par 
notre  malade,  quelques  nouveaux  traits  nous  permettant  de  suivre  de  plus 
près  la  ligne  qui  doit  nous  conduire  au  diagnostic  étiologique. 

Nous  ne  reviendrons  pas  sur  les  troubles  trophiques  musculaires  déjà 
signalés,  mais  nous  vous  ferons  remarquer  que  la  peau  des  genoux,  collée  en 
quelque  sorte  aux  parties  sous-jacentes,  est  lisse  et  luisante,  et  que  s'il  n'y 
a  pas  de  gonflement  œdémateux  des  jambes  et  des  pieds,  ces  parties-là 
prennent  lorsque  les  membres  inférieurs  sont,  durant  quelques  minutes,  restés 
pendants,  une  teinte  violacée  très  prononcée,  j'insisterai  enfin  tout  particu- 
lièrement sur  ce  fait,  déjà  signalé  plus  haut,  qu'il  existe  au  niveau  de  certaines 
jointures,  des  rétractions  fibro-tendineuses,  cause  d'attitudes  vicieuses  per- 
manentes, lesquelles  rétractions,  remarquez-le  bien,  se  sont  produites  avec  une 
extrême  rapidité  puisqu'elles  ne  datent  certainement  pas  de  plus  de  deux  ou 
trois  mois.  Eh  bien,  Messieurs,  les  troubles  trophiques  qui  viennent  d'être 
énumérés,  et  particulièrement  les  rétractions  fîbro-tendineuses_,  désignent 
particulièrement,  dans  la  classe  des  paralysies  par  névrites  périphériques, 
celles  qui  relèvent  (\.q,V intoxication  alcoolique. 

J'ai  insisté  sur  le  rôle  important  que  jouent  ces  rétractions  dans  la 
clinique  des  paralysies  alcooliques,  dans  une  leçon  que  \q  Bulletin  médical 
a  publiée  il  y  a  environ  deux  ans  (1),  et  à  laquelle  je  vous  prie  de  vous 
reporter  :  le  lujet  en  vaut  la  peine.  Là,  j'ai  montré  que  les  productions 
cellulo-fibrcuses  capables  d\amenerdes  déviations  et  de  nécessitera  un  moment 
donné,  —  lorsque  la  paralysie  est  guérie,  —  une  intervention  chirurgicale, 
peuvent  s'observer  dans  les  circonstances  les  plus  diverses.  Ainsi, on  les  voit  se 
produire  chez  certains  sujets,  dans  diverses  paraplégies  spasmodiques  et  en 
particulier  dans  celles  qui sontla  conséquence  de  lapachyméningite  cervicale 
hypertrophi([ue  ou  du  mal  vertébral  de  Pott.  On  peut  les  voir  aussi  survenir 
dans  certains  cas  de  contracture  hystérique,  là  où  très  certainement  il  n'existe 


1.  Numéro  du  23  mars  1887 


—  385  — 

pas  de  lésion  spinale  Jipi)réciable    i)ar  nos  moyens   actuels   d'investigation 
anatonii(iuo. 

«  Pounpioi,  tout  «H;int  ô^^^al  (r.iilleurs  dans  ces  cas,  du  moins  en  appa- 
rence^ la  coniplicatiuii  lilii-u-tendineuse  se  pruduit-elle  cliez  cei  tains  Mijets 
et  non  chez  les  autres  ?  Qu'ont  donc  de  particulier  les  sujets  chez  lesfjuel 
elle  se  produit?  S'agit-il  là  d'une  influence  diathésique,  d'un  élément 
rhuniatisinal,  arthritique  que  présenteraient  ces  sujets  ?  On  sait  que  certaines 
rétractions  fibreuses  indépendantes  de  toute  paralysie,  comme  la  rétraction 
de  rai)onévrose  palmaire,  par  exemple,  relèvent,  au  moins  souvent,  d'une 
influence  arthritique.  C'est  là  un  point  qu'il  serait  intéressant  d'éciaircir  et 
sur  lequel,  malheureusement,  je  ne  suis  pas  en  mesure  de  donner  pour  le 
moment  de  renseignements  précis.  »  Ainsi  m'expriniiiis-je  il  y  a  deux  ans,  et 
je  ne  vois  rien  à  ajouter  à  ce  que  j'ai  dit  alors;  mais  je  tiens  à  relever  tout 
spécialement  le  rôle  que,  dans  cette  même  leçon,  j'attribuais  à  la  rétraction 
fibro-tendineuse  dans  les  paralysies  alcooliques. 

La  rétraction  en  question,  disais-je  alors,  n'est  pas  exclusivement  propre 
aux  paraplégies spasmodiques:  elle  peut  se  montrer  encore  dans  des  para- 
lysies où  la  déformation  ne  dépend  pas  d'une  contracture  spasmodique  des 
muscles  ;  tel  est  le  cas  de  la  paralysie  alcoolique.  H  y  a  dans  ces  cas-là, 
vraisemblablement  en  conséquence  d'une  névrite  périphérique,  qu'on  ditpri- 
mitivement  développée,  une  atrophie  des  muscles  extenseurs  suivie  d'une 
chute  du  pied,  analogue  à  la  chute  du  poignet  qu'on  observe  dans  la 
paralysie  saturnine  ;  rien  ne  retient  la  flexion  du  pied;,  qui  est  flottant,  ballot- 
tant, que  l'influence  de  la  pesanteur. 

«  Dans  d'autres  cas  cependant,  la  prédominance  des  fléchisseurs,  moins 
profondément  affectes  que  les  extenseurs,  oppose  une  légère  résistance  bientôt 
vaincue  ;  là  même  il  ne  s'agit  pas  d'une  déviation  spasmodique,  mais  d'une  dévia- 
tion paraly'bique  ;  la  tonicité  des  musclesles  moins  altérés  est  seule  enjeu  pour 
maintenir  la  déformation.  Il  est  enfin  un  troisième  ordre  de  faits,  dans  lequel 
cette  fois  l'équinisme  ainsi  produit,  est  maintenu  désormais  parle  fait  de  la 
rétraction  des  tendons  d'Achille,  combinée  avec  la  production  du  tissu  flbreux 
périarticulaire.  J'ai  observé  deux  cas  de  ce  genre  dans  lesquels,  après  gué- 
rison  de  la  paralysie,  l'intervention  chirurgicale,  entre  les  mains  de  M.  Ter- 
rillon,  a  été  nécessaire  pour  produire  le  redressement  du  pied.  L'opération 
dans  ce  cas,  comme  d'ailleurs  dans  les  cas  de  paraplégie  spasmodique  aux- 
quels on  a  fait  allusion  plus  haut,  a  eu  lieu  en  plusieurs  temps.  La  section  du 
tendon  d'Achille  n'a  pas  suffi  pour  obtenir  le  redressement;  il  a  fallu,  à  deux 
ou  trois  reprises,  produire  l'extension  forcée  et  déchirer  les  brides  fibreuses 
périarticulaires.  Les  malades,  d'ailleurs,  ont  parfaitement  guéri.  » 

Aujourd'hui,  Messieurs, je  puis  ajouter  que  si  ces  rétractions, ainsi  qu'on  l'a 
vu,  ne  sont  pas  un  fait  absolument  constiint  dans  les  [)aralysies  alcooliques, 
elles  y  sont  cependant  un  fait  très  friMpunil  ;  (pio,  de  plus,    elles  ne  se  voient 


—  386  — 

pas  autre  part  au  même  degré,  de  telle  sorte  que,  quand  dans  une  paralysie 
présentant  d'ailleurs  les  caractères  que  nous  avons  relevés  plus  haut, on  voit  les 
rétractions  fibro-tendineuses  se  produire  très  rapidement,  on  est  conduit 
à  penser  que  l'intoxication  alcoolique  est  en  jeu. 

J'ajouterai  également  que  le  tendon  d'Achille  ainsi  que  les  tissus  périarti- 
culaires  de  l'articulation  tibio-tarsienne  ne  sont  pas,  en  piireil  cas,  les  seules 
parties  qui  puissent  être  affectées;  les  tendons  des  fléchisseurs  de  la  jambe 
et  le  tissu  fibro-cellulaire  qui  entoure  le  genou  peuvent  être,  eux  aussi,  le 
siège  des  rétractions  qui  déterminent  et  maintiennent  les  déformations  (1);  c'est 
ce  que  démontre  justement  le  cas  que  nous  avons  sous  les  yeux. 

A  ce  propos,  remarquons  en  passant  que  la  présence  fréquente  des  rétrac- 
tions dans  la  paralysie  alcoolique,  n'est  pas  chose  faite  pour  surprendre  lors- 
qu'on sait  que  d'autres  troubles  trophiquesou  vaso-moteurs, tels  que  Tœdème, 
l'empâtement,  la  peau  lisse,  les  lésions  des  ongles  enfin,  y  sont  vulgaires. 

Nous  voilà  donc  déjà,  par  la  seule  considération  des  phénomènes  cliniques, 
amenés  à  conclure  que,  suivant  toute  vraisemblance,  pour  ne  pas  dire  plus, 
la  paraplégie  que  nous  avons  sous  les  yeux  n'est  autre  qu'une  paraplégie 
alcoolique.  Mais  peut-être,  en  poursuivant  notre  analyse  clinique,  rencontre- 
rons-nous encore  de  nouveaux  documents  propres  à  corroborer  nos  prévisions 
à  cet  égard. 

En  réalité,Messieurs,rétude  des  troubles  de  la  sensibilité  présentés  par  notre 
sujet,  va  fournir  à  l'appui  de  notre  thèse  des  arguments  à  peu  près  décisifs. 

Vous  avez  remarqué  peut-être  que  dans  les  manœuvres  d'exploration  aux- 
quelles, à  plusieurs  reprises,  ont  été,  chez  notre  malade,  soumis  les  membres 
inférieurs,  elle  a  le  plus  souvent  manifesté  des  signes  de  douleur  ;  c'est  qu'en 
effet,  ces  membres  sont  douloureux,  hyperesthésiés.  et  il  y  a  à  distinguer,  sous 
ce  rapport,  les  douleurs  ou  sensations  pénibles,  anomales  en  tout  cas,  qui  se 
produisent  spontanément  et  celles  qui  se  manifestent  seulement  par  le  contact 
ou  par  la  pression. 

Les  premières,  fort  accentuées,  consistent  en  des  piqûres  se  produisant 
fréquemment  et  en  un  sentiment  de  brûlure,  occupant  principalement  les 
jambes  et  les  pieds.  Ces  sensations  douloureuses  s'exaspèrent  la  nuit  ;  la 
malade  s'en  plaint  amèrement,  «  on  dirait  que  mes  jambes  sont  dans  du  feu  », 
tels  sont  les  termes  dans  lesquels  elle  s'exprime  à  ce  sujet.  Elles  contri- 
buent pour  une  bonne  part  à  déterminer  les  insomnies  dont  elle    souffre,   et 


1.  C'est  à  ces  rétractions  qu'était  dû  le  recroquevillement  des  membres  inférieurs  observé  par 
M.  Lancereaux,  dans  un  cas  de  paralysie  alcoolique.  Dans  ce  cas,  il  y  avait  flexion  de  la  jambe 
sur  la  cuisse,  et  de  la  cuisse  sur  le  bassin  élevée  à  un  très  haut  dc^^ré.  Cette  double  flexion  même 
était  portée  à  son  extrême  limite  aux  genoux,  car  les  muscles  du  mollet  étaient  appliques  sur 
les  muscles  postérieurs  de  la  cuisse.  Voir  :  Brissaud,  Des  paralysies  Icviques,  thèse  d'agrég. 
Paris,  1886,  p.  25. 


—   387  — 


peut-être  sont-elles  aussi  en  grande  partie  la  cause  de  ce  recrorpievillement 
des  membres  inférieurs,  de  ces  attitudes  vicieuses,  signalées  au  commence- 
ment, et   qui    peu   à   peu   se  seront  fixées,  en  quelque  sorte,  par   suite  de  la 


Fil?.  ^4  l'^i.s:.  '^r> 

Distribution  des  troubles  de  la  sensibilité  cutanée  chez  la  nommée  Be  ...eut. 

formation    des" brides  fibreuses   périarticulaires    et    de    la    rétraction    des 
tendons. 

Pour  ce  qui  est  des  douleurs  provoquées,  elles  se  manifestent  par  un  simple 
contact  même  léger  de  la  peau,  sur  les  pieds  principalement  et  sur  le  tiers 
inférieur  des  jambes  ;  elles  se  manifestent  également,  et  d'une  façon  plus 
accentuée,  lorsqu'on  exerce  une  pression  un  peu  forte  sur  les  masses  muscu- 


—  388  — 

laires,  principalement  aux  mollets.  Ainsi  les  masses  musculaires^  elles  aussi, 
remarquez-le  bien,  sont  douloureuses. 

Il  est  intéressant  de  relever  que  les  excitations  portant  sur  la  peau  de  la  jambe 
et  du  pied  sont  perçues  avec  un  retard  qui  peut  aller  jusqu'à  trois  secondes; 
que  les  sensations  douloureuses  produites  par  ces  excitations,  contact  ou  pin- 
cement, ne  sont  pas  exactement  rapportées,  lorsque  les  yeux  sont  fermés,  au 
point  excité,  mais  presque  toujours  un  peu  au-dessus  ;  que  ces  diverses  exci- 
tations, quelles  qu'elles  soient,  se  traduisent  uniformément  par  un  sentiment 
de  brûlure  qui  se  répand  au-dessus  et  au-dessous  du  point  où  elles  ont  été  pro- 
duites et  qui  leur  survit  pendant  quelques  secondes.  Remarquons  enfin  que  ces 
troubles  de  la  sensibilité  se  retrouvent  avec  tous  leurs  caractères,  quoique 
fort  atténués,  toutefois,  aux  membres  supérieurs^,  plus  particulièrement  sur 
la  partie  inférieure  des  avant-bras  et  sur  les  mains  où  ils  atteignent  leur  maxi- 
mum (voir  les  fig.  74  et  75). 

Eh  bien,  Messieurs,  il  me  semble  que,  en  ajoutant  à  ce  qui  a  été  dit  plus 
haut  des  troubles  moteurs  et  des  troubles  trophiques  observés  chez  notre  malade, 
les  troubles  particuliers  de  la  sensibilité  que  nous  venons  de  relever,  nous 
avons  de  quoi  compléter  le  tableau  clinique  de  la  paralysie  alcoolique.  C'est 
bien  d'elle  qu'il  s'agit  décidément  dans  notre  cas;  je  ne  crois  pas  qu'il  existe 
de  paralysies  autres  que  celle-là  dans  lesquelles  on  retrouve  ce  même  con- 
cours si  caractéristique  de  circonstances;  si  ce  n'est  peut-être  —  d'après  quel- 
ques observations  que  j'ai  faites  chez  des  sujets  venant  du  Brésil  ou  de  Tistlime 
de  Panama,  — dans  certains  casdeBeribjri-Sec,  affection  essentiellement  exo- 
tique, que,  dans  le  diagnostic,  il  sera  généralement  facile  d'éliminer.  J'ajou- 
terai que,  même  après  la  constatation  faite  chez  notre  malade,  à  un  moment 
donné,  d'une  chute  de  la  paupière,  puis  d'une  inégalité  pupillaire  aujourd'hui 
encore  présentes,  avec  signe  d'Argyll  Robertson,  il  est  impossible  égale- 
ment de  ne  pas  éloigner,  dores  et  déjà,  l'idée  du  tabès.  Remarquez  eu  parti- 
culier chez  notre  malade  le  caractère  des  douleurs  qui  ne  rappelle  en  rien  la 
description  classique  des  douleurs  fulgurantes;  l'absence  des  troubles  vési- 
caux,  la  réaction  des  masses  musculaires,  les  rétractions  fibro-tendineuses, 
et  enfin  le  mode  d'évolution  de  la  maladie,  pour  ainsi  dire  subaigu  et 
qui  contraste  singulièrement  avec  la  marche  éminemment  lente  et  traînante 
de  l'ataxie  locomotrice  progressive. 

Malgré  tout,  peut-être  persiste-t-il  encore  quelque  doute  dans  l'esprit 
de  plusieurs  d'entre  vous;  et  peut-être  aussi  pensez-vous  que  nous  avons 
bien  tardé  à  interroger  la  malade,  dans  le  but  d'obtenir  d'elle  des 
aveux  nous  permettant  d'asseoir  le  diagnostic,  cette  fois  sur  des  bases  iné- 
branlables. Kh  bien,  je  vous  ferai  remarquer  à  ce  propos  qu'il  s'agit  ici  d'une 
femme  et  que,  dans  mon  expérience  du  moins,  jamais  les  femmes  alcooliques, 
alors  même  que  vous  les  prendriez  en  flagrant  délit,  n'avoueront  leur  vice. 
Or,  notre  malade   d'aujourd'hui   n'échappe    pas  à  cette  règle;    elle  nie  tout. 


—  3S9  — 

effrontément;  ce  n'est  donc  pas,  vous  le  voyez,  de  ce  c6té-là  qu'il  faut  atten- 
dre la  lumière.  Sans  doute  nous  avons  à  ce  sujet  des  renseignements  abso- 
lument précis  qui  nous  apprennent  que  depuis  longtemps  elle  se  livre  à  la 
boisson  ;  mais  ce  n'est  [kis  d'elle  que  nous  les  tenons,  remarquez-le  bien  ;  ils 
nous  ont  été  fournis  par  sa  famille. 

D'ailleurs  n'allez  pas  croire  que  ces  réponses  toujours  négatives  des  alcoo- 
liques du  sexe  féminin  lorsqu'on  les  interroge  sur  leurs  habitudes  dévie,  soient 
constamment  le  fait  d'une  dissimulation  systématique,  voulue  et  prémé- 
ditée. 11  faut,  pour  être  équitable,  tenir  compte  de  l'état  d'hébétude  et 
d'amnésie  dans  lequel  sont  plongés  la  plupart  des  sujets  de  cette  catégorie. 
Et  justement,  celui  que  nous  avons  sous  les  yeux  peut  être  cité  comme  un 
type  du  genre.  11  est  certain,  ainsi  que  cela  résulte  des  interrogatoires  auxquels 
nous  l'avons  maintes  fois  soumise  depuis  qu'elle  a  été  admise  dans  nos  salles, 
qu'il  existe  dans  ses  souvenirs  de  nombreuses  lacunes;  il  lui  est,  par  exemple, 
impossible  de  reconstituer  exactement  les  grandes  époques  de  son  existence. 
Elle  ne  peut  déterminer  la  date  à  laquelle  son  mari  est  mort  ;  tantôt  elle 
dit  que  cet  événement,  qui  a  cependant  changé  de  fond  en  comble  ses 
conditions  d'existence,  date  de  quelques  mois  seulement,  tandis  que  d'autres 
fois  elle  le  fait  remonter  à  plusieurs  années  ;  jamais  du  reste  elle  ne  tombe 
juste. 

Il  est  des  jours  où  elle  pousse  des  cris  toute  la  nuit,  se  plaignant  avec  amer- 
tume de  ses  «  brûlures  »  qui  l'ont  empêchée  de  dormir  et,  le  lendemain, 
elle  viendra  prétendre  qu'elle  n'a  pas  soufl'ert  et  qu'elle  a  passé  une  nuit 
excellente.  Ces  variations  d'un  jour  à  l'autre  dans  le  récit  des  faits 
qui  la  concernent  doivent  nous  rendre  indulgents  et  nous  porter  à  croire  que 
vraiment,  par  moments,  elle  oublie  peut-être  les  écarts  auxquels  elle  s'est 
livrée.  Quoi  qu'il  en  soit,  Messieurs,  cette  amnésie  que  je  viens  de  relever 
chez  notre  sujet  est,  je  le  répète,  un  fait  assez  caractéristique  et  que  vous 
devrez  vous  attendre  à  rencontrer  fréquement  chez  les  individus  atteints  de 
paralysie  alcoolique.  Il  enest  demême  des  [rêves  particuliers,  et  pour  ainsi  dire 
classiques,  qui,  chez  eux,  jouent  un  rôle  important.  Ils  sont  fort  bien  formulés 
chez  notre  malade  ;  ainsi,  tantôt  elle  voit  des  animaux  bizarres  et  effrayants 
qui  la  menacent  ;  tandis  que  d'autres  fois,  comme  par  contraste,  elle  entend 
de  la  musique,  voit  des  illuminations,  nombre  de  personnes  joyeuses  et 
parées  ;  elle  croit  en  un  mot  assister  à  une  fête.  L'autre  jour  elle  était  per- 
suadée qu'en  effet  une  grande  fête  de  nuit  était  donnée  par  le  directeur  de 
l'hôpital  ;  et  même,  l'illusion  persistant  quelque  temps  après  le  réveil,  elle 
voulut  à  toute  force  se  lever  pour  aller  y  prendre  part.  On  rencontre,  vous  le 
savez,  de  semblables  rêves  chez  les  hystériques  non  alcooliques.  Mais  ce  n'est 
pas  d'hystérie  qu'il  s'agit  ici  certainement.  C'est  bel  et  bien  l'alcoolisme 
qui  est  en  jeu  ;  cela  va  être  rendu  évident,  une  fois  de  plus,  par  l'exposé  que 
nous  allons  vous  présenter  des  luiLécédeTits  de  notre  malade. 


—  390  — 

Son  père  était  un  alcoolique  ;  il  est  mort  à  l'âge  de  cinquante-huit  ans.  Elle 
aune  tante  maternelle  âgée  de  soixante-douze  ans  qui,  depuis  longtemps,  est 
en  enfance. 

Elle  est  aujourd'hui  âgée,  comme  on  l'a  dit  de  quarante  ans;  elle  n'avait 
jamais  été  malade  dans  son  enfance,  et  nous  ignorons  si  elle  a  présenté,  dès 
cette  époque,  des  stigmates  névropathiques. 

Elle  avait  vingt-cinq  ans,  lorsqu'elle  s'est  mariée  à  un  limonadier.  Dans  le 
café  qu'elle  dirigeait  avec  sonmari,  elle  tenait  le  comptoir,  et  c'est  dans  ces 
circonstances  qu'elle  a  contracté  l'habitude  de  boire.  Son  mari  étant  mort 
en  1882,  elle  a  abandonné  son  établissement  et  s'est  mise  à  faire  de  la  cou- 
ture ;  mais  entraînée  par  sa  funeste  passion  elle  ne  faisait  que  boire,  surtout 
de  «  l'amer  Picon  »  et  du  cognac.  Elle  ne  travaillait  guère.  La  misère  vint. 
Pendant  longtemps  on  ne  remarqua  pas  que  sa  santé  fût  en  rien  altérée  ; 
mais  il  y  a  quatre  ou  cinq  mois  apparurent  les  premiers  phénomènes  d'intoxi- 
cation. Tous  les  renseignements  qui  vontsuivre  ne  viennent  pas,  bien  entendu, 
de  la  malade;  ils  nous  ont  été  communiqués  par  son  beau-frère,  qui  durant 
cette  période  l'a  suivie  de  près.  Ce  furent  des  troubles  intellectuels  qui  ou- 
virent  la  scène  ;  elle  était  excitée  ;  ne  savait  plus  ce  qu'elle  disait  :  la  nuit 
elle  ne  dormait  guère  ;  elle  était  tourmentée  par  des  rêves  pénibles  dans  les- 
quels elle  se  croyait  poursuivie  par  des  animaux.  Elle  avait  même  parfois, 
étant  parfaitement  éveillée,  des  hallucinations  de  la  vue.  Ainsi,  en  décembre, 
elle  crut  un  soir  voir  tout  •à-coup,sur  le  mur  de  sa  chambre, courir  une  grosse 
araignée  noire;  elle  se  mit,  une  bougie  àla  main,  à  la  poursuite  de  cet  animal 
imaginaire  qu'elle  voulait  à  toute  force  attraper  et  brûler.  Habituellement, elle 
se  plaignait,  surtout  la  nuit,  de  démangeaisons,  siégeant  principalement  aux 
membres  inférieurs;  elle  éprouvait  la  sensation  d'eau  bouillante  qui  lui  cou- 
lait sur  les  jambes  et  qui  la  brûlait.  Elle  disait  souvent  qu'on  lui  «  coulait  du 
feu  dans  les  genoux.  » 

L'affaiblissement  des  membres  inférieurs  remonte  à  peu  près  à  la  même 
époque.  La  malade  ne  s'en  inquiétait  guère,  elle  l'attribuait  à  «  des  varices  » 
dont  elle  avait  souffert  déjà  pendant  ses  grossesses.  Déjà,  en  décembre,  elle 
éprouvait  beaucoup  de  difficultés  à  monter  son  cinquième  étage.  Il  lui  arri- 
vait souvent  de  sentir  ses  jambes  tléchir  tout  à  coup  et  se  dérober  sous  elle. 
Le  i*""  janvier  son  beau-frère  a  constaté  qu'il  lui  était  littéralement  impos- 
sible de  monter  seule  dans  son  lit.  Il  a  remarqué  en  même  temps  que  la  pau- 
pière de  son  jeil  droit  était  tombante. 

Elle  était  vraiment  dans  un  état  pitoyable  lorsqu'elle  est  entrée  à  l'hôpital 
liichat,  vers  le  5  ou  (>  janvier.  C'est  là,  ainsi  (pie  nous  l'avons  dit,  qu'a  éclaté 
le  délire  bruyant  vraisemblablement  sousl'inlluence  de  l'abstention  à  laquelle 
elle  aura  été  soumise. 

Vous  savez  le  reste  :  de  Bichat  elle  a  passé  à  Sainte-Anne,  et  de  Sainte-Anne 
à  Yillcjuif,  service  de  M.  le  D""  nriind,    où  le   diagnostic  a  été   forniuh'  ainsi 


—  391  — 

qu'il  suit  :  «  Alcoolisme  chronique  avec  aiï'aiblisseineut  des  facultés  intellec- 
tuelles. ParapU'g'ie  alcoolique  avec  atrophie  ».  On  ne  saurait  mieux  dire  et 
vous  avez  compris  sans  qu'il  soit  nécessaire  de  plus  insister,  que  c'est  bien  de 
cela  qu'il  s'agit. 

Depuis  que  la  malade  est  entrée  dans  nos  salles  il  s'est  produit  chez  elle  de 
l'amélioration  sur  toute  la  ligne  :  La  mémoire  est  toujours  fort  en  défaut  sans 
doute  et  je  ne  crois  pas  du  reste  que  jamais,  les  choses  allant  au  mieux,  elle 
se  rétablisse  complètement  ;  mais  l'insomnie  est  moins  prononcée  et  il  y  a 
moins  de  rêves  pénibles.  D'un  autre  côté,  un  retour  très  accentué  des  mouve- 
ments s'est  produit  du  côté  des  membres  supérieurs  et  pour  ce  qui  est  des 
membres  inférieurs  la  malade  commence  à  pouvoir  un  peu  partout  leur 
imprimer  volontairement  quelques  mouvements.  Les  troubles  de  la  sensi- 
bilité sont  eux  aussi  beaucoup  moins  prononcés  qu'ils  ne  l'étaient  à 
l'époque  où  nous  avons  examiné  le  sujet  pour  la  première  fois.  Au  train  dont 
vont  les  choses,  je  ne  doute  pas  qu'avec  le  concours  du  temps  et  de  l'électri- 
sation  méthodique,  on  ne  parvienne  à  obtenir  de  ce  côté  des  résultats  très 
satisfaisants.  Toutefois,  quand  les  mouvements  seront  redevenus  possibles,  il 
faudra  de  toute  nécessité,  nous  l'avons  fait  prévoir,  pour  que  la  malade 
soit  mise  en  mesure  de  se  tenir  debout  et  de  marcher^  procéder  chirurgicale- 
ment  au  redressement  des  parties. 

On  pourra  dire  alors  que  la  guérison  a  été  obtenue;  oui,  sans  doute  ;  mais 
vous  n'ignorez  pas  qu'en  pareille  matière,  il  y  a  à  considérer  le  chapitre  des 
récidives.  Elles  sont,  hélas  !  presque  fatales.  Vous  connaissez  le  proverbe  : 
«  Qui  a  bu  boira  ».  Il  répond  bien  à  la  réalité  des  choses  et  je  vous  ai  raconté 
souvent  l'histoire  d'un  <;as  dans  lequel  j'ai  vu  la  paralysie  alcoolique  chez  un 
«  gentleman  »  guérir  trois  fois;  mais, chaque  fois  après  la  guérison;,le  malheu- 
reux retombait  bientôt  dans  son  vice.  Il  a  terminé  l'histoire  en  se    suicidant. 

A  part  la  question  des  récidives,  le  pronostic  de  la  paralysie  alcoolique 
d'après  ce  qui  a  été  dit  vous  paraîtra  plutôt  favorable;  je  crois  qu'il  l'est  en 
réalité  dans  la  majoT'ité  des  cas,  lorsqu'il  s'agit  d'un  premier  accès  et  que  les 
choses  n'ont  pas  été  poussées  trop  loin.  11  importe  que  vous  sachiez  cependant 
que,  de  temps  à  autre,  on  rencontre  des  cas  de  paralysie  alcoolique  se  présen- 
tant absolument  avec  toutes  les  apparences  de  ceux  qui  guérissent,  et  qui 
néanmoins,  inopinément,  sans  que  rien  puisse  le  faire  prévoir,  prennent  tout 
à  coup  la  plus  mauvaise  tournure;  le  pouls  s'accélère, la  resi)iration  se  préci- 
pite, les  extiémités  prennent  une  teinte  bleuâtre,  et  en  un  mot,  par  le  fait  de 
l'intervention  de  troubles  bulbaires  que  rien  ne  peut  conjurer,  survient  rapide- 
ment la  terminaison  fatale  (l).Deux  fois  j'ai  assisté, non  pas  inqiassible,  je  vous 


1.  Voir  sur  la  paralysie  alcoolique,  la  Le(;on  du  mardi  (3  murs  1888. 


—  392  — 

prie  de  le  croire,  àl'évolution  de  cedrame;  d'abord  chez  une  jeune  etbelle  Amé- 
ricaine de  vingt-trois  ans,  puis  plus  récemment  chez  une  femme  de  trente  ans 
environ  qui  a  été  admise  dans  le  service.  Je  ne  vous  fatiguerai  pas  parl'énumé- 
ration  des  moyens  mis  en  œuvre  pour  arrêter  les  progrès  du  mal  :  ils  sont 
hélas  !  tous  restés  sans  effet. 


3e  E-j.  4e  Malades. 


Je  vais  maintenant,  Messieurs,  faire  passer  sous  vos  yeux,  pour  les  soumet- 
tre à  votre  examen  clinique,  deux  malheureuses  créatures  bien  dignes  d'exci- 
ter la  compassion.  On  peut  dire  que  l'une  et  l'autre  ont  été  touchées  du  doigt 
par  la  fatalité  antique,  aujourd'hui  remplacée  par  la  fatalité  héréditaire  ;  ils 
pourraient  s'écrier  l'un  et  l'autre  : 

«  Qu'avons-nous  fait,  ô  Zeus,  pour  cette  destinée? 
«  Nos  pères  ont  failli  ;  mais  nous  qu'avons-nous  fait  ?  (t) 

Tous  deux  sont  des  dégénérés  (2),  des  déséquilibrés,  desfaiblesintellectuelle- 
ment  et  moralement,  surtout  l'un  d'eux  qui  a  commis  plusieurs  délits  ;  mais 
soit  dit  entre  nous,  je  les  crois  bien  peu  responsables  l'un  et  l'autre  du  mal 
qu'ils  ont  pu  faire,  ou  qu'ils  pourraient  faire.  Malgré  quelques  tentatives 
louables  de  la  part  de  leurs  parents,  ils  n'ont  pu  ni  l'un  ni  l'autre  acquérir  la 
moindre  instruction  ;  ils  ne  savent  ni  lire,  ni  écrire.  Dans  la  société,  comme 
bien  vous  pensez,  leur  famille  n'appartenant  pas  aux  classes  privilégiées,  ce 
sont  des  déclassés  ;  de  fait  ils  n'ont  pas  de  domicile  fixe  et  ils  vivent  en  exer- 
çant des  profession?  douteuses,  interlopes.  L'un  d'eux  est  saltimbanque  ;  il  se 
dit  «  artiste  ».  La  vérité  est  que  son  art  consiste  à  faire  «.  l'homme  sauvage  » 
dans  les  baraques  de  foire;  l'autre  gagne  bien  pauvrement  son  pain  de  chaque 
jour   en  chantant  dans  les  rues. 

Voilà  qui  est  fort  bien,  direz-vous  ;  le  tableau  promet  d'être  piquant.  Mais 
où  voulez-vous  en  venir;  en  quoi  tout  cela  peut-il  concerner  votre  enseignement? 

Eh  bien,  Messieurs,  ce  que  je  tiens  à  vous  montrer,  c'est  que  les  deuxpau- 


1.  Les  Ei-innycs.  2'>  p.  V.  p  44.  18s9, 

2.  Voir  sur  la  combinaison  de  l'hystério  avec  les  diverses  formes  de  la  déi,a^néresceuce 
mentale  plusieurs  travaux  inspirés  par  M  .  le  D*"  Jiallet  :  — Marquezy  :  L'homme  hystérique^ 
Bulletin  médical,  août.  —  Tabaraud.  Des  rapports  de  la  dégénérescence  mentale  et  de 
r  hystérie,  ihèsQ.  de  |\-iiis,  noveml)re  1888. 


—  ;j93  — 

vres  hères  que  je  viens  de  vous  présenter  sont  Tun  et  Taulre  sous  le  coup  de 
la  diathèse  hystérique.  Ils  on  portent,  vous  allez  le  voir,  l'un  comme  l'autre  les 
inar(iucs  non  niéconnaissahlcs  :  attafpH'S  et  stifçniatos  permanents.  Où  l'hysté- 
rie va-t-olle  se  nicher?  Je  vous  l'ai  montrée  bien  souv(;nt,  dans  ces  derniers 
temps  dans  la  classe  ouvrière,  chez  les  artisans  manuels,  et  je  vous  ai  dit 
qu'il  fallait  la  chercher  encore  sous  les  haillons,  chez  les  déclassés,  les  men- 
diants, les  vagabonds  ;  dans  les  dépôts  de  mendicité,  les  pénitenciers,  les 
bagnes  peut-être  ! 

Vous  verrez  qu'un  jour,  tout  compte  fait,  en  raison  de  l'extension  singu- 
lière que  semble  prendre  l'hystérie  mule  dans  les  classes  inférieures  de  la 
société  à  mesure  qu'on  apprend  ci  la  mieux  connaître,  on  en  viendra  à  poser 
la  question  suivante  :  la  névrose  hystérique  est-elle  vraiment,  comme  on  l'a 
cru,  comme  on  Ta  prétendu  jusqu'ici,  plus  fréquente  chez  la  femme  que  chez 
l'homme  (1)?  Toujours  est-il  que, quelle  que  soit  la  solution  qui,  dans  l'avenir, 
sera  donnée  à  cette  question,  nous  voilà  dès  à  prés(3nt  amenés  bien  loin  de 
ridée  que  nos  prédécesseurs  des  siècles  passés  se  faisaient  de  riiy?5térie.  lors- 
qu'ils n'y  voyaient  qu'une  «  suffocation  utérine  ». 


I 

Occupons-nous  d'abord  de  «  l'homme  sauvage  »,  G'estunnomméLap.. sonne: 
il  est  aujourd'hui  âgé  de  48  ans.  Sa  physionomie  est  ({uelque  peu  en  rapport 
avec  la  profession  qu'il  exerce.  Il  a,  en  effet,  comme  vous  voyez,  l'air  abi-uti, 
stupide,  renfrogné,  féroce  même.  En  réalité,  il  est  vraiment  terrible  dans  de 
certains  moments,  et  il  a  alors  commis  plusieurs  fautes  graves,  pour  lesquels, 
du  reste,  il  a  (Hé  sévèrement  puni  par  la  loi  militaire.  H  paraît  s'être  fort 
amendé  depuis  lors. 

Je  ne  vous  parlerai  de  son  histoire,  de  ses  antécédents  qu'il  ne  nous  a  contés 
lui-même  que  sous  toutes  réserves.  Ce  n'est  pas  qu'il  mente,  à  ce  que  je  sup- 
pose, et  il  me  paraît  au  moins  fort  vraisemblable  ({ue  les  «  gros  faits  »  de  sa 
vie  se  sont  passés  en  réalité  comme  il  nous  le  raconte.  Mais  nous  nous  som- 
mes facilement  aperçu,  en  l'interrogeant  à  maintes  reprises,  qu'il  n'a  pas  de 
mémoire  et  qu'il  enchevêtre  les  faits  les  plus  éloignés  par  la  date  où  ils  se 
sont  produits.  Voici  en  résumé,  d'après  la  criti([ue  que  j'ai  faite  des  docu- 
ments qu'il  m'a  fournis,  l'histoire  de  notre  homme,  telle  que  je  vous  propose 
de  l'admettre. 

Il  affirme  qu'il  n'y  a  pas  eu  dans  sa  famille  d'antécédents  nerveux.  A  cet 
égard,  je  me    permettrai  de  ne  pas  l'en  croire.  Il  est  même  impossible  que 

1.  Voir"   à  ce  sujet  rEtiide    statistiriue  drjà  citée  du    D*"    Marie,    Progrès  médical   p.  68,  87, 

juSllet  1889, 


—  394  — 

cela  soit:  d'ailleurs^  dans  la   recherche  de  ses   antécédents,   le  chemin  est 
coupé;  il  ne  connaît  pas  du  tout  la  famille  de  son  père. 

Sa  mère  et  sa  tante  sont  mortes  de  maladie  cardiaque.  Celle-ci  avait 
fréquemment  souffert  du  rhumatisme  articulaire.  Nous  trouvons  là,  pour  le 
moins,  les  marques  de  l'élément  arthritique,  qui,  si  fréquemment,  concourt 
au  développement  héréditaire  des  affections  névropathiques. 

A  l'âge  de  douze  ans,  il  aurait  été  atteint  d'une  fièvre  typhoïde  grave.  C'est 
de  cette  époque  qu'il  faut  faire  dater  sa  faiblesse  intellectuelle  et  son  amnésie- 
Ce  qu'il  avait,  antérieurement  à  cette  maladie,  appris  à  l'école  il  l'a  depuis 
complètement  oublié  et  n'u,  jamais  pu  le  réapprendre.  Il  avait  toujours  eu 
d'ailleurs  des  goûts  de  vagabondage;  il  aimait  à  courir  les  champs,  et  évitait 
autant  que  possible  de  se  rendre  à  l'école. 

Il  avait  dix-huit  ans  lorsque,  n'ayant  pu  apprendre  aucune  profession,  il 
s'engagea  dans  la  marine.  Il  fit  là  six  ans  de  service,  sans  encombre  et  il  allait 
être  libéré,  lorsqu'à  la  suite,  à  ce  qu'il  assure,  d'une  discussion  avec  un  ad- 
judant, il  jette  cet  officier  par  dessus-bord  et  se  trouve  par  suite  con- 
damnéàmort. Sa  peine  fut  commuée,  paraît-il,  en  dix  ans  de  travaux  forcés  : 
en  conséquence,  il  fut  envoyé  en  Algérie  où,  pendant  huit  ans,  il  a  été  occupé 
à  travailler  sur  les  routes.  Il  finit  son  temps  à  la  Nouvelle-Calédonie. 

C'est  de  son  séjour  en  Algérie  que  datent  la  plupart  des  tatouages  carac- 
téristiques dont  il  aie  corps  couvert.  Voyez,  il  porte  sur  le  côté  gauche  de  la 
poitrine  une  «  croix  d'honneur  »  imaginaire  ;  sur  son  avant-bras  gauche  on 
lit  l'inscription  suivante  «  mort  aux  gendarmes.  »  Au  beau  milieu  du  tronc, 
un  peu  au-dessus  du  sternum,  se  présente  une  figure  de  femme,  décemment 
couverte  qu'il  dit  être  la  nuit.  Pourquoi  la  nuit  ?  il  n'a  jamais  pu  le  dire.  Je 
signalerai  encore,  sur  le  bras  droite  le  dessin  d'un  homme  «  en  costume  de 
mousquetaire  »  destiné  à  représenter,  paraît-il,  le  gouverneur  de  la  colonie 
pénitentiaire,  et  un  peu  plus  bas  celui  d'un  autre  homme  en  costume 
«  d'Ecossais  »  ?  J'aurais  à  signaler  encore  bien  d'autres  tatouages^  plus  ou 
moins  bizarrement  placés,  mais  la  plupart  d'entre  eux  sont  tels  que  leur  des- 
cription blesserait  l'honnêteté  !  c'est  pourquoi  je  passe  outre.  Tout  cela, 
Messieurs,  est-il  assez  absurde  ?  mais  remarquez-le  bien,  pour  nous  médecins 
l'examen  de  ces  inscriptions,  de  ces  images  symboliques  bizarres,  n'est 
pas  à  dédaigner.  On  peut  dire,  en  effets  qu'elles  sont  parfaitement  dans  la 
situation,  et  qu'elles  font  en  quelque  sorte  partie  de  la  caractéristique  de 
l'état  mental  de  notre  homme. 

Il  avait  environ  trente-cinq  ans  lorsqu'il  fut  mis  en  liberté.  Les  dix  années 
qui  ont  suivi  sa  libération  ont  été  marquées  par  des  incidents  patholo- 
giques nombreux  et  qu'il  nous  faut  mettre  en  relief.  Les  mille  francs,  prove- 
nant de  son  «  prêt  »,  qu'il  avait  touchés,  furent  bientôt  dépensés  en  orgies 
de  boisson.  C'est  à  cette  époque  que  commencent  à  paraître  les  délires 
surtout  nocturnes  où  il  voit   des  animaux  féroces,  des  lions  surtout  qui   le 


—  395  — 

menacent  et  contre  lesquels  il  se  défend  à  l'aide  d'un  couteau  dont  il 
frappe  les  murs.  Une  fois,  il  s'en  est  frappé  lui-même  au  bras  gauche,  pro- 
duisant une  lar^e  blessure  dijiit  il  porte  encore  la  cicatrice. 

C'est  vers  la  même  époque  qu'ont  commencé  à  paraître  des  crises  nerveuses 
convulsives,  qui  n'ont  pas  cessé  de  se  manifester  de  temps  à  autre  depuis  et 
que  nous  allons  retrouver  par  la  suite. 

Pendant  cette  longue  période  de  dix  années,  les  excès  alcooliques  n'ont  pas 
manqué  d'aller  leur  train  et  en  consécpience,  Lap.. sonne  n'a  pas  cessé  de 
fréquenter,  tantôt  les  hôpitaux  lorsque  les  accidents  nerveux  dont  il  souffrait 
le  laissaient  à  peu  près  calme,  tantôt  l'asile  Sainte-Anne  ou  encore  Bicétre 
lorsqu'il  était  pris  de  délire  bruyant. 

Cependant, dans  les  intervalles  de  ces  crises,  il  s'est  livré,  car,  après  tout,  il 
fallait  vivre,  à  des  professions  diverses  :  il  y  a  cinq  ou  six  ans,  il  a  dil  cesser 
de  servir  les  maçons,  comme  il  le  faisait  depuis  son  départ  de  la  Nouvelle- 
Calédonie,  parce  que  —  remarquez  bien  ce  détail  caractéristique,  —  il  était 
devenu  faible  de  tout  le  côté  droit,  du  membre  supérieur  surtout  :  les  objets 
qu'il  portait  lui  tombaient,  dit-il,  de  la  main  droite,  «  lorsqu'il  ne  les  regar- 
dait pas  ».  Cette  parésie  de  la  main  droite,  avec  perte  du  sens  musculaire, 
nous  allons  la  retrouver  tout  à  l'heure  telle  quelle,  cinq  ou  six  ans  au  moins 
après  le  moment  où  elle  a  été  pour  la  première  fois  remarquée. 

Après  avoir  quitté  les  maçons, Lap..  sonne  a  été  «  employé  de  ménagerie  v 
dans  les  fêtes  publiques.  Dans  ce  temps-là,  dans  le  but  de  s'élever  dans  la  pro- 
fession,il  a  fréquenté  les  cours  d'un  nommé  M...  s'intitulant  artiste  et  demeu- 
rant rue  des  Quatre-Chemins  à  Aubervilliers  où  il  enseigne  les  trucs  de  bate- 
leurs. C'est  chez  ce  professeur  qu'il  a  appris  à  avaler  des  sabres,  des  étoupes 
enflammées,  à  manger  du  verre  cassé,  etc., etc.  — Il  a  par  la  suite  figuré  dans 
l'établissement  bien  connu  du  décapité  parlant.  Mais,  dans  le  cours  des  der- 
nières années  c'est  surtout,  dans  le  rôle  <^<  de  l'homme  sauvage  ^  (ju'il  parait 
dans  les  foires  des  environs  de  Paris.  Là,  on  le  montre  enfermé  dans  une 
cage  de  fer,  tout  noirci  des  pieds  à  la  tête,  portant  un  bonnet  de  plumes,  et 
des  chaînes  aux  pieds  ;  là,  au  grand  ébahissement  des  badauds,  on  le  voit, 
manger  en  rugissant  de  la  viande  crue,  voire  même,  à  ce  qu'il  prétend  — 
mais  peut  être  à  cet  égard  se  vante-t-il  —  des  lapins  vivants. 

Qui  eût  pu  penser  que  ce  «terrible cannibale  »  n'est  après  tout  qu'un  malheu- 
reux névropathe,  un  hystérique  !  Cela  est  cependant  ainsi  et  chez  lui,  vous 
allez  le  reconnaître,  les  caractères  de  la  névrose  hystérique  sont  on  ne  peut 
plus  nettement  accentués. 

Voici  d'abord  l'exposé  de  ce  qui  est  relatif  aux  stigmates  permanents  (Voir 
fig.  76,  77,  78).  Il  y  a  une  hémianesthésie  droite  relative  à  tous  les  modes  de 
la  sensibilité  et  à  peu  près  absolue.  Perte  du  sens  musculaire  dans  le  membre 
supérieur  droit.  11  ne  peut  rendre  compte  les  yeux  fermés  des  divers  dé})lace- 
mentsqu'on  imprime  aux  différents  segments  de  ce  membre, et  les  articulations 


—  396  ^ 

peuvent  y  être  brutalement  tordues  ou  distendues  sans   que  le  sujet  en  ait  la 
moindre  notion. 

Il  y  a  parésie  des  membres  supérieur  et  inférieur  du  côté  anesthésié  (côté 


droit).    Le  dynamomètre   donne   20   pour   la  main  droite,  oo   pour   la  main 
iiçauche. 

N'allez  pas  croire  que  cette  insensibilité  de  tout  un  côté  du  corps, qui, suivant 
toute  probabilité  date  de  fort  loin,  ait  été  pour  quelque  chose  dans  le  choix 
qu'il  a  fait  de  la  profession  de  bateleur  expert  dans  l'art  d'avaler  des  sabres, 


L.Nl 


—  :m  — 

du  verre  pilé,  des  e'toupes  entlammées,etc.  En  effet,  ainsi  que  cela  arrive  chez 
la  plupart  des  hystériques,  il  est  resté  sans  se  douter  de  son  existence  jusqu'au 
moment  où  elle  lui  a  été  révélTM;  par  les  explorations  nd  hoc  auxquelles  nous 
l'avons  soumis.  D'ailleurs,  ainsi  (jue  nous  l'avons  dit,  l'anesthésie  est  exacte- 
ment limitée  au  seul  côté  droit  du  corps, nième  en  ce  qui  concerne  le  voile  du 
palais  et  le  pharynx. 

Les  troubles  sensoriels  ne  sont  pas  moins  accusés.  L'examen  du  champ  vi- 
suel décèle  ({u'à  droite  il  y  amaurose  complète,  tandis  qu'à  «gauche  existe  un 
rétrécissement  du  champ  visuel  très  prononcé  (à  15").  Il  y  a  de  plus  microme- 


1) 


G 


sii    .Na>    j' 


...  KaI 


Fiff.  78.  —  Amani'oso  à  droite. 


galopsie  ;  pas  de  diplopie  monoculaire.  L'odorat  est  obnubilé  du  coté  droit. 
Rien  à  noter  relativement  au  goût  et  à  l'ouïe.  11  n'y  a  pas  de  points  ou  plaques 
hystérogènes. 

Nous  ne  sommes  pas  encore  tout  à  fait  renseignés  sur  la  forme  que  pré- 
sentent les  attaques  convulsives  qui  se  reproduisent  chez  lui  de  temps  à  autre, 
assez  fréquemment,  paraît-il, depuis  six  ou  sept  ans.  Il  en  a  eu  trois  ou  quatre 
seulement  depuis  son  entrée  àThùpital.  Voici  d'après  la  relation  des  gens  du 
service  qui  ont  assisté  à  quelques-unes  d'entre  elles  ce  qu'on  a  observé  géné- 
ralement. Ces  attaques  se  sont  régulièrement  produites  toutes  vers  quatre  ou 
cinq  heures  du  soir.  Il  y  a  une  aura  :  le  malade  se  plaint  de  mal  de  tète,  de 
confusion  dans  l'esprit,  de  tristesse  ;  il  ressent  des  battements  dans  les  tempes 
et   des   bruits   d'oreille  épouvantables   :  tout  cela    dure  environ  une  demi- 


—  398  — 

heure.  Après  quoi,  s'il  n'a  pas  pris  soin  de  se  coucher,  il  tombe  à  terre,  tout  à 
coup, comme  une  masse;  alors  surviennent  les  convulsions  épileptoïdes,  toni- 
quesd'abord,  puis  cloniques  ;  il  y  a  de  l'écume  à  la  bouche, pas  de  morsure  de  la 
langue,  pas  d'urination  involontaire.  Un  léger  stertor  termine  la  scène;  après 
cela,  le  malade  revient  à  lui  assez  rapidement  et  se  relève  en  se  frottant  les 
mains  et  en  se  grattant  la  poitrine,  comme  si  la  peau  de  ces  parties  était  le 
siège  d'une  vive  démangeaison. 

D'après  la  description  que  nous  venons  d'en  donner,  ces  accès  doivent  être 
considérés  comme  représentant  une  anomalie  prévue  et  classée  des  attaques 
hystéro-épileptiques,  consistant  en  ce  que  la  période  dite  épileptoïde  se  pré- 
sente à  l'état  d'isolement,  ou  en  d'autres  termes  n'est  suivie,  contrairement  à 
la  règle  du  type,  ni  de  la  phase  «  des  grands  mouvements  »  ni  de  celle  «  des 
attitudes  passionnelles  ».  Vous  savez  qu'à  ne  les  considérer  qu'en  elles-mêmes 
et  indépendamment  des  circonstances  concomitantes,  ces  attaques  ainsi 
réduites  à  la  phase  épileptoïde,  ne  sauraient  être  distinguées  de  l'accès  comitial 
qu'en  ce  qu'elles  sont  précédées  d'une  aura  caractéristique  plus  ou  moins  pro- 
longée et  que,  suivant  une  règle  qui  souffre  cependan*  quelques  exceptions, 
la  morsure  de  la  langue  et  Turination  involontaire  y  font  défaut. 

Mais  d'après  les  renseignements  que  nous  avons  recueillis  auprès  du  malade 
lui-même,  notre  homme  aurait  de  temps  en  temps  alternant  avec  les  précédents 
d'autres  accès  qui  rappellent  exactement  cette  fois  l'image  classique  de  l'atta- 
que épileptique,  à  savoir  :  apparition  plutôt  la  nuit^  début  soudain  sans  pro- 
dromes, morsure  de  la  langue,  urination  involontaire,  stertor  prolongé, 
abrutissement  au  sortir  de  la  crise,  etc.,  etc.  Si  cela  est  réellement,  il  s'agirait, 
vous  l'avez  compris,  d'hystérie  et  d'épilepsie  coexistant  chez  notre  homme, 
mais  vivant  chez  lui  en  quelque  sorte  séparément,  côte  à  côte,  sans  promis- 
cuité; combinaison  qui  dans  la  nomenclature,  depuis  longtemps  usitée  dans 
cet  hospice,  est  désignée  sous  le   nom  d' hystéro-épilepsie  à  crises  séparées. 

Après  cet  exposé  des  faits,  il  ne  sera  pas  hors  de  propos.  Messieurs,  d'indi- 
quer sommairement,  en  manière  de  résumé,,  quelques-uns  des  principaux 
enseignements  qui  en  découlent. 

J'ai  placé  devant  vos  yeux  une  malheureuse  créature  sans  intelligence,  sans 
mémoire  et  sans  jugement  ;  faible  aussi  moralement,  bien  entendu,  et  émotive; 
manifestement  marquée  en  un  mot  au  sceau  de  la  dégénérescence  mentale, 
telle  que  Morel  l'a  comprise.  Vous  avez  vu  notre  homme,  i)endant  une  bonne 
partie  de  son  existence, placé  constamment  sous  le  coup  des  impulsions  mor- 
bides qui  plusieurs  fois  l'ont  poussé  à  l'accomplissement  d'actes  délictueux; 
puis  livré  à  lui-même  il  mène  une  vie  errante,  vagabonde  et  exerce  des  pro- 
fessions à  peine  avouables.  Sur  ces  entrefaites  l'alcoolisme  était  intervenu,  et 
sur  ce  fonds  admirablement  préparé  pour  en  favoriser  et  en  grandir  l'action, 
il  exerce  des  ravages.  C'est  alors  que,  sous  l'influence  puissante   de  cet  agent 


—  :m)  — 

provocateur,  l'hystérie  upparaiL  avec  les  attaques  et  les  stigmates  qui  lui  sont 
propres,  puis  aussi  peut-être,  du  mônie  coup,  l'épilepsic  avec  les  accès  qui  tx 
caractérisent. 

Voilà  certes  une  série  d'événements  qui  se  succèdent  et  s'enchaînent  suivant 
les  lois  d'un  déterminisme  implacable;  et,  dans  cette  évolution  en  quehpie 
sorte  logique,  des  épisodes  pathologiques  rien  n'est  fait,  j'en  suis  sâr,  pour 
vous  surprendre,  préparés  que  vous  êtes  à  en  comprendre  la  raison,  par  nos 
études  antérieures. 

Comment  le  médecin  pourra-t-il  espérer  intervenir  utilement  dans  cette 
triste  afiaire  :  peut-être  autrefois,  eût-on  pu  tenter  d'opposer  une  digue  aux 
envahissements  successifs  du  mal;  mais,  aujourd'hui  que  les  destinées  sont 
accomplies,le  mieux  sera,  je pense,de  chercher  à  obtenir  l'admission  dumalheu- 
reux  «  homme  sauvage  »  dans  un  asile  où  il  trouvera  protection  contre  ses 
propres  écarts  en  même  temps  qu'il  sera  mis  dans  l'impossibilité  de  nuire 
aux  autres. 


Il 

J'en  viens  au  second  malade  du  groupe.  C'est  un  pauvre  diable, âgé  df  vingt- 
quatreans,portantlenomdeRo...  eau.Oh!  la  nature, la  nature  immorale  comme 
certains  philosophes  pessimistes  l'appellent,  ne  l'a  pas  ménagé.  Lui  aussi  est 
un  dégénéré,  et  cette  fois  l'hérédité  nerveuse  nous  sera  facile  à  établir.  Son 
intelligence  est  faible, pour  ne  pas  dire  plus  ;  il  n'a  jameais  pu  apprendre  à  lire  ; 
sa  marche  est  gênée  par  l'existence  de  deux  pieds-bots  congénitaux  et  on  lui 
voit  au  cou  de  nombreuses  traces  de  scrofule.  De  plus,  il  bégaye  horriblement 
comme  vous  aurez  dans  un  instant  l'occasion  de  le  constater.  Cependant,  mal- 
gré cela,  avec  la  permission  des  autorités  compétentes,  il  vit  de  la  profession 
de  chanteur  des  rues,  dans  la  banlieue  de  Paris.  Voyez,  il  porte  constamment 
dans  sa  poche  son  pauvre  livret  de  licence,  sale,  crasseux  «  à  vous  tirer  des 
larmes.  »  Quand  il  parle,  il  ne  peut  pas  assembler  deux  mots  de  suite,  tant  il 
bégaye  ;  mais  quand  il  chante,  quand  il  chante  «  la  Fauvette  ^>  par  exemple 
—  car  par  une  ironie  du  sort,  c'est  la  tendre  romance  qu'il  cultive  spéciale- 
ment —  c'est  une  autre  afïaire  ;  cela  va  tout  seul,  paraît-il,  et  sans  accrocs.  Il 
est  donc  abnslque,  si  vous  voulez,  de  la  langue  et  des  lèvres  pour  l'arti- 
culation parlée,  il  ne  l'est  plus  quand  il  s'agit  de  l'articulation  chantée  ;  fait 
bien  connu  du  reste. 

C'est  ainsi  qu'il  gagne  sa  vie,  bien  maigrement,  couchant  par-ci  par-là.  pour 
quelques  sous,  dans  des  garnis  infimes,  et  quelquefois  aussi  pour  rien  à  la 
belle  étoile.  11  raconte  avec  emphase  que,  pendant  un  mois,  il  a  occupé  une 
chambre  qu'il  a  payée  dix  francs,  oh  !  c'était  du  luxe  !  Les  alfaires  allaient  ^i 


—  400  — 

bien  dans  ce  temps-là  ;  il  ne  s'est  plus,  depuis  lors,  jamais  trouvé  à  pareille 
fête. 

Dans  la  règle  il  ne  mange  pas  tous  les  jours  à  sa  faim.  Il  ne  gagne  guère 
chaque  jour,  en  elFet,  plus  de  vingt  sous  et  encore  faut-il  compter  sur  la 
morte-saison. 

Malgré  tout,  Messieurs,  c'est  un  garçon  placide,  rangé,  résigné,  plutôt 
bienveillant  et  j'ajouterai  inoffensif,  ou  il  me  tromperait  forl. 

Les  choses  ont  été  pour  lui,  tant  bien  que  mal,  jusqu'à  il  y  a  deux  mois.  A 
cette  époque  il  a  commencé  à  s'affaiblir  considérablement  et,  en  même  temps, 
sont  survenues  des  attaques  qui  n'ont  pas  cessé  depuis  de  se  reproduire  de 
temps  à  autre.  Telle  est  la  raison  pour  laquelle  il  est  venu  demander  son 
admission  à  la  Clinique. 

Voici  du  reste  son  histoire  :  son  père  avait  pour  profession  d'aller  chercher 
des  champignons  dans  les  bois  des  environs  de  Paris,  surtout  à  Meudon.  Il 
bégayait  encore  plus  que  son  fils  ;  c'est  dire  qu'il  pouvait  à  peine  parler. 
C'était  un  ivrogne  abominable,  méchant,  qui  ne  cessait  pour  ainsi  dire  pas  de 
battre  sa  femme  et  ses  enfants.  La  pauvre  malheureuse  était,  paraît-il,  très  ner- 
veuse. Elle  est  morte  pendant  le  siège. 

Après  la  mort  de  sa  mère,  l'enfant  fut  réduit  à  mendier  dans  les  rues  de 
Paris  et,  bientôt  ramassé  sur  la  voie  publique,  il  fut  interné  à  Mettray.  Le  seul 
incident  pathologique  à  signaler  chez  lui,  avant  son  internement,  c'est  une 
chute  soudaine  avec  perte  de  connaissance,  dont  la  durée  aurait  été  d'une 
heure,  survenue  au  moment  où,  pendant  le  siège,  une  bombe  éclatait  non  loin 
de  lui.  Il  était  alors  âgé  de  cinq  ans.  Pendant  son  séjour  à  Mettray,il  n'a  jamais 
été  malade.  Il  dit  n'y  avoir  jamais  souffert  ;  il  trouve  seulement  que  la  viande 
y  était^fort  mauvaise,  et  assure  que  généralement  parmi  les  détenus,  personne 
n'en  voulait  manger.  Aujourd'hui  depuis  qu'il  est  libre,  il  n'en  mange  pas  beau- 
coup plus  ;  cela  coûte  trop  cher.  On  a  essayé  de  l'instruire,  mais  il  avait,  dit- 
il,  «  la  tête  trop  dure  »  ;  il  n'a  jamais  pu  rien  apprendre. 

Il  a  été  libéré  à  l'âge  de  vingt  et  un  ans,  il  y  a  donc  trois  ans  de  cela.  C'est 
depuis  cette  époque  qu'il  exerce  le  triste  et  peu  lucratif  métier  que  vous  savez. 
En  somme, on  peut  dire  que  depuis  ce  temps  il  vil  littéralement  dans  la  misère, 
ne  mangeant  guère  que  du  pain,  et  encore  pas  tout  son  soûl  et  ne  buvant  que  de 
l'eau.  Pendant  les  premières  années,  sa  constitution  a  résisté  aux  effets  de  ce 
déplorable  régime  ;  mais  il  y  a  dix  mois  la  dépression  physique  est  survenue 
et  c'est  vraisemblement  sous  son  intluence  que,  la  prédisposition  héréditaire 
aidant,  l'hystérie  a  paru. 

Elle  est  représentée  chez  notre  malade  sous  ses  deux  grands  aspects.  Les 
stigmates  permanents  consistent  en  une  hémiamUgésie  gauche  avec  légère 
obnubilation  du  sens  musculaire  du  même  côté  :  fait  remarquable  mais  qui 
n'est  pas  sans  exemple,  le   champ  visuel  de  ce  même  côté  gauche  est  normal 


—  401   — 

tandis  que  du  C(')té  droit, il  est  rétréci  ;ï  50".  En  même  temps, encore  de  ce  côté- 
là,  il  y  niicroméi^alopsie  et  dyschromatopsie  ;  pas  de  diplopie  monoculaire. Le 
goiil  et  Todorat  sont  manifestement  obnubilés  ii  gauche. 


Fig.  79. 


Fig.  80. 


La  peau  du  scrotum  à  gauche  est  très  sensible  i\  la  moindre  pression  ;  le 
testicule  correspondant  est  plus  douloureux  encore  et  quand  on  comprime  un 
peu  fortement  soit  le  testicule  lui-même,  soit  les  téguments  qui  le  recouvrent, 
le  malade  éprouve  la  sensation  de  quelque  chose  qui  lui  remonte  vers  la 
poitrine  et  vers  le  cou  où  il  éprouve  un  sentiment  de  suffocation. A  ce  propos. 


—  402  — 

je  ferai  remarquer  que  Ro...eau  n'est  pas^  tant  s'en  faut,  un  libidineux  :  il 
n'est  nullement  tourmenté  par  les  désirs  charnels  et  il  n'a  eu  de  rapports 
sexuels  qu'une  seule  fois,  et  encore  ? 

Un  autre  point  hystérogène  existe  au  niveau  de  la  fosse  iliaque  droite  :  il  est 
situé  profondément  et  il  faut  soumettre  la  région  à  une  compression  un   peu 


D 


Fi^.  81,  —  Champ  visuel  de  l'œil  droit,  celui  de  l'œil  j,Muche  est  normal. 


forte  pour  déterminer  les  phénomènes  de  l'aura.  Cette  région  devient  doulou- 
reuse au  mouient  où  se  produit  spontanément  la  sensation  d'aura  qui  précède 
les  attaques  convulsives. 

La  première  de  ces  attaques  s'est  produite  en  juin  1888,  sans  cause  occasion- 
nelle connue  ;  il  n'avait  été  ni  ému,  ni  eiïrayé^  ni  contrarié.  Elles  n'ont  pas 
cessé  de  se  reproduire  depuis,  de  temps  à  autre, assez  fré(|uemment.  Ce  sont, 
en  somme,  des  attacjues  classiques  précédées  d'une  aura  qui  part  tantôt  de  la 
fosse  iliaque  droite,  tantôt  du  testicule  gauche,  tantôt  de  la  jambe  droite, 
tantôt  de  ces  divers  points  en  même  temps.  La  période  épileptoïde  est  en  gé- 
néral très  courte;  le  perte  de  conscience  incomplète.  Il  n'y  a  pas  de  grands 
mouvements,  si  ce  n'est  une  esquisse  assez  nette  de  l'arc  de  cercle;  pas  d'atti- 
tudes passionnelles.  Les  accès  sont  en  général  isolés,  et  ne  durent  pas  plus  de 
huit  u,  dix  minutes  en  tout.  Une  fois,  à  la  suite  d'une  de  ses  attaques,  le  ma- 
lade aétéfra})pé  d'une  hémiplégiogauche  incom[)lèteavec  légère  contracture  de 
la  main,  tandis  ([ue  le  membre  inférieur  gaucho,  flasque,  traînait  sur  le  sol  à 


—  403  — 

la  manière  d'un  corps  inerte  suivant  le  mode  classique.   De  cette  hr'imiplégie 
gauche  il  ne  reste  aujourd'hui  que  des  traces  légères. 

C'est  de  celte  époque  (pie  date  la  première  apparition,  assure  le  malade, 
d'un  phénomène  peu  connu  encore  dans  l'histoire  de  l'hystérie  et  qui  ici  est 
fort  accentué.  Je  veux  parler  d'une  atrophie  musculaire,  sans  accompagne- 
ment de  secousses  fibrillaircs,  sans  exagération  ou  diminution  des  réflexes 
tendineux,  portant  sur  l'avant-bras  droit,  surtout  sur  la  cuisse  et  la  jambe  du 
même  côté,  et  qui  paraît  s'être  développée  très  rapidement.  Il  y  a  sur  la  jambe 
et  la  cuisse  de  ce  côté, comparées  aux  parties  correspondantes  du  côté  gauche 
une  différence  de  2  centimètres  (1).  Nous  avons,  M.  Babinski  et  moi,  appelé 
depuis  longtemps  l'attention  sur  les  atrophies  musculaires  qui  se  produisent 
dans  le  cours  de  l'hystérie,  et  ([ui  ne  relèvent  que  de  sa  seule  influence  ''1). 
Maislecasd'aujourd'hui  présente  quelque  chose  d'imprévu.  En  général, en  effet 
c'est  du  côté  où  se  montrent  la  paralysie  motrice  et  les  troubles  de  la  sen- 
sibilité que  siège  l'amyotrophie  hystérique,  tandis  ({ue  dans  notre  cas,  elle 
occupe,  au  contraire,  le  côté  opposé.  Mais,  il  faut  bien  le  reconnaître,  nous  en 
savons  encore  fort  peu  sur  ce  genre  d'atrophie  musculaire,  et  avant  de  vouloir 
légiférer  définitivement  sur  son  compte,  nous  devons  savoir  attendre  que  les 
observations  se  multiplient. 

Messieurs,  en  dehors  des  quelques  particularités  sur  lesquelles  j'ai  insisté 
chemin  faisant, l'intérêt  du  cas  que  nous  venons  d'étudier  ensemble,  me  parait 
consister  surtout  en  ceci  :  il  montre  bien,  si  je  ne  me  trompe,  que  parmi  les 
agents  provocateurs  de  l'hystérie,  à  côté  des  grandes  perturbations  morales, 
des  traumatismes,  des  intoxications,  etc.^  il  y  a  lieu  de  placer  la  misère,  la 
misère  avec  toutes  ses  duretés,  toutes  ses  cruautés.  Certes,  dans  le  domaine 
étiologique,  elle  constitue  un  élément  dont  on  ne  saurait  méconnaître  la  puis- 
sance et  c'est  là  surtout  ce  que  je  tenais  à  faire  ressortir. 

1.  Voicile  résultat  des  mensurations  faites  à  qualre  travers  des  doigts,  au-dessus  et  au-dessous 
du  coude  et  du  genou. 

Périmètre  du  bras  droit,  24'-''^'  —  Bras  gauche  24''-" 

—  de  l'avant-bras  droit,  25 '^^'-"  —  avant-bras  eraiiche,  27  «'•■ 

—  de  la  cuisse  droite,  37 ^"^  —  de  la  cuisse  gauche,  39^'^" 

—  de  la  jambe  droite,  32^'°  —  de  la  jambe  gauche,  34  *^"=. 

2.  Babinski.  De  l'atrophie  musculaire  dans  les  paralysies  hystériques.  .\rch.  de  Neurologie 
vol.  11,  juillet  188(i,  p.  1. 


o* 


IMr.  NOIZBTTE,  8,  RUE  CAMPAGNE-PREMIÎ^RE,   PARIS. 


Policlinique  du  19   Mars  1889 


DIX-HUITIEME    LEÇON 

1''  Amyolrophie  spinale  progressive  survenue  à  Tâge  de  3 4  ans 
chez  un  honrime  qui  à  l'âge  de  2  ans,  avait  été  atteint  de 
paralysie  spinale  infantile. 

2°  Chez  un  homme  de  24  ans  :  Epilepsie,  Hystérie  majeure 
et  Morphinomanie  combinées. 


Messieurs. 

Le  premier  cas  qui,  aujourd'hui,  va  être  soumis  à  notre  examen  est  relatif 
à  une  amyolrophie  généralisée, de  forme  progressive,  développée  chez  un  sujet 
qui,  dans  Tenfance,  avait  été  frappé  de  paralysie  spinale  aiguë. alTection  dont 
il  porte  encore  les  reliquats.  De  quel  genre  d'amyotrophie  progressive  s'agit- 
il  chez  ce  malade?  Existe-t-il  une  relation  entre  la  maladie  de  l'enfance  et 
celle  qui  s'offre  actuellement  à  notre  observation:  et,  si  cela  est,  quel  est  le 
genre  de  cetterelation?  Telles  sont  les  questions  intéressantes  qui  vont  se  pré- 
senter à  nous,  chemin  faisant,  et  dont  nous  essaierons  de  trouver  la  solution. 


I 

Il  s'agit  d'un  nommé  Ni. .las  Du..nt,  âgé  de  40  ans,  d'apparence  assez  vigou- 
reuse et  exerçant  autrefois  la  profession  de  bijoutier  en  acier  que  la  maladie  l'a 
obligé  d'abandonner  il  y  a  3  ans.  Malgré  l'intirmité  produite  par  la  paralysie 
infantile,  laquelle  gène  l'action  des  membres  inférieurs,  il  a  toujours  pu 
marcher  depuis  l'âge  de  3  ou  4  ans,  tant  bien  que  mal,  et,  plus  tard,  il  a  pu 
travailler  habilement  de  ses  mains,  dans  une  profession  dont  l'exercice  est, 
paraît-il,  assez  fatiguant. 

55 


—  408  — 

Voici  ce  qu'il  raconte  concernant  cette  paralysie  d'enfance  dont  il  sera 
question  plus  d'une  fois  encore  par  la  suite.  Elle  se  serait  développée  très 
rapidement  vers  Tàge  de  deux  ans,  et  elle  aurait  envahi  du  même  coup  les 
deux  membres  inférieurs  et  le  membre  supérieur  droit,  et  dans  ces  membres 
l'impuissance  motrice  aurait  été,  pendant  plusieurs  mois,  absolument  com- 
plète. Puis  est  survenue, suivant  la  règle,  la  période  de  rétrogression  ou  de  ré- 
trocession, comme  vous  voudrez  l'appeler.  C'est  alors  que  le  membre  supérieur 
droit,  tout  d'abord  se  dégage  ;  il  devait  cependant,  par  la  suite,  pendant 
longtemps  se  montrer  un  peu  plus  faible  que  le  membre  correspondant.  Puis 
cela  a  été  le  tour  des  cuisses.  Mais,  pour  ce  qui  est  des  jambes,  elles  sont  res- 
tées depuis  l'époque  considérablement  atrophiées,  l'une  et  l'autre,  surtout  la 
gauche.  De  plus  il  s'était  formé  à  droite  un  pied  bot,  tandis  qu'à  gauche  le 
pied  est  demeuré  flasque,  ballant  dans  toutes  les  directions.  Un  examen  som- 
maire vous  fait  reconnaitre  la  forme  conique  des  membres  inférieurs,  la  co- 
loration violacée  et  les  rugosités  que  présente  la  peau  des  jambes  et  des  pieds, 
en  même  temps  que  Fapplication  de  la  main  sur  ces  parties  vous}'  fait  per- 
cevoir une  sensation  de  froid  très  caractéristique. 

A  propos  du  développement  de  cette  maladie  d'enfance,  je  relèverai  que 
les  tares  nerveuses  ne  font  pas  défaut  dans  la  famille  du  malade.  Sa  mère, 
d'après  le  récit  qu'il  nous  donne,  était  atteinte  d'une«maladie  de  nerfs» qui  la 
faisait  se  tenir  le  corps  courbé  en  avant;  quand  elle  marchait  elle  allait  sou- 
vent plus  vite  qu'elle  ne  le  voulait;  ses  mains  tremblaient.  Ces  quelques  traits 
suffisent  pour  nous  faire  reconnaître  qu'il  s'est  agi  là  de  la  paralysie-agitante 
ou  maladie  de  Parkinson.  Ajoutons  qu'un  des  frères  de  notre  homme  est  épi- 
leptique.  Ces  faits,  vous  l'avez  compris,  pourraient  servir  d'arguments  en 
faveur  de  la  thèse  que  je  soutiens  depuis  longtemps,  à  savoir  :  que  la  paraly- 
sie spinale  infantile  est  moins  une  maladie  accidentelle,  contingente,  micro- 
bienne surtout  comme  on  l'a  voulu  prétendre,  qu'une  maladie  d'hérédité  ner- 
veuse. Ils  pourront  contribuer  peut-être  du  même  coup  à  éclairer  la  genèse 
des  incidents  pathologiques  qui  se  sont  produits  par  la  suite  vers  Tâge  de 
36  ans. 

Veuillez  vous  remettre  en  mémoire.  Messieurs,  la  situation  d'un  sujet  chez 
lequel,  comme  c'est  la  règle,  la  paralysie  infantile  a  laissé  subsister  après 
elle,  pour  toute  la  vie,  une  impuissance  motrice  plus  oumoins  accusée  d'un  ou 
plusieurs  membres.  L'anatomisteconstaterait,  vous  le  savez,  chez  un  tel  sujet, 
dans  certaines  régions  de  la  moelle  épinière,  les  vestiges  de  la  myélite  centrale 
aiguë,  cause  de  tousles  désordres.  Ils  se  présenteraient  là,  sous  la  forme  d'un 
tissu  cicatricielplus  ou  moins  étroitement  localisé  dans  les  cornes  antérieuresde 
substance  grise,  constituant,  on  peut  le  dire,  une  lésion  indélébile:  je  l'ai 
pour  mon  compte  rencontrée  plus  de  00  ans  après  la  cessation  de  la  maladie 
qui  lui  avait  donné  naissance.  A  ces  lésions  spinales,  à  titre  de  faits  consé- 
cutifs, correspondent  dans  les  membres  paralysés,  une  atrophie  dégénérative 


—  4(>9  ~ 

des  troncs  nerveux  émanant  des  parties  altérées  des  cornes  antérieures,  l'atro- 
phie des  muscles  auxquels  ces  nerfs  se  distribuent  et  enfin,  dans  certains  cas, 
une  altération  de  nutrition  des  os,  s'accusant  par  une  fragilité  anormale.  Cet 
état  du  tissu  osseux  dans  les  m(;mbres  affectés  peut  expliquer  que  trois 
fractures  se  soient  produites  à  diverses  é[)oqueschez  notre  homme,  la  première 
tïTagede  14  ans  portant  sur  les  deuxosde  la  jambe  gauche,  la  seconde  à  i'àge 
de  ^iO  ans  sur  l'humérus  du  coté  droit,  et  la  troisième  enfin,  trois  ans  plus  tard 
sur  le  même  humérus.  A  propos  de  la  troisième  fracture,  il  est  intéressant  de 
faire  remarquer  cettepersistance,  jusqu'à  l'âge  mûr,  delà  fragilité  osseuse  surce 
membre  supérieur  droit  qui,  un  instant  frappé  de  paralysie  complète,  s'était 
cependant,  dans  la  période  de  rétrocession,  à  peu  près  complètement  dégagé. 
Pour  ce  qui  est  de  l'atrophie  des  nerfs  et  des  muscles  signalée  plus  haut,  il 
faut  y  voir  des  lésions  fixées, définitives,  dont  on  ne  doit  attendre  aucun  retour 
agressif.  Elles  sont  comme  les  reliquats  d'un  processus  morbide  éteint 
pour  toujours  et  qui,  passez-moi  le  mot,  ne  se  rallumera  plus.  Peut-on  en  dire 
autant  de  la  lésion  cicatricielle  de  la  moelle  épinière  ?  Cela  certes,  n'est  pas 
aussi  démontré.  On  sait  bien  que  dans  la  paralysie  spinale  aiguë  de  l'enfance 
il  n'y  a  pas,  à  proprement  parler,  de  récidives  à  craindre;  c'est  une  maladie 
qui  ne  nous  attaque  qu'une  fois  dans  la  vie.  On  comprend  d'ailleurs  que  le 
processus  de  la  téphro-myélite  aiguë  ne  puisse  plus  se  reproduire  jamais,  au 
moins  sur  ces  régions  des  cornes  antérieures  où  les  cellules  motrices  ont  été 
irréparablement  détruites.  Mais  le  tissu  cicatriciel  qui  dans  ces  régions  là 
s'est  substitué  à  la  substance  grise  ne  peut-il  pas  être  considéré  comme  un 
foyer  permanent  d'irritation  latente  où,  sous  de  certaines  influences,  l'incendie 
pourra  s'allumer  et  se  communiiiuer  de  proche  enproche aux  parties  voisines? 
Ainsi  se  produiraient,  par  propagation,  des  lésions  spinales  nouvelles  évoluant 
soit  dans  le  mode  subaigu,  soit  dans  le  mode  chronique  et  occupant  princi- 
palement, du  moins  à  l'origine,  les  cornes  antérieures.  Cesont  là  des  questions 
qui  se  présentent  naturellement  à  l'esprit  et  dont  nous  aurons  justement  à 
nous  occuper  tout  spécialement  dans  la  suite. 


II 

Ainsi  que  nous  l'avons  dit  il  n'y  a  qu'un  instant,  M.,  las  quoique  infirme,  a 
pu,  jusque  dans  ces  derniers  temps,  gagner  sa  vie  en  exerçant  sa  profession  de 
bijoutier,  et  pendant  cette  longue  période  il  n'avait  éprouvé  aucune  maladie, 
aucune  indisposition  sérieuse.  Mais  voilà  qu'il  y  a  4  ans,  34  ans  après  l'époque 
où  la  paralysie  spinale  infantile  a  cessé  d'évoluer,  sans  qu'une  cause  appré- 
ciable soit  intervenue,  il  s'aperçoit  que   son  épaule  droite,  puis   le  bras  du 


—  410  - 

même  côté  s'afTaiblissent;  si  bien  que  Texercice  de  sa  profession, d'abord  gêné, 
devint  bientôt  impossible.  Un  an  après  surviennent  dans  ces  parties  des  four- 
millements; en  même  temps  l'atrophie  des  muscles  intéressés  y  devient  des  plus 
évidentes.  Un  peu  plus  tard,  l'épaule  d'abord,  puis  le  bras  gauche  subissent 
exactement  le  même  sort.  Enfin,  c'est  le  tour  des  cuisses  où  les  fourmillements 
ainsi  que  l'atrophie  musculaire  se  montrent  également,  et,  en  conséquence 
de  celle-ci,  l'affaiblissement  se  prononce  progressivement  dans  les  membres 
inférieurs  au  point  que  la  station  et  la  marche  en  deviennent  de  plus  en  plus 
difficiles. 

Ainsi,  je  le  répète,  le  malade  ayant  atteint  l'âge  de  36  ans,  on  voit  ce  mem- 
bre supérieur  droit  qui,  34  ans  auparavant,  après  avoir  été  un  moment 
sérieusement  impliqué  dans  la  paralysie  infantile,  s'était  à  peu  près  complè- 
tement dégagé,  restant  seulement  un  peu  plus  faible  que  son  congénère,  sur 
lequel  plus  tard,  il  s'était  produit  deux  fractures,  on  voit  dis-je,  ce  membre, 
devenir  le  siège  d'une  amyotrophie  localisée  d'abord  dans  l'épaule  et  l'avant- 
bras,  puis  se  répandant  sur  les  parties  symétriques  du  membre  supérieur 
gauche,  épaule  et  avant-bras,  et  en  dernier  lieu  apparaissant  dans  les  membres 
inférieurs  où  elle  occupe  les  cuisses. 

Telle  a  été,  d'une  façon  sommaire,  l'évolution  du  mal  dont  nous  pouvons 
actuellement  étudier  les  effets.  Mais  avant  d'entrer  dans  les  détails,  je  dois 
vous  prévenir  que  l'histoire  clinique  de  notre  homme  figure  déjà  dans  la 
science  deux  fois,  comme  s'il  s'agissait  de  deux  sujets  difTérents.  Ainsi, le  cas 
publié  dans  la  Gazette  médicale  du  7  janvier  1888,  par  mon  interne  d'aujour- 
d'hui, M.  Dutil,  est,  je  m'en  suis  assuré,  relatif  au  même  individu  que  celui 
dont  Tétude,  faite  par  M.  le  D"^  Rémond  de  Metz,  a  paru  récemment  dans  le 
Progrès  médical  [il  ']d.ïiy\QY  1889).  Je  dois  à  l'obligeance  démon  collègue 
M.  Debove,  d'être  mis  en  mesure  de  vous  présenter,  actuellement,  ce  même 
malade  déjà  étudié  séparément,  avec  grand  soin,  par  les  deux  auteurs  que  je 
viens  de  vous  citer  et  dont  j'aurai  l'avantage  de  pouvoir  utiliser  les  observa- 
tions. 

Nous  avons  déjà  parlé  de  l'amaigrissement  considérable  qu'aux  membres 
inférieurs  présentent  les  jambes  par  le  fait  de  la  paralysie  d'enfance  ;  il  sem- 
ble que  les  masses  musculaires  aient  en  grande  partie  disparu.  La  peau  qui 
les  couvre, est  comme  on  l'a  dit,  froide,  rugueuse,  écailleuse,  d'une  teinte  vio- 
lacée. Les  cuisses  présentent  relativement  un  volume  assez  considérable  ;  le 
malade  affirme  néanmoins  que  depuis  (|uelque  temps  elles  ont  notablement 
diminué  de  volume.  On  voit,  surtout  le  sujet  étant  debout, toute  la  masse  mus- 
culaire du  triceps  et  le  couturier  constamment  agités  par  des  secousses  fibril- 
laires  qui  s'exagèrent  sous  l'iniluence  du  moindre  choc.  —  N..las,  se  plaint 
que,  depuis  quoique  temps,  la  marche  et  la  station  lui  sont  devenues  difliciles. 
Il  descend  maintenant  les  escaliers  avec  peine.  Par  moment,  les  triceps  fémo- 
raux se  relâchant,  il  est  mena:é  de  s'airaisser.  La  station  est  instable  ;  il  est 


—  411  — 

obligé  à  clmqiie  instant  de  se  tenir  aux  objets  environnants  et  de  changer  de 
place. 

Au  bras  droit,  les  muscles  du  moignon  de  réi)aule  sont  atrophiés,  y  compris 
les  sus  et  sous  épineux  et  le  sous-scapulaire.  Du  deltoïde  il  semble  ne  rester 
presque  plus  rien,  et  au  travers  de  ce  qui  en  persiste  on  arrive  à  sentir  très 
facilement  les  surfaces  articulaires.  Le  malade  ne  peut  pas  étendre  1  avant- 
bras  sur  le  bras  sans  s'aider  de  la  pesanteur  ;  le  biceps  est  très  atrophié  mais 
se  dessine  encore  à  l'état  de  corde  sous  la  peau.  L'adduction,  et  l'abduction 
du  bras  sont  impossibles,  il  en  est  de  même  de  l'élévation.  L'avant-bras  est 
amaigri,  mais  considérablement  moins  que  le  bras  ;  la  supination  est  impos- 
sible, la  pronation  très  incomplète.  Les  muscles  de  l'épaule  et  du  bras  sont 
agités  de  tremblements  fibrillaires  presque  incessants.  La  main  parait  géné- 
ralement amaigrie  quand  on  la  compare  îi  celle  du  côté  opposé,  mais  sans 
prédominance  bien  marquée  sur  les  éminences  thénar  et  hypothénar. 

A  gauche  même  atrophie,  seulement  moins  prononcée,  de  l'épaule  et  du 
bras,  mêmes  secousses  fibrillaires.  Le  malade  peut  encore  lever  ce  bras  en  l'air, 
mais  quand  il  est  placé  dans  l'extension,  le  triceps  ne  suffit  plus  à  le  maintenir 
et  le  poing  retombe  bientôt  de  tout  son  poids  sur  l'épaule.  L'avant-bras  est 
beaucoup  moins  atrophié  que  celui  de  l'autre  côté.  La  main  paraît  à  peu 
près  normale. 

Telles  sont  les  principales  particularités  que  l'examen  des  membres  nous 
permet  de  constater.  A  la  face,  pas  le  moindre  signe  d'atrophie  musculaire  : 
les  lèvres  ne  paraissent  pas  grosses  ni  allongées  en  museau  ;  siffler  est  pour 
le  malade  chose  facile;  les  yeux  sont  ouverts  également  des  deux  côtés  et  se 
ferment  complètement.  Il  en  est  de  même  pour  ce  qui  concerne  les  muscles 
du  cou  ;  leur  examen  ne  donne  que  des  résultats  négatifs.  Au  tronc,  les  pecto- 
raux ont  légèrement  diminué  de  volume  et  on  y  voit  des  secousses  fibrillaires. 
Les  autres  muscles  de  la  face  antérieure  du  tronc  et  de  l'abdomen  ne  sem- 
blent pas  altérés.  Les  muscles  des  gouttières  vertébrales  et  de  la  masse  sacro- 
lombaire  ne  semblent  pas  avoir  été  atteints  ;  les  muscles  fessiers  sont  également 
encore  assez  volumineux. 

Aux  cuisses,  et  aux  membres  supérieurs,  les  réactions  électriques  sont 
d'une  façon  générale  assez  peu  modifiées,  si  ce  n'est  cependant  sur  la  plupart 
des  muscles  très  atrophiés,  les  deltoïdes  par  exemple,  où  la  réaction  tant  gal- 
vanique que  faradique  est  absolument  nulle. 

Il  importe  de  relever  en  terminant  ce  bref  exposé  de  l'état  actuel  de  notre 
homme  que  les  réflexes  tendineux  nuls  chez  lui  aux  genoux,  se  montrent 
normaux,  plutôt  faibles,  aux  membres  supérieurs  ;  qu'il  n'existe  en  aucun 
point  du  corps,  à  part  les  fourmillements  dont  il  a  été  question,  aucun  trouble 
permanent  de  la  sensibilité  cutanée  ou  profonde  ;  pas  d'auesthésie  cutanée, 
en  particulier,  pas  de  thermoanesthésie.  Aucune  modification  pupillaire. 

D'après  ce  qui  précède, vous  voyez  que  la  maladie  qui  s'est  manifestée  pour 


—  412  — 

la  première  fois  chez  notre  homme  il  y  a  un  peu  plus  de  quatre  ans,  peut  être 
appelée  sommairement  du  nom  d'amyotroph^e  progressive.  Mais  de  quel 
genre  d'atrophie  musculciire  à  marche  progressive  s'agit-il  ici  ?  L'affection 
myopathique  est-elle  la  conséquence  d'une  lésion  primitivement  développée 
dans  la  moelle  épinière,  ou  est-elle,  au  contraire,  primitive  elle-même  et 
indépendante  de  toute  lésion  des  centres  nerveux  ?  Après  quoi,  la  myopathie 
étant  classée,  catégorisée,  il  nous  faudra  encore  rechercher  si  elle  se  rattache 
vraiment  par  une  relation  quelconque  à  la  lésion  spinale  datant  de  l'enfance. 
Ce  sont  là,  vous  le  savez,  les  questions  dont  nous  devons  nous  appliquer 
maintenant  à  chercher  la  solution. 


III 


MaiS;,  au  préalable,  je  crois  utile  de  vous  remettre  en  mémoire  l'arrangement 
que  j'ai  proposé  d'adopter  dans  le  temps,  pour  classer  les  diverses  formes 
d'atrophie  musculaire  à  évolution  progressive. 

A.  Le  grand  groupe  des  amyotroj)hies  spinales  chroniques  progressives^  comme 
je  l'ai  appelé,  comprend  des  affections  diverses  autrefois  confondues  sous  la 
dénomination  commune  d'atrophie  musculaire  progressive.  C'est,  vous  le 
savez,  l'anatomie  pathologique  surtout  qui  a  permis  d'établir  qu'il  ne  s'agit 
pas  là  d'an  groupe  homogène.  En  effet  les  lésions  qu'on  peut  rencontrer 
dans  les  cas  qui  portent  en  clinique  cette  dénomination  d'atrophie  musculaire 
progressive,  sont  très  variées.  Elles  ont  toutefois,  en  commun,  un  trait  par- 
ticulier qui  constitue,  pour  ainsi  dire,  le  caractère  anatomique  fondamental 
du  groupe.  C'est  la  lésion  des  cornes  antérieures  de  substance  grise  et, 
plus  explicitement,  l'altération  atrophique  des  cellules  motrices  de  la  région. 

a).  Une  première  catégorie  à  distinguer  dans  ce  groupe,  comprend  les  cas 
qui  répondent  cliniquement  au  type  décrit  par  Cruveilhier  et  surtout  Duchenne, 
de  Boulogne  et  Aran  (type  Duchenne-Aran)  ;  ils  sont  caractérisés  anatomique- 
mcnt  par  une  b'sion  exactement,  systématiquement,  limitée  aux  régions  anté- 
rieures de  la  substance  grise  et  laissant  parfaitement  indemnes  tous  les 
autres  départements  de  la  moelle  épinière,  substance  blanche  et  substance 
grise.  J'ai  proposé  d'appliquer  à  ce  typed'amyotrophie  spinalela  qualification 
de  protopathique.  Sa  constitution  qui,  je  le  répète,  reproduit  en  quelque  sorte 
dans  le  mode  chroni(iuo,  la  paralysie  spinahMnfantile,  est  relativement  fort 
simple.  Ainsi  l'élément  anatomo-pathologiciue  est  représenté  :  i°  dans  la 
moelle  par  une  lésion  systénîati([ucment  limitée  aux  cornes  grises  antérieures; 
l'altéi'ation  des  grandes  cellules  nerveuses  étant  d'ailleurs  une  condition 
nécessaire,  sine  qua  non,  et  parfois  la   seule  lésion  appréciable  ;  2°  dans  les 


—  413  — 

racines  motrices  et  les  nerfs  moteurs,  par  une  atrophie,  conséquence  de  la 
lésion  spinale;  3°  enfin  (l;ms  les  muscles  par  des  lésions  trophiques  également 
consécutives  à  l'altération  des  coiiies  antérieures  et  d'où  procède  à  propre- 
ment parler  toute  la  symptoniatologie  de  l'afTection. 

A).  Les  choses  sont  plus  compliquées   dans  une  seconde  catégorie  d'ainyo- 
trophies  spinales  clironi<j[ues(iue,par  opposition  à  la  précédento,  je  désignerai 
sous  le  nom  de  deuléi-opathiques.  Ici,  en  elTet,  la  lésion  des  cornes  antérieures 
etdes cellules  nerveusesestnécessairement  présente  aussi,  mais  elle  n'est  qu'un 
fait  de  seconde  date,  consécutif.  La  lésion  originelle  siège  encore  dans  la  moelle 
épinière,  mais  elle  s'est  développée  primitivement  en  dehors  de  la  substance 
grise  ;  ce  n'est  ([ue  secondairement,  par  extension,  que  celle-ci  a  été  à  son  tour 
envahie.  A  la  vérité, lorsque  cet  envahissement  s'est  opéré, la  même  série  de  phé- 
nomènes et,  en  particulier,  l'atrophie  progressive  des  muscles  se  manifeste  ;  tou- 
tefois, on  le  comprend,  ces  symptômes  amyotrophiques  se  trouveront  en  quel- 
que sorte  surajoutés,  danslaclinique,  à  ceux  de  la  maladie  s[)inale  primitive. 
On    comprend  aisément  combien  l'ensemble  symptomatique  résultant  de 
ces  diverses  combinaisons,  pourra  se  montrer  complexe   et   variable,   car_,  de 
fait,  il  n'est  peut-être  pas  une  lésion  élémentaire  chronique  de  la  moelle  épi- 
nière qui  ne  soit  susceptible,  à  un  moment  donné  de  son  évolution,  de  s'étendre 
à  la  substance  grise  antérieure  et  d'y  déterminer  l'atrophie  des  cellules   mo- 
trices. Parmi  les  diverses  affections  qui  peuvent  venir  figurer  dans  cette  classe 
des  amyotrophies  spinales  deutéropathiques,  je  signalais    la  pachyméningite 
cervicale  hypertrophique,  la  sclérose  tabétique  des  faisceaux  postérieurs,  divers 
types  de  myélite  centrale  spontanée  ou   traumatique,  Thydromyélie  ou  syrin- 
gomyélie,  certaines  tumeurs  intraspinales,  la  sclérose  en  plaques  et  enfin  la 
maladie  que  j'ai  désignée  sous  le  nom  de  sclérose  latérale  amyotrophique. 

Aujourd'hui,  après  l'épreuve  du  temps,  je  ne  vois  vraiment  rien  d'essentiel 
à  changer,  dans  tout  ce  qui  précède. 

B.  Un  second  groupe  fondamental  doit  comprendre  les  cas  dans  lesquels 
une  myopathie  généralisée  à  marche  progressive  se  développe  indépendam- 
ment de  toute  lésion  de  la  moelle  épinière  et,  le  plus  souvent  aussi,  des  nerfs 
périphériques  (1).  Autrefois  je  n'avais  à  citer,  comme  exemple  du  genre,  que 
la  paralysie  dite  pseudo-hypertrophique,  laquelle  peut  évoluer,  on  le  sait  bien 


i.  Leço7i.s  sur  les  maladies  du  système  fierveiLc  etc.  t.  II.  Voir  onzième  leçon,  p.  213  et 
quatorzième  leçon  p.  283. 

<«  Je  ne  puis  me  dispenser  de  vous  entretenir...  de  certaines  amyotropliies  qui  ne  relèvent  pas 
<r  d'une  lésion  spinale  el  qui  sont  susceptibles  cependant...  de  se  généraliser  et  d'affccier  une 
«  marche  progressive.  Parmi  les  amyotrophies  de  ce  groupe,  je  citerai  seulement  à  titre 
«  d'exemple,  la  maladie  dite  paralysie  pseudo-hypertrophique...  Je  me  propose  de  montrer  qu'en 
«  matière  d'amyotrophie  progressive,  il  faut  se  garder  de  céder  à  l'envie  de  tout  expliquer  par  la 
«  lésion  des  cornes  spinales  antérieures. Cette  lésion  a  son  domaine  pathogénique,  fort  vaste  déjà, 
«  il  ne  faut  pas  l'étendre  à  l'excès  si  l'on  ne  veut  pas  courir  le  risque   de  tout   compromettre  ». 


—  414  — 

aujourd'hui,  sans  qu'il  y  ait  apparence  d'hypertrophie,  et  même  se  montrer 
constamment  marquée  par  une  atrophie  manifeste  de  la  plupart  des  muscles 
affectés.  Les  travaux  de  MM.  Erb,  Landouzy  el  Déjerine  et  quelques  autres 
ont  récemment  étendu  singulièrement  les  limites  du  groupe.  Celui-ci,  en 
effet,  doit  embrasser  aujourd'hui,  en  outre  de  la  paralysie  myosclérosique  de 
Duchenne,  non  pas  comme  espèces  distinctes  à  mon  avis,  mais  bien  comme 
formes  cliniques  intéressantes  à  considérer  séparément,  le  type  juvénile 
d'Erb  et  le  typs  Duchenne-Landouzy-Déjérine.  La  dénomination  d'amyotro- 
phies  ou,  si  vous  voulez,  de  myopathies  primitives^  par  opposition  à  celles  qui 
méritent  le  nom  de  spinales,  convient  pour  désigner  cette  classe. 

A  quel  groupe,  à  quel  genre,  à  quelle  espèce  appartient  l'amyotrophie 
observée  dans  notre  cas?  C'est  ce  qu'il  nous  faut  examiner  maintenant.  A  pre- 
mière vue  et  sans  y  regarder  de  plus  près,  la  localisation  de  l'atrophie  dans 
les  muscles  des  épaules  et  des  bras,  les  avant-bras  et  les  mains  étant  relati- 
vement préservés,  de  manière  à  figurer  ce  qu'on  appelle  en  myopathologie 
le  Type  scapu/o-humeral,  conduirait  à  la  rattacher  au  groupe  des  myopathies 
primitives,  où  ce  type  est  en  quelque  sorte  classique.  Mais  en  examinant  les 
choses  attentivement,  on  voit  se  présenter  un  certain  nombre  de  faits,  consti- 
tuant autant  d'arguments  qui  ne  permettent  pas  de  s'arrêter  à  cette  solution. 
Contre  elle,  on  peut  faire  valoir  en  premier  lieu  l'existence,  chez  notre  sujet,  de 
secousses  fibrillaires  très  intenses  et  généralisées  à  tous  les  muscles  atrophiés 
ou  en  voie  d'atrophie.  Or,  pareille  chose  ne  se  voit  dans  aucune  des  formes  de  la 
myopathie  primitive.  Dans  celle-ci,  les  secousses  fibrillaires  sont  éminemment 
rares,  très  discrètes  en  tout  cas,  et  quelques  auteurs  même,  —  peut-être  à  la 
vérité  vont-ils  trop  loin  —  prétendent  que  leur  absence  est  pour  la  myopa- 
thie primitive,  un  caractère  absolu.  Peu  nous  importe,  du  reste;  les  secousses 
en  question  sont  dans  notre  cas,  je  le  répète,  on  ne  peut  plus  accentuées;  et  à 
ce  degré,  on  peut  l'affirmer,  on  ne  les  rencontre  que  dans  les  amyotrophies  de 
cause  spinale. 

Un  autre  point  à  relever  chez  N.,.las,  c'est  l'intégrité  absolue  des  muscles 
de  la  face  ;  tandis  que,  comme  on  sait,  chez  les  myopathiques  du  type  Lan- 
douzy-Déjerine  une  atrophie  de  certains  muscles  faciaux  amenant  la  gêne 
des  mouvements  des  lèvres,  et  faisant  obstacle  à  l'occlusion  complète  des  pau- 
pières, est  en  quelque  sorte  la  règle.  Il  ne  faut  pas  oublier  non  plus  que  la 
myopathie  primitive  est,  sauf  de  trèsraresexceptions,  une  maladie  infantile  ou 
pour  le  moins  juvénile  ;  or,  vous  savez  que  notre  malade  n'a  vu  apparaître  les 
premiers  symptômes  de  l'amyotrophie  progressive  qu'à  l'âge  de  trente-six  ans. 
Enfin,  la  constatation  chez  lui  de  laréaction  électrique  de  dc'genérescencedans 
quelques-uns  des  muscles  les  plus  profondément  lésés,  ainsi  que  la  participa- 
tion à  l'atrophie  des  sus  et  sous-épineux,  sous-scapulaircb  et  des  fléchisseurs 
de  favant-bras,  peuvent  être  cités  encore  comme  autant  de  caractères  qui 
n'appartiennent  pas  au  groupe  myopalhique. 


—  415  — 

Pour  mieux  accuser  le  contraste  j'ai  fait  placer  à  côté  de  N...las,  un 
nommé  G..nat,  chevrier  de  sa  profession,  qui  présente  les  symptômes  classi- 
ques de  la  myopathie  primitive.  Le  premier  signe  qui  l'ait  frappé  est  qu'il  ne 
pouvait  plus  siffler  ses  chèvres  ;  ce  sont  donc  les  muscles  de  la  face  qui  ont  été 
prison  premier.  Aujourd'hui,  l'atrophie  porte  sur  les  muscles  des  épaules  et 
des  bras_,  et  elle  s'y  montre  h  un  haut  degré  :  type  scapulo-huméral.  Il  est  à 
remarquer  que  les  sus,  sous-épineux,  sous-scapulaire  ainsi  que  les  fléchis- 
seurs de  l'avant-bras  sont  parfaitement  conservés;  il  en  est  de  même  des  mus- 
cles de  la  main  et  de  l'avant-bras;  l'examen  le  plus  attentif  ne  fait  recon- 
naître sur  les  muscles  affectés,  aucune  trace  de  secousses  fibrillaires.  Vous  le 
voyez,  les  analogies  entre  les  deux  cas  sont  superficielles,  elles  ne  portent  pas 
sur  le  fonds. 

C'est  donc  en  résumé  parmi  les  amyotrophies  de  cause  spinale  qu'il  faut 
ranger  le  cas  de  notre  homme.  Mais  ici,  il  y  a  de?,  distinctions  à  établir.  S'agit- 
il  de  l'une  des  formes  quelconques  des  amyotro,  hies  spinales  deutéropathi- 
ques?  Evidemment  non.  En  effet,  les  diff'érente^  affections  spinales,  —  tabès 
syringomyélie,  sclérose  en  plaques,  etc.,  etc.,  — -qui,  comme nouslerappelions 
il  n'y  a  qu'un  instant,  peuvent  accidentellement  envahir  les  cornes  anté- 
rieures de  substance  grise  et  produire  en  conséquence  l'amyotrophie,  sont 
mises  hors  de  cause  par  ce  seul  fait,  que  les  complexus  symptomatiques 
qui  leur  appartiennent  en  propre,  font  ici  complètement  défaut.  La  sclérose 
latérale  amyotrophique  elle-même,  à  laquelle  il  est  naturel  de  songer  toutes 
les  fois  qu'il  se  présente  une  atrophie  musculaire  à  marche  progressive,  non 
accompagnée  de  troubles  marqués  de  la  sensibilité,  doit  être  immédiatement 
écartée.  Nous  avons  en  effet  relevé  avec  soin  chez  notre  malade  l'absence  de 
contractures,  de  rigidité  musculaire  et  aussi  d'une  exagération  même  minime 
des  réflexes  tendineux  ;  nous  aurions  pu  vous  faire  remarquer  en  outre  qu'on 
ne  rencontre  chez  lui  aucune  trace  de  la  lésion  bulbaire,  qui,  plus  de  trois  ans 
après  le  début  des  symptômes  d'amyotrophie  dans  les  membres,  ne  manque- 
rait pas  d'exister,  ne  fût-ce  qu'à  l'état  rudimentaire,  s'il  s'agissait  véritable- 
ment delà  sclérose  latérale  amyotrophique. 

En  conséquence  de  ces  éliminations  successives,  notre  cas  se  trouve  tout 
naturellement  classé,  vous  l'avez  compris,  dans  la  catégorie  des  amyotrophies 
spinales  protopathiques.Ici,  je  vous  le  rappelle,  la  lésion  spinale  d'où  procède 
l'atrophie  musculaire  est  systématiquement  localisée  dans  les  colonnes  anté- 
rieures de  substance  grise,  sans  participation  aucune,  soit  des  cornes  posté- 
rieures ou  des  commissures,  soitdes  faisceauxblancs,  tandis  que,  cliniquement, 
le  tableau  symptomatique  répond  à  ce  que  j'ai  proposé  d'appeler  du  nom 
de  type  Aran-Duchenne  :  marche  lente  de  l'amyotrophie  progressive,  absence 
de  troubles  permanents  de  la  sensibilité,  pas  d'exagération  des  réflexes  tendi- 
neux ;  participation  bulbaire  non  constante,  toujours  très  tardive  en  tout  cas; 
secousses  fibrillaires  en  général  très  accusées  ;  absence  de  rigidité  muscu- 

50 


—  /il6  — 

lairedanslcs  membres,  et  àplus  forte  raison  de  contractures,  etc., etc.  ;  c'est  bien 
là  l'ensemble  des  faits  que  nous  a  révélés  l'examen  de  notre  homme.  Il  est 
cependant  un  point  par  lequel  la  symptomatologie  s'éloigne  chez  lui  de  la 
règle  :  c'est  que  l'amyotrophie  s'est  d'abord  localisée  sur  les  épaules  et  les 
bras,  tandis  que  dans  les  cas  classiques  du  type  Duchenne-Aran,  c'est  géné- 
ralement par  les  muscles  des  éminences  thénar,  hypothénar  et  de  Favant- 
bras  que  le  début  s'opère.  Mais  on  ne  saurait  voir  là,  évidemment,  qu'une 
anomalie  d'ordre  secondaire  ;  et  d'ailleurs,  s'il  est  vrai  que  le  type  scapulo- 
huméral  appartienne  à  la  caractéristique  de  la  myopathie  primitive,  il  n'est 
pas  sans  exemple^  cependant,  ainsi  que  Vulpian  l'a  montré,  qu'on  le  rencon- 
tre, par  exception  à  la  vérité,  dans  l'amyotrophie  spinale  protopathique. 


IV 

Il  ne  nous  reste  plus  désormais  qu'une  question  à  toucher.  La  tephro- 
myélite  antérieure  chronique  développée  chez  notre  malade  à  l'âge  de 
trente-six  ans,  a-t-elle  une  relation  quelconque  avec  la  tephro-myélite  anté- 
rieure aiguë  qu'il  a  subie  dans  l'enfance,  à  l'âge  de  deux  ans,  c'est-à-dire 
trente-quatre  ans  auparavant;  et  si  cette  relation  existe  réellement,  en  quoi 
consiste-t-elle? 

Je  crois,  Messieurs,  que  la  relation  existe  en  efTet,  et,  en  faveur  de  l'opinion 
que  je  soutiens,  je  ferai  valoir  que  les  cas  semblables  au  nôtre,  c'est- 
à-dire  dans  lesquels  une  amyotrophie  progressive  survient  chez  des  indi- 
vidus qui  dix,  quinze,  vingt  ans  auparavant  ont  été  atteints  de  paralysie 
infantile  spinale,  ne  sont  pas  tout  à  fait  rares  et  qu'ils  constituent  déjà  en  noso- 
graphie  un  groupe  cohérent,  c'est-à-dire  dont  tous  les  composants  présentent 
en  quelque  sorte  un  air  de  famille.  Plus  haut  je  vous  ai  dit,  et  je  maintiens 
l'assertion,  que  la  paralysie  atrophique  infantile  ne  récidive  point,  à  propre- 
ment parler.  Gela  est  vrai.  Messieurs,  en  tant  qu'elle  ne  se  reproduit  pas  sous 
forme  de  tephro-myélite  antérieure  aiguë.  Mais,  par  contre,  chez  les  sujets  qui 
portent  en  eux  les  reliquats  ineffaçables  de  la  lésion  spinale  infantile,  il  n'est 
pas  très  rare,  je  le  répète,  de  voir  se  manifester  à  échéance  plus  ou  moins 
longue,  des  symptômes  de  tephro-myélite  qui  évoluent  cette  fois,  tantôt  sous 
la  forme  subaiguë  ainsi  que  MM.  Landouzy  et  Dejérine  en  ont  fourni  un 
exemple  intéressant,  suivi  d'autopsie  ;  tantôt,  plus  fréquemment,  sous  la 
forme  chronique.  Ainsi,  vous  le  voyez,  l'existence  passée  d'une  te  phro-myélite 
antérieure  survenue  dans  l'enfance,  semble  constituer,  en  (quelque  sorte,  une 
prédisposition  au  développement  ultérieur  de  la  forme  subaiguë  et  plus  parti- 
culièrement de  la  forme  chronique  de  la  lésion  systématique  des  cornes  anté- 
rieures de  substance  grise.  Ce  sont,  vous  l'avez  compris,  les  faits  du  dernier 
genre,  ceux  où  il  s'agit  de  la  tephro-myélite  antérieure   chronique,   qui,   en 


—   Ul  — 

raison  de  l'étroite  analogie  qui  les  rattache  au  nôtre,  nous  intéressent  plus 
particulièrement.  Leur  histoire  se  trouve  tracée  tout  au  long  dans  un  intéres- 
sant mémoire  de  MM.  Ballet  (;t  Dutil,  [)ul>lié  en  1884  dans  la  Revue  de  méde- 
cine, sous  ce  titre  signilicatif  :  '<  Vfj  qunli/ucs  accidents  spinaux  de  termines  par 
la  prcsencn^  dans  la  moelle,  d'un  ancien  foyer  de  myélite  infantile  (1).  » 

Je  vous  renvoie  pour  les  détails  à  ce  travail  et  je  me  bornerai  ici  à  vous 
dire  d'une  façon  générale  et  sommaire  ce  ([ui  est  commun  aux  cas  qui  y  sont 
étudiés.  —  En  général,  le  début  de  Tamyotrophie  chroni(iue  s'est  fait  dix, 
quinze,  vingt  ans  après  l'époque  où  a  sévi  la  paralysie  de  l'enfance.  Le  plus 
souvent,  ce  sontles  membres  inférieurs  qui  ontété  le  siège  primitif  de  l'atrophie 
progressive  ;  mais  il  existe  un  certain  nombre  d'observations  où  Ton  voit,  comme 
cela  s'est  produit  chez  N...las,  les  membres  supérieurs  pris  les  premiers. 
Conformément  à  ce  qui  est  la  règle  dans  le  type  Aran-Duchenne,  les  muscles 
des  éminences  thénar  et  hypothénar,  sont,  en  tant  qu'il  s'agit  des  membres 
supérieurs,  atteints  en  premier  lieu;  mais  plusieurs  fois,  ainsi  que  cela  a  eu 
lieu  chez  notre  malade,  c'est  la  localisation  scapulo-humérale  qui  s'est  pré- 
sentée tout  d'abord.  Plusieurs  fois,  on  a  relevé  avec  soin  l'existence  de  se- 
cousses fibrillaires,  et  l'absence  des  troubles  delà  sensibilité.  Enfin, je  ne  vois 
pas  qu'il  y  ait  dans  ce  groupe  d'exemples  d'une  rétrocession,  voire  même  d'un 
temps  d'arrêt  dans  l'évolution  des  symptômes  amyotrophiques. 

Vous  le  voyez,  sur  tous  les  points  essentiels,  notre  cas  se  confond  avec  ceux 
qui  composent  le  groupe  dont  nous  venons  d'indiquer  les  principaux  carac- 
tères ;  car  on  ne  saurait  vraiment  considérer  comme  constituant  une  diffé- 
rence capitale  ce  fait  que,  chez  notre  homme,  l'apparition  de  l'amyotrophie 
a  été  plus  tardive  que  chez  les  autres  sujets.  Il  n'y  a  là  en  définitive  qu'une 
question  du  plus  au  moins. 

La  conclusion  de  tout  ceci  doit  être,  si  je  ne  me  trompe,  ({ue,  contrairement 
à  une  opinion  assez  généralement  répandue,  les  individus  qui  ont  subi  autre- 
fois les  atteintes  de  la  paralysie  infantile  spinale,  ne  sont  pas  pour  cela  à 
l'abri  de  manifestations  spinales  nouvelles,  se  produisant  à  une  époque  plus 
ou  moins  avancée  de  leur  existence  ;  et,  du  même  coup,  il  y  a  lieu  de  relever 
que  parmi  ces  manifestations,  les  plus  habituelles,  les  plus  classiques,  si  l'on 
peut  ainsi  parler,  ont  avec  la  paralysie  infantile  un  trait  commun  :  c'est  ([ue, 
comme  dans  celle-ci,  le  substratum  anatomique  consiste  en  une  lésion  systé- 
matiquement localisée  dans  les  cornes  antérieures  de  la  substance  grise.  Il  y 
y  a  cette  différence,  toutefois,  que  dans  la  maladie  d'enfance,  la  lésion  évolue 
constamment  suivant  le  mode  aigu,  tandis  que  c'est  le  mode  chronique  qu'elle 
affectera  au  contraire,  dans  la  maladie  de  l'adulte. 

1.  Voir  sur  le  même  sujet,  E.  Thomas.  De  l'atrophie  iiiusculaire  progressive,  consériitive 
à  la  paralysie  infantile,  Thèse  de  Genève  1886.  —  Sattlcr.  Contribution  à  iètude  clinique  de 
quelques  accidents  spinaux  consécutifs  à  In.  tephromyélite  antérieure  aiguë.  Thèse  de  Paris, 188:>. 


—  418  — 

Il  paraît  bien  difficile,  après  ce  qui  vient  d'être  exposé,  de  ne  pas  reconnaître 
que  l'apparition  successive  chez  un  même  sujet,  dans  les  circonstances  indi- 
quées plus  haut,  de  l'amyotrophie  spinale  infantile  d'abord,  puis  de  l'amyo- 
trophie  de  l'adulte,  ne  saurait  être  le  fait  d'une  coïncidence  purement  fortuite. 
11  y  a,  à  n'en  pas  douter,  un  lien  causai  qui  rattache  d'une  façon  quelconque 
les  deux  événements  pathologiques  l'un  à  l'autre  :  il  est  possible  que  l'affection 
la  plus  récente  procède  directement  de  la  plus  ancienne  suivant  les  lois  d'un 
mécanisme  qu'il  s'agira  de  détermmer  ;  il  est  possible  aussi  que  l'une  et  l'autre 
relèvent  au  contraire,  séparément,  d'une  cause  commune  capable  de  mani- 
fester son  influence,  suivant  l'époque  de  la  vie,  par  des  eff'ets  différents.  A 
laquelle  des  deux  hypothèses  faudra-t-il  s'arrêter  ?  C'est  ce  qu'il  s'agit  d'exa- 
miner maintenant. 

A  propos  d'un  cas  recueilli  dans  mon  service  en  1872  par  M.  Raymond,  alors 
mon  interne,  et  communiqué  par  lui  à  la  Société  de  biologie  vers  la  même 
époque,  j'ai  émis  le  premier  peut-être  l'opinion  que  les  lésions  cicatricielles 
des  cornes  antérieures  que  laisse  après  elle  la  tephro-myélite  aiguë  de  l'en- 
fance, représentaient  des  foyers  mal  éteints,  pouvant  se  rallumer  sous  de  cer- 
taines influences  et  propager  ensuite  l'inflammation  aux  parties  avoisinantes  de 
la  moelle  épinière.  Cette  théorie  peut  sans  doute  s'adapter  légitimement  à  l'in- 
terprétation de  certaines  observations  dans  lesquelles, la  te  phro-myélite  infantile 
ayant  définitivement  paralysé  un  membre,  on  voit,  longtemps  après,  le  membre 
du  côté  opposé  se  prendre  à  son  tour  lentement  et  s'atrophier.  Dans  ces  obser- 
vations, la  paralysie  atrophique  de  nouvelle  formation  est  restée  localisée 
dans  le  membre  qu'elle  a  envahi,  ainsi  que  cela  a  eu  lieu  justement  dans  l'ob- 
servation de  M.  Raymond  ;  elle  parait  n'avoir  pas  eu  de  tendance  à  se  géné- 
raliser. Mais  cette  théorie  «  de  l'épine  morbide  »  me  paraît  tout  à  fait  inac- 
ceptable, au  moins  comme  élément  principal,  lorsqu'il  s'agit  du  cas  que  nous 
considérons  particulièrement  en  ce  moment.  Là  l'amyotrophie  progressive 
répond,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  au  type  Duchenne-Aran,  et  suppose,  par 
conséquent,  une  lésion  systématiquement  limitée  aux  cornes  antérieures  spi- 
nales. Or,  il  serait  impossible,  do  comprendre  qu'une  lésion  développée,  en 
quelque  sorte  accidentellement,  autour  d'un  foyer  circonscrit,  et  propagée 
par  la  voie  diffuse  des  éléments  de  la  névroglie,  au  hasard  des  circonstances, 
puisse  se  conformer  à  une  localisation  aussi  étroite  et  ne  pas  se  répandre,  çà 
et  là,  sur  la  substance  grise  postérieure  et  les  faisceaux  blancs.  Il  est  bien  plus 
vraisemblable  que  le  système  des  cellules  motrices  est  dans  la  tephromyélite 
antérieure  chronique,  comme  il  l'avait  été  autrefois  dans  la  tephromyélite 
antérieure  aiguë,  le  premier  siège  du  travail  morbide  (1).  C'est  au  voisinage 

1,  Conforniémcal  à  l'opinion  que  M.  Charcot  a  soutenue  dès  l'origine,  M.  John  Rissler  dans 
un  travail  fort  intéressant,  fait  sous  la  direction  du  P'  Wising,  a  montré  qu'une  altération 
primitivement  développée  dans  les  cellules  ganglionnaires  est  le  point  de  départ  des  lésions 
de  la  paralysie  infantile  spinale.  (Nord.  med.  Arkiv.  Stockholm  1880.  Bd.  XX  n°  22.) 


—  419  — 

immédiat  de  ces  éléments  histologiques  et  en  conséquence  de  «  l'irritation  > 
qu'ils  lui  transmettent,  qu(3  la  névroglie  des  cornes  antérieures  vient  à  son 
lour,  secondaironient,  prendre  part  au  processus  morbide.  Chez  les  sujets 
prédisposés,  probablement  par  hérédité  névropathique,  à  contracter  successi- 
vement, dans  l'enfance,  la  tephromyélite  antérieure  aiguë,  puis  dans  un  âge 
plus  ou  moins  avancé,  la  tephromyélite  antérieure  chronique,  il  y  aurait  lieu, 
d'après  ce  qui  précède,  d'admettre  l'existence  d'une  sorte  de  vulntîrahiiUé 
native  du  système  des  cellules  motrices ,  vulnérabilité  que  les  causes  provo- 
catrices mettraient  en  jeu,  tantôt  sous  la  forme  d'un  processus  aigu,  tantôt 
sous  celle  d'un  processus  chronique,  suivant  les  circonstances.  Si  cela  est, 
dans  les  cas  que  nous  considérons  ici  et  parmi  lesquels  flgure  notre  malade, 
la  myélite  aiguë  de  l'enfance,  et  la  myopathie  progressive  survenue  par  la 
suite,  représenteraient  en  quelque  sorte  deux  épisodes  logiquement  enchaînés 
d'une  même  histoire  pathologique. 

C'en  est  assez  sur  la  théorie,  considérons  maintenant  le  côté  pratique.  Je 
n'ose  pas  vous  dire  que  nous  soyons  en  mesure,  soit  par  l'application  de 
l'électrisation  méthodique,  soit  par  l'application  répétée  de  révulsifs 
sur  la  région  spinale,  ou  par  tout  autre  moyen,  d'arrêter  la  marche  fatalement 
progressive  de  la  myopathie.  A  cela,  je  vous  l'avouerai,  je  ne  crois  guère. 
Mais  je  crois  que  nous  pouvons  compter  pour  le  moins  sur  l'évolution 
lente  et  marquée  parfois  par  des  temps  de  répit,  qui  caractérise  le  type 
Duchenne-Aran.  Certes  il  n'en  serait  pas  de  même  si  l'affection  des 
muscles  se  rattachait  à  la  sclérose  latérale  amyotrophique.  Dans  celle-ci, 
vous  le  savez,  la  terminaison  fatale,  annoncée  par  l'invasion  des  symptômes 
bulbaires  ne  se  fait  pas  attendre  plus  de  trois,  quatre,  cinq  ans,  rarement 
plus.  Il  n'était  pas  inutile,  je  crois,  de  nous  arrêter  un  instant  sur  le 
diagnostic  de  ces  deux  espèces  morbides  que  rapprochent  des  analogies  symp- 
tomatiques  lesquelles  pendant  longtemps  les  ont  fait  confondre  l'une  avec 
l'autre,  mais  dont  le  pronostic,  quoad  vitam^  en  somme,  est  si  différent. 


2«  Malade  (1). 


Vous  avez  devant  vous  un  malade   qui  présente  trois  éléments  nosographi- 
ques  superposés,  combinés,  mais  qui  ne  se  confondent  pas.  Ils  vivent  là,  sé- 


1.  Cette  partie  de  la  leçon  a  été  recueillie  par  M.  Dutil,  interne  dans  le  service  de  la  Clinique. 


—  420  — 

parés,  chacun  pour  son  compte.  Le  premier  de  ces  éléments  est  l'Épilepsie 
vraie,  le  mal  comitial;  le  second,  c'est  THystéro-épilepsie  à  crises  mixtes  ou 
Grande  Hystérie,  et  le  troisième  enfin  est  une  névrose  artificielle  que  le  ma- 
lade a  créée  lui-même,  une  névrose  toxique,  la  Morphinomanie. 

Il  est  clair  que  de  cet  assemblage  d'espèces  morbides  résulte  un  état  com- 
plexe, une  confusion  de  symptômes  qui  au  premier  abord  paraît  inextricable. 
Cependant,  je  crois  pouvoir  vous  dire  qu'à  l'aide  de  l'analyse  clinique  nous 
serons  à  même  de  séparer  ces  éléments  et  de  vous  montrer  comment  ils  se 
sont  développés  côte  à  côte,  sans  s'altérer  mutuellement,  sans  s'influencer  le 
moins  du  monde.  C'est  là,  vous  le  savez,  un  genre  de  problème  que  nous 
aimons  à  aborder.  C'est  de  la  pure  clinique  après  tout.  Le  rôle  du  clinicien, 
n'est-il  pas  de  s'attacher  aux  choses  telles  qu'elles  se  présentent  dans  la  na- 
ture et  de  les  simplifier,  si  c'est  possible,  sans  les  altérer?  Mais,  je  dois  d'abord 
vous  présenter  notre  malade. 


C'est,  vous  le  voyez,  un  homme  plutôt  vigoureux  d'apparence.  Il  se  nomme 
Gu..aud,  et  est  âgé  de  24  ans.  11  exerce  la  profession  de  chaudronnier.  Il  est 
pâle,  il  a  les  yeux  hagards,  l'air  triste  et  morne.  K  a  ses  raisons  pour  cela; 
n'oubliez  pas  qu'il  est  morphinomane.  Ses  antécédents  héréditaires  sont-ils 
intéressants  à  signaler?  L'hérédité  vous  dira  presque  tout.  C'est  en  quelque 
sorte  dans  un  drame  de  famille  que  nous  allons  entrer. 

Du  côté  paternel,  il  a  un  oncle  aliéné  qui  est  interné  dans  un  asile.  Son 
père  est  tuberculeux. 

Sa  mère  se  mord  la  langue,  elle  a  des  attaques  qu'on  peut  considérer  com- 
me des  attaques  d'épilepsie.  Une  de  ses  sœurs  est  épileptique,  comme  lui. 

Voilà  certes  un  tableau  de  famille  chargé  de  lares   névropathiques   graves. 


COTÉ  PATERNKL 


Ongle,  aliéné 
A  Tasile  d'Ang-ers 


S 'EUR 

O 


PÈRE 

Tuberculeux 


Sœur 
Épileptique 


Père  de  mère,  nerveux 
COTÉ  MATERNEL 


Mère 

Épilepsie 
Se  mord   la  lanc-ue 


Notre  malade 

Ilyslérique 
cl  Epileptique 


—  421  — 

Venons  k  son  histoire  personnelle.  Il  avait  7  ans  à  peine  lorsqu'il  commen- 
ça à  avoir  des  attaques  qui  d(';jà  présentaient  les  caractères  très  significatifs 
qu'elles  ont  encore  aujourd'hui.  C'est  toujours  la  nuit  qu'elles  survenaient 
vers  deux  ou  trois  heures  du  matin.  Dans  ces  attaques,  qui  ne  laissaient 
d'ailleurs  dans  l'esprit  du  malade  aucune  espèce  de  souvenir,  il  se  mordait  la 
langue  et  urinait  au  lit.  C'était  le  mal  comitial  dans  toute  sa  pureté  terrible. 
Les  accès  étaient  nombreux  ;  il  en  avait  deux  ou  trois  par  semaine.  Les  cho- 
ses allèrent  ainsi,  avec  quelques  améliorations  momentanées  produites  par 
l'emploi  du  bromure,  jusqu'à  l'âge  de  vingt  ans.  Survient  alors  une  fièvre 
typhoïde  d'une  extrême  gravité.  Pendant  la  convalescence,  divers  accidents  se 
sont  produits  sur  lesquels  nous  reviendrons  plus  tard.  Je  signalerai  seule- 
ment pour  le  moment  un  certain  état   mélancolique   qui  persista  longtemps. 

Au  sortir  de  cette  fièvre  typhoïde,  les  accès  convulsifs  reparaissent  avec 
une  intensité  nouvelle,  présentant  toujours  les  mêmes  caractères.  S'il  fallait 
une  autre  preuve  pour  vous  démontrer  que  c'est  bien  d'épilepsie  qu'il  s'agis- 
sait, je  m'adresserais  à  certaines  recherches  faites  par  M.  Lépine  d'abord, 
puis  par  M.  Mairet,  de  Montpellier  et  qui  ont  été  reprises  ici  dans  mon  ser- 
vice par  MM.  Gilles  de  la  Tourette  et  Gathelineau.  Il  y  a  longtemps  qu'on 
a  constaté  chez  les  épileptiques  une  certaine  élévation  de  température  à  la 
suite  des  accès.  Il  était  donc  intéressant  de  savoir  ce  que  donnerait  l'ana- 
lyse des  urines;  or,  on  est  arrivé  à  reconnaître  que  les  accès  étaient  suivis 
d'un  accroissement  de  la  quantité  de  l'urée.  Un  homme  urine,  par  exemple, 
25  grammes  d'urée;  après  une  attaque  on  en  trouve  30  ou  35  grammes  :  il  y  a 
donc  une  élévation  du  taux  de  l'urée  qui  semble  coïncider  avec  l'élévation 
de  la  température.  De  même  la  quantité  des  phosphates  terreux  et  alcalins 
s'accroît,  tandis  que  le  rapport  des  phosphates  terreux  vis-à-vis  des  phospha- 
tes alcalins  reste  dans  les  conditions  normales.  Ces  données  ont  un  grand 
intérêt  au  point  de  vue  de  la  théorie  et  aussi  au  point  de  vue  du  diagnostic. 
Elles  constituent,  en  quelque    sorte  les  caractères   chimiques  de  l'épilepsie. 

Eh  bien,  notre  malade  qui  donne  en  moyenne  21  granines  d'urée  à  l'état 
normal,  fournit  35  grammes  d'urée  et  2  grammes  de  phosphate,  le  jour  d'une 
attaque. 

Il  est  donc  épileptique  et  voilà  dûment  constaté,  chez  notre  malade,  le 
premier  élément  nosographique  auquel  sont  venus  s'ajouter  l'Hystéro-épilep- 
sie  et  la  Morphinomanie. 


II 

En  procédant  à  un  examen  méthodique  de  notre  sujet,  nous  avons  reconnu 
chez  lui  l'existence  d'une   anesthésie  cutanée  complète,  qui  embrasse   toute 


—  422  — 

l'étendue  du  corps,  à  Texception  de  la  plante  des  pieds  où  la  sensibilité 
est  seulement  émoussée,  et  de  la  région  sous-ombilicale  où  l'on  constate 
une  hypéresthésie    particulière   dont  nous  reparlerons  parce  qu'elle  offre  un 


Fig.  82. —  a.  Anesthésie  ^généralisée  pour  le  contact, 
la  douleur,  le  chaud  et  le  froid. 
6.  Plaque  hypéresthésique  sous  ombilicale. 
c.  Points  hystérogènes. 


Fig-.  83  —  a.  Anesthésie. 

b.    Hypoanesthésie. 


très  grand  intérêt  au  point  de  vue  du  diagnostic.  Je  tiens  à  vous  montrer  jus- 
qu'à quel  point  cette  anesthésie  est  parfaite.  Vous  voyez  qu'on  peut  traverser 


—  423  — 

la  peau  du  malade  de  part  en  part  avec  uneaiguille_,  promener  un  bloc  de  glace 
à  la  surface  du  dos  sans  qu'il  tressaille  le  moins  du  mon«le.  Il  ne  sent  ni  le 
contact,  ni  la  douleur,  ni  la  température.  Otte  am[)0ule  que  vous  apercevez 
sur  son  épaule  a  été  produite  hier  par  le  contact  de  la  plaque  m«Hallique  du 


D 


Exl  ^\ 


s.     .N,i: 


Fig.  84. 


thermomètre  de  surface  qu'on  avait  trop  chaufîée  et  il  ne  s'en  est  nullement 
aperçu.  Le  sens  musculaire  est  également  afTecté  chez  lui,  mais  pas  d'une 
façon  complète.  Cette  anesthésie  est  évidemment  de  nature  hystérique.  Quelle 
est  la  maladie  organique  qui  pourrait  produire  une  pareille  insensibilité? 

Si  nous  examinons  les  choses  de  plus  près,  nous  trouvons  que  le  goût, 
l'odorat  sont  perdus,  que  l'ouïe  est  obnubilée,  qu'il  y  a  un  rétrécissement  con- 
centrique permanent,  très  prononcé  du  champ  visuel  (voirie  schéma  fig.  84). 
Tout  cela  est  encore  hystérique.  Un  neuropathologiste  fort  distingué  de  Ber- 
lin, M.  Oppenheim,  a  émis  l'opinion  qu'on  ne  pouvait  pas  se  servir  du  rétré- 
cissement du  champ  visuel  pour  distinguer  l'hystérie  de  l'épilepsie,  parce  qu'il 
se  rencontrait  chez  les  épileptiques.  Oui^  sans  doute,  le  rétrécissement  du  champ 
visuel  se  retrouve  dans  l'épilepsie,  et  nous  le  savons  bien,  comme  phénomène 
transitoire  après  l'attaque.  11  peut  même  se  rencontrer  à  l'état  permanent  dans 
l'épilepsie.  Sur  74  épileptiques  que  nous  avons  examinés  l'année  dernière, à  ce 
point  de  vue,  avec  le  concours  de  M.  Parinaud,  nous  en  avons  trouvé  11  qui  le 
présentaient. Mais  en  même  temps  nous  avons  trouvé  chez  ceux-là  des  points  hys- 
térogèneSjdcs  attaques  d'hystéro-éjjilepsie  ou  des  équivalents  de  ces  attaques; 
par  conséquent,   il  s'agissait  là  d'une  combinaison  des  deux  névroses  et  non 

57 


—  424  — 

d'autre  chose.  Lorsque  vous  constatez,  comme  nous  l'avons  fait  plusieurs  fois, 
une  hémianesthésie  et  des  stigmates  chez  un  individu  atteint  de  sclérose  en 
plaques,  ou  chez  un  myopathique,  direz-vous  que  c'est  la  sclérose  en  plaques 
ou  la  myopathie  progressive  qui  en  sont  la  cause?  Mais  non,  l'hystérie,  sachez- 
le  bien,  peut  se  combiner,  s'associer  avec  une  foule  d'autres  affections  et  en 
particulier  avec  l'épilepsie.  Eh  bien,  chez  ce  malade,  nous  n'avons  pas  seule- 
ment les  stigmates  de  l'hystérie,  nous  en  avons  aussi  les  attaques.  Je  vous  ai 
montré  qu'il  était  insensible  partout,  excepté  sur  le  ventre,  au-dessous  de 
l'ombilic.  Il  y  a  là  deux  choses  à  considérer:  la  région  qui  est  tout  entière 
hypéresthésique  et  deux  plaques  hystérogènes  (voir  le  schéma  fig,  82).  Si  je 
presse  sur  ces  deux  points,  vous  voyez  les  yeux  du  malade  devenir  fixes, 
hagards,  et  si  vous  l'interrogez  en  ce  moment  précis,  il  vous  répond:  «  Gela 
monte,  j'ai  de  la  pression  dans  l'estomac,  je  ne  puis  plus  respirer,  j'ai  mal  à 
la  tète,  cela  me  serre  le  front;  j'ai  des  bruits  d'oreilles.  »  Si  on  insistait  on  lui 
donnerait  une  attaque.  Mais  quelle  attaque  lui  donnerait-t-on?  Assurément 
pas  une  attaque  d'épilepsie.  En  résumé,  nous  avons  ici  des  stigmates  très 
accentués, des  points  hystérogènes, dont  la  pression  détermine  la  production  de 
l'aura.  Ce  malade  n'aurait  point  d'attaques convulsives  que  cela  nous  suffirait, 
remarquez-le  bien,  pour  dire  :  c'est  un  épileptique  qui  a  quelque  chose  déplus 
que  son  épilepsie;  il  a  de  l'hystérie.  Mais  il  a,  je  le  répète,  des  attaques  d'hys- 
térie qui  surviennent  spontanément  et  de  ces  attaques  voici  la  description  : 

C'est  au  sortir  de  sa  fièvre  typhoïde  qu'il  est  tombé  dans  la  grande  hystérie; 
c'est  alors  que  sont  apparues  cette  anerihésie,  ces  douleurs  de  ventre,  ces 
crises  qu'il  ne  connaissait  pas  auparavant.  En  quoi  consistent-elles,  en  quoi 
diffèrent-elles  des  crises  épileptiques?  Le  malade  les  a  distinguées  lui-même. 
Il  les  appelle  ses  crises  de  jour.  Je  lui  ai  demandé  comment  elles  étaient  faites 
et  voici  ce  qu'il  m'a  répondu  :  «  Ce  sont  des  crises  qui  commencent  par  quelque 
chose  qui  me  part  du  ventre,  de  l'estomac  et  qui  me  remonte  à  la  tête.  J'ai  le 
temps  de  me  garer:  c'est  absolument  ce  que  vous  m'avez  fait  l'autre  jour...  » 
Un  jour  je  lui  ai  fait  cette  pression  sur  l'abdomen  dont  vous  venez  de  voir 
l'eftet.  Il  a  reconnu  son  a^^ra  et  il  a  manifesté  le  désir  de  se  coucher.  Poursui- 
vant sa  description,  le  malade  nous  a  appris  que  ces  crises-là  sont  très  fortes 
en  ce  sens  qu'il  se  débat  énormément,  qu'il  faut  deux  ou  trois  personnes  pour 
le  tenir,  tandis  que  dans  les  crises  qui  viennent  la  nuit,  il  n'est  jamais  tombé 
de  son  lit;  qu'enfin, il  ne  se  mord  pas  la  langue  et  n'urine  pas  sous  lui  comme  il 
le  fait  dans  ses  crises  de  nuit.  Ce  sont  bien  là,  si  je  ne  m'abuse,  des  attaques 
d'hystérie.  Il  y  a  encore  un  autre  caractère  qui  nous  manque  et  dont  je  vous 
parlerai  tout  à  l'heure.  Je  voudrais  auparavant,  puisque  l'occasion  s'en  pré- 
sente, vous  rappeler  la  grande  différence  (jui  existe  suivant  moi,  dans  la 
forme,  comme  d'ailleurs  dans  le  fond,  entre  l'attacjue  d'épilepsie  et  l'attaque 
d'hystéro-épilepsie. 

Mon  respect  pour  la  tradition  m'a  fait  jadis  maintenir  cette  dénomination 


—  425  — 

d'hystéro-épilepsie;  mais  elle  me  ^êne  fort,  je  vous  l'avoue,  car  elle  estabsurde. 
Voilà  un  malade  qui  est  sous  le  coup  de  deux  afîections  foncièrement  diffé- 
rentes, et  elles  portent  lo  m«*'me  nom.  11  n'y  a  pas  le  moindre  rapport  entre 
l'épilepsie  et  riiystjîro-cpilepsie  même  à  crises  mixtes.  Ce  qu'on  doit  dire  de 
cet  homme,  c'est  qu'il  est  à  la  fois  hystérique  et  épileptique.  C'est  une  erreur 
de  dire  qu'il  est  hystéro-npileptique,  si  l'on  prend  la  signification  du  terme  au 
pied  de  la  lettre.  A  ses  crises  de  jour,  qui  sont  des  attaques  de  grande  hys- 
térie, l'épilepsie,  le  mal  comitial,  ne  prend  aucune  part;  et  inversement, 
l'hystérie  n'intervient  d'aucune  façon  dans  ses  crises  de  nuit  :  pendant  le 
sommeil  de  la  nuit,  vers  trois  heures  du  matin,  je  suppose,  le  voilà  qui 
tout  à  coup  se  raidit,  ses  yeux  sont  hagards,  convulsés,  il  se  mord  la  langue, 
puis  il  se  met  à  ronfler;  cela  dure  un  certain  temps  et  c'est  fini.  Voilà  l'ac- 
cès d'épilepsie  dans  sa  simplicité. 

L'attaque  d'hystéro-épilepsie  n'est  pas  faite  comme  cela.  J'en  ai  bien  souvent 
redit  ici  les  caractères  et  retracé  les  phases.  Cette  fois,  pour  ne  pas  me  répéter, 
je  vais  prendre  une  description  très  fidèle,  très  artistique,  parfaite  en  un  mot, 
qui  nous  vient  d'Allemagne.  Je  l'ai  trouvée  dans  la  Gazette  hebdomabaire  de 
Berlin;  elle  est  accompagnée  de  dessins  on  ne  peut  plus  fidèles  et  significatifs  ; 
ils  sont  la  reproduction  de  photographies  instantanées  représentant  un  homme 
en  proie  à  une  attaque  d'hystéro-épilepsie.  (1). 

L'auteur  est  un  chirurgien  major  assisté  dans  l'observation  d'un  médecin 
attaché  à  la  clinique  d'Heidelberg,  et  le  sujet  un  grenadier  de  l'armée  alle- 
mande âgé  de  23  ans,  en  garnison  à  Carlsruhe.  L'hystérie  mâle  n'est  donc  pas 
vous  le  voyez,  comme  on  l'a  donné  à  entendre,  un  produit  de  nationalité  ex- 
clusivement française.  J'ai  dit  ici  un  jour,  en  plaisantant,  que  je  serais 
enchanté  de  voir  constater  l'hystérie  chez  un  cuirassier  prussien.  Eh  bien 
voilà  un  grenadier  allemand  qui  est  hystérique.  On  en  trouvera,  j'en  suis 
convaincu,  dans  toutes  les  armées  du  monde.  Voici  l'histoire  :  Ce  grenadier 
avait  désiré  ardemment  assister  aux  obsèques  de  je  ne  sais  quel  duc  ;  on  le 
retint  à  la  caserne  et  ce  futlà,  pense-t-on,  la  cause  occasionnelle  de  sa  ma- 
ladie. Il  tombe  en  attaque  ;  on  le  transporte  au  lazaret;  les  médecins  étudient 
avec  beaucoup  de  talent  et  une  grande  sincérité  d'observation  tout  ce  qui  se 
passe  et  photographient  toutes  les  attitudes  du  malade 

Dans  la  première  phase  le  sujet  a  les  yeux  fixes,  c'est  l'aura  ;  l'attaque  va 
commencer. Que  se  passe-t-il?  Il  a  malà  la  tête,  il  entend  des  bruits  dans  les 
oreilles  etc.  C'est  la  reproduction  à  peu  près  exacte  de  ma  description  dans 
le  premier  volume  de  mes  leçons,  t^ui  date  de  1872. 

La  première  phase,  disent  ces  messieurs,  ressemble  tellement  à  l'épilepsie, 

\.  Oberslabarlz  D"-  Andrrc  in  Karlsriihe  iind  D"-  Knoblaiirh  Assistent  an  iler  psychiatriîchen 
Klinik  in  lleidelberg  :  Ueber  einen  Fall  vonfh/stero-Epilepsie  hei  einem  Manne.  In  Berliner 
klin.  Wochenschrift.  N'  10,  11  marz  1889,  p.  204. 


—  426  — 


qu'il  n'y  a  pas  de  différence  apparente.  Yoilà  l'origine  de  cette   dénomination 
d'hystéro-épilepsie.  Le  malade  se  comporte  comme  un   épileptique,  en   ce 


Fig.   85.  —  Ans  der  Période  der  contorsionen. 


Fig.  86,  —  Mouvements  de  salutation. 


sens  qu'il  [)résente  une  période  de  convulsions  toniques  puis  de  convulsions 
cloniques,  mais  il  en  diffère  en  général  par  quelques  points  ;  habituel- 
lement, il  ne  se  mord  pas  la  langue  et  n'urine  i)as,  et  si  l'on  intervient 
violemment  par  des  cris,  ou  bien  en  comprimant  certaines  zones,  l'attaque 


-    427  — 

s'arrête,  tandis  qu'on  narre  le  jamais  l'accès  d'épilepsie  vraie  par  des  procédés 
de  ce  genre.  En  un  mot  ainsi  que  je  l'ai  depuis  bien  longtemps  iiroclamé, 
Tépilepsie  n'est  là  que  dans  la  forme. 

Dans  une  seconde  phase,  le  sujet  s'agite,  se  tord  dans  tous  les  sens,  fait  de 
grands  mouvements  de  salutation,  s'arc-boute  de  manière  à  former  Tare  de 
cercle  ouvert  en  avant  (Emprosthonos).  C'est  la  phase  des  grands  mm- 
vements^  des  contorsions  ou  encore  du  clownisme,  que  nous  avons  si  souvent 
décrite.  Fig.  S5,  SG,  87. 


Pig.  87.   —  Arc  de  cercle.  Emproslhotonos. 


Voici  enfin  la  troisième  période,  celle  des  attitudes  passionnelles,  comme 
je  l'appelle.  Celles-ci  sont  dirigées  en  quelque  sorte  par  des  hallucinations 
dont  elles  représentent  la  formule  motrice.  En  bon  militaire  qu'il  est,  le  sujet 
tire  des  coups  de  fusil, s'escrime  à  coups  de  baïonnette  contre  un  ennemi  ima- 
ginaire; après  cela,  il  menace  du  poing,  prend  l'attitude  du  crucifiement,  etc. 
Bientôt,  l'attaque  se  termine,  et,  après  un  moment  de  calme,  il  s'en  produit 
une  seconde,  une  troisième  etc.  semblables  en  tout  à  la  première.  En  général, 
les  crises  d'hystéro-épilepsie,  vous  le  savez,  s'enchaînent  en  séries.  Voilà  ce 
qu'on  appellel'hystéro-épilepsie  à  crises  mixtes.  Sachez  qu'il  n'y  a  dans  tout 
cela  que  l'apparence  deTépilepsie.  La  première  phase  qui  seule  est  éi)ileptique, 
non  dans  le  fond,  mais  dans  la  forme,  est,  comme  tout  le  reste,  hystérique  et 
rien  qu'hystérique.  Fig.  88,  89,90,  91. 


428 


vous 


Il  paraît  exister  un  autre  caractère  distinctif,  d'ordre  chimique  celui-là 
us  disais  tout  à  l'heure  que  dans  l'épilepsie,   MM.  Lépine   et  Mairet 


-là.  Je 
ont 


;    r 


M'^'M 


^(J  ^)\ /////■ 


"i^    -2/ 


Fig.  88.  —  Période  der  Halluciimtionen. 


Fi  g.  89.   —  Période  der  Ilallucinationen. 

constaté  une  augmentation  du  taux  de  l'urée  urinaire.  MM.  Gilles  de  la  Tou- 
rette  et  Cathelineau  ont  fait  des  recherches  intéressantes  dont  les  résultats, 
s'ils  venaient  à  se  confirmer,  constitueraient  une  véritable  découverte.  La 
phase  épileptoïde  de  la  grande  attaque  d'hystérie  est  si  bien  une  sim^de  appa- 


—  429  — 


rence  que  si  l'on  «Hudie    les  urines  des    hystéro-épileptiques,    au   lieu    d'y 
trouver  un  accroissement  du  taux   de   l'urée,  on  constate    au  contraire  que 


Fig.    90.  —  Période  der  Hailucinalionen. 


Fig.   91.  —  Période  der  Ilalluciaationen. 


l'urée  a  diminué.  On  n'a  pas  encore  eu  l'occasion  de  faire  l'analyse  des  urines 
de  notre  homme  lors  de  ses  attaques  hystéro-épileptiquos,  mais  nous  avons  ici 
depuis  longtemps  unemalade  quiest  comme  lui,  àlafoisépileptiqueethystéro- 
épileptique.Chez  cettefemme,  le  chiffre  normalde  l'urée  estde  18gr.6Ô;  or,  à 


—  i30  — 

la  suite  de  ses  crises  d'hystérie,  ce  chiffre  descend  à  14  gr.  Après  les  accès 
d'épilepsie^  au  contraire,  l'urée  remonte  à  22  gr.  40  et  les  phosphates 
s'élèvent  de  1  gr.  80  à  2  gr.  Si  cette  observation  remarquable  se  confirme, 
elle  sera  la  plus  belle  preuve  de  ce  que  j'affirme  depuis  bien  longtemps,  à 
savoir  que  dans  l'hystéro-épilepsie  il  n'y  a  pas  trace  d'épilepsie,  il  n'y  en  a 
que  l'apparence.  Quand  les  deux  maladies  cohabitent  chez  un  même  indi- 
vidu, elles  vivent  séparément  ;  il  n'y  a  pas  de  mélange  entre  elles,  pas  de 
fusion,  pas  d'hybridité. 


III 

Nous  arrivons  au  troisième  élément  nosographique  que  présente  notre  ma- 
lade, à  la  névEose  artificielle  qu'il  a  créée  en  lui,  la  morphinomanie. 

Et  d'abord,  qu'est-ce  qu'un  morphinomane  ? 

Pour  une  douleur  quelconque,  un  individu  se  fait  une  injection  de  mor- 
phine. Le  médecin  a  l'imprudence  de  lui  laisser  une  seringue  entre  les  mains 
et  il  contracte  l'habitude  de  s'administrer  plusieurs  injections  par  jour. 
Bientôt,  il  lui  devient  impossible  de  s'en  abstenir  sans  tomber  dans  de  états 
très  pénibles  et  quelquefois  très  graves.  Il  se  fait  une  injection  le  matin  au 
réveil,  une  avant  le  déjeuner,  une  autre  avant  le  dîner,  une  autre  enfin  avant 
de  se  coucher,  en  somme  quatre  ou  cinq  dans  les  24  heures.  Si  pour  le  dé- 
morphiniser^,  quelqu'un  lui  enlève  sa  seringue,  si  on  ne  lui  donne  pas  la  dose 
du  médicament  qu'il  s'est  habitué  à  prendre  chaque  jour  —  la  dose  d'ailleurs, 
jusqu'à  un  certain  point,  importe  assez  peu,  —  alors  va  commencer  une 
scène  lamentable.  Notre  homme  d'aujourd'hui  est  morphinomane  à  30  centi- 
grammes par  jour.  C'est  ladose  moyenne.  Ilest  des  sujets  morphinomanes  qui 
en  prennent  plus,  beaucoup  plus;  d'autres,  par  contre  qui  en  prennent  beau- 
coup moins.  Ladose,  comme  vous  voyez  varie  suivant  les  sujets  ;  mais,  je  le 
répète,  une  dose  de  0^  30  centigrammes  en  24  heures,  est  chose  vulgaire  dans 
l'espèce.  Voici  comment  notre  malade  est  arrivé  à  cet  état  : 

Vous  savez  comment,  après  sa  fièvre  typhoïde,  il  est  devenu  hystérique.  Il 
paraît  qu'au  début  il  a  souffert  d'une  hypéresthésie  très  douloureuse  de  tout 
le  cùté  gauche  du  corps,  et  c'est  sa  sœur,  épileptique  comme  vous  savez,  et 
morphinomane  elle-même  qui,  à  ce  propos,  lui  a  montré  l'usage  de  la  mor- 
phine. Il  a  commencé  par  avoir  des  vomissements;  il  se  refusait  à  continuer. 
Sa  sœur  l'a  encouragé  et  il  a  fini  par  s'y  faire.  Les  douleurs  ont  disparu,  mais 
il  est  devenu  morphinomane.  Il  n'est  pas  inutile  de  vous  montrer  comment  il 
distribue  les  30  centigrammes  qu'il  absorbe  chaque  jour. 

Au  réveil,  vers  7  heures,  il  se  sent  considérablement  prostré,  affaibli;  si  on 
ne  lui  donnait  pas  alors  sa  première  injection,  il  serait  incapable  de  se  lever. 


—  i:u  — 

A  11  heures  et  demie,  le  besoin  de  la  morphine  commence  a  se  faire  sentir; 
il  éprouve  certains  symptômes  que  je  vous  (lirai  bientôt.  Apr^s  cette  deuxième 
injection,  il  mange  un  peu  ;  troisième  injection  à  3  heures  ;  quatrième  injec- 
tion à  0  heures  qui  lui  permet  de  dîner  —  U-s  morphinomanes  ne  mangent  pas 
beaucoup,  et  pour  la  plupart  ils  seraient  complètement  incapables  de  prendre 
des  aliments  sans  l'injection  préalable  ;  —  cinquième  injection  à  8  heures 
du  soir.  Vers  minuit,  il  prend  ^0  gouttes  de  laudanum  pour  passer,  tant  bien 
que  mal,  le  reste  de  la  nuit.  Je  dis  tant  bien  que  mal  parce  que,  pour  peu 
qu'il  dorme,  surviennent  bientôt  des  rêves  où  il  voit  des  animaux  menaçants, 
l'enterrement  deson  père  auquelil  assistela  nuit,  sans  lumière,  et  autres  images 
sinistres.  Ces  rêves  procèdent-ils  de  l'hystérie  ou  de  la  morphinomanie  ?  Des 
deux  peut-être. 

Nous  appelons  périodes  d'euphorie  les  périodes  pendant  lesquelles  le  malade 
n'éprouve  pas  le  besoin  de  morphine.  Lorsque  le  morphinomane  espace  conve- 
nablement ses  piqûres  et  s'arrange  de  façon  à  ce  que  les  périodes  d'euphorie 
se  confondent  les  unes  avec  les  autres,  il  n'y  a  pas  de  diagnostic  à  faire  ;  le  sujet 
n'éprouve  aucune  souffrance  marquée,  aucune  gêne,  il  ne  profère  aucune 
plainte. 

Mais  lorsque  les  périodes  d'euphorie  sont  séparées  par  des  entr'actes  d'amor- 
phinisme,dilors  les  malades  accusent  une  série  de  troubles  qu'il  faut  bien  con- 
naître. Notre  malade  est,  en  ce  moment,  au  début  de  la  période  de  besoin.  Elle 
s'annonce  chez  lui  entre  autres  par  un  phénomène  particulier.  C'est  un  trem- 
blement d'un  genre  spécial,  qui  ressemble  à  quelques  égards  au  tremblement 
des  alcooliques.  Comme  ce  dernier,  qui  apparaît  quand  l'alcoolique  est  à  jeun 
d'alcool,  il  se  montre  dans  la  période  d'amorphinisme  et  s'apaise  après  la  prise 
du  médicament.  Il  est  surtout  accusé  aux  mains.  Nous  avons  étudié  graphi- 


\V\g.  92.  —  a.  TiMco  pris  un  quart  d'heure  après  Tinjection  de  morphine. 


quement  ce  tremblement  :  il  est  assez  irrégulier.  Nous  avons  compté  qu'il  y 
avait  six  ou  sept  oscillations  par  seconde.  Vous  savez  qu'il  y  en  a  de  7  à  9  dans 
le  tremblement  vibratoire  de  la  maladie  de  Basedow.  Ce  n'est  donc  pas  un 
tremblement  rapide  au  premier  chef.  11  persiste,  maisHrès  faible,  dans  la  pé- 
riode d'euphorie.  Dès  que  le  besoin  de  morphine  se  fait  sentir,  ce  tremble- 
ment s'accroît;  les  oscillations  deviennent  alors,  progressivement, plus  grandes 

58 


-  432  ~ 

et  un  peu  plus  rapides.  Ce  tremblemenl  a  été  signalé  d'ailleurs  par  la  plu- 
part des  auteurs  qui  ont  décrit  les  symptômes  de  l'amorphinisme.  On  le 
trouve  déjà  étudié  avec  quelque  soin  dans  la  thèse  de  M.  Jouet  faite  en  1883, 
sous  ma  direction.  Il  n'existe  pas,  je  m'en  suis  assuré,  dans  tout  les  cas,  même 
les  plus  invétérés.  Mais  il  y  a  d'ailleurs  bien  d'autres  symptômes  d'amorphi- 
nisme  que  vous  devez  connaître  parce  qu'ils  vous  permettront  de  découvrir  la 
maladie  quand  les  malades  s'en  cachent,  ce  qui  est  d'ailleurs  assez  fréquent. 


•'^^^^M'^r^^^^^'^^^'^'-^^^'^h^-m^H^^ 


Fig".  93.  —  b.  Tracé  pris  2  heures  après  rinjection. 


Fig.  94.  —  c.  Tracé  pris  4  heures  et  demie  après  l'injection. 


Voici  ce  qui  se  passe  le  plus  communément,  dans  les  périodes  amorphini- 
ques.  Le  malade  accuse  des  sueurs  froides,  une  inquiétude  vague,  il  baille 
sans  cesse,  il  est  pris  de  coliques  et  va  cinq  ou  six  fois  à  la  garde-robe,  pres- 
que coup  sur  coup  ;  c'est  la  diarrhée  du  morphinisme.  11  se  gratte  de  tous 
côtés.  Puis  des  troubles  psychiques  se  manifestent.  Il  devient  insolent,  il  veut, 
il  exige  absolument  qu'on  lui  fasse  ses  piqûres  ;  il  s'emporte  et  se  livrerait 
volontiers  à  des  actes  de  violence  si  on  ne  lui  cédait  point.  C'est  un  véritable 
délire.  Parfois  il  est  pris  de  vomissements  et  tombe  en  syncope.  Si  on  lui  fait 
une  injection  de  morphine,  tout  rentre  rapidement  dans  l'ordre. 

Comment  peut-on  démasquer  un  morphinomane  qui  veut  vous  cacher  qu'il 
prend  de  la  morphine  ?  Il  y  a  une  dizaine  d'années,  je  fus  appelé  auprès  d'une 
dame  qui  ne  pouvait  plus  quitter  sa  chambre  depuis  trois  ou  quatre  ans.  Elle 
avait  eu,  à  cette  époque,  un  phlegmon  du  bassin  très  douloureux  et  depuis 
elle  traînait,  se  plaignant  de  ceci,  de  cela  :  elle  avait  vu  je  ne  sais  combien  de 
médecins  ;  j'étais  peut-être  le  neuvième  et  tout  d'abord_,  je  ravoue,je  ne  com- 
prenais rien  à  l'affaire.  Les  consultations  de  mes  collègues,  qu'on  m'avait  com- 
muniquées, ne  m'apprenaient  rien  non  plus.  En  interrogeant  le  sujet  dans 
tous  les  sens,  je  finis  par  découvrir  une  chose  :  c'est  que  la  maladie  évoluait 


—  433  — 

chaque  jour  en  cinq  actes,  séparés  par  des  entr'actes  de  calme  et  de  bien  être. 
Gela  me  frappa  et  me  remit  dans  l'esprit  ce  qui  se  passe  chez  les  nombreux 
morphiiioiTianes  ({uo  j'ai  l'occasion  de  voir  journellement  à  la  Salp»'trière.  Je 
dis  tout  d'un  coup  :  «  vous  avez  une  seringue  de  Fravaz?  >  Et  aussitôt  je  vis 
la  rougeur  s'étendre  sur  son  visage  et  sur  celui  de  son  mari.  Elle  nia,  tout 
d'abord.  —  «  Montrez  donc  vos  bras  ;  vous  vous  faites  des  injections  de  mor- 
phine. Depuis  quand  ?  »  —  Et  elle  me  répondit  :  «  C'est  depuis  que  j'ai  eu  ma 
maladie  du  ventre.  »  La  maladie  <<  du  ventre  »  avait  depuis  longtemps  dis- 
paru ;  mais  la  malade  était  devenue  morphinomane  :  elle  n'avait  pas  autre 
chose. 

Quant  à  notre  homme,  il  présente  tous  les  phénomènes  du  morphinisme  au 
degré  le  plus  élevé;  et  le  voilà  épileptique,  hystéro-épileptique  et  morphino- 
mane. Nous  voudrions  tâcher  de  faire  quelque  chose  pour  lui.  Mais,  par  où 
commencer  ?  Toutes  les  fois  qu'un  individu  est  en  puissance  de  la  morphine, 
il  n'y  a  pas  un  autre  remède  à  placer  chez  lui.  La  morphine  n'admet  pas  de 
médication  satellite  ;  elle  règne  en  maîtresse  absolue  sur  les  organismes  qu'elle 
détient.  Il  faudra  donc  le  démorphiniser,  soit  par  la  méthode  de  suppression 
brusque,  soit  en  diminuant  progressivement  les  doses.  Mais  rien  n'est  plus 
difficile  ;  les  succès  sont  rares  et  les  récidives  fréquentes.  J'ai  la  conviction 
d'ailleurs  que  jamais  le  malade  ne  voudra  se  laisser  faire.  Et  puis,  en  admet- 
tant qu'on  parvienne  à  le  délivrer  de  la  morphine,  il  lui  restera  ses  deux  au- 
tres maladies,  tenaces  elles  aussi,  à  quel  degré,  je  n'ai  pas  besoin  de  vous  le 
dire  ;  l'hystérie  peut-être  autant  que  l'épilepsie. 

En  somme,  je  crains  fort  que  ces  trois  éléments  morbides  qui  se  sont  déve- 
loppés chez  cet  homme  ne  continuent  à  vivre  côte  à  côte  encore  pendant  bien 
longtemps. 


(TS.  de  tt  S*o.  d*  Typ.  .  t^oiiiT'.    ,8,  r.  Campagao- Première,  t'arit. 


Policlinique  du  Mardi  28  Mai  1889 
DIX-NEUVIÈME  LEÇON 

Accidents    nerveux   provoqués  par  la    foudre. 


Messieurs, 


Je  saisis  avec  empressement  Toccasion  qui  m'est  offerte  de  vous  présenter 
un  sujet  chez  lequel  nous  pouvons  étudier  ensemble  divers  troubles  nerveux 
qui  relèvent  plus  ou  moins  directement  de  la  fulguration. 

L'accident  dont  notre  malade  a  été  victime,  s'est  produit  le  7  mai  dernier, 
c'est-à-dire  il  y  a  vingt  jours  à  peine.  L'affection  qui  en  a  été  la  conséquence 
est  donc,  vous  le  voyez,  de  date  toute  récente,  et,  d'après  les  renseignements 
que  nous  avons  en  notre  possession,  il  nous  est  permis  d'affirmer  que  les 
principaux  symptômes  s'offrent  à  nous,  à  l'heure  qu'il  est,  tels  qu'ils  se  sont 
montrés  le  lendemain  même  de  l'orage  du  7  mai  ;  ils  ne  paraissent  pas,  j'y 
insiste,  avoir  subi  depuis  lors  la  moindre  modification. 

Messieurs,  M.  Boudin  auquel  on  doit  une  série  de  travaux  intéressants  con- 
cernant la  foudre,  considérée  principalement  au  point  de  vue  de  l'hygiène 
publique,  pouvait  dire  en  1855.  «  Ce  qui  caractérise  les  effets  de  la  foudre, 
c'est  l'imprévu,  le  protéiforme^,  le  contraste,  l'opposition,  le  mystérieux  (1).  » 
Le  tableau  était  un  peu  forcé,  sans  doute,  déjà  pour  l'époque,  et  le  mystère 
d'ailleurs  tend  chaque  jour  à  disparaître,  au  fur  et  à  mesure  que  les  faits,  qu'il 
enveloppe  de  son  obscurité,  sont  amenés  à  la  lumière  et  méthodiquement 
étudiés.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  toutefois,  qu'aujourd'hui  encore,  c'est  une 
bonne  fortune  pour  le  médecin,  en  particulier  pour  le  neuropathologue,  de 
pouvoir  étudier  à  loisir  un  homme  intelligent,  sincère^  qui  a  vu  la  foudre  de 
près  et  en  a  ressenti  les  effets  assez  durement. 

Il  y  a  longtemps  que,  parmi  les  accidents  pathologiques  que  la  fulguration 


1.  M.  Boudin.  De  la  fondre  considérée  au  point  de  vue  de  Vhistoire,de  la  tnédecine  légale 
et  de  Vhygiene  publique.  Extrait  des  Annales  d'Hygiène  publique^  Paris,  1855. 


o 


9 


—  436  — 

peut  produire  chez  l'homme,  on  a  signalé  des  troubles  nerveux  divers  et  plus 
particulièrement  des  paralysies.  Dans  l'espèce,  celles-ci  ne  sont  point  très 
rares.  La  plupart  des  foudroyéS;,  quand  ils  ne  sont  pas  tués  sur  le  coup,  à 
part  quelques  cas  exceptionnels  où  la  mort  survient  après  quelques  jours,  en 
sont  quittes  pour  des  accidents  nerveux,  en  général  bénins  et  de  courte 
durée,  parmi  lesquels  figurent  au  premier  rang  les  paralysies.  Mais  quels 
sont  exactement  les  caractères  cliniques  de  ces  paralysies  des  foudroyés  ou 
kerauno-paralynes,  comme  vous  voudrez  les  appeler?  Présentent-elles,  vérita- 
blement, quelque  chose  de  spécial,  leur  appartenant  en  propre;  ou  bien  ren- 
trent-elles au  contraire,  tout  simplement,  dans  les  cadres  vulgaires  des 
paralysies  traumatiques  ?  C'est  ce  qu'on  ne  saurait  encore  décider  péremp- 
toirement, faute  d'observations  et  de  descriptions  suffisamment  précises  et 
méthodiques,  et  c'est  là  incontestablement  une  circonstance  bien  faite  pour 
accroître^  à  nosyeux_,  l'intérêt  qui  s'attache  au  cas  actuel. 


Je  vais  maintenant  exposer,  avec  détails,  tout  ce  que  le  malade  sait,  tout 
ce  qu'il  nous  a  dit  sur  la  maladie  pour  laquelle  il  est  venu  nous  consulter,  et 
sur  les  diverses  circonstances  au  milieu  desquelles  elle  s'est  développée.  Vous 
serez  par  là  mis  en  mesure  d'apprécier  à  leur  juste  valeur  les  faits  sur  les- 
quels je  veux  surtout  appeler  votre  attention.  Mais,  auparavant,  je  dois  vous 
faire  connaître  ce  qu'était  le  sujet  avant  l'accident  du  7  mai. 

D...  cy,  c'est  ainsi  qu'il  se  nomme,  est  âgé  de  45  ans.  Il  exerce  la  profession 
de  garçon  de  recette  attaché  à  une  papeterie.  11  est  entré  à  la  Salpêtrière,  le 
22  mai,  c'est-à-dire  il  y  a  six  jours. 

En  ce  qui  concerne  ses  antécédents  de  famille,  il  nous  apprend  qu'un  de  ses 
oncles,  du  côté  paternel,  était  emporté,  violent  à  l'excès.  Du  côté  maternel,  il 
y  a  à  signaler  une  tante  tellement  impressionnable,  qu'elle  tremblait  «  de  tous 
ses  membres,  à  la  moindre  émotion  »  ;c'est  tout.  Mais  il  y  a  lieu  de  remarquer 
que,  relativement  à  ses  grands-parents,  le  malade  ne  peut  fournir  aucun  ren- 
seignement. Il  les  a  à  peine  connus. 

Le  récit  de  son  histoire  personnelle  nous  a  fourni  des  faits  dignes  d'intérêt  : 
D...cy  est  né  à  La  Martinique  où  il  a  passé  les  premières  années  de  son  enfance. 
Puis  il  a  habité  Lyon  où  son  père,  officierd'int'anterie,  se  trouvait  en  garnison. 
Là  il  a  reçu  de  l'instruction  ;  il  a  fait  ses  classes  au  collège  jusqu'à  la  philo- 
sophie. Toujours  il  s'était  montré  calme,  froid  même,  difficile  à  émouvoir, 
lorsque,  dans  le  cours  de  sa  dernière  année  d'études,  ayant  été  un  jour  mo- 
lesté et  humilié  par  un  de  ses  professeurs,  qui  lui  avait  «  tiré  les  oreilles  »,  il 


—   VM  — 

riposta  par  un  soui'llet  et  fut  en  conséquence,  suivant  les  règlements,  chassé  de 
l'établissement.  H  était  alors  Agé  de  IH  ans.  Furieux,  son  père  l'obligea  à  s'en- 
gager. Il  j)artit  comme  soldat  dans  l'infanterie  de  marine.  Iiient(jt  il  prit  part 
à  l'expédition  du  Mexique,  et,  dans  cette  campagne,  assista  au  siège  de  San 
Lorenzo,  à  la  bataille  de  Puebla,  «  où  la  foudre,  dit-il,  tonnait  autant  que  le 
canon  »,  et  à  la  prise  de  Mexico. 

Libéré  du  service  militaire  à  25  ans,  il  s'engagea  deux  ans  après,  dans  les 
équipages  de  la  flotte.  Sur  ces  entrefaites,  la  guerre  franco-allemande  écla- 
tait. D...  cy  lit  campagne  dans  l'armée  de  la  Loire  :  il  assista  aux  combats  de 
Patay,  de  Coulmiers,  de  Marchenoire.  Enfin,  lors  de  la  répression  de  l'insur- 
rection de  la  Commune  de  Paris,  par  l'armée  de  Versailles,  il  prit  part  à  la 
prise  du  cimetière  du  Père-Lachaise  où  les  «  obus  pleuvaient  dru  ».  Il  y  fut 
blessé  à  la  jambe  gauche,  peu  grièvement  d'ailleurs  par  ur.  éclat  d'un  de  ces 
projectiles. 

J'ai  tenu,  messieurs,  à  vous  faire  connaître  tous  ces  détails  afin  de  vous 
bien  montrer  que  notre  malade  n'était  rien  moins  à  cette  époque  qu'un  débile, 
un  pusillanime.  Certes,  dans  ce  temps-là,  il  n'était  pas  homme  à  prendre 
peur  de  l'orage.  Dans  cette  eérie  d'aventures  que  nous  venons  d'énumérer  et 
dont  quelques-unes  ont  été  fort  dramatiques,  il  a  certainement  entendu  de 
rudes  canonnades,  et  assisté  à  des  spectacles  autrement  terrifiants  que  ceux 
que  peut  donner  un  orage  avec  ses  éclairs  et  ses  coups  de  foudre  ;  jamais 
cependant  sa  santé  n'en  avait  été  troublée  :  mais  alors  il  n'était  pas  dans 
l'état  d'affaiblissement,  d'opportunité  morbide  où  nous  allons  voir  qu'il  est 
tombé  depuis,  et  où  il  se  trouvait  justement  lorsque  la  foudre,  en  le  frappant 
le  7  mai  dernier,  a  déterminé  chez  lui  la  maladie  qu'il  nous  faudra  tout  à 
l'heure  étudier. 

Après  la  guerre  D...  cy  navigua  longtemps  comme  maître  timonier  à 
bord  des  paquebots  transatlantiques.  Il  y  a  un  an,  en  mai  1888,  il  abandonna 
définitivement  la  marine  et  entra  comme  garçon  de  recettes  dans  un  établis- 
sement de  papeterie.  Jusqu'alors,  à  part  l'énurésie  et  les  terreurs  nocturnes 
auxquelles  il  est  resté  sujet  dans  l'enfance  jusqu'à  l'âge  de  5  ans,  il  n'avait 
jamais  présenté  aucune  marque  neuropathique;  il  n'est  d'ailleurs  ni  syphilitique 
ni  alcoolique.  Mais  bientôt  devaient  survenir  des  chagrins,  puis  des  fatigues 
physiques  exceptionnelles  qui  changèrent  du  tout  au  tout  la  situation. 

La  mort  de  ses  parents,  celle  de  sa  mère  en  particulier  (|ui  fut  inopinée  et 
à  laquelle  il  ne  put  assister,  l'avaient  déjà  profondément  ébranlé  lorsque, 
au  mois  de  décembre  dernier,  l'exercice  de  sa  profession  qui  paraît-il,  est 
assez  pénible  déjà  en  temps  ordinaire,  l'obligea,  à  cause  des  recouvrements 
de  fin  d'année  à  subirdes  fatigues  excessives,  lise  «  surmena  »  dansPacception 
la  plus  générale  du  mot.  Peu  à  peu  ses  forces  allèrent  en  déclinant;  il  perdit 
du  même  coup  son  entrain  et  sa  vigueur  d'autrefois,  il  était  déprimé,  triste, 
mélancolique,   et,  en  même  temps,    il   se   sentait  vite   fatigué  :  il  éprouvait 


-^  438  — 

quelque  peine  à  monter  les  escaliers,  les  jambes  lui  semblaient  faibles, 
comme  paralysées,  les  pieds  souvent  «  butaient  »  en  marchant.  Il  se  plai- 
gnait d'une  sensation  de  poids  et  de  constriction  sur  le  crâne  ;  ses  digestions 
étaient  pénibles,  son  estomac  se  gonflait  après  le  repas  et  il  était  pris  alors 
d'invincibles  envies  de  dormir.  En  un  mot,  les  symtômes  de  la  neurasthénie 
cérébro-spinale  s'étaient  nettement  accusés  chez  lui  ;  et,  cependant,  il  con- 
tinuait, malgré  tout,  à  se  livrer  tant  bien  que  mal,  à  ses  occupations,  très 
fatigué  toutefois  et  surtout  très  préoccupé  de  son  état. 

Vous  le  voyez,  messieurs,  je  tiens  à  vous  le  faire  bien  remarquer,  la  santé 
nerveuse  de  D...  cy  était  incontestablement  déjà  fort  ébranlée,  lorsque,  il  y  a 
vingt  et  un  jours, il  fut  frappé  parla  foudre  dans  les  circonstances  que  nous 
allons  étudier. 


II 


Donc,  c'était  le  7  mai  dernier  ;  il  suivait  à  piedlagrand'route  qui  conduit  de 
Noisy-le-Sec  à  Paris,  revenant  de  Noisy  où  il  était  allé  faire  des  recouvre- 
ments. Il  marchait  sur  un  des  côtés  du  chemin,  ayant  le  fossé  à  sa  droite  et 
notez  le  fait,  cherchant  des  yeux,  dans  les  champs  voisins  un  pied  de  bruyères 
blanches  qu'il  avait  remarqué  en  allant  à  Noisy  et  qu'il  se  proposait  de 
cueillir  pour  l'apporter  à  Paris...  S'adressant  au  malade  :  Veuillez  nous  dire 
le  reste.  Quelle  heure  était-il  lorsque  l'orage  a  éclaté  ? 

Le  MALADE.  C'était  entre  3  et  4  heures  de  l'après-midi.  Le  ciel  était 
noir,  le  tonnerre  grondait  depuis  quelque  temps  déjà.  Je  n'y  portai  pas 
grande  attention  tout  d'abord.  Mais  tout  à  coup,  il  se  produisit  un  coup 
beaucoup  plus  fort  et  beaucoup  plus  rapproché  que  les  autres,  et  alors,  je  ne 
sais  pourquoi,  j'ai  pris  peur;  il  me  vint  à  l'idée  que  je  pourrais  bien  être 
foudroyé,  et  je  pressai  le  pas  :  d'ailleurs  il  commençait  à  pleuvoir.  J'avais  peut- 
être  fait  300  ou  400  mètres,  lorsque  survint  un  second  coup  extrêmement 
sec:  j'ai  vu  l'éclair  et  j'ai  entendu  le  coup  en  même  temps,  du  moins  je  le 
crois,  car  il  y  a  à  cet  égard  un  peu  de  vague  dans  mon  esprit  ;  mais  ce  que  je 
me  rappelle  bien  c'est  que  le  bruit  ressemblait  à  un  coup  de  canon  accom- 
pagné du  fracas  que  feraient  en  tombant  sur  le  sol  des  milliers  d'assiettes. 

M.  CiiARCOT,  aux  auditew's  :\em\lez  prêter,  messieurs,  une  attention  particu- 
lière aux  détails  qui  vont  suivre. 

Au  malade  :  C'est  alors  que,  comme  vous  l'avez  dit,  vouf  avez  vu  la  foudre  de 
près  ?  Veuillez  nous  conter  cela  en  détail. 

Le  MALADE  :  A  l'instant  même  où  j'entendais  éclater  au  dessus  de  ma  tête  le 
bruit  que  je  vous  ai  dit,  j'ai  vu  sur  la  route,  à  ma  gauche,  un  peu  en  arrière  de 


—  a:vj  — 

moi,  peut-être  à  une  distance  de  2  ou  3  mètres,  une  boule  de  feu  très 
brillante  et  qui  tourbillonnait.  Elle  avait  à  peu  près  laforme  et  les  dimensions 
d'un  petit  baril  de  bière,  c'est-à-dire  peut  être  50  centimètres  de  long  ; 
c'est  du  moins  TefTet  que  cela  ma  fait. 

M.  CiiAHcoT:Pouvez-vous  dire  si  le  globe  de  feu  vous  est  apparu  avantou  après 
que  s'est  produit  le  grand  bruit  d'assiettes  brisées  ? 

Lk  maladk  :Acet  égard  je  ne  puis  rien  préciser,  tout  ce  que  je  puis  dire, 
c'est  que,  de  la  boule  de  feu  il  s'est  dégagé  trois  bouffées,  trois  petits  nuages 


Fig.  95.  —  D'après  un  croquis  fait  par  le  malade.   —  «,   le  fossé  ;  6,  la  route  ;  c-,  le  baril 
lumineux  ;  d,  le  Sujet,  e  e'  e",  les  nuages  do  fumée. 


de  fumée  grisâtre,  d'une  odeur  acre,  suffocante,  prenant  à  la  gorge,  qui  se 
dirigeait  vers  moi.  Gela  ressemblait  aux  flocons  de  fumée  qui  sortent  de  la 
cheminée  d'une  locomotive  lorsqu'elle  se  met  en  marche.  L'odeur  était  celle 
du  soufre  ou  mieux  de  la  poudre  brûlée.  Tout  cela  a  dû  se  passer  bien  vite, 
car  à  peine  avais-je  aperçu  sur  ma  gauche  la  boule  de  feu, que  je  me  sentais 
frappé  à  la  jambe  gauche,  renversé  à  terre,  et  bientôt  après  je  perdais  connais- 
sance. 

M.  CoARcoT  :  Parlez-nous  de  ce  choc  que  vous  dites  avoir  ressenti  dans  la 
jambe  gauche. 

Le  malade:  Je  l'ai  ressenti  au  moment  même  où  la  boule  defeu  m'est  apparue. 
Il  m'a  semblé  qu'on  m'assénait  un  coup  violent,  comme  avec  une  planche  ou 


—  440  — 

un  gros  bâton.  Cela  s'est  fait  sentir  surtout  dans  le  pied  gauche  au-dessous 
des  chevilles,  mais  aussi  en  même  temps  dans  la  jambe  et  la  cuisse  gauches, 
le  côté  gauche  du  tronc  et  même  de  la  tête.  Les  parties  où  j'ai  ressenti  le  choc 
m'ont  paru  aussitôt  lourdes,  pesantes,  comme  engourdies. 

M.  CiiAïiCOT,  aux  auditeurs  :  Avant-hier,  j'ai  faitplacer  le  malade  sur  le  tabou- 
ret électrique  et  on  a  tiré  d'une  de  ses  mains  à  l'aide  de  la  pomme,  une 
forte  étincelle.  Il  assure  avoir  parfaitement  reconnu  la  sensation  particulière 
de  choc  qu'il  vient  de  décrire.  «  C'était  tout  à  fait  cela,  a-t-il  dit,  en  petit.  ».. . 
Mais  continuons  l'exposé  des  faits,  sans  plus  de  commentaires  ;  la  critique 
viendra  plus  tard.  Au  malado  :  Dites-nous,  je  vous  prie,  ce  qui  s'est  passé  après 
la  secousse  ressentie  dans  le  côté  gauche  du  corps. 

Le  malade  :  Monsieur^  ainsi  que  je  vous  l'ai  dit,  à  partir  de  ce  moment-là 
mes  souvenirs  deviennent  plus  vagues.  Il  me  semble  que  j'ai  été  attiré  ou 
poussé  du  côté  delà  boule  de  feu,  en  tous  cas  j'ai  été  renversé;  j'ai  dû  faire 
un  demi-tour  sur  moi-même  en  pivotant  d'abord  sur  le  côté  gauche;  c'est  du 
moins  ce  que  je  crois  d'après  ce  qu'il  me  semble  avoir  éprouvé  et  aussi  lorsque 
je  songe  qu'en  me  réveillant,  je  me  suis  trouvé  sur  la  route,  couché  sur  le 
dos^  le  tête  près  du  fossé,  tournée  du  côté  de  Noisy,  et  les  pieds  par  consé- 
quent du  côté  de  Paris. 

M.  Charcot:  Vous  avez  un  instant  perdu  connaissance? 

Le  MALADE  :  Oui, monsieur,  complètement,  pendant  huit  ou  dix  minutes  peut- 
être,  mais  je  ne  puis  rien  affirmer  là-dessus. 

M.  Charcot  :  Vous  avez  compris,  messieurs,  que  l'analyse  seule,  procédé  tou- 
jours un  peu  artificiel,  a  permis  de  séparer  tous  ces  faits,  qui,  suivant  toute 
vraisemblance,  se  sont  succédé  avec  une  rapidité  telle  qu'on  pourrait  les  dire 
presque  simultanés.  Quoi  qu'il  en  soit,  nous  voici  arrivés  au  moment,  où  cou- 
ché sur  le  dos,  en  pleine  route,  le  malade  reprend,  au  moins  en  partie,  pos- 
session de  lui-même.  Au  malade  :  Continuez  votre  récit. 

Le  malade  :  Quand  je  me  suis  réveillé,  je  ne  me  suis  pas  bien  rendu  compte 
tout  d'abord  de  l'endroit  où  j'étais,  ni  de  ce  qui  était  arrivé  :  j'étais  tout  aba- 
sourdi. J'avais  uriné  dans  mon  pantalon.  Je  me  rappelle  bien  que  je  me  suis 
efforcé  en  vain,  à  deux  reprises,  de  me  dresser  sur  mon  séant.  Ce  n'est  qu'à  la 
troisième  fois  que  j'y  suis  parvenu.  Une  fois  assis,  je  regardai  de  tous  côtés 
autour  de  moi  et  je  me  mis  à  trembler  et  à  pleurer,  comme  un  enfant.  Il  y  a 
longtemps  que  cela  ne  m'était  arrivé. 

M.  Charcot  :  11  n'avait  ni  tremblé,  ni  pleuré  à  Puebla  alors  que  tonnerre  et 
canon  à  l'envi  faisaient  rage,  il  n'avait  pas  pleuré  non  plus  au  Père  Lachaise, 
lorsqu'un  obus  est  venu  éclater  près  de  lui.  Mais  depuis  qu'il  a  été  «  touché  » 
par  la  foudre,  une  transformation  radicale  s'est  produite  en  lui  :  le  voilà  devenu 
émotif  à  l'excès,  pleurard  ;  désormais  sous  l'infiuence  de  la  moindre  émotion 
on  le  voit  fondre  en  larmes,  .lu  malade:  Vous  êtes-vous  souvenu  enfin  de  ce 
qui  s'était  passé  avant  que  vous  ne  fussiez  renversé  ? 


—    4  il   — 

Le  malauk  :  Oui,  monsieur.  Je  me  suis  rappelé  presque  aussitôt  que  la  foudre 
était  tombée  prôs  de  moi,  que  j'avais  été  fra])pé,  renversé,  tout  ce  que  je  vous 
ai  raconté  en  un  mot.  Je  me  suis  tfité  de  tous  les  côtés,  j  avais  peur  d'avoir 
quelque  chose  de  cassé  ou  de  brûlé.  Je  me  suis  aperçu  que  je  n'avais  rien  de 
«  visible  »  et  j'ai  repris  un  peu  confiance,  mais  j'ai  eu  grand  mal  à  me  mettre 
sur  mes  jambes  ;  elles  me  semblaient  excessivement  lourdes;  on  aurait  dit 
que  j'avais  à  ti-aîner  des  boulots.  La  gauche  surtout^  avait  peine  à  me  porter; 
elle  était  tout  en^'ourdie,  comme  cela  arrive  quelquefois  lorsque,  assis  surune 
chaise,  on  s'est  comprimé  le  nerf  de  la  cuisse  en  dormant  dans  une  mauvaise 
position.  Elle  se  dérobait  sous  moi  ;  je  ne  la  sentnisplus  guère,  elle  me  parais- 
sait gonflée  ;  je  ne  savais  pas  si,  oui  ou  non,  elle  portait  sur  le  sol.  Cepen- 
dant, j'ai  pu  me  mettre  en  route  et  tout  en  boitant,  je  précipitai  le  pas,  comme 
un  fou,  ne  sachant  pas  trop  où  j'allais  :  c'est  presque  instinctivement  que  je 
me  suis  dirigé  sur  Paris,  car  il  me  semble  que  j'aurais  pu  tout  aussi  bien,  ne 
sachantpastrop  ce  que  je  faisais, retourner  du  côté  de  Noisy,  tant  j'étais  ahuri. 

M.  Cuarcot:  Le  voilà  donc  qui  se  met  en  marche,  boitant^  traînant  la  jambe 
gauche,  tout  tremblant,  obsédé,  assure-t-il,  constamment  par  une  odeur  de 
soufre  et  la  sensation  de  quelque  chose  d'acre  qui  le  tenait  à  la  gorge,  et  dans 
un  état  mental  sur  lequel  il  importe  d'attirer  votre  attention.  Il  avait  fait 
environ  un  kilomètre  lorsqu'il  recontra  devant  une  auberge  une  voiture  qu'il 
reconnut  pour  appartenir  à  un  de  ses  amis.  Il  entra  dans  la  maison  où  il  fut 
accueilli  par  son  ami  qui,  intervenant  ici  comme  témoin,  nous  a  raconté 
dans  tous  les  détails  la  conversation  singulière  qui  a  suivi  leur  rencontre... 
L'ami  le  voyant  tout  pâle,  tout  tremblant^  les  habits  souillés  par  la  boue  et  en 
désordre,  lui  demande  :  «  Qu'est-ce  que  tu  as?  —  R.  Qu'est-ce  que  ça  te  fait, 
espèce  de  J...  f.  —  D.  Mais  qu'as-tu  donc?  —  R.  J'ai  que  je  suis  f...,  je  suis 
f...,  j'ai  failli  être  tué  par  le  tonnerre.  »  En  ce  moment,  il  s'est  assis.  On  lui 
a  offert  à  boire,  mais  il  a  refusé. Par  moments,  il  répondait  tout  de  travers  aux 
questions  qui  lui  étaient  adressées  et  prononçait  des  paroles  sans  suite. 
Tantôt  il  répétait  plusieurs  fois  :  «  Je  voudrais  bien  avoir  mon  bouquet  de 
bruyères  blanches.  »  Tantôt  il  disait  :  «  Je  suis  f..,  je  suis  f...  »  et  il  se  mettait 
à  pleurer.  «  Il  n'y  avait  rien  à  en  tirer,  dit  son  ami  :  Je  pris  le  parti  de  le 
prendre  dans  ma  voiture  et  de  le  ramener  à  Paris  à  son  domicile.  » 

Nous  avons  maintenant  des  renseignements  sur  ce  qui  s'est  passé,  lorsque 
D...  cy  est  arrivé  chez  lui  vers  8 heures  du  soir,  par  le  récit  que  nous  a  commu- 
niqué labonne  du  marchand  d(;  vinchez  lequel  il  demeure. M. D...cy,^<  nousa-t- 
elle  dit,  était  très  pâle  lorsqu'il  est  arrivé  à  la  maison  ;  il  tremblait,  il  avait 
les  yeux  égarés,  il  a  refusé  de  manger  et  s'est  couché.  Je  suis  restée  près  de 
lui  jusqu'à^  heures  après  minuit.  11  disait  des  choses  sans  suite  ;  par  moments 
il  ne  répondait  pas,  et  regardait  fixement  le  plancher,  toujours  sur  le  même 
point  ;  puis  il  se  mettait  à  pleurer.  Enfin  il  a  paru  s'endormir  et  je  l'ai  quitté. 
Le  lendemain  matin,  je  l'ai  trouvé  tout  aussi  agité  que  la  veille,  surtout  après 


—  442  — 

qu'il  a  eu  reçu  la  visite  de  son  patron  qui  lui  a  dit  :  «  Vous  avez  eu  bien  de  la 
chance  ,il  y  a  eu,  à  ce  qu'on  m'a  dit,  un  homme  de  tué.  ^  Alors  M.  D...cy  a  eu 
comme  une  crise  de  nerfs  ;  il  s'est  mis  à  trembler  et  à  pleurer  ;  puis  il  s'est 
caché  la  tête  dans  ses  draps  et  s'est  tourné  du  côté  du  mur  ;  il  pouvait  à  peine 
parler  tant  il  bégayait.  »  —  S^idressant  au  malade  :  Tout  cela  est-il  exact? 

Le  malade  :  Monsieur,  je  le  crois  ;  il  me  semble  bien  me  rappeler  la  plupart 
des  choses  qu'on  vous  a  dites  ;  mais  tout  cela  n'est  pas  bien  précis  dans  mon 

esprit. 

M.  Gharcot  :  Avez-vous  vraiment  dormi  cette  nuit-là? 

Le  MALADE  :  A  peine,  monsieur;  à  chaque  instant  j'avais  des  explosions  de 
larmes;  j'avais  la  gorge  serrée  et  je  sentais  des  battements  dans  les  tempes. 
A  peine  étais-je  assoupi  que  je  révais  d'éclairs,  d'orage  et  je  me  dressais  tout 
à  coup  sur  mon  lit  croyant  entendre  le. bruit  du  tonnerre. 

M.  Charcot:  C'estbien.  Veuillez  nous  dire,  actuellement  comment  s'est  passé 
la  journée  du  8  mai. 

Le  malade:  Après  la  visite  de  mon  patron  qu'on  vous  a  contée,  j'ai  voulu 
me  lever;  mais  une  fois  debout  j'ai  failli  tomber  :  il  me  semblait  que  ma 
jambe  et  ma  cuisse  droites  étaient  en  coton;  elle  ne  me  portait  pas  ;  elle  était 
bien  plus  faible  que  la  veille  ;  elle  s'est  cognée  contre  l'angle  de  ma  table  de 
nuit  et  je  m'y  suis  fait  une  assez  forte  contusion.  C'est  alors  que  je  me  suis 
aperçu  qu'elle  était  complètement  insensible,  car  bien  que  le  coup  ait  été  assez 
fort,  je  n'avais  ressenti  aucune  douleur  ;  alors  je  me  suis  pincé  la  peau  de 
toutes  mes  forces  et  je  n'ai  absolument  rien  senti.  Cependant  j'ai  voulu  me 
forcer,  je  suis  parvenu  à  sortir  de  ma  chambre,  et  je  suis  même  descendu 
dans  la  rue, traînant  la  jambe,  mais  après  quelques  pas,  je  n'en  pouvais  plus, 
et  j'ai  dû  rentrer  chez  moi.  Je  suis  resté  couché  quelques  jours  et  enfin,  j'ai 
pris  le  parti  de  me  rendre  à  l'hôpital  Saint-Antome  d'où,  le  lendemain  de  mon 
arrivée,  j'ai  été  envoyé  ici. 

M.  GiiARCOT  :  Il  nous  a  été  bienveillamment  adressé  par  mon  collègue  et  ami 
M.  Hanot  qui  a  pensé  à  juste  titre  que  le  cas  pouvait  nous  intéresser.  Il  a  été 
admis  dans  le  service  de  la  clinique  le  22  mai,  c'est-à-dire  seize  jours  après  la 
fulguration. 


m 


Tel  est,  messieurs,  le  récit  du  malade,  récit  complété  et  contrôlé,  comme 
vous  l'avez  vu,  dans  sa  dernière  partie,  par  la  personne  qui  a  reconduit  Da..cy 
h  son  domicile,  immédiatement  après  l'accident  et  par  celle  qui  l'a  vu  le  soir 
même,  ainsi  que  le  lendemainmatin.il  nous  faut  chercher  maintenant  à 
apprécier  les  diverses  circonstances  de  ce  récit,  à  les  mettre  en  place,  à  en  trouver 


—  AW  — 

lalogique,  en  quelque  sorte,  et  à  déterminer  surtout  jusqu'à  quel  point  elles  con- 
cordent avec  ce  que  nous  ont  appris,  relativement  à  la  foudre  et  à  ses  effets 
sur  l'homme,  les  observations  colligées  par  les  auteurs  compétents  ;  et,  à  ce 
propos,  je  ne  saurais  trop  vous  recommander  la  lecture  du  très  intéressant 
Traité  de  la  Foudre,  de  Sestier,  publié  par  le  D'  C.  Mehu  (1),  ouvrage  fort 
consciencieux^oùse  trouventcatégorisés,concernantla  foudre  et  la  fulguration, 
une  immense  quantité  de  documents  de  bon  aloi,etqui,on  peut  le  dire,  renferme 
sur  ces  questions-là,  tout  ce  qu'on  savait  de  positif,  à  l'époque  toute  récente 
encore  où  il  a  paru.  Du  résultat  de  la  comparaison  que  nous  allons  faire  entre 
ces  documents  antérieurs  et  ceux  que  nous  devons  actuellement  soumettre  à 
l'épreuve  de  la  critique,  dépendra  en  grande  partie,  vous  l'avez  compris,  la 
conliance  que  ces  derniers  devront  nous  inspirer. 

A  ce  propos,  il  importe  de  relever  tout  d'abord  que  notre  homme  recon- 
naît volontiers  le  vague  de  ses  souvenirs,  relativement  à  certaines  parti- 
cularités de  l'événement  dont  il  a  failli  être  victime,  notamment  surtout 
en  ce  qui  concerne  l'ordre  de  succession  des  incidents,  bien  qu'il  ne  varie 
jamais,  cependant,  sur  les  points  fondamentaux.  Toujours  il  s'est  montré 
modeste  dans  ses  assertions  ;  jamais  il  n'a  cherché  à  nous  les  imposer  abso- 
lument. Ce  sont  là,  si  je  ne  me  trompe,  des  circonstances  qui  déposent  en  sa 
faveur.  Déplus,  il  nous  affirme,  et,  à  cet  égard  nous  avons  toute  raison  de 
croire  qu'il  est  sincère,  que  jamais,  soit  dans  ses  lectures  soit  dune  autre 
manière,  il  n'a  reçu  d'informations  spéciales  sur  la  foudie  envisagée  comme 
météore  et  considérée  dans  ses  diverses  formes  ;  qu'il  ne  connaît  guère  enfm, 
du  phénomène  de  la  fulguration  que  ce  qu'en  sait  le  vulgaire  et  ce  qu'en  ra- 
content de  temps  à  autre  les  «  faits  divers  »  publiés  par  les  journaux. 

Ces  renseignements  contribuent  évidemment  à  établir  la  valeur  morale  du  sujet, 
source  principale  de  nos  informations.  Maintenant  vous  allez  être  amenésà  recon- 
naître, après  discussion, que  si  son  histoire  s'écarte  à  beaucoup  d'égards,  de  ce 
qu'on  sait  des  cas  de  fulguration  vulgaire, elle  se  rattache  par  contre, étroitement, 
même  par  les  menus  détails,  à  un  groupe  de  faits,  exceptionnels  sans  doute, 
mais  parfaitement  cohérents  et  nettement  déterminés  cependant  ;  et  nous 
trouvons  là  encore,  à  mon  avis,  une  nouvelle  garantie  de  la  véracité  du  récit 
de  notre  malade. 

Il  est  une  première  objection  qui,sans  aucun  doute,  pendant  la  durée  del'ex- 
posé,se  sera  plusieurs  fois  présentée  à  votre  esprit.  D...cy  assure  avoirentendu 
le  coup  de  tonnerre  et  avoir  vu  la  foudre.  Or,  l'on  admet^  en  général,  vous  le 
savez,  que  jamais  la  foudre  n'atteint  celui  qui  voit  l'éclair  et  entend  le  coup. 
Cette  croyance  qui,  je  crois,  remonte  jusqu'à  Pline,  n'est  pas.  tant  s'en  faut, 
dénuée  de  fondement  :  elle  a  été  confirmée  par  une  foule  de  faits  relatés  dans 
les  travaux  d'Arago,de  Boudin,  dans  le  livre  de  Sestier,  etc.,  etc.,  mais  elle  n'est 


4.  Paris,  186(^).    2  vqI.  iii-8'\ 

6J 


—  .4U   — 

pas,  malgré  tout,  applicable  à  tous  les  cas.  Elle  n'est  légitime  qu'en  tant  qu'il 
s'agit  des  faits  de  fulguration  produits  par  la  foudre  vulgaire,  dite  en  zig-zag. 
Il  est  certain,  en  effet,  que  la  plupart  des  sujets  frappés  par  cette  espèce  de 
foudre,  quand  ils  ne  sont  pas  tués  sur  le  coup,  déclarent  qu'ils  n'ont  rien  vu, 
rien  entendu  et  ne  savent  rien,  absolument  rien  de  ce  qui  s'est  passé.  Mais 
même  dans  ces  conditions-là,  il  ne  faut  pas  voir  là  une  règle  tout  à  fait  géné- 
rale :  on  compte  des  exceptions.  Il  est  possible,  tout  d'abord^  qu'un  individu 
frappé  par  la  foudre  en  zig-zag  et  qui  aura  vu  l'éclair,  en  ait  perdu  le  sou- 
venir au  moment  où  il  reviendra  à  lui,  en  conséquence  de  cette  amnésie 
rétrograde  qui  se  produit  fréquemment  par  le  fait  de  chocs  traumatiques 
suivis  de  perte  de  conscience.  Mais  il  y  a  mieux  :  on  cite  des  cas  parfaitement 
authentiques  où  le  foudroyé  se  rappelle,  en  revenant  à  lui,  la  vive  lumière  qui 
l'a  douloureusement  ébloui  et  peut-être  aussi  le  pétillement  et  la  sensation  de 
brûlure  qu'il  aura  éprouvés  à  la  fois  (1).  D'ailleurs,  à  côté  du  foudroiement 
général,  ily  a  lieu  de  placer  la  fulguration  partielle,  dans  laquelle  le  sujet,  même 
lorsqu'il  est  plusou  moinsgrièvement  blessé,  peut  ne  pas  perdre  connaissance, 
ou  pour  le  moins  ne  pas  la  perdre  sur  le  coup.  Il  voit  la  lueur  de  l'éclair,  il 
entend  le  bruit  du  tonnerre,  il  se  sent  frappé  sur  telle  ou  telle  partie  de  son 
corps  et  assiste  en  un  mot  à  toutes  les  phases  de  l'accident.  «  Un  homme 
observé  par  leD''  Gabard  fut  très  grièvement  blessé  par  la  foudre  ;  il  se  sentit 
fortement  saisi  ;  il  devint  immobile  et  il  s'aperçut  que  son  gilet  brûlait  ;  mais 
il  ne  perdit  pas  connaissance,  et  son  intelligence  resta  intacte  pendant  les 
diverses  périodes  de  Taccident.  » 

«  Un  matelot  à  bord  de  la  remorque  Le  Londres,  était  occupé  àla  manœuvre 
sur  le  mât  de  hune,  quand  la  foudre  le  blessa  ;  et,  bien  qu'il  sentît  ses  jambes 
raides  et  hors  d'état  de  lui  rendre  service,  il  eut  la  présence  d'esprit  de  se 
tenir  aux  cordages  avec  une  main  et  d'éteindre  avec  l'autre  la  flamme  qui 
consumait  son  pantalon  (2).  » 

«  Les  foudroyés  sont  parfois  seulement  étourdis  par  la  décharge  électrique  . 
Un  jcuue  homme  cité  par  M.  Biot,  fut  atteint  par  l'étincelle  qui,  sans  le  bles- 
ser, fondit  cependant  plusieurs  objets  métalliques  qu'il  portait  sur  lui  ;  il 
n'éprouva  au  moment  du  choc  qu'un  étourdissement,  un  éblouissement  qui  ne 
dura  ({ue  sept  à  huit  secondes  (3.)  » 

Je  pourrais  citer  nombre  de  faits  du  même  ordre  démontrant  que  l'asser- 
tion de  Pline  ne  doit  pas  toujours  être  prise  au  pied  de  la  lettre.  D'ailleurs, 
je  le  répète,  tout  ce  qui  a  été  dit  sur  cette  perte  de  conscience  immédiate  des 
foudroyés  et  sur  l'absence  totale  de  souvenir  après  l'accident,  n'a  trait  qu'à  la 
foudre  vulgaire  ou  foudre  en  zig-zag. 

1.  Cas  de  M.  Marie,  oestier,  t.  II.  p,  85. 

2.  Seslicr,  t.  II  p.  95. 

3.  Id.  loc.cit. 


—  445  — 

Les  événements  ont  une  marche  beaucoup  moins  rapide  quand  il  s'agit  do 
la  foudre  en  globe.  Ces  derniers  météores  ont  une  évolution  relativement 
lente  et  l'homme  peut,  avant  d'en  être  fn4)i)é,les  voir  quelquefois  tout  à  loisir 
après  avoir  entendu  la  décharge  électrique  qui  les  a  produits  (li.  Pour  ne 
parler  ici  que  de  la  foudre  rjlohulaire  ou  en  boule,  comme  on  l'appelle  encore, 
vous  savez  comment  les  choses  se  passent  en  général  en  pareil  cas.  On  voit 
un  éclair,  on  entend  le  bruit  du  tonnerre,  et  l'on  aperçrjlt  presque  aussitôt  un 
corps  lumineux,  incandescent,  fixe  ou  au  contraire  en  mouvement,  plus  ou 
moins  volumineux.  «  M.  Meunier  (2)  se  trouvait  dans  une  rue  de  Paris  (la rue 
Montholon),  lorsqu'un  éclair  ordinaire  fut  presque  immédiatement  suivi  d'un 
coup  de  tonnerre  ;  alors  apparut  une  boule  énorme  et  lumineuse  qui  éclata  au 
milieu  de  la  rue...  »  «  Un  ouvrier  tailleur  entend  un  grand  éclat  de  tonnerre 
et,  bientôt  après,  un  globe  lumineux  sort  doucement  de  la  cheminée,  se  pro- 
mène dans  la  chambre  et  remonte  par  la  même  cheminée.  »  «  Le  1"  septem- 
bre 1881  vers  midi,  un  orage  passe  sur  la  ville  (Yelletri  ;  la  foudre  tombf 
près  de  la  station  du  chemin  de  fer  et  presque  au  même  instant,  sur  un  point 
opposé  de  la  ville,  une  femme  vit  descendre  du  nord-ouest,  avec  une  inclinaison 
d'environ  45*»,  une  balle  de  feu,  rouge  comme  un  charbon  incandescent  ;  le 
globe  se  mouvait  assez  lentement  pour  être  parfaitement  suivi  de  l'œil.  Il  vint 
frapper  sur  le  pavé  de  la  rue  où  il  éclata  avec  un  grand  fracas  (3;.  » 

Pour  ce  qui  est  du  globe  lui-même,  les  uns  le  corhparent  pour  la  forme  et 
les  dimensions,  à  la  lune^  au  soleil,  à  un  gros  œuf,  à  une  balle  d'enfant.  Sui- 
vant d'autres,  «  la  masse  ignée  et  foudroyante,  aurait  été  du  volume  d'un 
enfant  nouveau-né,  d'un  baril  ordinaire^  d'un  tonneau  (4).  »  Veuillez  remar- 
quer, je  vous  prie,  cette  comparaison  avec  un  baril  relevée  par  Sestier  ;  par 
une  coïncidence  qui,  dans  l'espèce,  ne  manque  certes  pas  d'intérêt,  c'est  jus- 
tement, vous  ne  l'avez  pas  oublié,  celle  que  notre  malade  a  invoquée  pour 
nous  dépeindre  le  corps  lumineux  et  tourbillonnant  qu'il  a  vu,  après  l'éclair 
et  le  coup  de  tonnerre,  paraître  à  quelques  pas  de  lui. 

N'oubliez  pas  également  ces  petits  nuages  de  fumée  grisâtre  d'une  odeur 
acre,  suffocante,  prenant  à  la  gorge  qui,  suivant  le  récit  du  malade,  se  déga- 
geaient de  la  masse  incandescente  ;  l'odeur  était^  il  y  insiste,  celle  du  soufre 

1.  Seslioi't.  II,  p.  82. 

2.  Id.  t.  I.  p.  166.  Sur  la  foudre  globulaire  consultez,  en  outre  du  livre  de  Sestier,  les  tra- 
vaux de  M.  Gaston  Planté  et  en  particulier  la  note  qu'il  a  communiquée  i\  l'Acadt'mie  des 
Sciences  le  11  août  1884  (voir  la  Nature  p.  196.  12*  année  188i,  2«  semestre}  :  consultez 
aussi  les  intéressantes  observations  consignées  par  le  savant  directeur  de  l'observatoire  météo- 
rologique de  Vellelri,  M.  le  professeur  Ignazio  Galli,  dans  divers  numéros  du  Bulletin  mensuel 
de  la  Société  météorologique  italienne.  i^Série  II.  vol.  V.  n"»  Mil.  Agosto  1885  p.  125  et  série  II, 
vol.  I  n*  X.  1881,  p.  215.) 

3.  Gain,  loc.  cit.  p.  214,  1881.  Voir  également,  dans  la  Xature,  1876,  2«  semestre,  p.  280,  la 
description  de  l'orage  du  24  juillet,  par  G.  Planté. 

4.  Sestier  t.  I,  p.  150. 


—  440  — 

ou  mieux  de  la  poudre  brûlée.  Gela,  remarquez-le  bien,  concorde  encore  par 
tous  les  points  avec  ce  qu'enseignent  les  auteurs  compétents.  «  La  foudre  en 
globe  dit  Sestier,  répand  dans  l'atmosphère,  près  du  sol  et  surtout  dans  les 
maisons,  une  odeur  le  plus  ordinairement  sulfureuse....  »  Suivant  M.  Peltier, 
«  l'odeur  sulfureuse  ou  nitreuse  qui  accompagne  la  foudre  globulaire,  est  beau- 
coup plus  intense  que  celle  de  la  foudre  linéaire.  Souvent  aussi,  la  boule  ful- 
minante répand  ou  fait  naître  dans  les  lieux  qu'elle  parcourt  une  vapeur  ou 
une  fumée  ordinairement  sulfureuse,  parfois  tellement  épaisse,  qu'elle  semble 
menacer  l'homme  de  suffocation.  Au  moment  où  une  boule  de  feu  descen- 
dait dans  une  noue  de  plomb,  le  toit  fut  entouré  d'une  vap  eur  si  semblable 
à  de  la  fumée,  qu'on  crut  le  grenier  en  feu  (1).  >  Suivant  M.  le  Prof.  Galli  qui 
s'est  particulièrement  occupé  de  la  foudre  globulaire,  l'odeur  qu'elle  répand  est 
surtout  celle  de  la  poudre  brûlée  (2)  et,  c'est  dans  ces  termes  mêmes,  vous  le 
savez  que^  D...cy  s'est  exprimé  pour  rendre  compte  des  sensations  olfactives 
qu'il  dit  avoir  éprouvées. 

Par  ce  qui  précède,  vous  êtes  mis  en  mesure  de  reconnaître  que  les  descrip- 
tions données  par  les  auteurs  du  singulier  météore  de  la  foudre  globulaire  se 
trouvent  reproduites  en  quelque  sorte  trait  pour  trait  dans  le  récit  de  D...cy. 
L'éclair,  le  coup  de  tonnerre,  l'apparition  du  globe  de  feu,  la  fumée,  l'odeur 
suffocante  enfin,  rien  n'y  manque.  Après  cela,  il  n'y  a  pas  à  en  douter,  je 
pense,  c'est  bien  à  l'évolution  de  ce  phénomène  de  la  foudre  en  globe,  phé- 
nomène rare,  peu  connu  des  laïques,  mystérieux  encore  pour  les  savants, 
mais  dont  la  réalité  toutefois  n'est  pas  à  diicuter,  que  notre  malade  a  assisté. 

Une  autre  question  ^e  présente.  D...cy  a-t-il  été  réellement  frappé  par  la 
foudre  comme  il  l'affirme  et  comme  semblent  l'établir  d'ailleurs  diverses  cir- 
constances de  son  récit,  à  savoir  entre  autres,  la  rude  sensation  de  choc 
qu'il  a  éprouvée  tout  à  coup  dans  le  membre  inférieur  gauche,  la  chute,  puis 
la  perte  de  conscience  qui  ont  suivi,  et  enfin  la  paralysie  de  ce  membre  cons- 
tatée lors  du  réveil  ?Tout  cela  à  la  rigueur  pourrait  être  considéré,  me  direz- 
vous,  comme  une  conséquence  fort  indirecte  de  la  fulguration,  comme  résul- 
tant, par  exemple  de  l'ébranlement  psychique  produit  par  la  seule  apparition 
terrifiante  du  météore. 

En  faveur  de  cette  interprétation,  on  arguera  peut-être  de  l'absence,  chez 
notre  homme,  de  toute  marque  de  fulguration  imprimée  soit  sur  sa  peau  soit 
même  sur  ses  vêtements. Mais  ce  ne  saurait  être  là, tant  s'en  faut,  un  argument 
décisif,  car  l'on  sait  que  même  chez  les  sujets  tués  sur  le  coup  par  fulgura- 
tion ces  marques  peuvent  faire  absolument  défaut  ;  c'est  ce  qui  a  été  constaté 
entre   autres,  par   M.  le  professeur  Tourdes  [S\  sur  un    homme   foudroyé  à, 

1.  Siialier  t.  I.  p.  152. 

2.  J.  Galli,  loc.  cit.  1885.  p.  120. 

3.  Dict    Encyclopédique  de  Dechambi'C,   art.  Fui .^ii ration,  p.  307. 


—    Mt    — 


Nancy  le  18  juillet  1873,  mort  sur  le  coup  :  on  a  trouvé  seulement  sur  cet 
homme  une  petite  déchirure  à  peine  roussie  du  pantalon,  et  une  rupture  de 
l'une  des  bottes.  On  comprend  aisément  qu'un  choc  beaucoup  moins  violent, 
aura  pu  se  produire,  chez  notre  homme  sans  laisser  de  traces  aucunes,  même 
sur  les  vêtements. 

On  pourra  encore  rappeler  que,  plusieurs  fois,  la  foudre  globulaire  a  pu 
paraître  presque  au  contact  de  l'homme  et  le  toucher  même,  assure-t-on.sans 
produire  aucun  accident  de  fulguration.  Mais  c'est  là  sans  doute  une  excep- 
tion rare,  et  l'on  peut  citer  nombre  de  faits  où,  dans  ces  conditions  là,  même 
sans  éclater,  elle  a  produit  des  lésions  diverses  plus  ou  moins  sérieuses,  la 
syncope  etc.  «  Ce  n'est  pas  toujours,  dit  Sestier  (1),  que  les  effets  de  la  foudre 
globulaire  sont  innocents.  »  Souvent  il  arrive  qu'elle  frappe  de  mort  ceux 
qu'elle  atteint,  et  il  cite  le  cas  du  physicien  Richman,  l'événement  de  Chàteau- 
neuf-les-Moutiers,  celui  de  Feltri  où  soixante-seize  personnes  furent  tuées  ou 
blessées  par  la  chute  de  la  foudre  en  globe.  «  D'ailleurs  les  lésions  produites 
sur  l'homme,  par  la  foudre  en  globe,  ne  diffèrent  pas,  ajoute-t-il,  de  celles  que 
cause  la  foudre  vulgaire.  Suivant  M.Gaston  Planté  (2),  le  globe  fulminaire 
n'est  point  dangereux  par  lui-même  ;  «  mais  sa  présence  est  néanmoins  re- 
doutable, car  il  amène  l'électricité  de  la  nuée  orageuse  avec  laquelle  il  com- 
munique d'une  manière  latente  ou  quelquefois  visible,  comme  à  l'extrémité 
des  trombes  et  révèle  le  lieu  d'élection  de  son  écouleuient.  v 

On  pourrait  enfin  faire  remarquer  que  la  distance  à  laquelle,  par  rapport 
au  sujet,  a  paru  la  masse  lumineuse,  deux  mètres  environ,  à  ce  qu'il  assure, 
est  peu  favorable  à  l'idée  d'une  action  directe,  mécanique,  exercée  sur  le 
membre  inférieur  gauche,  le  globe  n'ayant  pas  éclaté,  du  moins  au  moment 
où  le  choc  a  été  ressenti.  A  ce  propos,  je  suis  heureux  de  pouvoir  invoquer 
l'autorité  du  savant  directeur  de  l'Institut  météorologique  de  Yelletri,  M.  le 
Prof.  Galli  qui,  sur  ce  sujet  de  la  foudre  globulaire  dont  il  a  fait  une  étude 
spéciale,  a  bien  voulu  me  fournir  de  précieux  éclaircissements  (3J.  Il  pense 
que,  même  dans  les  conditions  indiquées  par  le  récit  de  notre  malade,  il  se 
peut  qu'une  décharge  se  soit  détachée  du  globe  pour  venir  frapper  un  des 
membres. 

En  ce  qui  concerne  la  chute  et  la  perte  de  connaissance,  il  est  moins  facile, 
peut  être,  d'éliminer  l'influence  de  l'émotion.  Je  ferai  valoir  toutefois  que  le 
globe  fulgurant  a  pu  à  un  moment  donné  éclater,  comme  c'est  à  peu  près  la 
règle,  et,  par  le  fait  d'une  action  à  distance  bien  connue  dans  l'histoire  de  la 


1.  T.  I.  p.  163. 

2.  Noie  à   l'Académie  des  sciences,  11  août  1SS4. 

3.  Communication  écrite. 


—    i'iS  — 

foudre  en  général,  et  de  la  fuudre  globulaire  en  particulier  (1),  déterminer  la 
sidération,  sans  que  le  sujet,  devenu  inconscient  aussitôt  que  frappé,  en  ait 
pu  rien  entendre.  Qu'il  ne  se  soit  pas  agi  ici,  tout  simplement,  d'une  syncope 
émotive,  ou  encore  d'une  attaque  hystérique  de  même  origine,  cela  est  rendu 
fort  vraisemblable,  d'un  autre  côté,  parce  fait  que  notre  homme  s'est  réveillé 
ayant  uriné  sous  lui,  circonstance  qui  semble  révéler  un  ébranlement  vrai- 
ment profond  de  l'organisme. 

Mais,  de  tous  les  arguments  à  invoquer  en  faveur  de  l'opinion  que  D...cy  a 
été,  comme  il  le  croit,  frappé  physiquement,  matériellement,  électriquement 
par  la  foudre,  un  des  plus  puissants,  si  je  ne  me  trompe,  doit  être  tiré  de  la 
description  de  la  paralysie  produite  chez  lui,  autant  qu'on  en  peut  juger,  au 
moment  même  où  il  a  ressenti  le  choc.  Ses  caractères  cliniques,  en  effet,  nous 
le  verrons  dans  un  instant,  concordent  en  effet  sur  tous  les  points  avec  ceux 
qu'on  assigne,  ajuste  titre  je  crois,  aux  paralysies  déterminées  par  la  ful- 
guration dans  des  circonstances  où  l'action  physique  de  celle-ci  n'est  pas  con- 
testable. C'est  un  point  sur  lequel  je  vais  insister  dans  un  instant. 

Auparavant,  je  voudrais  revenir  en  quelques  mots,  parce  qu'il  y  a  là  encore 
à  signaler  quelque  chose  d'assez  typique,  sur  l'état  mental  que  le  malade  a 
présenté  à  la  suite  de  l'accident,  à  partir  du  moment  où,  reprenant  ses  seni:.,  il 
s'est  trouvé  couché  sur  le  bord  de  la  route.  Le  voilà,  lui  brave  autrefois,,  de- 
venu affolé,  terrifié;  il  pleure,  il  tremble,  il  se  lamente,  il  prononce  au  mo- 
ment où  il  rencontre  son  ami  des  jurons,  des  paroles  grossières;  il  l'insulte. 
Puis  ce  sont  des  phrases  sans  suite,  incohérentes,  enfantines  au  premier  chef. 
Tantôt  il  se  dit  presque  mort  et,  un  instant  après,  il  exprime  le  regret  de 
n'avoir  pas  pu  cueillir  le  bouquet  de  bruyère  blanche  qu'il  cherchait  sur  le 
bord  de  la  route  au  moment  où  la  foudre  a  éclaté...  Singulière  préoccupation 
chez  un  homme  qui  se  croit  avoir  un  pied  dans  la  tombe.  Ceci  concorde  fort 
bien,  il  faut  le  remarquer^,  avec  ce  queditSestier  des  troubles  psychiques  immé- 
diats produits  parle  foudroiement.  Il  est  presque  constant,  assure-t-il,  que  les 
individus  frappés  par  la  foudre  éprouvent  des  troubles  plus  ou  moins  pro- 
fonds, plus  ou  moins  durables  dans  leurs  facultés  intellectuelles,  tels  sont  : 
l'étourdissement,  la  stupeur,  la  perte  de  connaissance, la  perte  de  la  mémoire, 
l'incohérence  dans  les  discours,  le  délire  quelquefois  furieux  (2).  «  Une  jeune 
femme  blessée  au^bras,  sort  frénétiquement  de  sa  chambre,  et  parcourt  la 


\.  L'explosion  des  ^:lol)cs  fulmiiiah-es  peut  joter  à  Icrre  des  personnes  qui  se  li'ouvcnl  à  une 
distmice  de  200  à  300 mètres,  comme  cela  a  eu  lieu  dans  la  soirée  du  20  septembre  IS'ib  (pf  Galli, 
communication  écrite).  Dans  l'orage  du  i"  septembre  1881,  à  Vellelri,  la  foudre  globulaire  a 
éclaté  sur  le  pavé  de  la  rue,  devant  une  maison  où  se  trouvaient  plusieurs  personnes.  Un 
homme  qui  était  au  2»  étage  de  la  dite  maison,  se  sentit  frappé  sur  la  nuque  et  fut  étourdi 
pendant  quelque  temps.  (P'  GalIi.  Bolletino  mensuale.)  Série  II,  vol.  1,  n°10,p.  214  :1881. 

2.  Sestier  t.  II.  p.  97-99. 


—  449  — 

maison  en  jetant  des  cris  (Marc  Stella).  Une  servante  se  trouve  dans  la  cuisine 
au  rez-de-chaussé  lors(iue  la  foudre  y  pénétre;  dans  s(hi  effroi,  elle  saute  par 
la  fent'lre  (Fellstrôm).  Dans  le  trouble  de  leur  esprit,  les  foudroyés  se  livrent 
souvent  à  des  actes  bizarres  constituant  un  véritable  délire.  «Quatre  hommes 
s'étaient  réfugiés  sous  un  appentis,  au  moment  où  la  foudre  tombe  à  25  ou 
30  pieds  ;  on  voit  l'un  d'eux  se  baisser  comme  pour  ramasser  quelque  chose 
avec  ses  deux  mains,  se  redresser,  élever  les  bras,  puis  se  baisser  de  nouveau 
et  répéter  cette  manœuvre  à  plusieurs  reprises.  Ensuite,  s'adressant  aux  per- 
sonnes présentes  :  «.  La  foudre  leur  dit-il  est  si  épaisse  sur  la  terre  qu'on  en 
peut  remplir  une  corbeille  à  blé  »  (Linsley).  C'est  là  ce  qu'on  a  quelquefois 
appelé  le  délire  des  foudroijés.  Il  prend  parfois  un  caractère  furieux.  Une 
chose  assez  remarquable,  c'est  que  le  plus  grand  nombre  des  observations  qui 
signalent  ce  genre  de  délire,  se  rapportent  a  des  soldats,  ou  à  des  marins. 
Notre  malade,  ne  l'oubliez  pas  appartenait  à  cette  classe.  Il  était  fort  coura- 
geux autrefois  et  habitué  à  braver  le  danger.  «  Un  marin  blessé  par  la  foudre 
resta  plus  d'un  quart  d'heure  dans  un  état  de  mort  apparente  ;  à  peine  rap- 
pelé à  la  vie,  il  jela  des  regards  efTarés  autour  de  lui  ;  puis,  tout  k  coup,  il 
voulut  s'échapper  de  son  lit.  On  l'y  retint  de  force;  alors  commencèrent  ûes 
plaintes,  des  gémissements,  des  pleurs  accompagnés  d'un  tremblement  de 
tout  le  corps.  Dans  ses  invocations  fréquentes  et  ferventes,  il  appelait  la  Sainte 
Vierge  à  son  secours.  Son  anxiété,  sa  terreur  étaient  extrêmes,  comme  s'il  avait 
encore  sous  les  yeux  le  tableau  du  péril  auquel  il  venait  d'échapper  ou  qu'il  eût 
redouté  d'en  être  atteint  une  seconde  fois».  «  Lorsque  le  docteur  Brillouët  eut 
repris  en  partie  ses  sens,  il  éprouva  un  tel  accès  de  fureur  qu'il  frappait  la  terre 
avec  son  couteau  de  chasse,  dont  il  voulait  percer  les  bateliers  du  bac  qui  étaient 
venus  le  secourir  »  (l)..rai  tenu  à  citer  ces  faits  parce  qu'ils  rappellent  fort  bien 
ce  qui  s'est  produit  chez  D..cy, lorsqu'il  a  repris  ses  sens,  et  nous  avons  relevé 
que  chez  lui,  l'état  mental  en  question  s'est  prolongé  jusqu'au  moment  où,  fort 
tard  dans  la  nuit,  il  a  fini  par  s'endormir.  Il  ne  saurait  vous  échapper  qu'il 
y  a  lieu  de  se  demander  si  ce  trouble  psychique  mérite  véritablement  d'être 
spécifié  sous  la  dénomination  de  délire  des  foudroyés,  et  s'il  ne  faut  pas  voir 
là  tout  simplement,  comme  le  suggère  du  reste  Sestier  lui-même,  un  délire  de 
terreur  ou  d'épouvante  comme  vous  voudrez  l'appeler. 

J'en  viens  aux  quelques  détails,  que  je  crois  utile  de  vous  présenter  main- 
tenant, relativement  à  ce  qu'on  sait  sur  les  paralysies  des  foudroyés,  \o\is 
n'ignorez  pas  que  ces  paralysies  peuvent  être  jusqu'à  un  certain  point  repro- 
duites expérimentalement.  Il  y  a  longtemps  même  qu'on  s'est  occupé  d'étudier 
les  efTels  de  la  fulguration  artificielle  chez  les  animaux,  caries  observations 
de  Troostwyck  et  Krayenhafï"  datent  de   loin.    Plus    récenuuent,   Di-ehanibre 


1.  Tous  ces  exemples  sont  empruntés  à  Sestier,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  99,  100,  101. 


—  450  — 

dans  son  excellent  article  Fulguration,  du  Dictionnaire  encyclopédique  des 
sciences  médicales  (1),  et  le  professeur  Nothnagel  dans  un  mémoire  fort  intéres- 
sant inséré  dans  les  archives  de  Virchow  (2),  sont  revenus  sur  ce  sujet.  Il  faut 
naturellement  distinguer,  dans  ces  expériences,  les  effets  de  la  fulguration 
générale  de  ceux  de  la  fulguration  partielle  ;  c'est  dans  ce  dernier  cas  surtout 
que  les  paralysies  kerauno-expéi'imentales  ont  été  étudiées.  Que  le  choc 
électrique  ait  été  dirigé  sur  un  membre  dans  le  sens  de  la  longueur  ou  trans- 
versalement, les  paralysies  produites  immédiatement  après  le  choc,  sont 
marquées  1°  par  les  troubles  de  la  sensibilité  à  savoir  :  anesthésie  cutanée  et 
profonde  ;  2°  par  des  paralysies  motrices  plus  ou  moins  prononcées^  avec 
diminution  temporaire  de  l'excitabilité  électrique.  Un  des  caractères  de  ces 
paralysies,  c'est  que,  quoi  qu'on  fasse,  elles  ne  sont  pas  durables.  Elles  ne 
s'accompagnent  d'aucune  lésion  organique  appréciable  et  guérissent,  sponta- 
nément en  général,  en  fort  peu  de  temps,  quelques  heures^  un  jour  à  peine. 
Ce  résultat  est  d'autant  plus  remarquable  que  les  animaux,  ainsi  que  l'ont 
reconnu  tous  les  auteurs  qui  se  sont  occupés  de  la  question,  sont  relativement 
très  sensibles  aux  effets  de  la  foudre,  et  sont  souvent  tués  dans  des  circons- 
tances où  l'homme  ne  reçoit  qu'une  commotion  (3). 

Mais  ce  sont  surtout,  vous  l'avez  compris,  les  kerauno-paralysies  de 
l'homme  qui  nous  intéressent  plus  particulièrement.  Bien  que  nous  ne  possé- 
dions paS;,  à  cet  égard,  des  observations  toujours  très  explicites,  les  faits  publiés, 
malgré  bien  des  imperfections,  sont  en  général  suffisamment  concordants 
pour  qu'on  puisse  relever  un  certain  nombre  de  caractères  cliniques  qui 
paraissent  propres  à  ce  genre  de  paralysies.  Il  suffît,  pour  s'en  convaincre, 
d'étudier  avec  soin  et  de  comparer  entre  elles  les  nombreuses  relations  concer- 
nant ce  sujet  qu'on  trouve  réunies  et  méthodiquement  groupées,  dans  l'inté- 
ressante monographie  de  Sestier  (4). 

Ces  paralysies  d'ailleurs,  dans  l'espèce,  paraissent  être  un  fait  commun.  Il 
est  rare  qu'un  individu  foudroyé  d'une  façon  quelconque  n'en  soit  pas 
atteint  à  un  certain  degré. 

Un  de  leurs  caractères  est  que  le  début  est  soudain, etd'emblée,  remarquez- 
le  bien,  elles  atteignent  leur  maximum.  Dès  l'instant  qui  suit  le  choc,  ou  bien 
dès  le  réveil,  s'il  y  a  eu  perte  de  connaissance,  la  paralysie  existe,  complète 
ou  incomplète  suivant  les  cas. 

Elles  portent  à  la  fois  sur  la  sensibilité  et  sur  la  motilité.  Il  est  très  rare 
pour  le  moins  que  la  sensibilité  ait  été  conservée.  Sestierne  cite  que  deux  cas 

1.  Dicl.  de  Dechambre,  t.  VI,  4*  séi-ie,  p.  2S5,  287. 

2.  Ziii'  Lehre  von  denWirkungen  des  Ùlitzes  auf  den  thierischen  Korper.  In  Virchow's 
Archiv.  Achtzig.  Bd.,  1880,  p.  327. 

3.  Voir  Toiirdes  :  Art.  Fulguration  du  dict.  de  Dcchambre.  Cas  de  Vincent  et  autres 
p.  ;-'03,  et  Sestlcr,  Vassim. 

4.  Loc.  cit.    .  II,  p.  112;  art.  3.  Paralysie  des  foudroyés. 


—  451  — 

de  ce  genre.  On  n'y  voit  pas,  même  dans  les  cas  les  plus  intenses,  et  alors  qu'il 
s'agit  d'une  forme  paraplégique,  de  paralysie  de  la  vessie  et  du  rectum,  non 
plus  que  des  eschares.  En  somme,  il  paraît  s'agir  là,  à  peu  près  toujours, 
ainsi  que  l'indiquent  encore  d'autres  caractères,  de  paralysies  périphériques. 
Leur  siège  et  leur  étendue  sont  généralement  en  rapport  avec  le  siège  et 
l'étendue  des  lésions  produites  par  l'étincelle  ;  ainsi,  si  la  lésion  atteint  le  bras, 
c'est  le  bras  qui  sera  paralysé  ;  ce  sera  le  pied  au  contraire  si  c'est  lui  qui 
porte  la  marque  du  choc  électrique  ;  enfin,  si  la  foudre  sillonne  tout  le  côté 
gauche  du  corps,  il  y  aura  hémiplégie  gauche  plus  ou  moins  complète.  Mais 
il  est  des  cas  où  la  paralysie  s'étend  bien  au-delà  du  point  frappé  par  la  fou- 
dre; ainsi,  chez  un  homme  qui  portait  une  toute  petite  plaie  sur  la  cuisse  gau- 
che, la  paralysie  s'étendait  à  tout  le  membre  inférieur  gauche  ;  elle  occupait 
les  deux  membres  inférieurs  sous  forme  paraplégique,  dans  un  cas  du  même 
genre.  Enfin,  la  paralysie  affecte  quelquefois  des  individus  qui  sans  avoir-  été 
blessés  jiar  l'étincelle,  se  sont  seulement  trouvés  dans  sa  sphère  d  activité  à  une 
distance  plus  ou  moins  considérable.  Tel  est  le  cas  de  ces  deux  personnes  para- 
lysées momentanément,  dans  une  maison  où  la  foudre  frappa  de  mort  une 
vieille  dame  et  sa  nièce,  à  Borlington  (1). 

La  paralysie  peut  revêtir  la  forme  d'une  hémiplégie,  d'une  paraplégie  ou 
encore,  et  c'est  le  cas  le  plus  fréquent, d'une  monoplégie  pure.  Dans  un  cas,  il 
s'est  agi  d'une  paralysie  alterne.  «  Une  femme  fut  atteinte  par  la  foudre  près 
de  Montargis  ;  en  tombant  elle  crut  qu'elle  avait  le  bras  et  la  jambe  cassés. 
Lorsque  le  D""  Gastillier  arriva  auprès  d'elle,  il  la  trouva  paralysée  de  l'extré- 
mité supérieure  droite,  depuis  l'épaule  jusqu'au  bout  des  doigts,  et  de  l'extré- 
mité inférieure  gauche, deiiuis  l'articulation  ilio  fémorale  jusqu'aux  extrémités 
des  orteils.  Les  muscles  des  membres  étaient  mous  et  flasques.  Depuis  l'articu- 
lation du  poignet  droit  jusqu'à  l'extrémité  des  doigts,  et  depuis  l'articulation 
dupiedgauche  jusqu'au  bout  des  orteils, la  perte  du  sentiment  suivait  celle  du 
mouvement.  Elle  était  totale.  Quatre  jours  après,  la  malade  éprouva  des  four- 
millements dans  les  parties  paralysées,  fourmillemerxtsquilui  étaient  insup- 
portables. Le  septième  jour,  elle  commença  à  mouvoir  le  bras  droit. la  main  et 
les  doigts,  et  la  sensibilité  se  manifesta  en  même  temps  à  lajnain  droite  et  au 
pied  gauche.  Le  neuvième  jour, le  bras  avait  acquis  assez  de  force  pour  se  ser- 
vir de  béquilles  et  venir  au  secours  de  la  jambe  paralysée;  cela  dura  pondant 
dix  ou  douze  jours,  après  quoi  on  ne  pouvait  plus  distinguer  les  parties  qui 
avaient  été  paralysées.  11  importe  de  remarquer,ajoute  l'auteur  decette  obser- 
vation (2), pour  se  rendre  compte  decette  hémiplégie  croisée,  queja  femme  dont 
on  vient  de  parler  fut  directement  blessée  par  la  foudre  au  pied  gauche  qui  fut 
dépouillé  de  son  épiderme  dans  une  petite  étendue,  et  qu'elle  tenait  la  main 


1.  Cosmos,  t.  XIX,  p.  31,  lS(îl,  .'.ans  Scsticr,  loc,  cit.  t.  II,  p.  113. 

2.  Girault,  dans  Seslier,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  IN. 


a 


4ô:i 


droite  appuyée  sur  un  panier  plein  d'herbes  porté  par  un  âne  qui  fut  tué  par 
Texplosion  électrique.  »  J'ai  tenu  adonner  en  entier  la  relation  de  cette  obser- 
vation parce  qu'elle  est  une  des  plus  explicites  du  groupe  et  qu'elle  signale  un 
grand  nombre  de  faits  intéressants  au  premier  chef.  Voici  encore  un  fait  du 
même  genre  rapporté  par  mon  savant  confrère  le  professeur  de  Quatrefages  (1). 
«  Lorsque  M.  Roaldès  eut  été  atteint  par  la  foudre, les  membres  inférieurs  et  le 
bras  droit  étaient  entièrement  privés  de  sensibilité  et  de  mouvement. Bientôt  un 
fourmillement  se  manifesta,  et  il  ne  tarda  pas  à  retrouver  le  pouvoir  de  re- 
muer légèrement  les  parties  naguère  paralysées  ;  trois  heures  après  l'accident, 
le  malade  put,  en  s'aidant  du  bras  d'un  de  ses  amis,  monter  sur  le  comble  de 
sa  maison  pour  y  inspecter  les  dégâts  causés  par  la  foudre.  » 

Un  autre  caractère  est  que,  dès  le  début  de  ces  paralysies,  on  peut  le  dire, 
tout  le  mal  est  fait  ;  elles  ne  s'aggravent  pas  dans  la  suite,  ou  en  d  autres 
termes  elles  n'ont  aucune  tendance  progressive  ;  elles  restent  un  moment  sta- 
tionnaires  ;  puis  on  les  voit  s'amoindrir  et  disparaître. 

Leur  durée  est  dans  la  règle  fort  courte.  On  voit,  par  les  28  observation  ras- 
semblées par  Sestier,  que  la  paralysie  n'a  pas  dépassé  24  heures  dans  12  cas, 
c'est-à-dire  dans  la  moitié  des  cas.  Plusieurs  fois  elle  a  duré  seulement  une 
domi-heure,  trois  quarts  d'heure,  deux  heures  ;  il  est  très  exceptionnel  qu'elle 
ait  duré  plus  de  huit  jours,  et  l'on  doit  signaler  comme  des  cas  très  rares  ceux 
dans  lesquels  elle  a  persisté  deux  ou  trois  mois. 

Vous  voyez  qu'en  somme,  par  les  grands  côtés,  les  paralysies  par  fulgura- 
tion chez  l'homme  et  celles  artificiellement  produites  chez  les  animaux  par 
rétiiîcelle  électrique,  paraissent  identiques. 

Il  nous  faut  rechercher  maintenant  messieurs,  si  la  paralysie  ou  mieux  la 
parésie  —  car  il  s'agit  là  d'une  forme  légère  —  observée  chez  notre  homme, 
appartient  au  type  que  nous  venons  de  décrire.  Elle  s'y  rapporte  en  réalité  par 
son  apparition  immédiate,  antérieure  même  à  la  perle  de  conscience  survenue 
à  la  suite  du  choc  ressenti  par  le  malade;  elle  était  déjà  parfaitement  cons- 
tituée au  moment  du  réveil  qui  a  eu  lieu  seulement  quelques  minutes  après  et 
telle  qu'elle  est  restée  jusqu'au  lendemain  :  elle  s'y  rapporte  encore  par  la 
concomitance  de  troubles  de  la  sensibilité.  L'anesthésie  cutanée  ou  profonde 
n'a  pas  été,  à  la  vérité,  constatée  directement,  à  ce  moment-là  ;  le  malade  ne 
s'en  est  aperçu  que  le  lendemain  matin.  Mais  il  n'est  pas  douteux  que  dès 
l'origine,  le  sens  musculaire,  pour  le  moins,  a  été  iflTecté,  puisque  suivant  le 
récit  de  D...cy,  sa  jambe  gauche,  au  moment  où  il  s'est  relevé  pour  se  mettre 
en  marche  se  dérobait  sous  lui  ;  il  ne  la  sentait  plus  guère,  elle  lui  paraissait 
gonflée:  «  Jene  savais,  dit-il,  si  oui  ou  non  elle  portait  sur  le  sol.  »  Voilà  qui 
est  suffisamment  explicite  ;  mais  il  est  un  point,  cependant,  et  un  point 
capital,  par  lequel  la  paralysie  de  notre  malade  s'éloigne  du  tableau  classique  : 


2.  Soïl  i;7,  loc.  cit.  p.  1 15. 


—  Vï.i   — 

c'est  que,  au  Vwm  de  s'atténuer  progressivement,  comme  cela  parait  être  la 
règle,  elle  est  allée,  au  contraire,  en  s'aggravant  de  telle  sorte  que  le  lende- 
main de  l'accident,  lorsque  le  malade  a  voulu  se  lever,  il  Ta  trouvée  beaucoup 
plus  accentuée  que  la  veille  ;  la  station  et  la  marche  étant  devenues  à  peu 
près  impossibles.  C'est  ici,  messieurs,  le  lieu  d'entrer  dans  une  nouvelle 
discussion,  après  avoir  relevé  un  certain  nombre  de  faits  que,  à  dessein,  nous 
avons  jusqu'à  présent  laissés  dans  l'ombre. 


IV 

Il  résulte  donc  de  l'observation  du  cas,  messieurs, que  la  paralysie  de  notre 
homme  qui  n'était  pour  ainsi  dire  qu'ébauchée  après  le  choc,  s'est  trouvée 
en  quelque  sorte  confirmée  et  notablement  aggravée  le  lendemain  de  la 
fulguration  et  c'est  en  cela  justement  que  consiste  la  grande  anomalie  que  je 
viens  de  relever  ;  mais  si  nous  examinons  les  choses  de  plus  près,  nous  allons 
bientôt  trouver  l'occasion  d'en  signaler  d'autres. 

Etudions  d'abord  Tétat  actuel  du  membre  paralysé  ;  il  ne  diffère  aujourd'hui 
en  rien  d'essentiel  de  ce  qu'il  était  justement  le  lendemain  de  l'accident,  alors 
que  le  malade,  après  une  nuit  agitée  par  des  rêves  terrifiants,  a  voulu  sortir 
du  lit.  Nous  avons  dit  qu'à  ce  moment-là  ce  membre  avait  beaucoup  de  peine 
à  le  porter,  et  que  la  station  ainsi  que  la  marche  étaient  devenues  beaucoup 
plus  difficiles  que  le  jour  précédent.  C'est  un  peu  après  que  l'aneslhésie 
cutanée  a  été  bien  et  dûment  constatée,  le  malade  s'étant  cogné  le  membre 
contre  un  meuble,  assez  durement  et  n'ayant  cependant  éprouvé  aucune  dou- 
leur; à  la  suite  de  quoi  s'étant  pincé  vigoureusement  il  reconnut  que  l'insen- 
sibilité était  complète.  Vous  pouvez  constater  aujourd'hui,  à  l'aide  des  pro- 
cédés usuels,  cette  anesthésie  cutanée  qui  occupe  en  avant  la  partie  antém- 
externe  de  la  cuisse  et  de  la  jambe  gauche,  et  s'étend  en  arrière  sur  la  fesse, 
sur  le  tiers  externe  de  la  cuisse,  sur  le  tiers  inférieur  de  la  jambe  et  sur  le 
pied  (voir  le  schéma  fig.  9(i);  elle  porte  à  la  fois  et  à  peu  prés  au  même  degré 
sur  le  tact,  la  sensibilité  à  la  douleur  et  à  la  température.  Les  notions  du  sons 
musculaire  sont  notablement  obtuses,  mais  non  totalement  supprimées  en  ce 
qui  concerne  les  mouvements  de  l'articulation  de  la  hanche  et  de  celle  du 
genou,  ceux  de  la  première  surtout. 

Veuillez  remarquer  la  grande  cicatrice  ovalaire,  luisante,  gaufrée,  qui  se 
voit  au  niveau  du  tiers  inférieur  de  la  cuisse  gauche,  un  peu  au  dessus  du 
genou.  C'est  la  trace  d'une  brûlure  assez  profonde,  produite  par  l'application 
d'une  cuilller  chaufTée  au  rouge.  Cette  application  a  été  faite  subrepticement, 
sournoisement,  à  l'insu  du  médecin  en-  chef,  de  l'interne  et  bien  entendu  du 
sujet  lui-même,  dans  le  service  où  D  ..  cy  a  séjourné  un  instant  avant  d'être 


—  454  — 


admis  à  la  Salpêtrière,  par  un  jeune  élève  assez  peu  scrupuleux,  vous  le 
voyez,  dans  le  choix  des  moyens  de  recherche  clinique.  Il  espérait  se  con- 
vaincre, paraît- il,  et  convaincre  tout  le  monde,  à  l'aide  d'une  expérience 
vraiment  décisive,  de  la  non-existence  de   l'insensibilité  annoncée  par  le 


/u- 


Fig.  96. 
Analsfésie.  La   distribution  est  à  peu  près  la 
même  en  ce  qui  concerne  la  perte  des  autres 
modes  de  la    sensibilité  :  tact,  température. 
—  b,  plaque  hystérogène. 


Fier.  97. 


malade.  Ce  jeune  homme  est  sans  doute  un  de  ces  «  esprits  forts  »  élevés  à 
l'école  du  nihilisme  en  matière  de  pathologie  nerveuse,  dont  le  nombre 
tend  à  décroître  chaque  jour  à  mesure  que  l'ignorance  recule.  Entre  nous, 
il  me  paraît  avoir  grand  besoin  de  quelques  bonnes  leçons  de  déontologie 
médicale.  Toujours  est-il  que  son  attente  a  été  trompée,  car  devant  l'expé- 
rience brutale  à  laquelle  il  a  été  soumis  à  son  insu,  D..  cy  n'a  pas  bronché  : 
il  ne  s'est  aperçu  absolument  de  rien. 


—   4.J0   — 

Voici  maintenant  ce  qui  est  relatif  à  la  paralysie  motrice.  Le  malade 
marche  en  boitant,  sans  frotter  le  sol  du  pied,  sans  traîner  le  membre  après 
lui  à  la  manière  d'un  corps  inerte  :  sa  boiterie  parait  tenir  surtout  à  un  défaut 
d'énergie  dans  les  mouvements  de  l'articulation  de  la  hanche.  C'est  dans  cette 
jointure,  principalement,  que  les  mouvements  de  flexion  et  d'extension  sont 
très  afl'aiblis.  Le  réflexe  tendineux  est  normal  ;  il  n'y  a  pas  d'amaigrissement  du 
membre. 

Cette  même  anesthésie,  relevée  à  propos  du  membre  inférieur  gauche,  se 
rencontre  tout  aussi  prononcée  sur  une  bonne  partie  du  membre  supérieur  du 
même    côté^    en   particulier    au    niveau   de   l'épaule,   et    en   même    temps 


B 


G 


Nas 


Fig.  98. 


tous  les  mouvements  de  ce  membre  sont  manifestement  plus  faibles  qu'à 
l'état  normal,  ceux  surtout  qui  se  passent  dans  l'articulation  scapulo 
humérale.  Tandis  que  l'exploration  dynamométrique  donne  24  kilos  pour 
la  main  droite,  elle  ne  donne  que    15  pour  la   main  gauche. 

Vous  le  voyez,  en  somme,  dans  tout  ce  qui  précède  nous  ne  relevons  rien 
qui  ne  puisse  rentrer  dans  la  caractéristique  des  paralysies  par  fulguration, 
mais  voici  maintenant  une  série  de  faits  qui  sortent  évidemment  du  cadre. 

En  portant  l'investigation  clinique  en  dehors  de  la  sphère  des  membres, nous 
avons  reconnu  ce  qui  suit. 

Tout  d'abord  l'anesthésie  révélée  par  l'examen  des  membres  du  côté  gauche 
se  retrouve  sur  la  partie  postérieure  du  tronc  du  même  côté  et,  encore  à 
gauche,  sur  la  moitié  du  cou,  en  avant  comme  en  arrière,  ainsi  que  sur  la  moitié 


—  450  — 

de  la  tête,  de  telle  sorte  qu'il  s'agit  là  d'une  hp.mianesthésie,  incomplète 
à  la  vérité,  mais  fort  étendue  encore,  cependant.  Cette  constatation  devait 
nous  conduire  à  l'examen  des  organes  des  sens.  Il  nous  a  fait  reconnaître 
l'existence  d'un  affaiblissement  très  prononcé  de  l'ouïe,  de  l'odorat  et  du  goût 
à  gauche,  en  même  temps  que  le  pharynx  est  insensible  de  ce  même  côté. 
Le  champ  visuel  est  un  peu  rétréci  à  droite  (à  70°)_,  beaucoup  plus  rétréci  à 
gauche  (30").  Il  ya  diplopie  monoculaire  et  micromégalopsie  de  l'œil 
gauche  ;  pas  d'achromatopsie. 

Vous  avez  pu  remarquer  lorsque  j'ai  examiné  le  malade,  l'existence  chez 
lui  d'un  bégaiement  assez  prononcé  dont  il  a  été  déjà  question.  Il  est  apparu 
le  lendemain  de  l'accident,  peu  après  qu'il  eut  reçu  la  malencontreuse 
visite  de  son  patron  qui,  tout  en  le  félicitant  d'avoir  échappé  à  un  si  grand  dan- 
ger,lui  raconta  quelques  faits  de  foudroiement  suivis  de  mort.  Ces  propos,  vous 
le  savez,  l'émurent  vivement  et,  sur-le-champ,  il  ressentit  comme  une  boule 
qui  lui  montait  à  la  gorge,  puis  des  battements  dans  les  tempes  ;  enfin  la 
vue  se  troubla  et  il  eut  «  une  faiblesse  ».  Tout  cela  se  termina  par  une  crise  de 
larmes  :  c'est  depuis  lors  que  le  bégaiement  s'est  établi. 

Ces  divers  troubles  à  savoir  :  sensation  de  boule,  battement,  des  tem- 
pes, etc,  etc,  appartiennent  vous  l'avez  compris,  à  Vaura  hystérique.  Ils  se 
sont  renouvelés  sous  forme  d'accès,  un  grand  nombre  de  fois  depuis  :  à  deux 
reprises  même,  ils  ont  été  suivis  de  perte  de  connaissance  absolue,  mais  le 
malade  ignore  si,  dans  ces  circonstances,  il  a  eu  des  convulsions.  Il  existe 
d'ailleurs  chez  notre  malade,  au  dessous  du  rebord  costal  du  côté  gauche, 
une  plaque  hystérogène  dont  la  compression  détermine  d'une  façon  très  mani- 
feste l'apparition  de  Vaura  hystérique.  Ajoutez  à  tout  cela  des  traces  suffisam- 
ment accusées  de  spasme  glosso-labié  :  la  langue  est  tirée  vers  la  droite,  la 
lèvre  supérieure  du  côté  gauche  est  plus  relevée  qu'à  droite;  puis,  un  cer- 
tain nombre  de  symptômes  d'ordre  neurasthénique,  tels  que  douleur  en  casque, 
la  plaque  sacrée,  la  dyspepsie  nerveuse,  etc,  et  vous  aurez  rassemblé  une 
collection  de  faits  dont  la  signification  clinique  ne  saurait  vous  échapper. 

Evidemment,  nos  dernières  constatations  nous  obligent  à  sortir  du 
cadre  des  paralysies  par  fulguration  :  elles  nous  ont  fait  retrouver  en 
effet,  chez  notre  foudroyé,  la  plupart  des  phénomènes  nerveux  que  nous 
avons  vus  se  produire  tant  de  fois,  dans  nos  récentes  études,  à  la  suite  des 
grands  ébranlements  psychiques  et  physiques,  de  traumatismcs  divers,  des 
collisions  de  chemin  de  fer  en  particulier;  et,  à  propos  de  ces  dernières,  ne 
peut-on  pas  dire  qu'elles  sont  à  beaucoup  d'égards, comparables  aux  accidents 
de  fulguration,  tant  par  la  soudaineté  de  l'événement,  le  caractère  terrifiant 
au  premier  chef  des  circonstances,  que  par  la  violence  extrême  de  la  commo- 
tion,, mécanique  dans  un  cas,  électrique  dans  l'autre,  En  somme,  nous  trou- 
vons réunis  chez  notre  homme,  tous  les  éléments  fondamentaux  de  ce  comple- 
xus  névropatbique  qu'on  a,  dans  ces  derniers  temps, voulu  considérer  comme 


'1 0  / 


représentant  une  névrose  à  part,  dite  traumatique,  et  où,  quant  à  moi,  je  ne 
puis  décidément  voir  autre  chose  que  la  névrose  hystérique,  une  et  indivisible, 
combinée  souvent,  mais  non  nécessairement,  tant  s'en  faut,  à  la  névrose  neu- 
rasthénique. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'hystérie  ou  la  ne'vrose  traumatique,  cemme  vous  voudrez 
l'appeler  —  dans  l'espèce  cela  me  paraît  être  parfaitement  indifférent,  —  est 
présente  dans  notre  cas,  douée  de  tous  les  caractères  qui  la  distinguent 
cliniquement.  Hémianesthésie  sensitive  et  sensorielle,  avec  rétrécissement  très 
prononcé  du  champ  visuel  :  zone  hystérogène;  aura  suivie  de  perte  de  con- 
naissance, de  crises  de  larmes  ;  attaques  incomplètes  mais  très  suffisamment 
formulées  cependant  ;  bégaiement  ;  état  mental  particulier  mais  fort  vulgaire 
dans  les  formes  les  plus  diverses  de  l'hystérie  virile  et,  quelle  qu'en  ait  été  la 
cause  provocatrice:  n'y  en  a-t-il  pas  là  assez  pour  lever  tous  les  doutes  et  légi- 
timer absolument  le  diagnostic?  A  quoi  bon  discuter,  cola  est  clair  comme  le 
jour  et  il  faudrait  être  bien  «  préoccupé  »  pour  ne  pas  voir  les  choses  telles 
qu'elles  sont  dans  la  réalité  :  notre  malade  est  un  hystérique  et  l'on  peut  ajouter 
que  l'hystérie  développée  chez  lui,  par  le  fait  de  la  fulguration,  ne  porte  pas 
avec  elle,  dans  ses  manifestations  cliniques,  de  marques  vraiment  spéciales, 
capables  de  dénoncer  son  origine. 

Après  cela  irons-nous,  de  suite,  affirmer  que  tous  les  accidents  névropa- 
thiques  qu'on  a  observés  dans  ce  cas,  ont  été,  dès  les  premiers  commence- 
ments, d'ordre  hystérique  ?  Evidemment  non.  Il  convienten,  effet,  de  faire  tout 
d'abord  la  part  de  l'élément  neurasthénique  développé  sous  rintluence  d'un 
excès  de  travail  et  de  chagrin  qui,  ainsi  que  nous  l'avons  expressément  signalé, 
préexistait  à  l'accident.  Et  puis,  il  faut  se  demander  si  les  premiers  lioubles 
nerveux  apparus  immédiatement  après  la  fulguration,  au  moment  du  choc 
reçu  sur  le  membre  inférieur  gauche,  ne  relèvent  pas  directement  de  la  com- 
motion électrique.  Eh  bien,  messieurs,  relativement  à  ce  dernier  point,  mon 
opinion  est  qu'il  y  a  eu  véritablement  chez  notre  sujet,  au  moment  même  où  il 
dit  avoir  ressenti  le  coup,  paralysie  par  fulguration,  et  c'est  sur  cette  paralysie 
que,  ultérieurement  la  paralysie  hystérique  est  venue  se  greffer.  Vous  pré- 
voyez certainement,  et  sans  qu'il  soit  nécessaire  d'insister,  comment,  d'après 
moi,  les  choses  se  seraient  passées  :  il  s'est  produit,  réellement,  le  7  mai,  au 
moment  où, à  la  suite  d'un  grand  coup  de  tonnerre,  le  globe  de  feu  a  paru  sur 
la  route,  un  choc  électrique,  local,  immédiatement  suivi  d'une  esquisse  de 
paralysie  dans  le  membre  frappé.  Puis  à  la  faveur  de  l'état  préexistant  de 
neurasthénie  cérébrale,créé  par  des  chagrins  et  un  surmenage  récents, l'hystérie 
s'est  bientôt  développée,  sous  l'influence  de  la  commotion  physique  et  de 
l'ébranlement  psychique  qui  l'a  accompagnée,  celles-ci  jouant,  par  rapport  à 
la  névrose,  le   rôle  d'agents  provocateurs. 

Remettez-vous  un  instant  devant  l'esprit,  l'état  mental  du  sujet  pendant  la 
soirée   et  la  nuit  qui  ont  suivi  l'accident  :  égaré,  terrifié,  tremblant,  pleurant 


—  458  — 

comme  un  enfant,  puis  rêvant  de  tonnerre  et  d'éclairs,  sachant  qu'il  avait  été 
frappé  par  la  foudre  et  de  ce  fait  paralysé  d'un  membre,  en  proie  d'ailleurs 
aux  pressentiments  les  plus  sombres, il  a  dû,  vous  le  concevez  aisément,  dans 
un  pareil  état  d'esprit  qui  ne  s'éloigne  sans  doute  pas  beaucoup  de  celui  que 
produit  l'hypnotisme,  compléter,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  la  paralysie 
hystérique  déjà  existante,  et  l'amplifier  en  conséquence  d'une  auto-sugges- 
tion^ ou  autrement  dit,  d'une  sorte  de  rumination  mentale.  C'est  ainsi  que 
la  paralysie  est  venue  se  superposera  l'ébauche  de  paralysie  déterminée  par 
le  choc  électrique  et  c'est  dans  ce  temps-là  aussi,  vraisemblablement,  que  se 
seront  manifestés  les  stigmates  sensitifs  et  sensoriels,  les  attaques  précédées 
d'aura  spéciale,  et  autres  marques  révélatrices  de  la  diathèse  hystérique. 

Il  était  du  reste  à  prévoir  que  les  fulgurations  partiellcis  ou  générales,  lors- 
qu'elles rencontreraient  chez  les  victimes  un  terrain  préparé,  devraient 
déterminer  ce  développement  d'accidents  hystériques,  tout  comme  elles  déter- 
mineraient l'apparition  d'affections  nerveuses  d'un  autre  ordre,  la  chorée, 
l'épilepsie  par  exemple,  etc.,  etc.,  si  la  prédisposition  était  autre.  C'est  ainsi 
que  les  choses  se  passent  dans  les  chocs  par  collision  de  trains  et  il  n'y  a 
aucune  raison  pour  qu'elles  ne  se  passent  pas  de  même  dans  les  cas  de  fulgu- 
ration. 

Toujours  est-il  que,  comme  on  voit,  la  foudre  doit,  ainsi  qu'on  pouvait  s'y 
attendre,  figurer  parmi  les  agents  provocateurs  de  l'hystérie,  et  même  il  est 
singulier  que  les  faits  à  l'appui  de  cette  proposition,  ne  se  rencontrent  pas, 
dès  à  présent, en  plus  grand  nombre  dans  les  recueils  scientifiques.  Je  pourrai 
cependant,  dans  un  instant  vous  citer  trois  cas  de  cet  ordre.  Trois  cas,  c'est 
peu;  mais  je  dois  avouer  que  mes  recherches,  à  ce  sujet,  n'ont  pas  été  très 
étendues;  d'ailleurs, j'en  suis  convaincu,  le  nombre  de  ces  faits  se  multii»liera 
très  certainement,  si  à  l'avenir  on  étudie,  à  la  lumière  de  nos  connaissances 
actuelles  concernant  l'hystérie,  l'hystérie  masculine  surtout,  les  troubles  ner- 
veux divers  qui  s'observent  chez  les  foudroyés. 

La  première  des  observations  auxquelles  je  faisais  allusion  tout  à  l'heure 
appartient  à  M.  le  professeur  Nothnagel  (1).  Il  s'agit  d'un  forgeron  âgé  de 
36  ans,  observé  pour  la  première  fois,  le  24  octobre  1879.  Six  ans  aupara- 
vant, vers  10  heures  du  soir,  revenant  chez  lui  pendant  un  oragC;,  il  fut  frappé 
par  la  foudre  et  resta  sans  connaissance.  Lorsqu'il  revint  à  lui,  sa  main  droite 
était  insensible,  presque  incapable  de  mouvement  et  portait  sur  sa  face  dor- 
sale une  plaque  brune  de  la  dimension  d'un  thaler  environ.  On  le  traita  par 
l'électrisation.  11  avait  été  électrisé  pendant  six  semaines  sans  succès,  lorsqu'un 
jour,  tout  à  coup,    inopinément,  la  sensibilité  et  le   mouvement   reparurent. 

Six  ans  après,  pendant  qu'il  travaillait  de  son  métier,  son  marteau  lui  parut 
lourd  et  bientôt  se  reproduisit,  comme  la  première  fois  la  paralysie  du  mou- 

1.  Virrhow's  Archiv.,  4880,  t.  LXXX,  p.  345. 


—  459  — 

vement  et  de  la  sensibilité  dans  la  main.  Le  malade  est  sorti  de  la  clinique, 
guéri,  quatre  mois  seulement  après.  A  l'époque  où  il  a  été  admis  à  rh(jpital, 
on  a  relevé  ce  qui  suit.  Il  y  a  un  peu  d'atro^ihie  des  interosseux,  de  l'émi- 
nence  ihénar  et  hypothénar  ;  les  mouvements  du  poignet  et  des  doigts  sont 
très  faibles;  im[)()ssil)ilité  d'écarter  les  doigts  et  de  fermer  le  poing  complète- 
ment. L'anesthésie  de  la  main  est  complète  :  <<  on  peut  lui  planter  une  aiguille 
dans  la  main,  lui  appliquer  les  courants  induits  les  plus  énergiques  ou  le  pin- 
ceau électrique,  y  placer  de  la  glace  ou  de  l'eau  chaude,  lui  appuyer  sur  la 
main  de  tout  le  poids  du  corps  avec  le  talon  de  la  botte,  il  ne  sent  rien. 
Sens  musculaire  complètement  aboli  ;  il  ne  se  rend  nul  compte  des  mouve- 
ments qui,  lorsqu'il  a  les  yeux  clos,  sont  imprimés  à  ses  doigts.  Les  limites 
de  cette  anesthésie  sont  très  spéciales.  Elle  comprend  la  main  entière  et  cesse 
un  peu  au-dessus  du  pli  du  poignet  par  une  ligne  droite  circulaire  passant 
au  niveau  des  apophyses  styloïdes.  Les  courants  continus  étnnt  restés  sans  effet, 
on  appliqua  au  voisinage  de  la  main  un  gros  aimant;  au  bout  de  trois  quarts 
d'heure  de  cette  application,  il  se  produisit  un  fourmillement  dans  la  main 
et  bientôt  après  la  sensibilité  y  reparut.  Après  six  ou  sept  nouvelles  applica- 
tions de  l'aimant,  la  guérison  était  complète. 

L'auteur  de  cette  relation  qui  est,  comme  chacun  sait,  un  observateur  des 
plus  distingués,  ne  manque  pas  de  reconnaître  qu'il  existe  des  analogies 
frappantes  entre  la  paralysie  observée  chez  ce  malade  et  les  paralysies  hysté- 
riques :  même  invasion  brusque,  même  guérison  soudaine;  même  mode  de 
limitation  de  l'anesthésie  par  une  ligne  droite  circulaire  (anesthésie  en  forme 
de  gant),  pourrions-nous  ajouter  aujourd'hui.  «  Mais  comment  admettre  que 
l'hystérie  soit  en  cause  chez  un  homme  robuste  ?  A  peine  est-il  besoin  d'émet- 
tre cette  hypothèse  :  elle  sera  naturellement  repoussée  du  premier  coup.  »  A 
l'heure  qu'il  est,  on  ne  saurait  plus  avoir  de  pareils  scrupules  et  l'on  recon- 
naîtrait,assurément,que  c'est  bien  de  l'hystérie  qu'il  s'est  agi  chez  cet  homme, 
au  moins  dans  le  second  épisode  de  son  histoire. 

La  deuxième  observation  a  été  présentée  par  M.  Gibier  de  Savigny,  alors 
interne  des  hôpitaux,  à  la  Société  de  Biologie  et  reproduite  dans  la  Revue 
médicale  française  et  étrangère,  n°  du  19  mars  1881  (1);  Le  sujet  est  un  homme 
de  28  ans  exerçant  la  profession  d'infirmier  à  l'hôpital  du  Midi.  Il  est  issu  d'un 
père  émotif  qui  a  eu  plusieurs  crises  nerveuses  (?)  et  d'une  mère  également 
nerveuse  mais  sans  crises.  Lui,  a  été  autrefois  atteint  de  rhumatisme  articu- 
laire aigu.  Cinq  ans  avant  l'époque  où  il  a  été  observé,  la  foudre  tomba  à  8  ou  à 
10  mètres  de  lui  et  fit  une  grande  brèche  dans  un  mur  voisin.  Il  fut  renversé  et 
perdit  connaissance  une  demi-heure.  Lorsqu'il  revint  à  lui,  il  rendit  du  sang  par 
le  nez,  la  bouche  et  les  oreilles.  Son  membre  supérieur  droit  était  paralysé. 


1.  Noteaur  un  cas  de  monoplégie  brachiale  droite  produite  par  la  foudre.  Guérison.  Réap- 
parition passagère  de  la  paralysie  à  l'occasion  de  chaque  orage. 

62 


—  460  — 

insensible  et  flasque.  La  paralysie  dura  telle  quelle  pendant  trois  mois,  mais 
ce  ne  fut  qu'au  bout  de  six  mois  que  le  membre  récupéra  complètement  ses 
fonctions  normales  et  encore  ne  peut-on  pas  dire  que  laguérison  ait  été  abso- 
lument complète,  puisque,  depuis  lors,  la  paralysie  reparaît  pendant  quelques 
heures  à  Foccasion  de  chaque  orage. 

Dans  l'intervalle  de  ces  récidives^,  le  membre  droit  est  parfaitement  normal 
sous  tous  les  rapports  et  particulièrement  en  ce  qui  concerne  la  sensibilité  et 
le  mouvement.  Mais  lorsque  survient  un  orage,  à  mesure  que  le  bruit  du 
tonnerre  se  rapproche,  on  voit,  à  la  suite  de  quelques  prodromes  parmi 
lesquels  figure  la  sensation  dans  l'œil  droit  d'un  cercle  lumineux  présentant 
les  couleurs  de  l'arc-en-ciel  (scotome  scintillant  ?)  on  voit,  dis-je,  la  paralysie 
se  reproduire  sur  le  membre  supérieur  droit  avec  perte  complète  de  la  sensi- 
bilité et  du  mouvement.  Gela  dure  environ  deux  heures  en  moyenne,  après 
quoi  surviennent  des  fourmillements  qui  précèdent  à  courte  échéance  le 
retour  à  l'état  normal.  On  a  plusieurs  fois  essayé  mais,  sans  succès,  de  déter- 
miner, en  dehors  de  l'orage,  le  retour  de  cette  paralysie,  par  l'application  sur 
le  membre  de  l'électrisation  faradique.  Plusieurs  fois  le  malade  en  question  a 
éprouvé  des  crises  convulsives,  débutant  par  la  main  droite  et  suivies  de  perte 
de  connaissance  (attaques  hystériques  ù  forme  d'épilepsie  partielle). 

La  caractéristique  de  la  névrose  hystérique  saute  aux  yeux  dans  ce  cas  : 
c'est  d'elle  évidemment  que  relève  cette  paralysie  récidivant  à  l'occasion  des 
orages.  Mais  «  peut-on  songer, dit  l'auteur, à  l'hystérie  chez  l'homme!  »  Plutôt 
que  de  s'arrêter  à  cette  interprétation,  cependant  si  naturelle^  il  aime  mieux 
imaginer  je  ne  sais  quelle  lésion  cérébrale  en  foyer,  localisée  je  ne  sais  com- 
ment, et  jouissant  delà  propriété  singulière  de  se  raviver,  à  chaque  orage, 
sous  l'influence  de  «  l'électricité  atmosphérique  »  ! 

La  troisième  observation  du  groupe  est  de  date  toute  récente.  Elle  ne  se 
rapporte  pas  exactement  à  la  fulguration,  mais  à  un  phénomène  connexe.  Elle 
a  été  communiquée  à  la  Société  de  Biologie  par  le  D'"  Onimus,  en  J887  (1). 
Lors  du  dernier  tremblement  de  terre  de  Nice,  un  employé  du  télégraphe  avait, 
au  moment  où  survinrent  les  premières  secousses,  le  médius  et  l'index  en 
communication  avec  les  parties  métalliques  d'un  appareil  électrique  dont  les 
fils  conducteurs  sont,  sur  une  étendue  de  000  mètres,  enterrés  à  une  profon- 
deur de  1  m.  50. 11  ressentit  en  ce  moment-là,  une  secousse  dans  la  main  droite, 
éprouva  une  sorte  d'éblouissement  et  resta  étendu,  immobile  sur  son  siège, 
pendant  peut-être  dix  minutes.  Le  lendemain,  une  paralysie  incomplète  pour 
le  mouvement,  mais  très  prononcée  en  ce  qui  concerne  la  sensibilité,  s'étendit 
à  ce  membre  tout  entier.  En  môme  temps^des  contractions  librillaires  se  voient 


\.  Soc.   de.  Biologie,   1887-88.   Paralysi'i  pav  courant  électrique  d'origine    tellurique.  — 
Guinon,  Thèse  de  Paris,  1889,  p.  68. 


—  461  — 

dans  le  côté  gauche  de  la  face,  et,  de  ce  mèm«  c/ité,  se  produit  un  blépharo- 
spasme. 

L'auteur  ne  songe  môme  pas  ù  la  possibilité  de  la  présence  de  l'hys- 
térie dans  ce  cas,  bien  qu'«3lle  y  soit  facile  à  reconnaître;  il  n'y  voit  qu'une 
paralysie  par  courant  électrique  d'origine  toUurique.  Quatorze  mois  après 
l'accident,  la  guérison  n'est  pas  encore  parfaite.  Malheureusement  cette  très 
intéressante  observation  est  restée  fort  incomplr'te  au  point  de  vue  clinique. 
Pourquoi  n'avoir  pas  recherché  l'anesthésie  par  moitié,  les  points  hystérogènes, 
le  rétrécissement  du  champ  visuel  et  autres  stigmates  qui  peut-être  étaient 
présents,  et  dont  la  constatation  aurait  éclairé  la  situation?  C'est  encore  là  un 
de  ces  cas  dans  lesquels  la  connaissance  des  travaux  récents  relativement  à 
l'hystérie  mâle  eût  rendu  quelques  5:ervices. 

Les  trois  observations  qui  viennent  d'être  relatées  sont,comme  on  voit,  com- 
parables à.  celle  qui  fait  l'objet  de  la  présente  étude,  en  ce  sens  que,  dans 
toutes,  à  une  paralysie  produite  par  la  commotion  électrique,  est  venue  se 
surajouter, à  diverses  échéances,  la  paralysie  hystérique.  Les  cas  dans  lesquels 
l'hystérie  s'est  développée  à  l'occasion  d'un  coup  de  tonnerre  sont  plus  vul- 
gaires sans  doute,  et  il  ne  serait  probablement  pas  fort  difficile,  à  la  suite  de 
quelques  recherches,  d'en  aligner  un  certain  nombre  (1)  ;  mais  je  n'ai  voulu 
parler  ici  que  de  ceux  où  la  paralysie  s'est  produite  immédiatement  à  la  suite 
du  choc  électrique  et  comme  conséquence  directe  de  celui-ci.  Or,  ces  cas-là 
sont  rares  quant  à  présent,  j'ai  tout  lieu  de  le  croire. 

Messieurs,  après  tout  ce  qui  précède  et  en  manière  de  conclusion,  je  vous 
demande  la  permission  de  formuler  deux  propositions  qui  me  paraissent 
résumer  ce  qu'il  y  a  de  plus  important  à  retenir  dans  les  enseignements 
fournis  par  notre  observation  et  par  celles  du  même  ordre  que  nous  avons  dû 
invoquer  pour  la  bien  mettre  en  valeur  : 

1°  Dans  les  cas  de  fulguration,  en  outre  des  accidents  nerveux  qui  relèvent 
directement  de  la  commotion  électrique,  il  faut  s'attendre  à  voir  souvent 
l'hystérie  intervenir  tôt  ou  tard. 

2°  Lorsqu'une  fulguration  partielle  aura  déterminé  la  production  d'une 
paralysie  relevant  directement  de  l'action  électrique,  si  l'hystérie,  par  suite, 
entre  en  scène,  la  paralysie  hystérique  pourra  se  superposer  et  ensuite  se 
substituer  à  la  paralysie  primitive. 

1.  Les  spasmes  de  la  face  et  des  paupières,  Taphoaie,  le  mutisme.,  le  bégaiement,  certaines 
formes  de  tremblements  et  autres  accidents  qui  appartiennent  si  fréquemment  à  la  symptoma- 
tologie  de  l'hystérie,  sont  souvent  cités  parmi  les  troubles  nerveux  qui  se  développent  en 
conséquence  de  la  fule^uration.  Voir  iSestier,  t.  II,  sect.  il . 


—  462  — 

A  partir  du  28  mai,  jour  où  D...cya  été  présenté  au  cours,  jusqu'au  23juillet 
date  de  sa  sortie,  il  a  été  régulièrement  soumis  au  traitement  suivant 
Inapplication  de  la  douche  froide  g-énérale  tous  les  matins,  2°  électrisation 
statique  tous  les  deux  jours  (bains  électriques),  3°  bromure  de  potassium  à  la 
dose  de  3  ou  4  grammes  par  jour  ;    4°  régime  tonique. 

Le  29  mai,  jour  d'orage  le  malade  s'est  plaint  une  demi-heure  environ  avant 
qu'on  ait  entendu  le  premier  coup  de  tonnerre,  d'un  malaise  inexprimable  et 
d'envies  de  pleurer  ;  puis  au  moment  où  le  tonnerre  s'est  rapproché  il  a  été 
pris  d'une  sensation  de  constriction  à  la  gorge,  d'angoisse  respiratoire,  de 
battements  dans  les  tempes  Gela  a  duré  quelques  minutes  ;  il  était  environ 
4  heures  du  soir.  En  ce  moment-là,  il  est  allé  s'étendre  sur  son  lit  :  bientôt 
après  il  s'est  mis  à  s'agiter  sans  perdre  connaissance,  puis  il  a  pleuré  ;  à 
chaque  instant,  il  répétait  qu'il  n'en  pouvait  plus,  qu'il  étouffait,  qu'il  voulait 
s'en  aller.  Cette  agitation,  ces  pleurs  ont  persisté  pendant  toute  la  durée  de 
l'orage  qui  n'a  cessé  que  vers  8  h.  1/2  du  soir  ;  alors  D..  cy  s'est  endormi 
jusqu'au  lendemain. 

Le  o  juillet, vers  cinq  heures  du  soir,  sans  nouvel  orage,  awrapuis  quelques 
convulsions  et  enfin  perte  de  connaissance;  après  quoi  est  survenu  un  sommeil 
très  profond  dont  on  n'a  pas  pu  le  tirer  ni  en  lui  frappant  sur  les  joues,  ni  en 
le  secouant  fortement.  Il  ne  s'est  réveillé  que  le  lendemain  matin,  très  calme 
d'ailleurs. 

Ledl  juillet,  le  malade  ditque  son  états'estfortamélioré  ;  quesajambegauche 
estplus  forte;  eneffet,il  sauteà«  cloche  p^ed  »  surlepied  gauche,  ce  qu'il  ne 
pouvait  pas  faire  autrefois.  L'épreuve  dynamométrique  donne,  pour  le  membre 
siipérieurdroit,  25  kilos  etpour  le  gauche  17.  Le  rétrécissement  du  champ  visuel 
n'a  pas  varié.  L'anesthésie  du  membre  inférieur  gauche  persiste  telle  qu'elle  était 
au  moment  de  l'entrée  du  malade,  mais  au  membre  supérieur  gauche  et  à  la 
face  elle  est  beaucoup  moins  accentuée  qu'alors.  Le  point  hystérogène  existe 
toujours, mais  il  faut  exercer  sur  lui  une  pression  beaucoup  plus  forte  pourpro- 
voquer  le  phénomène  de  l'aura. 

Le  23  juillet,  le  malade  dit  qu'il  se  sent  aussi  fort  de  la  jambe  gauche  que 
de  la  droite.  Le  dynamomètre  donne  pour  la  main  droite  27  kilos  et  19  pour 
la  gauche.  Il  n'y  a  plus  d'anesthésie  ni  à  la  téte_,  ni  au  tronc,  ni  au  membre 
supérieur  gauche.  Au  membre  inférieur  gauche,  il  n'existe  i)lus  qu'une  large 
plaque  d'anesthésie  occupant  les  faces  antérieure  et  externe  de  la  cuisse.  Le 
rétrécissement  clu  champ  visuel  persiste,  mais  on  ne  le  retrouve  plus  qu'à 
gauche  où  il  est  seulement  de  40.  Ls  goût  et  l'odorat  sont  tinijours  abolis  à 
gauche.  Evidemment,  l'émotivité  est  beaucoup  moindre  qu'elle  ne  l'était  il  y 
a  quelques  jours  seulement. 

Le  malade  a  voulu  absolument  sortir  ce  jour- là  fort  amélioré  sans  doute, 
mais  non  complètement  guéri. 


I.MI'.  NOIZKTIE,   8,  KUK  CAMI'AGNK-I'UliMll-.UK,   PARIS. 


Policlinique  du  Mardi  4  Juin  1889 


VINGTIEME   LEÇON 

l*^""  el  2°  Malades.  —  Deux  malades,  étudiées  comparative- 
ment  :  V  Tics  généralisés  simulant  la  chorée  chro- 
nique ;  2"  Chorée  chronique  dite  d'Huntinglon  ;  —  on 
insiste  sur  les  difficultés  du  diagnostic. 

3%  4®  et  5®  Malades. —  Cas  d'abasie  :  1^  Abasie  paralyti- 
que chez  un  homme  de  44  ans  ;  2**  Abasie  trépidante 
chez  un  homme  de  49  ans  ;  3"  Même  forme  chez  un 
vieillard  de  75  ans. 


Messieurs, 

Dans  notre  première  leçon  du  mardi  de  la  présente  année  scolaire  (1),  j'ap- 
pelais votre  attention  sur  ce  que  j'appelle  volontiers  le  grand  tic  convulsif, 
par  opposition  au  petittic  convulsif  ou  tic  vulgaire,  et  je  relevais  qu'entre  ces 
deux  formes  il  n'y  a  pas,  tant  s'en  faut,  un  abîme.  La  différence,  en  efifet,  est 
seulement  dans  le  degré  d'intensité  et  de  généralisation  des  troubles  moteurs. 

Ainsi,  il  se  peut  faire  qu'un  individu  qui,  dans  l'enfance,  n'a  eu  que  des  tics 
légers,  les  voie  empirer,  dans  un  âge  plus  avancé,  au  point  qu'ils  arrivent  à 
constituer  une  infirmité  détestable.  De  plus,  les  modifications  psychiques, 
telles  que  impulsions,  obsessions,  idées  fixes,  doutes,  scrupules,  terreurs  mor- 
bides, qui  sont  un  accompagnement  si  fréquent  du  tic  convulsif,  se  rencon- 
trent à  peu  près  également  dans  ces  deux  formes. 

J'insistais  en  outre  sur  ce  point_,  que  les  mouvements  convulsifs  appelés  tics, 
quelque  complexes  et  bizarres  qu'ils  puissent  paraître,  ne  sont  pas  toujours. 


1.  Leçon  du  mardi  23  octobre  1888. 


—  464  — 

comme  on  est  porté  à  le  croire  lorsqu'on  y  regarde  superficiellement,  déré- 
glés, incoordonnés,  contradictoires  au  premier  chef.  Ils  sont,  disais-je,  au 
contraire  systématisés  en  général,  en  ce  sens  qu'ils  reparaissent  toujours  les 
mêmes  chez  un  même  sujet,  et,  de  plus,  ils  reproduisent,  en  les  exagérant 
cependant,  certains  mouvements  automatiques  complexes,  d'ordre  physiolo- 
gique, appliqués  à  un  but;  ce  sont  en  quelque  sorte,  en  d'autres  termes,  la 
caricature  d'actes,  de  gestes  naturels.  Ainsi  parmi  les  tiqueurs,  les  uns  sem- 
blent vouloir  expulser  à  l'aide  d'une  brusque  expiration  nasale,  un  corps 
étranger  engagé  dans  le  nez;  les  autres,  à  l'aide  de  ce  mouvement  d'occlusion 
brusque  des  paupières  que  vous  connaissez,  semblent  protéger  leurs  yeux 
contre  l'invasion  d'un  corps  étranger  ;  un  autre  encore  se  gratte  comme  pour 
combattre  la  sensation  d'une  démangeaison  intense;  il  en  est  d'autres  enfin 
qui  reniflent  ou  crachotent  ou  se  frappent  le  front,  le  visage,  la  poitrine 
comme  dans  un  acte  de  contrition,  ou  encore,  élèvent  le  bras  comme  dans  un 
mouvement  de  défense.  On  n'en  finirait  pas  à  cet  égard,  si  l'on  voulait  tout 
dire,  même  sommairement.  Toujours  est-il  que,  comme  vous  le  voyez,  le 
mouvement  complexe  du  tic  n'est  pas  absurde  en  soi  ;  il  est  absurde,  illogique, 
parce  qu'il  s'opère  hors  de  propos,  sans  motif  apparent.  L'acte  de  se  gratter 
se  produit  alors  qu'il  n'existe  pas  de  démangeaison,  le  clignotement  a  lieu  en 
l'absence  de  tout  corps  étranger,  etc.,  etc.  —  Ajoutons  à  cela  que  les  mouve- 
ments des  tics  sont  brusques,  rapides^  instantanés,  et  qu'ils  n'ont  pas,  par 
exemple,  la  lenteur  des  gesticulations  choréiques;  qu'ils  ne  sont  pas  continus, 
mais  surviennent  par  accès  plus  ou  moins  répétés  et  plus  ou  moins  longs,  que 
les  malades  peuvent  souvent,  pour  un  temps,  les  arrêter  par  un  elïort  de  la 
volonté,  que  souvent  aussi,  en  même  temps  qu'ils  sont  sous  le  coup  de  leurs 
secousses  grimaçantes,  ils  profèrent  fréquemment  des  exclamations  ou  des 
mots  entiers  fort  communément  orduriers,  et  vous  aurez  accumulé  des  carac- 
tères cliniques  tellement  particuliers  qu'ils  paraissent  devoir  permettre  de 
distinguer,  à  coup  sûr,  la  maladie  des  tics  de  toutes  les  autres  espèces  d'af- 
fections convulsives. 

4c  Vous  voyez,  »  disais-je  après  l'exposé  de  ces  caractères,  dans  cette  même 
leçon  à  laquelle  je  vous  renvoie,  «  jusqu'à  quel  point  les  secousses  comme 
électriques  du  tiqueur  se  distinguent  profondément  des  gesticulations  lentes 
et  permanentes  des  sujets  atteints  delà  chorée  deSydenham.  Entre  le  tic  et  la 
chorée  il  y  a  un  abîme  :  ne  l'oubliez  pas,  car  il  s'agit  là  d'affections  auxquelles 
on  donne  quelquefois,  bien  à  tort,  le  même  nom  et  dont  le  pronostic  est  bien 
différent.  » 

Si  j'ai  rappelé  tout  ce  qui  précède,  messieurs,  c'est  parce  que  j'y  trouve 
l'occasion  de  revenir  un  instant  sur  ce  que  la  proposition  que  je  viens  de  repro- 
duire renferme  de  trop  absolu.  Sans  doute,  nosographiquement,  les  tics  et  la 
chorée  représentent  bien,  comme  je  vous  l'ai  dit,  deux  affections  radicalement 
distinctes,  en  même  temps  (jue,  cliniquement,  les  troubles  moteurs  quiappar- 


—  4(îo  - 

tiennent  à  Tune,  diffèrent  foncièrement  de  ceux  qui  appartiennent  à  l'autre; 
tout  cela  est  parfaitement  exact.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'en  pratique, 
dans  des  circonntancea;  rares  à  la  Tenté,  et  seulement,  bien  entendu,  lorsqu'on 
ne  regarde  pas  les  choses  de  très  près,  la  confusion  est  possible.  Elle  est  pos- 
sible, par  exemple,  lorsque  les  tics  se  sont  généralisés  en  quelque  sorte  à 
toutes  les  parties  du  corps,  et  se  montrent  sans  repos  et  sans  trêve,  pour  ainsi 
dire  d'une  façon  continue  ;  si  alors,  je  le  répète,  on  n'y  regarde  pas  d'un  peu 
près,  on  peut  croire  que  c'est  lachorée  qui  est  enjeu. 


l'"^  ET  2'  Mal.vdes 


L'étude  comparative  des  deux  malades  que  j'ai  fait  placer,  côte  à  côte,  sous 
V3S  yeux,  justifiera  pleinement  les  réserves  que  je  viens  d'émettre.  En  effet, 
messieurs,  vous  le  reconnaissez,  à  ne  considérer  que  les  mouvements  invo- 
lontaires, incessants,  généralisés,  que  présentent  les  deux  sujets,  les  analo- 
gies paraissent  fort  étroites  entre  les  deux  cas.  L'une  de  ces  femmes,  cependant, 
est  atteinte  de  chorée  chronique,  tandis  que  l'autre  est  sous  le  coup  des  tics 
généralisés;  eh  bien,  chez  l'une,  comme  chez  l'autre,  vous  voyez  ces  mouve- 
ments occuper  à  la  fois  la  tête,  le  tronc,  les  membres  à  peu  près  au  même 
degré;  leur  nombre  chez  celle-ci,  comme  chez  celle-là,  est  de  25  à  30  environ 
par  seconde,  etc.,  etc.  ;  en  un  mot,  la  ressemblance  est  telle,  à  tout  prendre, 
que  la  plupart  d'entre  vous  hésiteraient,  j'en  suis  sûr,  à  formuler  le  diagnos- 
tic; et,  de  cette  hésitation,  messieurs,  vous  n'auriez  pas  trop  à  rougir,  car  je 
vous  dirai,  entre  nous,  qu'un  médecin  versé  dans  les  études  neuropatholo- 
giques, a  tout  récemment,  à  la  vérité  à  la  suite  d'un  examen  un  peu  sommaire, 
désigné  comme  atteinte  de  chorée  chronique,  celle  des  deux  malades  qui  au 
contraire,  je  vais  vous  le  démontrer  dans  un  instant^  otlre  un  exemple  remar- 
quable de  tics  généralisés. 

C'est  justement  dans  la  difficulté  qu'il  peut  y  avoir  à  distinguer  ces  deux 
cas,  que  gît  l'intérêt  de  la  situation,  et  nous  allons  nous  appliquer  en  consé- 
quence, à  mettre  maintenant  bien  en  relief  les  caractères  qui  nous  permet- 
tront d'établir,  à  coup  sûr,  cette  distinction. 

L'une  de  nos  malades,  la  nommée  .1...  est  âgée  de  21  ans,  l'autre,  la  nom- 
mée Ch...  a  dépassé  sa  51'  année, 


—   iOO  — 

Si  vous  examinez  ces  deux  femmes  très  attentivement,  tour  à  tour,  à  plu- 
sieurs reprises,  cherchant  à  reconnaître  en  quoi  consistent  chez  elles  les  mou- 
vements involontaires,  vous  finirez  par  discerner  que  chez  Ch.,  la  plus  âgée,  il 
s'agit  de  gesticulations  relativement  lentes,  comme  arrondies,  pour  ainsi  dire, 
tandis  que  chez  l'autre,  la  plus  jeune,  ce  sont  des  mouvements  brusques,  sac- 
cadés que  l'on  observe  :  au  premier  abord,  cela  ne  saute  pas  aux  yeux,  il  faut 
é*re  prévenu  pour  le  constater  ;  mais  cela  devient  tout  à  fait  évident,  au  con- 
traire, si  vous  consultez  les  tracés  obtenus  à  l'aide  des  appareils  enregistreurs 
que  je  fais  placer  sous  vos  yeux  et  qui  représentent  graphiquement  les  mou- 


Fig.  99. 

Tracés  reproduisant  les  mouvements  involontaires  de  la  tête  chez  une  malade  atteinte  de  tics 
convulsifs,  et  chez  une  choréique  chronique,  enregistrés  d'aprfis  la  méthode  graphique  de 
M.vrey.  Le  cylindre  enregistreur  est  animé  d'une  vitesse  moyenne  et  fait  un  tour  en  dix 
secondes.  —  A,  maladie  des  tics;  B,  chorée  chronique.  (Communiqués  par  M.  Outil,  interne 
de  la  Clinique  des  maladies  du  système  nerveux.) 

vements  involontaires  de  la  tête  chez  les  deux  sujets.  Le  premier  tracé  A, 
montre  bien  la  brusquerie,  l'instantanéité,  l'étendue,  la  répétition  coup  sur 
coup  des  mouvements  chez  J...;  tandis  que  le  tracé  B  fait  bien  voir  que  chez 
la  malade  Gh.,  les  mouvements  n'ont  plus  cette  brusquerie,  cette  soudaineté  ; 
ils  ne  se  répètent  pas  coup  sur  coup,  mais  à  intervalles  plus  ou  moins  espa- 
cés. On  pourrait  dire  que,  dans  le  premier  cas,  les  mouvements  sont  en  quel- 
que sorte  angulaires;  qu'ils  sont  au  contraire  arrondis  dans  le  second.  Vous 
voyez  par  là  le  service  signalé  que  pourra  rendre,  en  pareille  circonstance, 
l'application  de  la  méthode  graphique  pour  Tinierprétation  des  cas  difficiles. 
Autre  différoncc  :  examinez  comparativement  les  deux  malades  pendant 
une  assez  longue  période  de  temps,  et  vous  reconnaîtrez  que  chez  Gh...,  la  plus 
âgée  des  deux,  les  mouvements  ne  cessent  jamais,  même  un  instant,  de  sepro- 


_  407  — 

duire, —  ils  ne  s'arrêtent,  en  réalité,  que  pendant  le  sommeil,  —  tandis  que 
chez  J...,  on  les  voit  de  temps  en  temps,  s'arrêter  complètement, pendant  une 
période  de  4,  5  minutes  et  même  plus. 

J...,  par  un  effort  de  la  volonté  peut  momentanément  arrêter  les  mouve- 
ments, ceux  de  la  main,  par  exemple,  prendre  une  plume  et  écrire. 
Ch...,  ne  peut  en  faire  autant  ;  écrire  lui  est  chose  absolument  impossible,  à 
peine  même  peut-elle  tenir  un  instant  la  plume  qu'elle  a  prise  en  main. 

Vous  avez  pu  remarquer  que  pendant  toute  la  durée  de  notre  examen, 
Ch...,  est  restée  absolument  silencieuse,  tandis  que  J...  de  temps  en  temps  a 
poussé  des  bruits  laryngés  expressifs  :  on  dirait  tantôt  un  grognement  d'impa- 
tience, et  tantôt  un  cri  provoqué  par  une  douleur  soudaine.  Il  arrive  parfois 
que  c'est  un  juron  qu'elle  profère  ainsi  involontairement. 

Enfin,  il  ne  vous  a  certainement  pas  échappé  que  chez  Ch...,  les  mouve- 
ments involontaires  ne  sont  autres  que  des  gesticulations  incoordonnées,  illo- 
giques, absurdes,  tandis,  que  chez  J...,  leur  caractère  de  coordination  et  de 
reproduction  stéréotypée  peut  par  moments  être  mis  en  relief  ;  ainsi,  de 
temps  à  autre^  elle  se  frappe  successivement  et  toujours  dans  le  même  ordre, 
le  côté  droit  de  l'abdomen,  puis  la  poitrine,  puis  le  front  du  même  côté  ;  un 
instant  après,  on  la  voit  saisir  un  pli  de  sa  robe  de  la  main  droite,  au  niveau 
de  cette  même  région  de  l'abdomen,  que  tout  à  l'heure  elle  frappait  du  poing, 
en  extraire  du  fil  et  le  déchirer  ;  aussi  cette  robe,  en  ce  point,  ainsi  que  la 
parti  du  jupon  qui  est  au-dessous,  sont-ils  dans  un  état  de  délabrement  pitoya- 
ble ;  ajoutons  qu'en  raison  des  coups  répétés  qu'elle  y  porte,  la  peau  du 
ventre  elle-même,  dans  la  région  correspondante,  est  couverte  d'ecchymoses. 
D'autres  fois,  elle  secoue  brusquement  son  tronc  et  ses  membres  et  frappe  le  sol 
du  pied,  de  manière  à  figurer  un  mouvement  de  grande  impatience,  etc.,  etc. 

Inutile  d'insister  plus,  vous  avez  certainement  reconnu  par  tout  ce  qui 
précède  que  c'est  chez  J...  qu'existe  la  maladie  des  tics,  et  vous  avez  pu  vous 
convaincre  du  même  coup,  que  lorsqu'ils  se  généralisent  et  tendent  à  la  con- 
tinuité, de  façon  à  rappeler  la  chorée  chronique,  les  tics,  à  ne  considérer 
même  que  ce  qui  est  relatif  aux  mouvements,  peuvent  encore,  à  l'aide  de 
certains  caractères,  être  distingués,  sans  trop  de  difficultés,  des  gesticulations 
chroniques. 

Mais  la  différence  fondamentale  qui  sépare  les  deux  états  morbides 
apparaîtra  surtout  dans  son  véritable  jour  si,  au  lieu  d'envisager  seulement 
un  des  aspects  de  la  maladie,  on  s'attache  à  en  embrasser  l'histoire  tout 
entière. 

Ch...,  la  plus  âgée  des  deux  malades — elle  a  plus  de  51  ans  —  nous  est 
connue  déjà.  Je  vous  l'ai  présentée  fan  passé  comme  atteinte  de  chorée  chro- 
nique ou  chorée  d'Huntington.  Je  vous  rappellerai  à  ce  propos  que,  suivant  nous, 
la  chorée  dite  d'Huntington  ne  constitue  pas  une  maladie  spéciale,  autonome, 
distincte  foncièrement  de  la  chorée  infantile,  ou  chorée  de  Sydenham;  mais 


—  4()S  — 

que,  au  contraire,  elle  se  rattache  à  celle-ci,  qu'elle  représente  sous  la  forme 
chronique  (1).  Mais  ce  n'est  pas  cela  qui  importe  pour  le  moment  ;  nous  devons 
surtout  nous  attacher  actuellement  à  mettre  en  reliefles  traits  qui  permettront 
de  différencier  le  cas  de  Ch...,  de  celui  que  nous  allons  considérer  tout  à 
l'heure.  Eh  bien,  nous  ferons  valoir  à  cet  égard,  que  le  début  de  la  maladie 
s'est  fait  à  33  ans  seulement,  tandis  que  les  tics,  en  général,  font  leur 
première  apparition  dans  l'enfance  ;  que  notre  malade  compte  dans  sa 
famille  quatre  cas  de  chorée  chronique,  en  outre  d'un  certain  nombre  d'exem- 
ples de  névropathie  d'une  autre  espèce  :  qu'enfin,  les  modifications  psychiques 
concomitantes  des  troubles  moteurs  sont  accusées  ici  dans  le  sens 
de  la  démence  et  qu'elles  n'ont,  par  conséquent,  aucune  relation  directe  avec 
celles  qui  accompagent  si  vulgairement  les  tics  convulsifs. 

J.,  notre  seconde  malade^  est,  comme  on  l'a  dit,  âgée  de  21  ans  seulement,  et 
chez  elle  les  tics  ont  commencé  à  paraître  à  l'âge  de  12  ans.  Ils  se  sont  pré- 
sentés d'abord  sous  la  forme  de  tics  vulgaires,  consistant  dans  de  brusques 
mouvements  des  paupières,  puis  ils  ont  occupé  la  tête  et  les  membres  supé- 
rieurs. —  Déjà  à  cette  époque,  les  bruits  laryngés  et  la  coprolalie  s'étaient 
accusés.  La  malade  ne  pouvait  pas  souffrir  qu'on  lui  poi'tât  inopinément  une 
main  sur  l'épaule,  sans  tressauter. 

Une  accalmie  s'est  produite  après  l'apparition  des  règles,  à  l'âge  de  13  ans. 
Elle  a  duré  jusqu'à  il  y  a  trois  ans;  à  cette  époque  J...,  qui  s'était  mariée 
à  17  ans,  éprouva  de  grandes  contrariétés.  Elle  eut,  bientôt  après,  une  fausse 
couche,  et  à  la  suite  les  tics  reparurent.Ua  accouchement  survint  il  y  a  un  an  ; 
et  c'est  à  ce  moment-là  que  les  mouvements  convulsifs  ont  acquis  l'intensité 
que  nous  leur  voyons  aujourd'hui.  Ils  se  montrent  depuis  lors,  tellement 
généralisés  et  tellement  continus  en  quelque  sorte,  qu'ils  simulent  jusqu'à 
un  certain  point  ainsi  qu'on  l'a  vu,  la  chorée  chronique.  L'écholalie  est 
actuellement  très  accusée  et,  de  plus,  la  malade  involontairement  répète  sou- 
vent à  haute  voix  les  paroles  qu'elle  entend  prononcer  autour  d'elle  (écho- 
lalie).  Elle  présente  aussi  de  l'échokinésie  ;  si  l'on  imite  devant  elle,  dans 
les  moments  où  elle  est  relativement  calme,  les  gestes  qu'elle  a  l'habitude 
de  faire,  elle  les  reproduit  malgré  elle  et  l'on  peut  provoquer  ainsi  un  accès 
de  mouvements  involontaires.  Il  y  a  encore  à  noter,  chez  elle,  de  l'arithmo- 
manie  :  il  lui  arrive  en  eflet  de  compter  automatiquement,  quand  elle  marche, 
les  pavés  sur  lesquels  elle  pose  les  pieds.  Elle  est  violente,  sujette  à  des  co- 
lères enfantines  survenant  pour  les  motifs  les  plus  futiles.  Le  soir,  elle  se  sent 
prise  de  terreurs  folles  et, avant  de  se  coucher,elle  examine  tous  les  recoins  de  la 
chambre  pour  s'assurer  que  personne  ne  s'y  trouve  caché.  —  Rien  d'ailleurs 
qui  ressemble  à  un  affaiblissement  réel  des  facultés  inlellectuclles.  Les  marques 


1    Voir  à  ce  sujcl,  les  leçons  du  mardi,    4887-1888—17  cl  24  juillet;  et  J.  Huet  ;  De  la  chorée 
chronique,  thèse  de  Paris,  1889, 


--   409  — 

nôvropatlii([ucs  ne  font  pas  défaut  dans  la  fainill*'.  M.iis  il  n'y  a  à  cet  égard 
rien  de  bien  accentué.  Sa  mère  est  très  nerveuse,  sujette  à  des  colères  sans 
frein  :  elle  a  plusieurs  fois,  dans  des  accès  de  jalousie,  cherché  à  s'empoi- 
sonner; son  grand-père  maternel  est,  assure-t-elle,  mort  de  chagrin  à  la  suite 
de  revers  de  fortune;  elle  a  un  frère  sujet  à  de  grands  emportements.  La 
chorée  chronique  ne  figure  pas,  comme  vous  voyez,  dans  les  accidents  héré- 
ditaires. 

Cette  histoire  abrégée  de  nos  deux  cas^  suffit,  je  pense,  pour  vous  permettre 
de  reconnaître  que  les  ressemblances  qui  paraissaient  au  premier  abord  les 
rapprocher  étroitement,  sont  tout  extérieures,  toutes  superficielles.  Elles 
sont  dans  la  forme  et  nullement  dans  le  fond.  Il  y  a  lieu  en  somme,  d'établir 
entre  les  deux  ordres  de  faits  une  séparation  radicale. 

Messieurs,  la  chorée  chronique  passe,  et  c'est  de  toute  justice  je  crois,  pour 
une  maladie  incurable;  son  évolution  est  fatale,  et  la  thérapeutique  est  im- 
puissante à  l'arrêter,  ne  fut-ce  qu'un  instant,  dans  sa  marche  progressive.  Il 
n'en  est  pas  tout  à  fait  de  même  de  la  maladie  des  tics  ;  elle  aussi  est  des  plus 
fâcheuses,  en  ce  sens  qu'on  ne  saurait  dire  qu'on  la  guérisse  jamais  ;  mais  on 
peut  compter  cependant  sur  des  temps  d'arrêt,  souvent  fort  longs,  sur  des 
attermoiements,  soit  spontanés,  soit  provoqués  par  une  thérapeutique  appro- 
priée; l'hydrothérapie,  la  gymnastique  rationnelle,  l'isolement  peuvent  être 
signalés  entre  autres,  parmi  les  moyens  capables  en  pareils  cas  de  rendre  des 
services.  Vous  voyez  qu'il  n'était  pas  sans  intérêt  d'apprendre  à  bien  distin- 
guer, l'un  de  l'autre,  deux  états  morbides  dont  le  pronostic  est  si  différent. 


3^  4"^  ET  5^  Malades. 


Dans  la  leçon  du  mardi  5  mars  de  cette  année  (p.  364\  en  vous  parlant 
de  Vabasie^  je  relevais  expressément,  que  malgré  l'unité  foncière  de  ce  syn- 
drome, les  phénomènes  qui  s'y  rattachent  ne  se  manifestent  pas  toujours 
dans  la  clinique  sous  le  même  aspect  et,  à  cet  égard,  il  y  a,  ajoutais-je,  à  con- 
sidérer un  certain  nombre  de  groupes  répondant  à  autant  de  types  sympto- 
matiques,  distincts  les  uns  des  autres. 

Je  suis  entré  dans  cette  même  leçon   dans  quelques  détails  fi   propos  du 


—  470  — 

groupe  de  l'abasie  trépidante,  dont  je  vous  présentais  un  bel  exemple,  et  j'y 
faisais  allusion,  en  passant,  au  groupe  de  l'abasie  choréiforme  ;  mais  j'avais 
signalé  tout  d'abord  «  les  cas  dans  lesquels  le  malade  qui  couché,  exécute, 
avec  les  membres  inférieurs,  tous  les  mouvements  de  l'état  normal,  se  trouve, 
lorsqu'il  veut  quitter  le  lit,  dans  l'absolue  impossibilité  de  se  tenir  debout,  ne 
fût-ce  qu'un  instant,  et  s'affaisse  sur  lui-même  ;  puis  le  même  malade,  immé- 
diatement après,  s'il  est  soutenu  par  deux  aides,  pourra  se  tenir  debout  ;  mais 
aussitôt  qu'il  s'agira  de  marcher,  les  membres  resteront  accolés  l'un  à  l'autre, 
sans  raideur  toutefois,  les  pieds  ne  se  détachant  du  sol  qu'avec  peine.  On 
dirait  alors  un  très  jeune  enfant  complètement  inexpérimenté  encore  dans 
l'exécution  du  mécanisme  de  la  marche,  qui,  soutenu  par  sa  nourrice,  s'exerce 
gauchement  à  esquisser  ses  premiers  pas  ».  Je  vous  ai  proposé,  vous  ne  l'avez 
peut-être  pas  oublié,  de  désigner  ce  groupe  de  faits  sous  le  nom  d'abasie  para- 
lytique. 

Ainsi,  à  côté  des  abasies  trépidante  et  choréiforme,  il  y  a  lieu  de  placer 
l'abasie  paralytique  et  justement  c'est  sur  un  exemple  du  dernier  genre  que 
je  vais  actuellement  appeler  votre  attention. 

Il  s'agit  d'un  homme  âgé  de  44  ans,  nommé  Cher... ni  qui  exerce  la  pro- 
fession d'artiste  dramatique.  Ses  antécédents  de  famille  sont  fort  significatifs 
et  méritent  d'être  relevés  avec  quelque  soin. 

Il  serait  le  petit-fils,  du  côté  paternel,  du  grand  musicien  qui  porte  le  même 
nom  que  lui  ;  sa  mère  le  lui  aurait  affirmé,  mais  un  mystère  semble  régner 
sur  ce  point. 

Son  père  était  artiste  dramatique  ;  il  a  été  tué  à  Blidah  en  1851,  lors  d'une 
révolte  des  Arabes.  Il  a  été  fort  peu  connu  de  son  fils,  qui  avait  à  peine  7  ans 
lorsque  cet  événement  eut  lieu. 

Du  côté  maternel  :  grand'mère  «  nerveuse  »,  c'est  tout  ce  qu'on  en  sait  ; 
elle  serait  morte  d'hémorragie  cérébrale.  Le  grand-père  de  ce  côté  n'a  pas  été 
connu  du  malade. 

Sa  mère  exerçait,  elle  aussi,  la  profession  d'artiste  dramatique.  Elle  se 
livrait  avec  excès  à  l'usage  des  boissons  alcooliques  :  elle  est  morte  à  l'âge  de 
57  ans,  à  l'hôpital  Saint-Antoine. 

Un  des  frères  de  sa  mère,  comédien,  avait  la  mauvaise  habitude  de  boire 
beaucoup  d'absinthe;  il  est  mort  également  à  l'hôpital  Saint-Antoine. 

Voici  maintenant  ce  qui  concerne  les  antécédrnts  personnels  de  notre 
homme.  Jusqu'à  l'âge  de  34  ans,  il  n'avait  jamais  été  malade;  sa  santé  était 
parfaite,  seulement  il  était  très  nerveux,  très  émotif;  d'ailleurs  élevé  par  sa 
mère,  dans  le  théâtre,  il  avait  été  excessivement  gâté  dans  son  enfance.  Il 
pleurait  pour  les  motifs  les  plus  futiles.  Il  lui  arrivait  souvent  au  théâtre, 
quand  il  y  allait  comme  spectateur,  de  pleurer  au  moment  des  scènes  pathéti- 
ques :  le  cœur  lui  battait,  il  se  sentait  serré  à  la  gorge  et  se  mettait  à  san- 
i^lotor.  Par  un  contraste^  singulier,  quand  il  est  au  delà   de  la  raiiipo,  faisant 


—  471   — 

son  métier  d'acteur, il  ne  s'énicul  jamais  hors  de  propos,  comme  comédien.  Il 
joue  les  comiques,  les«  queux-rouges  »  comme  on  dit  dans  le  métier;  Arnal 
et  Aicide  Touzé  sont  les  types  dont  il  essaie  de  se  rapprocher.  Il  n'a  jamais 
pu  par  suite,  dit-il,  d'un  vice  de  prononciation,  aborder  les  personnages 
sérieux.  11  n'est  jamais  parvenu  d'ailleurs,  dans  sa  profession,  à  s'élever  au- 
dessus  des  rangs  les  plus  modestes. 

Les  premiers  accidents  nerveux  bien  caractérisés  qu'il  ait  éprouvés  remon- 
tent à  dix  ans.  Il  apprit  à  cette  époque-là  que  sa  femme  le  trompait  :  il  en 
éprouva  un  très  violent  chagrin,  et  un  jour  en  sortant  d'une  répétition,  il 
sentit  quelque  chose  qui  lui  montait  à  la  gorge  et  l'étoufTait.  Peu  après  survin- 
rent dos  battements  dans  les  tempes,  puis  un  tremblement  général  très 
violent,  entrecoupé  de  sursauts,  de  brusques  détentes  :  pas  de  perte  de  con- 
naissance. La  crise  se  calmait  de  temps  à  autre  ;  puis  les  accidents  nerveux 
reparaissaient  comme  de  plus  belle.  Pendant  près  de  8  jours,  il  a  du  rester  à 
la  chambre. 

A  partir  de  cette  époque,  des  attaques  analogues  se  sont  reproduites,  une 
fois  tous  les  six  ou  huit  mois,  toujours  à  la  suite  de  contrariétés  et  d'émo- 
tions, et  c'est  à  peu  près  constamment  vers  minuit  ou  une  heure  du  matin, 
après  le  spectacle,  qu'elles  ont  éclaté. 

C'est,  il  y  a  deux  ans,  en  avril  1887,  encore  à  la  suite  d'une  grande  émo- 
tion, que  s'est  pour  la  première  fois  produit  le  syndrome  abasle  paralijtir/ue 
que  nous  allons  pouvoir  étudier  dans  un  instant.  Ch...  ni  était  alors  à  Angou- 
lême, régisseur  d'un  concert-théâtre  où  il  jouait  la  comédie  et  chantait. Il  apprit 
tout  à  coup  que  le  régisseur  de  cet  établissement,  ayant  fait  de  mauvaise 
affaires,  s'était  enfui  subrepticement.  Alors  survint  une  de  ces  crises  de  trem- 
blement précédé  d'une  aura  caractéristique,  auxquelles  il  était  devenu  sujet 
depuis  8  ans  :  celle-ci  dura  environ  2  jours  ;  pendant  ce  temps  le  malade  ne 
put  pas  quitter  le  lit. 

Les  accidents  nerveux,  au  bout  de  cette  période,,  s'étant  amendés,  il  voulut 
un  matin,  se  croyant  guéri,  se  lever  pour  retourner  à  ses  occupations,  mais  à 
son  grand  désappointement,  à  peine  ses  pieds  avaient-ils  touché  le  sol,  quil 
s'affaissa  et  tomba  lourdement  sur  les  genoux.  L'abasie  et  l'astasie  s'étaient 
constituées  telles  que  nous  les  retrouvons  aujourd'hui  :  en  effet,  il  est  parfaite- 
ment établi  par  le  récit  du  malade  que,  lors  de  cette  première  atteinte,  les 
membres  inférieurs,  qui,  lorsqu'il  s'agissait  de  la  station,  ne  pouvaient  pas  le 
supporter,  étaient  capables  cependant,  dans  le  lit,  d'exécuter  tous  les  mouve- 
ments possibles  avec  force  et  précision.  L'abasie-astasie  a  duré  alors  près  de 
quatre  mois,  durant  lesquels  il  ne  s'est  pas  produit  de  nouvelles  crises  de 
tremblement,  précédées  d'aura.  Le  malade  a  été  traité  à  l'hôpital  d'Angou- 
lême  ;  les  applications  de  pointes  de  feu,  les  bains  alcalins,  sulfureux,  sont 
les  principaux  agents  qui  y  ont  été  employés.  L'amélioration  ne  s'est  produite 
que  très  lentement,  progressivement.  Le  fait   est  que,  pendant  deux  mois,  le 

64 


—  472  — 

séjour  au  lit  a  été  à  peu  près  absolu  et  que,  pendant  deux  autres  mois,  la 
station  et  la  progression  n  ont  été  possibles  qu'avec  le  secours  de  béquilles. 
Puis  vint  une  période  où  la  marche  pouvait  s'exécuter  simplement  à  l'aide, 
d'une  canne.  Mais  il  importe  de  remarquer  que  jamais  depuis  lors,  la  gué- 
rison  n'a  été  absolument  complète. 

Il  a  été  impossible  à  Gh...ni,  depuis  cette  époque,  de  remonter  sur  la 
scène,  et  il  a  dû  se  résigner  à  faire  le  métier  de  régisseur  dans  les  cafés-con- 
certs. C'est  qu'en  efTet, bien  qu'il  pût  se  tenir  debout  etmarcher,run  ou  l'autre 
de  ses  membres  inférieurs  était  exposé  à  se  dérober  sous  lui,  de  temps  en 
temps,  inopinément,  et  plusieurs  fois  ces  effondrements  l'ont  précipité  à  terre. 

Les  choses  étaient  ainsi,  lorsqu'à  la  fm  de  l'année  dernière^  le  13  novem- 
bre 1888,  en  apprenant  une  nouvelle  perte  d'argent,  qui  cette  fois  le  plon- 
geait définitivement  dans  la  misère,  i]  fut  pris  derechef  d'une  crise  de  trem- 
blements semblable  aux  précédentes,  et  qui,  elle  aussi,  se  répéta  à  peu  près 
incessamment  durant  une  période  de  deux  ou  trois  jours.  Au  bout  de  ce  temps, 
les  crises  ayant  cessé,  le  malade  voulut  sortir  du  lit,  mais  l'astasie  s'était  re- 
produite dans  toute  son  intensité  première  et,  aujourd'hui,  nous  retrouvons, 
après  huit  mois,  le  syndrome  dont  il  s'agit,  tout  aussi  développé  qu'il 
l'était  à  l'origine. 

Vous  reconnaîtrez  facilement,  messieurs,  que  lorsque  notre  malade  est  cou- 
ché sur  le  brancard,  ou  assis  sur  une  chaise, les  divers  mouvements  qu'on  lui 
prescrit  sont  exécutés  par  ses  membres  inférieurs  avec  une  énergie  et  une 
précision  qui  ne  laisse  rien  à  désirer,  aussi  bien  lorsque  les  yeux  sont  ouverts 
que  lorsqu'ils  sont  clos.  J'ajouterai  que  l'exploration  de  ces  membres  ne  fait 
reconnaître  aucune  particularité  indiquant  l'existence  soit  de  l'ataxie  loco- 
motrice, soit  au  contraire  de  la  paraplégie  spasmodique  ;  ainsi,  les  réflexes 
sont  présents  ;  ils  ne  sont  pas  exagérés;  il  n'y  a  pas  de  rigidité  des  mem- 
bres ;  le  phénomène  du  pied  n'existe  pas  ;  pas  de  douleurs  dans  ces  membres; 
pas  de  troubles  urinaires,  etc.,  rien  en  un  mot  qui  révèle  l'une  quelconque 
des  lésions  organiques  spinales  connues. 

Il  y  a  à  observer  seulement, dans  ces  membres, un  léger  tremblement  vibra- 
toire, qui  existe  également  dans  les  membres  supérieurs,  et  qui,  bien  qu'il 
s'exagère  manifestement  à  l'occasion  des  divers  mouvements  exécutés,  ne  les 
trouble  pas  notablement. 

Maintenant  deux  personnes  sont  forcées  de  soulever  Ch...  et  de  le  soutenir 
sous  les  aisselles,  afin  qu'il  puisse  essayer  de  se  tenir  debout.  Vous  voyez  que 
la  station  est  impossible  et  que,  dans  les  efl*orts  qu'il  fait  pour  se  tenir  sur  ses 
membres  inférieurs,  ceux-ci  se  placent  dans  l'extension  puis,  un  peu  après,  se 
fléchissent  au  niveau  des  genoux,  de  façon  que  les  pieds  ne  portent  plus  sur  le 
sol.  C'est  là,  vous  l'avez  compris,  le  phénomène  de  l'astasie  dans  toute  sa 
singularité.  Celle-ci  implique  nécessairement  l'abasie  ;  car  on  ne  saurait  mar- 
cher, (lu  moins  de  la  marche   ordinaire,  lorsqu'il  est   impossible  de  se  tenir 


—  473  — 

doboiiL  Mais,  rcmarquez-lc  bien  —  car  c'est  là  un  Irait  hion  particulier  —  l'im- 
piiissaiico  motrice  ii'cist  pas  relative,  chez  notre  homme,  à  tous  les  modes  de 
station  ou  de  i)rogrcssion:  ainsi  nous  lui  prescrivtjns  de  se  mettre  à  genoux  ; 
vous  voyez  qu'il  est  capable  de  se  tenir  fort  bien,  dans  cette  [iosition,  le  tronc 
droit  et  sans  que  les  fesses  portent  sur  ses  talons  et  si  nous  lui  disons  de  pro- 
gresser ainsi,  il  exécute  ce  genre  démarche,  sans  difficulté  et  sans  l'inter- 
vention de  mouvements  contradictoires  ;  il  progresse  aussi,  vous  le  voyez, 
s<  à  quatre  pattes  »  à  peu  près  comme  le  ferait  un  sujc-t  normal.  Knfin,  étant 
assis  sur  une  chaise,  il  peut,  se  transporter,  cette  fois,  à  peu  près 
sans  le  secours  des  membres  inférieurs,  par  des  mouvements  qu'il  imprime 
à  son  siège  à  l'aide  des  mains. 

Telle  est,  messieurs,  Tastasie-abasie  paralytique  :  c'est  sous  cette  forme,  je 
vous  l'ai  dit,  que  le  syndrome  m'est  apparu  la  première  fois  que  je  l'ai 
remarqué.  C'était  chez  un  jeune  garçon  âgé  d'une  douzaine  d'années  (i). 
Je  suis  porté  à  croire  qu'il  se  rencontre  à  cet  âge  plus  fréquemment  que 
chez  ladulto. 

Tout  récemment,messieurs,leD''Brunon  a  publié  dans  le  n"  9^(1"  mai  1889), 
de  lu  Normandie  médicale  un  intéressant  exemple  de  ce  genre  dont  je  crois 
devoir  vous  faire  connaître  les  principaux  traits  ;  il  rappelle  de  tous  points 
notre  cas  d'aujourd'hui,  bien  qu'il  s'agisse  d'un  enfant  de  8  ans. 

Au  sortir  d'une  éruption  papuleuse  discrète,  qui  fut  désignée  sous  le  nom 
de  rougeole,  bien  qu'il  n'y  eut  pas  de  fièvre,  on  remarqua  que  cet  enfant  «  ne 
tenait  pas  sur  ses  jambes.  Il  lui  était  en  effet  impossible  de  marcher  et  de 
se  tenir  debout.  Quand  on  essayait  de  le  mettre  sur  ses  pieds,  ses  membres 
inférieurs  fléchissaient  et  se  dérobaient  sous  lui.  Il  serait  tombé  si  on  ne 
l'avait  pas  soutenu  sous  les  bras  ».  L'enfant  étant  replacé  sur  son  lit,  dans  le 
décubitus  dorsal,  rien  ne  pouvait  faire  remarquer  dans  les  membres  infé- 
rieurs, un  trouble  fonctionnel  quelconque.  Sans  effort,  il  soulevait  les  mem- 
bres au-dessus  du  plan  du  lit.  Pas  la  moindre  apparence  d'ataxie,  le  pied 
était  dirigé  très  sûrement  vers  le  point  que  l'on  désignait  avec  la  main  ; 
l'enfant  se  faisait  un  jeu  de  cet  exercice.  Les  réflexes  étaient  normaux.  Les 
fonctions  des  réservoirs  étaient  intactes.  «  Pendant  quatre  jours  l'examen, 
â  la  visite  du  matin,  donne  les  mômes  résultats.  Deux  élèves  étaient  obligés 
de  soutenir  l'enfant  sous  les  bras  et  quand  on  lui  disait  de  marcher,  les 
jambes  s'agitaient  comme  celles  d'un  enfant  en  lisières,  il  riait  lui-même  en 
regardant  ses  pieds...,»  quelques  jours  après,  il  y  avait  un  progrès  notable. 
L'enfant  pouvait  marcher  seul,  mais  très  lentement.  Les  progrès  furent 
ensuite  très  rapides. 
Il  semble,  d'après   ce  que   j'ai  vu,  qu'à  cet  âge  l'astasie  paralytique  ait  une 


1.   Lcron  (lu  rn.iidi  .")  tniirs  1889.  iù*"  lo(;on,  p.  3(3  ). 


—  474  — 

tendance  habituelle  à  se  terminer  rapidement  par  la  guérison;  il  n'en  est  pas 
tout  à  fait  de  même  chez  l'adulte,  et  je  vous  ferai  remarquer^  à  ce  propos, 
que  chez  notre  homme,  elle  dure  déjà  depuis  8  mois  et  ne  paraît  pas  prête  à 
s'amender. 

Le  plus  souvent,  autant  qu'on  sache,  l'abasie  et  l'astasie,  quelle  qu'en  soit 
la  forme,  doivent  être  considérées  comme  se  rattachant  à  la  diathèse  hystéri- 
que ;  mais  le  plus  communément,  à  ce  qu'il  parait,  elle  se  présente  là  à  titre 
de  manifestation  isolée,  sans  concomitance  de  stigmates  sensitivo-sensoriels 
ou  d'attaques  (1).  Il  n'en  est  pas  ainsi  chez  notre  homme;  chez  lui,  d'abord, 
les  attaques  avec  aura  caractéristiques  sont  chose  vulgaire  et  de  plus,  en  fait 
de  symptômes  permanents,  il  y  a  à  noter  une  hémianalgésie  droite,  avec 
anesthésie  très  nette  de  la  cornée  de  ce  même  côté,  mais  sans  rétrécis- 
sement bien  marqué  du  champ  visuel  ;  un  tremblement  des  extrémités  dont 
il  a  déjà  été  question  et  enfin  une  diminution  du  goiH  et  de  l'odorat,  sur  la 
moitié  droite. 

INotre  homme  est  donc  manifestement  un  hystérique,  tout  ce  que  nous  ob- 
servons chez  lui,  l'astasie  comme  le  reste,  relève  de  l'hystérie,  et  c'est  comme 
hystérique  qu'il  devra  être  traité  à  l'aide  des  moyens  que  nous  avons  en  notre 
possession, et  sur  l'application  desquels  il  nous  paraît  inutile  d'insister  à  nou- 
veau ,  pour  le  moment. 

Je  ne  voudrais  pas  abandonner  ce  sujet  de  l'abasie  paralytique  sans  vous 
signaler  les  difficultés  qu'il  pourrait  y  avoir,  dans  certains  cas  particuliers,  à 
la  distinguer  de  ce  que  l'on  pourrait  appeler  l'abasie  ou  l'astasie  relevant 
d'une  lésion  organique  du  cervelet.  C'est,  vous  l'avez  compris,  àce  qu'on  appelle 
l'ataxie  ou  incoordination  cérébelleuse  que  je  fais  allusion  ici.  Et  vous  savez 
qu'elle  s'observe  surtout  dans  les  cas  où  il  y  a  participation  du  vermis.  Dans 
ces  cas,  comme  dans  ceux  que  nous  étudions  ici,  le  malade  étant  au  lit,  peut, 
vous  le  savez,  déployer  dans  les  mouvements  de  ses  membres  inférieurs  une 
grande  force  musculaire  et  il  n'existe  dans  ces  mouvements  aucune  trace  d'in- 
coordination; mais,  lorsqu'il  est  question  de  se  tenir  debout  et  de  marcher, 
c'est  tout  autre  chose.  Deux  cas  peuvent  alors  se  présenter:  tantôt  le  malade  peut 
encore,  tant  bien  que  mal,  se  tenir  debout  et  marcher  tout  en  titubant  comme 
un  homme  ivre  et  alors  le  diagnostic  est  en  général  facile.  D'autres  fois,  la  sta- 
tion et  la  marche  sont,  comme  dans  notre  cas  d'aujourd'hui,  absolument 
impossibles,  et  lorsque  le  sujet,  étant  soutenu  sous  les  aisselles,  fait  des  efforts 
pour  se  tenir  debout,  il  s'affaisse  sur  lui-même.  Il  ne  serait  pas  difficile  de 
trouver  dans  la  science  un  certain  nombre  d'exc^mples  de  lésions  cérébelleuses, 
accompagnées    de    cette  impuissance   motrice  relative   à  la  marche,   i'ai)|)e- 

1.  Voir  la  16*  leçon,  p.  3'i7 


—  475  — 

lant  vous  le  voyez,  la  symptomalologie  du  syndrome  astasie  paralytique  (i). 
Ici  l'œuvre  de  diagnostic  pourra  rencontrer  des  difficultés  très  sérieuses  et, 
pour  la  mener  à  bien,  il  faudra  le  plus  souvent  considérer  les  circonstances 
concomitantes:  c'est  ainsi  que  les  douleurs  de  tête  fixes  et  intenses,  accompa- 
gnées de  vomissements,  la  présence  d'une  névrite  optique,  les  vertiges  de 
translation,  etc.,  révéleraient  la  lésion  cérébelleuse,  tandis  que  la  coexistence 
des  stigmates  sensitivo-sensoriels  ou  d'attaques  caractéristiques  contribuerait 
à  démasquer  l'origine  hystérique  des  accidents. 

11  importait  de  vous  signaler  cctécueil,que  vous  rencontrerez  peut-être  plus 
d'une  fois,  dans  la  pratique,  et  qu'il  vous  faudra  chercher  à  éviter  à  tout  prix. 

Les  circonstances  m'amènent,  messieurs,  à  vous  parler  maintenant  de  deux 
autres  cas  d'abasie  qui  ont  été  ces  jours-ci  admis  dans  le  service.  Vous  voyez 
comment  des  faits  cliniques,  qu'on  croyait  des  plus  rares,  semblent  tendre  à 
devenir  presque  vulgaires,  lorsqu'on  a  appris  à  les  reconnaître  et  qu'ils  ont 
enfin  fixé  l'attention.  Cette  fois,  comme  dans  l'exemple  qui  a  fait  le  sujet  de 
notre  16°  leçon  de  la  présente  année  c'est,  dans  les  deux  cas,  de  l'abasie 
trépidante  qu'il  s'agit. 

Le  premier  est  relatif  à  un  homme  de  49  ans  nommé  Sal...ès,  autrefois  con- 
tremaître dans  une  fabrique  de  papiers  peints^  à  Epinal. 

Vous  constatez,  [-ar  la  démonstration  que  j'en  fais  devant  vous,  que  chez 
lui  le  syndrome  abasie  est  quelque  peu  efïacé;,  en  ce  sens  qu'il  n'est  point 
permanent.  Vous  retrouvez  bien  ce  contraste  entre  l'intégrité  parfaite  des 
mouvements  des  membres  inférieurs  lorsque  le  malade  est  couché  ou  assis,  et 
leur  vicieuse  adaptation  aux  mouvements  de  la  marche  qui  constitue,  en 
somme,  le  caractère  le  plus  saillant  du  trouble  abasique;  mais  cette  incoordi- 
nation spéciale  à  la  marche,  je  le  répète,  ne  se  montre  pas  constante  :  il  faut 
souvent,  pour  la  mettre  en  relief,  la  provoquer  à  l'aide  de  certains  artifices. 
En  général,  elle  s'accuse  très  évidente  quand  le  malade,  après,  avoir  marché 
pendant  quelque  temps,  se  prépare  à  s'asseoir,  ou  encore  lorsqu'étant  assis  il 
se  lève  et  se  prépare  à  marcher.  Dans  ces  circonstances-là, on  voit  se  dessiner 
parfaitement  cette  progression  trépidante  que  nous  avons  minutieusement 
décrite,  à  propos  du  cas  de  Ro...el,  dans  la  leçon  du  mardi 5  mars,  à  laquelle 
je  vous  renvoie  pour  les  détails  (2),  Elle  se  manifeste  encore  à  coup  sûr  quand 
il  essaie  de  marcher  à  reculons  et  aussi  lorsque,  pendant  qu'il  s'avance,  mar- 
chant à  peu  près  régulièrement,  on  cherche  à  lui  faire  obstacle  en  appliquant 
légèrement  une  main  sur  le  devant  de  sa  poitrine.  Il  s'agit  donc  là  en  quelque 

1.  Voir  sur  ce  sujet  de  l'astasie  céi-éhelleuse,  Dreschfeld,  Five  Cases  of  cerebel/ar  Disen^ic 
1882.  —  Cuvrion,  Hémorroffie  cérébelleuse.  Thèsede  Paris,  1875.—  Bernhdirdi.  lUm  (Jeschivulsle 
p.  239,  lîerliii.  —  Voii-  oussi  Dur henno  de   lîoulogno  ot  Nothnaurel. 

2.  Le(;  ):\;  cla  iiiudi   1 -^s'.',  p.  :},'>()- '3ô 7 . 


—   170  — 

sorte  d'un  état  mixte,  rappelant  ce  qu'on  voit  dans  les  cas  ou  l'abasie,  après 
s'être  montrée  absolue  pendant  une  période  de  temps  plus  ou  moins  longue, 
commence  à  s'amender  :  alors  les  phénomènes  de  la  marche  normale  repa- 
raissent par  épisodes,  d'abord, puis  ils  tendent  progressivement  à  se  substituer 
aux  phénomènes  anormaux  pour  prendre  enfin  décidément,  à  un  moment 
donné,  le  dessus  D'ailleurs,  chez  notre  homme,  vous  retrouvez  cette  facilité  à 
progresser  à  quatre  pattes,  ou  à  pieds  joints  que  nous  avons  signalée  déjà 
dans  d'autres  circonstances. 

Voilà  pour  le  côté  descriptif;  il  s'agit  maintenant  de  faire  connaître  les 
conditions  dans  lesquelles  s'est  développé  ici  le  syndrome  abasie,  et  de  cher- 
cher à  en  déterminer  la  signification  clinique,  si  possible.  Pour  ce  faire,  il  nous 
faut  exposer,  ne  fût-ce  qu'en  quelques  mots,  les  principaux  traits  de  l'histoire 
de  notre  malade, 

Il  y  a  chez  lui  quelques  antécédents  héréditaires  à  signaler  :  la  mère  serait 
morte  d'une  maladie  de  la  moelle  épinière  ;  ses  jambes  étaient  complètement 
paralysées  et,  dans  les  derniers  temps,  il  s'était  produit  chez  elle  une  large  plaie 
à  la  région  sacrée.  Un  de  ses  cousins  germains,  du  côté  maternel,  a  été  un 
grand  buveur  d'absinthe.  Il  était  sujet  à  des  accès  «  de  manie  furieuse  ».  Puis 
Taliénation  serait  devenue  permanente. 

Lui-même  pendant  son  enfance,  vers  l'âge  de  6  ou  7  ans,  aurait  été  sujet 
à  des  hallucinations  hypnagogiques  terrifiantes  ;  il  voyait  souvent,  avant  de 
s'endormir  apparaître  devant  lui  un  fantôme  vêtu  de  blanc.  Plus  tard  il  a 
toujours  été  excessivement  émotif,  colère,  emporté,  se  chagrinant  pour  des 
riens  et  pleurant  pour  les  motifs  les  plus  futiles. 

Il  n'avait  jamais  été  malade  cependant,  à  proprement  parler^  lorsqu'il  y  a 
huit  ans,  il  fut  tout  à  coup,  sans  perte  de  connaissance,  frappé  d'une  hémiplé- 
gie qui  prédomina  dans  le  membre  inférieur  gauche  et  le  retint  trois  jours  au 
lit.  La  paralysie  motrice  ne  fut  pas  de  longue  durée  et,  depuis  longtemps,  il 
n'en  reste  plus  de  traces  ;  mais  dès  l'origine^  des  troubles  cérébraux  sérieux 
se  sont  produits  et  depuis,  ils  ont  persisté  toujours  à  un  certain  degré,  si  bien 
que  tout  travail  lui  est  devenu  complètement  impossible. 

La  mémoire  surtout  a  été  profondément  altérée  ;  elle  l'est  encore  aujour- 
d'hui à  peu  près  au  même  degré.  Il  embrouille  tous  les  événements  de  sa  vie  et 
ne  se  souvient  pas  le  lendemain  de  ce  qu'il  a  dit  ou  fait  la  veille  ;  dans  l'es- 
pace de  quelques  minutes  il  répète  dix  fois  la  même  chose, et  souvent  il  hésite, 
bredouille  et  émet  des  paroles  incohérentes.  En  somme,  c'est  un  être  désor- 
mais fort  dégradé  intellectuellement  et  devenu  totalement  incapable  de  se 
conduire  lui-même  ;  c'est  un  dément. 

Dans  quelles  circonstances  les  phénomènes  abasiques  se  sont-ils  produits 
chez  lui?  c'est  ce  qu'il  a  été  impossible  d'établir.  Sa  femme  assure  qu'elle  les  a 
remarqués  il  y  a  deux  ou  trois  ans  déjà  et  que,  depuis  cette  époque,  ils  n'ont 
pas  cessé  d'exister  tels  que  nous  les  retrouvons  aujourd'hui.  Il  ne   paraît  pas 


—  .477 


qu'à  cette  époque  aucun  incident  soit  survenu,capable  d'en  expliquer  le  déve- 
loppement. L'examen  attentif  que  nous  avons  fait  du  sujetlors  de  son  admission 
à  l'hôpital  nous  a  fait  reconnaître  ce  fjui  suit  :  il  existe  un  rétrécissement  du 
cliaiiip  visuel  ti-ès  di'veloppé  dans  l(3s  doux  yeux,  à  40"  (voir  le  schéma;,   sans 


D 


G 


N..'. 


Fiff.  100. 


dyschromatopsie,  sans  diplopie  monoculaire,  et  en  outre  une  hyperesthésîe 
superficielle  et  profonde  répandue  sur  la  plus  grande  partie  de  la  moitié 
gauche  du  corps.  La  tête  seule  ,  et  les  extrémités,  main  et  pied,  sont  ex- 
ceptés. Les  frictions,  même  légères,  sont  très  douloureuses,  vraiment  insup- 
portables sur  la  scrotum  et  le  testicule  gauche,  sur  le  cordon  et  dans  les 
régions  avoisinantes  ;  pli  de  l'aine,  flanc,  hypogastre.  Néanmoins,  quelque 
insistance  que  Ton  mette  à  pincer,  à  comprimer  les  régions  en  question,  on 
ne  provoque  pas  les  symptômes  de  l'aura  hystérique.  Celle-ci  ne  se  manifeste 
pas  non  plus  spontanément,  et  il  n'y  a  rien  dans  l'histoire  classi(iue  du  cas 
qui  ressemble  à  des  attaques.  —  Pas  d'anesthésie  pharyngée,  le  goût,  l'odorat, 
l'ouïe  sont  à  l'état  normal  des  deux  côtés.  La  paralysie  motrice  d'autrefois, 
ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  n'a  laissé  aucune  trace,  aucune  modification 
des  réflexes  tendineux  dans  les  membres  du  côté  gauche.  Le  dynamomètre 
donne  ^6*  pour  la  main  droite  et  25  pour  la  main  gauche. 

Vous  avez  certainement  compris,  messieurs,  que  la  question  à  résoudre 
est  celle-ci  :  l'hémi-hyperesthésie  ainsi  que  le  rétrécissement  du  champ 
visuel  que  nous  venons  de  signaler,  sont-ils  l'expression  d'un  état  hysté 
rique  développé  ily  a  deux  ou  trois  ans  et  auquel  serattacherait  à  titre  de  consé 
queuce  plus  ou  moins  directe,  le  syndrome  abasie;  ou,  au  contraire,  ces 
troubles  sensitifs  et  sensoriels  relèvent-ils  d'une  lésion  organique  en  foyer, 


-  478   - 

localisée  dans  les  parties  postérieures  de  la  capsule  interne  de  façon  à  in- 
téresser surtout  le  faisceau  sensitif?  Dans  ce  dernier  cas,  les  troubles  de  la 
sensibilité    en    question     seraient    vraisemblablement    contemporains  des 


¥\g.  101.  Fig.  102. 

Dislribulion  et  intensité  de  rilypercslhésic  suivant  les  régions. 


troubles  moteurs  hémiplégiques,  survenus  il  y  a  huit  ans,  et  qui  reconnai- 
traientlamômeoriî'ine  :  seulementlalésionorganique,  probablement  un  foyer 
de  ramollissement  ischémique  localisé,  comme  on  Ta  dit,  dans  lapartie  posté- 
rieure de  la  capsule,  n'aurait  affecté  le  faisceau  moteur  que  légèrement,  tran- 


—  Alii  — 

sitoirement,  par  compression,  tandis  qu'elle  aurait  compromis  plus  ^'ravement 
et  d'une  farori  peut-être  définitive,  le  faisceau  sensitiffl  .  Dans  la  seconde 
hypothèse,  à  laquelle  je  suis  fort  enclin  à  me  rattacher.bien  que  je  ne  me  sente 
pas  en  mesure,  je  l'avoue,  de  l'établir  sur  des  arguments  absolument  décisifs, 
quelle  serait  la  raison  de  la  coexistence  du  syndrAme  abasie  ? 

Il  n'est  guère  douteux,  ainsi  que  je  vous  le  disnis  dans  la  leçon  du  5  mars 
à  laquelle  je  vous  ai  renvoyés  déjà  (2)  que^,  dans  la  grande  majorité  des  cir- 
constances,l'abasîe  relève  de  l'hystérie.  '^  Mais,ajoutais-je,il  faut  compter  sur 
les  anomalies  possibles.  S'il  est  vrai  en  efîet,  comme  tout  porte  à  le  croire, 
que  les  groupes  cellulaires  divers  qui  président  aux  mouvements  spécifiés, 
pour  la  marche,  la  station,  le  saut,  etc.,  constituent  dans  l'axe  cérébro-spinal 
autant  de  centres  distincts,  topographiquement  comme  fonctionnellement, 
les  uns  des  autres,  on  peut  concevoir  que  chacun  de  ces  groupes  puisse  être 
plus  ou  moins  gravement  intéressé  par  une  lésion  organique.  >->  Mais  comme 
il  est  vraisemblable  qu'en  pareil  cas,  la  lésion  ne  sera  pas  étroitement  loca- 
lisée dans  tel  ou  tel  des  centres  en  question  et  s'étendra  aux  parties  voisines, 
on  devra  s'attendre  à  la  voir  se  traduire,  pendant  la  vie,  par  un  ensemble  de 
phénomènes  complexes  parmi  lesquels  l'abasie  pourra  figurer  à  titre  d'élé- 
ment concomitant. 

Or  c'est  justement  ce  qui  se  sera  produit,  je  pense,  chez  notre  homme  ; 
l'abasie  figure  chez  lui,  je  le  suppose,  comme  le  résultat  d'une  extension  des 
lésions  primitivement  développées  dans  la  capsule  interne  et  probablement 
dans  les  régions  antérieures  des  hémisphères,  lésions  d'où  relèvent  l'hémi- 
plégietransitoire,rhémi-hyperesthésie  et  les  troubles  psychiques.  Cette  exten- 
sion aura  eu  pour  résultat  d'intéresser  certaines  régions  encéphaliques  non 
encore  connues,  mais  que  l'étude  méthodique  de  cas  semblables  au  nôtre  per- 
mettra sans  doute  de  déterminer  un  jour.  J'ai  l'impression,  ajouterai-je,  que 
si  la  démarche  «  à  petits  pas  »  bien  connue  comme  s'observant  chez  certains 
sujets  atteints  de  ramollissement  cérébral  en  foyer,  avec  ou  sans  localisation 
hémiplégique,  était  étudiée  plus  attentivement  qu'elle  ne  l'a  été  jusqu'à  ce 
jour,  on  y  trouverait  probablement,  associés  peut-être  à  d'autres  troubles 
moteurs,  les  éléments  du  syndrome  abasie  trépidante. 

Mais  je  ne  voudrais  pas  insister  plus  longuement  sur  ce  fait  clinique,  dont 
l'intérêt  principal  est  qu'il  nous  conduit  à  signaler  des  questions  pendantes, 
des  desiderata,  et  qu'il  montre  bien  que  dans  la  séméiologie  des  troubles  de 
la  marche,  il  reste  beaucoup  à  faire. 


1.  Sur  l'hémianesthésic  sensitivc  et    sensorielle    par  lésion    de  la  capsule  interne,  voir  les 
Leçons  de  mardH887-1888.  pp.  288-296  et  l'appendice,  p.  586. 

2.  1889,  p.  367. 

«5 


—  480  — 

J'en  viens  donc  à  l'exposé  du  second  fait,  où  nous  allons  rencontrer  encore, 
ainsi  que  je  vous  l'ai  annoncé, le  syndrome  abasie  trépidante. 

Le  sujet  est  ce  brave  homme,  âgé  de  75  ans,  nommé  Cr...t,  que  je  viens  de 
faire  paraître  devant  vous.  Il  est  d'aspect  vigoureux,  vous  le  voyez,  et  commeon 
dit,  parfaitement  conservé  pour  son  âge,  du  moins  en  apparence.  Voici  son 
histoire  en  abrégé;  elle  est  fort  simple,  du  reste,  vous  allez  le  reconnaître. 

Il  n'y  a  pas  dans  la  famille  d'antécédents  héréditaires  qui  méritent  d'être 
signalés.  Jamais^  àpartune  fièvre  d'Afrique,  Cr...t,  n'a  subi  de  maladie.  Il  a 
servi  comme  soldat  en  Afrique  pendant  douze  ans,  de22à34ans;  de34  à  56  ans 
il  a  été  employé  comme  gardien  de  prison  à  Melun,  et  de  56  à  68  ans  comme 
surveillante  Mazas.  Il  a  pris  sa  retraite  en  1882.  «  J'ai  toujours  eu,  dit-il, 
une  santé  magnifique.»  C'est  un  homme  régulier,  marié,  père  de  deux  enfants  ; 
il  n'a  connu  ni  la  syphilis,  ni  l'alcoolisme.  Il  paraît  très  soumis  aux  pratiques 
de  l'hygiène;  il  a  toujours  fait  un  fréquent  usage  du  tub  et  des  bains  de 
rivière.  11  n'est  pas  du  tout  ce  qu'on  appelle  un  nerveux  et  n'a  jamais  donné 
de  signes  d'émotivité  maladive.  Il  ne  paraît  présenter,  à  l'heure  qu'il  est^ 
aucune  marque  de  déchéance  intellectuelle  autre  que  celle  que  la  sénilité 
entraîne  à  peu  près  nécessairement  avec  elle. 

Les  premiers  désordres  relatifs  aux  mouvements  de  la  marche  ont  com- 
mencé à  paraître  chez  lui  il  y  a  six  ans,  sans  cause  connue,  progressivement, 
sans  accompagnement  de  vertiges  ou  de  troubles  cérébraux  quelconques.  Il 
se  produisit  alors,  dans  les  mouvements  de  la  hanche  gauche,  une  certaine 
génc  accompagnée  d'un  sentiment  de  pesanteur  qui  l'obligeait  lorsqu'il  montait 
un  escalier  à  s'appuyer  sur  le  mur,  de  la  main  gauche.  En  marchant,il  y  avait 
une  légère  boiterie,  ou  plutôt  un  certain  désordre  de  la  marche,  consistant 
principalement  en  ce  que  toujours  il  était  forcé  de  porter  le  premier  le  pied 
gauche  en  avant,  le  pied  droit  suivant  par  derrière;  il  procédait  ainsi  à  petits 
pas.  Le  membre  supérieur  gauche  n'a  jamais  présenté,  dans  l'exécution  des 
mouvements,  aucun  trouble  appréciable. 

Les  choses  sont  restées  telles  quelles  pendant  cinq  ans;  c'est  il  y  a  huit 
mois  seulement  que  l'état  actuel  s'est  constitué,  encore  sans  qu'aucune  cause 
occasionnelle  puisse  être  invoquée.  Cr...t  a  commencé  à  ressentir,  â  cette 
époque,  un  sentiment  de  pesanteur  à  la  nuque  et  à  l'occiput,  sur  les  épaules 
et  le  devant  de  la  poitrine.  «  Il  lui  semble  qu'il  porte  une  chape  de  plomb.  » 
Il  ressent  déplus  une  <  lourdeur  »  comparable  à  celle  qui  occupait  autrefois 
exclusivement  la  hanche  gauche,  dans  toute  l'étendue  des  deux  membres  infé- 
rieurs. D'ailleurs^actuellement,le  désordre  des  mouvements  relatifs  à  la  mar- 
che, autrefois  localisé  comme  on  l'a  dit  dans  le  membre  gauche,  s'étend  éga- 
lement, vous  allez  le  reconnaître  bientôt,  au  membre  inférieur  droit. 

Etudions  tout  d'abord  l'état  des  mouvements  des  membres  inférieurs  lorsque 
le  malade  est  couché  ou  assis.  Vous  voyez  que  dans  ces  conditions-là,  en  ce  qui 
concerne  la  force  et  la  précision,  les  mouvements   d'ensemble  ou  les  actes 


-   AHi    - 

partiels  ne  laissent  rien  à  désirer.  Il  n'y  a  ni  paralysie,  ni  ataxie.  Les  réflexes 
patellaires  sont  parfaitement  normaux  des  deux  c/ités  et  la  sensibilité  y  est 
indemne  dans  tous  ses  modes.  Aucun  trouble  des  fonctions  vésicales. 

Le  malade  se  tient  debout  parfaitement,  et,  au  premier  abord,  dans  cette 
attitude  rien  d'anormal  ne  s'observe  chez  lui;  mais  si  Ton  vient  à  le  pousser 
même  légèrement  parles  épaules,  il  oscille,  et  l'on  voit  alors,  dansles  efforts 
qu'il  fait  pour  se  remettre  en  situation,  survenir  dans  ses  membresdes  mouve- 
ments de  flexion  bientôt  suivis  d'une  extension  rapide,  qui  représentent  en 
quelque  sorte  le  premier  germe  de  la  trépidation  que  nous  allons  voir, tout  à 
l'heure,  se  substituer  à  la  marche  normale.  Quoi  qu'il  en  soit,  lorsqu'il  s'agit 
de  se  tenir  sur  un  seul  pied,  de  sauter  à  pieds  joints  ou  à  cloche-pieds,  démar- 
cher h  quatre  pattes,  tout  cela  s'exécute  parfaitement,  si  ce  n'est  peut-être  que 
le  sujet, bien  certainement  en  raison  de  son  âge,  se  montre  un  peu  '^lourd  >  dans 
l'accomplissement  de  ces  actes  divers  :Cr...t  est  bon  nageur,  et  lorsque  placé  à 
plat  ventre  sur  un  lit,  on  le  prie  de  figurer  les  mouvements  de  la  natation,  il 
s'en  tire,  vous  le  voyez,  plutôt  brillamment. 

Étudions  maintenant  ce  qui  se  passe  à  l'occasion  de  la  marche  vulgaire. 
Vous  voyez  se  produire,  dès  l'origine,  une  trépidation,  un  piétinement  sur 
place,  qui  remplace  les  mouvements  normaux  et  gêne  singulièrement  la  pro- 
gression ;puis  le  sujet,  faisant  efl'ort,  porte  son  tronc  enavant;  alors  la  trépi- 
dation se  précipite  en  même  temps  que  les  pieds  frottent  sur  le  sol  et  l'allure 
devient  plus  rapide.  L'analyse  montre  que  ce  piétinement  résulte  de  ce 
que  la  flexion  du  genou  suivie  d'élévation  du  pied_,  qui,  dans  la  marche  nor- 
male, inaugure  chaque  projection  du  membre  en  avant,  est  interrompue 
ici  par  un  mouvement  d'extension  brusque,  qui  maintient  la  jambe  rigide. 
Gela  fait  que  le  malade  progresse  les  jambes  raides,  en  précipitant  l'allure  de 
manière  à  rappeler,  à  quelques  égards,  certaines  formes  de  la  démarche  spas- 
modique.  Nous  retrouvons  donc  exactement,  vous  le  voyez, chez  Cr...t,tous  les 
caractères  de  l'abasie  trépidante  relevés  avec  soin,  à  propos  de  l'observation  de 
Ro...  (16  leçon)  que  nous  considérons  comme  un  type  parfait  dans  l'espèce. 
Seulement,  chez  G...t,  contrairement  à  ce  qui  existait  chez  R.  lorsque  nous 
vous  l'avons  présenté  pour  la  première  fois,  Pallure  trépidante  fait  place  par 
moments,  à  la  marche  normale  ;  il  est  vrai  qu'après  quelques  pas^  elle  ne 
tsÈrde  pas  à  reparaître  soit  d'elle-même,  soit  sous  l'influence  d'une  légère 
impulsion  imprimée  au  sujet,  par  exemple  en  le  poussant  par  les  épaules.  A 
cet  égard,  le  cas  présent  se  rapproche  beaucoup,  vous  le  voyez,  de  celui  dont 
il  a  été  question  précédemment. 

Cr...t  nous  fournit  l'occasion  de  vous  faire  constater  une  fois  de  plus  ce  fait 
intéressant  au  premier  chef,  que  les  désordres  abasiques  concernent  exclu- 
sivement la  marche  vulgaire,  commune,  automatique  par  excellence:  tandis 
que  les  autres  modes  moins  usités  de  la  marche,  plus  étudiés  par  consé- 
quent et  non  automatiques  au  même  degré,  s'opèrent  au  contraire  réguliè- 


—  482  — 

rement.  Ainsi  notre  homme,  qui  a  été  militaire,  n'a  pas  oublié  le  pas  marqué 
dit  «  pas  ordinaire  ».  Une,  deux,  une,  deux  !  vous  le  voyez,  cela  va  parfaite- 
ment ;  il  procède  ainsi  sans  que  les  trépidations  apparaissent  un  seul 
instant.  Tel  n'est  pas  cependant  le  mode  de  progression  qu'il  emploie  dans  la 
pratique  pour  se  transporter  d'un  point  à  un  autre.  Dans  les  rues,  pour  rem- 
placer la  marche  vulgaire  interrompue  chez  lui,  à  chaque  instant,  par  les 
piétinements  que  vous  savez,  il  s'est  arrêté,,  après  bien  des  tâtonnements,  aune 
allure  plus  rapide  et  plus  commode  sans  doute,  mais  passablement  extraor- 
dinaire par  contre,  et  éminemment  ridicule  ;  si  bien  qu'il  ne  manque  jamais 
d'exciter,  partout  oùil  passe,  l'hilarité  bruyante  des  gamins.  Ainsi  il  procède  à 
très  grands  pas,  faisant  presque  le  «  grand  écart  »  en  avant,  courant  et  sautant 
plutôt  qu'il  ne  marche  et  portant  vivement  devant  lui  ses  bras  étendus, 
comme  pour  s'entraîner;  de  plus, à  chaque  trois  pas, il  appuie  fortement  sur  le 
sol  une  canne  qu'il  tient  de  la  main  gauche,  et  à  l'aide  de  cette  manœuvre  il 
semble  se  «  donner  de  l'élan  ».  Tel  est  le  mode  de  progression  singulier  à 
l'aide  duquel  il  parcourt  journellement  les  rues  du  quartier  Picpus  qu'il 
habite,  au  grand  ébahissement  des  passants  qui  ne  manquent  guère  pour  la 
plupart,  cela  va  sans  dire,  de  le  considérer  comme  un  fou  ou,  pour  le  moins, 
comme  un  original  fieffé. 

A  n'envisager  que  les  troubles  de  la  marche  considérés  en  eux-mêmes  et  indé- 
pendamment des  autres  faits  cliniques  quis'y  observent,  le  cas  de  notre  homme, 
en  ce  qui  concerne  la  netteté,  l'originalité  du  syndrome  abasie,  ne  le  cède  en 
rien  aux  exemples  les  plus  caractéristiques  du  genre.  Mais  par  contre,  à 
d'autres  égards,  il  diffère  très  notablement  de  ces  cas  typiques.  Nous  ne 
trouvons  pas  ici,  en  effet,  les  tares  nerveuses  héréditaires,  les  antécédents 
névropathiques,  l'accompagnement  de  phénomènes  manifestement  hysté- 
riques, non  plus  que  l'influence  de  causes  provocatrices  puissantes,  émotives 
ou  autres,  qui, dans  la  règle,  appartiennent  à  ces  derniers.  Rien  detout  cela,  je 
le  répète,  ne  se  rencontre  chez  Cr...t,  et  à  part  le  sentiment  de  pesanteur  qu'il 
dit  éprouver  derrière  la  tête,  sur  les  épaules,  dans  les  membres,  et  certaines 
sensations  de  marcher  comme  sur  un  tremplin,  ou  un  «  sommier  élastique  >^ 
dont  il  se  plaint  parfois,  on  ne  lui  trouve  aucun  symptôme  d'ordre  nerveux 
surajoutée  l'abasie.  Entre  autres,  pas  de  troubles  permanents  de  la  sensibi- 
lité, pas  de  rétrécissement  du  champ  visuel,  de  parésie,  rien  enfin  qui  rap- 
pelle l'attaque  hystérique  sous  une  forme  quelconque.  Il  faut  dire  encore  que, 
chez  lui,  l'incoordination  motrice  relative  à  la  marche  ne  parait  pas  être, 
comme  chez  la  plupart  des  autres,  un  accident  plus  ou  moins  fugace  et  transi- 
toire, toujours  de  pronostic  relativement  favorable;  il  en  soulïre  en  effet 
depuis  tantôt  cinq  ans,  d'une  façon  permanente  ;  elle  parait  s'être  plutôt 
aggravée  dans  ces  derniers  temps  et  ne  semble  pas  par  conséquent  devoir 
céder  de  sitôt.  Enfln,  on  ne  doitpas  l'oublier,  il  s'agit  d'un  vieillard  de  75  ans, 
et,  à  cet  î\ge,  bien  que  ce  ne  soit  pas  1î\,  tant  s'en  faut,  une   règle  absolue,  les 


—  483  — 

lésions  dites  dynamiques  des  centres  nerveux  cèdent  volontiers   la  place  aux 
lésions  anatomiquement  constatal)les. 

Est-ce  donc  qu'il  f.iut  admettre  que  chez  C.t,  comme  nous  avons  supposé 
que  cela  devait  être  dans  le  cas  deSob...re  précédemment  étudié,  l'abasie  relève 
d'une  lésion  organique  en  foyer,  intéressant  par  exemple,  dans  l'écorce 
cérébrale,  le  groupe  cellulaire  organisé  pour  mettre  en  jeu  le  mécanisme  de 
la  marche  ?  J'avoue  que  je  ne  me  sens  pas  suffisamment  préparé,  cette  fois 
encore,  pour  répondre  à  la  question  d'une  façon  catégorique.  Il  ne  serait 
certainement  pas  difficile  d'imaginer,  pour  les  besoins  de  la  cause,  l'existence 
d'un  foyer  produit  en  conséquence  d'un  processus  d'artério- sclérose.  En  pareille 
matière,  les  hypothèses  ne  coûtent  pas  grand'chose  ;  mais  il  faudrait  alors 
reconnaître,  pour  le  moins,  que  la  localisation  hypothétique  devrait  être  bien 
étroitement^  hi(m  précisément  limitée  à  la  région  physiologiquement  spécifiée; 
car,  ainsi  que  nous  l'avons  expressément  signalé,  dans  l'exposé  de  l'obsorva- 
tion,  on  ne  rencontre  chez  le  sujet,  en  dehors  de  l'incoordination  abasique, 
aucun  des  troubles  de  l'intelligence,  de  la  sensibilité  ou  du  mouvement  qui 
devraient,  ne  fût-ce  qu'au  plus  léger  degré,  coexister  avec  elle,  s'il  s'agis- 
sait vraiment  comme  on  le  supposait  tout  à  l'heure  d'une  lésion  encéphalique, 
en  foyer, à  peu  près  nécessairement  toujours  un  peu  diffuse.  Aussi,  messieurs, 
jusqu'à  plus  ample  informé,  et  pour  ainsi  dire  à  titre  provisoire,  vous  pro- 
poserai-je  d'admettre  que  ce  brave  homme  est,  sans  le  savoir  et  sans  le  paraître, 
un  névropathe,  sujet  comme  tel  à  l'action  des  auto-suggestions,  et  c'est  à  ce 
point  de  vue  que  nous  essaierons  tout  d'abord  de  le  traiter  (1). 


1.  Le  malade  en  question,  Ci'.. t.,  a  voulu  quitter  le  service  à  la  fin  du  mois  d'août  dernier. 
Aucun  ch-angcment  dans  son  état  ne  s'était  produit  à  cette  époque.  Dans  les  derniers  temps  de 
son  séjour  à  l'hôpital,  il  a  à  plusieurs  reprises  présenté  les  phénomènes  suivants:  Tout  à  coup 
le  malade  éprouve  une  sensation  de  malaise  difficile  à  définir.  Il  lui  semble  que  «  quelque 
chose  »  lui  monte  du  ventre  vers  la  gorge  et  produit  un  sentiment  desulTocation.  Bientôt  après, 
surviennent  une  rougeur  intense  de  la  face,  des  battements  dans  les  tempes,  une  obnubilation 
de  la  conscience  et  finalement  le  malade  tombe  à  terre.  Quelques  mouvements  convulsifs  des 
membres  se  manifestent  alors.  Des  pleurs  et  des  sanglots  terminent  la  crise.  Ces  faits  n'ont  pas 
besoin  de  commentaires.  Évidemment  c'est  bien,  comme  on  Ta  supposé,  l'hystérie  qui  est  en 
jeu  dans  ce  cas,  bien  qu'il  s'agisse  d'un  vieillard  de  75  ans. 


<ro.  dein  Sac.  dcTyp.   ■   74oiikt'     ,  8,  r.  Campagne -Premier*,  l'an». 


Policlinique  du  Mardi  28  Juin  1889 


VINGT   ET   UNIÈME   LEÇON 

«> 

1^^  et  2^  Malades.  —  Cas  de   syringomyélie  gliomateuse. 
3*^  Malade.  -  •   Simulation  hystérique  de  la  syringomyélie. 


Messieurs, 

Je  me  propose  de  vous  présenter  aujourd'hui,  pour  les  étudier  avec  vous, 
quelques  exemples  d'une  maladie  organique  spinale  nouvellement  introduite 
dans  la  clinique  neuropathologique,  où  elle  devra  désormais  occuper  un  rang 
distingué  ;  car  il  ne  s'agit  pas  là  d'une  affection  beaucoup  plus  rare,  sans 
doute,  que  ne  l'est,  par  exemple  la  sclérose  latérale  amyotrophique.  J'ai  nommé 
la  Syringomyélie  (1). 

Je  viens  de  dire  que  l'introduction  dans  la  clinique  de  la  maladie  en  ques- 
tion était  de  date  toute  récente  :  cela  est  parfaitement  exact  ;  car,  si  depuis 
longtemps  on  connaissait  anatomiquement,  d'une  façon  plus  ou  moins  exacte, 
certaines  cavités  qui  peuvent  se  former  dans  les  parties  centrales  de  la  moelle 
épinière,  on  a  ignoré  jusque  dans  ces  derniers  temps  les  symptômes  qui  les 
peuvent  révéler  pendant  la  vie.  En  somme,  jusqu'à  ce  jour,  la  syringomyélie 
passait  pour  une  pure  curiosité  anatomo-pathologique  ;  en  pratique  elle  ne 
comptait  point  (2). 

C'est  à  deux  auteurs  allemands,  M.  SchuUze,  aujourd'hui  professeur  à  Dor- 
pat,  et  M.  Kahler,  professeur  à  Prague,  qu'on  doit  d'avoir,  à  partir  de  1882, 
dans  une  série  de  travaux  importants,  appris  à  rattacher  à  la  lésion  syringo- 
myélique  un  certain  nombre  de  troubles  fonctionnels  ou  organiques  qui, 
lorsqu'ils  se  présentent  dans  la  clinique,  permettent  d'annoncer  l'existence  de 


1.  «  Syi'ingoymélie  :  «  cavité  centrale  dans  la  moelle  épinière,  »  OlUvicr  d'Angers.  Paris  18ô7 
de  (yyptYYtoSïiç,  creusé  en  forme  de  tuyau,   et  [xueXo;   moelle. 

2.  Dans  la  première  édition  des  leçons  sur  les  maladies  du  système  nerveux  de  M.  Charcot 
(1874)  la  syringoyniélie  est  signalée  comme  une  des  causes  possibles  de  l'atrophie  musculaire 
spinale  deutéropathique.  (t.  II,  p.  216). 


—  488  — 

l'altération  et  de  déterminer  même  les  principales  particularités  relatives  à 
son  siège,  à  son  étendue,  à  sa  localisation  étroite.  Plusieurs  fois,  d'ailleurs, 
—  deux  fois  par  M.  Schultze,  une  fois  par  M.  Kahler  —  le  diagnostic  affirmé 
pendant  la  vie,  par  nos  confrères  allemands,  s'est  trouvé  pleinement  justifié  à 
l'autopsie. 

Malgré  tout,  ces  messieurs  sont  loin  de  méconnaître  que  le  diagnostic  dans 
les  circonstances  en  question,  pourra  encore,  parfois,  rencontrer  des  diffi- 
cultés sérieuses  ;  ils  n'ignorent  pas  qu'à  côté  des  types,  faciles  à  détermi- 
ner, il  y  a  toujours  à  compter  sur  la  présence  possible  des  formes  frustes, 
dégradées,  défigurées.  Mais  ils  estiment,  et  c'est  avec  raison,  je  pense,  que^  le 
plus  souvent,  les  difficultés  pourront  être  surmontées,  grâce  à  l'application  — 
ce  sont  les  propres  paroles  de  M.  Schultze  —  de  principes  analogues  à  ceux 
que  nous  avons  établis  à  propos  de  la  sclérose  en  plaques  des  centres  ner- 
veux. 

Quoi  qu'il  en  soit,  en  lui  rendant,  pour  la  pratique,  un  service  signalé  par 
les  travaux  auxquels  je  viens  de  faire  allusion,  MM.  Schultze  et  Kahler,  cela 
est  incontestable,  ont  bien  mérité  de  la  neuropathologie.  Car,  messieurs,  c'est 
pour  un  médecin  une  grande  chose,  que  de  faire  sortir  du  chaos  une  espèce 
morbide  auparavant  ignorée  et  méconnue,  de  la  montrer  pour  la  première 
fois  douée  d'attributs  symptomatiques  qui  désormais  la  feront  reconnaître  de 
tous,  de  communiquer  enfin  la  vie  clinique  et  nosographique  à  tout  un  groupe 
de  phénomènes  qui,  jusque-là,  étaient  restés  lettre  morte. 

Parmi  les  auteurs  qui,  après  MM.  Kahler  et  Schultze,  ont,  en  Allemagne,  le 
plus  contribué  au  développement  dé  l'histoire  de  lasyringomyélie,ilfaut  citer, 
particulièrement,  MM.  Bernhardt,  Remak,  Oppenheim,  Furstner  et  Zacher, 
Freud,  A.  Baiimler,  etc.  ;  en  Russie,  nous  signalerons  un  excellent  travail  sur  le 
même  sujetde  M.  A.  Roth, publié  dans  les  Archives  de  Neurologie  ;en  Amérique, 
une;note intéressante  deM.Starr.(l)Én  France,  c'est  à  mon  collègue  M.Debove, 
quenousdevons  d'avoir  pour  la  première  fois, sur  un  malade  qui  justement  sera 
placé  sous  vos  yeux  tout  à  l'heure,  démontré  dans  une  séance  récente  de  la 
Société  médicale  des  hôpitaux  (22  février  1889),  les  caractères  cliniques,  au- 
jourd'hui devenus  classiques,  de  la  syringomyélie.  Dans  cette  même  séance, 
M.  Déjerine  a  fait  connaître,  à  son  tour,  une  importante  observation  qui  se 
rapporte  au  même  ordre  de  faits. 


i.  Voir  suHoui  Schultze  :  Virchow's  Archiv.  t.  87  p.  535,  1885  —  Zcitsch.  fut  Klin  med. 
t.  XIII.  1888  p.  523  —  Kahler  :  Prap^er  med.  Woch.  1882-no  42,  45  —  Pra?.  med.  Woch. 
1888.  n*  b,  8.  —  Remak.  Oedem  deli  oherextremilàten  auf  spinaler  Basis.  Sf/nngomyelie.  Ber- 
lin, klin.  Woch.  n»  3,  1889.  —  Bernardth.  Centralblatt..  fiir  Nervenheilk.  15  janv.  1889  Syrin- 
gomyélie und  Skoliose.  A.  Baûlmer.  Thèse,  Zurich.  1881.  —  Allen  Starr.  Amer,  journal 
o(  the  Med.  Sciences,  May  1888.  —  Roth.  Arch.  de  Neurologie,  t.  XV  et  XVI. 


—  489 


I 


C'en  est  assez,  je  pense,  sur  ce  qui  a  trait  à  l'historique.  Actuellement  avant 
de  procéder  à  l'examen  des  malades  que  je  me  propose  d'étudier  avec  vous, 
je  crois  utile,  en  manière  de  préliminaire,  d'entrer  dans  quelques  développe- 
ments relatifs  à  l'anatomie  pathologique,  à  la  symptomatologie,  et  aux  diverses 
circonstances,  en  un  mot,  de  l'histoire  de  la  syringomyélie,  telle  qu'elle  est 
aujourd'hui  constituée.  Dans  l'accomplissement  de  cette  tâche,  mon  rôle  se 
bornera  à  suivre  pas  à  pas  les  enseigjiements  fournis  par  les  auteurs  cités  plus 
haut.  Je  n'ai,  en  réalité,  rien  de  personnel  à  y  ajouter  :  si  ce  n'est  toutefois 
sur  un  point  et  ce  point  est  relatif  au  diagnostic. 

On  a  beaucoup  discuté,  déjà,  messieurs,  la  plupart  des  questions  relatives 
au  diagnostic  différentiel  de  la  syringomyélie,  et  à  propos  des  maladies  orga-' 
niques  spinales  qui  par  plusieurs  traits  lui  ressemblent,  on  a  relevé  avec 
soin  certains  caractères  qui  permettent  d'éviter  la  confusion.  Toutefois, 
parmi  les  membres  de  la  grande  famille  neuropathologique,  il  en  est  un 
qui  n'appartient  pas  au  groupe  des  affections  organiques,  et  qui  peut,  cepen- 
dant —  je  saisirai  bientôt  l'occasion  de  vous  le  démontrer  —  simuler  la  syrin- 
gomyélie, dans  de  certaines  circonstances  données,  de  la  façon  la  plus 
embarrassante.  Ce  que  j'avance  là,  je  pourrai  le  prouver,  je  le  répète,  par  un 
exemple  frappant.  Vous  avez  compris  que  ce  membre  de  la  famille  auquel  je 
fais  allusion,  toujours  un  peu  négligé  et  repoussé  même  parfois  du  foyer, 
bien  qu'il  réclame  cependant  chaque  jour,  de  plus  en  plus  impérieusement  et 
légitimement  du  reste,  sa  place  au  soleil,  n'est  autre  que  la  névrose  hysté- 
rique, cette  grande  simulatrice,  comme  je  l'ai  dit  ailleurs,  des  maladies  orga- ' 
niques  des  centres  nerveux.  Jamais  le  clinicien  avisé  ne  devra  un  instant  la 
perdre  de  vue,  car,  en  neuropathologie,  elle  est  présente  partout,  semant 
devant  lui  des  écueils  ;  et  à  ce  propos,  je  montrerai  que  peut-être  —  cela  est 
fort  possible  en  somme,  —  un  certain  nombre  d'observations  produites  par 
lés  auteurs  sous  le  nom  de  syringomyélie,  ne  sont  autres  que  des  cas 
d'hystérie. 

J'en  viens  actuellement  à  l'exposé  de  quelques  notions  relatives  à  l'ana- 
tomie pathologique  ;  je  ne  les  toucherai  que  légèrement,  et  en  tant  seulement 
qu'elles  peuvent  nous  intéresser  pour  l'interprétation  des  symptômes;  pour 
les  détails  précis  et  circonstanciés  vous  voudrez  bien  vous  reporter  aux  auteurs 
spéciaux,  que  j'ai  cités  plus  haut. 

Je  relèverai  en  pi'emier  lieu,  messieurs,  que  ce  terme  de  syringomyélie  s'est 
appliqué  autrefois,  d'une  façon  générale  et  indistinctement,  à  désigner  toute 
lésion  cavitaire  occupant  les  parties  centrales  de  la  moelle:  mais  tout  porte 
à  croire  aujourd'hui,  qu'il  existe  plusieurs  espèces  d'altérations  foncièrement 


—  490  -^ 

distinctes,  pouvant  aboutir  à  la  formation  d'une  cavité  dans  la  substance 
grise  spinale. 

1°  En  premier  il  y  a  lieu  de  signaler,  dès  à  présent,  comme  constituant  un 
groupe  à  part,  les  cavités  formées  en  conséquence  d'une  malformation  ou  d'une 
dilatation  du  canal  central  :  à  ces  cas-là  M"*  Baiimler  propose  de  réserver  le 
nom  d'hydromyélie. 

2°  Viennent  ensuite  les  formations  cavitaires  résultant  de  la  fonte  du  tissu 
de  la  substance  grise  spinale  préalablement  modifié  par  le  fait  d'un  processus 
d'inflammation  chronique  ;  ce  genre  d'altération  a  été  décrit  en  1869,  par 
M.  Hallopeau,  alors  interne  à  la  Salpêtrière,  sous  le  nom  de  sclérose  péri- 
épendymaire'et  à  la  même  époque,  avec  ma  collaboration,  par  M.  Joffroy,  mon 
interne  d'alors  qui,  tout  récemment,  a  consacré  à  cette  forme  anatomique  qu'il 
appelle  myélite  cavitaire,  un  travail  important.  Je  sais  bien  qu'on  a  voulu, 
dans  ces  derniers  temps  rayer,  d'un  trait  de  plume,  cette  dernière  espèce  du 
cadre  nosologique  et  l'absorber  dans  le  groupe  qui  va  suivre  ;  mais  cela  doit 
être  considéré,  jusqu'à  plus  ample  informé,  comme  une  prétention  purement 
arbitraire.  Les  observateurs  qui  ont  décrit  la  myélite  cavitaire  sont  de  ceux 
qui  ont  contribué  à  établir  les  premiers  fondements  de  l'anatomo-pathologie 
spinale  moderne,  et  il  est  au  moins  vraisemblable  qu'ils  ne  sont  pas  gens  à 
méconnaître  les  caractères  qui  séparent  la  gliomatose  d'un  processus  d'inflam- 
mation chronique. 

3°  Une  troisième  espèce  appartient  bien  et  dûment,  cette  fois,  à  la  catégorie 
des  productions  gliomateuses.  Il  s'agit  d'un  néoplasme  formé  le  plus  souvent, 
aux  dépens  de  l'épendyme  et  de  diverses  régions  de  la  substance  grise  spi- 
nale, principalement  celle  des  cornes  postérieures.  Il  consiste  essentiellement 
dansl'hyperplasie  des  éléments  de  la  nevroglie  qui  se  présentent  sous  la  forme 
de  volumineuses  cellules  à  prolongements  multiples  ;  celles-ci,  tantôt  sont 
comme  infiltrées  parmi  les  éléments  nerveux  qui  peu  à  peu  tendent  à  dispa- 
raître ;  tantôt  elles  forment  parleuragglomération  dense  une  véritable  tumeur, 
se  séparant  plus  ou  moins  nettement  des  parties  ambiantes  qu'elle  comprime, 
et  pouvant  parfois  nettement  s'énuclcer.  C'est  la  fonte  de  ce  tissu  néoplasique 
soit  infiltré,  soit  ramassé  en  tumeur  qui  détermine  la  formation  de  la  plupart 
des  lésions  cavitaires  dont  nous  avons  à  nous  occuper.  C'est  en  efl'et  à  cette 
forme  anatomo-pathologique  que  se  rapportent  jusqu'ici  toutes  les  observa- 
tions rattachées  pendant  la  vie  à  la  syringomyélie  dans  lesquelles  le  diagnos- 
tic a  été  vérifié  par  l'autopsie.  Ce  n'est  pas  à  dire  pour  cela  que  les  autres 
espèces  de  cavités  spinales,  l'hydromyélie,  la  myélite  centrale  cavitaire,  ne 
viendront  pas,  quelque  jour,  figurera  leur  tour,  dans  la  clinique,  llest  même 
fort  vraisemblable  qu'il  en  sera  ainsi,  et  l'on  peut  prévoir  qu'alors  leur 
symptoinalotogie  ne  s'éloignera  pas  considérablement  de  celle  de  la  glioma- 
tose :  il  y  aura  donc  là  pour  le  diagnostic  une  pierre  d'achoppement. 

Je  n'insisterai  pas  longuement  sur  les   détails  anatomiqucs  relatifs  à  la 


—  v.n  — 

syringomyélie  gliomatouse  ;  j'indiquerai  seulement  ce  qui  est  utile  à  connaî- 
tre pour  rinteliigence  des  troubles  fonctionnels  qui    seront  énumérés  tout  à 
1 'heure. 

La  production  gliomateuse  occupe  généralement  la  moelle  dans  toute  sa 


Fig.    1(3.  —  Moelle  de  ^yringomyélie  par  gliomalose  nrn^dullaire.  Région  ccrvico-dorsale.  Hos- 
pice de  la  Salpôtrière. —  Coupe  faite  par  M.  Marie. 
i  Zone  de  condensation  avec  apparence  papLllomatcusc. 
1'  Région  dans  laquelle  existe    encore  un  peu  d'épitbélium  épendymaire  normal. 

2  Zone  gliomateuse. 

3  Substance  grise. 

4  Cavité  syringomyélique. 

5  Substance  blanche;  on  remarquera  que  dans  son  étendue  celle-ci  pri sente  dos 
teintes  différentes,  les  plus  foncées  correspondent  aux  régions  dans  les  quelles  la 
névroglie  a  acquis  le  plus  grand  développement  (1). 


1.  Lobservation  à  laquelle  cette  préparation  est  relative  a  été  communiquée  à  la  Société  Clinique 
de  i'Hiis,  dans  la  séance  du  9  juillet  18S5,  par  M.  Paul  Berbez  et  publiée  dans  la  France  médi- 
cale, n«97,  20  août  1885,  p.  1162,  sous  ce  titre  significatif:  Essai  de  diagnostic  d'une  affection 


—  492  — 

hauteur;  que.quefois  cependant  elle  reste  limitée  soit  à  la  région  lombaire, 
soit  à  la  région  cervico-brachiale  :  ce  dernier  cas  est  de  beaucoup  le  plus 
fréquent,  et  si  la  lésion  se  traduit  alors  par  des  symptômes  moteurs,  on  com- 
prend que  ce  soit  sous  l'aspect  de  la  paraplégie  cervicale  qu'elle  se  présente 
dans  la  clinique.  Elle  peut  aussi  envahir  le  bulbe  oii  elle  reste  limitée  tou- 
jours, autant  qu'on  sache,  au  noyau  d'origine  de  la  5^  paire. 

Qu'il  y  ait  ou  non  formation  cavitaire,  la  partie  centrale  de  la  commissure 
grise,  en  arrière  du  canal  central  qu'on  trouve  souvent  parfaitement  indemne, 
est  un  lieu  où  le  gliome  se  localise  avec  prédilection.  De  là  il  tend  à  s'étendre 
d'abord  vers  les  cornes  postérieures,  puis  vers  les  cornes  antérieures  de  sub- 
stance grise,  à  titre  de  lésion  consécutive,  soit  par  infiltration  néoplasique,soit 
par  le  fait  d'une  simple  compression.  Les  faisceaux  latéraux,  et  la  partie 
antérieure  des  faisceaux  postérieurs,  peuvent  être  à  leur  tour  envahis. 

Les  lésions  que  lagliomatose  produit  dans  la  moelle  sont  indélébiles,  irré- 
parables. Leur  marche  est  lentement  progressive  ;  mais,  autant  qu'on  en  peut 
juger  d'après  la  clinique  qui  fait  constater  dans  l'évolution  du  mal  des  hauts 
et  des  bas,  elles  procèdent  par  poussées. 

La  formation  des  lésions  cavitaires  n'est  pas  nécessaire,  cela  est  clair,  à  la 
production  des  symptômes  qui  révéleront  pendant  la  vie  la  gliomatose  médul- 
laire. La  compression  ou  la  destruction  des  éléments  nerveux  est  seule  la 
condition  indispensable.  Parmi  les  lésions^  d'ailleurs,  il  en  est  qu'on  peut  dire 
intrinsèques  ;  ce  sont  celles  qui  restentlimitées  à  la  substance  grise  spinale, 
siège  classique  de  l'altération  gliomateuse  ;les  autres,  celles  qui  portent  sur  les 
faisceaux  blancs,  sont,  à  proprement  parler,  des  lésions  de  voisinage,  produites 
tantôt  par  l'envahissement  néoplasique  des  tissus,  tantôt  et  le  plus  souvent 
par  simple  compression,  s'exerçant  de  dedans  en  dehors,  du  centre  gris  spi- 
nal vers  la  périphérie. 

Peut-on,  en  se  fondant  sur  nosconnaissancesactuelles  en  pathologie  spinale^ 
prévoir  quelle  sera  la  symptomatologie  des  lésions  de  cet  ordre,  localisées  de 


de  la  moelle  indépendante  du  Tabès  avec  arthropathie  du  coude  gauche.  Le  fait  est  que 
jusqu'au  derniei' Icnne,  Je  diagnostic  est  resté  oscillant.  La  connaissance  des  travaux  concernant 
la  syringomyélio  n'était  pas  encore  répandue  dans  ce  temps-là  et  il  est  facile  de  reconnaître,  par 
la  lecture  du  cas,  que  l'étude  des  troubles  de  la  sensibilité  n'a  pas  été  faite  en  connais- 
sance de  cause.  Les  détails  de  l'autopsie,  pratiquée  à  la  Salpêtrière,  ont  été  communiqués  à 
la  société  anatomique  dans  la  séance  du  18  février  1887,  62*  année,  page  83,  par  M.  Paul  Blocq. 
La  communication  est  intitulée:  Paraplégie  spasmodique.  —  Arthropathie  du  coude.  — 
Néphrite  supputée.  —  Cystite.  —  Perforation  de  la  vessie.  —  Péritonite.  —  Mort.  —  Autopsie. 
—  Syringomyélie.  En  outre  de  la  lésion  spinale  on  signale  particulièrement  dans  cette  note, 
l'artliropathie  du  coude  gauche,  marquée  par  des  déformations  considérables  avec  production 
de  nombreux  corps  étrangers  articulaires,  les  uns  libres,  les  autres  pédiculisés  et  aussi  la 
perforation  de  la  vessie  produite  au  niveau  de  sa  paroi  postérieure.  La  muqueuse  vésicale  était 
épaissie,  fongueuse  en  certains  points  et  présentait  plusieurs  ulcérations.  C'est  au  niveau  de» 
l'une  d'elles  que  s'est  faite  la  perforation.  ...  ..    •'.:j^ 


—  493  — 


cette  façon  ?  Oui,  sans  (loute^  jusqu'à  un  certain  point,  du  moins.  Veuillez 
jeter  les  yeux  sur  cette  figure  schématique  qui  représente  en  quelque  sorte, 
ïépitome  de  la  pathologie  de  la  moelle  épinière  telle  que  Font  faite  les  travaux 
récents(/2^.  104).  Nous  savons  que  les  lésions  étendues  et  durables  des  faisceaux 


Fig.  104.  —  A,A,  cordons  latéraux  :  —  A'  faisceaux  de  Tiirck.  —  B,B,  zones  radiculaires 
postérieures.  —  C,C,  cornes  postérieures.  —  D,D,  cornes  antérieures.  —  F, 
zones  radiculaires  antérieures.  —  E,  cordons  de  Goll.  Extrait  du  t.  II  des 
Œuvres  complètes  de  J .  M.  Charcot,  p.  295. 


spinaux  postérieurs,  celles  surtout  des  zones  radiculaires,  B  B,  entraî- 
nent avec  elles  la  production  des  symptômes  tabétiques,  tandis  que- 
celles  des  faisceaux  latéraux  ou  pyramidaux_,  comme  on  les  appelle  encore, 
se  traduisent  pendant  la  vie  par  des  symptômes  d'impuissance  motrice 
plus  ou  moins  prononcée,  avec  exaltation  des  réflexes  tendineux  et  tendant 
au  développement  de  phénomènes  spasmodiques. 

Pour  ce  qui  est  de  la  substance  grise  centrale_,  nos  connaissances,  en  ce  qui 
concerne  les  effets  des  lésions  des  cornes  antérieures,  paraissent  à  peu  près 
définitivement  fixées.  Il  semble  en  efïet  bien  établi  aujourd'hui,  que  ces 
régions-là  peuvent  être  lésées  isolément,  primitivement,  ou  au  contraire 
d'une  façon  secondaire  et  l'on  sait  que  dans  les  deux  cas,  si  l'altération  intéresse 
les  grandes  cellules  motrices,  il  s'ensuit  forcément  la  production  d'une  amyo- 
trophie.  Celle-ci  se  développe  rapidement,  si  la  lésion  spinale  évolue  suivant 
le  mode  aigu  (paralysie  spinale  infantile),  ou  au  contraire,  d'une  façon  lente 
et  progressive  (amyotrophie  spinale  protopathique,  sclérose  latérale  amyo- 


—  494  — 

Irophique,  etc.),  si  elle  évolue  suivant  le  mode  chronique.  Les  cornes  grises 
antérieures  (cellules  nerveuses  motrices,)  et  les  zones  radiculaires  antérieures 
(trajet  intraspinal  des  racines  antérieures),  sont  en  somme  les  seules  régions 
de  la  moelle  épinière  qui  intéressent  directement  la  nutrition  des  muscles. 
On  sait  encore  très  positivement,  par  l'histoire  de  la  paralysie  infantile  d'un 
côté  et  de  l'autre  par  celle  de  Tatrophie  musculaire  progressive  du  type  Aran- 
Duchenne  et  de  la  scélérose  latérale  amyotrophique,  que  les  lésions  limitées 
à  la  région  des  cornes  antérieures  de  substance  grise  ne  sont  pas  accom- 
pagnées de  troubles  permanents  de  la  sensibilité. 

Relativement  aux  eflets  des  altérations  des  cornes  grises  postérieures  (CC) 
nous  étions  par  contre,  jusque  dans  ces  derniers  temps,  restés  dans  le  vague  : 
on  savait  seulement  d'une  façon  très  sommaire  et  sans  qu'on  eut  spécifié  quels 
modes  de  la  sensibilité  peuvent  être  alors  afTectés  à  l'exclusion  des  autres,  que 
les  lésions  de  ces  cornes  quand  elles  sont  profondes,  déterminent  une  «  anes- 
thésie  cutanée  »,  plus  ou  moins  prononcée  et  plus  ou  moins  étendue,  suivant 
les  cas,  dans  les  parties  du  corps  situées  du  même  côté  que  l'altération  spi- 
nale. On  pouvait  supposer  encore^  sans  l'affirmer  toutefois,  en  invoquant  les 
résultats  de  certaines  expériences  de  Schiff",  contestées  d'ailleurs  par  quel- 
ques auteurs  et  relatives  seulement  au  chien,  que  la  transmission  des  impres- 
sions douloureuses  se  fait  par  la  voie  des  cornes  postérieures  de  substance 
grise,  tandis  que  celle  des  impressions  tactiles  chemine  dans  les  faisceaux 
postérieurs.  Or,  les  nouvelles  études  anatomo-cliniques  concernant  la  syrin- 
gomyélie  tendent  justement,  nous  allons  le  voir,  à  préciser  et  à  étendre  singu- 
lièrement nos  connaissances  à  cet  égard.  Elles  paraissent  montrer,  en  effet, 
conformément  aux  assertions  de  SchifT,  que  les  conducteurs  des  impressions 
tactiles  appartiennent  aux  faisceaux  postérieurs,  tandis  que  les  cornes  grises 
postérieures  transmettent  les  impressions  douloureuses  :  elles  montrent  en 
outre  que,  dans  cette  même  région  des  cornes  postérieures,  siègent  encore 
les  conducteurs,  quels  qu'ils  soient,  de  la  sensibilité  au  froid  et  à  la  chaleur, 
à  l'exclusion  de  ceux  qui  concernent  les  notions  dites  du  sens  musculaire; 
elles  montreraient  enfin,  si  l'on  on  croit  certaines  observations  qui  paraissent 
parfaitement  authentiques,  que  les  éléments  nerveux  qui  dans  les  cornes  pos- 
térieures servent  à  la  transmission  des  divers  modes  de  la  sensibilité,,  chaud, 
froid,  douleur,  occupent  dans  ces  régions-là  des  départements  distincts  ;  car 
chacun  de  ces  modes  de  la  sensibilité  générale  peut  se  montrer  profondé- 
ment affecté  à  l'exclusion  des  autres.  Mais  n'anticipons  pas  ;  sur  tous  ces  points, 
nous  aurons  à  revenir  tout  à  l'heure. 

On  ne  connaît  pas  encore  les  effets  d'une  lésion  isolée  des  commissures. 
Cependant  quelques  faits  appartenant  encore  à  l'histoire  de  la  syringomyélie 
semblent  les  désigner  comme  une  région  dont  les  altérations  se  traduiraient 
par  la  production  de  ces  affections  cutanées,  sous-cutanées  et  autres  qu'on 
désigne  assez  communément  sous  le  nom  de  troubles  trophiques. 


—  495   - 

Par  tout  ce  qui  précède,  vous  prévoyez  que  les  symptômes  relevant  des 
altérations  syringomyéliques  considérées  dans  leurs  combinaisons  diverses» 
pourront  être  ramenés  à  deux  grands  groupes:  1°  Symptômes  intrinsèrjues,  c'est- 
à-dire  relevant  des  lésions  limitées  aux  diverses  régions  de  la  substance  grise 
centrale,  et  ici  il  y  a  lieu  de  distinguer  :  a.  les  symptômes  poiwmyéliques  anté- 
rieurs, à  savoir  :  amyotrophie  musculaire  à  marche  progressive,  rappelant  le 
typeDuchenne-Aran  ;  b.  les  ?>^m\)i6m%?>j)oliornyéllquesposlérleurs:  anesthésie 
à  la  douleur,  au  chaud,  au  froid,  sans  participation  de  la  sensibilité  tactile 
ou  du  sens  musculaire;  c. sy mplùmcs  poliomyéiifjues médians^  groupe  jusqu'ici 
fort  problématique  encore  :  divers  troubles  trophiques  autres  que  ceux  qui 
sont  relatifs  au  système  musculaire  ;  2°  Symplônies  extrinsèques.  Ils  n'appar- 
tiennent pas  en  propre  à  la  symptomatologie  de  la  syringomyélie  glioma- 
teuse,  mais  ils  s'y  associent  fréquemment.  Ils  résultent  tantôt,  de  l'envahis- 
sement soit  des  faisceaux  postérieurs,  soit  des  faisceaux  pyramidaux,  soit 
des  deux  systèmes  à  la  fois,  par  la  néoplasie  ;  tantôt,  de  la  compression  que 
ces  faisceaux  subissent  de  la  part  de  celle-ci.  Il  y  a  lieu  d'établir  ici  une  dis- 
tinction entre  «.les  symptômes  leucomyéliques  latéraux:  parésies  ou  paralysies 
de  genre  spasmodique,  et  b.  les  symptômes  leucomyéliques  postér-ieurs  :  phé- 
nomènes tabétiques  divers,  troubles  de  la  sensibilité  tactile,  etc. 

Nous  allons  voir  maintenant,  jusqu'à  quel  point  les  diverses  propositions 
qui  viennent  d'être  émises,  et  qui  à  plusieurs  égards  reposent  encore  sur  des 
fondements  hypothétiques,  trouveront  leur  justilicationdans  l'exposéclinique. 


H 

Le  plus  souvent,  les  symptômes  d'atrophie  musculaire  progressive,  débutant 
parles  éminences  thénar  et  hypothénar,  avec  secousses  librillaires  et  sans 
exagération  des  réflexes  tendineux,  sont  les  premiers  qui  attirent  l'aitention 
du  malade  et  des  médecins.  Ils  n'ont,  considérés  en  eux-mêmes,  rien  de 
spécial  à  la  syringomyélie,  rien  qui  puisse  sers'ir  à  la  caractériser.  Ils  rap- 
pellent plutôt  en  effet,  envisagés  isolément,  l'espèce  morbide  antérieurement 
connue  sous  le  nom  d'atrophie  musculaire  progressive  du  type  Duchenne- 
Aran  :  ils  ne  valent,  en  somme,  que  par  leur  association  avec  des  troubles 
sensitifs,  vraiment  particuliers  cette  fois,  pour  ainsi  dire  spécifiques,  qui  les 
accompagnent  ou  qui  les  ont  précédés  peut-être,  sans  avoir  été  remarqués 
cependant.  Ceux-ci  consistent,  essentiellement,  dans  la  perte  plus  ou  moins  com- 
plète de  lajsensibilité  à  la  douleur,  au  chaud  et  au  froid,  —  lasensibilité  tactile,  le 
sens  musculaire  étant  conservés,  —  etjustement  c'est  la  connaissance  de  ce  genre 
si  particulier,  si  original  de  dissociation  des  divers  modes  de  la  sensibilité, 
ou  autrement   dit   de   paralysie  seusitive  partielle,  appliquée  au  diagnostic 

67 


—  496  — 

de  la  syringomyélie  qui  constitue  la  découverte  de  nos  confrères  alle- 
mands. «  Schultze  »,ditM.  Kahler  son  émule  dans  la  poursuite  de  ces  études, 
«  aie  premier  appelé  Tattention  sur  la  combinaison  de  l'atrophie  musculaire, 
«  avec  des  troubles  particuliers  de  la  sensibilité  dans  les  cas  où  l'investi- 
«  gation  nécroscopique  fait  reconnaître  dans  la  moelle  l'existence  de  la 
«  syringomyélie  ou  du  gliome  central.  Ce  qu'il  y  a  de  spécial  dans  ces  trou- 
«  blés  de  la  sensibilité,  c'est  que,  sur  les  parties  de  la  peau  qui  en  sont  aflec- 
«  tées  on  trouve,  au  moins  d'une  façon  prédominante,  à  la  fois  une  perte  de 
«  la  sensibilité  à  la  douleur  et  de  la  propriété  d'apprécier  les  différences  de 
«  température,  tandis  que  la  sensibilité  au  tact  reste  indemne.  »  C'est  bien  là 
en  effet  la  clef  de  la  situation.  Dans  la  syringomyélie  les  symptômes  polio- 
myéliques  antérieurs  n'ont,  je  le  répète,  aucune  valeur  diagnostique  absolue. 
Seuls  les  symptômes  poliomyéliques  postérieurs  lui  appartiennent  en  particu- 
lier et  lui  impriment  un  cachetspécifique. 

Ainsi,  voilà  un  sujet  qui  se  présente  avec  les  apparences  de  l'amyotrophie 
spinale  progressive  du  type  Duchenne-Aran,  débutant  suivant  la  règle  par 
les  extrémités  supérieures  ;  les  eminences  thénar  et  hypothénar  sont  déjà 
plus  ou  moins  considérablement  atrophiées  ;  les  déformations  de  la  «  main 
de  singe  »  sont  déjà  peut-être  nettement  accusées  ;  les  secousses  fibril- 
laires  sont  très  marquées,  etc.,  etc.  Mais,  un  examen  plus  attentif  fait  recon- 
naître, chez  lui,  surtout  dans  les  membres  où  siège  l'atrophie  musculaire, 
l'existence  concomitante  de  troubles  très  particuliers  de  la  sensibilité.  C'est 
à  savoir,  que  les  notions  relatives  au  tact  et  au  sens  musculaire  étant  par- 
faitement conservées,  les  impressions  produites  dans  des  conditions  physio- 
logiques par  la  piqûre,  le  pincement  de  la  peau,  l'application  sur  elle  d'un 
corps  chauffé  à  soixante  ou  quatre-vingts  degrés,  ou  inversement  celle  de  la 
glace,  sont  au  contraire  obnubilées  ou  même  supprimées  et  ne  produisent 
qu'une  sensation  uniforme  de  contact.  Alors,  quand  ce  concours  singulier  de 
circonstances  se  trouve  réuni,  on  peut  affirmer,  sauf  toutefois  quelques 
réserves  prudentes  qu'il  convient  de  ne  point  négliger  et  qui  commandent 
certaines  vérifications  dont  il  sera  question  par  la  suite,  on  peut  affirmer, 
dis-je,  que  le  diagnostic  est  fait:  c'est  d'un  cas  de  syringomyélie  qu'il  s'agit. 

Ces  troubles  de  la  sensibilité,  dont  nous  venons  de  mettre  en  relief  les  ca- 
ractères fondamentaux,  se  distinguent  encore  par  d'autres  traits  dont  on  ne 
saurait  méconnaître  l'importance.  Nous  avons  supposé  l'analgésie  et  la  ther- 
mo-anesthésiesyringomyéliques  limitées  aux  parties  où  se  voit  l'atrophie  mus- 
culaire :  Ce  cas,  tant  s'en  faut,  n'est  point  le  plus  commun,  et  l'on  peut  même 
dire  que  dans  la  règle  les  troubles  de  la  sensibilité  dont  il  s'agit,  se  montrent 
répandus  sur  des  parties  du  corps  plus  ou  moins  étendues.  Ainsi,  il  n'est  point 
très  rare  qu'ils  occupent  exactement  toute  une  moitié  du  corps  (forme  hémia- 
nalgésique) ou,  à  des  degrés  divers,  le  corps  tout  entier.  Lorsque  l'analgésie  ou 
la  thermo-anesthésie  restent  plus   étroitement  localisées,  elles  se  distinguent 


—  407  — 

encore  par  leur  mode  de  distribution  fort  remarquable, sur  lequel  M.leD'Koth 
a  insisté  avec  raison  (1).  Cette  distribution,  ainsi  qu'il  le  relève  expressément, 
n'est  point  conforme  à  celle  des  nerfs:  elle  se  fait  par  segments  de  membres; 
ainsi  elle  occupe  soit  la  main  seule,  soiten  outre  une  partie  de  l'avant-bras  ou 
même  le  membre  supérieur  tout  entier,  et  toujours, en  pareil  cas,  la  délimita- 
tion de  la  zone  anesthésiée  et  des  parties  normalement  sensibles,  se  fait  par 
une  ligne  circulaire,  nettement  tranchée,  déterminant  un  plan  perpendicu- 
laire à  Taxe  du  membre. 

Il  ne  saurait  vous  échapper,  messieurs,  que  les  particularités  qui  viennent 
d'être  relevées,  à  propos  du  mode  de  répartition  et  de  distribution  des  troubles 
de  la  sensibilité  syringomyéliques,  rapprochent  singulièrement  ces  derniers  de 
ceux  qui  appartiennent  à  l'hystérie:  c'est  un  point  sur  lequel  nous  allons  avoir 
à  revenir  ;  mais  dès  à  présent,  on  peut  faire  ressortir  à  ce  propos,  comme  une 
circonstance  remarquable  et  qui  pourra  contribuer  puissamment  à  établir  le 
diagnostic,  que  jamais,  jusqu'à  ce  jour  du  moins,  on  n'a  vu,  dans  la  syringo- 
myélie,  les  troubles  sensitifs  accompagnés  de  ces  troubles  sensoriels,  tels  que  ré- 
trécissement du  champ  visuel,  anosmie,  agustie,etc.,  qui  figurent,  au  contraire, 
pour  ainsi  dire  d'une  façon  banale  dans  la  symptomatologie  classique  de  l'hys- 
térie. 

Un  troisième  groupe  de  symptômes  répond  à  une  série  de  lésions  cutanées 
ou  sous-cutanées,  osseuses  ou  ligamenteuses,  que  l'on  appelle  vulgairement 
du  nom  générique  de  troubles  tj'ophiques,  sans  plus  préciser, bien  qu'en  taisant 
usage  de  cette  dénomination  Ton  sous-entende  à  peu  près  toujours  que  les 
lésions  dont  il  s'agit  relèvent  plus  ou  moins  directement  d'une-  affection  de 
certaines  parties  des  centres  nerveux  ou  des  nerfs  périphériques.  Ces  troubles 
trophiques  sont  vulgaires  dans  l'histoire  clinique  de  la  syringomyélie  ;  ils 
offrent,  en  particulier,  pour  le  diagnostic,  un  vif  intérêt,  bien  qu'ils  n'appar- 
tiennent pas  cependant,  essentiellement,  à  la  constitution  du  type  nosogra- 
phique.  Il  y  a,  sous  ce  rapport,  plusieurs  catégories  à'établir. 

En  premier  lieu,  viennent  des  éruptions  huileuses  siégeant  principalement 
sur  certaines  parties  des  mains  et  des  avant-bras,  laissant  après  elles  des 
ulcérations  plus  ou  moins  profondes  du  derme,  remplacées  finalement  par 
des  cicatrices  déprimées  ou  au  contraire  des  chéloïdes. 

Après  cela  on  signalera  des  lésions  sous-cutanées  ;  tels  sont  certaines  boufis- 
sures  des  œdèmes  indolents,  souvent  accompagnés  d'une  teinte  violacée  ou 
rougeâtre,  plus  ou  moins  foncée,  du  tégument  externe  qui  présente  en  même 
temps  un  abaissement  relatif  de  la  température.  Ces  œdèmes,  signales  dans 
la  syringomyélie   par   Remak  (2),   y    ont   été    observés  plusieurs    fois    par 

1.  W.  Rolh.    Coniribut.  à   Vétude  symptomatique  delà  gliomaiose  médullaire  >  Arch.  de 
Neurologie.  1887-88.  —  pp.  QQ,  67,  71,  du  tirage  à  part. 

2.  Berlin,  klin.  Woch.  n»  3,  1889. 


—  49S  — 

Roth  (1).  Ils  paraissent  occuper  le  plus  souvent  le  dos  d'une  des  maius  qui 
alors  est  complètement  atteinte  d'analgésie  et  de  thermo-anesthésie.  Dans  la 
même  classe  rentrent  le  faux  phlegmon,  la  peau-lisse  (glossy  skin)  et  certains 
panaris  qui,  à  Timage  de  ce  qui  se  voit  dans  la  lèpre  anesthésique,  peuvent 
aboutir  sans  douleur,  à  la  perte  d'un  ou  de  plusieurs  des  doigts  de  la  main  ; 
enfin  certaines  tournioles,  suivies  parfois  de  la  chute  desongles,  représentent 
en  quelque  sorte  une  forme  relativement  bénigne  du  précédent  processus. 

Il  convient  de  ne  pas  oublier  que  les  parties  analgésiées  chez  les 
syringomyéliques  sont  souvent  couvertes  de  cicatrices,  résultant  de  brûlures 
ou  de  plaies  produites  accidentellement  chez  les  malades  sans  qu'ils  en 
aient  été  avertis  par  aucune  douleur. 

C'est  une  question  fort  discutée  encore  que  celle  de  savoir  si  la  maladie  de 
Morvan,  de  I^annilis,  ou,  autrement  dit  le  Panaris  analgésique  doit  rentrer, 
de  toutes  pièces,  dans  le  cadre  de  la  syringomyélie  ou  au  contraire  occuper 
une  place  à  part.  Cette  question  je  la  laisserai  de  côté  pour  le  moment,  afin 
de  ne  pas  compliquer  la  situation.  Je  me  bornerai  à  relever  seulement  que 
l'autopsie  relatée  par  mon  ami,  M  le  D*"  Gombault,  dans  la  séance  de  la 
Société  médicale  des  hôpitaux  du  8  mai  1889,  paraît  peu  favorable  à  la  doc- 
trine unitaire  (2). 

2°  Une  troisième  catégorie  est  celle  des  troubles  trophiques  articulaires  et 
osseux.  Il  faut  citer  ici  les /mc^wes  spontanées  se  reproduisant  souvent  plusieurs 
fois  aux  dépens  d'un  même  os  ;  et  qui  rappellent  singulièrement  celles  qu'on 
observe,  assez  fréquemment,  dans  l'ataxie  locomotrice  progressive  ;  des 
arthrites  d'une  espèce  particulière  aboutissant  rapidement  à  l'ankylosc; 
enfin  des  arthopalhies  végétantes  tout  àfaitcom-parables  à  celles  qui  se  voient 
dans  la  forme  dite  hypertrophique  des  lésions  articulaires  tabétiques  (3). 
J'ai  observé  pour  mon  compte,  tout  récemment,  un  cas  de  ce  genre.  Il  faut 
vraisemblablement  rattacher  à  ce  groupe  la  scoliose  qui,  dans  la  syringomyélie^ 
se  montre  fréquemment  puis  qu'on  l'y  observe,  suivant  M.  Bernhardt,  18  fois 
sur  70  cas,  ou  autrement  dit,  25  fois  0/0  (4). 

Une  observation  suivie  d'autopsie,  recueillie  dans  mon  service,  tendrait  à 
établir  que  la  syringomyélie  peut  s'accompagner  de  lésions  trophiques  viscé- 
rales. En  efi'et  le  sujet  en  question  a  succombé  inopinément  à  une  péritonite, 
survenue  en  conséquence  d'une  perforation  de  la  vessie  déterminée  par 
l'extension  d'un  «  ulcère  simple  ». 

Nous  mentionnerons  en  dernier  lieu,  comme  n'ayant  pas  trouvé  place  dans 


i.  Rolh.  obs.  II,  V. 

2.  Voir  aussi  un  nouveau  travail  de  M.  le  D""  Morvan:  De  Vanesihéne  sous  ses  divers  modes 
dans  la  paréso-anal(/ésie,  publié  dans  la  Gazette  liebdomadaire.  1889.  35  et  36. 

3.  Wolff.  Berlin.  Klin.  Woch.  n»  6,  Il  février  1889. 

4.  M.  I3,;rnhardt.  Syringomyélie  und  S:olio50.  15  janvier   183.1. 


—  409  — 

les  catégories  précédentes  des  troubles  vasomoteurs  accompagnés  ou  non  de 
sueurs  partielles  (i).  Ils  s'observent  assez  fréquemment  encore  dans  la  syrin- 
gomyélie. 

On  ne  saurait  dire  quant  à  [)résent,  nous  l'avons  fait  remarquer  déjà,  dans 
quelles  régions  de  la  substance  grise  siègent  les  lésions  d'où  dérivent  les 
troubles  trophiques  divers  qui  viennent  d'être  énumérés.  D'après  ce  que  nous 
savons  des  ellets  produits  par  les  altérations  qui  occupent  soit  les  cornes 
antérieures,  soit  les  cornes  postérieures,  il  ne  paraît  pas  qu'on  doive  les 
y  localiser.  Il  y  a  quelques  raisons,  au  contraire,  de  penser  avec  M.  A. 
Starr  (2),  ne  fût-ce  que  par  la  nécessité  d'exclure  les  autres  parties, 
que  c'est  dans  la  région  centrale,  commissurale  de  la  suljstance  grise,  qu'il 
conviendra  de  chercher  le  point  de  départ  des  accidents  ;  il  pourrait  se  faire 
aussi  que  les  régions  dites  colonnes  intermédiaires  de  Glarke,  où  naîtraient  sui- 
vant M.  le  prof.  Pierret,  les  filets  vasomoteurs  du  grand  sympathique,  jouas- 
sent ici  un  certain  rôle  (3). 

Les  divers  groupes  symptomatiques  qui  viennent  d'être  passés  en  revue 
pourront  être  dits  intrinsèques,  en  ce  sens  qu'ils  représentent  en  quelque  sorte 
directement  les  troubles  fonctionnels  produits  par  la  lésion  gliomateuse  des 
diverses  parties  de  la  substance  grise  ;  l'envahissement  par  celle-ci  des 
régions  blanches,  faisceaux  pyramidaux  et  faisceaux  postérieurs,  ou  leur 
compression  pure  et  simple  aura  pour  effet  de  déterminer  l'apparition  de 
symptômes  qui  pourront  au  contraire  être  appelés  extrinsèques.  En  pareille 
circonstance,  nous  l'avons  signalé  tout  à  l'heure,  on  verra  suivant  le  cas,  soit 
des  phénomènes  tabétiques,  soit  des  symptômes  de  parésie  ou  de  paraplégie 
spasmodique  venir  se  surajouter  en  proportions  diverses  au  tableau  clinique 
propre  à  la  syringomyélie  et  embarrasser  peut-être  la  diagnostic. 

Pour  en  finir  avec  l'aperçu  sommaire  que  j'ai  tenu  à  vous  présenter  de 
l'histoire  nosographique  et  clinique  de  la  syringomyélie,  il  me  reste  à  vous 
dire  un  mot  concernant  l'évolution  de  la  maladie,  son  pronostic,  son 
étiologie  et  enfin  le  diagnostic. 

Elle  paraît  être  plus  fréquente  chez  l'homme  que  chez  la  femme;  c'est  de 
15  à  25  ans  surtout  qu'elle  fait  son  apparition  que  certaines  causes  excep- 
tionnelles semblent  provoquer,  à  savoir  :  les  traumatismes,  le  surmenage 
physique,  l'affaiblissement  de  l'organisme  déterminé  par  diverses  maladies 
infectieuses,  telles  que  la  fièvre  typhoïde,  le  rhumatisme  articulaire   aigu,  la 


1.  Voir  dans  le  «  Montpellier  médical  »   les   leçons  du  P'  Grasset  sur  le  Syndrome  bulbo- 
rnédullaire,  etc.,  etc.  juillet  1889.  n°  1  et  suiv. 

2.  Syringomyelia,  etc.  American  Journal,  ofmed.  Science,  May,  1888. 

3.  E.  Putnam.  Troubles  fonctionnels  des  nerfs  vasomoteurs  dans  révolution  du  tabès  sen- 
sitif.  Thèse  de  Paris,  1882. 


—  500  — 

syphilis,  les  fièvres  intermittentes  enfin.  Vous  comprenez  qu'il  reste 
considérablement  à  faire  relativement  à  ce  chapitre  de  l'étiologie. 

L'évolution  du  mal  est  remarquablement  lente,  il  peut  arriver  qu'une  fois 
la  maladie  constituée,  le  sujet  reste  de  longues  années  sans  que  survienne  la 
moindre  aggravation  dans  son  état;  mais  il  faut  compter  sur  la  possibilité 
d'empirements  soudains,  inopinés,  comme  aussi  sur  des  amendements  rapides, 
inespérés. 

«  La  guérison  est-elle  possible?  »  se  demande  M.  Roth.  «  Nous  avons  vu, 
dit-il,  que  de  nombreux  symptômes  peuvent  s'améliorer  considérablement  ;  nous 
avons  vu  également  que  le  processus  morbide  peut  ne  pas  progresser  d'une 
manière  notable  durant  dix  ans,  par  exemple.  »  En  vue  de  tout  cela,  ajoute-t- 
il  «  nous  pouvons  admettre  la  possibilité  de  Tarrêt  de  la  maladie  et  de  son 
amélioration  considérable  et  peut-être  même  la  disparition  des  symptômes». 

Sur  ce  dernier  point,  nous  nous  permettrons  de  rester  sceptiques.  Il  n'est  pas 
impossible  en  efïet  que  les  prétendus  cas  de  syringomyélie  terminés  par  la 
guérison,  correspondent  peut-être  à  de  certaines  erreurs  dans  le  diagnostic 
sur  lesquelles  nous  aurons  à  insister  tout  à  l'heure.  Toujours  est-il,  qu'en 
raison  même  de  la  lenteur  et  des  atermoiements  qu'elle  présente  fréquem- 
ment dans  sa  marche  progressive,  la  syringomyélie  est,  à  tout  prendre,  d'un 
pronostic  moins  sombre  que  ne  l'est  celui  de  la  plupart  des  afTections  orga- 
niques spinales  dont  elle  peut  être  cliniquement  rapprochée. 

La  mort  a  été  quelquefois  déterminée  par  l'extension  aux  régions  bulbaires 
du  processus  morbide;  plus  souvent  elle  s'est  produite  en  conséquence  de 
quelque  lésion  accidentelle.  C'est  ainsi  que  la  pyoémie  a  pu  survenir  à  la 
suite  d'une  inflammation  phlegmoneuse  relevant  elle,  toutefois,  plus  ou  moins 
directement  de  l'altération  du  centre  gris.  Dans  un  cas  observé  à  la  Salpô- 
trière,  dont  il  a  été  question  déjà,  une  perforation  de  la  vessie  suivie  de 
péritonite  suraiguë  a  occasionné  la  terminaison  fatale. 

L'atrophie  musculaire  progressive  du  type  Duchenne-Aran,  lasclérose  laté- 
rale amyotrophique,  lapachyméningite  cervicale  hypertrophique,  certaines 
formes  du  tabeS;,  telles  sont,  sans  parler  de  la  lèpre  anesthésique,  les  diverses 
afïections  organiques  du  système  nerveux  que,  dans  la  pratique,,  on  a  cru, 
le  plus  souvent  avoir  sous  les  yeux,  alors  que  cependant,  après  vérificatioD 
nécroscopique,  c'était  de  la  syringomyélie  qu'il  s'était  agi.  Il  est  vrai  que  ces 
erreurs  datent  de  l'époque  où  les  caractères  cliniques  de  celle-ci  étaient 
à  peu  près  complètement  ignorés, mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  ces  temps-là 
sont  tout  récents  et  aujourd'hui  encore,  très  certainement,  il  reste  quelque 
chose  à  faire  pour  établir  sur  des  bases  solides  les  fondements  du  diagnostic 
différentiel  de  la  syringomyélie. 

Il  est  clair  que  les  principales  difficultés  qui  peuvent  se  produire  dans  ce 
domaine  tiennent  à  ce  que  les  principaux  symptômes  liés  à  la  syringomyélie 


—  501  — 

gliomateuse,  même  les  plus  spéciaux  d'entre  eux,  telle  que  l'est,  par  exemple,  la 
dissociation  des  divers  modes  de  la  sensibilité  sur  laquelle  nous  avons  insisté, 
ne  sauraient  lui  appartenir  en  propre. 

En  somme,  ces  symptômes  révèlent  seulement  la  lésion  plus  ou  moins  pro- 
fonde que  subissent  les  éléments  nerveux  des  cornes  antérieures  et  posté- 
rieures en  présence  des  produits  néoplasiques.  Ils  devront,  par  conséquent,  on 
doit  le  prévoir,  se  retrouver  toujours, plus  ou  moins  accentués,  toutes  les  fois 
que  dans  les  lésions  les  plus  diverses  par  leur  nature,  gliomateuses  ou  non 
gliomateuses,  de  la  substance  grise  centrale,  les  mêmes  conditions  anatomo- 
pathologiques  relatives  aux  éléments  nerveux  se  trouveront  reproduits.  Cela 
est  évidemment  dans  la  logique  des  choses. 

Sur  cette  question  du  diagnostic  de  la  syringomyélie,nous  nous  bornerons, 
à  propos  des  lésions  organiques  spinales  qui  peuvent  la  simuler,  aux  remar- 
ques suivantes.il  est  très  certain^  ainsi  que  l'a  bien  relevé  M.  Déjerine,  que  l'on 
a  fort  souvent  rapporté  à  l'atrophie  musculaire  du  type  Aran-Duchenne  des 
cas  où  seule  la  syrihgomyélie  était  en  jeu.  L'erreur,  à  n'en  pas  douter,  a  été 
commise  par  Duchenne  lui-même.  Il  admettait,  vous  ne  l'ignorez  pas,  que 
parfois,  par  exception,  une  anesthésie  cutanée,  plus  ou  moins  prononcée,  se 
montrait  combinée  aux  symptômes  classiques  de  l'atrophie  musculaire  pro- 
gressive. «  Cette  anesthésie  ».  écrit-il  à  la  page  493  de  la  dernière  édition  de 
son  Electrisation  localisée,  «  est  quelquefois  si  grande  que  les  malades  ne  per- 
çoivent ni  les  excitations  faradiques  les  plus  fortes  niV  action  du  feu.  J'en  ai  vu  qui 
s'étaient  laissé  brûler  profondément  les  parties  anesfhésiées  parce  qu'ils  ii' avaient 
pas  perçu  V action  des  corps  incandescents  et  qu  ils  n'' avaient  pas  été  prévenus  par 
la  vue  que  ces  parties  se  trouvaient  en  contact  avec  eux.  »  Nous  reconnaissons 
facilement  dans  ce  passage  l'analgésie  et  la  thermo  anesthésie  qui,  ainsi  que 
l'ont  montré  les  travaux  récents,  appartiennent  à  la  syringomyélie  et  peuvent 
servira  la  distinguer  vis-à-vis  de  la  téphro-myélite  antérieure  chronique  (1). 

La  présence  de  ces  mômes  troubles  si  particuliers  de  la  sensibilité  dans  un 
cas  donné,  permettrait  également  d'éliminer  la  sclérose  latérale  amyotro- 
phique  où  on  ne  les  voit  point,  et  dont,  d'un  autre  côté,  l'évolution  relative- 
ment très  rapide  ne  manquerait  pas  d'attirer  l'attention  du  clinicien.  Il  ne 
faut  pas  négliger  cependant  de  remarquer  que^  contrairement  à  une  opinion 
assez  généralement  répandue,  quelques  troubles  de  la  sensibilité  peuvent, 
comme  le  font  remarquer  M.  Erb  et  M.  Schultze  (2),  se  manifester  dans  cer- 
tains cas  parfaitement  caractérisés  de  silérose  latérale  amyotrophique 
mais  il  ne  s'agit  toujours  là  que  de  douleurs  plus  ou  moins  vives,  constam- 


1.  M.  Gharcot  a  l'éceinmenl  montré  à  la  clinique  un  nommé  Sch\vei...e^,  autrefois  traité  par 
Duchenne  de  Boulog^ne  comme  atteint  d'atrophie  musculaire  avec  anesthésie.  Un  examen 
attentif  a  montré  que  dans  ce  cas  il  s'ap:it  bel  et  bien  de  syringomyélie. 

2.  Schultze.  Zeitsch.  f.  klin  Medic.  Berlin  1888  13  Bd.  p.  53. 


—  502  — 

ment  transitoires,  ou  d'engourdissements,  de  fourmillements  passagers. Jamais 
on  n'y  observe  de  troubles  permanents  de  la  sensibilité  comparables  à  ceux 
qui  sont»  au  contraire, l'apanage  de  la  syringomyélie. 

Des  considérations  du  même  ordre  s'appliqueront  au  diagnostic  du  tabès, 
et  de  la  pachyméningite  cervicale  hypertrophique  qui,  ainsi  qu'on  l'a  fait 
remarquer  tout  à  l'heure,  ont  pu  être  quelquefois  simulés  par  la  syringomyélie. 

Ici  encore  la  dissociation  sensitive  particulière  à  la  syringomyélie, principa- 
lement dans  les  cas  où  celle-ci  s'est  accompagnée,  en  outre,  de  l'atrophie  mus- 
culaire à  marche  lente,  de  divers  troubles  trophiques,  tels  que  bulles,  frac- 
tures spontanées,  arthropathies,  etc.,  etc.,  servirait  surtout  de  critérium. 
D'ailleurs,  on  n'observe  point  dans  la  syringomyélie  les  troubles  oculaires, 
pupillaires  ou  autres^,  propres  aux  tabétiques,  non  plus  que  les  douleurs  vives 
occipitales,  cervicales  et  frachiales  qui  marquent  d'un  cachet  si  particulier 
la  phase  initiale  de  la  pachyméningite  cervicale  hypertrophique. 

Ce  serait  le  lieu  de  considérer  mainteaant  le  rapprochement  qui,  ainsi  que 
nous  l'avons  affirmé  dès  le  commencement  de  cette  leçon,  doit  être  établi,  au 
point  de  vue  du  diagnostic,  entre  la  syringomyélie,  maladie  organique  du 
centre  spinal,  et  certains  aspects  de  la  névrose  hystérique.  Mais  avant  d'en 
venir  à  ce  point  qui,  pour  être  exposé  convenablement,  nécessite  quelques  dé- 
veloppements, je  crois  utile  de  placer  sous  vos  yeux,  pour  les  soumettre  à 
l'analyse  clinique  deux  malades  chez  lesquels  vous  trouverez  présente  toute 
la  symtomatologie  classique  de  la  syringomyélie. 


III 

Le  premier  de  ces  malades  est  justement  celui  que  M.  le  D""  Debove  a  pré- 
senté, il  y  a  quelques  semaines,  à  la  Société  médicale  des  hôpitaux.  C'est  un 

nommé  Bar my,  âgé  de  38  ans  qui,  tour  à  tour,  a  exercé  la  profession  de 

voyageur  en  liquides  et  celle  d'employé  aux  écritures,  professions  qu'il  a  dû 
abandonner  Tune  et  l'autre  il  y  a  cinq  ans,  en  raison  des  progrès  de  la  maladie 
dont  il  est  atteint. 

Il  n'y  a  pas  à  signaler  dans  son  histoire  d'antécédents  héréditaires  et,  dans 
les  antécédents  personnels,  nous  relevons  l'existence  d'une  fièvre  typhoïde  à 
l'âge  de  14  ans  et  demi,  et  à  l'âge  de  17  ans  environ,  l'apparition  d'une 
scoliose,  aujourd'hui  très  prononcée,  à  convexité  droite.  Il  y  a  eu  autrefois 
de  l'alcoolisme. 

Il  y  a  cinq  ans, en  1884,  il  commença  à  éprouver  de  la  faiblesse  dans  les  mou- 
vements de  la  main  droite  où, peu  après, se  manifesta  l'amaigrissement  des  émi- 
nences  Ihenar,  puis  la  déformation  en  «  griffe  »  (griffe  interosseuse)  (\oy.fig.  1U5). 

Les    secousses   fibrillaires  sç  sont   montrées  très  accentuées  dès  Porigine 


503  — 


La  parésio  et  l'atrophie    gagnèrent  rapidement  le  membre   supérieur  droit 
tout  entier^  puis,  en  commençant  par    la  main,  le  membre  supérieur  gauche 


F'ig.  105.  —  La  main  droite  de  Bar my.  Etat  actuel. 

OÙ  actuellement  elles  sont  beaucoup  moins  prononcées  encore  que  du  cùlé 
droit  (1). 

L'examen  direct  vous  fait  connaître  toutes  les  particularités  que  je  viens 
d'énoncer  ;  vous  remarquerez  en  particulier  l'intensité  des  secousses  fibrillaires 
qui  se  voient  à  droite  comme  à  gauche,  aux  mains,  sur  les  avant-bras,  les 
bras,  les  épaules  et  quelques  muscles  du  tronc.  Les  réflexes  tendineux,  comme 
vous  pouvez  le  constater,  ne  sont  pas  exagérés  aux  membres  supérieurs. 

Les  deux  membres  inférieurs  ont  commencé  à  s'affaiblir  et  à  maigrir  il  y  a 
deux  ans. Vous  voyez  que  l'atrophie  est  surtout  prononcée  sur  les  muscles  anté- 
rieurs de  la  cuisse  droite,  où  l'on  voit  se  dessiner  des  secousses  fibrillaires 
très  accusées.  Peut-être  le  réflexe  rotulien  est-il  un  peu  exagéré  de  ce  côté 
là  :  à  gauche,  au  contraire,  il  est  aboli  ;  par  contreja  cuisse  est  ici  beaucoup 
moins  atrophiée  et  les  secousses  fibrillaires  sont  moins  intenses. 

L'examen  électrique  a  donné  les  résultats  suivants  (2)  :  sur  quelques  mus- 


1.  Main  droite:  pression  dynamométrique  15  k. 
Main  gauche  :      —  —  —      30  k. 

2.  Note  sur  les  résultats  de  l'examen  électrique  fait  par  M.  Vig-ouroux  les  30  mars,  6  et  9  avril. 

A.  Réaction  de  dégénérescence:  l»  totale]:  3«  interosseux  palmaire  gauche  et  exienseur  com- 
mun des  orteils  gauches;  2°  partielle  :  ancôné  gauche  et  droit;  4«  interosseux  gauche. 

B.  Muscles  ne  répondant  pas  aux  excitations  soit  galvaniques  soit  faradique.s  :  muscles  de 
l'éminence  hypothénar  droite,  long  extenseur  du  pouce  gauche  :  court  péronier  latéral  gauche, 
grand  fessier  gauche,  longue   portion    du    biceps    crural  droit. 

C.  Muscles  répondant  aux  excitations  faradiques  mais  non  aux  excitations  galvaniques; 

68 


—  504  — 

clés  :  éminences  thénar  et  hypothénar  de  la  main  droite  ;  muscle  grand-fessier 
du  côté  droit,  les  réactions  soit  faradiques,  soit  galvaniques  font  absolument 


Fig.  106 


Sensibilité  au  tact. 


Fig.  107 


défaut.  Les  interosseux   palmaires  du  côté  gauche  présentent  la  réaction  de 
dégénérescence  ;  partout  ailleurs,  il  y  a  seulement  dans  les  muscles  atrophiés 


Jumeaux  externe  et  interne  gauches.  Le  jumeau  externe  ne  se  contracte  qu'excité  par 
un  courant  très  foi  t. 

D.  Les  autres  muscles  explorés  ne  présentent  pas  de  réactions  électriques  anormales.  Il 
faut  noter  seulement  que  quelques-uns,  surtout  du  côté  gauche,  ne  se  contractent  que  par 
raction  d'un  courant  assez  fort  (dist.  des  bobines  20  à  25  mm.). 


—  505 


simple  diminution  parallèle  de  l'excitabilité  tant  faradique  que  galvanique. 

Vous  voyez,  messieurs,  que  jusqu'ici,  l'impression   produite  par  l'examen 

du  malade  est  qu'il  s'agit  chez  lui  de  l'atrophie  musculaire  progressive  du 


Fig.  108  Fig.  109 

Sensibilité    à    la   douleur. 

Analgésie  généralisée. 

type  Aran-Duchenne  ;  l'absence  d'une  exagération  des  réflexes  tendineux  soit 

dans  les  membres   atrophiés,  soit  dans  ceux   qui   ne  le  sont  encore  qu'à  un 

faible  degré  —  à  part  toutefois  au  membre  inférieur  droit  qui   à  cet  égard 

fait  exception  ;  —  et  aussi  la  non-apparition  des  phénomènes  bulbaires  cinq 

ans  après  le  début,  permettent  de  rejeter  la  sclérose  latérale  amyotrophique. 

Mais  le  point  de  vue   se  déplace  complètement,  lorsque,   à  la  lumière  des 


-    506  — 

notions  nouvelles  en  matière  de  syringomyélie,  on   étudie  méthodiquement, 
comme  l'a  fait  M.  Debove  à  propos  de  ce  cas,  les  troubles  de  la  sensibilité  qui 
jusque-là  étaient  restés  dans  Tombre. 
Voici  en  quoi  consistent  ces  troubles  sensitifs  ;  je  vous  engage,  pendant  l'ex- 


Fig.  110  Vi'é.  111 

Sensibilité  à  la  chaleur  (1). 

posé  que  je  vais   en  faire,   à  porter  vos  yeux  sur  les  schémas  que  j'ai  placés 
devant  vous,  ils  montrent  bien  la  disposition  qu'affectent  à  la  surface  du  corps, 
chez  notre  homme,  les  divers  modes  de  l'anesthésie. 
Je  vous  ferai  remarquer  tout  d'abord   que  partout,  sur  toute   l'étendue  du 


1.  L'intensité  de  l'anesthésie  dans  ces  figures  et  dans  celles  qui  suivent  est  en  raison  directe 
du  degré  de  coloration. 


—  507  — 


corps,  tête,  tronc,  membres, cxtrémit«'s,les  impressions  tactiles  sont  transmises 
d'une  façon  absolument  normale  (fig.  106  et  107).  Partout  au  contraire,  par 
un  contraste  frappant,  dans  les  mêmes  parties  qui  viennent  d'être  énumérées, 
il  y  a  obnuhilation  ou  perle  compl«''te  de  la  sensil)ilit6  aux  impressions  dou- 
loureuses; partout  en  un  mot  les  pincements  et  les  piqûres  sont  perçues 
seulement  comme  phénomène  tactile  ;  ils  ne  provoquent  point  de  douleur. 
Seules  les  excitations  fortes  des  membranes  uréthrale  et  anale  au-dessus  du 
sphincter  sont  douloureuses.  Les  cornées  et  les  conjonctives,  ainsi  que  la 
membrane  muqueuse  buccale  et  celle  de  la  langue  peuvent  par  conlr^  être 
pincées,  tiraillées,  piquées  sans  que  la  douleur  s'ensuive  (fig.  108  et  109). 
Les  titillations  du  pharynx  provoquent  des  nausées. 

Pour  ce  qui  est  de  la  sensibilité  à  la  chaleur  voici  les  résultats  obtenus  pai 
l'exploration  faite  à  l'aide  d'un  thermomètre  de  surface  (1),  dont  la  placiue 
métallique,  chaufïee  progressivement  à  l'aide  d'une  lampe  à  alcool,  peut  être 
à  volonté  portée  à  divers  degrés  de  température  (tig.  11:2).  Sur  toute 
l'étendue  des  deux  membres  supérieurs,  symétriquement,  en  avant 
comme  en  arrière,  depuis  l'extrémité  des  doiglsde  lamain, jusqu'auxattaches 
des  épaules,  l'application  de  la  plaque  du  thermomètre  chaufTée  jusqu'à  90" 
ne  produit  pas  autre  chose  qu'une  sensation  de  contact  ;  il  n'y  a  pas  trace 
d'une  impressioîi  soit  de  chaleur,  soit  de  douleur.  La  même  chose  a  lieu  sur 
toute  l'étendue  des  jambes  et  des  pieds  et  sur  le  quart  inférieur  des  cuisses, 
les  genoux  y  compris.  Sur  toutes  les  autres  parties  du  corps,  la  thermoanes- 
thésie  est  seulement  relative  :  ainsi,  sur  les  parties  supérieures  des  cuisses, 
sur  l'abdomen^  la  partie  inférieure  de  la  poitrine,  surtout  à  gauche,  sur  la 
tête,  le  cou,  )e  malade  éprouve  un  sentiment  pénible  de  brûlure 
lorsque  la  plaque  du  thermomètre  a  été  portée  à  100".  Les  tempéra- 
tures plus  basses  sur  ces  parties-là  ne  sont  en  général  pas  perçues. 

La  seule  région  du  corps  où  l'anesthésie  à  la  chaleur  fasse   corn- 


1.  L'instrument  à  l'aide  duquel  nous  avons  mesure  le  degré  de  sensibilité  ther- 
mique de  la  peau  chez  nos  malades,  se  compose  ainsi  que  le  montre  la  figure  ci- 
joinlc,  d'un  thermomèt'-e  à  ré-civoir  plat,  dont  l'extrémité  inférieure  de  la  tige  et 
le  réservoir  sont  compris  dans  deux  cylindres  métalliques  à  glissement  doux.  Le 
cylindre  externe  s'enlève  de  façon  à  ce  que  l'on  puisse  constater  si  la  cuvette 
Ihermométrique  est  toujours  en  place  et  en  hon  état.  Le  cylindre  interne  est  rempli 
de  limaille  de  cuivre  destinée  à  fournir  autour  de  la  cuvette  un  manchon  prolecteur 
et  à  température  fixe,  pendant  un  certain  temps  tout  au  moins. 

Une  vis  de  pression,  située  à  la  partie  supérieure  des  cylindres,  permet  de 
maintenir  le  thermomètre  en  place  et  d'éviter  les  glissements  de  la  tige. 

Le  cylindre  métallique  exleroo  est  chauflé  à  la  flamme  d'une  lampe  à  alcool 
lentement,  doucement,  de  façon  à  ce  que  la  température  ne  s'élève  pas  au- 
dessus  de  100%  et  ne  s'accroisse  pas  d'une  façon  trop  brusque.  La  graduation  du 
thermomètre  va  jusqu'à  115  degrés;  mais  il  faut  éviter  à  tout  prix  les  élévations 
brusques  qui  pourraient  avoir  pour  effet  de  rompre  le  tube  capillaire. 


Fig.  112. 


508  — 


plètement  défaut  est  représentée  par  une  large  plaque  qui  occupe  toute  l'éten- 
due du  tiers  supérieur  de  la  poitrine  en  avant  (fig.  110). 


Fig.  113 


Fiff.  114 


Sensibilité  au  froid  (0'). 


Les  fig.  H  3, 114,  montrent  les  régions  où  l'application  sur  la  peau  d'un  bloc 
de  glace  ne  produit  pas  de  sensations  de  froid  et  celles  où  les  impressions  de 
froid  sont  seulement  émoussées.  On  voit,  en  comparant  les  fig.  110,  111,  113 
et  114  PiUre  elles,  (pie  les  zones  insensibles  ou  peu  sensibles  à  la  chaleur,  et 
celles  où  la  sensibilité  au  froid  (àO")  est  soit  éteinte,soit  seulement  obnubilée, 
se  superposent  à  peu  près  exactement,tandis  que  l'insensibilité  cutanée  à  la 


—  509  — 

douleur  occupe  à  peu  près  indistinctement  toutes  les  parties  du  corps 
(fig.  108  et  lODj. 

Le  malade  s'était  depuis  longtemps  plusieurs  fois  aperçu  à  ses  dépens  de 
cette  insensibilité  absolue  de  certaines  régions  de  son  corps  aux  impressions 
thermiques.  Ainsi,  déjà  en  1886,  deux  ans  après  l'apparition  des  premiers 
symptômes  amyotropliiques,  un  jour  qu'il  se  chauffait  devant  une  cheminée, 
il  laissa  se  produire  sur  Tune  de  ses  jambes,  une  brûlure  au  premier  degré. 
Plus  tard,  alors  qu'il  était  placé  dans  le  service  de  M.  Debove,  une  boule 
d'eau  chaude  placée  dans  son  lit  lui  a  occasionné,  sans  qu'il  en  ait  ressenti 
la  moindre  douleur,  une  brûlure  au  3*  degré  de  la  plante  du  pied  droit,  dont 
la  guérison  a  mis  plusieurs  mois  à  se  parfaire. 

Tels  sont,  dans  toute  leur  originalité,  les  troubles  sensitifs  observés  chez 
notre  malade.  On  voit  qu'ils  se  rapportent  de  tous  points  au  type  syringo- 
myélie.  Les  quelques  détails  complémentaires  qui  vont  suivre  serviront  mieux 
encore  aies  caractériser. 

Les  notions  du  sens  musculaire  sont  partout  conservées,  aussi  bien  que  les 
impressions  tactiles  :  Il  n'existe  aucune  modification  appréciable  des  sensibi- 
lités spéciales.  L'ouïe,  l'odorat,  la  vision,  le  goût  sont  parfaitement  conservés. 

Si  la  membrane  muqueuse  linguale,  comme  celle  de  la  cavité  buccale,  sont 
analgésiques,  le  malade,  par  contre,  perçoit  parfaitement  le  goût  des  aliments 
et  il  sait  dire  même  s'ils  sont  chauds  ou  froids.  Si  les  cornées  comme  les  con- 
jonctives sont  insensibles  à  la  douleur,  elles  perçoivent  cependant  les  impres- 
sions thermiques,  et  ainsi  qu'on  l'a  dit  la  vision  n'est  nullement  modifiée  : 
pas  traces  de  lésions  opthalmoscopiques,  pas  de  rétrécissement  du  champ 
visuel.  Aux  parties  génitales  seules,  la  muqueuse  du  gland  et  celle  de  Turèthre 
sont  douloureusement  affectées  par  la  piqûre  et  le  pincement. 

Une  certaine  rigidité  dans  l'articulation  coxo-fémorale  droite,  une  cystite 
qui  date  de  1887,  la  scoliose  enfin  qui  a  été  remarquée  dès  l'âge  de  17  ans, 
représentent  ici  la  catégorie  des  troubles  trophiques. 

Il  est  impossible  de  déterminer  exactement  si  les  symptômes  amyotrophi- 
ques  ont  précédé  les  troubles  sensitifs  ;  ni  si  c'est  l'inverse  qui  a  eu  lieu. 

L'évolution  de  la  maladie  a  été  jusqu'ici  lentement  progressive  ;  elle  n'a  été 
marquée  par  aucun  épisode  répondant,  soit  à  un  temps  d'arrêt,  soit  à  une 
marche  précipitée  des  accidents. 


Je  passe  au  second  cas  qui,  suivant  moi,  nous  présente  un  nouvel  exemple 
de  syringomyélie  gliomateuse.  11  s'agit  d'une  nommée  Marie  F...ée,  âgée  de 
48  ans,  ayant  exercé  autrefois  la  profession  de  passementière.  Chez  elle  la 
maladie  paraît  avoir  débuté  en  1879,  c'est-à-dire  il  y  a  10  ans  par  des  symp- 
tômes amyotrophiques  d'abord  localisés  aux  mains.  Depuis 5  ans,  l'état  reste 
absolument  stationnaire.  Vous  voyez  (fig.  115)  comment  l'amyotrophie  et  les 


Fig.  115. 


'  I  il 


—  511   — 

troubles  moteurs  occupent  exclusivement  les  deux  membres  supérieurs,  qui 
sont  ailectés  symétriquement,  à  peu  près  au  même  degré  ;  ils  sont  pendants 
le  long  du  corps:  les  épaules,  les  bras,  les  avant-bras  et  la  main  considérable- 
ment amaigris  présentent  à,  peu  près  partout  des  secousses  fibrillaires  très 
accusées,  presque  incessantes. 

Du  côté  droit,  l'articulation  scapulo-humérale  est  rigide,  ankylosée,  le 
deltoïde  très  amaigri.  L'avant-bras  est  en  pronation  forcée,  et  l'on  perçoit  des 
craquements  lorsque  l'on  meut  l'articulation  du  coude.  Les  seuls  mouvements 
volontaires  qui  se  produisent  dans  ce  membre  sont  un  certain  degré  d'exten- 
sion en  masse  de  la  main,  les  mouvements  particuliers  des  doigtsétant  impos- 
sibles. Par  suite  de  la  prédominance  do  l'atrophie  musculaire  dans  la  sphère 
d'innervation  des  nerfs  cubital  et  médian,  les  muscles  innervés  par  le  radial 
restant  relativement  indemnes,  la  main  offre  l'attitude  d'extension  forcée, 
familière  aux  «  prédicateurs  »,  décrite  par  M.  Jofïroy  et  par  moi  à  propos  de 
la  pachyméningite  cervicale  hypertrophique  (1).  —  Du  côté  droit,  il  y  a  éga- 
lement un  certain  degré  de  rigidité  dans  l'articulation  de  l'épaule;  le  deltoïde 
est  de  ce  côté  littéralement  absent.  Le  grand  pectoral,  au  contraire,  paraît 
respecté^  et  l'on  peut  dire  que, d'une  façon  générale,  il  en  est  de  même  de  tous 
les  muscles  du  tronc.  Il  y  a  également  ici  pronation  forcée  de  l'avant-bras  ; 
l'attitude  de  la  main  est  analogue  à  ce  que  l'on  voit  du  côté  gauche,  mais 
l'extension  est  moins  prononcée.  Quelques  mouvements  volontaires  d'extension 
de  l'index  et  du  médius  sont  dans  ce  membre  les  seuls  possibles. 

L'examen  électrique  des  muscles  atrophiés  des  membres  supérieurs  a  fait 
trouver  un  peu  partout  la  réaction  de  dégénération  partielle. 

Les  membres  inférieurs  ne  sont  nullement  affectés  ;  tous  les  mouvements 
naturels  y  sont  parfaitement  libres;  on  n'y  voit  point  d'atrophie.  Les  seules 
anomalies  qu'on  y  observe  consistent  en  une  légère  exagération  des  réflexes 
rotuliens,  sans  accompagnement  de  trépidation  spinale. 

Nous  avons  donc  ici  l'image  parfaite  de  la  «  paraplégie  cervicale  »  avec 
amyotrophie.  L'attitude  particulière  des  mains  avait  pu  faire  songer  un 
instant  à  l'existence  d'une  pachyméningite  cervicale  hypertrophique  comme 
point  de  départ  de  tous  les  désordres,  mais  l'absence  bien  constatée  de  la 
«  période  douloureuse  »  au  début  de  la  maladie  avait  bien  vite  fait  repousser 
cette  hypothèse.  On  était  plutôt  enclin  à  penser  qu'il  s'agissait  là  soit  d'une 
forme  anomale  de  l'atrophie  musculaire  progressive,  du  type  Aran-Duchenne, 
soit,  mieux  encore,  d'une  myélite  partielle  centrale,  localisée  dans  les  régions 
qu'occupent  habituellement  les  lésions  spinales  dans  la  pachyméningite  cer- 
vicale hypertrophique.  Mais  en  somme,  il  faut  bien  le  reconnaître,  le  diagnostic 
est  resté  flottant  jusqu'à  l'époque,  où  éclairé  paries  travaux  récents  relatifs  à 


1.  Gharcot.  Leç.  sur   les  mal.  du  sysl.  nerveux,  t.  II,  p.  275,  27(3,    1886. 

G  9 


—  512  — 


la  symptomatologie  de  la  syringomyélie,  on  a  procédé  enfin  à  l'étude  métho- 
dique jusque-là  négligée  des  troubles  de  la  sensibilité. 

Voici  ce  que  cette  étude  a  fait  reconnaître  (voir  les  figures).  1°  Les  sensa- 


Fig.  117 


Sensibilité  au  tact. 


lions  tactiles  sont  restées  normales  dans  toute  l'étendue  du  corps  (fig.  llGet  117) 
2"  L'analgésie  (pincement  et  piqûre)  est  comj^lète  en  avant  comme  en  arrière, 
aux  mains,  aux  avant-bras,  sur  toute  fétenduc  du  tiers  inférieur  des  bras. 
Sur  les  épaules,  la  partie  supérieure  des  bras,  le  cou,  le  devant  de  la  poitrine, 
la  moitié  supérieure  du  tronc  en  arrière, il  y  a  seulement  obnubilation  de  la  sensi- 
bilité à  la  douleur.  L'exploration  de  ce  mode  de  la  sensibilité  répétée  à  plusieurs 


—  513   - 


reprises,  permet  de  constater  qu'il  y  a  d'un  jour  à  r.'iutre  quelques  variations 
dausTinLensiLé  des  phénomènes  deranali<é<ie  et  dans  leur  mode  de  répartition 
(fig.  118  et  110). 3°  Dans  une  première  exploration, l'application  d'un  morceau 


Fig.  118 


liy.  iiy 


Sensibilité  à  la  douleur, 


de  glace  sur  la  partie  supérieure  du  dosetsurle  devant  de  la  poitrine  ne  produit 
qu'une  sensation  de  contact.  Il  en  est  de  même  sur  toute  l'étendue  des  épaules,  des 
bras,  des  avant-bras  et  de  lamain.  Dans  d'autres  explorations  par  la  même 
application,  la  sensation  de  froid  est  perçue  à  un  certain  degré  sur  la  poitrine 
en  avant  comme  en  arrière,  tandis  que  toujours,  dans  toutes  les  explorations 


514  — 


des  membres  supérieurs  sur  toute  leur  étendue,  les  membres  supérieurs  sont 
restés  insensibles  au  froid  (flg.  120  et  121).  4°  Sur  le  dos  et  sur  le  devant  de  la 
poitrine,  l'application  de  la  plaque  du  thermomètre  ne  donne  la  sensation  de 


Fig.  120 


FiL'.  121 


Sensibilité  au  froid. 


brûlure  que  lorsqu'elle  est  chauffée  à  50°  et  au-dessus.  Sur  les  mains,  les 
avant-bras,  et  le  tiers  inférieur  des  bras, pour  produire  la  sensation  de  chaud, 
il  faut  que  le  thermomètre  marque  63°  et  au-dessus.  Nous  n'avons  pas  observé, 
en  ce  qui  concerne  la  transmission  des  impressions  de  chaud,  les  variations 
d'un  jour  à  l'autre  relevées  à  propos  de  la  sensibilité  au  froid  et  à  la  douleur. 
(Voy.  les  flg  122  et  123.) 


u  1    u 

—  olo  — 

On  voit,  en  comparant  les  divers  schémas,  que   les  champs  de  l'analgésie 
et  de  la  thcrmo-anesthésie  se  superposent  à  peu  près  exactement. 

Le  mode  de  répartition  des  troubles  sensitifs,  dans  ce  cas,  rappelle  la  dispo- 


l'ijf.  122 


lit:.  12J 


Sensibilité  à  la  chaleur. 


sition  en  «veste  >  signalée  dans  quelques-unes  des  observations  de  M.  Rothfl\ 
Pas  de  troubles  sensoriels. 
Les  troubles  trophiques,   en  dehors  des  amyotrophies,    sont   représentés 


1.  Loc.  cit.  flg.  2  et  3. 


—  516  — 

ainsi  qu'il  suit  :  1°  Il  existe  des  lésions  articulaires  ayant  entraîné  la  rigidité 
de  la  jointure  aux  deux  épaules  et  dans  le  coude  gauche.  2°  On  constate 
l'existence  d'une  légère  scoliose  à  convexité  droite  que  la  malade  n'a  point 
remarquée.  3°  Depuis  1884,  il  s'est  produit  à  plusieurs  reprises  soit  aux  doigts 
de  la  main,  soit  aux  orteils,  des  panaris  superficiels  ou  des  tournioles  qui 
plusieurs  fois  ont  entraîné  la  chute  des  ongles.  Il  n'existe  pas  de  troubles  vési- 
caux. 

Les  quelques  détails  qui  vont  suivre  permettront  de  compléter  l'observation 
de  cette  malade. 

Il  n'y  a  pas  à  signaler  d'antécédents  héréditaires;  pas  de  maladies  anté- 
rieures au  développement  de  celle  qui  nous  occupe  actuellement,  si  ce  n'est 
une  série  de  bronchites  vers  l'âge  de  24  ans,  et  une  pleurésie  à  la  même 
époque.  Pas  d'hémoptysies. 

L'affection  d'auj  ourd'hui  aurait  commencé  en  1879.  La  malade  aurait  éprouvé 
d'abord  pendant  près  de  six  mois  un  sentiment  habituel  de  courbature,  de 
faiblesse  générale,  avec  quelques  douleurs  passagères  à  la  nuque  qui  paraissent 
avoir  peu  fixé  son  attention.  Au  bout  de  six  mois,  elle  commença  à  remarquer 
que  ses  mains  s'affaiblissaient  et  maigrissaient  ;  les  secousses  fibrillaires  y 
ont  été  très  accentuées  dès  l'origine.  L'amaigrissement  et  les  secousses  se 
sont  produits  sept  ou  huit  mois  plus  tard,  dans  les  avant-bras  d'abord,  puis 
dans  les  bras  et  enfin  dans  les  épaules. 

Depuis  1882  l'évolution  de  la  maladie  semble  arrêtée;  l'atrophie  musculaire 
tout  au  moins  n'a  pas  progressé  depuis  cette  époque. 


Nos  deux  observations  peuvent  se  passer  de  commentaires. 


ÏV 


Il  ne  nous  reste  plus,  pour  remplir  notre  programme,  qu'à  insister  sur  les 
ressemblances  qui  peuvent,  ainsi  que  je  vous  l'ai  annoncé  dès  le  début  exister 
entre  la  syringomyélie  et  certaines  formes  d'hystérie  de  façon  à  tenir  le 
diagnostic  en  échec. 

Je  relèverai  en  premier  lieu  que  la  dissociation  spéciale  des  divers  modes 
de  la  sensibilité  à  laquelle  on  a,  à  juste  titre, fait  jouer  un  rôle  capital  dans  la 
caractéristique  clinique  de  la  syringomyélie  ne  lui  appartient  cependant 
pas  en  propre.  Elle  peut  se  rencontrer  ailleurs,  elle  peut  se  montrer  par 
exemple  douée  de  toutes  les  particularités  que  nous  faisions  ressortir  tout  à 
l'heure,    dans    l'anesthésie    des  hyslériques  ;   et,  en   pareil  cas  ,  tantôt  elle 


—  517  — 

existe  naturellement  chez  le  sujet,  tantôt  elle  a  pu  être  rhHerminée  chez  lui, 
artificiellement,  en  conséquence  d'une  suggestion  produite  dans  l'état  hypno- 
tique ;  c'est  ce  que  nous  pouvons  reconnaître  chez  les  quelques  sujets  hysté- 
riques avec  hémianestliésie  que  j'ai  fait  placer  sous  vos  yeux. 

Dans  la  règle,  comme  vous  le  savez,  l'hémianesthésie,  qu'elle  soit  complète, 
absolue  ou  qu'il  s'agisse  seulement  d'hypoanesthésie,  porte  uniformément 
chez  les  hystériques,  sur  tous  les  modes  de  la  sensibilité,  tact,  douleur,  sensi- 
bilité au  chaud  et  au  froid.  Eh  bien,  quelpies  recherches  ad  hoc  que  je  viens 
de  faire  et  qui  ont  trait  à  17  hystériques  hémianesthésiques,  hommes  ou 
femmes  pris  au  hasard  dans  mon  service,  montrent  que  cette  règle  est  loin 
d'être  absolue.  Si,  en  effet,  sur  ces  17  cas,  il  en  est  11  qui  oflrent  le  type 
anesthésique  vulgaire,  il  en  est  G  où  les  divers  modes  de  la  sensibilité  se 
montrent  dissociés.  Sur  ces  G,  il  s'en  trouve  2  qui  ont  conservé  |la  sensi- 
bilité au  tact  et  à  la  douleur,  mais  qui  ont  perdu  la  sensibilité  thermique.^Ge 
type  a  été  parfaitement  décrit  par  M.  le  professeur  Pitres  de  Bordeaux,  sous 
le  nom  de  thermo-anesthésie  hystérique,  dans  ses  intéressantes  leçons  sur  les 
anesthésies  hystériques,  publiées  en  1887.  Les  malades,  dit-il,  perçoivent 
alors  les  contacts,  ils  souffrent  quand  on  les  pince  ;  mais  on  peut  les  brûler 
sans  qu'ils  aient  la  sensation  thermique.  «  Voici,  ajoute-t-il,  un  jeune 
homme  hystérique  ;  on  peut  plonger  indifféremment  son  pied  gauche  dans 
la  glace  ou  dans  l'eau  très  chaude,  sans  qu'il  en  soit  impressionné.  On  peut 
comme  je  le  fais  maintenant,  promener  le  thermocautère  rougi  sur  la  peau  de 
la  cuisse,  sans  qu'il  en  éprouve  la  moindre  souffrance,  et  cependant  il  sent 
les  contacts  et  se  plaint  vivement,  si  onle  pince  ou  si  on  le  pique.  »  Dans 
les  quatre  autres  cas,  la  dissociation  répond  exactement,  comme  vous  pouvez 
en  juger,  au  type  syringomyélique  ;  c'est-à-dire  que  seule  la  sensibilité  tac- 
tile est  préservée,  les  sensibilités  à  la  douleur,  au  chaud  et  au  froid  étant 
éteintes  absolument  ou  seulement  profondément  obnubilées.  Sur  ces  quatre 
cas,  deux  fois  la  dissociation  du  type  syringomyélique  a  été  obtenue, 
les  sujets  étant  hypnotisables,  par  voie  de  suggestion.  Chez  les  deux  autres, 
elle  s'est  présentée  telle  quelle,  sans  intervention  d'aucun  artifice. 

Ainsi,  cela  est  bien  entendu,  les  troubles  sensitifs  particuliers  qui  distin- 
guent la  syringomyélie  de  la  plupart  des  maladies  spinales  organiques 
peuvent, par  contre,  se  retrouver  exactement  reproduites  dans  l'hystérie  ;  et  si 
vous  ajoutez  à  cela  que  les  anesthésies  syringomyéliques  peuvent  être,  ainsi 
que  nous  l'avons  relevé  expressément  déjà,  disposées  à  la  surface  du  corps, 
comme  le  sont  les  anesthésies  hystériques,  par  zones  géométriquement 
limitées,  par  segments  de  membres,  sous  forme  hémiplégique,  etc.,  etc.,  vous 
comprendrez  aisément  quelles  difficultés,  venant  de  ce  coté,  devront  se 
présenter  parfois  dans  la  pratique.  Il  est  vrai  que  jamais,  autant  qu'on  sache, 
on  n'observe  dans  la  syringomyélie  les  troubles  sensoriels  qui  dans 
l'hystérie  s'associent  si  fréquemment  aux  troubles  sensitifs  ;   mais  la  règle 


—  518  — 

pour  celle-ci  n'étant  pas  absolue,  la  remarque  restera  malgré  tout  applicable 
au  moins  à  un  certain  nombre  de  cas. 

Mais,  direz-vous  peut-être,  Técueil  très  réel  sans  doute  que  vous  venez  de 
signaler,  sera  aisément  évité  par  ce  seul  fait  que  Ton  ne  rencontrera  pas 
dans  l'hystérie,  ces  troubles  trophiques  musculaires  ou  autres  qui  sont  unaccom  - 
pagnement  pour  ainsi  dire  nécessaire  des  troubles  sensitifs,  quand  il  s'agit  de 
la  syringomyélie.  Eh  bien  I  si  vous  pouviez  penser,  messieurs,  que  les  choses  sont 
réellement  ainsi,  je  devrais  essayer  de  vous  détromper.  Certaines  formes  d'atro- 
phiemusculaire, en  effet, relèvent  directement  de  l'hystérie  ainsi  que  nous  l'avons 
montré,  M.  Babinski  et  moi  (1)  en  18S6.  Il  y  a,  comme  on  sait,  des  troubles 
vasomoteurs,  des  œdèmes  hystériques  (2)  et  j'ai  fait  voir  depuis  longtemps  que 
la  contracture  hystérique  peut  se  compliquer  de  rétractions  tendineuses  et  de 
formations  conjonctives  périarticulaires  (3).  Je  pourrais  facilement  multiplier 
les  exemples;  mais  c'en  est  assez  pour  montrer  que  les  troubles  trophiques 
ne  font  pas  défaut  dans  la  névrose  hystérique  contrairement  à  une  opinion 
très  généralement  répandue,  si  je  ne  me  trompe,  jusque   dans  ces  derniers 

temps. 

Ainsi,  vous  le  voyez,  je  ne  viens  pas  à  plaisir  dresser  devant  vous  dfis 
obstacles  imaginaires  pour  me  donner  ensuite  la  vaine  satisfaction  de  les 
aplanir  à  grand  renfort  de  dialectique;  les  difficultés  que  je  signale  sont 
réelles  et,  s'il  est  vrai,  comme  le  suppose  M.  Schulze  (4),  que  plusieurs  cas 
rattachés  à  l'hystérie  ont  dû  être  plus, tard  considérés  comme  des  exemples  de 
syringomyélie,  il  est  vrai  également,  je  me  crois  autorisé  à  l'afTirmer  après 
m'être  livré  à  la  critique  des  observations,  que  parmi  les  cas  signalés  comme 
appartenant  à  la  syringomyélie,  il  en  est  un  certain  nombre  qui  relèvent  de 
l'hystérie. 

Mais  je  ne  veux  pasm'arrêter  à  faire  ici  un  procès  de  tendance.  Je  me  crois 
en  mesure  de  vous  démontrer  séance  tenante,  à  propos  d'un  exemple  appro- 
prié, que  l'hystérie  peut  dans  de  certaines  circonstances  simuler  la  syringo- 
myélie au  point  de  rendre  bien  embarrassante  la  situation  du  clinicien. 

P...  evn.,  aujourd'hui  âgé  de  46  ans,  a  exercé  la  profession  de  marin 
jusqu'en*^  1876.  Depuis  cette  époque,  il  travaille  comme  veilleur  de  nuit  à 
l'usine  Eiffel.  —C'est  un  homme  vigoureux,  solide.  Jamais  il  n'avait  été 
atteint  d'affection  nerveuse  jusqu'à  il  y  a  trois    années;  et  on  n'a  pas  relevé 


1.  Babinski.    De    Valrophie     musculaire    dans   les    parali/sies    hystériques.    —    Arch.  de 
Neurolo^j'ie.  niun('ro  34  et  35,  18SG. 

2.  Weir    Mitchell.  Unilatéral  SivelUng   of  hysterical    Jleir.iplegia.    Am.  Journ.  of  médic. 
Scien.  Juin  1884. 

3.  Voir  Bull,  médical,  n°  du  23  mars  1887. 

4.  Virchow's  arcliiv.  1882  p.  537 


—  519  — 

chez  lui  d'antécédents  héréditaires.  La  mort  de  sa  femme  qui  a  eu  lieu  il  v  a 
cinq  ans  l'avait  plongé  dans  un  profond  chagrin  et  avait  «-branlé  sa  santé  ; 
celle  d'un  enfant  qui, deux  ans  plus  tard, succomba  au  croup,  lui  a  comme  il 
le  dit,  «  porté  le  dernier  coup.  » 

Déjà  en  1886,  c'est-à-dire  il  y  a  trois  ans,  il  commença  à  souffrir  de  vertiges 
survenant  soudainement  et  qui  l'obligeaient,  dans  la  crainte  de  tomber,  à  se 
cramponner  aux  objets  voisins  et  à  s'accroupir;  ces  vertiges  subvenaient  par 
moments  jusqu'à  cinq  ou  six  fois  par  jour.  Ils  ont  été  remplacés  il  y  a  deux 
ans,  par  des  bouffées  de  chaleur  revenant  deux  ou  trois  fois  par  semaine  et 
qu'il  appelle  des  congestions.  En  même  temps  les  nuits  sont  devenues  agitées 
par  des  rêves  qui  souvent  le  fontpleurer.  Le  premierdébut  des  accidents  actuels 
remonte  à  trois  années;  ils  ont  commencé  à  paraître  deux  ou  trois  mois 
après  la  mort  de  son  enfant. 

Dans  le  but  de  rendre  l'enseignement  plus  frappant,  je  pourrais  m'appliquer 
à  vous  démontrer  tout  d'abord,  que  le  cas  dont  il  s'agit  est  un  exemple  de 
syringomyélie  et  probablement,  à  entendre  l'exposé  des  arguments  que  je 
pourrais  vous  présenter  en  face  de  cette  opinion,  vous  accepteriez  la  solution 
proposée;  après  cela,  à  l'aide  d'arguments  adverses,  je  viendrais  combattre  le 
diagnostic  accepté,  renversant  pièce  par  pièces  l'échafaudage  primitivement 
construit,  et  établir  enfin  sur  des  fondements  inébranlables  le  diagnostic  : 
hystérie.  Il  faut  donc,  pour  que  cela  soit  ainsi,  qu'il  y  ait  là  une  difficulté 
sérieuse,  qu'une  étude  attentive  permettra  seule  de  surmonter.  Vous  allez 
du  reste  en  juger. 

Vous  voyez  comment  à  la  main  droite  les  mouvements  chez  notre  homme 
sont,  au  poignet  comme  aux  doigts,  paralysés  aussi  bien  pour  la  flexion  que 
pour  l'extension.  —  Vous  remarquerez  aussi  la  tuméfaction  singulière  que 
présentent  toutes  les  parties  de  cette  main  surtout  sur  la  région  dorsale;  elle 
est  due  à  un  œdème  dur,  ne  recevant  pas  l'empreinte  du  doigt;  la  teinte  des 
téguments  sur  les  parties  tuméfiées  est  violacée  et  la  température  y  est  moins 
élevée  que  sur  les  parties  correspondantes  de  la  main  gauche  (fig.  124).  Sur 
les  parties  ainsi  paralysées  et  tuméfiées,  la  sensibilité  présente  les  modiû- 
cations  suivantes  :  les  impressions  tactiles,  même  les  plus  délicates,  sont 
perçues  normalement;  par  contre,  les  sensibilités  à  la  douleur  (piqûre, 
pincement), à  la  chaleur  (plaque  du  thermomètre  à  surface  portée  à  80°"!,  et  au 
froid  (application  sur  les  parties  d'un  morceau  de  glace)  sont  complètement 
abolies.  Veuillez  relever  que  ces  troubles  de  la  sensibilité  sont  uniformément 
répandus  sur  les  doigts,  la  main,  le  poignet  et  le  cinquième  inférieur  de 
Tavant-bras.  De  ce  côté,  ils  se  séparent  des  parties  restées  normales  par  une 
ligne  tranchée,  horizontale,  déterminant  un  plan  circulaire  à  l'axe  du 
membre  supérieur. 

Ainsi,  vous  le  voyez,  nous  trouvons  ici,  liée  à  une  paralysie  de  l'extrémité 
supérieure  droite,  cette  dissociation  si  particulière  des  trois  modes  de  la  sen- 


—  520  — 

sibilité  que  les  travaux  de  MM.  Schultze  et  Kàhler  ont  bien  mis  en  relief,  et 
en  même  temps  l'œdème  violacé  du  dos  de  la  main  qui, d'après  les  remarques 
de  MM.  Remak  et  Roth,  figure  à  titre  d'accident  fréquent  parmi  les  troubles 
trophiques  syringomyeliques.  N'en  voila-t-il  pas  assez,  en  se  fondant  sur  les 
principes  plus  haut  acceptés,  pour  supposer  chez  notre  malade  l'existence 
d'un  cas  fruste  de  syringomyélie  ? 

Sans  doute  voilà,  direz-vous,  une  hypothèse  fort  vraisemblable.  Mais  voici 
que  le  chapitre  des  objections  va  s'ouvrir  maintenant. 

La  syringomyélie  est  vous  le  savez,  par  excellence,  une  maladie  lentement 


Vi^.  j24   —  A.  la  main  droite  de  P...  eyn,  aoestliésiée,  tuméfiée,  bleuâtre, 
lî.  la  main  gauche,  saine. 


progressive,  susceptible,  sans  doute,  nous  l'avons  relevé  avec  soin,  de  rémis- 
sions, de  temps  d'arrêt;  mais  lesguérisons  véritables,  les  guérisons  brusques 
par-dessus  tout,  y  sont  totalement  inconnues.  Eh  bien  vous  allez  voir  une  de 
ces  guérisons  soudaines,  inopinées,  figurer  dans  l'histoire  passée  de  notre 
malade. 

Cette  histoire  comporte  deux  périodes  distinctes.  La  première  a  commencé 
il  y  a  trois  ans  par  une  paralysie  de  cette  même  main  droite,  dont  il  est  de 
nouveau  question  aujourd'hui,  survenue  tout  à  coup  pendant  le  sommeil. 
Dans  ce  temps-là, le  malade  avait  le.-  nuits  tourmentées  par  des  rêves  pénibles 
et  il  était  devenu  fréquemment  sujet  à  dos  attaques  de  vertiges.  Cette  fois  la 


sensibilité  des  parties  paralysées  du  mouvement,  main  et  poignet,  était 
absente  dans  tous  les  modes,  tact,  douleur,  sensibilité  au  froid  et  au  chaud. 
La  durée  de  cette  paralysie  a  été  de  douze  mois  environ,  durant  lesquels  il  y 
a  eu  des  hauts  et  des  bas,  et  c'est  pendant  une  des  exacerbations  que  s'est  pro- 
duit pour  la  première  fois  le  gonflement  violacé,  avec  abaissement  de  la  tem- 
pérature qui  s'est  manifesté  dès  l'origine,  dans  la  crise  actuelle.  Eh  bien,  la 
guérison  de  tout  cela  s'est  faite  un  beau  jour  alors  que  tous  les  moyens  en 
apparence  rationnels  avaient  été  employés  sans  succès,  et  cela  inopinément, 
tout  à  coup,  au  moment  où  le  malade,  oubliant  en  quelque  sorte  un  instant  son 
impuissance  motrice,,  voulait  prendre  un  verre  pour  le  porter  à  sa  bouche. 
«  Si  j'avais  été  à  Lourdes,  dit  le  sujet,  en  rappelant  cet  événement,  j'aurais 
cru  à  un  miracle.  » 

Toutefois,si  la  disparition  des  troubles  moteurs  a  été  littéralement  soudaine, 
celle  des  troubles  de  la  sensibilité,  —  ainsi  que  cela  me  paraît  être  la  règle 
dans  les  circonstances  de  ce  genre,  —  ne  s'est  faite  que  successivement,  pro- 
gressivement, dans  l'espace  d'une  huitaine  de  jours.  11  est  vrai  qu'au  bout 
de  ce  temps,  le  retour  à  l'état  normal  était  complet  sur  toute  la  ligne. 

La  paralysie  nouvelle  qui  s'ofïre  aujourd'hui  à  notre  étude  s'est  produite 
elle  aussi, tout  à  coup, il  ya  decelaenviron  trois  mois,  et  elle  occupe  exactement 
les  mêmes  parties.  Donc, en  se  réveillant, le  malade  a  trouvé  sa  main  droite  de 
nouveau  paralysée,  comme  lors  de  la  première  attaque,  mais  cette  fois,  dès 
l'origine  elle  était  gonflée,  violacée,  cyanosée, telle  en  un  mot  que  vous  la  voyez 
encore  aujourd'hui. De  plus,  dès  l'origine  il  y  a  eu  dissociation  des  divers  modes 
de  la  sensibilité  suivant  ce  que  j'appellerais  volontiers  le  mode  syrin^-o- 
myélique  à  savoir  :  tact  conservé,  contrairement  à  ce  qui  a  été  observé  la 
première  fois,  sensibilité  à  la  douleur,au  chaud  et  au  froid, totalement  abolies, 
notions  du  sens  musculaire  conservées. 

Le  début  subit  des  accidents  constaté  à  deux  reprises,  leur  guérison  sou- 
daine observée  une  fois  de  plus,  voilà  des  faits  qui  ne  permettent  pas  de  res- 
pecter le  diagnostic  que  je  vous  avais  proposé  d'accepter  tout  à  l'heure;  c'est 
d'hystérie  mâle,  tout  simplement,  qu'il  s'agit  dans  le  cas  et  non  de  syringo- 
myélie.  La  dissociation  de  la  sensibilité  observée  chez  notre  homme  non  plus 
que  l'œdème, d'après  ce  que  nous  en  avons  dit  plus  haut,  ne  sont  certainement 
pas  faits  pour  nous  embarrasser  dans  i.otre  nouveau  diagnostic.  Sans  doute, 
notre  malade  n'a  point  d'attaques,  point  d'attaques  régulières,  au  moins,  car 
ses  «  accès  de  vertiges  »,  comme  il  les  appelle,  pourraient  être  considérés  à  la 
rigueur  comme  des  «  représentants  d'attaques  ».  Mais,  par  contre,  dans  la 
catégorie  des  stigmates, nous  avons  à  signaler  une  perte  très  nette  du  goût  sur 
le  côté  droit  de  la  langue,  la  sensibilité  de  la  membrane  muqueuse  étant  con- 
servée,et  c'est  là  encore  un  indice  qui, ajouté  à  tout  le  reste,  vient,  si  je  ne  me 
trompe,  compléter  la  démonstration. 


—  522  — 

Ici  se  termineront  les  leçons  de  cette  année.  Je  les  finis,  messieurs,  vous 
l'aurez  remarqué  sans  doute, comme  je  les  ai  commencées, c'est-à-dire  en  vous 
parlant  de  l'hystérie  masculine,  dont  il  a  été,  d'ailleurs,  bien  souvent  ques- 
tion pendant  toute  la  durée  du  cours.  Il  faut  voir  là  un  signe  des  temps.  Sous 
l'influence  des  études  récentes,  l'hystérie  mâle  a  été  définitivement  réhabilitée 
et  l'on  a  appris  à  la  reconnaître,  là  où  on  la  méconnaissait  autrefois.  Or,  par 
un  singulier  revirement  des  choses,  il  se  trouve  que,  tout  compte  fait,  autre- 
fois reléguée  parmi  les  cas  rares,  elle  devra  désormais  occuper  dans  la  cli- 
nique une  large  place;  car,  incontestablement,  les  statistiques  du  jour  le 
démontrent,  elle  est  une  des  maladies  les  plus  vulgaires  parmi  les  travailleurs 
manuels  qui  fréquentent  les  hôpitaux  de  Paris.  Il  faudra  donc  dorénavant 
compter  avec  elle. 

Nous,  en  particulier,  qui,  par  profession,  sommes  voués  à  cultiver  spécia- 
lement le  champ  neuropathologique,  nous  ne  devrons  jamais  oublier  que  les 
types  les  plus  divers  d'affections  organiques  cérébrales  ou  spinales^  avec  les- 
quelles nous  sommes  aujourd'hui  familiarisés,  pourront  à  chaque  instant, 
dans  la  catégorie  de  l'hystérie^  rencontrer  un  pendant,  un  représentant,  un 
«  sosie  »,  pour  mieux  dire,  qu'il  nous  faudra  savoir  démasquer. 


A  partir  du  28  juin  1889,  époque  où  le  malade  a  été  présenté  à  la  leçon,  les 
accidents  hystériques  les  plus  significatifs  se  sont  accumulés  chez  lui,  au 
point  que  le  diagnostic  proposé  s'en  trouve  confirmé  de  la  façon  la  plus  écla- 
tante. 

Le  23  juillet,est  survenue  une  attaque  classique, précédée  par  l'aura  vulgaire 
et  dans  laquelle  on  a  vu  se  succéder  la  phase  épileptoïde,  l'arc  de  cercle,  les 
grands  mouvements,  et  enfin  une  phase  de  délire  avec  hallucinations.  —  Les 
attaques  de  même  caractère  se  sont  reproduites  depuis  lors,  tous  les  huit  ou 
dix  jours, et  leur  apparition  est  déterminée  sous  l'influence  des  moindres  émo- 
tions. Quelquefois,rattaque  reste  à  l'état  rudimentaire  et  l'on  peut  reconnaître 
aujourd'hui  que  les  «  anciens  vertiges  »  n'étaient  autre  chose  que  des  crises 
convulsives  avortées. 

En  même  temps  que  les  attaques  ont  paru,  il  s'est  manifesté  dans  les  deux 
flancs,  surtout  à  gauche,  une  zone  ou  plaque  hystérogène.  Le  moindre  frôle- 
ment, la  moindre  pression  exercés  sur  ces  plaques  font  apparaître  les  prodro- 
mes de  l'attaque  et  parfois  l'attaque  elle-même. 


—  523  — 

Il  existe  un  rétrécissement  double  du  champ  visuel  à  oO  à  droite,  à  70  à 
gauche. 

Anosmie  de  la  narine  droite.  La  perte  du  goût  sur  la  moiti»*  droite  de  la 
langue  persiste  et  il  y  a  une  diminution  très  nette  de  l'ouïe  dans  l'oreille 
droite. 

La  tuméfaction  cyanosée  de  la  main  disparaît,  puis  réapparaît  de  temps  à 
autre  rapidement,  le  plus  généralement  à  la  suite  d'une  attaque.  Il  en  est  de 
même  de  laparalysie  des  mouvements. Mais  jamais, depuis  Ie28juin,ranesthé5ie 
n'a  disparu  :  elle  présente  toujours  le  caractère  de  dissociation  sur  lequel 
nous  avons  insisté  ;  c'est-à-dire  que  l'analgésie  et  la  thermo-anesthésie  sont 
absolues  tandis  que  les  notions  du  tact  les  plus  délicates  sont  consers'ées.  Les 
notions  du  sens  musculaire  au  contraire  paraissent  notablement  obnubilées 
dans  les  doigts  de  la  main. 

Il  est  remarquable  que  les  troubles,  ci-dessus  signalés,  de  la  sensibilité  qui 
autrefois  ne  remontaient  pas  au-dessus  du  tiers  inférieur  de  l'avant-bras, 
s'étendent  aujourd'hui  jusqu'au-dessus  du  coude  où  ils  se  terminent  d'ail- 
leurs par  une  ligne  droite,  perpendiculaire  à  l'axe  du  membre. 

[Note  du  10  novembre  1889.) 


luip.  d«  U  Soo.  d«  Typ.  -  Nokbttb,  !i,  r.  C«mpaKna-ti«,  Park- 


APPENDICE 


APPENDICIÎ  N»  1 

Hystérie  et  névrose  traumatiqiie.  Voir  leçons  7  (2^  Malade, 
p.  131);  12  (  2%  3«  et  4^  Malades,  p.  25G);  i3  (3*  et 
4«  Malades,  p.  283);  17  (3^  et  4^  Malades,  p.  392). 


Parmi  les  observations  de  Railwaij  Spine  publiées  jusqu'à  ce  jour,  il  existe 
nombre  de  cas  si  nets,  si  typiques  soit  de  neurasthénie,  soit  d'hystérie  pure, 
que  toute  contestation  à  réi,s'ir(l  de  ces  faits  est  devenue  impossible.  En  pré- 
sence des  cas  ind(jnial)les  d'hystéro-traumatisine  apportés  par  M.  Charcot  en 
France. par  M.Vl.  13ernhardt,Leyd€n  et  autres  en  Allemagne, il  abien  fallu  recon- 
naître que  l'hystérie  occupait  la  plus  large  place  dans  l'histoire  du«  Uailway 
Spine  ».  Cette  évolution  des  esprits  en  Allemagne  vers  la  solution  fran«;aise 
s'est  accentuée  dans  le  mémoire  de  M.  Striimpell,  paru  en  1888,  et,  dans  son 
dernier  travail  sur  la  matière  (Die  Iraumalische  ISeurosen  1880)  M.  Oppenheim 
semble  vouloir  réserver  la  dénomination  de  névrose  traumatique  au  groupe 
plus  restreint  des  cas  complexes  dans  lesquels  la  neurasthénie  et  l'hystérie 
se  trouvent  associées.  C'est  donc  autour  des  faits  de  cet  ordre  que  parait 
s'être  cantonné  le  débat.  L'observation  recueillie  dans  le  service  de  M.  Charcot 
qui  va  être  rapportée,  ressortit  à  cette  catégorie  de  cas  qui  servent  aujour- 
d'hui de  substratum  principal  cala  prétendue  névrose  traumatique  ;  c'est  un 
bel  exemple  d'hystéro-neurasthénie  développée  chez  un  employé  de  la  Com- 
pagnie internationale  des  wagons-lits,  à  la  suite  d'une  collision  de  trains,  lors 
de  l'accident  récemment  survenu  à  Velars,  près  Dijon. 

71 


—  528  — 

06s.  —  Collision  de  trains  (accident  de  Velars),  Neurasthénie  et  hystérie  consécu- 
tives (névrose  traumatique).  -  Claw...  Louis,  âgé  de  42  ans,  employé  de  la  Compa- 
gnie internationale  des  wagons-lits,  est  entré  à  la  Salpêtrière,  dans  le  service  de 
M.  le  professeur  Charcot,  le  3  juillet  1889. 

Antécédents  héréditaires.  —  Le  malade  ne  peut  donner  aucune  indication  sur  l'état 
de  santé  de  ses  grands-parents.  Cette  réserve  faite,  on  ne  retrouve  chez  ses  ascen- 
dants, dans  la  ligne  directe  comme  dans  la  ligne  collatérale,  aucun  élément  d'héré- 
dité névropathique.  Son  père  est  mort  à  l'âge  de  68  ans,  il  était  «  d'un  tempérament 
calme  »  et  n'avait  jamais  commis  d'excès  d'aucune  sorte.  Trois  oncles  vivants  et  en 
parfaite  santé.  Du  côté  maternel  :  Sa  mère  est  morte  subitement  à  69  ans  :  elle  n'était 
pas  nerveuse  et  n'avait  jamais  été  malade.  Un  oncle  vit  encore,  bien  portant.  Le 
malade  a  eu  onze  frères  ou  sœurs  :  une  sœur  est  morte  en  bas-âge;  une  autre  sœur  a 
succombé  à  une  maladie  de  poitrine  à  l'âge  de  11  ans;  un  frère  est  mort  de  pneu- 
monie à  32  ans.  Tous  les  autres  vivent  en  parfaite  santé.  Le  malade  affirme  qu'il  n'y 
a  dans  sa  famille,  ni  goutteux,  ni  rhumatisants,  ni  épileptiques,  ni  aliénés. 

Antécédents  personnels —  Claw...  est  né  en  Alsace  ;  dans  son  enfance,  il  a  vécu  à  la 
campagne,  travaillant  aux  champs.  Il  n'a  pas  été  sujet  à  ces  terreurs  nocturnes,  à 
ces  hallucinations  hypnagogiques  si  fréquentes  chez  les  jeunes  enfants  issus  de 
souche  névropathique. 

A  l'âge  de  18  ans,  il  fit  une  chute  dans  laquelle  il  se  contusionna  fortement 
l'épaule  droite. 

En  1870,  il  reçut  à  Gravelotte  un  coup  de  feu  au  mollet  gauche.  La  plaie  qui  était 
superficielle  se  cicatrisa  rapidement  et  après  un  mois  de  repos,  il  put  reprendre  son 
service.  Ces  deux  traumatismes,  tout  son  passé  pathologique,  n'eurent  aucune  suite 
fâcheuse  et  n'altérèrent  en  rien  sa  santé  générale. 

Il  a  toujours  été  un  homme  sobre,  nullement  porté  aux  excès  alcooliques  ou 
autres,  de  mœurs  simples  et  tranquilles.  Marié,  il  a  eu  sept  enfants;  deux  de  ses 
enfants  sont  morts  du  croup  ;  les  autres  sont  bien  portants. 

Après  la  guerre,  il  vint  habiter  Paris.  Il  a  été  successivement  garçon  d'hôtel,  valet 
de  chambre,  et  garde  de  propriété  en  Normandie. 

Il  y  a  un  an,  en  juin  1888,  il  entra  comme  conducteur  à  la  Compagnie  des  wagons^ 
lits.  Ses  fonctions  consistaient  à  surveiller  les  voitures  de  la  Compagnie  dans  les 
trains  en  marche  et  à  aider  au  service  des  voyageurs.  Cette  existence  faite  de 
voyages  incessants,  de  sommeils  interrompus,  de  préoccupations  continuelles,  de 
responsabilités  sérieuses,  contrastait  singulièrement  avec  la  vie  calme  et  régulière 
qu'il  menait  avant  d'entrer  au  service  de  la  Compagnie,  alors  qu'il  était  garde  de 
propriété  en  Normandie.  Cependant,  malgré  les  fatigues  qu'il  avait  à  subir  dans 
l'exercice  de  sa  nouvelle  profession,  sa  santé  resta  parfaite.  11  n'éprouvait  aucun 
malaise,  aucun  trouble  nerveux  notamment,  lorsqu'il  fut  victime  d'un  accident  de 
chemin  de  fer  dans  les  circonstances  que  voici  : 

Pendant  la  nuit  du  4  au  5  septembre  1888,  C...  se  trouvait  dans  un  train  rapide 
venant  de  Genève  et  allant  à  Paris.  Vers  trois  heures  du  matin,  à  Velars,  près  de 


—  529  — 

Dijon,  ce  train  dérailla,  empiéta  sur  la  voie  collatérale  et  fut  pris  aussitôt  enécharpe 
par  un  train  express  lance  à  toute  vitesse.  Le  malade  raconte  qu'il  était  debout  dans 
le  couloir  du  wagon  au  moment  où  le  choc  se  produisit.  Il  fut  projeté  contre  la 
paroi  du  compartiment  et  perdit  immédiatement  connaissance.  Quand  il  revint  à 
lui,  deux  ou  trois  minutes  après,  il  s'entendit  appeler  par  les  voyageurs;  il  se  leva 
rapidement  et  sans  difficulté.  L'obscurité  était  complète,  les  lampes  s'étant  éteintes 
au  moment  de  la  collision;  il  chercha  à  tâtons  un  sac  dans  lequel  il  se  souvenait 
d'avoir  mis  une  bougie  ;  puis  ne  le  trouvant  pas, il  sortit  du  wagon  en  passant  à  tra- 
vers les  débris  de  toutes  sortes  qui  l'environnaient.  Arrivé  sur  le  talus  qui  bordait 
la  voie,  il  examina  s'il  n'était  point  blessé  et  il  s'aperçut  qu'il  avait  des  contusions 
au  côté  gaucho  de  la  poitrine,  une  plaie  superficielle  sur  la  face  dorsale  du  poignet 
droit  et  une  longue  éraflure  à  la  jambe  gauche.  Ces  blessures  ne  saignaient  pas,  ne 
lui  causaient  aucune  douleur;  il  avait  conservé  la  liberté  et  l'énergie  de  tous  ses 
mouvements.  Les  voyageurs  qui  se  trouvaient  couchés  dans  sa  voiture  au  moment 
du  choc  étaient  sains  et  saufs.  Pendant  deux  heures  environ,  il  travailla  sans  relâche 
à  secourir  les  blessés,  à  dégager  les  voyageurs  emprisonnés  sous  les  décombres- 
C'est  alors  seulement  qu'il  commença  à  se  sentir  ému;  à  ce  moment  il  éprouva  un 
malaise  général;  ses  forces  faiblirent,  ses  jambes  se  dérobaient  sous  lui.  Il  dut  ces- 
ser de  travailler;  et  après  avoir  fait  panser  son  poignet  et  sa  jambe  blessée,  il  alla 
se  coucher.  Mais  il  était  dans  un  tel  état  d'angoisse  et  d'agitation  qu'il  lui  fut 
impossible  de  dormir.  Il  resta  ainsi  toute  la  journée  du  o  septembre  sur  le  lieu  de 
l'accident,  assistant  au  sauvetage  et  à  l'enlèvement  des  victimes,  sous  le  coup  d'une 
émotion  grandissante  qui  le  faisait  parfois  trembler  de  tous  ses  membres  et  qu'il  ne 
pouvait  pas  maîtriser.  Il  passa  la  nuit  suivante  couché  dans  un  wagon-lit.  Mais  il 
ne  put  fermer  l'œil.  Il  avait,  nous  dit-il,  la  tête  perdue,  il  lui  semblait  entendre  les 
cris  des  blessés,  il  revoyait  tous  les  accidents  du  drame  auquel  il  venait  d'assister. 
Le  lendemain  au  soir  quand  il  arriva  à  Paris  il  était  encore  tremblant  et  tout  ému. 
On  dut  l'aider  à  descendre  du  wagon. 

Rentré  chez  lui,  le  malade  s'alita  jusqu'à  la  complète  guérison  de  ses  contusions 
et  de  ses  blessures,  c'est-à-dire  pendant  une  dizaine  de  jours.  Durant  cette  période, 
il  se  plaignait  surtout  de  ne  pouvoir  pas  dormir.  Dans  la  journée  il  était  assez  calme; 
mais  tous  les  soirs  vers  8  ou  9  heures,  il  entrait  dans  un  état  d'agitation  violente 
accompagnée  de  rêves,  de  cauchemars  et  parfois  même  d'hallucinations.  Tantôt  il 
se  croyait  dans  un  train  en  marche,  il  parlait  à  haute  voix,  s'adressantaux  voyageurs, 
appelait  un  de  ses  camarades,  etc.,  tantôt  il  assistait  à  certaines  scènes  de  l'accident 
de  Velars.  Parfois  il  avait  des  visions  de  chats  ou  de  rats  courant  sur  ses  couver- 
tures. Une  nuit  il  se  leva,  saisit  un  seau  d'eau  et  se  mit  à  poursuivre  des  rats,  vou- 
lantjdis ait-il,  les  noyer.  Pendant  ces  sortes  de  rêves  en  action,  il  appelait  sa  femme, 
lui  montrait  avec  insistance  ces  animaux  imaginaires,  l'invitait  à  les  tuer,  etc.  Il 
ne  se  calmait  qu'aux  approches  du  jour,  vers  4  ou  5  heures  du  matin. 

Dix  jours  après  l'accident,  les  blessures  étant  guéries,  il  put  se  lever  et  faire 
quelques  promenades  au  dehors.  Mais,  dans  la  dernière  semaine   de    septembre,  il 


—  530  — 

commença  à  éprouver  un  mal  de  tête  consistant  en    une   sensation   continuelle  de 
serrements  ou  de  poids  pesant  sur  tout  le  crâne. 

Cette  céphalée  était  particulièrement  intense  dans  la  région  occipitale.  En  outre, 
il  se  plaignait  d'une  gêne  douloureuse  siégeant  à  la  partie  inférieure  du  dos  sur  la 
ligne  médiane,  un  peu  au-dessus  du  sacrum.  Cela  lui  faisait  mal  lorsqu'il  passait 
de  la  station  assise  à  la  station  debout,  ou  bien  quand  il  se  baissait  pour  ramasser 
un  objet.  Il  n'avait  plus  d'appétit;  ses  digestions  étaient  pénibles;  il  se  plaignait 
d'avoir  l'estomac  gonflé  ;  après  les  repas  il  était  pris  d'un  besoin  de  sommeil  irré- 
sistible. 11  attribua  tous  ces  troubles  à  la  vie  sédentaire  qu'il  menait  depuis  son 
accident  et  il  se  décida  à  reprendre  ses  fonctions  de  conducteur. 

Au  commencement  du  mois  d'octobre,  un  mois  après  Taccident,  il  fit  un  voyage 
à  Vienne.  Pendant  le  trajet  il  remarqua  en  délivrant  un  reçu  à  un  voyageur  que  sa 
main  droite  tremblait  ;  ce  tremblement  fut  assez  prononcé  pour  l'empêcher  d'écrire, 
mais  il  s'atténua  quelques  heures  après.  De  retour  à  Paris,  quand  il  remit  son  carnet 
au  contrôleur  de  la  Compagnie,  celui-ci  lui  lit  observer,  que  ses  écritures  étaient 
en  désordre  et  que  ses  comptes  étaient  faux.  Il  s'excusa  en  disant  «  que  depuis  l'ac- 
cident qui  lui  était  arrivé,  il  n'avait  plus  sa  tête  à  lui,  que  sa  mémoire  était  em- 
brouillée >?. 

Après  quelques  jours  de  repos,  il  partit  pour  un  second  voyage.  Il  devait  allor 
jusqu'à  Madrid.  Mais,  à  Bordeaux,  il  fut  obligé  de  s'arrêter.  Le  tremblement  de  la 
main  droite  s'était  accentué,  de  même  que  la  céphalée  constrictive  ;  il  sentait  que 
sa  jambe  et  son  bras  droit  devenaient  faibles  ;  il  obtint  un  congé  et  rentra  chez  lui. 
Pendant  une  huitaine  de  jours,  il  garda  la  chambre.  Il  était  triste,  maussade,  tout 
l'agaçait.  Il  se  mettait  tout  à  coup  à  pleurer  sans  trop  savoir  pourquoi.  Constamment 
préoccupé  de  son  état  de  santé,  il  disait  souvent  à  sa  femme  «  quHl  avait  peur  d'être 
paralysé  ».  Le  tremblement  du  membre  supérieur  droit  était  devenu  incessant;  la 
jambe  droite  commençait  aussi  à  trembler.  Les  troubles  dyspeptiques,  la  céphalée 
constrictive,  le  point  douloureux  lombaire,  persistaient.  Parfois  il  était  pris  de 
vertiges.  Tel  était  l'état  du  malade,  lorsque  dans  les  premiers  jours  de  novembre,  il 
eut  ce  qu'il  appelle  sa  première  «  attaque  de  nerfs  ». 

Un  jour,  vers  6  heures  du  soir,  étant  dans  sa  chambre,  il  éprouva  tout  à  coup 
«  comme  des  secousses  électriques  dans  les  membres, puis  il  sentit  quelque  chose  lui 
monter  à  la  gorge  ;  il  étouffait  ».  Ses  tempes  battaient,  il  entendait  des  bourdon- 
nements dans  les  oreilles  ;  au  même  instant  sa  vue  se  troubla  et  il  tomba  sans  con- 
naissance. Quand  il  revint  à  lui,  au  bout  de  dix  minuies  environ,  sa  femme,  qui 
était  présente,  lui  raconta  ce  qui  s'était  passé  :  elle  lui  dit  qu'ils'était  débattu,  qu'il 
s'était  roulé  sur  le  parquet  en  criant  et  en  cherchant  à  déchirer  ses  habits  et  elle 
ajouta:  «  Tu  as  eu  une  crise  de  nerfs  comme  la  voisine  ».  Or,  renseignements  pris, 
la  voisine  est  une  hystérique  qui  a  de  temps  en  temps  de  grandes  attaques,  et  qui 
«  lorsqu'elle  sent  qu'elle  va  avoir  sa  crise  », appelle  auprès  d'elle  la  femme  du  malade. 
Au  sortir  de  cette  première  attaque,  Glaw...  remarqua  que  sa  jambe  et  son  brns 
droit"  (remblaient  ;)lus  fort,  que  ces  membres  étaient  devenus  beaucoup  plus  faibles. 


—  531  — 

Deux  jours  apros,  il  eut  encore  vers  7  lieui  es  du  soir,  une  seconde  attaque  sem- 
blable à  la  prcmiôre  et  précédée  commeelle  des  mêmes  sensations  de  serrement  à 
la  gorge,  d'étouffement,  de  battements  dans  les  tempes,  etc.  Depuis  cette  époque 
les  crises  allèrent  se  répétant  à  des  intervalles  variables.  Au  mois  de  janvier  1889, 
il  alla  consulter  à  l'hôpital  Necker  et  sous  l'influence  du  traitement  hydrothérapique 
qui  lui  fut  prescrit  par  M,  le  D'  Rendu,  ces  crises  devinrent  un  moment  moins  fré- 
quentes. Depuis  lors  tous  les  troubles  que  présentait  le  malade  lors  de  sa  première 
attaque  ont  persisté  sans  se  modifier  le  moins  du  monde,  en  dépit  des  thérapeuti- 
ques diverses  auxquelles  il  a  été  soumis. 

Voici  quel  est  l'état  du  malade  le  3  juillet  1889,  jour  de  son  entrée  à  la  Salpê- 
trière. 

Etat  actuel  (3  juillet  1889).  C'est  un  homme  de  taille  moyenne,  bien  musclé  et  d'as- 
pect assez  robuste.  Il  est  in^,elligent  ;  il  répond  avec  précision  aux  questions  <{u'on 
lui  pose,  mais  d'une  voix  cassée  et  qui  tremble  par  instants. 

Motilité.  —  Les  traits  du  visage  sont  symétriques  et  réguliers.  Il  n'y  a  aucune 
apparence  de  spasme  ni  de  paralysie.  La  langue  est  tirée  droite  et  se  meut  dans 
tous  les  sens  sans  difficulté. 

Le  malade  se  plaint  d'avoir  perdu  ses  forces  ;  à  peine  a-t-il  fait  quelques  pas  qu'il 
se  sent  fatigué.  Indépendamment  de  cet  affaiblissement  général,  il  existe  chez  lui 
une  parésie  très  prononcée  des  membres  du  côté  droit. 

Le  membre  supérieur  droit  est  un  peu  moins  affaibli  que  la  jambe.  Le  malade  peut 
exécuter  avec  son  bras  droit  tous  les  mouvements  qu'on  lui  commande,  mais  à  la 
condition  que  ces  mouvements  ne  nécessitent  pas  d'effort. 

Au  dynamomètre i  ^^^^   ^'^'^'  =  ^^  kilogrammes. 

•'  i     —     gauche  =  36  — 

La  main  droite  est  animée  d'un  tremblement  continu  assez  rapide,  qui  s'atténue 
légèrement  quand  le  malade  laisse  reposer  sa  main  sur  ses  genoux,  et  qui  s'accroît 
un  peu  quand  il  saisit  un  objet.  Les  oscillations  sont  assez  fortes  pour  que  le 
malade  ne  puisse  pas  porter  un  verre  d'eau  à  sa  bouche  sans  répandre  une  partie 
du  liquide.  Ce  tremblement  cesse  pendant  le  sommeil,  il  s'accroît  sous  l'influence 
des  émotions,  des  efforts;  cependant  deux  ou  trois  jours  après  chaque  attaque,  il 
acquiert  une  intensité  telle  que  le  malade  est  incapable  de  se  servir  de  sa  main 
droite  pour  manger  ou  bien  pour  boutonner  sa  veste  par  exemple. 

Le  membre  inférieur  droit  tremble  aussi,  mais  beaucoup  moins  que  le  bras.  Par 
contre,  il  est  relativement  plus  affaibli.  Le  malade  ne  peut  pas  se  tenir  debout  sur 
le  pied  droit;  il  marche  lentement,  en  s'aidant  d'une  canne;  il  boite  et  traîne  un 
peu  le  pied  par  moments.  Les  réflexes  tendineux  sont  conservés  et  d'intensité  nor- 
male. 

Sensibilité.  —  On  constate  une  anesthésie  absolue  dans  toute  la  moitié  droite  du 
corps  pour  la  sensibilité  à  la  douleur,  lasensibilitéthermique  et  le  sens  musculaire. 
Par  contre  la  sensibilité  tactile  n'est  que  diminuée.  La  conjonctive  de  l'œil  droit,  la 


-^  532  — 

muqueuse  nasale  du  côté  droit,  la  moitié  droite  du  pharynx  sont  complètement 
insensibles. 

On  peut  comprimer  fortement  le  testicule  droit  sans  provoquer  aucune  douleur. 

Sens.  —  L'ouïe  et  l'odorat  sont  affaiblis  notablement  du  côté  droit. 

Le  goût  est  complètement  aboli  sur  toute  la  moitié  droite  de  la  langue. 

Pas  de  troubles  oculaires. 

Zone  hystérogène.  —  Lorsqu'on  exerce  une  pression  un  peu  énergique  au  niveau  de 
la  partie  droite  de  l'hypogastre  immédiatement  au-dessus  du  pli  de  l'aine,  le  malade 
accuse  d'abord  une  vive  douleur,  puis  il  sent  comme  une  boule  qui  lui  monte  du 
ventre  à  la  gorge;  sa  respiration  devient  anxieuse,  et  si  on  l'interroge  sur  ce  qu'il 
éprouve,  il  se  plaint  d'avoir  des  bourdonnements  dans  les  oreilles;  des  battements 
dans  les  tempes;  puis  sa  vue  se  brouille  et  il  menace  de  tomber,  les  choses  s'arrêtent 
là,  et  l'aura  ainsi  provoquée  n'est  pas  suivie  d'attaque. 

État  mental.  —  Depuis  l'accident  dont  il  a  été  victime,  le  malade  est  triste,  apa- 
thique; il  cause  peu;  parfois  il  pleure  sans  motif.  Il  n'a  plus  la  vivacité  d'esprit, 
l'entrain,  qu'il  avait  autrefois,  mais  son  intelligence  paraît  intacte.  Par  contre  sa 
mémoire  est  affaiblie;  il  le  sait  et  il  s'en  plaint.  «  Il  y  a  des  jours,  dit-il,  où  j'oublie 
tout  ce  que  je  viens  de  faire  et  d'autres  jours  je  me  rappelle  très  bien.  »  Cependant 
il  nous  a  raconté  l'histoire  de  sa  maladie,  à  plusieurs  reprises,  sans  trop  d'hésita- 
tion et  sans  trop  varier  dans  ses  assertions. 

Enfin  le  malade  accuse  toujours  cette  céphalée  gravative  incessante  et  prédomi- 
nant dans  la  région  occipitale  qui  est  apparue  dès  la  seconde  semaine  après  la  col- 
lision. Dès  qu'il  se  met  à  lire,  son  mal  de  tête  s'accroît.  Il  a  souvent  des  vertiges. 
L'appétit  est  médiocre,  les  digestions  sont  pénibles,  il  étouffe  et  il  a  le  sang  à  la 
tête  après  le  repas. 

Le  6  juillet  le  malade  demande  sa  sortie.  Nous  l'avons  revu  et  examiné  à  nouveau 
le  25  juillet,  puis  le  4  et  le  26  août.  Il  n'y  a  rien  de  changé  dans  son  état.  Il  présente 
exactement  les  mômes  symptômes  que  nous  avions  constatés  pendant  son  séjour 
dans  le  service  de  la  Clinique.  Il  a  toujours  des  attaques,  une  ou  deux  par  semaine 
en  moyenne.  Mais  il  existe  chez  lui  actuellement,  de  la  diplopie  monoculaire  et  un 
rétrécissement  concentrique  et  permanent  du  champ  visuel  (examen  du  20  août), 
signes  qui  faisaient  encore  défaut  à  l'époque  où  le  malade  a  quitté  l'hôpital. 

Il  est  difficile,  en  vérité,  de  ne  pas  reconnaître  dans  l'histoire  clinique  du  cas  de 
railway-spine  qui  précède,  l'association  d'un  état  neurasthénique  des  plus  nets  à 
l'hystérie.  Si,  actuellement,  les  symptômes  de  l'une  et  l'autre  névrose  se  trouvent 
réunis  chez  ce  malade  de  façon  à  constituer  un  complcxus  en  apparence  autonome, 
il  n'en  a  pas  toujours  été  ainsi.  Les  signes  delà  neurasthénie  ont  ai)paru  chez  Claw,.. 
trois  semaines  environ  après  l'accident  dont  il  a  été  victime.  TJne  céphalée  constric- 
tive,  tenace,  généralisée,  mais  prédominante  à  l'occiput,  une  zone  médiocrement 
douloureuse,  située  à  la  partie  inférieure  de  la  colonne  lombaire,  l'appétit  nul,  des 
digestions  pénibles,  un  affaiblissement  général,  de  la  tristesse,  la  mémoire  amoin- 


—  r)33  — 

drie,  voilà  quels  sont  les  troubles  qu'il  a  tout  d'abord  accusés.  En  quoi  cet  état 
diffère-t-il  du  tableau  symptoinatique  de  la  n<^vrose  de  fieard  ?  Or,  ce  n'est  qu'un 
mois  plus  tard  que  ce  sont  montrées  les  premières  manifestations  hystériques, 
telles  que  la  parésie,  le  tremblement  des  membres  du  côté  droit  et  les  attaques.  Le 
sujet  a  donc  été  pendant  un  certain  tomps  seulement  neurasthénique.  Après  quoi, 
conformément  à  une  évolution  sur  laquelle  M.  Charcot  a  plusieurs  fois  appelé  l'at- 
tention, l'hystérie  est  venue  s'ajouter  à  la  neurasthénie  déjà  existante.  Celle-ci  a 
précédé  un  moment  celle-là.  La  dissociation  clinique  des  deux  névroses  lorsqu'elles 
se  combinent  ainsi  chez  le  mrme  individu,  est  donc  parfaitement  légitime,  elle 
répond  à  la  réalité  des  faits;  elle  n'est  pas  seulement  une  vue  de  l'esprit,  puisque 
l'hystérie  et  la  neurasthénie  peuvent  apparaître  successivement  chez  le  même 
malade,  comme  elles  peuvent  se  montrer  isolément  sur  des  sujets  différenls. 

La  présence  de  l'hystérie  chez  notre  patient,  ne  saurait,  je  pense,  faire  l'ombre 
d'un  doute.  Une  hemianesthésie  droite  totale  absolue  pour  le  toucher,  la  douleur, 
la  sensibilité  thermique  et  le  sens  musculaire,  un  rétrécissement  concentrique  du 
champ  visuel  des  deux  yeux,  l'abolition  du  goût  dans  toute  la  moitié  droite  de  la 
langue,  un  affaiblissement  très  appréciable  de  l'ouïe  et  de  l'odorat  du  même  côté, 
une  zone  hystérogène,  des  attaques  caractérisques,  que  faut-il  de  plus?  Je  ne  vois 
vraiment  pas  par  quels  artifices  de  dialectique  on  pourrait  arriver  à  démontrer  que 
cet  assemblage  de  symptômes  et  de  stigmates  hystériques  n'est  pas,  purement  et 
simplement,  de  nature  hystérique. 

Il  est  vrai  que  MM.  Oppenheim  et  Thomsen  ont  cru  trouver  dans  la  ténacité  des 
anesthésies  chez  les  traumatisés  un  caractère  qui  permettrait  de  les  différencier  des 
anesthésies  vraiment  hystériques.  L'anesthésie  des  traumatisés,  disent-ils,  est  tou- 
jours tenace  ;  elle  ne  présente  pas  cette  mobilité,  ces  changements  capricieux  qui 
caractérisent  les  anesthésies  hystériques.  Mais  cet  argument  ne  vaut  pas.  Il  est  né, 
M.  Charcot  (l)ra  parfaitement  dit,  «  de  l'idée  relativement  fausse  que  l'on  se  fait 
en  général  du  tableau  clinique  de  l'hystérie  chez  la  femme.  Chez  le  mâle,  en  effet, 
la  maladie,  quelle  qu'en  soit  la  cause,  se  présente  souvent  comme  une  affection 
remarquable  par  la  permanence  et  la  ténacité  des  symptômes  qui  la  caractérisent. 
Chez  la  femme  au  contraire,  —  et  c'est  là  ce  qui  semble  faire  la  différence  capitale 
entre  les  deux  sexes,  pour  qui  ne  connaît  pas  à  fond  la  maladie  chez  la  femme,  — 
ce  que  l'on  croit  être  le  trait  caractéristique  de  l'hystérie,  c'est  l'instabilité,  la 
mobilité  des  symptômes  »...  Or  cette  mobilité,  cette  fugacité  n'est  pas,  tant  s'en 
faut,  notre  maître  l'a  montré  par  de  nombreux  exemples,  un  caractère  univoque  de 
la  maladie  hystérique,  même  chez  la  femme.  Chez  elle,  il  y  a  des  hystéries  aux  stig- 
mates permanents,  d'une  stabilité  inéluctable,  résistant  pendant  des  années  entières 
voire  même  des  dixaines  d'années,  aux  interventions  les  mieux  conduites. 

Un  autre  argument  invoqué  à  l'appui  de  leur  thèse,  par  les  mêmes  auteurs,  c'est 
que  V  état  psychique  des  traumatisés  n'est  pas  celui  des  hystériques. Ces  derniers  sont, 

1.  Leçons  sur  les  maiadie§  du  système  nerv.,  t.  111,  p.  252. 


—  534  — 

dit-on,  d'humeur  fantasque,  changeante,  le  plus  souvent  indifférents  ou  gais.  Les 
traumatisés  sont  au  contraire  toujours  tristes,  mélanmonttouli,sco  srque  par  des- 
rêves effrayants,  des  hallucinations  hypnagogiques  ;  leur  mémoire  présente  de  nom 
breuses  lacunes  ;  leurs  facultés  intellectuelles  sont  amoindries.  Tous  ces  désordres 
dans  l'état  mental  constitueraient,  si  l'on  en  croit  MM.  Oppenheim  et  Thomsen, 
une  psychose  spéciale  appartenant  en  propre  aux  traumatisés  et  complètement 
étrangère  à  l'hystérie  proprement  dite. 

Cependant,  si  l'on  examine  un  à  un  les  divers  éléments  qui,  par  leur  assemblage, 
forment  cette  prétendue  psychose,  on  n'en  découvre  véritablement  aucun  qui  ne 
soit  connu  déjà  comme  appartenant  au  tableau  clinique,  soit  de  la  neurasthénie, 
soit  de  l'hystérie. 

La  tristesse,  la  mélancolie,  l'apathie  intellectuelle  ?  Mais  M.  Charcot  à  déjà 
montré  que  chez  le  mâle  en  particulier,  la  dépression  et  la  tendance  mélancolique 
s'observent  le  plus  communément  dans  les  cas  d'hystérie  les  plus  accusés,  indépen- 
dants de  tout  traumatisme,  les  moins  contestables.  Et  puis  les  changements  d'hu- 
meur, les  caprices  n'existent  pas  toujours  nécessairement  dans  l'hystérie  de  la 
femme.  Ces  troubles  ne  sont  donc  pas  caractéristiques  de  l'hystérie.  Tout  cela  n'a 
rien  d'absolu.  Il  y  a  des  hystériques  mâles  qui  sont  gais,  et  l'on  peut  rencontrer  des 
femmes  hystériques  d'humeur  toujours  mélancolique,  tristes,  déprimées,  à  la 
manière  des  traumatisés,  alors  même  que  le  traumatisme  n'est  pas  à  l'origine  de 
leur  névrose.  . 

Les  rêves  effrayants  auxquels  l'accident  dont  les  malades  ont  été  victimes  sert 
très  souvent  de  thème,  les  visions  d'animaux,  les  hallucinations...  etc.,  mais  tout 
cela  c'est  la  monnaie  courante  de  l'hystérie. 

Il  y  a  encore  l'affaiblissement  de  la  mémoire,  la  torpeur  intellectuelle.  Est-ce 
qu'il  n'est  pas  banal  de  rencontrer  de  purs  neurasthéniques  que  leur  état  d'apathie 
leur  dépression  mentale,  leur  mémoire  troublée  rendent  incapables  de  se  livrer  à 
leurs  occupations  habituelles  ?  Qu'ont  donc  de  spécial  les  troubles  psychiques  des 
traumatisés  ?  En  réalité,  ils  ressortissent  les  uns  à  la  neurasthénie,  les  autres  à 
l'hystérie.  Leur  association  chez  un  même  individu  ne  légitime  pas  plus  la  création 
d'une  psychose  nouvelle,  que  la  combinaison  de  l'hystérie  et  de  la  neurasthénie  ne 
constitue  une  névrose  particulière,  qui  serait  la  névrose  traumatique. 

Il  est  certain  que  cette  superposition  des.  symptômes  de  la  neurasthénie  aux  stig- 
mates hystériques  s'observe  plus  habituellement  chez  les  traumatisés.  Mais  il  ne 
faut  pas  oublier  que  le  traumatisme  n'a  nullement  le  privilège  de  déterminer  l'ap- 
parition de  cet  état  complexe  dans  lequel  l'hystérie  et  la  neurasthénie  se  dévelop- 
pent côte  à  côte. 

Souvent  le  choc  physlcjne  a  fait  défaut  ou  n'a  pas  atteint  le  malade  ;  celui-ci  n'a 
été  ni  contusionné,  ni  commotionné  le  moins  du  monde.  Il  a  seulement  éprouvé  au 
moment  où  l'accident  s'est  produit,  une  frayeur  plus  ou  moins  vive,  une  émotion 
soudaine.  On  dit  alors  qu'il  y  a  eu  shoch  nerveux.  Cotte  expression  fait  image  ;  mais 
elle  ne  saurait  évidemment  signifier  autre  chose,  dans  l'espèce  que:  émotion  subite. 


—  535  — 

Il  faut  se  garder  de  la  prendre  trop  à  la  lettre  et  ne  pas  s'imaginer,  sous  prétexte 
que  dans  «  shock  nerveux  »  il  y  a  «  shock  »,  qu'an  sujet  qui  devient  hystcro- 
neurasthéniquc,  par  exemple,  pour  avoir />r////  être  tamj)onrié  en  traversant  la  voie 
ferrée,  est  malade  au  môme  titre  que  tel  autre  voyageur  qui  asuiiit  les  effets  maté- 
riels et  psychiques  d'une  collision.  Le  premier  de  ces  malades  n'appartient  plus  â  la 
série  traumatique.  Son  cas  doit  être  rangé  dans  la  catégorie  des  hystéries  provo- 
quées par  une  émotion  quelconque.  Si  l'on  veut  faire  passer  les  faits  de  cet  ordre  à 
l'actif  du  railway-spine  ou  de  la  névrose  traumatique,  nous  demanderons  en  quoi  le 
shock  nerveux  éprouvé  par  un  individu  qui  voit  avec  terreur  une  locomotive  arriver 
sur  lui, mais  qui  peut  se  sauver  à  temps  sans  être  atteint,  diffère  du  shock  nerveux 
de  tel  autre  individu  qui  apprend  tout  à  coup  qu'il  a  perdu  sa  fortune  ou  qui  voit 
périr  son  fils  de  mort  violente  (1).  Dans  tout  cela,  où  est  le  traumatisme,  et,  par- 
tant, que  devient  la  névrose  traumatique  (2)  ?  » 


APPENDICE  N°  2 

Rétractions  fibro-tendineuses  dans  les  paralysies  spasniodiques 
par  lésions  organiques  spinales,  dans  les  paralysies  alcoo- 
tiques  et  dans  la  contracture    spasmodique   hystérique. 

(Pied  bot  hystérique  (3).  Voir  la  Leçon  17  (2°   Malade, 
pp.  381,  384). 


«  Considéré  en  soi,  le  premier  sujet  sur  lequel  je    vais    appeler  votre   attention 
n'offre  plus  guère  actuellement  qu'un  intérêt  purement  rétrospectif.  La  maladedont 

i.  Voir  la  leçon  13,  p.  292,  et  le  tableau  p.  ^98. 

2.  Extrait  d'un  travail  publié  par  M.  Dutil,  inlenie  du  service  de  la  clinique  à  la  Salpê- 
trjère.  dans  la  GazeLleMédicale  du  samedi  23  novembre  1889. 

3.  Leçon  de  M.  Charcot  recueillie  par  M.  Babinski,  chef  de  clinique  et  publiée  par  le  Bul- 
letin médical  ;  mars  1887,  p    109. 

Le  sujet  dont  il  est  traité  dans  cette  leçon  a  été  développé  avec  un  imposant  concours 
d'arguments  d'ordre  chirurgical  dans  une  importante  communication  faite  à  la  Société  de  chi- 
rurgie par  M.  le  D'  Terrillon,  chirurgien  do  Thospico  de  la  Salpètrière. 

72 


—  536  — 

il  s'agit,  est  en  effet  complètement  guérie  depuis  trois  ans  de  l'affection  dont  elle  a 
souffert  et  qui  l'a  immobilisée  au  lit  pendant  une  période  de  plus  de  vingt-quatre 
mois.  Mais  je  pense  que  son  histoire,  que  je  vais  rappeler  dans  un  instant,  pourra 
nous  aider  tout  à  l'heure  dans  l'interprétation  d'un  deuxième  cas  qui  doit  être 
l'objet  principal  de  la  leçon  d'aujourd'hui.  Je  tiens  à  vous  prévenir  tout  d'abord, 
messieurs,  que  les  deux  sujets  que  nous  rapprocherons  l'un  de  l'autre  appartiennent 
à  des  groupes  nosographiques  fort  éloignés,  puisque,  dans  l'un  il  s'est  agi  d'une 
affection  organique  par  excellence,  la  pachyméningite  cervicale  hypertrophique, 
tandis  que  dans  l'autre  il  s'agit,  au  contraire,  d'une  affection  purement  dynamique, 
sans  lésions  matérielles  appréciables  ;  je  veux  parler  de  la  contracture  spasmo- 
dique  hystérique.  Mais  voici  le  point  commun  qui  me  paraît  motiver  le  rap- 
prochement que  nous  allons  établir  entre  les  deux  cas  :  dans  le  premier,  une 
intervention  chirurgicale  a  été  nécessaire  pour  compléter  la  guérison,  et  cette 
même  intervention  chirurgicale,  ou  du  moins  une  intervention  du  même  ordre,  me 
paraît  actuellement  nécessaire  pour  compléter  la  guérison  dans  le  deuxième  cas. 
D'ailleurs  nous  finirons  peut-être  par  reconnaître,  chemin  faisant,  que  bien  qu'ils 
appartiennent  à  deux  catégories  absolument  distinctes,  ces  deux  cas  présentent 
cependant,  à  certains  égards,  des  traits  communs  plus  nombreux  qu'on  ne  le  pour- 
rait supposer  tout  d'abord. 

Nous  commencerons  par  le  cas  de  la  pachyméningite  cervicale  hypertrophique.  Il 
s  agit  d'abord  de  démontrer  que  le  sujet  présent  qui,  depuis  trois  ans,  a  retrouvé 
complètement  l'usage  de  tous  ses  membres,  a  été  atteint  de  pachyméningite  cer- 
vicale hypertrophique.  Cela  étant  fait,  nous  n'aurons  pas  à  nous  étonner  outre  me- 
sure que  le  malade  ait  guéri,  car  on  possède  aujourd'hui  un  certain  nombre  de  cas 
de  guérison  dans  cette  affection,  qui  ont  été  récemment  réunis  par  M.  EdgardHirtz, 
dans  un  mémoire  publié  en  juin  4886,  dans  les  «  Archives  de  médecine  >.  Mais  le 
fait  intéressant,  ainsi  que  je  le  relevais  tout  à  l'heure,  c'est  que  la  guérison  dans 
ce  cas,  commencée  et  poussée  assez  loin  par  les  moyens  médicaux,  n'a  pu  devenir 
complète  que  par  l'intervention  chirurgicale,  et  c'est  sur  cette  intervention  dans 
un  cas  de  paralysie  spasmodique  d'origine  spinale  que  je  veux  particulièrement 
insister. 

Notre  malade  est  aujourd'hui  âgée  de  62  ans  ;  elle  a  eu  cinq  enfants,  a  souffert 
autrefois  de  douleurs  rhumatoïdes.  Elle  a  habité  pendant  vingt-quatre  ans  dans  une 
boutique  humide,  couchant  dans  l'arrière-boutique.  Il  y  a  six  ans  de  cela,  elle  a  été 
prise  de  douleurs  névralgiques  dans  les  membres  supérieurs,  dans  le  cou,  le  dos  et 
la  poitrine.  Il  y  a  donc  eu  peut-être  une  participation  dorsale.  Cette  période  dou- 
loureuse a  duré  six  mois  ;  puis  s'est  développée  une  paralysie  avec  amyotrophie  des 
membres  supérieurs  qui  présentaient  la  griffe  radiale  (mains  de  prédicateur)  ;  plus 
tard  encore  est  apparue  une  paraplégie  lombaire  spasmodique  avec  exagération 
des  réflexes  tendineux  et  trépidation  épileptoïde. 

On  lui  appliqua  pendant  ce  temps  des  pointes  de  feu  le  long  de  la  colonne  verté- 
brale et  on  lui  fit  prendre  de  l'iodure  de  potassium.  Il  y  a  de  cela  trois  ans,  Tamé- 


—  537  — 

lioration  comraença  à  apparaître  ;  la  contracture  des  membres  inférieurs  s'atténua, 
les  réflexes  tendineux  diminueront  d'intensité,  la  trépidation  disparut  ;  l'améliora- 
tion du  côté  des  membres  supérieurs  marchait  du  m^^me  pas  et  même  plus  rapide- 
ment, car  bientôt  la  griffe  radiale  cessa  d'exister,  l'amyolrophie  diminua  et  il  y  eut 
récupération  des  divers  mouvement!?.  Mais  ce  qui  nous  intéresse  particulièrement, 
c'est  ce  qui  s'est  passé  du  côté  des  membres  inférieurs. 

La  paralysie  spasmodique  s'atténua  de  plus  en  plus,  et  même  à  un  moment  donné 
il  était  devenu  évident  que  la  rigidité  spasmodique  des  muscles  n'existait  plus  et 
que,  par  conséquent,  l'afTection  spinale  n'était  plus  en  jeu.  Cependant  une  flexion 
à  angle  droit  des  jambes  sur  les  cuisses  et  non  plus  à  angle  aigu  comme  autrefois 
persistait  encore.  Quelle  était  donc  la  cause  de  l'obstacle  à  la  flexion  et  surtout  à 
l'extension  qui  existait  encore  ? 

L'examen  attentif  rendit  probable  qu'il  s'agissait  là  :  1°  d'un  raccourcissement  des 
tendons  des  muscles  fléchisseurs  de  la  cuisse,  et  2''  de  la  rétraction  du  tissu  cel- 
lulo-fibreux  formé  autour  de  la  jointure,  surtout  en  arrière  dans  le  creux 
poplité. 

Ce  qui  rendait  cette  opinion  déjà  vraisemblable,  pour  ne  pas  dire  plus,  c'était  : 
1°  la  disparition  de  l'exagération  des  réflexes  rotuliens  et  de  la  trépidation  spinale; 
2°  la  sensation  produite  par  les  tentatives  de  flexion  ou  d'extension  du  genou. 

Dans  le  cas  de  contracture  spasmodique,   les  muscles   d'action  contraire,  vous  le 
savez,  sont  simultanément  en  jeu  ;  la   contracture    occupe,  en    efl'et,  à  peu  près  au 
même  degré,  les  fléchisseurs  et  les  extenseurs,  par  exemple  ;  seulement,  les  fléchis- 
seurs et  les   extenseurs  prédominent  suivant  les  cas,  et  dans  l'observation  présente 
c'étaient   les   fléchisseurs.   Tant    que  la    contracture    persiste,   la  résistance  est  à 
peu    près     aussi     grande   du    côté   de   la    flexion    que   de   celui   de   l'extension 
et  quand    on    cherche    à     imprimer    au  membre     un    mouvement    passif,  on 
éprouve  la  sensation  d'une  résistance  progressive  et  élastique,  en  quelque  sorte,  les 
parties   tendant  à   reprendre    d'elles-mêmes  la  position  dont  on  les   éloigne.   Or 
chez  notre  malade,  ce  n'était  plus  cela  qu'on  observait  ;  Texlcnsion  pouvait  se  faire 
facilement  dans  une  certaine  mesure,  mais  à  un  moment  donné,   brusquement,  elle 
se  trouvait  limitée  par  un  obstacle  mécanique    ne  donnant  pas   la  sensation  de  ré- 
sistance élastique  et    absolument  invincible.    D'ailleurs   le  chloroforme  devait  ré- 
soudre la  question  ;    toute    contracture   spasmodique   se   résout    absolument  sous 
l'influence  du    sommeil  chloroformique    poussé  suffisamment   loin  ;  or  ici,  même 
dans  le  sommeil  profond,  l'obstacle  persistait.  C'est  alors  que  nous  priâmes  M.  Ter- 
rillon  d'intervenir. 

L'examen  du  genou  fit  voir  en  avant  un  certain  degré  d'immobilité  de  la  rotule, 
et  dans  le  creux  poplité  la  rigidité  des  fléchisseurs  de  la  jambe  sur  la  cuisse,  et  de 
plus  cet  examen  lit  éprouver  dans  cette  région  une  sensation  montrant  que  celui-ci 
était  rempli  de  tissu  fibreux  rétracté. 

Les  opérations  qui  suivirent  vinrent  confirmer  l'opinion  qu'on  s'était  faite  de 
l'état  des  tissus. 


—  538  — 

Une  première  opération  consista  dans  la  section  des  tendons  fléchisseurs,  qui 
n'amena  qu'un  redressement  incomplet  ;  quinze  jours  après,  une  deuxième  tenta- 
tive consistant  à  provoquer  sous  Faction  du  chloroforme  l'extension  forcée,  suivie 
d'immobilisation,  avait  démontré,  en  outre  de  la  réfraction  tendineuse,  l'existence 
du  tissu  fibreux  rétracté  que  d'ailleurs  on  entendait  se  déchirer  en  produisant  des 
craquements  pendant  les  manœuvres  d'extension  :  une  troisième  tentative  du  même 
genre  fut  nécessaire  pour  amener  l'extension  complète.  A  la  suite  de  cette  opéra- 
tion en  trois  fois,  il  s'est  passé  encore  deux  mois  avant  que  la  malade  pût  marcher. 
Sous  l'influence  du  repos  prolongé,  les  muscles  des  membres  s'étaient  émaciés  ; 
l'électrisation  fut  mise  en  jeu  pour  les  ramener  aux  conditions  normales.  Enfin, 
depuis  trois  ans,  la  malade  est  guérie  ;  elle  ne  souffre  plus,  fait  de  longues  courses 
à  pied,  ne  présente  pas  la  moindre  trace  de  paralysie  spasmodique,  et  comme 
vestige  de  l'afTeclion  dont  elle  a  souffert,  il  ne  reste  plus  qu'une  difficulté  à  se  met- 
tre à  genoux  et  un  peu  de  raideur  dans  le  cou  ;  mais  c'est  en  somme  bien  peu  de 
chose,  et  l'on  peut  dire  que  la  guérison  est  complète,  absolue. 

Puisque  j'en  suis  à  vous  parler  des  guérisons  de  la  pachyméningite,  je  puis 
vous  montrer  un  autre  cas  du  même  genre.  Ici,  l'affection  a  été  moins  grave,  la 
paralysie  spasmodique  n'a  jamais  été  qu'ébauchée,  c'est-à-dire  que  les  accidents  de 
la  troisième  période  ne  se  sont  pas  complètement  accusés  ;  mais,  par  contre,  l'évo- 
lution rétrograde  s'est  arrêtée  en  chemin  et  nous  ne  pensons  pas  qu'on  puisse  es- 
pérer le  retour  à  Fétat  normal.  Gela  tient  peut-être  d'ailleurs  aux  habitudes  du 
sujet.  C'est  une  femme  de  34  ans,  cuisinière,  qui  a  habité  pendant  deux 
ans  un  rez-de-chaussée  humide.  L'affection  a  débuté  il  y  a  quatre  ans.  Après  une 
période  douloureuse  classique  de  six  mois,  il  s'est  développé  une  paraplégie  cer- 
vicale atrophique,  et  enfin  la  troisième  période  n'a  été  qu'esquissée  et  a  été  carac- 
térisée par  une  parésie  des  membres  inférieurs,  avec  exagération  des  réflexes  tendi- 
neux. Aujourd'hui,  il  n'y  a  que  des  vestiges  de  la  paralysie  lombaire  marquée  seu- 
lement par  des  réflexes  rotuliens  exagérés  ;  mais,  au  membre  supérieur,  il  y  a  une 
amyotrophie  avec  réaction  de  dégénérescence,  surtout  dans  les  muscles  de  la  main, 
sans  espoir  de  guérison  ;  c'est  pourquoi  il  paraît  inutile  d'essayer  de  modifier 
chirurgicalement  la  griffe  qui  existe  et  dans  laquelle  les  doigts  sont  maintenus  en 
crochets  par  le  raccourcissement  des  tendons  fléchisseurs  et  la  production  de 
brides  fibreuses. 

Messieurs,  j'insiste  comme  vous  le  voyez,  sur  la  production  possible  de  ces  brides 
fibreuses,  de  ces  raccourcissements  de  tendons  qui  maintiennent  les  déformations 
dans  certains  cas  de  paraplégie  spasmodique  curables  ou  déjà  guéris.  Je  dis  :  dans 
certains  cas,  parce  que  cette  comi)lication  ne  se  voit  pas  dans  tous  les  cas  appar- 
tenant à  un  même  groupe  ;  ainsi  je  pourrais  citer  au  moins  un  cas  de  pachymé- 
ningite cervicale  hypertrophique  ayant  produit  une  paraplégie  spasmodique  avec 
flexion  des  membres  dans  lequel  la  paralysie  a  guéri  au  bout  de   deux  ans,  sans 


—  539  — 

qu'on  piH  constater  autour  de  l'articulation,  de  celle  du  genou  en  particulier,  la 
moindre  trace  de  rétraction  fibreuse  périarticulaire.  Ce  que  je  viens  de  dire  de  la 
paraplégie  spasmodique,  delà  pachyméninf:ite  hypcrlrophique,  je  puis  le  répéter 
(i  propos  de  la  paraplégie  par  mal  de  Pott.  Vous  savez  que  souvent,  cette  paraplé- 
gie dépend  d'une  pachyméningite  caséeuse,  oLque  c'est  dans  ce  cas  une  paraplégie 
par  compression.  Cette  paraplégie,  comme  l'a  depuis  longtemps  indiqué  Leudet, 
et  comme  je  l'ai  fait  voir  à  mon  tour,  est  quelquefois  curable.  Il  faut  ajouter  que 
dans  ces  paraplégies  par  compression,  la  flexion  des  cuisses  sur  le  bassin  et  des' 
jambes  sur  les  cuisses  est  en  général  très  prononcée  (caractère  commun,  du  reste,  à 
toutes  les  paraplégies  par  compression).  Eh  bien,  dans  la  plupart  des  cas  de  ce 
genre  que  j'ai  observés,  la  résolution  des  contractures  et  la  guérison  se  sont  faites 
absolument  sans  intervention  chirurgicale,  tandis  que  dans  d'autres  cas,  de  beau- 
coup les  moins  nombreux,  en  raison  de  l'existence  de  productions  fibreuses  périar- 
ticulaircs  et  du  raccourcissement  des  tendons,  l'intervention  chirurgicale  a  été, 
comme  dans  notre  cas,  nécessaire  pour  faire  disparaître  la  déformation.  Et  ici, 
vous  le  voyez,  se  pose  un  problème  intéressant  de  pathologie. 

Pourquoi,  tout  étant  égal  d'ailleurs,  du  moins  en  apparence,  la  complication 
tcndino-fibreuse  se  produit-elle  dans  certains  cas,  et  non  dans  d'autres?  Qu'ont 
donc  de  particulier  les  sujets  chez  lesquels  elle  se  produit?  S'agit-il  là  d'une 
influence  diathésique,  d'un  élément  rhumatismal,  arthritique  que  présenteraient 
ces  sujets?  On  sait  que  certaines  rétractions  fibreuses,  indépendantes  de  toute 
paralysie,  comme  la  rétraction  de  l'aponévrose  palmaire,  relèvent,  au  moins  sou- 
vent, d'un  élément  arthritique. 

C'est  là  un  point  qu'il  serait  intéressant  d'éclaircir  et  sur  lequel  malheureuse- 
ment je  ne  suis  pas  en  mesur^},  quant  à  présent,  de  vous  donner  des  renseigne^ 
ments  précis. 

Nous  devons  donc  nous  borner,  pour  le  moment,  à  enregistrer  le  fait  et  à  en 
tirer  parti,  pour  le  plus  grand  bien  des  malades,  le  cas  échéant. 

Maisje  ne  dois  pas  vous  laisser  ignorer  que  celte  complication,  que  je  signale  à  votre 
attention,  n'est  pas  exclusivement  propre  aux  paraplégies  spasmodiques;  elle  peut 
se  montrer  encore  dans  des  paralysies  où  la  déformation  ne  dépend  par  d'une  con- 
tracture des  muscles;  tel  est  le  cas  de  la  paralysie  alcoolique,  dont  je  vous  pré- 
sente un  exemple. 

llyadans  ces  cas-là,  en  conséquence  d'une  névrite  qui  semble  primitivement 
périphérique,  une  atrophie  des  muscles  extenseurs,  suivie  d'une  chute  du  pied, 
analogue  à  la  chute  du  poignet  qu'on  observe  dans  la  paralysie  saturnine;  rien  ne 
retient  la  flexion  du  pied  —  qui  est  flottant,  ballottant  —  que  l'influence  de  la 
pesanteur. 

Dans  d'autres  cas,  cependant,  la  prédominence  des  fléchisseurs  moins  atrophiés 
oppose  une  légère  résistance  bientôt  vaincue  ;  là  même,  il  ne  s'agit  pas  d'une  dévia- 
tion spasmodique,  mais  d'une  déviation  paralytique;  la  tonicité  des  muscles  non 
altérés  est  seule  en  jeu. 


~  540  — 

Mais  il  est  enfin  un  troisième  ordre  de  faits,  qui  dans  l'espèce  me  paraît  assez 
fréquent,  et  dans  lequel,  cette  fois,  Téquinisme  ainsi  produit  est  maintenu  désor- 
mais par  le  fait  de  la  rétraction  du  tendon  d'Achille,  combinée  avec  la  production 
du  tissu  fibreux  périarticulaire. 

J'ai  observé  deux  cas  de  ce  genre  dans  lesquels,  après  guérison,  l'intervenLion 
chirurgicale  a  été  nécessaire,  et  a  réussi  une  fois  de  plus  entre  les  mains  de  M.  Ter- 
rillon. 

L'opération,  dans  ce  cas,  a  dû  être  faite,  comme  dans  le  cas  de  la  pachyménin- 
gite,  en  plusieurs  temps. 

La  section  du  tendon  d'Achille  n'a  pas  suffi  pour  obtenir  le  redressement  ;  il  a 
fallu,  à  deux  ou  trois  reprises,  en  produire  l'extension  forcée,  déchirer  les  brides 
fibreuses  périarticulaires  ;  les  malades  ont  parfaitement  guéri. 

On  ne  s'étonnera  pas  de  voir  fréquemment  des  brides  fibreuses  périarticulaires 
et  des  raccourcissements  de  tendons  se  produire  dans  la  paralysie  alcoolique,  si 
l'on  remarque,  ainsi  que  M.  Lancereaux  et  moi  nous  l'avons  fait  ressortir,  que  les 
troubles  trophiques  sont  chose  vulgaire  dans  les  membres  inférieurs  chez  les 
sujets  atteints  de  paralysie  alcoolique,  et  c'est  là  une  circonstance  qui  pouvait  être 
prévue  dans  un  cas  où  le  point  de  départ  de  la  paralysie  est  une  lésion  infiamma- 
toire  des  nerfs  périphériques.  De  fait,  les  troubles  vasomoteurs,  l'œdème,  l'empâ- 
tement, les  lésions  des  ongles,  la  peau  lisse  sont  fréquents  dans  les  parties  où 
siège  la  paralysie  alcoolique.  Mais  je  ne  veux  pas  m'étendre  plus  longtemps  sur  ce 
sujet  qui  mériterait  bien  une  étude  approfondie  et  que  je  me  borne  à  signaler  à 
votre  attention.  Cette  complication  de  rétractions  fibreuses  qui  peut  survenir  dans 
divers  cas  de  paralysie  spasmodique  ou  non  spasmodique  peut  nécessiter  l'inter- 
vention chirurgicale. 

Il  est  temps  d'en  venir  maintenant  au  cas  que  j'ai  eu  pour  objectif  pendant  toute 
la  durée  de  cette  leçon. 


Il  s'agit,  je  vous  l'ai  annoncé  déjà  en  commençant,  d'une  déformation  produite 
par  la  contracture  spasmodique  hystérique.  C'est  dire  que  s'il  est  vrai,  comme  il 
faut  l'admettre,  que  le  point  de  départ  de  TafTection  doit  être  cherché  dans  la 
moelle,  celle-ci,  cependant,  n'a  jamais  présenté  aucune  altération  appréciable. 
Actuellement,  ainsi  que  je  vous  le  démontrais  tout  à  l'heure,  la  contracture  spas- 
modique n'existe  plus,  et  à  ce  point  de  vue  on  peut  dire  que  la  malade  est  guérie, 
malgré  les  apparences  contraires  qui  sont  dues  à  ce  que  la  difformité  persiste. 

Eh  bien,  messieurs,  je  prétends  que  la  cause  de  la  persistance  de  cette  défor- 
mation doit  être  cherchée,  comme  dans  le  cas  de  paralysie  organique  que  je  vous 
citais  tout  à  l'heure,  dans  la  production  de  tissu  fibreux  périarticulaire  et  dans  le 
raccourcissement  qu'a  subi  le  tendon  d'Achille.  De  sorte  qu'ici  encore  la  guérison  ne 
pourra  être  complétée  que  par  une  intervention  chirurgicale  du  même  genre  que 
celles  dont  il  a  été  question,  et  dont  mon  collègue,  M.  Terrillon,  voudra  encore  bien 
se  charger. 


—  541  — 

Mais  jusqu'ici,  je  n'ai  procédé  que  par  assertions;  il  me  faut  actuellement  procé- 
der par  démonstration. 
J'ai  à  établir  les  points  suivants  : 

1»  La  déformation  en  pied  bot  équin  varus,  que  nous  avons  sous  les  yeux,  a  bien 
pourpoint  de  départ  une  contracture  spasmoJique  d'origine  hystérique; 

2°  Aujourd'hui  l'élément  spasmodique  a  complètement  disparu,  et  la  déformation 
—  autrefois  tout  entière  de  cause  musculaire  —  est  maintenue  désormais  seule- 
nent  par  les  rétractions  tendineuses  et  fibreuses,  qui  se  sont  produites  consécuti- 
vement à  titre  de  complication. 

Si  nous  parvenons  à  bien  montrer  tout  cela,  nous  aurons  rendu  manifeste  du 
même  coup  que  l'intervention  chirurgicale  est  opportune,  nécessaire,  et  que  cette 
entreprise  a  toutes  les  chances  d'être  couronnée  d'un  plein  succès. 

Il  nous  sera  facile  de  démontrer  que  la  malade  est  bien  hystérique  et  que  le 
double  pied  bot  qu'elle  présente  a  pour  origine  une  contracture  hystérique.  Il  nous 
suffira  pour  cela  d'indiquer  les  principaux  traits  de  l'histoire  de  cette  malade. 

Elle  a  un  père  aliéné  mort  à  l'asile  de  Clermont  ;  elle  a  25  ans  ;  de  20  à  24  ans, 
elle  a  beaucoup  souffert  moralement;  sous  cette  influence  sont  survenus  des  vomis- 
sements fréquents  se  produisant  sans  effort  et  sans  douleur  et  évidemment  de  nature 
névropathique,  des  accidents  qu'elle  appelle  des  syncopes  et  qui  paraissent  bien 
avoir  été  des  crises  hystériques,  une  paralysie  transitoire  du  membre  supérieur 
gauche  avec  anesthésie  et  perte  du  sens  musculaire  qui,  manifestement,  doit  être 
rattachée  à  l'hystérie. 

Enfin,  il  y  a  deux  ans,  tout  à  coup,  un  matin,  sans  prodromes,  s'est  produite  la 
déformation  des  pieds  en  varus  équin  qui  a  atteint  immédiatement  son  plus  haut 
degré,  et  dont  vous  retrouverez  aujourd'hui  les  vestiges.  li  y  avait  un  an  à  peu  près 
que  cela  durait  quand  la  malade  est  entrée  à  la  Salpétrière.  Nous  avons  pu  cons- 
tater alors  que  l'articulation  du  genou  était  aussi  rigide,  que  les  tentatives  de 
redressement  du  pied  donnaient  la  sensation  de  résistance  élastique  qui  est  propre 
aux  contractures  spasmodiques.  Nous  avons  reconnu  enfin  l'absence,  à  cette  époque, 
de  tout  stigmate  hystérique  sensitif  ou  sensoriel  et  nous  avons  constaté  qu'il  était 
impossible  de  produire  aux  membres  supérieurs  la  contracture  artificielle;  enfin, 
les  attaques  avaient  complètement  cessé.  On  pouvait  donc  espérer  que  la  diathèse 
hystérique  était  épuisée  et  que  Ton  viendrait  sans  doute  bientôt  à  bout  de  la  con- 
tracture spasmodique  du  pied.  Les  tentatives  d'hypnotisme  étaient  restées  sans 
résultat;  nous  ne  pouvions  compter  sur  une  disparition  des  accidents  par  voie  de 
suggestion.  Les  moyens  employés  ont  été  l'électrisation  et  le  massage  ;  ce  dernier 
mode  de  traitement,  mis  en  œuvre  pendant  un  mois,  parait  avoir  produit  une  très 
notable  amélioration.  La  flexion  du  genou  est  devenue  possible  ;  quelques  mouve- 
ments ont  reparu  dans  l'articulation  tibio-tarsienne,  et  la  malade  a  pu  alors  se 
tenir  debout  sur  la  pointe  des  pieds,  comme  vous  le  voyez  aujourd'hui.   Vous  pou- 


—  542  — 

vez  observer  comment  la  malade  peut  marcher   sans   appui  en    faisant  reposer   les 
pieds  sur  l'extrémité  des  deux  ou  trois  derniers  métatarsiens. 

Mais,  au  bout  d'un  certain  temps,  il  est  devenu  clair  qu'il  ne  se  faisait  plus  de 
progrès,  et  nous  nous  sommes  demandé  si  la  contracture  spasmodique  n'avait  pas 
disparu,  et  si  la  déformation  n'était  pas  entretenue  seulement  par  des  productions 
fibro-tendineuses.  Les  productions  de  ce  genre  sont  rares,  à  la  vérité,  dans  les  con- 
tractures hystériques,  alors  même  qu'elles  ont  duré  de  longues  années  ;  la  dispari- 
tion de  la  contracture  spasmodique  peut  se  faire  progressivement  ou  même  subite- 
ment sans  laisser  après  elle  aucune  trace  de  rigidité  articulaire,  alors  même  que 
la  rigidité  par  contraction  a  duré  plusieurs  mois,  voire  plusieurs  années  ;  mais  il 
faut  reconnaître  que  le  fait  n'est  pas  absolument  général  ;  et  il  faut  savoir  que  les 
rétractions  fibreuses  peuvent  compliquer  les  contractur^,s  hystériques,  comme  elles 
compliquent  les  paralysies  organiques.  Je  pourrais  même  citer  trois  exemples  de' 
ce  genre  dont  deux,  par  une  singulière  coïncidence,  chez  des  dames  russes. 

Mais  pouvons-nous  démontrer  que  la  contracture  spasmodique  n'existe  plus  ?  Oui, 
je  le  crois. 

Vous  voyez  que  la  malade  peut,  dans  une  certaine  mesure,  mouvoir  son  pied 
librement  en  dedans,  en  dehorâ,  en  avant,  en  arrière,  ce  qui  n'arrive  jamais  au 
même  degré  dans  les  contractures  hystériques  où  les  choses  sont  poussées  toujours 
à  l'extrême,  si  bien  qu'en  général  le. malade  ne  peut  imprimer  aucun  mouvement 
aux  parties  contracturées.  Déplus,  quand  on  imprime  des  mouvements  passifs  à  la 
jointure,  en  dedans  ou  en  dehors,  le  mouvement  est  à  peu  près  complet  ;  le  mou- 
vement de  flexion  plantaire  et  aussi  assez  étendu,  et  on  ne  sent  nulle  part  cette 
résistance  élastique,  qui  donne  la  sensation  d'un  ressort  tendu,  qui  appartient  à  la 
contracture  spasmodique. 

Au  contraire,  quand  on  veut  produire  la  flexion  dorsale  du  pied,  on  est  bientôt 
arrêté  brusquement  par  un  obstacle  purement  mécanique  qui  paraît  être  surtou 
le  tendon  d'Achille  raccourci,  mais  qui  pourrait  bien  avoir  aussi  sa  cause,  d'après 
ce  que  nous  savons,  dans  la  production  de  tissu  fibreux  périarticulaire.  S'il  vous 
reste  encore  après  cela  un  doute  dans  l'esprit,  je  pourrais  vous  fournir  enfin  un 
argument  absolument  décisif  en  faveur  de  la  thèse  (pic  je  soutiens  :  la  malade  a  été 
soumise  à  la  chloroformisation  et,  pendant  le  sommeil  profond,  la  déformation 
ne  s'est  en  rien  modifiée,  elle  est  restée  telle  quelle,  sans  que  nous  ayons  pu 
rien  gagner.  Il  est  donc  évident  par  là  que  le  spasme  musculaire  n'est  plus  ici 
pour  rien,  et  toute  la  déformation  doit  être  mise  sur  le  compte  des  rétractions 
fibro -tendineuses.  La  chirurgie  seule  a  donc  ^désormais  le  pouvoir  de  rendre  au 
membre  l'intégralité  de  ses  mouvements. 

Mais  l'opération  est-elle  opportune?  oui,  incontestablement.  Tant  que  persiste 
rélémcnt  myospasmodique,  je  repousse  toute  tentative  de  redressement  à  Laide 
d'appareils,  car  j'ai  constaté  toujours  les  plus  fâcheux  effets  de  ce  mode  de  traite- 
ments, et  je  prêche  en  pareil  cas,  avec  conviction,  la  doctrine  de  l'expectalion. 
Mais  ici  nous  ne  sommes   plus   dans  ces  conditions-là  :  d'un  côté,  il    n'existe    plus 


—  543  — 

actuellement  aucune  manifeslation  de  l'hystérie,  et,  de  l'autre,  l'élément  myos- 
^smodique  a  complètement  disparu.  Nous  sommes  donc  dans  les  conditions  les 
plus  favorables  au  succès  de  l'entreprise,  et  il  n'y  a  pas  à  hésiter.  Ce  soir  même  la 
malade  sera  confiée  aux  soins  de  M.  Terrillon,  et  j'espère  dans  quelques  semaines 
vous  la  présenter  de  nouveau,  cette  fois  complètement  guérie  et  libre  de  tous  ses 
mouvements  (1). 


APPENDICE  N°  3 


Hystérie  provoquée  che%  V homme  par  la  peur  de  la  foudre  (2) 
Voir  la  Leçon  19,  pp.  435,  461. 


L'observation  qu'on  va  lire  offre  un  bel  exemple  d'hystérie  développée  chez 
l'homme  par  suite  du  saisissement  ressenti  au  moment  où  la  foudre  tombait 
sur  un  lieu  éloigné.  Le  «  schock  nerveux  »  produit  par  l'éclair,  le  bruit  de  la 
foudre  sont  ici  seuls  en  cause  ;  le  choc  électrique  n'y  est  pour  rien. 

Le  nommé  H...  Augustin,  employé,  âgé  de  51  ans,  se  présenta  à  l'hôpital  Necker. 

le  8  août  1887.  Cet  homme  se  plaignait  d'être  paralysé  du  côté  gauche  et  il  ajoutait 

aussitôt  que  cette  paralysie  lui  était  venue  «  à  la   suite    d'un   coup  de  foudre  >.  Il 

fut  admis  salle  Saint-Luc,  lit  n<*  13,  dans  le  service  de  M.  le  professeur  Peter  suppléé 

par  M.  Ballet. 

1.  L'opération  a  été  en  efTel  pratiquée  par  M.  Terrillon  quelques  jours  après  la  leron.  La 
malade  est  sortie  de  Ihôpital  deux  mois  après  complèteinent  guérie.    S'oir   d'ailleurs  la    fin  de 

histoire  de  cette  malade  dans  la  Nouvelle  Iconographie  de  la  Salpêtrière,  t.  I,  1888,  p.  93. 
De  V intervention  chirurgicale  dans  certains  cas  de  réfactions  jnusculaires  £uccci!c nt  à  la 
contracture  spastnodigue'^dLT  Terrillon,  chiinirgien  de  la  Salpêtrière. 

2.  Cette  observation  a  été  recueillie  par  M.  Dutil,  alors  interne  dans  le  service  de  M.  Ballet, 
suppléant  M.  le  Prof.  Peter. 

73 


—  oU  — 

Antécédents  héréditaires.  —  Les  renseignements  donnés  par  le  malade  sur  l'état  de 
santé  de  ses  parents  sont  fort  incomplets.  Il  n'a  pas  connu  son  père,  il  ne  sai 
rien  de  sa  mère  qui  mourut  pendant  qu'il  était  encore  en  bas  âge.  Il  n'a  jamais  ouï 
dire  qu'aucun  de  ses  parents  dans  la  ligne  collatérale  fût  atteint  d'une  maladie 
nerveuse  quelconque.  Il  a  quatre  enfants  qui  jouissent  d'une  excellente 
santé. 

Antécédents  personnels.  — Par  contre  les  antécédents  personnels  de  cet  homme  pré- 
sentent quelques  particularités  dignes  d'être  notées. 

Bien  qu'il  n'ait  jamais  eu  ni  crise  de  nerfs,  ni  syncopes,  H...  n'en  est  pas  moins, 
comme  il  le  dit  lui-même,  «  très  nerveux,  »  très  impressionnable; parfois  il  s'émeut 
d'un  incident  futile,  comme  il  pourrait  le  faire  d'un  événement  grave,  et  qui  aurait 
pour  lui  les  plus  fâcheuses  conséquences.  Une  surprise,  une  émotion  quelconque, 
le  font  trembler  des  quatre  membres.  Le  fond  de  son  caractère  est  la  mélancolie. 

Il  n'est  ni  syphilitique,  ni  alcoolique.  Une  blennorrhagie  qu'il  eut  à  l'âge  de  18  ans 
constitue  tout  son  passé  morbide. 

H.  raconte  que  dans  sa  jeunesse  (vers  l'âge  de  12  ans),  un  jour  qu'il  mar- 
chait sur  une  grande  routes  par  un  temps  d'orage,  la  foud'c  vint  à  tomber  près  de 
lui,  dans  le  fossé  même  qui  bordait  le  chemin.  Il  vit  l'étincelle  frapper  le  sol  en 
même  temps  qu'un  violent  coup  de  tonnerre  éclatait  sur  sa  tête.  Saisi  d'une  terreur 
folle,  il  se  mit  à  courir  jusqu'à  son  domicile.  Cet  accident  fit  sur  lui  une  impression 
si  profonde  qu'elle  ne  s'est  jamais  complètement  effacée.  Depuis  cette  époque  il  a 
toujours  craint  l'orage;  non  pas  qu'il  aitpewr  da  la  foudre  comme  au  temps  de  son 
enfance;  mais  le  tonnerre,  la  vue  des  éclairs  lui  causent  une  émotion,  une  an- 
goisse qu'il  ne  peut  pas  toujours  surmonter.  Un  jour  qu'il  travaillait  dans  une  prai- 
rie, l'apparition  d'un  éclair  l'impressionna  si  vivement  qu'il  devint  tout  pâle  et  fut 
obligé  de  s'asseoir  pour  ne  pas  tomber. 

Voici  maintenant  dans  quelles  circonstances  il  a  été  frappé  d'hémiplégie. 

Le  30  juillet  dernier,  cet  homme  travaillait  rue  Vavin,  dans  un  atelier  couvert  en 
vitrage,  lorsqu'un  violent  orage  vint  à  éclater.  Versquatre  heures  et  demie,  un  coup 
de  tonnerre  formidable  ébranle  la  toiture  de  l'atelier  en  même  temps  qu'un  éclair 
jetait  une  très  vive  lueur.  H...  en  fut  tout  saisi;  il  crut  que  la  foudre  était  tombée 
sur  le  trottoir  qui  borde  la  maison.  En  réalité,  le  tonnerre  était  tombé  au  loin,  dans 
un  quartier  voisin,  il  n'avait  d'ailleurs  ressenti  aucune  secousse,  aucune  commo- 
tion électrique. 

Dans  la  soirée,  en  rentrant  chez  lui,  il  éprouva  u  des  frémissements  >,  des  pico- 
tements dans  le  bras  gauche,  «  comme  si  on  l'avait  électrisé  >;  puis  il  se  sentit 
pris  d'une  faiblesse  générale.  Quelques  instants  après,  rafTaiblisscment  s'accen- 
tuait dans  les  membres  du  côté  gauche.  Il  se  coucha  inquiet,  agité,  sentant  qu'il 
perdait  ses  forces.  Il  dormit  peu  durant  la  nuit.  Le  lendemain,  quand  il  voulut  se 
lever,  il  était  paralysé  du  bras  et  de  la  jambe  gauche  ;  il  était  incapable  de  mouvoir 
ces  membres  qui  étaient  comme  morts  et  complètement  insensibles. 


04)    — 

Durant  les  deux  jours  qui  suivirenf,  la  paralysie  s'améliora  surtout  au  membre 
inférieur;  le  malade  put  se  lever  et  marcher,  sans  trop  boiter,  sans  traîner  la  jambe 
malade.  Celle-ci  néanmoins  restait  très  affaiblie;  et  le  malade  aurait  été  incapable 
de  se  tenir  longtemps  debout  et  de  faire  une  course  un  pou  longue.  Au  membre 
supérieur,  dont  la  paralysie  était  complète,  absolue  le  premier  jour  (30  juillet),  il 
ne  recouvra  que  quelques  très  légers  mouvements  des  doigts  et  de  la  main. 

Quanti  la  face,  au  dire  du  malade,  elle  n'a  pas  été  touchéee  par  la  paralysie  ;  à 
aucun  moment  sa  bouche  ne  s'est  déviée  dans  un  sens  ni  dans  l'autre. 

Le  8  août,  voyant  que  son  état  restait  stacionnaire,  le  malade  se  décida  à  entrer  à 
l'hôpital.  Voici  ce  que  l'on  constatait: 

Etat  actuel.  —  A  la  face,  quelque  attentif  que  fût  l'examen,  on  ne  découvrait  pas 
trace  de  paralysie  ni  de  contracture.  Au  repos,  les  traits  étaient  bien  symétriques; 
et  quand  la  physionomie  entrait  en  jeu,  comme  par  exemple,  dans  l'acte  de  rire, 
grincer  des  dents,  souffler,  etc.,  on  ne  découvrait  aucun  trouble  de  la  mobilité  de 
telle  ou  telle  partie  du  visage.  Les  mouvements  des  paupières  aussi  bien  que  ceux 
des  globes  oculaires  s'exécutaient  librement. 

La  langue  était  tirée  droite,  elle  ne  prosentait  aucune  déformation,  aucun  pli, 
indice  d'une  contracture  partielle. 

Les  mouvements  de  la  tôte  et  du  cou  étaient  parfaitement  libres. 

Le  membre  supérieur  pend  inerte  le  long  du  tronc.  La  paralysie  du  membre  supé- 
rieur gauche  est  totale,  et  à  peu  près  absolue.  Quelques  légers  mouvements  de 
flexion  des  doigts  et  d'extension  de  la  main,  voilà,  tout  ce  que  le  malade  peut  faire. 
Le  membre  paralysé  est  llasque;  on  peut  le  déplacer,  Uéchir  et  étendre  ses  divers 
segments  sans  éprouver  la  moindre  résistance. 

L'exploration  dynamométrique  donne  les  résultats  que  voici  : 

Main  droite    =  38  k. 
—  gauche  ^    3  k. 

Membre  inférieur. —  Le  membre  inférieur  gauche  est  très  incomplètement  paralysé. 

Le  malade  peut  exécuter  à  peu  près  tous  les  mouvements  qu'on  lui  commande, 
mais  ces  mouvements  sont  lents  et  comme  inhabiles.  Le  malade  ne  peut  se  tenir 
debout  sur  la  jambe  gauche;  dès  qu'il  soulève  le  pied  droit  pour  porter  le  poids  du 
corps  tout  entier  sur  le  membre  inférieur  gauche, celui-ci  lléchit  aussitôt. 

Dans  la  marche,  la  jambe  gauche  est  plus  lente  à  exécuter  les  divers  temps  du 
pas,  elle  est  un  peu  en  retard  sur  l'autre,  mais  il  n'y  a  ni  balancement  du  tronc,  ni 
frottement  de  la  pointe  du  pied  sur  le  parquet. 

Les  mouvements  de  flexion,  d'extension,  d'inclinaison  latérale,  etc.,  du  tronc  sont 
normaux.  Il  s'agit  donc  en  somme  non  d'une  hémiplégie,  mais  de  monoplégies 
associées  du  membre  supérieur  et  du  membre  inférieur. 


—  546  — 

Sensibilitâ.  —  La  sensibilité  de  la  peau  au  contact,  à  la  piqûre  et  à  la  température 
(froid)  est  abolie  complètement  dans  la  moitié  gauche  de  la  tête  et  du  cou,  et  dans 
tout  le  membre  supérieur  du  même  côté.   Cette  anesthésie  s'interrompt  brusque- 


Fig.  425. 


ment  sur  la  ligne  médiane  à  la  tête  et  au  cou,  mais  à  la  partie  supérieure  du 
thorax,  elle  s'étale  un  peu  tout  autour  de  l'épaule  et  si  l'on  en  délimite  les  contours 
à  ce  niveau,  on  voit  que  la  ligne  de  démarcation  partant  de  la  ligne  médiane 
antérieure  du  cou  descend  en  décrivant  un  arc  de  cercle  à  convexité  inférieure  au 
devant  des  côtes,  et,coupant  la  ligne  axillaire  très  près  du  creux  de  Taisselle, remonte 


—  547  — 

ensuite  derrière  l'épaule  vers  l'épine   dorsale   qu'elle  atteint  à  la  hauteur   de   la 
deuxième  dorsale. 

La  peau  du  meml^re  inférieur  est  également  insensible  au  contact,  à  la  piqûre  et 
au  froid,  mais  l'anesthésie  n'est  pas  aussi  complète  qu'au  membre  supérieur  et  à 
la  face.  La  zone  anesthésique  dépasse  la  ligne  d'attaches  de  la  cuisse  ;  sa  limite 
remonte  même  un  peu  au-dessus  de  la  fesse  et  de  l'épine  iliaque  supérieure  en  ar- 
rière; en  avant  elle  descend  obliquement  dans  le  pli  inguinal  scrotal. 

La  peau  du  tronc  a  conservé  toute  sa  sensibilité  dans  la  zone  intermédiaire  qui 
sépare  la  nappe  anesthésique  péri-scapulaire  de  celle  qui  circonscrit  la  partie  supé- 
rieure de  la  cuisse. 

L'anesthésie  des  membres  est  profonde.  On  peut  tordre  les  doigts,  les  tirailler 
sans  que  le  malade  accuse  la  moindre  douleur. 

Le  sens  musculaire  est  très  compromis.  Le  malade  ne  peut,  les  yeux  fermés , 
porter  l'index  gauche  à  son  nez;  de  même  il  tâtonne  pour  saisir  avec  sa  main 
droite  son  poignet  gauche,  etc. 

Le  testicule  gauche,  sans  être  complètement  insensible,  supporte  une  pression 
beaucoup  plus  forte  que  celui  du  côté  droit. 

Le  réflexe  rotulien  est  sensiblement  diminué  à  gauche. 

Le  réflexe  crémastérien  est  nul  à  gauche,  très  prononcé  à  droite. 

Anesthésie  pharyngienne. 

Organes  des  sens.  —  Vue.  —  Il  existe  un  rétrécissement  concentrique    du   champ 
visuel  de  l'œil  gauche. 
Pas  de  dyschromatopsie.  Micropsie. 

Oiiie.  —  L'acuité  auditive  est  très  diminuée  du  côté  gauche;  le  tic  tac  d'une  mon- 
tre est  perçu  à  une  distance  de  25  cent,  par  l'oreille  droite;  dès  qu'on  éloigne  la 
montre   de   5  cent,  de  l'oreille  gauche,  le  malade  cesse   de   l'entendre. 

Le  goût  est  également  diminué  à  gauche  (sulfate  de  quinine,  sucre  en  poudre). 

Uodorat  ne  semble  pas  être  intéressé;  le  malade  reconnaît  l'eau  de  Cologne,  le 
benjoin.  Par  contre,  la  sensibilité  générale  de  la  muqueuse  de  la  fosse  nasale  gau- 
che est  complètement  abolie.  Le  malade  flaire,  sans  être  nullement  incommodé,  un 
flacon  d'ammoniaque. 

Le  9  août  au  matin,  s'adressant  aux  élèves  de  la  clinique,  M.  Ballet  déclare  en 
présence  du  malade,  de  façon  à  être  bien  entendu  de  lui,  que  cette  paralysie  va  dis- 
paraître, à  coup  sûr,  sous  Tintluence  d'une  pilule  fulminante.  Eu  égard  à  l'activité 
grande  de  cette  préparation  pharmaceutique,  on  recommande  au  malade  de  la 
prendre  en  deux  fois,  de  s'abstenir  d'en  ingérer  la  seconde  moitié  au  cas  où  la  pre- 
mière produirait  des  effets  trop  énergiques...  etc. 

Le  10  août,  le  malade  nous  dit  que  la  pilule  «  Ta  violemment  travaillé,  qu'il  va 
beaucoup  mieux,  que  la  peau  est  redevenue  sensible».  Nous  constatons  en  effet, 
qu'il  n'existe  plus  trace  d'anesthésie  du  côté  gauche;  il  n'y  a  plus  de  rétrécissement 


—  548  — 

du  champ  visuel  ;  le  goût  est  normal,  mais  il  y  a  encore  une  diminution  assez  mar- 
quée de  Tacuité  auditive   à  gauche  ;  le  pharynx  a  recouvré  sa  sensibilité. 

La  paralysie  motrice  s'est  également  amendée,  mais  à  un  moindre  degré.  L'explo- 
ration dynamométrique  donne  les  résultats  suivants: 

Main  droite  =  50  k. 
—    gauche  =  15  k. 

on  prescrit  au  malade  deux  nouvelles  pilules  fulminantes. 

Le  11  août,  à  la  visite  du  matin,  H...  nous  déclare  qu'il  n'avait  pris  qu'une  des 
pilules  parce  que  la  première  avait  suffi  à  le  bouleverser  complètement.  Nous 
constations  en  même  temps  que  l'ouïe  avait  repris  son  acuité  normale  et  que  la 
force  musculaire  s'était  de  nouveau   accrue  dans  les  membres  paralysés. 

Main  droite   =  50  k. 
—    gauche  =  25  k. 

Le  12  août,  le  malade  se  trouve  complètement  guéri  ;  il  affirme  qu'il  a  entière- 
ment repris  ses  forces. 

Main  droite  =  51  k. 
—  gauche  =  35  k. 

La  sensibilité  tant  générale  que  sensorielle  est  partout  normale. 

Durant  les  quelques  jours  que  le  malade  passa  encore  à  l'hôpital,  en  attendant  la 
disparition  d'une  poussée  d'eczéma  aigu  au  cuir  chevelu,  la  guérison  s'est  mainte- 
nue complète  et  tout  porte  à  croire  qu'elle  est  définitive. 

On  remarquera  que  dans  ce  cas  la  paralysie  très  certaineme^it  n'a  pas  été  produit 
par  le  thoc  électrique  :  elle  ne  s'est  pas  manifestée  immédiatement,  au  moment 
môme  où  la  foudre  est  tombée,  mais  seulementlelendemain.il  y  a  eu  là,  ainsi  qu'on 
l'a  fait  remarquer  plusieurs  fois  dans  des  circonstances  analogues,  une  sorte  d'in- 
cubation. 

Une  observation  de  même  caractère  que  la  précédente,  avec  cette  différence  toute- 
fois que  le  shock  nerveux  a  déterminé  immédiatement  une  attaque  d'hystérie  suivie 
de  mutisme,  a  été  publiée  par  M.  le  docteur  Bettencourt  Rodrigues  {accidentes  hyste- 
riformes  determinados  pela  acçâo  d'um  raio  a  distancia  in  Revista  di  Nevrologia 
Psychiatria  ;  1889,  nM,  t.I",  2"série,  Lisboa).  L'observation  est  relativeàun  homme 
de  30  ans,  ancien  militaire. 


iMl'.  ^01ZE•nt,   8,  KUli   CAMl'AUMi-l'Ui;MIi;Ut:,   PAHIS. 


TABLE 

DES   TABLEAUX,   FIGURES  ET   FAC-SIMILE 

CONTENUS     DANS    CE    VOLUME 


A.    —    TABLEAUX 

Pages. 

Tableau  généalogique  (Sciatique,  Neurasthénie  et  Hystérie)    ...  35 

—  —           (Ghoréc  aiguë  grave) M  7 

—  —           (Chorée  de  Sydenham  ) 131 

—  —           (Paralysie  infantile) lii 

—  —                          —                 145 

Tableau  synoptique  des  symptômes  oculaires  dans   le    Tabès,  la 

Sclérose  en  plaques  et  ITIystérie 163 

Tableau  généalogique  (Hystéro-neurasthénie) 261 

—  —                          —                  286 

—  —                          —                  296 

Tableau  synoptique  des  antécédents  et  des  symptômes  chez  quatre 

hommes    hystéro-neurasthéniques 298,299 

Tableau  synoptique  d'accès  d'Automatisme  ambulatoire 308 

Tableau  généalogique  (Abasie  trépidante) 372 

—  —  (Epilepsie,  Hystérie  et  Morphinomanie.) 


B.  _  FIGURES,  FAC-SIMILE  ET  TRACÉS. 

Fig.  1,  2,  3,  4,  5,  —  Bâillement  hystérique.  Tracés  de  la  respi- 
ration   4,  o 

Fig.   6.  —  Bâillement  hystérique  (Sensibilité) 8 

Fig.   7.  —  —  (Champ  visuel) •  9 

7't 


-  550  — 

Pages. 

Fig.  8.  —  Dyspnée  hystérique  (Tracé  respiratoire) 12 

¥i^.  9,  10.  —  Sciati(|ue  (Déformation  du  tronc  dans  la)     ...  20,  21 

Fig.    11             —          (Points  douloureux) 26 

Fig.  11             —         et  hystérie  (Sensibilité) 33 

Fig.  12             —               —          (Champ  visuel) 31 

Fig.  13.  —  Hémiplégie  hystérique  (Sensibilité) 47 

Fig.  14                —               —             ((Uiamp  visuel) 49 

Fig.  15. — Syndrome  de  Brown-Séquard  (Etat  de  la  moelle)  ...  54 

Fig.    16                  —                  —                 (Sensibilité)       59 

Fig.  17                  —                 —                     id 60 

Fig.  18,19.  —  Amyotrophie  de  cause  articulaire  (Attitude)     .   .    ,  73 

Fig.  20,21                     —            —                           (Atrophie)   ...  74 

Fig.  22.  —  Alcoolisme,  paralysie  infantile,  hystérie  (Sensibilité)    .  97 

Fig.  23             —                                                    —     (Champ  visuel)  98 

Fig.  24.  —  Chorée  aiguë  grave  (Tracé  de  la  température) 107 

Fig.  25,26. — Epilepsie  (Rétrécissement  du  champ  visuel)     .   .    .  120 

Fig.  27. — Hystérie  chez  un   saturnin   (Sensibilité) 122 

Fig.  28                 —                 —               (Champ  visuel) 124 

Fig.   29.  —  Chorée  aiguë  grave  (Lésions  cardiaques)     128 

Fig.  30,31. —  Hystéro-neurasthénie  (Champ  visuel)     137 

Fig.  32.  —  Paralysie  infantile  (Lésions  médullaires,  région  lombaire)  141 
Fig.  33             —             —      du  membre  supérieur  (Lésions  médul- 
laires)                                    146 

Fig.  34.  —  Ataxie  et  hystérie  ("hamp  visuel)       159 

Fig.  35             —      —             (Sensibilité)      160 

Fig.  36. — Sclérose  en  plaques  et  hystérie  (Sensibilité)     .     .   .    .  167 

Fig.  37,  38             —              —              —       (Champ  visuel)   .   .    .  168 

Fig.   39.  —  Pachyméningite  caéseuse  dans  le  mal  de   Pott     .    .   .  181 

Fig.  40,  y.  — Mal  de  Pott  et  hystérie  (Sensibilité)     .   , 185 

Fig.   42                   —                —              (Champ  visuel)       187 

Fig.   43,  4i. — Simulation  hystéri(|u<' du  mal  de  Pott  (Sensibililé)  193 

Fig.  45                    —            '    —                  —             (Cihanip  visuel)  196 

Fig.  46. — Sus[)enbion   dans  le  tabès.  Appareil  suspenseur  .   .   .    .  205 

Fig.   47. — Appareil  en  place  pour  la  tôto 206 

Fig,    48.  —  Suspension   du  malade 20 


551  — 

Fig.  49,  ?)0. — Tremblemont  morcuriol  (Tracés) 233 

Fig.    51.  —  Tremblement  (le  la  maladie  de  Hasedosv (Tracés)  .     .    .  2Xi 

Fig.   1)2.  —  Attaque  hystéri([iie.  Attarjue  de   contrature 2'.V.\ 

Fig.  53  —  —  Arc  de   cercle 253 

Fig.   54,  55.  —  ilystéro-iieurasthéiiie  (Sensibilité) 2G3 

Fig.  56,57  —  —  (Champ  visuel) 2(ii- 

Fig.  5S,  59  —  —  (Sensibilité) 207 

Fig.  60  —  —  (Champ  visuel) 268 

Fig.   61.  —  Attaque  de  sommeil  (Champ  visuel) 272 

Fig.   62,63.  — Tabès  et  hystérie  (Sensibilité) 280 

Fig.  64,65.  —  llystéro-neurasthénie  (Champ  visuel) 290 

Fig.    66,67  —  —        (Sensibilité) 291 

Fig.    68  —  -—       (Champ  visuel 294 

Fig.   69,  70  —  —        (Sensibilité) 295 

Fig.   71.--   Hystérie  mâle  (Contracture) 350 

Fig.   72,  73. —Paralysie  hystérique  (Sensibilité) 351 

Fig.    74,  75.  —  Paraplégie  alcoolique  (Sensibilité) 387 

Fig.  76,  77.  —  Hystérie  mâle  (Sensibilité) 396 

Fig.  78  —  (Champ  visuel 397 

Fig.  79,  80  --  (Sensibilité) 401 

Fig.  81  —  (Champ  visuel) 402 

Fig.  82,   83.  —  Hystérie,  épilepsie  et  morphinisme  (Sensibilité) .  .  422 

Fig.  84  —  —  (Champ  visuel)    .  423 

Fig.  85,  86  — Hystérie  mâle.  Phases  de  Tattaque 426 

Fig.  87  —  —  —         427 

Fig.  88,  89  —  —  —         428 

Fig.  90,  91  —  —  —         429 

Fig.  92. —  Morphinisme.  Tremblement 431 

Fig.  93,94  —  —  432 

Fig.  95.  — Foudre  globulaire 439 

Fig.  96,97.  —  Paralysie  de  foudroyés  et  hystérie  (Sensibilité)    .   .  454 

Fig.  98.  —  —  (Champ   visuel)  i55 

Fig.  99.  — Tic  convulsif  et  chorée  chronique  ^Tracé  des  mouvements)  466 

Fig.  100.  —   Abasie  trépidante  (Champ  visuel) 477 

Fig.  101,102  —  (Sensibilité 178 


—  552  ^ 

s. 


Fig.  103. —  Syringomyélie  (Lisions  médullaires) 49I 

Fig.  104.  —  Coupe  de  la  moelle  normale                        493 

Fig.  105.  —  Syringomyélie.  Main    en  griffe 503 

Fig.  106,  107             —             Sensibilité  au  tact 504 

Fig.  108,109             —            Sensibilité  à    la  douleur 505 

Fig.  110,  111             —            -—         àlachaleur 506 

Fig.  112.  —  Thermomètre  de  surface 507 

Fig.  113,114. — Syringomyélie  (Sensibilité  au  froid) 508 

Fig.  115.  —  Syringomyélie     510 

Fig.  116,117           —                Sensibilité  au  tact 512 

Fig.  118,  119           —                 —              à  la  douleur 513 

Fig.  120,  121           ~                  —au    froid 514 

Fig.  122.123          —                 —              à  la    chaleur 515 

Fig,   124.  — Simulation  hystérique  de  la  syringomyélie 520 

Fig.  125,  126.  —  Hystérie  provoquée  par  la  foudre  (Sensibilité). .  .  546 


TABLE   DES   MATIÈRES 


PUEMIKltl']  Li:ÇON 

Pages 

1"  et   2\    Bâillement  hystérique  (l)âillenioiit  luituiel  et  l)ùil- 

lenient   suggéré) \ 

3°.  Dyspnée    ou     mieux    tachypnée    hystérique 11 

4°.  Grand  tic    convulsif  ;    coprohilie  ;    troubles   psychiques 

concomittants     , 13 


DEUXIEME  LEÇON 

1"  malade.  — Sur  un  même  sujet  :  sciatique  avec  défor- 
mation spéciale  du  tronc;  à  la  suite  d'un  coup  reçu  sur 
le  front,  neurasthénie  et  hystérie 19 

T  malade.  —  Chorée  paralytique  chez  un  enfant  de 8  ans; 

hérédité  arthritique  et   névropathique 37 


TROISIÈME  LEÇON 

1"  malade.  —  Intoxication  par  le  sulfure  de  carbone.  ...       43 
2'  malade.  —  Hémiparaplégie  spinale  croisée  (syndrome  de 
Brown-  Séquard)  par  lésion  traumatique    de  la  moelle 
épinière  dans  sa  moitié  latérah^ 53 


—  554  — 
QUATRIÈME  LEÇON 

Pages. 

r.    Attaque  de  sommeil  hystérique 63 

2°.    Amyotrophie    par    lésion    articulaire 72 

3°.    Deux    cas     de    paralysie    faciale      périphérique     avec 
hérédité  nerveuse. 
Cas  n°  1  :  père  aliéné,  grand-père  irrégulier,  etc. 
Cas  n°  2  :  plusieurs  cas  de  bégaiement  et  un  épileptique 

dans  la  famille 78 

4°.     Vertige   de   Ménière  :  forme  chronique   et  vertige    par 

accès 80 


CINQUIÈME  LEÇON 

T'  malade.  — Cas  complexe:  paralysie  spinale  infantile, para- 
plégie alcoolique,    attaques    hystéro-épileptiques  ...       84 
2%  S*"  et  4°  malades.  —  Paralysie  faciale    périphérique  ...     100 


SIXIÈME  LEÇON 

1\  Choréc  aiguë  grave  chez  un  jeune  homme  de  18  ans.  Anté- 
cédents nerveux  héréditaires  très  accentués.  Rhuma- 
tisme articulaire  aigu  dans  les  antécédents  personnels     103 

2".  «  Secousses  »  servant  de  prodromes  aux  accès  chez  une 
jeune  épileptique  de  15  ans.  Rétrécissement  du  champ 
visuel  après    les    accès 117 

3°.    Hystérie  chez  un  saturnin  Agé  de  28  ans 121 


SEPTrr.ME  LRÇiJN 

1".  Relation  (le  l'autopsie  du  sujet  atteint  de  chorée  présenté 

dans    la   dernière    leçon 127 

2".  Cas  de  chorée  vulgaire  chez  une  jeune  fille  àgéede  12  ans. 
Hérédité  nerveuse  et  antécédents  personnels  névropa- 
thiques  très  chargés 130 

3°.  Cas  d'hystéro- neurasthénie  survenue  à  la  suite  d'une 
collision  de  trains  chez  un  employé  de  chemin  de  fer 
âgé    de   56    ans 131 

4".  Deux  cas  de  paralysie  infantile  spinale  présentant  quel- 
ques anomalies 140 


HUITIÈME  LEÇON 

1""  malade.  — Cas  complexe.  Ataxie    locomotrice  et  hystérie     loi 
2^  malade.  — Cas  complexe.  Hystérie  et  scléroseen  plaques. 
A  propos  de  ces  deux  cas  on  fait  ressortir  l'importance 
pour  le  diagnostic  de  l'étude  des  troubles  oculaires.   .   .     162 
3°  malade.  —  Chorée  molle  chez  un  enfant  de  12  ans.  Héré- 
dité nerveuse  171 


NEUVIÈME  LEÇON 

1"  malade.  —  Femme  de  47  ans.  Autrefois  paraplégie  par 
mal  de  Pott;  la  guérison  date  de  vingtans.  A  l'époque  de 
la  ménopause, apparition  d'accidents  hystériques, simulant 
un  retour  du  mal  vertébral  et  de  paraplégie 175 

2"  malade.  —  Simulation  hystérique  du  mal  de  Pott  chez  un 

garçon  âgé  de  2i    ans 1^9 


—  556  - 
DIXIÈME  LEÇON 

Pages. 

Du  traitement  de  l'ataxie  locomotrice  par  la    suspension,  sui- 
vant   la    méthode  du   D'  Motchoutkowsky 199 

Appendice 218 


ONZIÈME  LEÇON 

T'  cas.  —  Goutte  articulaire,  puis  otite  goutteuse;  invasion 
du  \erii^e aôaitrelœsa  :  diplopie,paralysiefaciale  soudaine 
transitoire.  Le  vertige  s'établit  à  l'état  permanent.  Trai- 
tement par  le  sulfate  de  quinine  à  hautes  doses  long- 
temps   prolongées 223 

2%  3%  4%  5'  et  6  cas  .  —  Exemples  de  maladies  de 
Basedow  présentant  certaines  particularités  intéres- 
santes :  tremblement,  fièvre,  paraplégie  spéciale  dans 
la  maladie  de  Basedow.  Combinaison  de  la  maladie  avec 
l'hystérie,  l'ataxie  locomotrice   progressive :     231 


DOUZIÈME  LEÇON 

1"  cas  . —  Accidents  hystériques  graves  survenus  chez  une 
femme  à  la  suite  d'hypnotisations  pratiquées  par  un 
magnétiseur  dans  une  baraque  de  fête  publique 247 

2',  3'  et  4'  cas  . —  Un  cas  de  neurasthénie  et  deux  casd'hys- 

téro-neurasthénie    chez  l'homme 256 


—  557  — 
TREIZIÈME  LEÇON 

i"  malade. —  Encore  une  dormeuse.  Réveil  produit  par  la 

compression  exercée  sur  la  région  ovarienne 271 

2°  malade.  — Contraction  hystéro-traumatique  chez  une  tabé- 

tique 277 

3"  et  4'  malades.  —  Deux  cas  d'hystéro-neurasthénie  chez 
l'homme^  faisant  suite  aux  cas  S''  et  4^  de  la  précédente 
leçon.  A  cepropoSjConsidérationsgénérales  sur  l'hystéro- 
neurasthénie  développée  chez  les  individus  de  la  classe 
ouvrière 283 


QUATORZIÈME  LEÇON 

Cas  d'automatisme  comitial  ambulatoire •  .     303 

QUINZIÈME  LEÇON 

1''  cas.  —  Crises  gastriques  tabétiques  avec   vomissements 

noirs 331 

2°  cas.  —  Chez  un  Israélite  :  paralysie  et  contractures  hysté- 
riques développées  à  la  suite  d'un  repos  (sommeil)  de 
plusieurs  heures  sur  la  terre  humide 347 

SEIZIÈME  LEÇON 

Un  cas  d'abasie  trépidante  survenue  à  la  suite  d'une  intoxi- 
cation par  la  vapeur  de  charbon 355 

75 


—  558  — 
DIX-SEPTIÈME  LEÇON 

Pages. 

T'  malade.  —  Nouvel  examen  du  malade  atteint  d'abasie  tré- 
pidante  présenté  dans  la  dernière  leçon 379 

2^^  malade.  —  Chez   une  femme  :  paraplégie  alcoolique  avec 

rétractions   fîbro-tendineuses 381 

3^  et  4^^  malades. — Hystérie  et  dégénérescence  chez  l'homme     392 


DIX-HUITIÈME  LEÇON 

r.  Amyotrophie  spinale  progressive  survenue  à  Tâge 
de  34  ans  chez  un  homme  qui^  à  l'âge  de  2  ans,  avait 
été  atteint  de  paralysie  spinale  infantile 407 

"^^  Chez  un  homme  de  24  ans  :  épilepsie;  hystérie  majeure  et 

morphinomanie    combinées 419 


DIX-NEUYIÈME  LEÇON 
Accidents  nerveux  provoqués  par  la  foudre 435 


VINGTIÈME  LEÇON 

l"et  2°  malades.  —  Deux  malades  étudiées  comparativement: 
1°  Tics  généralisés  simulant  la  chorée  chronique  ;  2°Cho- 
rée  chronique  dite  d'Huntington.  On  insiste  sur  les 
difficultés  du  diagnostic 463 

3%  4°  et  5^  malades.  —  Cas  d'abasie  :  1°  Abasie  paralytique 
chez  un  homme  de  44  ans;  2°  Abasie  trépidante  chez  un 
homme  de  49  ans;  3°  Même  forme  chez  un  vieillard  de 
75  ans 409 


550 


VINGT  ET  UNJKMR  LEÇON  pages 


1'' et  ^Mnulades.  — Casde  syringomyélie  glioiïialcusc  .  .  .  .     i87 
3' malade.  —  Simulation  hystérique  de  la  syringomyélie  .   .     51  fi 


APPENDICE 

/Appendice  n"  1. — Hystérie  et  névrose    traumatique 527 

Appendice  n''2.  —  Rétractions  fibro-tendineuses  dans  les  para- 
lysies spasmodiquesparlésionsorganiques  spinales  dans 
les  paralysies  alcooliques  et  dans  la  contracture  spas- 
modique    hystérique    (Pied    bot    hystérique) 535 

Appendice n°  3. — Hystérieprovoquéechezl'hommeparlapeur 

de  la  foudre 543 


TABLE  DES  TABLEAUX  FIGURES  ET  FAC-SIMILE 
CONTENUS  DANS  CE  VOLUME 

A.  Tableaux 549 

B.  Figures,  fac-similé  et  tracés 549 


TABLE  DES  MATIERES 553 

INDEX  ANALYTIQUE 561 


INDEX  ANALYTIQUE 


Abasie,  (Voy.  aiif^si  Abai^ie-Astasie.)  — 
(Autosuggestion  dans  1'),  —  choréi- 
forme,  365.  —  Début,  374.  —  (Des 
différents  mouvements  dans  l'),  356, 
358,  360.  —  Diagnostic,  366.  —  (Ecri- 
ture dans  Y),  359.  —  et  chorée  vul- 
gaire, 366.  —  et  hystérie,  366,  375. 
—  Etiologie,3G6.  —  ot  tabès  (diag.), 
366.— (Hérédité  dans  F),  371,  372.— 
indépendante  de  lastasie,  363.  — 
Mécanisme,  361,  367.  — Mécanisme 
psychique,  374.  —  (Mouvements  des 
membres  supérieurs  dans  1'),  359.  — 
paralytique,  470.  —  Pronostic,  376. — 
Variétés,  469. 

Abasie  trépidante,  356,365,  481.  — 
Mécanisme,  357,481.  — Traitement, 
380. 

Abasie-Astasie.  {Voy. aussi  Abasie.)  —  360, 
471 ,  ataxique,  366.  — Dérobement  des 
jambes,  364.  —  Durée,  482.  —  et  hé- 
miplégie capsulaire,  477,  479.  —  et 
hystérie,  474,  477,  479,  483.  —  et 
incoordination  cérébelleuse,  474.  — 
Etiologie,  483.  —  Hérédité,  476.  — 
Intégrité  des  autres  modes  de  pro- 
gression,473. —  Intégrité  des  autres 
mouvements,  472,  445.  ~  Mécanisme 
de  l'astasie,  472.  —  paralytique,  364. 
—  Sensibilité,  363.  —  Spécialisation 
à  la  marche  vulgaire,  481.  —  Va- 
riétés, 364,  365,  366. 


Absinthisme,  96. 

Accès  epileptioces  incomplets,  2S9.  {Voy. 
Epilepsie,  etc.) 

Achard,  71 . 

Achromatopsik.  —  et  hystt'iie,  159.  165, 
109.  —  et  sclérose  en  plaques,  165.  — 
et  tabes,  158,  165. 

Age  dans  la  ciiorée,    109,  HO. 

Agrapiiie  et  abasie,  359. 

Alcoolique  (Paraplégie).  (Voy.  Paralysie 
alcoolique.)   —     Tremblement,    232. 

Alcoolisme,  84.  —  Diflicultés  de  le  déceler 
chez  les  femmes,  388.  —  et  concep- 
tion, 93.  —  et  épilepsie,  95.  —  et 
hystérie,  35,  99,  288.  —  et  maladies 
nerveuses,  93.  —  Hallucinations, 
390.  —  Rêves,  288,  389. 

Aliénés  voyageurs,  327. 

Amaurose.  —  de  la  sclérose  en  plaques, 
164.  —  hystérique,  164.  —  tabéti- 
que,  158,  164. 

Ambul.\toire  (Automatisme).  (  Voy.  .1m- 
tomalisme).  —  Déterminisme,  327. 

Amnésie.  —  dans  rcmpoisonnement  par 
l'oxyde  de  carbone,  369.  —  dans  la 
paralysie  alcooliiiue  — et  choc  ner- 
veux, 133. 

Amnésie  traumatique,  317.  —  et  automa- 
tisme ambulatoire,  317,  —  et  épilep- 
sie, 322. 

Amorphinisme  (^Périodes  d'),  431. 


—  562  — 


Amyotrophie.  {Voy.  Atrophie  musculaire, 
Myopathie.) 

Amyotrophie  de  cause  articulaire,  ~5,  — 
Réaction  de  dégénération,  77.  — 
Tliéorie,  77, 

Amyotrophie  spinale  progressive  de  la 
paralysie  infantile,  H4.  {Voy.  Atro- 
phie musculaire.) 

Amyotrophique  (Paralysie),  70. 

Analgésie  syringomyélique,  495,  496. 

Andrée,  425. 

Aphasie  (Formes  de  1'),  250.  —  et  mutisme 

hystérique,  247,  249,  250. 
Apoplectiques  (Bâillement  chez  les),  5. 
Apoplexie  hystérique,    71. 

Appareil   suspenseur  pour  le  tabès,  204, 

sq. 
Arago,    443. 
Aran,    412. 
Argyll  Robertson    (Signe   d')  158,    164, 

166  etpassim. 

Arithmomanie,    468. 

Arsenic,  84. 

Arthrites  et  amyotrophies,  76. 

Arthropathies  des  ataxiques,333.  —  syrin- 
gomyéliques,  498.  —  tabétiques  et 
crises  gastriques,  336. 

Articulaire  (Amyotrophie  de  cause),  75. 
{Voy.  Amyotrophie.) 

Assommoir  (L')  88. 

AsTAsiE.    {Voy.  Abasie.) 

Atàxie  hystérique,  362.  {Voy.  Abasie.) 

AiAxiE  locomotrice     progressive.     {Voy. 

Tabès.) 
Ataxie    sulfo-carbonée,  52. 

Ataxie  par  défaut  de  coordination  au- 
tomatique. {Voy.  Abasie.) 

Atrophie  musculaire.  — dans  Thystérie, 403. 
—  dans  la  paralysie  alcoolique,  85, 
86.   —  de    cause   articulaire,  75.  — 


dans  la  syringomyélie,  495,  496.  — 
Diagnostic  de  l'atrophie  syringo- 
myélique, 501. 

Atrophies  musculaires  progressives.  — 
classification,  412. 

Atrophies  musculaires  spinales 
progressives.  —  deutéropathiques, 
413.  —  Symptômes,  414,  415. 

Atrophie  musculaire  progressive  et 
myopathie,   413.  —  Diagnostic,  414. 

At.r.  musc.  sp.  prog.  dans  la  pa- 
ralysie infantile,  91,  144,  U"^,  149, 
407,416.  —  Mécanisme  pathologique, 
418.  —  Pathogénie,  409,  410.  — 
Réactions  électriques,  411.  —  Ré- 
flexes, 411.  —  Rôle  des  cellules  des 
cornes  antérieures,  418.  —  Sensibi- 
lité, 411.  —  Symptômes,  410.  —  Va- 
leur réciproque  des  deux  éléments 
morbides,  417,  418. 

Atroph.  musc.  sp.  prog.  — Pronos- 
tic 419.  —  Protopathiques,  412,  415. 

—  Sans  lésions  médullaires,  413. 

Attaques  de  sommeil.  {Voy.  aussi  Hystd- 
rie,  Hystérique  {sommeil),  etc.,  etc.), 
67,  272,  273.  —  (Alimentation 
dans  V),  273,  274.  —  Attitudes  pas- 
sionnelles, 275.  —  Début,  67.  — 
1  Effet  de  la  pression  ovarienne, 275. 

—  2 EfTel des  excitations  extérieures, 
275.  —  et  attaques,  06,  67.  —  et  ca- 
talepsie, 70.  —  (Grands  mouvements 
dans  1'),  274,  275.  —  (Mouvements  de 
salutation  dans  le),  67.  —  Nutrition, 
273,  274.  —  Poids  du  corps,  273.  — 
Réveil,  276.  —  Urines,  273.  —  Vi- 
bration des  paupières,  273,  274. 

Attaques  hystkriques,  7.  —  (AnUigonismc 
entre  les)  et  les  accidents  locaux,  7. 

—  transformées,  13.  {Voy.  HysténCy 
Hystériques,  etc.,  etc.) 

AUDRY,  194. 

Aura  é])ileptiquo,  118.  —  hystéri(iuo,  34. 

Automatisme  ambulatoire.  —  Etat  men- 
tal, 319.   —   Comitial   ambulatoire, 


—  503  — 


303  sq.  —  Comitial  ambulatoire  et 
traumatisme,  323.  —  et  amnésie 
trauniatique,  317. —  hystérique,  32.*). 
—  et  somnambulisiue,  324,  —  et 
somnambulisme  provoqué,  32j.  — 
hystérique  (Catalepsie),  326. 

Automatisme  (Petit),  321. 

Automatisme  physiologique,  316. 

AuTOsuG'iESTiON.  —  (lans  l'abasie,  37o.  — 
dans  les  phénomènes  hystériques, 375. 

AzAM,  133,  326. 

B 

Babinski,  23,  27,  199,  283,  403,  518, o3o. 

Bâillement,  2.  —  chez  les  apoplectiques, 
5.  —  chez  les  morphinomanes,  5.  — 
(Contagion  du),  2,  9.  —  dans  la 
grossesse,  5.  —  épileptique,  5.  — 
et  fièvre  puerpérale,  o.  —  hystéri- 
que, 2,  7.  —  imité,  10.  —  (Méca- 
nisme du),  4.  —  pathologique,  o.  — 
physiologique,  4.  —  rhythmé,  2.  — 
(Séméiologie  du),  5. 

Bacon,  204. 

Ballet,  243,  284,  392,  417,  54~. 

Barrié,  243. 

Barth,  332. 

Basedow  (Maladie  de).  —  Crises  diar- 
rhéiques,  233,  236,  240,  241,  335.  — 
Etat  de  mal,  239.  —  Emotions  mo- 
rales, 234,  236,  239.  —  et  hystérie, 
^40.  —  et  tabès,  243. —  Examens  des 
urines,  238.  —  Exophlhalmie,  233, 
234,  236,  239,  241.  —  (Fièvre  dans 
la),  237,  238.  —  Formes  frustes,  233, 
234.  —  Goitre,  233, 234,  235,  236,  239, 
241.  —  Hérédité,  236,  239,  241.  — 
Paraplégie  235,  239,  240,  242.  — 
Phénomènes  oculaires,  235.  —  Symp- 
tômes généraux,  235,  236,240.  241. 
—  Tachycardie,    233,   234,   235,  236, 


239,  241.  —Thermophobie,  235,236, 
237,  239,  241.  —  Traitement  élec- 
trique 239,  240.  —  Tremblement, 
231,  232,  234,  236,  239,  241. 

Baumler,  488,  490. 

Beard,  259. 

Bégaiement  (Hérédité  dans  le),  79. 

Berbez  (Paul),  401. 

Béribéri,  84. —et  paralysie  alcoolique, 388, 

Bernhabdt,  475,  488,  498,  527. 

Bertoye,  238. 

Bettencourt  IIodrigues,  548. 

BiOT,  444. 

Blépharospasme,  262. 

Blocq,    217,  339,  340,  360,  362,  366,  367, 
492. 

Bonnet,  44. 
bouchereau, 369. 
Boudin,  435,  443. 
Bourdon,  369. 
Bourneville,  64,  80. 
Briand,  369,  381,  390. 
Briquet,  362. 
Brissaud,  178,  369,  386. 
Brodie,  194. 

Bromure    de  potassium    dans    l'épilepsie 
et  l'hystérie,  117,  118. 

Brouardel,  84. 
Brown-Séquard,  55,  143. 
Brown-Séquard   (Syndrome   de),   56,  61, 

62. 

Bruit  de  pointe,  84. 

Bruit  de  talon,  84. 

Brunon,  473. 

Burlureaux,  118. 

BuzzARD,  336,  341.  ^ 


—  564  — 


Cancer  (Vomissements  noirs  du),  diag- 
nostic avec  Tabcs,  331. 

Canaux  semt-circulairks  et  mouvements 
des  yeux,  227. 

Carpenter,  316. 

Carrion,  475. 

Cartaz.  345. 

Casque  neurasthénique,  29. 

Catalepsie.  —  et  grand  hypnotisme,  70. 

—  et  Sommeil  hystérique,  70. 

Cathelineau,  69,  238,  273,  275,  421,   428. 

cécité  verbale,  250. 

Centres  physiologiques.,  359,  360. 

CÉPHALÉE  NEURASTHÉNIQUE,   136.  {Voy.  NeU- 

raslhénie,  Eystéro-Neur asthénie,) 

CÉRÉBRAUX  (Troubles)  dans  l'empoisonne- 
ment par   Toxyde   de  carbone,  370. 

Cervelet  (Maladies  du)  et  Abasie,  As- 
tasie,  474. 

Champ  visuel  (Rétrécissement  du),  138. — 
dans  la  Sclérose  en  plaques,  165, 
166.  —  dans  l'Epilepsie  et  l'Hys- 
térie, 423.  —  dans  l'Epilepsie,  31, 
119,  423.  — (Uétrécissement  perma- 
nent du  champ),  31,  32,  50.  Rétré- 
cissement temporaire  du  champ), 
32.  —  dans  l'Hystérie,  165  etpa.«s2m. 

—  dans  le  Tabès,  159,  165. 
Charcot,  35,  54,  179,  277,  362,  418,  487, 

501,  527,  533,  534. 

Choc  NERVEUX.    {Voy.  Shock.) 

Chorée  (Gh.  vulgaire,  Ch.  de  Sydenham) 
{Voy.  aussi  Chorée  chronique,  Tic), 
7,  14,37,  130.—  (Délire  dans  la), 
106.  —  Diagnostic  avec  Abasie,  366, 

—  Emotionnelles,  111.  —  et  dégéné- 
ration physique,  131.  —  et  gros- 
sesse, 110,  —  et  Rhuniutisme  arti- 
culaire, 104,  113,  114,  130.  -  et  Tic 
convulsif,  44,  464.  —  Etat   de   mal, 


113,   239.  — (Etat  mental  dans  la), 
405,  444,  430.  —  Fièvre,  106,  sq. 
Chorée  grave,  103.  —  Autopsie, 128. 

—  (Causes  de  la  mort  dans  la),  112. 

—  Complications  dans  la),  108. — Etat 
mental  dans  la,  111.  —  et  Etat  de 
mal  épileptique,  113.  —  Fièvre  dans 
la,  106,  sq.  — Hérédité  dans  la,  111. 
Intensité  des  mouvements,  111.  — 
Mort  dans  la,  127.  —  Fréquence  de 
la  mort  dans  la,  109.  — Phénomènes 
généraux,  108.  —  Pronostic  dans  la 
108.  —  Soubresauts  des  tendons 
dans  la, 108,  111. 

Chorée .  —  gravide,  110.  —  Hérédi  té 
dans    la,  40,  111,  114,  115,  131,  172. 

—  Idées  de  persécution  dans  la,  405. 

—  (Langue  dans  la),  38. 

Chorée  molle,  38,  108.  —  Parole, 
171.  —  Réflexes,  171.  —  Termi- 
naison. 39. 

Chorée.  —  (Mort  dans  la),  103.  — 
Mouvements,  104.— (Mouvements  in- 
tentionnels dans  la), 130.  — (Mouve- 
ments volontaires  dans  la),  105.  — 
(Pronostic  dans  la),  103.  —  Suivant 
les  âges,  109,  110. —  Paralytique  ou 
molle,  38,  171.  —(Troubles  de  la 
parole  dans  la),  38,  104. 

Chorée  chronique,  109.  —  et  Chorée  de 
Sydenham,  467. 

Chorée  chroni(iue  et  Tic  convul- 
sif. —  Coordination  des  mouve- 
ments, 467.— Début,  468.  —  Mou- 
vements, 465.  —  Séméiologie  des 
mouvements,  466. —  Pronostic,  469. 

Chorée  d'huntington.  {Voy.  Chorée  chro- 
nique). 

CnoRÉK  RHYTHMÉE.  —  Démarchc,  357.  — 
Rhythme  et  cadence  dans  la,  5. 

Classe  ouvrière  (Pronostic  des  maladies 
nerveuses  dans  In),  261. 

Clinique  (de  la  Méthode),  25. 

COMBEMALE,  94. 

Commissures  de  la  moelle  (Rôle).  494,  499. 


—  505   -- 


Commotions  prémonitoires  de  TEpilepsie, 
H8. 

CoNCEPTroN  (Etat  mental  pendant  la),  03. 

CoNTRAnTURE.  —  (Attaqucs  de),  2')\,  2.j2. 

—  Hystérique,  ^MO,  ;i40  sq.  —  Hysté- 
rique et  rétractions  tendineuses, 
o40,  sq.  —  Hystérique  et  rétractions 
filjro-tcndineuscs  (Opportunité  de 
l'intervention  chirurgicale),  o42.  — 
(Opporlunité  de),  178.  Spasmodiques 
et  contractures  retractilcs,  537.  {Voy. 
ausfii  HyUérle,  etc.) 

CoPROLALiE,  15,  408.  -    et  Echolalie,  io. 

CORDIER,  146. 

Cornes  postériecres  (Rôle  des),  494. 

COTLGNO,  24. 

Crises  gastriques  du  tares  {Voy.  aussi 
Tabcs),  i:;0,  331,  333,  346.  —  Ana- 
tomie  pathologique,  33G.  —  Avec 
vomissements  noirs,  342,   343,  344. 

—  Chimie  des  vomissements  dans 
les  crises  gastriques,  334.  —  Crises 
gastriques  de  longue  durée,  340.  — 
(Diagnostic),  339.  —  et  arthropa- 
thie,  336.  —  et  crises  laryngées, 
336,  345.  —  et  douleurs  fulgurantes, 
333,  334.  —  et  suspension,  202.  — 
Périodicité,  335,341.  —  Phénomènes 
généraux,   335.  —  (Pronostic),  344. 

—  (Symptomathologie),  334.  —  (Ter- 
minaison), 336. 

Cruveiliiier,  412. 

Cubital  (Douleurs  du  nerf),  155,  278. 

Cyon,  227. 


Damaschino,  90. 

de  beau  vais,  369. 

Debove,  71,  121,  337,  338,  410,   488,  502, 
506,  509. 

[)EGH ambre,  446,  449. 


Dégénération  physique  et  Chorée,  131. 

DÉGÉNÉRÉS  93,   392.     —     Stigmates   psy- 
ctiiques,  10. 

DÉGÉNÉRESCENCE  et  Hyslérie, 392, 393,  399. 

DÉJERiNE,  101,  144,  445,414,  416,  488,  501. 

Delasiauve,  64,  313. 

Deleau,  22  . 

DÉLIRE  dans  la  Chorée,  106.  —  dos  fou- 
droyés, 449. 

Delpech,  43,  44,  45,  49,  51,  52. 

Démange,  336. 

DÉMARCHE. —  dans  le  Vertige  de  Méniére, 
228.  —  dans  les  paralysies  toxiques, 
84.  —  du  Stoppeur,  83.  —  et  Sus- 
pension, 210,211,  212,213,  214,  216. 
—  rabétique,84,  157,  — Tabétiqueet 
Suspension,  201. 

DÉROBEMENTDES  JAMBES  daus  lo  Tabcs,  157. 

Deséquilibrés,  16,  93,  349, 

déterminisme  amrulatoire,  327. 

Diarrhée. —  dans  la  maladie  de  Basedow, 
233,  236,  240,  241,  335.  —  dans  la 
morphinomanie,  432. 

DÉTERMINISME  cu  pathologle,  152. 

DiCKINSON,    109,    110. 

DiiT.opiE. —  de  la  Sclérose  en  plaques, 164, 
100.  —  de  l'Hystérie,  104,  200.  —  du 
Tabès,  104.  —  et  Vertige  de  Méniére, 
220.  —  Monoculaire,  32. 

Dissociation  de  la  sensibilité,  495,  490, 

Dormeuses.  — {Voy.  attaques  de  sommeil), 
03. 

Double  personnalité.  327. 

Douleurs.  — dans  la  paralysie  alcoolique, 
87.  —  en  ceinture,  153.  —  Fulgu- 
rantes et  crises  gastriques,  333,  334. 

Douleurs  fulgurantes,  154.  —  Fulgu- 
rantes et  suspension,  211,  213,   210. 

Douleurs  goutteuses,  224. 

Dreschfeld,  475. 


—  566  — 


Dubois  (Paul),  336. 
Dubois,  156. 

DUCHENNE  DE  BOULOGNE,  43,  412,  47o,  oOl. 
DUPONCHEL,  327. 

DuTiL,  339,  410,  417,  419,  466,  535,  543. 

DYNA.MOMÉTRIQUE   (Éxamen)   dans  la  Neu- 
rasthénie, 29. 

Dyspepsie  neurasthénique,  136. 

Dyspnée  hystérique,  11. 


ECHEVERRIA,  324. 
ECHOKINÉSIE,  468. 
ECHOLALIE,  15,  468. 

Ecriture  dans  l'abasie,  359. 

Edwards,  68. 

Effondrement  des  jambes,  157. 

Electriques  (Réactions). —  dans  la  para- 
lysie alcoolique,  86,  383.  —  dans  la 
paralysie  infantile,  143.  —  (Traite- 
ment) de  la  maladie  de  Basedow, 
239,  240. 

Electro-pronostic  et  paralysie  faciale, 
101. 

Enfants  du  siège,  116. 

Epilepsie. —  Accès,  421. — Alcoolique, 95. 

—  A  secousses  interparoxysmales, 
117.  —  Aura,  118,  —  Automatisme 
ambulatoire,  303  sq.  310,  320  sq.— 
(Bâillement  dans  1'),  5.  —  (Champ 
visuel  dans  1'),  31,  119,  423.  —  Etat 
de  mal,  113,  239.  —  Etat  mental, 
321.  — Composition  de  Turine  après 
l'attaque,  421.  —  et  Amnésie  trau- 
matique,  322.  —  et    Alcoolisme,  95. 

—  et  Rétrécissement  du  champ  vi- 
suel, 3i. 

Epilepsie  et  Hystérie.—  Différence 
des  attaques,  424.  —  (Indépendance 
del').  424. 


Epilepsie.  —  et  traumatisme,  322. 

—  Hystérie  et  bromure  de  potas- 
sium, 117,  sq.  Epilepsie,  hystérie  et 
morphinomanie,  420,  sq.  —  Par 
cellaire,  118.  —  Petit  automatisme 
321.  —  Petit  mal  314.  —  Secousses 
interparoxysmales,  117.  —  (Secous- 
ses prémonitoires  des  accès  dans  1'), 
118.   —Tardive,  309. 

Epileptique. — Automatisme  ambulatoire . 

—  et  traumatisme, 323. —  Délire  post 
convulsif,  320.  —Etat  de  mal,  113, 
239.  —  Vertige,  34. 

Epileptiques.  —  (Accès)  incomplets,  289. 

—  (Actes  de  violence  des),  312.  - 
(Délits  commis  par  les),  321.  — 
(Etat  mental  des),  321. 

Erb  101,  102,  225,  414,  501. 

Erb  (Point  d'),  14. 

Erichsen,  288. 

Erlenmeyer,  362. 

Espèces  morbides  (Association  des),  152. 

—  (Fixité  des),  151. 

Etat  de  mal.  —  choréique,  113,  239.  — de 
la  maladie  de  Basedow,239. 

Etat  de  mal  épilçptique,113,239. — 
(Mort  dans  1'),  113.  —  et  chorée 
grave,  113. 

Etat  de  mal  hystérique,  68. 

Etat  mental.  {Voy.  Mental  [Etat.) 
EULENROURG,  164,  166. 
Euphorie  (Périodes  d'),  431. 
Extenseurs  (Paralysies  des),  84. 


Facial  (Trajet  du  nerf),  225. 

Faciale.  —  Paralysie  (Voy.  Paralysie  fa- 
ciale). 
Falret,  321,  323. 

Faisceaux  postérieurs  (Rôle  des),  494. 
Feltstrom,  449. 


-  567  — 


Feré,  :;,  179,  277,  :{20. 

FiiJuiLLAiREs  (Secousses)  et  paralysie  fa- 
ciale, 101. 

Fièvre.  —  Dans  la  chorée,  100  sq.  — 
Dans  la  maladie  de  Basedow,  237, 
238. —  RhumPctismalc  et  chorée.  114. 

FiNKELSTEIN,  110. 

Foudre.  (Foy.  fulguration).  —  (Accidents 
déterminés  par  la),  435. — agent  pro- 
vocateur de  riiystérie,  4o8,  o43,  sq. 
—  en  zig-zag,  444.  —  globulaire,  445. 

Foudroyés  (Délire  des),  449. 

FouRNiER,  333,339,  340, 

Fraenkel,  234. 

Freud,  488. 

Frey,  143. 

Friedreigh  (Maladie  de).  — et  suspension, 
217,  220,    221.  —    Nystagmus,    164. 

Froid.  — et  paralysie  faciale,  100. 

Fulguration. —  (Amnésie  dans  la),  444. — 
(Etat  mental  à  la  suite  de  la),  448. — 
et  hystérie,  '143,  o4V).  —  Hystérie  et 
neurasthénie,  457.  —  (Lésions  pro- 
duites parla),  4^6,   447. 

Fulguration.  —  (Paralysies  par), 
436,441,446,  448,  449.  —  à  distance. 
451.  — Début,450.— Durée, 452. —ex- 
périmentale, 450.  — Formes,  451.  — 
Siège,  451.  —  Symptomatologie,  450, 
451. 

Fulguration  partielle,  444. 

Furstner,  488. 


Gabard,  444. 

Galien,  57. 

Galli  (Ignazio),  445,  446,  447,  448. 

Galton,  260. 

Gastillier,  451.  • 


GA-5inAi.'.ini;ts  (Crises).  Vw/.  Crises  fj'i-- 
triijues. 

Gkllé,  170,  227. 

Gknu  recl'rvatlm,  73. 

Gmjier  de  Savigny,  459. 

Gilles  delà  Tourktte,  15,  IC.  65,69,  201, 
238,  27.3,  275,  421,  428. 

GdJARD,  360. 

GiVI.NG  WAY  OF  THE  LEGS,   157. 

GlIOMATOSE  MÉDULLAIRE,  490. 

Gnauck,  16i,  166. 

Goitre  Exophthalmique.  —  Voy.  Basedow 
(Mal.  de). 

Gombault,  498. 

Goutte.  —  Douleurs,  224.  —  Otite,  224. 

GowERS,  182,  321. 

Grasset,  363,  365,  499. 

Graves,  336. 

Grossesse  et  bclillement,  5.  —  et  chorée, 
110. 

G  LINON,  16,  37,  110,  161,  287,  460. 

H 

Hack  Tuke,  324. 

Hallopeau,  490. 

Hamlet,  5. 

IIansen,  255. 

Heinemann,  119. 

Hémiparaplégie  spinale  avec  hémianes- 
thésib  ci'oisée  (syndrome  de  Brown- 
Séquard),  56,  59. 

HÉMIPLÉGIE.  —  (Facial  inférieur  dans  1'). 
48.  —  llémianesthésio    dans  F),  47. 

HÉMIPLÉGIE  CAPSULAIRE  et  abasicastasie. 
477,  479. 

HÉMIPLÉGIE  HYSTÉRIQUB,  262.  —  {Voif.  HyS- 

ttU'ir.) 


568  .— 


HÉMISPASME  GLOSSO-LABIÉ,  49. 

HÉRÉDITÉ. —  alcoolique,  88.—  dans  TAba- 
sù,371,  372.  —  dans  l'Abasie  trépi- 
dante, 476.  —  dans  la  chorée,  40, 
111,  114,  115,  131,  172.  —  dans  la 
chorée  grave,  111.  —  dans  le  bégaie- 
ment, 79.  —  dans  l'hystérie,  6,  3.'j, 
541.  —  dans  Thystéro  neurasthénie, 
261,  286,  296,  297,  o28.  —dans  la 
maladie   de  Basedow,  236,  239,  241. 

—  dans  la  neurasthénie,  35.  —  dans 
la  paralysie  faciale,  78,  101,  225  — 
dans  la  paralysie  infantile,  144,146, 
408. --dans   la  syringomyélie,  502. 

—  nerveuse,  6,  92,  420.  —  nerveuse 
des  juifs,  11. 

Herpin,  118,  289. 

HiRTZ,  536. 

Hoffmann    (.1),    334. 

Hoquet,  6. 

hughlings  jackson,  226,  321. 

Hughes,   109. 

HuNTiNGTON  (Chorée  d').  (Voy.  Chorée 
chronique). 

HUTINEL,  45. 

Hydromyélie,  490. 

HyPEREXCITABILITÉ    NEURO -MUSCULAIRE,     70. 

Hyperesthesie,  dans  la  paralysie  alcoo- 
lique 86,  87. 

Hypnotisme,  52,  —  Contagion,  254.  — 
(Dangers  de  T),  247.  —  et  Hystérie 
mâle,  100,  380.  —  Période  de  léthar- 
gie, 70.  —  (Restriction  de  V), 
255.  —  Somnambulisme  provoqué, 
et  automatisme  ambulatoire.  325 

Hypnotisme  (Grand).  —  Bâillement  imité 
dans  le  grand,  10.  —  et  Catalepsie, 
71. —  (Etat  psychique),  10.  — (Le 
moi  dans  le),  10.  — Phénomènes  so- 
matiques,  10.  —  Pouvoir  d'inhi- 
bition, 10.  —  (Simulation  et  illusion, 
dans  P),  10. 


Hysteria  Major,  32. 

Hystérie.  {Voy.  aussi,  Attaques  de  som- 
meil, hystérie  mâle,  hystéro-neur as- 
thénie. Champ  visuel,  Contractures, 
rêves, etc.,  etc.  Hérédité}.  —  Achro- 
matopsie,  158,  165,  169.  (Agent  pro- 
vocateurs de  1'),  48,  121, 197.  — Amau- 
rose,amblyopie,  164. —  (Antagonisme 
entre  les  attaques  et  les  accidents 
locaux),  7.  —  Atrophie  musculaire, 
403.  —  (Attaques),  7,  195.  {Voy. 
aussi  Attaques).  —  Attaques  de  con- 
tractures, 252.  (Voy.  Contracture). — 
Mlei^ques  de  sommeil.  {Voy  .Attaques) . 

—  Attaques  transformées,  13.  —  Au- 
tomatisme ambulatoire, 325.  —  (Bro- 
mure de  potassium  dans  1'),  118.  — 
(Bruits  laryngés  dans  1'),  4,  6. — 
(Cadence  des  accidents),  5.  — 
Champ  visuel,  31,  159,  165,  423.  — 
Chez  les  misérables, 285.  —  Compres- 
sion ovarienne,  275,  276.  —  Conta- 
gion des    accidents  hystériques,  11. 

Hystérie.  —  Contracture  avec  ré- 
tractions tendineuses,  540  sq.  —  Con- 
tracture avec  rétractions  fibro-tendi- 
ncuses,  opportunité  de  l'interven- 
tion chirurgicale,  542.  —  Contrac- 
ture chez  une  tabétique,  278,  279. 

Hystérie.  —  Crises  d',  161.  —  Dans 
l'armée  allemande,  425,  —  Dans 
l'empoisonnement  par  l'oxyde  de 
carbone,  370.  —  (Déterminisme  dans 
Y),  272.  —  Diplopie,  164,  266.  — 
Dormeuses,  63. 

Hystérie.  —  etabasie,  366,375.  — 
et  Abasie,  astasie,474,  477,  479,  483. 
et  abasie  trépidante,  474,  477,  479, 
483. 

Hystérie  et  alcoolisme,  35, 99,  288. 

—  Rêves,  389. 

Hystérie. —  épilepsie  et  morphino- 
manie,  420,  sq.  —  et  Choc  nerveux, 
132.  —  et  Dégénérescence,  392,  393, 
395,  399,  400.  —  et  Epilepsie  (diiïé- 
rence  des  attaques),  424.  —  et  épi- 


—  569  — 


lepsie  (Influence  du  bromure  do 
Pot.),  322. 

Hystérie  et  mal  de  Pott,  i80,  180, 
sq.,  194.  — Douleurslornbîiiros,  100. 

—  Sensibilité  du  rachis  à  la  pression, 
192.  — Stigiimtcs,  186,  sq.,  i02. 

Hystérie.  —  et  mal.  de  Hasodow, 
240. —  et  saturnisjiK;,  121,  sq., — 
et  sclérose  on  plaques,  162. 

Hystérie  et  syringomyélie. —  (Dia- 
gnostic), 480. —Sensibilité,  .ïl6,  517. 

—  Trouble?  sensitifs,  407.  — Troubles 
trophi(iues,  ;vl8,  510. 

Hystérie  et  Tabès,  161,  277,  sq., 
281.  —  Rénexes,  282.  —  Stigmates, 
281,282. 

Hystérie.  — et  tics,  15,  —  et  trau- 
matisme, 30. —  et  Utérus,  37. — (Etat 
mental,  dans  1')  188,  533.— Etourdis- 
sements,  280.  —  Fugues,  325.  — 
Grande  hystérie.  —  06.  —  (Hérédité 
dans  l'),  6,  35,  541.  —  (Influence  du 
sommeil  sur  les  accidents),  4,  12.  — 
La  misère  cause  de  l'hystérie,    403. 

—  Locale,  6. —  Monosymptomatique, 
6,13.—  (Multiplicité  de  l',)  107.  — 
Neurasthénie  et  fulguration,  457. 

Hystérie  provoquée  par  la  foudre, 
457,  543  sq.  —  Paralysies  dans 
l'hystérie  par  fulguration  453,  sq. 
456,  457,  450,460. 

Hystérie.— phases  de  l'attaque,  166. 

—  Phénomènes  laryngés,  7.  —  Po- 
lyopie  monoculaire,  166.  —  Pres- 
sion ovarienne,  275,  276.  —  Pro- 
nostic, 0.  —  (Uachialgie  dans  T), 
153.  —  lléves,  202,  204,  380.  — 
Rhythme  dans  les  accidents,  5.  — 
sénile,  162.  — Spasme  glosso  labié, 
40.  —  Stigmates,  8,  13,  31,  32,  36, 
07,  123,  166,  106,  273,  350,  351,  421 
sq.  —  Symptômes  oculaires,  163. — 
Thermo-anesthésie,  517,  510.  — 
Traitement  des  contractures,  282.  — 
Transfert,  283.  —  Tremblement,  471, 
472.  — Troubles  trophiques,  510.  — • 
(Unité  de  T),  36,  121.  —  Variâtes  des 


formes,  470  ^'\.  —  Vomissements 
272,  273. 

Hystéhie  MALE,  .36,  48,  100,  419  sq.  458, 
450,  522,  533.  —  Attaques,  425.  — 
Hlépharospasme,  262.  —  dans  la 
classe  ouvrière,  50.  —  Diplopie, 
266.  —  (Etat  mental)  50.  —  et 
Hypnotisme,  100,  380.  —  Eliolo- 
gie,  284.  —  Hémiplégie,  266.  — 
(Pronostic  de  l'  ,  52.  —  Stigmates, 
263,  267,  268.  —  Héves,  51,  265,  268, 
352.  Spasme  glosso-labié,  262.  — 
Stigmates,  263. 

HvsTÉRiouK.  —  Apoplcxie,71. —  Aura,  34. 

—  (Automatisme  ambulatoire)  et 
catalepsie,  326.  —  Autosuggestion 
dans  les  phénomènes,  375.  —  Bâille- 
ment, 2,  7.   (Voy.    aussi  Bâillement). 

—  Contracture,  349,  540  sq.  — 
Dyspnée,    11,    —  Etat  de    mal,  68, 

—  Hémiplégie.  262.  —  Mutisme, 
247,  248.  —  (Mutisme)  et  aphasie, 
247,  240,  250.  —  Nutrition  dans  l'at- 
taque de  sommeil,  60.  —  Paralysie, 
521.  —  Paraplégie  (diagnostic  avec 
l'abasie  ,  366.  —  (Périodes  de  la 
grande  attaque),  33.  —  (Signe  de 
Todd  dans  l'hémiplégie).  268.  — - 
Sommeil  (Vo/y.  .\ttat/iies  île  sommeil). 
(Sommeil)  et  catalepsie,  70. —  (Som- 
meil) et  léthargie,  70.  —  (Sommeil) 
et  points  hystérogènes,  66.  —  (Som- 
meil) et  sommeil  naturel,  65,  69,  70. 

—  Sommeil  (mouvements  de  salu- 
tation), 67.  —  (Somnambulisme)  et 
somnambulisme  spontané,  326,  — 
Tachypnée,    12.    —  Toux,   4,   7.  — 

—  Tremblement,  471,  472. 

Hystéro-ej-ilepsie;,  32.  —  A  crises  sépa- 
rées, 424.  —  (Signification  du 
terme),  425. 

Hystérogènes.  —  (Points)  dans  le  som- 
meil   hystérique,  66.  —    Zones,  33. 

Hystéro-neurasthéme  {Voy.  aussi  hys- 
t>rii\   hystà'ie  mâle,  hystiiiqur.  Ufii- 


570  — 


rasthénic),  31,  35,  51,  269,  283.  — 
Attaques,  294,  205,  530.  —  Carac- 
tères, 36.  —  Casque,  291,  293.  — 
Causes  psychiques,  292,  —  Céphalée, 
530,  532.  —  et  névrose  traumatique, 
298.  —  et  traumatisme,  36.  —  Etat 
mental,  532.  —  Etiologie,  284,  292, 
296,  297,  529.  —  Hémiplégie,  293, 
294.  —  Hérédité,  261,  286,  296,  297, 
528.  —  Ordre  d'apparition  des  deux 
névroses,  293.  —  Profession,  284. 
—  Rêves,  288,  529,  534.  —  Sexe, 
284.  —  Spasme  glosso-labié,  293.  — 
Stigmates,  289,  294,  531,  532.  —  Ta- 
bleau synoptique,  293,  299.  —  Trem- 
blement, 530,  531. 

Hystéro-traumatique. — Paralysie,  352.  - 
Mécanisme,  62,  352, 

I 

Ictus  laryngé,  346. 

Impuissance.  —  neurasthénique  et  sus- 
pension, 217. —  non  tabétique  et 
suspension,  203.  —  tabétique.  (\^o//. 
Siispenfiion.) 

iNmBiTioN . —  (Faculté  d'),10.  —  (Pouvoir  d') 
dans  le  grand  hypnotisme,  10. 

Intellectuel  (Surmenage).  —  et  maladies 
nerveuses,  03. 

Ischias  arthritica,  25,  27. 

isghlvs  nervosa,  24. 

Ischias  nervosa  antica,  25. 

Ischias  nervosa  postiga,  25,  27. 

Ivresse  (Etat  mental  dans  1'),  50, 


Jaccoud,  110,  361. 

Jean,  336. 

JoFFROY,  54,  243,  490.  511. 

Jouet,  432. 

Juifs. —  (Hérédité  nerveuse  chez  les),  11 
Névropathie  des,  348. 


Kaempfen,  319. 

Kahler,  182,  487,  488,  496,  520. 

Kelsch,  339,  340. 

Kennedy,  143. 

Kerauno  paralysies,  436, 

Keser,  m. 

Kirghner,  230. 

Klippel,  77. 

Knoblauch,  425. 

Kragenh\ff,  449. 


Lachèze  (de),  37. 

Lancereaux,  369,  386,  540, 

Landouzy,  25,  414,  416. 

Langage  (Matériel  de  la  faculté  du),  250. 

Langue  dans  la  chorée,  38. 

Lannelongue,  180,  182,  191. 

Lannois,  334. 

Laryngés  (Bruits),  —  chez  le  liqueur,  15. 

—  dans  l'hystérie,  4,  6. 

Laryngées  (Crises)  tabétiques,  345,  346.  — 
et  crises  gastriques,  336. 

Laryngés  (Phénomènes),  hystériques,  7. 

—  et  attaques,  7. 

Lasègue,  24,  25. 

Lear  (le  roi),  93. 

Legrand  duSai'LE,  64. 

LÉO,  227. 

LÉPiNE,  334,421,  428. 

Léthargie. —  et  sommeil  hystérique, 70. — 
(hypercxcitabili té  neuro-musculaire 
dans  la),  70. 

Leucomyklic»ues  (Symptômes),  495. 

Leudet,  108,  369. 


—  571   — 


Leyden,  337,  338,  527, 

LlNSLEY,  449. 
LiTTEN,   370. 

Lorrain,  176. 
LucAE,  230. 
LuYs,  89. 

M 

Magnan,  10,  9y,  06. 

Mairet,  94,  421,  428. 

Mal  coMiTiAL  (Voy.  Epilepsie). 

Manie  hypnotisante  active,  254. 

Marche  (Voy.  aussi  Démarche).  —  (Méca- 
nisme de  la),  3o8. 

Marche  trépidante  (Mécanisme),  357. 

Marc  Stella,  449. 

Marey,  12. 

Marie,  45,  46,    50,  68,  84,    232,  233,  285, 
393,  491. 

Maroc  (Hérédité  chez  les  Juifs  au),  11. 

Marquez  Y,  392. 

Marshall  (John), 200. 

Mathieu,  139. 

MÉHU,  443. 

Mémoires  partielles,  360. 

Ménière  (Vertige  de)  (Voy.  Vertige  deMi^- 
nière) . 

Mental  (Etat)  (Voy.  aussi  Psychique).  — 
dans  l'automatisme  ambulatoire,  319. 

—  Dans  la  chorée,  105,114,130. — 
Dans  la  chorée  grave,  111.  —  dans 
la  fulguration,  448.  —  Dans  l'hys- 
téro-neurasthénie,  532.  —  Dans 
l'ivresse,  50. —  Des  épileptiques,  321. 

—  Des  hystériques,  188.  —  Des  hys- 
tériques mâles,  50. 

Mercati,  255. 

Mercuriel  (Tremblement),  232. 


Mes.net,  326. 

MicnAUD,  179,  180,  182. 

.Miction  et  suspension,  210,  212,  213, 
214,216. 

MlERZEEVVSKI,   H  9. 

Mili.jtti,  64,  68,  3G2. 

MisKHE  et  liystérie  inàle,  285. 

MoBns,  235. 

Moelle  épinière. — Compression,  179,182. 

—  (Hémisection de  la),o4.— Localisa- 
tions pathologiques,  493.  —  (Piqûres 
de  la),  55.  —  (Traumatismes  de  la),  53. 

Moi  (le)  dans  le  grand  hypnotisme,  10. 

MoRAx,  257. 

Morbides  (Espèces)  (Voy.  Espèces). 

MoRPHiNOMANiE. —  Descdption, 430,  sq.  — 
Diarrhée,  432.  — Hystérie,  epilepsie, 
420  ^sq.  —  Importance  des  périodes 
au  point  de  vue  diagnostic,  433.  — 
Périodes  d'amorphinisme,  431.  — 
Périodes  d'euphorie,  431,  —  Sueurs, 
432.  —  Traitement,  433.  —  Tremble- 
ment, 431. 

Morphinomanes  (Bâillements  chez   les),  5. 

Mort. —  dans  la  chorée,  103,  108.— Dans 
la  chorée  grave,  109,  112, 127.— Dans 
l'état  de  mal  épileptique,  113. 

MORVAN,  408. 

Morvan  (Maladie  de),  498. 

MoTCHOUTKOWSKY,  199,  200,  201,  202.203, 
204,  216,  217. 

Motet,  320,  :322,323. 

Mouvements.  —  Dans  la  chorée,  104.  — 
Dans  la  chorée  chronique,  465,  466. 

—  Intentionnels  dans  la  chorée,  130. 

—  Mécanisme  dos,  367.  — (Mémoire 
organique  des)  367.— (Mémoire  psy- 
chologique des),  367. —  Volontaires 
dans  la  chorée,  105. 

Mouvements  automatiques  physiologiques 
chez  les  tiqueurs,  14. 


572 


MûLLER,  54,  59,  60. 

Musculaire  (Atropnie)  ae  cause  articu- 
laire, 75. 

Mutisme  hystérique,  247,  248,249,250. 

Myélite  cavitaire,  490.  —  Diffuse  chro- 
nique et  suspension,  204.  —  Trans- 
versedu  MaldePott,  182. 

M.Yo?A.THïEs{Voy. aussi  atrophie  musculaire 
progressive).  —  et  Atrophie  luusculaire 
progressive  413.  —  Diagnostic,  414. 
Myopathies  primitives,  414.  —  Etiolo- 
gie,  414.  —  Réactions  électriques, 
415.  —  Symptômes,  415.  — Type  sca- 
pulo-huméral,  414. 

Myosis.  —  Dans  la  sclérose  en  plaques, 
164. 


N 


Nacrée  (Papille  du  tabès),  164. 

Nerveuses  (Maladies).  —  et  rhumatisme, 
114.  —  et  Traumatisme,  30. 

Neumann,  78,  79,  101,  224,  225. 

Neurasthénie,  29  {Voy.  aussi  hystéro-neu- 
rasthénie).  — Cérébro-spinale,  438.  — 
Dans  la  classe  ouvrière,  256. —  et  choc 
nerveux,  132,  139,260. — ethystérie, 
31.  —  et  hystérie  (Hérédité)  261.  — 
et  surmenage,  29.  —  et  surmenage 
intellectuel,  260.  —  et  traumatisme, 
30. 

Neurasthénie.    — •    Etiologie,    29, 
136.—  Examen  dynamométrique,  29. 

—  Fonctions  génitales,  137.  —  Force 
dynamométrique.  137.  —  Hérédité, 
35.  —  Hystérie  et  fulguration,  457. 

—  Pronostic,  261.  —  (Symptômes- de 
la),  136,258.— (Traumatismes  et), 288. 

NeurasthÉiNique.  —  Casque,  29.— Cépha- 
lée, 136.  —  Dyspepsie,  136.  —  (Im- 
puissance) et  suspension,  217. 

Nkuropallie,  37. 


Névralgie  (Caractères    différentiels  des), 
24. 

névrite  optique,  164,  165,  166. 

Névrites  Périphériques,  85,  384. 

NÉVRO.SE  sulfo-carbonée,  44. 

Névrose  traumatique,  36,  ^1,  527,  sq.  —  et 
hystéro-neurasthénie  mâle,  298, 

Nicoladoni,  22. 

Nothnagel,  450,  458,  475. 

Nu  (de  l'étude  du)  en  pathologie,  20. 

Nutrition  pendant  l'attaque  du  sommeil, 
69. 

Nyst.vgmus,  164,  170. 


Ogolaire  (Mouvements  du  globe).  —  et 
canaux   1/2   circulaires,  227. 

Oculaires  (Symptômes).  —  du  tabès  et  sus- 
pension, 201,  202,  211,  ".^12.  —  (Symp- 
tômes) dans  riiystérie,  163.  —  Dans 
la  maladie  de  Rasedow,  235.  —  Dans 
la  sclérose  en  plaques,  163.  —  Dans 
le  tabès,  163. 

Ollive  (D"-  g.),  39. 

Ollivier  p'angers,  487. 

Onanoff,  200,  204. 

Onimus,  460. 

Ophthalmologie  en  pathologie  nerveuse, 
152. 

Oppenheim,  119,  288,  336,  423,  488,527, 
533,  534. 

Optique  (névrite),  164,  165,  166, 

Optiques  (atrophie  des  nerfs)  dans  le  ta- 
bès, 158. 

Otite  goutteuse,  2?.4.  —  cl  Paralysie  fa- 
ciale, 225.  --  Pathogénie,  225. 

Ovarienne  (Effet  de  la  pression),  sur  les 
phénomènes    hystériques,  275,   276. 


—  573  — 


Oxyde  de  carbone  (Accidents  provofjués 
par  V),  31)5.  —  (Amii/^sie  dans  l'c^ni- 
poisonnement  par  rj,360.  —  (Anes- 
thésie  dans  Tempoisonnoment  par 
T),  369.  —  (Coma  dans  l'onipoison- 
nement  par  V),  .160.  —  (Hystérie 
causée  par  1'),  370.  —  (Paralysie 
dans  rompoisounernent  par  1'),  370. 
—  (lUimollisscment  cérébral  dans 
rempoisonnement  par  1'),  370.  — 
(Troubles  cérébraux  dans  l'empoi- 
sonnement par  1'),  370.  —  (Troubles 
trophiques  dans  Tempoisonnement 
par  T),  370. 


PaCHYMENINGITE  cervicale  HYPERTROPHIOfE, 

536.  —  et  syringomyélie,  511.  — 
et  syringomyélie  (diagnostic).  502.  — 
Pathogénie,  536.  —  Uétractions  ten- 
dineuses, 537,  538.  —  Traitement 
des     rétractions    tendineuses,  538 

PaghymÉxNingite  par  Mal  de  Pott  (lésions), 

182. 
Page,  30,  288. 

Paget,  194. 

Panaris  analgésique    (Mal.    de    Morvan), 

498. 

Paimlle  tabétique,  164. 

Paralysie  agitante.  (  V^o//.  P^rA'wson  (ma- 
ladie do). 

Paralysie  alcoolkjuk.  — (Amnésies  dans 
la),  380.  —  Diagnostic,  388.  —  Dou- 
leurs, 87. —  et  névrite  périphérique, 

385.  —  et  rétractions  libreuses,  385. 

—  et  tabès,  ;{88.  —    llypcresthésie, 

386.  —  (Lacunes  dans  la  mémoire 
dans  la),  380.  —  Pied   tombant,  382. 

—  Pronostic,  301.  —  Réaclions  élec- 
triques, 383.  —  Réflexes,  86.  —  Re- 
tard dans  les  sensations,  388.  — 
Rétractions  tendineuses,  382,  530.  — 
(Rêves  dans  la),  380.  —  (Sensibilité 


dans  la),  386.  —  Troubles  bulbaires, 
301.  — Troubles  thermiques,  85.  — 
Troubles  trophiques,  383,  384,  .386, 
540.  —  Troubles  vasomoteurs,  8Ô. 

Paralysie  amyotrophique,  16. 

Paralysie  choréiql'e,  38. 

Paralysie  faciale,  78,  100. —  Electro- 
pronostic,  101.  —  et  otite,  225.  —  et 
vertige  de  Ménière,  226.  —  (Froid 
dans  la),  225.  —  (Hérédité  dans  la), 
78,  79,  80,  101,  225.  —  Périphérique, 
102,  225.  —  (P.r-onostic  de  la),  79, 
101. 

Paralysie  générale. —  et  paralysie  infan- 
tile, 144,  145.  —  Tremblement,  232. 

Paralysie  hystérique. —  Paraplégie,  etc* 
(  Voy.  hystérie,  hystérique^  hystéro-neu- 
rasthénie,  efr.,  etc. 

Paralysie  infantile. —  38,91, 140.  (Amyo- 
trophic  de  la),144,  (Foy.rtwssi  atrophie 
musculaire).—  (Début),  147,  149. —  et 
amyotrophie  spinale  progressive 
{Voy.  aussi  atrophie  musculaire), iOl. 

—  et  paralysie  générale,    144,  145. 

—  (Electro-pronostic),  143.  —  Frac- 
tures pontanées  409.  —  Hérédité, 
144,  146,  408.—  (Infirmités  résul- 
tant de  la),  143.  —  (Lésions  de  la) 
141,  142,  408.—  Période  de  répa- 
ration, 143.  —  Réactions  électri- 
ques, 143.  —  Symptômes,  142.  — 
Troubles   Irophiciues,  143,    144,  409. 

Paralysie  par  fulguration  et  hvstérie 
453    sq.    456.  457,  459,  460. 

Paralysie  sensitive  partielle,  295. 

Paralysies  des  extenseurs,  84. 

Paralysies  des  foudroyés,  463.  (  Voy.  aussi 
Fulguration). 

Paralysies  et  productions cellulo-fi blou- 
ses, 384,  385. 

Paralysies  psychiques,  281. —  sensibilité, 
281.     • 


574  — 


Paralysies  toxiques,  84,  344,  376. 

Paralytique.—  Abasie.470.—  (Abasie)  et 
trépidante,  364.  —  Ghorée,  38,    171. 

Paraplégie.—  alcoolique,  85.  (Voij.  aussi 
paralysie  alcoolique.)  —  Dans  la 
maladie  de  Basedow,  235,  239,  240, 
242.  —  du  Mal  de  Pott.  {Voy.  Pott.) 
Paraplégie  spasmodique.  —  Dé- 
marche,356— Diagnostic  avec  abasie, 
366.  — Rétractions  tendineuses,  538. 
—  (Suspension  dans  la),  204,  220. 

Parinaud,  98,  158,  159,  164,  257,  423. 

Parkinson  (Maladie  de).  —  et  suspension, 

220,221. 
Parole.  —    dans   la  chorée,  38,  104.  — 

dans  la  chorée  molle,  171. 
Peacook,  110. 
Peltier,  446. 
Persécution  (Idées  de)    dans   la   chorée, 

105. 

Période  préataxique  du  tabès,  333. 

Personnalité  (double),  327. 

Petit  mal  épileptique,  314. 

Physiologie  pathologique,  359. 

PiCK,  182. 

PiDOUX,  176. 

Pied  tombant,  85,  382. 

PlERRET,  336,  499. 

PlORRY,   37. 

Pitres,  7,  15,  283,  326,  340,  517. 
Planté  (Gaston),  445,  447. 
Pline,  443,  444. 
Pneumonie  des  viellards,  112. 
Pointd'Erb,  14. 
Policlinique  (lîut  de  la),  1. 
Poliomyeliques  (Symptômes),  495. 
PoLYOPiE  monoculaire,  32,  166. 

Pott  (Mal   de).  —  (antécédents  dans  le), 
190.  — Compression  de  la  moelle,  179, 
182.  —  Difficulté  du  diagnostic  au 
début,  189,191. 


Pott  (Mal  de)  et  hystérie.  —  Dou- 
leurs lombaires,  190.  —  Sensibilité 
du  rachis  à  la  pression,  192.—  Stig- 
mates, 186,  sq.,  192. 

Pott  (Mal  de).  —  Rétractions  ten- 
dineuses, 539.  —  (Lésions  de  la  pa- 
chyméningite  par  mal  de),  182.  — 
Myélite  transverse  du,  182. 

Pott.  —  (Paraplégie  par  mal  de), 
175,176.—  Guérison, 177. —  Réflexes, 
178.  —  Trépidation  spinale,  178.  — 
Pathogénie  de),  179.  —  (Symptômes 
de),    183. 

Pott  (Mal  de).  —  Simulation  hys- 
térique 189  sq.,  194.  —  Symptômes, 
176.  —  Symptômes  pseudo-névral- 
giques, 181.  — Symptômes  radiculai- 
res,  182.  —  Traitement,  177. 

POWELL,  110, 

Préataxique  (Période)  du  tabès,  156. 

Prévost,  141. 

Progression  (Variétés  de  mécanisme  des 
mouvements  de),  356,  358,  359. 

Psychique  (Etat).  —  {Voy.  aussi  Mental 
{Etat).  —  dans  le  grand  hypno- 
tisme, 10.  —  des  tiqueurs,  13, 15,  17, 
464. 

Psychique.  —  (Mécanisme)  de 
TAbasie,  374. 

Psychiques. —  (Causes)  do  Thystéro-neu- 
rasthénie.  —  (Modifications)  dans  le 
tic  convulsif,  464. —  Paralysies,  28 1 . 

—  (Stigmates)    dans   le  tic,    16.  — 
(Troubles)  chez  le  liqueur,  13,  15  17; 

—  dansla  chorée  grave,  111  ;  —dans 
la  fulguration,  448. 

Puerpérale  (fièvre).  —  et  bâillement,  5. 

Pupillaire  Inégalité  dans  le  tabès,    158. 

Putnam,  499. 


Quatrefages  (de),  452. 


;>7.j 


HACiiiAtj;!!;,    lo3. 

Hachis  (Mol)ilité  du),  101. 

]{\iL\v\v  lut  AIN,  30,    1:M,  139. 

Hailway  spine,  30,  131,  288,  207,  :i27. 
Ramollissement   céiiébral   dans   l'empoi- 
sonnemcnt  par  Toxyde  de  carbone, 

370. 

Uavmoni)  lOii,   200,  203,  418. 

Raynaud,  332. 

RÉFLEXES,  —  dans  la  chorée  molle,  171. — 
Dans  laparaIysiealcoolique,86.  — Dans 
le  tabès,  io7.  — Dans  les  paraplégies 
toxiques,  S'.i.  —  et  suspension,  202, 
216. 

Regnard,  64. 

Remak,  488,  497,  520. 

RÉMOND,   338,  410. 

Renault,  238. 

Rendu,  369,  531. 

Rétractions  tendineuses.  —  dans  la  pachy- 
méningite  cervicale  hypertrophique, 
536,  537. 

Rêves.  —  chez  les  nerveux,  372.  —  dans 
l'alcoolisme,  588,  389.  —  dans  la 
paralysie  alcoolique,  389.  —  dans 
l'hystérie,  292,  294.  —  dans  Thystérie 
mâle,  51,  265,  268,  352.  —  dans 
Thystéro-ncurasthénie,  288,  529, 
534.  —  Apparition  des  images  du 
côté  anesthésié,  288,  294.  —  Dans 
l'hystérie  et  l'alcoolisme,  288,  389. 

Reynolds,  117,  118,  119,  376. 

Rhumatisme  ARTICULAIRE.  —  et  chorée,  104, 
113,  114,  130.  —  et  maladies  nerveu- 
ses, 114. 

Rhythme.  —  dans  le  bâillement,  2.  —  dans 
les  accidents  hystériques,  15.  —  dans 
les  tics,  15. 


RiHOT,  9i,  32 i. 

RiCHER,  22,  252,  253,  288,  289,  .361. 

RiCHET,    55. 

RiLLiET  et  Barthez,  i  1 1. 

RiSSLER,  418. 

robertson,  226. 

Roche,  225. 

Rœderer,  5. 

RoMi'.ERG  (Signe  de)  ;  —  dans  le  Tabès,  1 5' 
—  et  suspension,  201. 

KoMEi,  362. 

Roques,  93. 

rosenthal,  61. 

RoTH,  488,  497,  498,  500,  520. 

Rouillard,  317,319,  320. 


Sahli,  334. 

Salmon,  54. 

Sapelier,  44. 

Sattler,  417. 

Saturnisme,  84.  —    et  hystérie,   121   sq. 
—  et  maladies  nerveuses,  93. 

Sayre  ^Corset  de),  200,  204,  209. 

SCHIFF,  494. 

ScHULTZE,  487,  488,496,  501,  518,520. 

Schvalbach,  226. 

SçiATiQUE.  —  Bénigne,  25.  —  (Déforma- 
tion du  tronc  dans  la),  19,  22,  27. — 
(Douleur  dans  la),  25.  —  Formes, 
25.  — Historique,  24.  —  Maligne,  25. 
(Points  douloureux  dans  la),  24,  25. 
(Station  assise  dans  la),  23.  —  (Sta- 
tion debout  dans  la),  23.  —  (Trou- 
bles trophiques  dans  la),  24,  25.  — 
(Zona  dans  la),  25. 

Sciatique  névralgie  et  Soiatique  névrite, 
25. 


—  576  — 


SCIATIQUE  NÉVRITE,  34. 

Sclérose  en  plaques.  —  Achromatopsie, 
165, 169.  —  Amaurose,  164.  —  Champ 
visuel,  165,   167.  —  Démarche,  170. 

—  Diplopie,  164,  160.  —  et  hystérie, 
162.  ~  et  suspension,  204,  217,  220, 
221.  Myosis,  164.  —  Nystagmus,  164, 
170.  —  (Rémissions  dans  la),  170,  — 
Symptômes  oculaires,  163.  —  Trem- 
blement, 170. 

Sclérose  LATÉRALE  amyotrophique.  —  Pro- 
nostic, 419. 

Scoliose  et  syringomyélie,  498. 

ScoTOME  scintillant,  289, 

Secousses.  —  Interparoxysmales  épilep- 
tiques.  117,  —  Prémonitoires  des 
accès  épileptiques,  118. 

Secousses  fibrillaires  —  Valeur  diagnos- 
tique, 414. 
Seeligmûller,  147. 
SÉGLAS,  248. 

Sensibilité.  —  dans  la  paraplégie  alcoo- 
lique, 85.  —  Dans  les  paralysies  toxi- 
ques, 85. 

Sestier,  443,  445,  446,  447,  448,  449,  450, 
452,  460. 

Sexuelles  (Fonctions)  et  suspension, 
201,  202,   204,  212,  213,  214,  216. 

Shakespeare,  5,  53,  93,  197. 

Shock  nerveux,  131  sq.  136,138,534,  543. 

—  et  amnésie,  133.  —  et  neurasthé- 
nie, 132,  139,  260.  —Voy.  aussi  Neu- 
rasthénie. 

Simon,  370. 

Simonin,  334. 

Skey,  194. 

Skoda,  101. 

Sommeil  (Attaques  de).  —  Voy.  Attaques. 

Sommeil.  —  dans  le  tic  convulsif,  14.  — 
(Intluence  du)  sur  les  accidents  hys- 
tériques. 4,   12. 


Sommeil  natcrel  et  sommeil  hystérique, 
05,  69,  70. 

Somnambulisme.  — et  automatisme  ambu- 
latoire, 324.  — hypnotique  et  spon- 
tané, 226.  —  naturel,  324.  —  provo- 
qué, 325.  —  spontané  et  hystérique, 
326.  —  spontané  pathologique,  325. 

SouzA  leite,  68. 

Spasme  glosso-labié,  262. 

Spasmks  fonctionnels  (Diagnostic  avec 
abasie),  366. 

Starr,  488,499. 

Steppage,    83,  84. 

Steppeur,  83.  {Voy.  Démarche). 

Stigmates. —  Hystériques,  13.  — (Voy. 
Hystérie). 

Str.\us,  343. 

StrOmpell,  182,  527. 

Stuart  mill  (John),  316. 

Sturges,  108,  109,  110. 

Sulfate  de  quinine  (dans  le  vertige  de 
Ménière),  229. 

Sulfure  de  carbone.  —  (accidents  dus 
au),  43.  — (Industrie  du),  43. 

Sulfo-carbonée.  —  Ataxie,  52.  —  (Exa- 
men dynamométrique  dans  l'hémi- 
plégie par  intoxication),  46.  —  Hé- 
miplégie dans  l'intoxication,  45. 

Surdité  vebbale,  250. 

Surmenage.  —  (des  adultes),  29.  —  Des 
enfants,  29. —  et  neurasthénie,  29.— 
Intellectuel,  260. 

Suspension.  —  Accidents  de  la,  220.  — 
Contre  indications,  203,  dans  la 
myélite  diffuse  chronique,  204.  — 
dans  la  paraplégie  spasmodique, 
204,  220.  —  Dans  la  sclérose  en  pla- 
ques, 204,  217,220,221  —Dans  l'im- 
puissance neurasthénique,  217.  — 
Dans  le  tabès,  199,  sq,  --  et  Démar- 


—  577  — 


che  tabétiiiue,  201,  202.  —  Douleurs 
fulgurantes,  201,  202,  210,  21  i,  212, 
2i:{,  2li,  210.—  Durée,  203,  209.  — 
Effets  physiologiques,  203,  204,  — 
et  maladie  de  Friedreich,  217,  220, 
221.  —  Inelllcacité  de  la,  215.  — 
Manuel  opératoire,  203,  204  sq.  — 
Miction,  202,  210,  212,  213,  214,  210. 
—  Réflexes,  201,  202,  210.  —  Statis- 
tique, 218  sq.  —  Signe  de  Romberg, 

201.  —   Symptômes    oculaires,  201, 

202,  211,  212.—  (Théorie  de  la),  203. 

Sydenham  [Chorée  de).    Voy.    Ghorée. 

Syndrome  bulbo-médullaire,  499. 

Stringomyelie.  487.  — Anat.  pathologique, 
489.  —  Arthropathies,  498.  Atrophie 
musculaire,  495.  —  Causes,  499.  — 
Cicatrices,  498.  —  Diagnostic,    500. 

—  Diagnostic  avec  l'atrophie  mus- 
culaire, 501,  —  Eruptions  hui- 
leuses, 497. 

Syringomyélie.  —  et  hystérie.  — 
(diagnostic),  489.  —  Sensibilité,  497, 
517,  519.  —  Troubles  trophiques,518, 
519. 

Syringomyélie.  —  ot  maladie  de 
Morvan,  498.  —  et  lésions  trophiques 
viscérales, 498.  —  ctpachyméningite 
cervicale  hypertrophique.  (Diagnos- 
tic), 502  —  et  paraplégie  cervicale 
hyp.,  541.  —  et  scoliose,  498.  —  et 
tabès  (diagnostic),  502. 

Syringomyélie.  —  Evolution,  499. 

—  Faux  phlegmon,  408.  —  Fractures 
spontanées,  498.  —  Gliomateuse,  490, 
491.  —  Glossy  skin,  498.  —  Griffe 
interosseuse,  502.  —  Hérédité,  502. 

—  Importance  pour  les  localisations 
médullaires,  494.  — Lésions,  491, 
492.  —  Localisation,  491,  492.  — 
Œdèmes,  497.  — Peau  lisse,  498.  — 
Processus  anatomique,490.  —  Pro- 
nostic, 500.  —  Siège  anatomique 
des  troubles  trophiques, 499.  —  Si- 
gnification du  terme,  487,  489.     — 


Symptômes,  495.  —  Symptômes 
extrinsèques,  495,  499.  —  Symp- 
tômes intrinsèques,  495,  409.  — 
Symptômes  leucomyéliques,  495.  — 
Symptômes  poliomyéliques,  495,  — 
Symptômes  i)oliomyéliques  anté- 
rieurs (valeur),  496.  —  Symptômes 
poliomyéliques  postérieurs  (valeur), 
496.  —  Terminaisons,  500.  —  Ther- 
moanesthésie,  495,  406,  507,  513.  — 
Troubles  sensitifs,  495,  500,  512.  — 
Troubles  sensitifs  (distribution), 496. 
—  Troubles  trophiques,  497.  — 
Troubles  vasomoteurs,  499. 


Tabaraud,  392. 

Tabès.  —  Achromatopsie,  158,  165.  — 
Amaurose,  164.  —  Arthropathies  et 
crises  gastriques,  333,  ;<36.  —  Atro- 
phie des  nerfs  optiques, 158. —  Champ 
visuel,  159,  105. —  Crises  gastriques, 
{Voy.  crises  gastriques).  —  Crises 
laryngées,  346.  —  Crises  laryngées 
et  crises  gastriques,  336.  —  Crises 
rectales,  333.  —  Crises  vésicales, 
333.  —  Démarche,  346.  ~  Déro- 
bement  des  jambes,  157,  277,  278, 
279.  —  Diagnostic  avec  abasie,  366. 
—  Diplopie,  155,  164,  278.  —  Dou- 
leurs cul)itales,  155,  278.  —  Dou- 
leurs fulgurantes,  154,201,  277,  278, 
279.   —    Champ   visuel,   165. 

Tabès  et  hystérie.  —  161,277,  sq, 
281.—  Stigmates,  281,  282.  —Ré- 
flexes, 282. 

Tabès.  —  ot  maladie  de  Basedow, 
243.  —  et  nystagmus,  164.  —  et 
parai,  alcoolique,  388.  —  et  syringo- 
myélie (Diagnostic),  502.  —  (Formes 
bénignes  du),  109.  —  (Impuissance) 
et  suspension,  217.  —  Incoordina- 
tion motrice  157.  —  Inégalité  pupil- 
laire,  158.  —  Parésie  vésicale,  155, 
157.—  Période  préataxique,  333.  -- 


—  578  — 


(Rachialgie  dansle),  153.  —  Réflexes, 
Jo7.  —  Réflexes  exagérés,  278,  — 
Sensitif  (tabès) 499.  —  Signe  d'Argyll 
Robertson,  158,  164.  —  Signe  de 
Romberg,  157.  —  (Suspension  dans 
le),  199,200.  —  Symptômes  oculaires, 
163.  —  Symptômes  oculaires  et  sus- 
pension, 201,  202,  211,  212.  —  Trai- 
tement du),  199.  —  Troubles  de  la 
miction,  278.  —  Vomissements,  166. 
—  Vomissements  noirs,  331,  334. 

Tabétique.  —  Démarche,  84,  157.  — In- 
fluence de  la  suspension  sur  la  dé- 
marche, 201.  —  Papille,  164. 

Tabétiques.  Pronostic  des  phénomènes, 
344. 

TaciiyPxS'Ée  hystérique,  12. 

Tarassis.  37. 

Tardieu,  322,  323. 

TÉPHRO-MYÉLiTEs  antérieures,  416. 

Terrillon,  385,  535,  537,  540,  543. 

Tessier,    243. 

Testaz,  101. 

Thermiques  (Troubles)  dans  la  paralysie 
alcoolique),  85. 

Thermoanesthésie  syringomyélique,  495, 
496. 

Thermomètre  à  surface,  507. 

Thermophobie  dans  la  Mal.  de  Basedow, 
235. 

Thomas,  417. 

Thomsen,  119,  533,  534. 

Tic  coNVULsiF,  13,  464.  — -  Arithmomanie, 
Arrêt  des  mouvements,  464.  — 
(Bruits  laryngés  dans  le),  15.  — 
(Goprolalie  dans  le),  15,  408.  — 
Echokinésie,  468.  —  Echolalio,  468. 

Tic  convulsif  et  cliorée,  l 'i-,  464. 

Tic  convulsif  et  chorée  chronique. 
—  Coordination  des  mouvements, 
467.  —  Début,  468.  —   Mouvements, 


465.  —  Pronostic,  469.  —  Séméiologie 
des  mouvements,  466. 

Tic  convulsif.  —  Etat  psychique, 
13,15,  16.  17,464. —  (Exagération  de 
mouvements  physiologiques  dans 
le),  464  —  Mouvements^  463,  468.  — 
(Reproduction  de  mouvements  phy- 
siologiques dans  le)  14.  — (Sommeil 
dans  le),  14.  —  Stigmates  psychi- 
ques, 16.  —  Systématisation  des 
mouvements,    14.  —  Variétés,  464. 

Tic  CONVULSIF  VULGAIRE,    l3. 

Tic  d'idées,  16. 


Tic  DOULOUREUX.  —  ct  sciatiquc,  24. 
névralgie  brachiale,  24. 


et 


Tic  MOTEUR,  16. 

Tics  et  Hystérie,  15. 

Tics  ET  Rhythme,  15. 

Tillaux,  225. 

TiLMANN,  225.  • 

TissiÉ,  327. 

ToDD,  46. 

ToDD  (Signe  de),  268. 

TOPINARD,  332. 

TouRDEs,  446,  450. 
Toux  hystérique,  4.  7. 
Toxiques  (Paralysies),  84,  344. 

Transfert,  283. 

Traumatique  (Névrose), -36,  51,  527,  sq. 
{Voy.  neurasthénie,  hystéro -neurasthé- 
nie, Shock,  etc.,  etc). 

Tralimatisme.  —  et  automatisme  ambula- 
toire épileptique,  323,  —  et  épilopsic, 
322  —  et  liystérie,  30  —  et  mala- 
dies nerveuses,  30.  —  ct  neuras- 
thénie, 30. 

TuAUMATisMEs  dc  la  moelle,  53. 

Tremblement.  —  alcoolique,  232  —  dans  la 
morphinomanie,  431,  dans  Thystéro 


—  579  — 


nourasthénie,  l'/.iO,  '.V.W .  —  de  la 
maliidio  do  Basedow,  231,  232,  234, 
23(),  239,  241  —  d<!  la  paralysie  gr- 
iiéralc,  232  —  hystôriquo,  471,  472, 
530,  531.  —  mcrcuriol,  232. 

Tremblements  (Diagnostic  des),  431. 

Tristram  Shandy,  03. 

Troltsch,  225. 

Troostvvygk,  449. 

Trousseau,  313,  321. 


u 


Urines  (Examen  des). —■  dans  l'attaque 
de  sommeil  hystérique,  273.  —  dans 
la  mal.  de  Basedow,  238.  —  dans 
l'épilepsie,  421. 

Utérus  et  hystérie,  37. 


Valleix,  24. 

Vasomoteurs  (Troubles)  dans  la  paralysie 
alcoolique,  86. 

Vertige  de  ménière,  80,  225,  226.  —  à 
crises  distinctes,  228,  230.  Démarche 
228.  —  Diplopie,  220.  — et  paralysie 
faciale,  22(3,  —  permanent,  228,  230. 
—  Traitement,  82.  —  Traitement 
par  le  sulfate  de  quinine,  229. 

Vertige.  —  Epileptique,  34.  —  Comitial  et 
étourdissements    hystériques,    280. 


Verti(;m  AB  AJ.RK    (.y<\.  Vov.     Vrrfii/^    'le. 

VÉsi(jAUx(  Troubles)  du  labes,  157. 

Vibert,  287. 

ViGouROUX,  58,  230,  383,  503. 

ViGUÈs,  54. 

ViRCHOw,  234. 

Visuel  (Rétrécissement   du    champ).  — 

{Voy.  Champ  visuel). 
VoisLN  (Jules),  04,  70,  325. 

VOLKMANN,  202. 

Vomissements. —  dans  le  tabos,  156.-- noirs 
du  tabès,  331,334.  —  noirs  et  crises 
gastriques,  334,  342,  343,  344.  — 
Diagnostic  avec  le  cancer,  331. 

Vomissements    hystériques,    272, 
273. 

VuLPiAN,  77,  101,  334,  336,  340,  343,  416. 

w 

Westphal  (Signe  de),  178. 
Weir  Mitchell,  362,  518. 
Wilde,  225. 
WlSING,  418. 
WOLFF,  498. 


Zacuer,  488. 

Zola,  88. 

Zona  dans  la  sciatique,  25. 


Inip.  de  la  Soc.  de  Typ.— NoizEïrE,8,  r.  Campagne-l'-e,  Paru 


I 


*^--yf 


"rr -^ 


''JS      V 


f.- 


'  t  » 


i^wr- 


V  A